Notes
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[*]
Michel Morin, professeur en psychologie sociale de la santé, Équipe psychologie sociale de la santé, lps, Université de Provence et umr-inserm 379.
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[1]
Auto-efficacité : croyance des individus en leur capacité à mobiliser les ressources nécessaires pour maîtriser la situation (attente d’efficacité) et réussir dans certaines tâches (attente de réussite) (Bruchon-Schweitzer, 2002, p. 70).
1Comment ça va, la santé ?
2Porte-toi bien !
3Bonne année et surtout bonne santé !
4Voilà des formules banales, très anciennes et très conventionnelles qui se sont fortement alourdies ces derniers temps d’associations d’idées et de significations qui ne vont pas toutes à l’optimisme et à la jubilation festive. « La santé est un droit fondamental de l’être humain et un facteur indispensable au développement social » (oms, Déclaration de Jakarta, 1997). Mais les risques pour la santé sont partout et peuvent surgir soudain du ciel ou de la mer comme les monstres vengeurs du temps des légendes et des mythes. Le bien-être dans la bonne santé est un droit mais la santé est devenue une affaire sérieuse et très compliquée, même pour les enfants qui jouent au docteur. C’est maintenant l’affaire des experts qui se multiplient et des professionnels « de santé » qui sont de plus en plus nombreux et qui pourtant ne le sont pas assez par rapport aux « besoins » de santé qui explosent ou qui s’expriment ou qui se fabriquent. La santé c’est l’affaire de tout le monde et cela se parle abondamment sur la place publique et dans les media mais c’est aussi une interrogation ou une recherche très intime qui peut cristalliser ou rassembler le fondement d’une identité personnelle. Qu’est-ce après tout que la santé ?
La santé comme phénomène collectif relevant de l’opinion publique
5Un premier élément de réponse nous est proposé dans les études d’opinion qui sont en principe en prise directe sur le sens commun et les idées les plus largement partagées. La santé est maintenant affaire d’opinion et enjeu politique. Les sondages et les enquêtes définissent désormais ce que les experts caractérisent comme des manifestations de changements dans l’appréhension et l’évaluation des objets qui comptent au quotidien. Des outils qu’on appelle des « baromètres » mesurent des variations de jugements que l’on considère comme des indicateurs du lien que les groupes sociaux ont avec ces objets. La santé occupant maintenant une place solide dans l’échelle des valeurs repérables dans nos sociétés, on consulte depuis plusieurs années les populations sur leurs perceptions et leurs prises de position concernant le champ sanitaire. On ne prend plus nécessairement le pouls des malades mais on ausculte les populations. On constate ainsi en 2005 sur un échantillon représentatif de quatre mille personnes que 50 % des personnes interrogées estiment que l’état de santé des Français s’est amélioré au cours des dernières années alors qu’elles étaient 62 % en 2000 à le penser. 28 % pensent qu’il s’est détérioré. Les plus pessimistes sont les femmes, les employés et les ouvriers avec un écart très important (de 10 à 20 points) par rapport aux professions libérales et cadres supérieurs (Boisselot, 2006, Enquête de la drees en 2005).
6Le rapport de la drees souligne qu’on a eu un pic marqué des déclarations pessimistes sur l’amélioration de la santé des Français en 2004 (montée à 31 %). Pourquoi ? Les enquêteurs associent cette montée du pessimisme à un après-coup de l’été de la canicule survenu avant l’enquête.
7Autre indication de repérage, en reflet à des questionnements contemporains qui reprennent de très anciennes interrogations, les sondeurs posent la question : « Comment rester en bonne santé ? » Un fort consensus se fixe désormais sur le rôle-clé qu’on attribue aux comportements quotidiens et aux expériences de stress :
- ne pas fumer : 73 % ;
- ne pas boire : 61 % ;
- surveiller son alimentation : 56 % ;
- faire du sport : 44 % ;
- ne pas avoir de problèmes professionnels : 44 % ;
- ne pas avoir de problèmes familiaux : 44 % ;
- se faire suivre régulièrement par son médecin : seulement 28 %.
