1Marie, Najat, Icham, Barbara, Mathieu, Florence, répondent : « Voici ce que nous avons entendu et vécu. »
2Florence, jeune mère de famille de trois enfants, reçoit cinq de ses amis pour entendre ce qu’ils ont à dire a posteriori de l’attente, de l’arrivée de leurs bébés. Marie, venue seule car le père de ses enfants, Julie, 3 ans, et Thomas, 5 mois, les garde. Najat et Icham, parents de trois enfants de 6 ans, 5 ans et 1 mois, ne connaissent pas Marie et son histoire particulière. De même Barbara et Mathieu, parents de Juliette, 2 ans et demi, et de Fanny, 2 mois.
3Ils ont reçu par écrit quelques questions sur le thème : « Qu’est-ce que se préparer à la mise au monde de son (ou ses) bébé(s) ? »
4La conversation a été enregistrée et étudiée par une personne n’ayant pas participé à l’échange dans le groupe. Elle s’est laissé porter, comme par des vagues, par les thèmes successifs évoqués par ces jeunes parents. Tout ou presque a été dit en deux heures. Comment ne pas déformer l’expression de leurs pensées, comment rendre le caractère sérieux, authentique de ces paroles ? Après plusieurs lectures de la retranscription, la rédactrice hésite sur la présentation : une classification par thème – type de préparation, conditions de l’accouchement, accueil du bébé par chacun des parents, relations avec le personnel médical, comparaison avec des pays étrangers, lois concernant la santé en France actuellement… ? Mais non, ce caractère trop « professionnel » ne correspondrait pas au réel échange qui s’est joué pendant cette rencontre. Alors que s’est-il dit ?
Paroles de parents
5C’est un des pères qui a commencé par le congé paternité : cette disposition légale reste encore difficile à obtenir dans certaines entreprises. Pourtant ce congé est maintenant bien compris de la population masculine et les deux pères présents l’apprécient beaucoup : l’un préfère le prendre un peu plus tard, laissant la mère vivre le temps de fusion avec le bébé, sachant que le père est présent dans la parole de la mère. L’autre préfère le prendre dès la naissance du bébé : il a pu mesurer combien les soins au bébé pouvaient être par moments déroutants, il dit : « On comprend qu’on peut perdre les pédales », et mesure la difficulté des mères lorsqu’elles sont seules avec leur bébé.
6Pour la jeune femme qui a eu deux césariennes, ce temps de congé pour le père a été indispensable, physiquement parce qu’elle était incapable de porter sa petite qui le demandait, et moralement, car elle avait été trop exclusive avec sa première et avait compris qu’elle devait laisser sa place au père. Mais elle estime qu’ils n’ont pas été informés de ces dispositions légales pendant la préparation et que c’est grâce aux informations données par une employée de la Sécurité sociale qu’ils ont pu exiger de l’employeur qu’il accorde ce congé.
7Puis ce sont les femmes qui expriment leur souhait que le futur père assiste à l’accouchement : « Qu’il soit à côté de moi », et donc leur regret qu’il ait été absent, soit parce qu’il était encore loin de la maternité, soit qu’on l’ait fait sortir pendant la pose de la péridurale : « C’était très long, il n’était plus là, c’était la catastrophe. » En plus de la présence rassurante, physique, il peut parler avec sa femme, apportant « une bouffée d’oxygène » mentalement, en parlant d’autre chose. Ils ont pu ou non participer aux séances de préparation, en fonction de leurs horaires ou de leur souhait, mais dans le cas où ils y ont assisté, ils donnent avec humour des exemples de contradiction entre ce qui avait été annoncé dans l’aide possible à leur femme pour les exercices de respiration et l’impossibilité de le réaliser du fait de la position du lit d’accouchement.
8Quand Florence demande si la lecture a été un bon moyen de préparation, les réponses sont variées : l’un a lu beaucoup, l’autre pas du tout. L’une a lu mais a surtout enquêté, oralement ou par internet. Celui qui a lu beaucoup raconte qu’en voulant suivre des conseils pour la période qui précède de près la naissance il a failli emmener trop tard sa femme à la maternité !
