1Imaginez qu’on accorde à tous les petits le temps de l’illusion et de la magie des désirs. Imaginez que l’arc-en-ciel soit la ceinture d’une fée capable d’exaucer nos vœux, et que l’étoile filante soit le message adressé par le ciel aux enfants. Imaginez que mes doigts soient des poupées qui parlent et ce livre d’autres bras faits pour me fêter et m’accueillir… Cessons une fois pour toutes de guerroyer contre ce qu’on appelle injustement le temps perdu. Il se pourrait bien que le jeu soit la plus sûre manière de grandir, et que le conte et le poème soient les plus précises réponses apportées aux ardentes questions du début et de la fin des temps.

2Ce texte est composé de récits de voyage. Peu importe de savoir qui en sont les auteurs : bébés, parents ou ceux qui les accueillent dans les maisons ouvertes, l’écriture advient aux moments précis où elle est co-naissance. Acte mêlé de rêve, de jeu complice et de parole, elle est devenue urgente et vitale nécessité, dans ce monde ségrégatif, planifié, évalué où se réalise chaque jour le meurtre des mythes et des intelligences créatrices.

3Nous avons construit de grandes cités et négligé les maux torpides qui s’y sont insinués : la solitude, l’exclusion culturelle, la dissolution des images. Le primat de l’utilitaire et du rentable exerce sa domination sur les échanges humains. La perte des racines et des histoires personnelles, la répétition assignent les destinées des petits…

4On arbore volontiers les droits de l’homme, du citoyen, la solidarité, la fraternité et tant de mots inanimés, mais on a oublié de construire pour les enfants des demeures de signes et de langage qu’ils puissent habiter… Nous avons vu se défaire les mailles des enveloppes de culture où se blottissent les tout-petits quand ils pénètrent les continents du rêve et de la création. Les repères du voyage ont été emportés. Maisons, villages, tribus, famille se sont fragmentés, architecture longuement préparée à former les abris du mythe, du conte, de l’imaginaire et trop fragiles pour résister aux nouvelles barbaries de l’efficace.

5Les hirondelles ont perdu leurs nids dans les étables, et les bébés leur place dans la pensée du monde pour vivre leur impatience à jouer et à grandir. Dès lors, ils perdent la trace des sentiers intimes qui savaient si bien les conduire à la conquête du patrimoine culturel des hommes. Il nous reste pour assurer leur parcours à baliser de nouveaux chemins, à construire de nouveaux gîtes, découvrir de nouveaux accords et de nouveaux signaux.
J’ai trouvé tout cela dans ce livre : à travers des mots qui chantent et dansent, au gré de rythmes de comptines, la présence vivante des tout-petits, des impressions, des images retrouvées, les couleurs contrastées des certitudes pacifiques, des ardeurs du désir et ce bonheur nécessaire pour chacun d’avoir de plein droit sa place dans les espaces où l’homme crée le monde en se créant lui-même.