La santé comme objet construit d’une pensée sociale et l’émergence de l’idée de promotion de la santé
8Les données chiffrées des sondages et des baromètres ne font que désigner une dynamique sociale dont on ne capte que les turbulences de surface. Une voie d’étude et d’approfondissement de cette dynamique a été proposée par ce qu’on appelle les approches « représentations sociales ». Ces approches postulent que les sociétés et les groupes « pensent » et construisent des théories pratiques, naïves ou subjectives autour des objets-clés de leurs champs d’intérêt et de préoccupation. Ces théories fournissent un cadre de référence profane le plus souvent implicite. Leurs logiques sont toujours décalées des théories et du savoir des experts et des professionnels mais influencées par elles ou rebricolées dans la communication sociale ordinaire. Elles peuvent néanmoins intervenir puissamment dans le guidage des conduites effectives. Le concept ou l’état de santé des individus et des groupes sociaux fait ainsi l’objet d’un travail individuel et collectif profane qui en fait une construction et une représentation active, c’est-à-dire en prise sur le monde de l’action et pas seulement des rêveries et du fantasme, comme on l’a vu en constatant l’emprise de théories de la contagion apparemment très archaïques mais déterminantes dans la gestion ordinaire des risques du sida. Les représentations sociales sont porteuses de supposés savoirs et de guides pratiques pour l’action.
9Il y a plus de quarante ans, la psychologue sociale Claudine Herzlich a enquêté pour saisir les principales logiques qui débouchent sur des définitions pratiques de la santé (Herzlich, 1996). Ces logiques sont ancrées sur des croyances et des convictions et trois positionnements principaux se détachent du discours des interviewés entendus dans des situations d’entretien :
- la santé comme vide dont il n’y a rien à dire. Elle ne se pense et ne se parle qu’en référence à l’absence de maladie. C’est un état neutre dont on ne parle, sans implication affective, que parce qu’on est interrogé. « La santé ce n’est strictement rien de positif, c’est simplement de ne pas être malade » (cit., p. 81) ;
- la santé comme capital ou fond disponible qu’on peut gérer. C’est ce qu’on a ou ce dont on hérite. C’est une réserve ou un réservoir. On a une excellente santé ou une petite santé. C’est comme ça. On est robuste ou résistant, ou pas. On le voit notamment par comparaison aux autres : « En ce qui me concerne j’ai une excellente santé, je suis né avec une excellente santé. » « Quand je vois les gens autour de moi toujours fatigués, je me dis que j’ai quand même une bonne santé » ;
- la santé comme équilibre ou expérience d’autonomie. C’est le bien-être psychologique, la bonne humeur, le bien-être physique, l’infatigabilité. C’est ce qu’on ressent et ce que l’on peut garder ou améliorer. C’est « la vraie bonne santé ». C’est une valeur et une norme : « Quand je suis en bonne santé je me sens bien, c’est cet équilibre où je pense que tout va bien, que les choses difficiles me paraissent absolument insignifiantes. »
101. Pensez à quelqu’un que vous connaissez qui est en très bonne santé. À quelles personnes pensez-vous ? Quel est leur âge ? Qu’est-ce qui vous fait dire qu’elles sont en bonne santé ?
112. À certains moments les gens sont en meilleure santé qu’à d’autres ? À quoi cela ressemble-t-il quand vous êtes en bonne santé ?
12L’analyse de cette enquête permet d’identifier des réactions caractéristiques :
- réponse négative ou impossibilité d’imaginer la bonne santé ;
- la santé comme absence de malaise (not-ill), sensibilité à l’absence de symptômes et de gêne : (« Elle est en bonne santé parce qu’elle n’a jamais l’air de souffrir de la poitrine. Elle a un rhume de temps en temps mais elle n’a jamais été sérieusement malade. ») ;
- absence de maladie (médicale) ou la santé en dépit de la maladie : « Je suis en très bonne santé malgré mon diabète. »
- réservoir ou réserve : « Quand il est malade il récupère très vite » ;
- comportement, vie saine : « Je dis qu’elle est en bonne santé parce qu’elle fait du jogging et qu’elle ne mange pas de nourriture frite. Elle marche beaucoup et elle ne boit pas d’alcool » ;
- bonne forme physique : l’autre en bonne santé est un athlète ou un sportif ;
- énergie, vitalité : « La santé c’est quand je sens que je peux faire n’importe quoi. Je saute du lit le matin, je lave ma voiture dans le froid sans y penser. J’ai envie de faire des choses. » ;
- maîtrise fonctionnelle : « Elle a 81 ans et elle fait son travail plus vite que moi et elle fait son jardin ;
- sentiment de bien-être et d’harmonie : « Est-ce que c’est pas merveilleux d’être vivant, de voir toutes ces adorables feuilles sur les arbres, c’est merveilleux d’être vivant et de pouvoir se tenir debout et de regarder. »
13Cette définition a été prolongée solennellement dans une charte de promotion de la santé énoncée par l’oms à Ottawa en 1984 et renforcée comme droit fondamental à Bangkok en 2005 : « La promotion de la santé a pour but de donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens pour l’améliorer. Pour parvenir à un état de complet bien-être, physique, mental, spirituel et social l’individu ou le groupe, doit pouvoir identifier et réaliser ses aspirations, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s’y adapter. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne et non le but de la vie ; c’est un concept positif qui met l’accent sur les ressources sociales et personnelles aussi bien que sur les capacités physiques. La promotion de la santé ne relève donc pas seulement du secteur de la santé : elle ne se borne pas seulement à préconiser l’adoption de modes de vie qui favorisent la bonne santé ; son ambition est le bien-être complet de l’individu » (oms, 1984).