« Je souffre trop, je n’en veux pas »
9Et les discussions familiales, qu’ont-elles apporté ? Dans deux cas, on ne parlait pas des conditions de naissance, ou seulement des préoccupations matérielles, d’achat ou d’aménagement. Une mère qui avait beaucoup souffert racontait qu’au moment de la naissance elle disait : « Reprenez-le, je souffre trop, je n’en veux pas », et le bébé en question était une des jeunes femmes présentes aujourd’hui. Dans les générations précédentes, la présence du père ne s’évoquait pas, la douleur de l’accouchement était une évidence, l’accouchement une affaire de femmes.
10Et la place d’un enfant dans le projet de vie ? Un des pères explique sa conception optimiste : il s’est préparé depuis longtemps à envisager un temps de sa vie où il accueillerait son ou ses enfants, conscient qu’il aurait des décisions à prendre alors, mais n’anticipant pas sur d’éventuels problèmes, estimant qu’ils seraient capables de faire face. C’est ainsi qu’au retour de la maternité il a commencé à donner le bain à leur bébé, se fiant aux réactions de celle-ci plutôt qu’à une température réglementaire du bain ! Les deux pères parlent de la transmission de leurs valeurs à leurs enfants et de l’importance des deux parents dans l’accompagnement de ceux-ci.
Des soignants parfois déroutants
11Les contradictions dans les conseils reçus – par exemple entre le service de néonatologie et le service maternité – concernant les soins au bébé comme les différences entre les annonces de la préparation et les conditions d’accouchement sont soulignées négativement.
12Une des jeunes femmes se souvient que sa grossesse s’est déroulée alors qu’elle était confrontée à des soucis familiaux préoccupants et que la préparation en a été mise au second plan, le prénom même du bébé ayant été choisi tardivement.
13Pour les séances de préparation à l’hôpital, à 13 heures, le futur papa ne pouvait pas être présent, le déroulement de la séance était très « scolaire » et le temps trop limité ne permettait pas de poser ses propres questions lorsqu’une femme prenait beaucoup de temps pour parler d’elle.
14Une autre conclut : « Celui (l’accouchement) où je me suis le plus préparée, c’est celui qui s’est le moins bien passé ; celui pour lequel je me suis le moins préparée, c’est celui qui s’est le mieux passé. »
15Mais toutes sont d’accord pour dire que ces moments de préparation sont un temps qu’elles consacrent à elle et leur bébé, où elles pensent plus à lui (ou elle), qu’elles attendent leur premier bébé ou qu’elles aient déjà des enfants à la maison.
16Par ailleurs, elles préfèrent ces discussions avec des personnes qu’elles ne connaissent pas, qui ne connaissent pas leur vie, aux discussions avec leurs amis ou avec leur famille, qui les connaissent bien et à qui elles ne peuvent pas dire leurs angoisses et leurs craintes.
17Une préparation en piscine est largement vantée, comme ayant apporté des moments de plaisir corporel et de papotage avec les autres femmes enceintes, mais surtout comme s’étant révélée très utile lors du travail pour la respiration et la confrontation avec la douleur : « Ça m’a vraiment aidée à supporter les douleurs pendant les contractions. »
« Tu as envie de tuer ton petit frère ? »
18Et quand il y a déjà des enfants dans la famille, quelle préparation des « grands » ? Ce fut une préoccupation pour tous. Un peu pour essayer de limiter les souffrances liées à la jalousie, en parlant, en lisant des livres pour enfants, en envisageant de plaisanter : « Tu as envie de tuer ton petit frère, vas-y, je te donne un couteau en caoutchouc. » Mais surtout en essayant de comprendre ce que peut ressentir cet enfant devant celui qui vient prendre sa place. Mais il est difficile d’anticiper, les réactions des enfants n’ayant pas été celles que prévoyaient les parents.
