Notes
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[*]
Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre, praticien hospitalier, Marseille, vient de publier Comment ça fonctionne un père ?, Paris, Éditions de La Martinière, 2003.
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[1]
En attendant la bombe, Paris, Calmann-Lévy, 1980.
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[2]
Quand les parents se séparent, Paris, Le Seuil, 1980.
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[3]
« Propos sur la causalité psychique », dans Écrits (1956), Paris, Le Seuil, 1966.
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[4]
« Le père », dans L’enfant et sa famille, Paris, Payot, 1944.
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[5]
Le couple et l’enfant, Paris, Odile Jacob, 1995.
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[6]
Paris, Odile Jacob, 2000.
« N’importe quel homme peut devenir père. Mais il faut de l’amour pour devenir un papa. »
1 C’est quand il vous dit qu’il va avoir un bébé. Étrange formulation. On la prête habituellement au seul sexe féminin. Il corrige, à peine : elle est enceinte. Ce bébé, il ne le porte pas en dedans de lui mais il l’attend. Dans ses rêves et plus encore dans ses émotions et tout son corps, il le porte. Il porte un bébé de pensée, la chair lui appartient à elle – pour l’instant ! – et c’est tellement bien comme ça. Pour tous, pour elle, pour lui et pour ce bébé.
2 Il vient vous voir, enflammé, bouleversé ; il a besoin de dire son bonheur, ses angoisses, que c’est fou tout ça, que c’est incroyable, mon Dieu, un bébé ! Il vous presse de dire, vous êtes censé savoir, vous êtes père, vous, vous avez connu ça déjà, une fois, deux fois, vous devez tout lui dire, ce sera comment ? C’est comment être père ? C’est comment un enfant ? Un père ça sait aimer ses enfants ? Dis, dis-moi, on y arrive comment à être père ?
3 C’est à un ami que vous parlez, un confident vers lequel vous vous penchez, pour partager quelques souvenirs, quelques conseils et beaucoup d’émotions…
Préliminaires…
4 Au début, en haut de l’affiche, en lettres d’or, il y a elle. Parce que pour créer du père, il faut qu’elle soit là. Il t’a fallu la rencontrer – quant à savoir où et comment, c’est toujours un vrai roman que vous ne vous lasserez jamais de vous raconter – il t’a fallu la reconnaître et allez, osons, l’aimer.
5 Pour devenir père, il faut aimer. Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, choisis – si tu as le choix, préfère beaucoup ! Il te faut l’aimer, elle. L’enfant, il vient après, toujours, il est toujours en retard d’un amour. C’est sa mère qui est en avance, elle est arrivée une bonne coudée d’amour plus tôt. « Prems » disent les enfants, elle est première, à vie.
6 C’est par elle que tu seras père. Tu seras le père de son enfant, qui sera aussi le tien. Votre enfant.
7 De sorte que cette histoire de père doit commencer, comme toutes les histoires de tous les pères, par un éloge, appuyé, de l’amour. Et des femmes. De ta femme. C’est ainsi que ça doit commencer, par elle. Elle ouvre la marche, elle avance en tête, elle est ton éclaireuse, elle éclaire ta vie de père.
Chut ! Tu couves
« La paternité, c’est quelque chose qui s’accouche lentement. »
8 Sa grossesse, ce sera un temps sacré. Un sacré temps.
9 Tu risques de prendre six à huit kilos, d’avoir des nausées, des envies d’uriner en pleine nuit, tu te sentiras crevé, épuisé, l’envie de ne rien faire. Tu oublieras tout, continuellement, les rendez-vous, les coups de fil à passer, ce que tu avais prévu… Tu seras dans une confusion notable, un coup tu te retrouveras à l’autre bout de la ville alors que tu seras censé être tout à fait ailleurs, un coup tu sonneras chez Untel et c’est un autre qui t’attendait. Tu vas sûrement tout avoir, la rage de dents terrible à s’offrir le dentiste dans l’urgence, le mal au bide, le début d’angine…
10 Tu sais – parce que tu l’as lu, dans des publications anglo-saxonnes – que les hommes vivent pendant la grossesse de leur femme de véritables « transformations » physiques et psychiques : prises de poids, fatigue, envies… Plus encore, ils subissent d’importants bouleversements hormonaux qui vont complètement les chambouler et induire des comportements nouveaux et spécifiques : ainsi des taux très hauts d’hormones d’avant la grossesse et qui s’effondrent dans les jours qui suivent l’accouchement. La testostérone qui commande par exemple certains aspects de l’activité sexuelle va plonger – on sait combien cette activité plonge elle-même à cette période. L’œstradiol, qui est une hormone plus spécifiquement féminine, voit ses taux augmenter, chez l’homme, après la naissance d’un enfant. Quand on sait que ces hormones sont connues pour modifier le comportement, en particulier maternel, on peut penser qu’elles sont à l’origine de certains des changements physiologiques et comportementaux que vivent les hommes pendant cette période.