La santé comme conduite dans le contexte du principe de précaution
14Avant de se projeter dans l’accès au complet bien-être, le rapport à la santé aujourd’hui est d’abord marqué par la confrontation à la menace des risques sanitaires et l’impératif de gestion de ces risques. La psychologie de la santé depuis une trentaine d’années est engagée dans l’élucidation pratique et théorique de la formation et de l’évaluation des conduites et des comportements de santé. Elle prend au sérieux une thèse bien admise par le sens commun et par les professionnels : ce que l’on fait a une grande influence sur la santé que l’on a, sur les maladies que l’on acquiert, sur l’espérance de vie à laquelle on peut prétendre. Les comportements sont indissociables de tout questionnement de l’objet santé.
15Quels comportements ? Les premiers psychologues de la discipline ont classé empiriquement les comportements de santé (health behaviors) en deux catégories : les habitudes nuisibles à la santé, formant ce qu’on appelle aujourd’hui des « conduites à risque » ou des pathogénies comportementales (fumer, avoir un régime à haute teneur en graisse, boire de l’alcool, etc.), et les comportements de « protection de la santé », comportements « immunogènes » ou comportements sains, correspondant aux canons de l’hygiène moderne (faire de l’exercice, avoir une alimentation « saine », avoir des heures de sommeil suffisantes, faire des examens de dépistage médicaux réguliers, utiliser des moyens de protection adaptés contre les risques de transmission d’un agent infectieux). De même, dans le domaine des comportements de maladie, on a des comportements d’observance (respecter les doses prescrites, les horaires, les rendez-vous médicaux, les régimes) ou de non-observance (sauter des prises, diminuer ou augmenter des doses sans consulter un médecin, arrêter un traitement, s’autoriser, sans accord de l’autorité médicale, des vacances thérapeutiques).
16L’importance des enjeux théoriques et pratiques associés à la connaissance et au contrôle de ces comportements a été et est encore une base essentielle de mobilisation des ressources des différentes branches et orientations de la psychologie au service de finalités de santé publique ou d’optimisation des soins. Cette mobilisation se traduit aujourd’hui dans un répertoire considérable de « modèles » qui ont emprunté aux courants théoriques dominants en psychologie (théories cognitives, théories du renforcement) et, ces dernières années, tout particulièrement à l’orientation sociocognitive, orientation qui s’intéresse de manière privilégiée au traitement de l’information que mène l’individu dans la confrontation aux problèmes qu’il doit traiter. « Tacticien motivé » (Fiske, Taylor, 1991) l’individu sociocognitif est supposé traiter stratégiquement avec plus ou moins de pertinence l’information en relation à sa santé pour y appuyer ensuite ses décisions et ses actes. La santé est donc d’abord un univers cognitif comme un autre, appréhendé selon des logiques productrices de biais et d’erreurs que se proposent de corriger les sciences cognitives après en avoir démonté les mécanismes dans leurs laboratoires. Cette source d’inspiration cognitive, aux capacités d’abstraction redoutables, a guidé de nombreuses recherches centrées sur le problème de l’appropriation et de l’emploi des connaissances. Dans le domaine de l’application elle s’est confrontée aux propositions dérivées des théories de l’influence sociale et de l’étude des attitudes qui ont l’avantage d’être plus facilement en prise avec le quotidien et de se traduire explicitement en divers schémas d’articulation entre attitudes et comportements. Derrière l’hétérogénéité et l’éclectisme des approches se traite une question délicate : quel est le rôle de l’individu dans la production de son état de santé ? Pourquoi et comment se conduit-il comme il se conduit dans les situations où sa santé est menacée ?