19Deux des couples illustrent la capacité de l’être humain à prendre des risques : décider d’accoucher par voie basse après une césarienne et décider d’avoir un deuxième enfant avec un risque de maladie métabolique élevé. Dans le premier cas, la césarienne avait été décidée en fin de grossesse en raison de la position du fœtus et il semblait que ce ne soit pas obligatoire pour une deuxième grossesse, mais c’était une décision difficile à prendre, et cette jeune femme a cherché des témoignages, même « de copines de copines » et par des forums sur internet. Globalement cela l’a rassurée, et son projet a pu être mené à bien avec le médecin accoucheur. Ils sont contents.
20Pour l’autre couple, la première enfant est née avec un trouble qui exige un régime alimentaire très sévère et un suivi par une généticienne et une diététicienne très régulier. Se lancer dans une deuxième grossesse entraînait le souhait ambivalent que le bébé ne soit pas atteint mais en même temps qu’il le soit pour que l’aînée ne soit pas la seule différente des autres enfants. Ils ont dû se préparer à la fois à une deuxième césarienne et à l’accueil d’un garçon qui aurait besoin de soins particuliers, délicats et permanents. En cela elle se dit très aidée par les professionnels de santé. Il est remarquable que dans cette situation soit souligné que ce qui doit être préservé est l’intelligence des enfants : « Elle est superintelligente, elle n’est pas malade… », en effet, en général, il n’est pas imaginable que le bébé attendu ne soit pas intelligent, ce n’est pas une préoccupation habituelle, mais là c’est au centre des devoirs que se sont fixés ces parents-là.
« J’ai vécu la grossesse et la mort en même temps »
21Comment aborder la notion de mort pendant une grossesse ? Une des jeunes femmes a commencé sa grossesse alors que son père était enterré : « J’ai vécu la grossesse et la mort en même temps », et explique ainsi la raison de sa dépression après la naissance de son enfant. Elle n’a pas dit si ce sujet avait été abordé lors d’une séance de préparation collective.
22Un autre sujet douloureux est la séparation de la mère et du bébé après une césarienne lorsqu’il y a besoin que le bébé aille en néonatologie. C’est de la pure souffrance et rétrospectivement cette jeune femme en veut à ceux qui n’ont pas reconnu sa douleur psychique.
23En dehors des séances hospitalières, les femmes se renseignent auprès de leurs amies et apprennent, par exemple, que dans un hôpital parisien il y a un temps de deux heures systématiques en couveuse après la naissance, ne permettant pas le peau à peau, la mise au sein précoce, les câlins… que dans un autre hôpital de l’Oise, les épisiotomies sont systématiquement pratiquées, alors les séances doivent permettre de poser ces questions aux sages-femmes.
24Un temps important de la discussion porte sur les positions imposées aux femmes pour accoucher. Entre un discours rassurant et les réalités il y a un fossé et toutes les trois le soulignent.
Faire disparaître le spectre de l’immense douleur de l’accouchement
25Un autre point important de la rencontre porte sur la péridurale. Présentée par la mère de l’une des jeunes femmes comme une révolution dans la vie des femmes pour faire disparaître le spectre de l’immense douleur de l’accouchement, elle est critiquée ici comme étant imposée, et en fait ne supprimant pas la douleur des contractions dans tous les cas et occasionnant de forts désagréments : « Ça m’a anesthésié tout le corps, je ne pouvais pas pousser, rien attraper, je voyais, je parlais, j’entendais mais je n’avais plus de sensations, du coup il y a eu les forceps, on a dû aller le chercher, c’est vrai que je ne voulais plus entendre parler de péridurale. »
26En Pologne, la péridurale n’est pratiquée que dans des cas de douleurs vraiment insupportables ou dans des cas particuliers, selon la belle-sœur d’une des jeunes femmes, et il apparaît évident que les conditions de naissance dépendent de la société, tout comme de l’hôpital concerné.
27Les jeunes futurs parents, lors de l’accouchement, ont été très sensibles à l’ambiance émotive qu’ils percevaient chez le personnel soignant : panique, « la sage-femme flippait », ou au contraire calme, échanges par le regard entre professionnels, qualifiés de « zen ». Les attitudes, les gestes, les paroles, les regards, sont reçus par les femmes et par leurs compagnons avec une intensité variable et imprévisible.