11 Tu souris aussi à ce « syndrome de couvade » qui désigne un ensemble de signes somatiques repérables chez 10 % des jeunes pères – sûrement plus en fait – pendant la grossesse de leur compagne. Les futurs pères vivent dans leur corps et leur psychisme l’événement de vie « paternité » de façon sensible et profonde.
12 Pendant des années, ces questions n’ont captivé personne dans la communauté scientifique : la « grossesse » du père n’était pas un sujet d’intérêt ou de préoccupation. Depuis quelques années, les publications se rapportant à ce sujet et abordant la dépression paternelle, les interactions père-bébé, le travail réalisé dans des groupes de soutien à la parentalité, etc., se multiplient. Les temps changent. Nous changeons avec eux. Aujourd’hui, tous les magazines destinés à la femme enceinte, aux familles et aux parents traitent, à chaque numéro, du père. Impossible de feuilleter une revue sans tomber sur lui, ce qu’il éprouve, ce qu’il vit, comment il s’en débrouille… Ça te plaît assez cette présence assidue du père, au cours des pages des mensuels ou encore à la télé. Tu te dis : « Pas trop tôt ! »
13 Pendant des années, le seul discours en vigueur était : pour le père, la grossesse de sa compagne est une prise de tête, alors que pour la mère, il s’agit d’une véritable prise de corps. Ce qui faisait la distance du père, c’était bien cet aspect intellectuel de la grossesse. Une expérience abstraite pour l’un, pleinement physique pour l’autre. Or on constate aujourd’hui que le père est également atteint dans son corps par cette grossesse et qu’il en témoigne. Inutile de le traiter d’hystérique ou d’en appeler à son « identification féminine marquée », il ne s’agit pas là d’un champ de la pathologie. Bien sûr, tous les chercheurs, à ce jour, ne sont pas près de l’admettre… Toi pourtant, tu le sens déjà, tu le pressens, ta vie est en train de changer là, tu sais que tu ne seras plus le même, déjà tu t’échappes, dis-tu, tu t’échappes à toi-même.
14 C’est Rochefort, un observateur français des indigènes caraïbes des Antilles, qui baptisa « couvade », au xvii e siècle, un ensemble de rites accomplis par le mari pendant la grossesse, l’accouchement de l’épouse et la période postnatale. « Au même temps que la femme est délivrée, le mari se met au lit, pour s’y plaindre et faire l’accouchée […]. » On lui fait diète dix ou douze jours de suite. Au père était alors accordé un rôle primordial dans la fabrication de l’embryon et du fœtus, la mère se contentant de fournir un contenant, voire une préformation avant la naissance. Toujours ces rapports de domination qui veulent que l’un apporte plus que l’autre dans cet événement, que, pour les uns, la femme porte le bébé en miniature avant même qu’il ne se manifeste en elle et que, pour les autres, c’est l’homme qui possède le principe vital qu’il transmet à la femme dont le rôle alors n’est que d’« incubation ».
15 Aujourd’hui ces éléments appartiennent davantage au folklore de la grossesse mais ils parlent, à leur façon, des utopies contemporaines comme l’accouchement masculin, cet homme « enceint » qui défraye régulièrement la chronique, bien que son pendant biogénétique actuel, l’homme cloné, ait plus de succès. Dans ce chef-d’œuvre de la littérature médiévale qu’est Aucassin et Nicolette, c’est la femme qui conduit la guerre pendant que « son homme » accouche au lit.
