Notes
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E. Badinter, XY, de l’identité masculine, Paris, Odile Jacob, 1992, Le Livre de Poche, p. 264.
1Le divorce ou la séparation et leurs effets sur les enfants est un thème classique pour un avocat opérant en droit de la famille. Néanmoins, lorsqu’il intéresse des enfants en bas âge jusqu’à 3 ans, la question devient beaucoup plus complexe.
2En effet, par le passé, les effets d’une séparation ou d’un divorce pour un tout-petit enfant trouvaient une réponse assez classique, l’hébergement de l’enfant étant automatiquement envisagé chez la mère sauf impossibilité physique ou mentale pour celle-ci d’assumer son rôle. Cette solution était par ailleurs conforme aux décisions de justice prises dans la plupart des cas en matière de divorce ou de séparation des parents ; jusqu’en 1994, 84,8 % des enfants vivaient chez leur mère, 8,4 % chez le père et les autres chez des tiers.
3Cependant, depuis la loi du 4 mars 2002 qui a légalisé en France la possibilité d’établir judiciairement une résidence alternée, les pourcentages ont changé dans le sens d’une diminution de l’attribution de la résidence principale de la mère portée à 75 % des cas, et l’introduction de la résidence alternée à hauteur de 8,8 %.
4En tout état de cause, le principe demeure encore aujourd’hui le même : l’hébergement principal est toujours envisagé préalablement chez la mère et les autres cas de figure restent l’exception. Mais les temps changent et depuis les premières luttes d’associations de pères, demandant un rééquilibrage des décisions de justice sur l’hébergement des enfants chez les pères, s’est certainement ouvert, sur un plan judiciaire, un débat beaucoup plus fort sur la non-systématisation de l’attribution de l’hébergement principal chez la mère.
5Quoi qu’il en soit, et bien qu’on envisage une égalité numérique des partages des résidences principales chez les pères ou les mères, demeure le problème de la rupture du lien avec l’un ou l’autre des parents. Aujourd’hui, le débat est encore plus complexe, dans la mesure où, si par le passé il était admis que pour un nourrisson ou un tout petit enfant le père présentât une sorte d’incompétence paternelle pour l’élever, cette thèse commence à être battue en brèche.
6Comme l’a affirmé Elisabeth Badinter :
« Le nouveau père/mère apporte un démenti éclatant à la thèse de l’attachement exclusif du nourrisson pour sa mère et à sa conséquence : un bébé ne peut s’attacher qu’à une seule personne à la fois. Les travaux précurseurs de M. Lamb ou M. Yogman montrent qu’il n’en est rien. C’est le parent qui investit le plus son bébé qui devient le principal objet d’attachement – sans distinction de sexe – et ce rapport préférentiel n’en exclut pas d’autres. De plus les préférences changent avec l’âge. Si une majorité d’enfants semble plus proche de la mère la première année, tous changeront plusieurs fois de parent favori au cours des deux années suivantes. Cela dépend des étapes psychologiques, du sexe de l’enfant et des circonstances extérieures. Mais, quelle que soit l’évolution des sentiments, l’enfant intériorise ses deux parents disponibles et n’est plus enfermé dans une relation à deux qui risque de l’étouffer [1]. »
8On peut citer de nombreux chercheurs, psychiatres, pédiatres qui admettent désormais que les parents sont placés sur un pied d’égalité dans la relation avec l’enfant. Certes, chez le nourrisson une problématique supplémentaire va peser sur le choix dans les cas où il est allaité.
9Au vu de ces considérations liminaires, examinons d’abord le régime légal de la résidence des enfants en bas âge et la pratique judiciaire.
Le régime légal et la pratique judiciaire de la résidence des enfants de moins de 3 ans
10Selon le Code civil, dans son article 373-2-9, « la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un des parents ». Depuis la loi du 4 mars 2002, les termes de « résidence habituelle » ont été supprimés pour favoriser l’approche de la résidence alternée.
11Il faut rappeler aussi que selon la loi, la résidence habituelle de l’enfant peut être également fixée chez un tiers, personne physique ou morale. Soulignons cependant que la loi, en ce qui concerne l’hébergement des enfants, ne fait aucune distinction d’âge, dès lors qu’ils sont mineurs, peu importe qu’ils aient 2, 10 ou 15 ans. Pour la loi, le seul critère qui s’impose est la minorité.
12En revanche, l’approche judiciaire ne tient pas compte de cette égalité absolue des enfants devant la loi, et les juges ont bel et bien une approche différente selon l’âge des enfants. Selon la pratique judiciaire, il apparaît clairement que l’âge de 3 ans est un seuil essentiel, notamment pour décider la mise en place d’une résidence alternée. La majorité des tribunaux semble considérer que la résidence alternée n’est pas adaptée à un enfant de moins de 3 ans, bien que certains l’aient néanmoins ordonnée dans une telle hypothèse.
