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Article de revue

Favoriser l'activité autonome, est-ce si facile ?

Pages 103 à 110

1 L’idée de l’autonomie à la mini-crèche est venue de l’équipe d’encadrement. Je n’avais pas idée que l’activité autonome pouvait être poussée jusqu’au point où nous sommes actuellement. Il a fallu au niveau de chaque membre de l’équipe franchir des étapes, toutes au même rythme. Il a fallu s’ouvrir à une autre méthode de travail, à bien vouloir bousculer nos habitudes, et oser se lancer dans ce qui était totalement nouveau, voire étranger à nos yeux. Ce qui a créé chez moi une grande inquiétude, mais j’avais envie de tenter l’expérience.

2 L’idée de laisser aux enfants plus de liberté dans leurs actions me convenait, mais il fallait que j’approfondisse ma compréhension et ma réflexion, car tout n’était pas encore clair à mes yeux.

3 Cette étape franchie pour moi, il me fallait, en tant qu’éducatrice de jeunes enfants, convaincre ensuite mes collègues auxiliaires de puériculture. Pour certaines, les arguments que j’avançais ne leur posaient pas de problème, mais je ne sais pas si elles étaient inquiètes au fond d’elles-mêmes. Le plus difficile était de travailler avec les personnes les plus réticentes. Car il était indispensable de leur laisser le temps de comprendre, d’intégrer et d’accepter de travailler autrement. Mais, au bout d’un certain temps, il fallait tout de même avancer avec celles qui étaient prêtes, alors que les récalcitrantes se laissaient convaincre au fil des évolutions.

4 À la question « favoriser l’activité autonome des enfants, est-ce si facile pour les adultes ? », je répondrais non, même en travaillant beaucoup avec l’observation. Par exemple, nous laissions dans la section des bébés les enfants jouer avec leurs jeux dans la salle, et tentions de les soutenir du regard, sans jamais intervenir dans leur jeu.

5 Nous les incitions également, même tout petits, à participer pendant les soins : par exemple à table, nous nous efforcions de ne mettre la cuillère dans la bouche d’un enfant que s’il nous invitait à le faire en ouvrant la bouche. Ou bien pendant le change, nous engagions l’enfant à participer, aussi petit qu’il soit, en lui demandant de lever sa jambe, ou de donner le bras pour s’habiller. Et puis, nous ne mettions jamais un enfant dans une position qu’il n’avait pas acquise tout seul, en sachant qu’il dépendrait de nous pour sortir de cette position.

La relation à distance

6 Il faut dire aussi que l’on travaillait beaucoup la relation à distance auprès des bébés. Nous les portions par le regard, et de nombreux échanges se faisaient par ce biais. Lorsqu’un tout-petit avait besoin d’être rassuré, il lui suffisait de regarder l’adulte pour se sentir en sécurité.

7 Soutenir les petits dans la section par le regard nous permettait, à nous adultes, de prendre de la distance, d’être moins dans l’intervention, et plus dans l’observation. Ainsi que de prendre du recul par rapport aux jeux et à l’aménagement qui pouvaient être proposés, et donc d’être moins dans l’action.

8 Et lorsque les enfants arrivaient en plus grande section, nous mettions à disposition des jeux tels que la dînette, le garage, les déguisements, etc. À côté de cela, nous leur proposions des activités que je qualifierais d’activités accompagnées : la peinture, les jeux d’eau, du collage. Je n’intervenais pas directement sur ce qu’ils faisaient, mais il y avait quand même une incitation en général. Et comme ces activités étaient proposées de manière ponctuelle, les enfants venaient volontiers, et il arrivait parfois qu’ils se disputent pour entrer dans le coin où l’activité avait lieu.