16 Tu dis que c’est le monde à l’envers ! Et que toi, tu aimes le monde à l’endroit avec elle. Tu aimes son ventre rond, ce bébé qu’elle porte. Quelquefois, quand elle sera fatiguée ou qu’elle se sentira lourde, elle te demandera peut-être en riant si tu ne veux pas le porter cinq minutes, si elle ne peut pas te le passer un petit moment, le temps de souffler. À coup sûr, tu lui répondras que tu n’as nulle envie d’un monde renversé, où l’ordre naturel des choses serait modifié. Tu pourras faire des tas de choses mais pas porter votre enfant. Tu lui diras tout ce que tu sauras faire. Elle n’en reviendra pas. Mais enfanter, ce n’est pas ton truc, ce n’est vraiment pas une de tes fonctions naturelles. D’ailleurs, tu n’as nulle envie de commencer à stocker la crème antivergetures pour prendre soin de ton petit ventre, où la médecine et les techniques auraient bien trouvé une petite place, entre tes intestins, ta rate et ton estomac, pour accueillir ta descendance. Tu es un homme et cela te va bien. « Être un homme, c’est ne pas être une femme » et encore, comme l’écrit Paule Salomon : « C’est ne pas être comme maman. »
Les pères, coupables de ne pas être de bonnes mères ?
« Être père, c’est avoir peur tout le temps. »
17 Vous allez avoir un bébé. Il sera votre enfant. Il viendra de vous, il va naître de son ventre, il sera le fruit de ta semence, il sera du même monde que vous. Vous l’aurez « fait à votre image » comme l’assure le dogme de la création dans la Genèse. Et si tous les parents interrogent leurs dieux fondateurs, en ces moments de doute et de quête, Dieu unique et sacré, Dieu éternel ou dieux pluriels, païens et terrestres, toi, je sais que tu vas tous les convoquer autour du ventre de sa mère. Ils seront tous là, ils seront tous à l’œuvre, n’est-ce pas ? Qui que soit ce bébé, il naîtra entouré.
18 Ces inquiétudes et ces mouvements du cœur que les pères connaissent si forts, d’aucuns les croyaient réservés aux mères. Combien en ai-je rencontré de parents d’enfants porteurs de handicaps qui se retrouvaient dans un bureau de consultation, des mois ou des années après l’annonce, et qui partageaient là des émotions qu’ils n’avaient jamais pu se dire et imaginer même chez l’autre. « Toi aussi, tu ne dormais pas la nuit ? », « tu avais aussi ces rêves, enfin ces cauchemars terribles ? », « tu souffrais donc tellement, mais pourquoi ne m’as-tu rien dit ? »… Mais parce que les pères se taisent, parce que le silence s’impose à leur douleur, parce qu’ils ne veulent pas faire encore plus de mal à leur compagne en leur révélant leur propre souffrance, parce qu’un homme, ça cache son malaise, ça serre les dents, ça doit soutenir l’autre. Parce qu’ils ont honte, les pères, terriblement honte de ne pas transmettre l’or et l’esprit à leur enfant. Si cette transmission est atteinte, blessée, ce sont eux-mêmes qui se sentent atteints, blessés. Ils vivent intérieurement les souffrances que cette honte éveille. Ils s’imaginent nuls, horribles, démons et bourreaux, puants, pitoyables. Ils ne rêvent que de disparaître, de s’éloigner de l’insupportable.
19 Souvent, ils fuient. Ailleurs, dans leur travail, dans des tas d’occupations incroyables qu’ils se trouvent alors et qui ne peuvent se passer d’eux. Ils deviennent les missionnaires du combat pour leur enfant, son handicap, ses droits bafoués, sa mobilité, ses soins, etc. Ils s’engagent dans de petites guerres épuisantes ou de grands combats contre les institutions, l’État, la société, l’autre, tous les autres.
20 Je t’ai parlé de toutes ces rencontres avec des pères, dans mes consultations. Le père de Marie, une petite poupette de presque 3 ans, très handicapée à la suite d’une grave souffrance fœtale. J’ai mis des mois avant de pouvoir le rencontrer. Sa femme me le décrivait toujours absent de la maison, au travail jusqu’à des heures indues en semaine et toujours sur les routes le week-end, à pédaler sur son vélo, pendant des centaines de kilomètres. Je l’ai invité à venir me rencontrer des dizaines de fois avant qu’enfin, un jour, il apparaisse dans la salle d’attente.
