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Article de revue

Interventions artistiques en milieu hospitalier : questions éthiques

Pages 197 à 200

Notes

1Depuis de nombreuses années, les hôpitaux accueillent un nombre grandissant d’intervenants dans le cadre d’activités culturelles et artistiques. Des artistes musiciens, chanteurs, danseurs, plasticiens, comédiens, etc., interviennent, selon des modalités variées, dans des contextes chaque fois spécifiques au sein des structures de santé. Les réflexions qui suivent sont extraites de l’article « Pratiques artistiques et pratiques soignantes : proposition de réflexions sur quelques enjeux éthiques et déontologiques ». Ce texte est le produit d’une réflexion interdisciplinaire organisée à l’initiative de l’Espace éthique/ap-hp et des associations Musique et santé et Tournesol artistes à l’hôpital [1].

« Peut-il y avoir un art à l’hôpital ? Peut-il y avoir un lieu dans la ville plus privilégié pour l’art et la culture que l’hôpital ? Un art qui soit autre chose que celui d’une décoration, d’une mise en scène médiocre de la médecine, d’une recherche de l’atténuation de l’angoisse, d’un éclairage de couloirs ripolinés ? Est-ce utopique d’envisager que l’art de couvercles de boîtes de chocolat, de calendrier des postes, de posters, destinés à “égayer” quelques lieux techniques soit remis en question au nom même de valeurs d’humanité ? Est-ce utopique de croire que l’art à l’hôpital devrait être justement celui qui a la plus lourde responsabilité, celle de respecter l’homme dans sa détresse. »
Didier Sicard, La médecine au risque de la culture : un état d’esprit
Premières rencontres européennes de la culture à l’hôpital, Strasbourg, février 2001.

Intention et signification des interventions artistiques

2Les questions de l’intention et de la signification des interventions artistiques à l’hôpital constituent un enjeu central. En effet, elles conditionnent pour beaucoup la nature des relations qui peuvent s’instaurer entre les équipes hospitalières, les personnes malades, leur entourage et les intervenants artistiques. Les relations entre « pratiques artistiques » et « pratiques soignantes » dans le milieu des institutions de santé sont souvent complexes, parfois ambivalentes et objet d’ajustements et d’adaptations selon les circonstances. Une première approche consiste à admettre la pratique artistique au sein même de la pratique soignante, selon l’idée d’une intégration complète conduisant à considérer l’art comme un moyen du soin. C’est, au sens littéral du terme, l’idée de « l’art-thérapie » entendue dans sa dimension technique pure. L’art serait alors totalement au service de la thérapie ; il en constituerait l’un des instruments. À l’extrême, on envisagerait alors un asservissement de la pratique artistique à l’enjeu soignant, aux prescriptions ou ordonnances d’un ordre soignant. L’art comme la médecine ou précisément l’art comme médecine serait supervisé en dernier recours par l’ordre médical – l’intervenant « artistique », technicien, n’aurait alors qu’une marge de liberté réduite, voire nulle.

3L’approche opposée consiste à envisager l’art dans ses dimensions subversives, de résolue liberté, affranchie ou pouvant affranchir, provocatrice, irrationnelle, permettant un accès à l’imaginaire ou à des narrations qui échappent à la maîtrise scientifique. Dans ce cas, il ne saurait être question d’asservissement de l’art à la médecine.

Un partage d’information mesuré et respectueux de la personne et de ses proches

4Quelles informations sur les personnes malades les professionnels de santé et les intervenants artistiques doivent-ils et peuvent-ils partager ? La question se pose dans le sens d’une transmission d’information des soignants à l’intention des intervenants artistiques et réciproquement. Les soignants sont tenus au secret professionnel et les intervenants artistiques, sauf circonstance exceptionnelle, ne sont pas à proprement parler membres de l’équipe de soin. C’est dire que l’exigence du secret professionnel, du point de vue légal et des déontologies, s’applique pleinement. Autrement dit, les professionnels de santé ne doivent communiquer aucune information dont ils sont dépositaires concernant les personnes qu’ils soignent ou leurs proches. Pour autant, il est indispensable que les intervenants artistiques soient conscients de ce qui relève de la sécurité de ces personnes, et de savoir ce qu’il est nécessaire de connaître pour ne pas nuire lors de leur intervention. Il convient à cet égard de séparer ce qui relève du conseil technique de ce qui appartient au domaine de l’information médicale. Par exemple, avertir les intervenants artistiques du risque de survenue d’une convulsion n’est pas identique à informer ces derniers que la personne concernée est porteuse d’une tumeur cérébrale.

5D’une part les soignants doivent être attentifs à ne transmettre que l’information utile minimale aux intervenants artistiques, d’autre part, ces derniers n’ont pas à solliciter de transmission de données médicales, personnelles ou confidentielles concernant les personnes qu’ils approchent.

6Concernant les données transmises aux intervenants artistiques par l’équipe de soin, le groupe de travail estime que certaines informations peuvent être partagées au-delà du strict minimum sécuritaire, à titre dérogatoire, et en respectant trois critères :

  • le consentement de la personne (ou de ses tuteurs ou représentants) à ce que ces informations la concernant soient transmises aux intervenants de la part des soignants. Ce consentement est recueilli par un membre de l’équipe de soin ;
  • le but de ce partage d’information est celui de l’utilité présumée, s’agissant de la pertinence, de l’adaptation et de la signification de l’intervention artistique. L’évaluation de cette utilité incombe principalement à l’équipe soignante ;
  • le strict respect du secret de la part de l’intervenant artistique.
Réciproquement, les intervenants artistiques n’ont pas à tenir la responsabilité de médiateurs entre les personnes malades, leurs proches, et les membres de l’équipe hospitalière. S’ils sont sollicités dans ce sens, ils doivent encourager les personnes concernées à s’adresser directement aux professionnels de santé.