9 À son arrivée, une nouvelle directrice a suggéré pour commencer de mettre les jeux que nous avions rangé sur les étagères à disposition. Au début, nous pensions qu’il fallait mettre tous les jeux à disposition dans la salle. Et moi je pensais : « Quel chantier ça allait être ! » Et puis ça nous paraissait normal que les enfants puissent nous demander un jeu qui se trouvait sur l’étagère. Il nous a fallu du temps pour comprendre que les jeux dont avaient besoin les enfants pouvaient être mis à leur disposition, afin qu’ils n’aient pas besoin de l’adulte pour avoir le jeu avec lequel ils ont envie de jouer. J’ai compris que c’était quelque part une dépendance de l’enfant à l’adulte.

10 Il a fallu travailler ensemble un autre aménagement et également notre façon d’intervenir auprès des enfants.

Les lits bas

11 En parallèle, pendant les réunions pédagogiques, l’équipe encadrante a proposé de mettre les bébés, même les plus petits, dans des lits bas permettant aux enfants d’accéder à leur lit et d’en sortir selon leurs besoins et leurs rythmes. Mais aussi pour qu’ils puissent disposer d’un espace personnel dans ce lieu collectif. Et j’avoue avoir eu des réticences à l’idée qu’un bébé puisse se retrouver à même le sol. Il en était de même pour l’auxiliaire référente du groupe. Il y avait aussi des raisons d’hygiène, sans compter la crainte de la réaction des parents de voir leur tout-petit dans les lits bas, à ras le sol. Et pour finir, pour des raisons d’ergonomie, car il faut dire que les lits bas sollicitent beaucoup le dos des adultes, tant que les bébés ne se déplacent pas tout seuls.

12 Nous avons décidé de tenter l’expérience après maintes discussions, et tentatives de persuasion… mais sans vraiment y croire. Nous voulions voir de nos propres yeux le fait que les bébés puissent gérer leur lit !

13 J’avoue que j’ai été surprise de voir que certains enfants qui étaient capables de se déplacer tout seuls allaient d’eux-mêmes se coucher lorsqu’ils étaient fatigués ; d’autres se servaient de leur lit comme refuge dès qu’ils se sentaient en sécurité. Il y avait même un enfant qui était gêné par sa petite taille pour sortir et entrer de son lit ; son auxiliaire référente lui a alors installé une petite pente pour lui permettre de le faire tout seul.

14 J’ai compris que le lit bas proposé aussi tôt permettrait aux tout-petits de s’habituer à leur lit sans avoir à en changer par la suite. Tout ceci est le fruit d’un long travail au quotidien et d’accompagnement auprès de chacun des enfants, car ce n’est pas toujours facile, étant donné que les enfants ont la possibilité d’entrer ou de sortir de leur lit malgré leur état de fatigue. Au début, il faut les aider à reconnaître leurs besoins. Cela nécessite d’être très attentif aux signes de sommeil de chacun. Les enfants en grandissant « géraient » leur lit comme ils le souhaitaient, il leur arrivait même d’y aller en prenant un jeu ou un livre pour être tranquille.

15 Aucun parent n’a jamais contesté ce choix, bien au contraire. Ils trouvaient cette proposition intéressante et certains l’ont même adoptée chez eux. Le fait qu’un enfant puisse accéder seul à son lit fait également partie de son autonomie, au même titre que les jeux ou l’habillage.

16 Nous avons travaillé par la suite de manière plus poussée avec l’auxiliaire référente du groupe des grands et avec celle des moyens sur l’aménagement de la salle, de manière à ce que les lits se trouvent dans la salle de vie. Ce qui voulait dire que le dortoir disparaissait. Et puis ça nous a permis également de perdre l’habitude de coucher les enfants tous en même temps. Nous nous efforcions de leur proposer leur lit lorsque nous les savions fatigués. Il y avait une individualisation du lever et du coucher. Les lits, le coin repos, les espaces de jeu cohabitaient, comme dans la salle des bébés. Cela faisait une continuité.