17Les réponses de recherche mettent en évidence quelques processus fondamentaux qu’on décrit en général en termes de facteurs déterminants ou de variables :
- les croyances et attitudes sont considérées comme des facilitateurs ou des obstacles majeurs à l’adoption et au maintien de comportements sains. Dans ce qu’on appelle les « croyances de santé » on s’est ainsi intéressé tout particulièrement à la perception des risques et à l’évaluation des comportements de précaution préconisés pour protéger la santé et éviter des maladies graves ;
- la perception du danger semble liée à deux « croyances », quantitativement variables : la vulnérabilité perçue (se sentir ou non concerné par la possibilité d’un cancer du colon ou de la prostate) ; la gravité perçue de la maladie (s’agit-il d’une maladie mortelle ou incurable ?) ;
- l’évaluation du comportement dépend de la perception qu’a l’individu des coûts, des obstacles et des bénéfices qu’il anticipe (accès au système de soin, peur d’entrer dans un engrenage médical incertain, peur des souffrances/possibilité d’être pris en charge et guéri ou rassuré, pression de l’entourage ou des médias) ;
- les motivations sont également des composantes ou des moments-clés dans le passage à l’action et la formation de l’intention. La motivation à se protéger et par suite le passage à une conduite adaptée, serait d’autant plus élevée que l’évaluation du danger pourrait s’appuyer sur un bilan positif en faveur des bénéfices attendus ; que la conduite préconisée serait jugée efficace pour écarter la menace ; que l’individu a confiance dans ses chances de réussir à réaliser la conduite, ce dernier facteur correspondant à la notion dite d’auto-efficacité [1], construite par Bandura dans le cadre des théories de l’apprentissage social (Bandura, 1995) ;
- les « normes subjectives », définies comme « la perception d’une pression sociale incitant à réaliser ou à ne pas réaliser un comportement de santé » sont des facteurs reconnus dans la formation, le maintien et le changement des conduites. Chez les jeunes ainsi on a souvent mis en évidence et utilisé le rôle des pairs pour l’adoption des comportements sains (donner du sang ; porter le casque sur un deux-roues) et fondées sur des croyances normatives et une motivation à se conformer à ses normes ;
- il y a enfin la perception que l’individu a de pouvoir maîtriser personnellement ce comportement, ce qui repose sur un certain nombre de croyances concernant le degré de facilité ou de difficulté des actions à accomplir. Il s’agit donc là encore du critère d’auto-efficacité ou d’efficacité du self et de la mise en avant de l’importance du sentiment de maîtrise ou de contrôle.
La santé comme promotion de changements positifs
18La psychologie de la santé revendique explicitement de plus en plus souvent une contribution à la production de la santé et pas seulement à la prévention de la maladie. D’un modèle médical ou bio-médical de la santé on passe à une analyse en termes de « modèles de santé » qu’on synthéthise dans la notion de modèle « bio-psychosocial ». Cette orientation se traduit dans un intérêt accentué pour les problématiques du changement et de leur évaluation. Une stratégie préventive stricte est focalisée sur des objectifs de réduction des risques et de facilitation d’ajustements à une situation dangereuse ou agressante. Une stratégie de promotion de santé est avant tout concernée par une amélioration, un changement dont l’agent, individu, groupe ou communauté, s’approprie les buts et les moyens, selon des principes d’autorégulation ou d’apprentissage. Cette préoccupation se traduit par exemple dans l’approche sociocognitive de Bandura (2005) qui enseigne une gestion individualisée des habitudes de santé appuyée sur l’apprentissage de compétences et de possibilités de recours à des dispositifs de soutien et de renforcement, ces dispositifs pouvant être très divers (de la possibilité de recours à une aide téléphonique aux réseaux internet) pourvu qu’ils renforcent la capacité de l’individu de maintenir son projet de changement.
19Une même volonté de lier la recherche sociocognitive à l’intervention, ou de lier recherche et action, se manifeste depuis quelques années dans de nombreux domaines de prévention : sexualité, tabagisme, exposition au gaz radon, réduction d’une alimentation trop riche en matières grasses, dépistage du cancer colorectal, risques liés à la conduite automobile et l’emploi des deux-roues etc. Un des aspects les plus récemment développés concerne ce que l’anglais désigne comme implementation, c’est-à-dire la réalisation concrète de l’intention de changer. Les intentions de réalisation effective sont « les plans qui engagent une personne à réaliser une intention comportementale dans un moment et un lieu précis ». Des résultats significativement différents ont par exemple été obtenus à partir de cette simple idée en engageant des femmes à décider à l’avance du moment et du lieu où elles avaient l’intention de faire un autocontrôle mammaire. Comparant un groupe contrôle de 89 femmes non exposées à un message d’implémentation, et un groupe expérimental de 66 femmes, on a constaté que 64 % du groupe « intention d’implémentation » réalisaient l’intention alors que 14 % seulement le faisaient dans l’autre groupe, malgré leur bonne volonté initiale et leurs bonnes intentions.