13Certes, si cette décision demeure exceptionnelle, la cause réside également dans l’approche extrêmement conflictuelle qui caractérise le divorce en France, et notamment la question de l’hébergement principal de l’enfant ou des enfants.
14La situation est d’autant plus exacerbée que, si dans le passé, il était escompté que l’enfant de moins de 3 ans soit habituellement hébergé chez la mère et que le père bénéficie d’un droit de visite bien souvent sur place et sans hébergement, aujourd’hui les choses évoluent. En effet, les tribunaux doivent faire face à des luttes acharnées qui opposent des hommes et des femmes pour obtenir la résidence habituelle de l’enfant. De plus en plus d’expertises sociales et de médiations sont donc ordonnées avant toute décision de fixation de la résidence de l’enfant chez l’un ou l’autre des parents, ce qui alourdit d’autant plus le procès.
15Toutefois, la pratique judiciaire française laisse apparaître encore un grand classicisme pour la fixation de la résidence des enfants de moins de 3 ans. Selon les statistiques, en dehors des cas où les parents ont organisé d’un commun accord le régime pratique de la résidence de l’enfant, dès lors qu’il y a conflit, la résidence des enfants de moins de 3 ans est fixée en principe chez la mère. Si l’enfant est nourrisson, sauf impossibilité physique ou mentale de la mère, il est systématiquement attribué en résidence principale et permanente chez la mère. Dans ce dernier cas, le père bénéficie d’un droit de visite bien souvent sans hébergement, et d’un droit de visite avec hébergement lorsque l’enfant débute son autonomie vers la première année.
16Dans ces cas de figure où l’enfant est âgé de moins de 3 ans, les pères doivent montrer au juge leur capacité à gérer les situations.
17Ainsi si la loi n’établit aucune distinction entre les enfants et les parents dans la pratique, force est de constater que tout est régi dans l’inégalité et selon un fort décalage avec l’évolution de notre société sur la parentalité. Les pères sont encore les mal-aimés de la justice, les handicapés de l’éducation enfantine, de simples rédacteurs de chèque !
18Cette situation est choquante, mais habituelle. La France, le pays des droits de l’homme, du principe constitutionnel d’égalité entre les hommes et les femmes, demeure encore très archaïque sur cette question. Le postulat de départ est faussé par la procédure de divorce où la femme est souvent vue comme une victime, et c’est elle qui est naturellement perçue comme étant apte à élever et éduquer les enfants.
19Cependant, les hommes ont aussi leur part de responsabilité dans cette image erronée, car trop souvent ils prennent conscience de leur parentalité au moment du divorce. Cette vision altérée demeure ainsi ancrée dans l’esprit des juges, qui sont par ailleurs la plupart du temps des femmes, et donc de ce fait naturellement tournées vers la protection de leur propre sexe !
20Abordons maintenant notre approche pratique lorsqu’il s’agit de divorce en présence d’enfants de moins de 3 ans.
La dédramatisation du divorce dans l’intérêt de l’enfant, sujet de droit à protéger
21La plupart du temps le divorce est un événement dramatique. Notre culture séculaire fondée sur la perpétuité du mariage et le maintien du lien conjugal institue encore le divorce comme une maladie sociale. L’inspiration judéo-chrétienne est encore subjacente et le message perpétuellement délivré par l’Église, même si la France est un pays à confessions multiples, opère toujours vers une culpabilisation de la rupture. Faute, imputation, culpabilité, judiciarisation exacerbée ne font que maintenir cette approche morale et dangereuse du divorce.
22Certes, les mœurs évoluent à grande vitesse, plus de la moitié des enfants naissent en dehors du mariage et ce simple fait, qui désacralise la naissance de l’enfant en dehors de l’institution, affaiblit par surcroît l’esprit des parties lors de la rupture de la relation. Dans notre pratique, la recherche de solutions négociées, transactionnelles ou conventionnelles est beaucoup plus facile lorsque les parties sont placées en dehors du cadre légal du mariage.
23L’introduction du Pacte civil de solidarité dans notre système légal n’a pas modifié cette approche plus libérale et plus libre qui réduit l’agressivité des parents au moment de la rupture de la relation et de l’ouverture des pourparlers, afin de trouver une issue intéressant directement les enfants. Pour les couples non mariés, en réalité, la question de la résidence des enfants et de la contribution à leur entretien sont les seules et vraies interrogations qui se posent lors de la rupture.
24La concubine et le concubin ne sont pas légalement et réciproquement en dette sur un plan financier, sauf en regard de la mise en œuvre d’une action en responsabilité classique qui a peu de chances d’aboutir. Eux ne s’empoisonnent pas la vie avec la prestation compensatoire !
25A contrario, en cas de mariage, le divorce peut entraîner la condamnation pécuniaire à la contribution à l’entretien des enfants, mais aussi à la fameuse « prestation compensatoire » qui est la clé du contentieux entre les époux et la cause efficiente des disputes exacerbées entre les parties, pour le plus grand bonheur des avocats ! Et les enfants oubliés souffrent et pâtissent de la bêtise des adultes !