Un aménagement pour aller vers l’autonomie

17 Ce qui a fait un déclic chez moi, c’est lorsque la psychologue, pendant une réunion, nous a demandé pourquoi chez les bébés les enfants avaient accès libre aux jeux alors que quand arrivaient chez les grands, tout s’arrêtait. Les enfants dépendaient de nous puisque c’étaient les adultes qui décidaient des activités qui étaient proposées. Ce n’est pas parce que les enfants et leurs jeux évoluaient que notre intervention devait changer également concernant la proposition des jeux ou des activités.

18 C’est avec tous ces arguments que j’ai essayé de convaincre mes collègues auxiliaires, qui ont accepté de tenter l’aventure. Nous avons commencé par travailler de nouveau l’aménagement de la salle avec plusieurs coins, sous forme d’ateliers, avec divers jeux tels que le coin construction, ou le coin repas qui se transformait en dehors du repas en coin jeu (avec des jeux d’empilement, à enfiler, la pâte à modeler), et tout cela à disposition en permanence. Mais ces coins étaient fermés lorsque les repas commençaient, l’adulte étant moins disponible, et je l’avoue pas assez rassuré de savoir les enfants dans les coins en son absence.

19 Et puis nous étions un peu exigeants vis-à-vis des enfants pour le rangement des jeux. Nous avons travaillé cela pour que ce soit plus l’adulte qui rassemble les jeux et que les coins soient moins fermés. Car il y avait tout de même encore un contrôle de notre part sur les gestions de coins.

20 L’équipe d’encadrement nous a proposé d’ouvrir les espaces en aménageant le réfectoire qui se trouvait au bout du couloir, car notre crèche est très petite et nous manquons d’espace… J’avoue que ça a été difficile pour nous de nous lancer, car il y avait en quelque sorte un éloignement de la salle principale. J’avais l’impression que tout allait nous échapper, que les enfants allaient courir dans tous les sens et qu’on ne pourrait plus maîtriser tous ces mouvements. J’imaginais le pire avant même d’expérimenter les choses, sûrement par un manque de connaissance des capacités des enfants de comprendre et de respecter des règles, notamment quand une activité les intéresse et leur convient.

Ces règles, limites et interdits

21 Des réunions régulières avec toute l’équipe nous ont permis de retravailler l’aménagement de la salle, en commençant par la séparer en deux avec des possibilités d’activité de nature différente dans chacun des espaces. Car en laissant les enfants vaquer à leurs occupations, sans la moindre attention directe, je me suis rendue compte qu’on ne pouvait pas proposer n’importe quoi à n’importe quel âge. Il faut une certaine maturité pour intégrer et respecter les règles que demandent des activités comme la peinture par exemple. Un enfant qui n’est pas prêt aura peut-être tendance à peindre en dehors de sa feuille, ou à se promener avec son pinceau dans la salle. Une première expérience nous a prouvé que l’on avait installé l’activité dessin aux feutres trop tôt, car les enfants avaient tendance à écrire sur les meubles. Alors nous avons remis le dessin à plus tard. Cette réflexion nous a conduit à réfléchir aux règles mises en place généralement dans le groupe. Il fallait des règles simples, peu nombreuses.

22 Nous avons approfondi cette réflexion qui nous a amenés à travailler également les interdits. En se disant que s’il y en a trop, c’est peut-être aussi parce que nous sommes allés trop vite dans une proposition d’activité.

23 Et je dirais que ces interdits parfois ont été émis alors que l’enfant satisfait un besoin. Pour être plus concrète, un enfant qui a besoin de grimper, car ça fait partie de son développement, aura plus tendance à le faire en montant sur une table ou un meuble s’il n’y a rien d’installé à cet effet. Si on n’a pas cette connaissance de l’enfant, on dira facilement qu’il transgresse la règle. Alors que si on observe bien, l’enfant qui grimpe récidivera dans cette action car c’est un besoin pour lui.

24 Il est important de transformer l’interdit en limite : en installant de quoi grimper, il n’est plus interdit de grimper mais cette action est limitée à certains éléments de l’espace. Il est étonnant de constater combien un jeune enfant peut accepter de telles limites, si elles lui permettent néanmoins de satisfaire ses besoins. Cela permet de réduire les interdits et de surcroît diminue considérablement les situations de conflit entre adulte et enfants.