28Une des femmes dit son souhait de rester sûre d’elle et son désarroi d’avoir basculé dès son entrée dans le milieu hospitalier dans un état de fragilité qu’elle ne contrôlait plus. « C’est peut-être le moment où on est le moins sûr de soi dans la vie. »
Les véritables spécialistes de la naissance
29Les sages-femmes ont été présentées comme les véritables spécialistes de la naissance. Même s’ils ont regretté que leurs formations et donc leur façon de laisser se dérouler l’accouchement puissent être différentes, ou que la sage-femme présente le jour de l’accouchement soit différente de celles qu’ils connaissaient déjà, les parents en ont parlé avec sympathie. Leur souhait cependant serait que la sage-femme qui les guide lors de l’accouchement soit celle qui les connaît déjà, qu’elle soit quasi en permanence auprès d’eux, pouvant leur expliquer au fur et à mesure ce qui se passe et prendre des décisions en fonction de ce qu’elle connaît d’eux. Ils sont conscients des nécessités d’organisation du service et parfois du manque de personnel, mais expriment là leur souhait profond, leur besoin d’être en confiance : « Elle est là, elle peut agir au bon moment. »
30Il est même question d’une sage-femme libérale qui souhaite accéder au plateau technique pour aider les femmes qu’elle suit à accoucher, et cette solution plairait à une des jeunes femmes qui envisage d’avoir un autre enfant. Cela répond en partie à la question : « Selon vous, quelle serait la meilleure façon de présenter ses demandes, ses questionnements au personnel de la maternité ? »
31Sans détailler ce qu’elles seraient, il est évoqué l’utilité de « maisons de naissance », à côté des maternités traditionnelles. Il serait intéressant de développer ce que cette notion suscite pour chacun d’eux ; on peut penser que cela permettrait l’échange, la confiance, le dégagement du décor hospitalier tout en gardant la compétence. En attendant de mieux connaître cette disposition, une participante parle de maternités qui font avec les futurs parents des « projets de naissance » destinés à limiter le nombre de surprises ou d’incompréhensions au moment de l’accouchement.
32Qu’a-t-il manqué ? Étonnamment, pas un mot sur l’échographie. Ils ont évoqué le coût des séances en piscine mais pas la prise en charge financière des accouchements, des soins aux bébés et aux enfants, particulièrement lourds en cas de handicap ou de troubles métaboliques, la prise en charge des congés paternité.
33Pour conclure, et cela n’engage que la rédactrice, le mot « différence » a été prononcé plusieurs fois, différences des expériences rapportées par celles qui ont déjà accouché, les amies, les sœurs, les mères et parfois les grand-mères, différence de techniques et d’accompagnement de sages-femmes, différences de conseils de professionnels sur les façons de faire avec les bébés, différences des réponses à apporter aux bébés en fonction de leur état… Les futurs parents doivent apprendre que leurs idées, leurs conceptions à eux ont de la valeur et qu’elles sont aussi respectables que celles qu’ils vont rencontrer dans ces moments émotionnellement si chargés.
34Ce qui veut dire aussi que les professionnels doivent admettre que les parents puissent poser des questions et discuter de ce qui les concerne.
35Le deuxième mot qui doit être évoqué est le mot « imprévu » : qu’il s’agisse de dates, de vitesse, de lieu, rien n’est joué d’avance. La préparation devrait permettre d’envisager des situations non traditionnelles. « C’est le bébé qui décide », dit l’un des pères, et ils en concluent qu’il faudrait expliquer aux futures mères qu’elles vont peut-être accoucher dans des conditions non prévisibles et donc qu’elles doivent se préparer à n’importe quelle condition.
36Alors, que faut-il faire quand on a écouté ces jeunes parents ? Il faut une présence ou des présences, le compagnon, la sage-femme, le médecin, dans une attitude compréhensive et rassurante. Il faut une continuité dans l’accompagnement par les professionnels de santé.