26Personnellement, en tant qu’homme, père et avocat, je ne supporte pas la dramatisation du divorce, considérant par ailleurs que le mariage est désormais une institution obsolète. Pour la plupart des avocats, le divorce est un fonds de commerce magnifique, la bêtise humaine étant source de gains. Pour ma part, je privilégie toujours la dédramatisation du divorce et la recherche d’une solution négociée, mais cette vision est loin d’être partagée dans notre système judiciaire. Les dossiers « divorce » et « droit de la famille » représentent pour le monde des avocats une des principales sources de revenus, et le contentieux est la vache à lait qui a fait étudier des générations d’enfants d’avocats.
27Maintes fois, j’ai eu en charge des dossiers dans lesquels figuraient des propositions de solution négociée que l’avocat auquel j’avais succédé n’avait jamais transmises au client ! Parfois, ce sont les clients qui ne souhaitent pas rechercher une solution en espérant trouver un avocat qui fera « payer » à l’autre la souffrance de la séparation.
28Ainsi, de l’avocat commerçant à l’avocat justicier en passant par la vengeance du client, rechercher des solutions négociées est, de manière générale, une sacrée aspiration. La situation devient d’autant plus difficile lorsque se trouve en jeu un enfant de moins de 3 ans.
29Mon expérience me permet de résumer la situation ainsi :
- lorsque je suis l’avocat d’une femme, celle-ci part du postulat qu’elle a un droit naturel à avoir la résidence principale de l’enfant et que le père a très peu d’importance ; elle suffit pour répondre aux besoins de l’enfant. Ce qui compte, c’est que le père paye en temps et en heure sa contribution ;
- lorsque je suis l’avocat d’un père d’un enfant de moins de 3 ans, la plupart du temps, je rencontre des pères qui ne se posent même pas la question d’une résidence de l’enfant chez eux.
30Ce changement a débuté avec la légalisation de la résidence alternée qui a fait l’objet d’un large écho tant dans la presse que dans les médias, et surtout par le biais d’Internet. Il suffit de voir certains blogs pour constater le nombre de pères posant des questions sur leurs droits, notamment lorsqu’ils sont confrontés à un divorce en présence d’un petit enfant.
31Dans mes derniers dossiers, les pères me sont apparus comme animés d’une nouvelle conscience de leur paternité, mais surtout d’une forte volonté à vouloir affirmer leur parentalité, attitude rare naguère. Dans ces circonstances, il m’a semblé encore plus difficile de rechercher une solution négociée que lorsque les rôles étaient acquis et figés comme dans le passé. Mais le bonheur de voir une si belle conscience paternelle a été tel que la passion et la volonté de se battre pour une égalité relationnelle ont amplement dépassé la complexité douloureuse du dossier.
32La difficulté était encore plus grande lorsque j’étais confronté à un nourrisson encore allaité par la mère. Mais, même dans ce cas, j’ai considéré qu’il fallait tout faire pour maintenir l’équilibre entre les rôles de chacun dans l’intérêt de l’enfant. Ainsi, compte tenu de cette nouvelle réalité paternelle, j’ai proposé la résidence alternée à chaque fois que les conditions de vie des parents l’ont permis. Lorsque j’ai pu l’appliquer, cette démarche a été un succès.
33La résidence alternée à tout âge permet le maintien de l’équilibre relationnel entre les parents et les enfants, elle évite la rupture du lien parental avec l’un ou l’autre des parents, tout en sachant que la plupart du temps, c’est du côté des pères. L’enfant a besoin de ses parents quel que soit son âge, et il n’existe pas de principe scientifique, biologique, sociologique et juridique de nature à établir la primauté de la mère dans le système éducatif ou affectif de l’enfant.
34Je tiens à préciser que j’ai réussi à organiser la résidence alternée seulement dans les divorces par consentement mutuel ou les divorces contentieux qui se sont achevés par un accord ! Dans les autres cas de figure, les solutions adoptées ont été celles, classiques, de l’hébergement chez la mère et un droit de visite et d’hébergement le week-end pour les pères dans les formes usuelles.
35Est encore loin le temps qui verra une approche équilibrée de la relation parents-enfants dans le droit du divorce.
36La dramatisation constante du divorce de la part des professionnels, la part trop importante de l’argent dans les effets du divorce, ne permettent pas d’affronter de manière sereine et apaisée le sort des enfants.
37Les enfants sont encore aujourd’hui des objets du droit, et ceux de moins de 3 ans le sont encore davantage, alors que comme nous le savons tous, c’est de la naissance à 3 ans que les fondamentaux de la vie d’un être humain se forgent.
38J’espère que cette modeste contribution pourra faire changer, même simplement d’une virgule, le cours des choses.
Notes
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[1]
E. Badinter, XY, de l’identité masculine, Paris, Odile Jacob, 1992, Le Livre de Poche, p. 264.