21 Il disait ne pas supporter d’être confronté à la réalité du handicap de sa fille ; il fuyait, au boulot, à vélo, il était toujours loin, ailleurs. Mais il disait combien, malgré la distance, l’épuisement du travail, l’effort physique, il n’arrivait jamais à éloigner de ses pensées ces visions de sa fille, de son corset qui la maintenait, de la bave qui coulait de sa bouche, des bruits rauques et soudains qu’elle poussait. Surtout, il ne manquait pas de rechercher sans trêve une étiologie à ce handicap, et il l’avait bien entendu trouvée dans cette malédiction que selon lui sa famille portait, pour une sordide histoire d’enfant abandonné pendant la guerre. Son frère avait eu un fils décédé très jeune et sa sœur n’arrivait pas à avoir d’enfant, depuis des années. Pour lui, sa lignée était porteuse de cette « tare » qui marquait aujourd’hui sa propre fille dans son corps et son développement. C’est cela qu’il fuyait, la rencontre, en direct, avec la coupable certitude de sa responsabilité, par aïeuls interposés.
22 Le père de ce grand Nicolas de 22 ans était persuadé que ses carences d’éducation et son absence à la maison, à cause d’un poste à responsabilité dans une grande société, étaient la cause des difficultés actuelles de son fils, au chômage, sans véritable formation, dépressif et solitaire. Il était assuré que le cancer qu’on venait de lui découvrir n’était que le juste châtiment de ses manquements.
23 Les pères du groupe de maternité, qui venaient là pendant la grossesse de leur épouse, disaient tous leurs souffrances devant cette culpabilité qu’ils anticipaient même. Ils allaient passer peu de temps auprès de leur enfant, en tout cas bien moins de temps que leur femme. Ils allaient rater tous ces moments importants, les premiers sourires, les premiers mots, les premiers pas ; plus tard, ils ne pourraient pas les accompagner à l’école, peut-être pas même au foot ou à la danse… Ils étaient persuadés qu’ils seraient défaillants alors même que leur enfant n’était pas né. Comme s’ils avaient bien sagement appris leur leçon, comme s’ils commençaient, avant la naissance, à se familiariser avec cette idée. Comme s’ils commençaient, si tôt, à s’en convaincre, s’assurant de leur avenir avant même qu’ils ne le vivent. Ce faisant, ils ne mettaient jamais en doute ces réalités, ne s’engageaient jamais dans de grandes résolutions qui bouleverseraient cet ordre établi. Établi par qui ?
24 Tous souffraient en réalité de leur statut même de père, de cette idée qu’ils se faisaient ou qu’on leur avait faite de ce qu’un père était censé être. Pas un n’en doutait. Cette culpabilité de ne pas être en fait comme « une bonne mère » pour leur enfant, ils la traîneraient des années. Mais ils ne faisaient pas grand-chose dans le réel pour s’en débarrasser. Peut-être était-elle commode à porter, avec tous ces avantages à la clé, moins de tâches domestiques, bien moins de responsabilités, un engagement beaucoup plus distant dans la vie de la maisonnée et de la famille. Pour s’en dégager, certains d’entre eux avançaient qu’ils se sacrifieraient pour leurs petits, pour leur acheter tout ce dont ils auraient besoin, pour les entourer des meilleures conditions de vie. Mais tout cela se monnayait, c’était mesurer l’amour et l’attention en euros. À la bourse de l’amour paternel, ils croyaient pouvoir être de vrais pros. Mais à la maison…
25 Combien en ai-je rencontré, de ces pères souffrants, coupables, pris dans une fonction qu’ils croyaient être la leur, sans la questionner ? Combien qui ne savaient comment changer leur destinée et qui s’assuraient des erreurs du passé pour valider leurs histoires du présent ? Combien qui, forts de ces vérités établies, ne pouvaient plus s’aimer, se regarder en face, croire en eux ?