20Ces interventions engageantes sont avant tout focalisées sur une responsabilisation individualisée des personnes concernées par un projet de santé. D’autres actions, plus ouvertes à la prise en compte du contexte social et relationnel de la vie des personnes concernées, mettent au premier plan l’interaction relationnelle et l’influence sociale. Le soutien social par exemple fait l’objet depuis longtemps maintenant de l’attention des chercheurs et des praticiens. On admet après les spectaculaires démonstrations de l’épidémiologie sociale que l’isolement peut aggraver la mortalité et la morbidité et qu’en revanche le soutien relationnel est un facteur de protection pour la santé, son impact restant cependant difficile à objectiver. Des interventions dans cette direction ont cependant été menées dans les pays anglo-saxons. Une intervention quasi-expérimentale en Grande-Bretagne (Oakley et coll., 1990) illustre bien les principes de ce type d’action. 509 femmes ayant des histoires d’hypotrophie sont engagées dans la recherche. La moitié reçoit en plus des prises en charge habituelles un soutien supplémentaire, fourni par quatre mères de familles chercheurs qui leur offrent 24 heures de contact téléphonique et un programme de visites à la maison. Les bébés du groupe intervention ont une moyenne de 38 g de plus avec moins d’hypotrophies en général ; on a moins de visites à l’hôpital pendant la grossesse, moins de péridurales, moins de soins à donner aux bébés qui, comme leur mère, sont en bien meilleure santé que dans le groupe contrôle qui n’a pas bénéficié du soutien supplémentaire.
Conclusion
21L’espace profane de la santé est structuré aujourd’hui par le double appel du risque à contrôler et du plus de santé à conquérir. C’est un espace d’interaction et de communication. En position de récepteur de messages et d’être à éduquer, l’individu s’y trouve sollicité par des logiques qui s’entremêlent confusément et souvent contradictoirement au quotidien : une logique de la technique, de l’hygiène, de la rationalité qui prescrit les bons comportements de santé (« ne cherche pas à savoir si tu n’as pas envie de savoir, mais utilise un préservatif pour éviter un danger reconnu par la science ! ») ; une logique de l’éthique et de la morale qui se fonde sur des valeurs et une certaine conception de la relation à l’autre (« mets un préservatif pour éviter à l’autre de courir un risque de grossesse non désirée ! sois altruiste ! »). Une logique de la promotion de soi par la bonne santé qui tente de prendre en charge et de mobiliser positivement ce dur souci de soi dont parlait Michel Foucault. En position d’acteur l’individu est engagé par les psychologues de santé à se montrer « pro-actif », responsable plutôt que soumis, en mouvement plutôt qu’en retrait défensif, volontaire plutôt que velléitaire, calculateur rationnel plutôt qu’idéaliste, en relation empathique avec l’autre plutôt qu’en isolat craintif. Mais ce mouvement ne se transformera en action que si l’individu est poussé par des motivations et des objectifs de santé qui pour lui valent la peine qu’il se donne. Il ne pourra s’inscrire dans la durée que si les trajectoires de vie et les projets de changement ou d’innovation qui se forment sont bâtis dans l’échange social et l’activation des ressources relationnelles. La promotion de la santé doit se confronter aux peurs collectives mises en spectacle par les médias modernes engagés dans la bataille du risque sanitaire. Elle ne peut que s’inscrire pour s’en distancier dans l’entraînement des illusions ou des utopies de la santé parfaite (Sfez, 1997 ; Halpern, 2005), tout en résistant aux sirènes de la santé totalitaire (Gori, Del Volgo, 2005). Les sciences sociales de la santé peuvent jouer dans les transitions de crise de l’époque un rôle de mobilisation critique ou de pacificateur antalgique. Elles sont clairement appelées en tout état de cause à en éclairer davantage les enjeux et les bilans, dans l’alternance des recherches et des actions intervenantes.
Bibliographie
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Notes
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[*]
Michel Morin, professeur en psychologie sociale de la santé, Équipe psychologie sociale de la santé, lps, Université de Provence et umr-inserm 379.
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[1]
Auto-efficacité : croyance des individus en leur capacité à mobiliser les ressources nécessaires pour maîtriser la situation (attente d’efficacité) et réussir dans certaines tâches (attente de réussite) (Bruchon-Schweitzer, 2002, p. 70).