7Dans tous les cas, aucune transmission d’information personnelle, que ce soit dans le sens des intervenants artistiques vers les professionnels du soin ou l’inverse, ne doit se faire à l’insu de la personne, et requiert donc son consentement. Cela s’applique également dans le cas où des intervenants artistiques sont invités à participer à des réunions avec des professionnels de santé et l’équipe artistique.

8Les intervenants artistiques doivent avoir un interlocuteur privilégié dans l’équipe professionnelle à qui s’adresser en cas de doute s’agissant de la pertinence de transmettre ou non certaines informations dont ils sont dépositaires.

Le respect absolu du secret et de la confidentialité des informations

9Aussi bien dans l’hôpital qu’à l’extérieur, le principe du respect de la confidentialité de toutes les informations personnelles dont les intervenants sont dépositaires s’impose à chacun, y compris entre les membres d’une même équipe d’intervenants. Cela signifie le respect total de l’anonymat dans l’ensemble des échanges ayant lieu entre les intervenants. Les artistes sont à ce titre tenus au secret professionnel au même titre que les professionnels de santé. Toutefois, des intervenants connaissant les mêmes personnes à l’hôpital peuvent être amenés à partager certaines informations sur ces dernières, uniquement si cela s’avère indispensable dans le cadre de la communauté de leur intervention. Dans ce cas, les informations partagées restent confidentielles et leur contenu doit être limité à ce qui est strictement nécessaire. En effet, l’établissement d’une relation de confiance entre les intervenants et les personnes hospitalisées et leurs proches nécessite de respecter entièrement leur intimité. Si de tels échanges ont lieu entre deux intervenants, cela doit être fait de façon strictement privée. La pertinence des informations échangées doit faire l’objet d’une attention constante, par chacun et par tous dans l’équipe.

La question du consentement

10La question du consentement doit être un souci partagé entre l’équipe soignante et les intervenants. Il concerne tous les partenaires, en premier lieu les personnes malades et leurs proches. Le consentement est toujours individuel, qu’il s’agisse d’activités impliquant un nombre réduit de personnes ou de prestations visant un public plus large (comme dans les salles dédiées aux activités dans les structures de santé). Il doit toujours être possible, pour les personnes hospitalisées ou leurs proches, de refuser de participer aux activités artistiques. Le souci du consentement doit être continu, faire l’objet d’une attention accrue pour les personnes dans l’incapacité de consentir ou de refuser explicitement. Elle doit faire l’objet de discussions et de bilans. Le consentement et l’adhésion du personnel soignant sont également un enjeu dans la mesure où les interventions d’artistes en milieu hospitalier ne sont pas neutres. Les soignants doivent être mis en mesure de réfléchir de façon continue à la notion de consentement au regard des interventions artistiques.

11L’intervenant artistique doit se refuser à agir s’il pense que les personnes peuvent faire l’objet d’une contrainte ou ne pas être en mesure de refuser.

Une réflexion sur le contenu artistique et ses limites

12Les actes créatifs ne doivent pas reposer sur une instrumentalisation des personnes, de leur histoire, des vulnérabilités individuelles, ou du contexte institutionnel. À cet égard, les intervenants seront attentifs au respect des personnes dans leur intégrité et leur dignité.

13Le groupe de travail estime que le contenu artistique doit faire l’objet d’une attention permanente, et tenant compte de la vulnérabilité des personnes auprès de qui les artistes interviennent.

14La réflexion sur le contenu artistique (et les modalités d’intervention) est donc étroitement liée à la caractérisation des vulnérabilités et fragilités spécifiques au contexte de l’intervention.

15Le groupe estime qu’il convient de se refuser aux contenus propres à :

  • remettre en question les valeurs fondamentales républicaines, démocratiques, et des droits de l’homme ;
  • juger et évaluer les pratiques professionnelles hospitalières ;
  • contredire les choix et croyances de la/des personne/s ;
  • produire des messages dont l’intention est évidemment prosélyte, discriminatoire ou raciste ;
  • atteindre les personnes dans les vulnérabilités dont les artistes ont connaissance, en tenant compte du contexte hospitalier particulier dans lequel elles se trouvent (pédiatrie, chirurgie, gériatrie…) ;
  • contrarier le projet thérapeutique.

L’accès aux pratiques culturelles

16L’accès à la culture à l’hôpital doit être considéré comme un droit pour chacun. La participation ou l’accès à des pratiques culturelles ne doit faire l’objet d’aucune discrimination, qu’elles soient par exemple liées à l’état de santé, de handicap, ou de pronostic, notamment pour les personnes en fin de vie, ou dans le contexte des soins palliatifs. Par ailleurs, des facteurs tels que l’âge, le sexe, les convictions, ou l’origine, ne doivent conduire à aucune différence dans l’accès aux propositions artistiques (indépendamment de la nécessaire réflexion sur le choix des œuvres et de leur pertinence au regard des personnes rencontrées).

17Ce texte est le fruit d’une réflexion en évolution : vos remarques et critiques sont les bienvenues.


Date de mise en ligne : 06/01/2009

https://doi.org/10.3917/spi.047.0197

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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