25 Il était important pour nous de protéger les enfants prêts aux activités demandant des règles particulières, comme ceux qui ne l’étaient pas. Et tout cela nous forçait à observer et à réfléchir constamment aux propositions faites aux enfants dans la salle. Cela nous obligeait également à nous investir autrement dans les différents espaces qui étaient offerts aux enfants et à avoir un regard et une écoute élargis.

26 Il a fallu au début accompagner les enfants dans cette nouvelle proposition qui était l’activité autonome, et aider l’auxiliaire à prendre du recul, à être moins dans l’intervention pour être plus dans l’accompagnement. Les nouvelles activités qui étaient proposées attiraient la plupart des enfants, certainement parce qu’ils voulaient découvrir ce qui était nouveau, puis en fin de compte j’ai remarqué que chaque enfant suivait son propre intérêt : les uns préféraient se déguiser, les autres faire de la peinture, ou bien s’adonnaient davantage à des jeux moteurs. Nous avons aussi réfléchi à l’utilisation « libre » du jardin, les enfants pouvant choisir d’aller à l’extérieur ou de rester jouer à l’intérieur. L’ensemble de ces activités étant possibles tous les jours, les enfants pouvaient non seulement véritablement choisir leur activité, mais aussi apprendre à savoir de quoi ils avaient envie. L’enfant apprenait à se connaître, à décider et à mener une activité à son gré, dans un cadre délimité, connu, à choisir lui-même de la commencer, de l’interrompre ou de la répéter, selon ses intérêts et avec plaisir : ce sont les caractéristiques d’une activité autonome…

27 Même un enfant de nature dispersée a prouvé qu’il était capable de gérer des coins qui demandent de respecter certaines règles, comme la peinture ou les jeux d’eau. Et lorsque parfois il n’était plus capable, nous avions la responsabilité de le raccompagner vers autre chose. Je pense qu’il est important de ne pas se sentir coupable au moment où on refuse à un enfant d’aller faire une activité dont il a envie mais qu’il ne peut pas gérer. Nous devons lui répondre non seulement en fonction de son désir, mais aussi et surtout en fonction de ses besoins et de ses capacités. En ne faisant pas cela, on prend le risque de mettre l’enfant en difficulté, et nous-même de surcroît.

Conclusion

28 Avec le recul, je me rends compte que l’on peut être utile autrement qu’en faisant faire ou en proposant des choses. Être justement moins dans le faire m’a permis d’être plus en recul et m’aide à voir les enfants évoluer dans la salle, à réajuster les choses et surtout à être moins, en quelque sorte, sur le dos des enfants. On sort du contrôle pour être dans l’accompagnement et pour être avec chaque enfant. Et il faut avouer qu’on en sort tout de même gagnant, quand on voit les compétences des enfants et quand on prend le temps de les regarder utiliser par eux-mêmes tout ce que l’on a installé pour eux dans la salle, avec une maîtrise d’eux-mêmes et une conscience des règles : l’autonomie, c’est aussi cela.

29 Il y a un certain plaisir à regarder les enfants jouer, se mouvoir dans l’espace qui a été réfléchi pour eux, et à voir que chacun mène ses activités tout seul : c’est le fruit d’un véritable travail d’équipe.

30 Il est important pour en arriver là que chaque membre de l’équipe trouve sa place dans ce projet qu’est l’activité autonome. Que chacun aille dans le même sens, en apportant sa pierre à l’édifice, et que chacun soit actif dans les décisions à prendre.

31 Favoriser l’activité autonome nous oblige, nous adultes, à nous remettre en question, à nous adapter et à être créatifs, sans perdre le sens de ce que l’on fait : c’est-à-dire le respect de l’enfant dans sa globalité, puisqu’on est à son écoute et moins axé sur notre propre désir.

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