Aime la vie, ta femme et ton enfant
« Le secret pour être un bon père est simple : écoutez toujours vos enfants. »
26 C’est Albert Camus qui disait : « Je ne connais qu’un seul devoir et c’est celui d’aimer. » Tous les pères devraient faire des efforts pour s’aimer davantage. Ils en aimeraient les autres d’autant. Et se sentiraient aimés d’eux.
27 Tous les pères devraient faire des efforts pour montrer aux autres, ceux auxquels ils tiennent, qu’ils les aiment.
28 Tous les enfants ne demandent qu’une chose, être aimés, tels qu’ils sont venus au monde.
29 Dis-le lui, à ton enfant d’amour, qui qu’il soit. Vous l’aimerez tel qu’il sera. Sa mère et son père. Ensemble. Dans le même émoi. Vous l’aimerez.
30 Et n’attends pas qu’il ait 5 ans ou 10 ou 20 pour le lui dire. Commence déjà à lui parler d’amour alors qu’il est là, bien à l’abri au-dedans de sa maman. Répète-le lui régulièrement, par tout temps, parce que tu connaîtras, vous connaîtrez, des moments de crises, de turbulences, de douleurs et de conflits. Infinis ou peut-être bien insignifiants. Alors remplis la cagnotte de la vie, remplissez-la ensemble, ta tendre et chère et toi, mettez-y des bons et doux moments, des souvenirs sucrés, des métissés, des émerveillants.
31 Montre-lui à ton futur petit bout comment tu l’aimes… cette femme qui est sa mère. De cet amour aussi, il sera riche.
32 Et n’hésite pas à le prendre dans tes bras, à lui parler, le bercer, le cocooner.
33 Prends Bedos comme modèle : « Je torche, je lange, je baigne, je douche, je nidinase, je bananiase, je lactacyde, je mustelase, je mytolise, je fredonne et je trois-petits-cochonne. Bref, je suis un père admirable [1]. » Soit marqué de féminité, s’il te faut contredire chaque jour la grande Françoise Dolto qui sur ce sujet n’a pas écrit que des vérités. N’affirmait-elle pas : « C’est lorsque l’enfant atteint l’âge de la marche – à 18 mois – que les hommes normalement virils commencent à s’occuper de lui. Ceux qui s’occupent des bébés sont généralement en grande partie marqués de féminité et, pour ainsi dire, jaloux que ce soient les mères les porteuses [2]. » Ou encore : « Il est dans l’ordre des choses qu’un père ne s’occupe pas de son enfant-bébé : ce n’est pas le rôle d’un homme. » Et laisse tomber ces mêmes assurances de tous nos maîtres à penser, qu’ils s’appellent Lacan – assurant que le père se devait d’être « “en retrait” des premières appréhensions affectives [3] » – ou D. W. Winnicott – qui écrivait… mais il y a bien longtemps, en 1944 : « On ne peut affirmer qu’il soit bon que le père apparaisse tôt en scène dans tous les cas [4] » – ou encore Aldo Naouri – qui lui pousse le pompon quand même bien loin en écrivant : « On doit chercher le père dans la mère et pas ailleurs, parce que les autres lieux, même ceux qu’il occupe réellement, n’ont pas grande importance par rapport à celui-là [5]. » Préfère-leur Jean Le Camus, qui a si bien dit Le vrai rôle du père [6].
34 Lève-toi et marche, toi, le futur père. Quand il sera là, porte ta fille, change ton fils, parle-leur, pense-les. Échange avec ta compagne, la mère de tes enfants. Qui ne vous appartiendront jamais. Mais à qui vous aurez montré, ensemble, que le monde se construit, avec l’un et l’autre, différents mais tellement semblables en humanité.
35 Tu ne seras jamais une mère-bis, une doublure, un doublon ; tu ne feras jamais pareil, tout comme. Un père qui materne, ça n’existe pas, il n’existe qu’un père qui s’occupe de son enfant.
36 Ces pères-là, ils existent. Je caresse l’espoir que tu sois l’un d’eux, bientôt.
Notes
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[*]
Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre, praticien hospitalier, Marseille, vient de publier Comment ça fonctionne un père ?, Paris, Éditions de La Martinière, 2003.
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[1]
En attendant la bombe, Paris, Calmann-Lévy, 1980.
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[2]
Quand les parents se séparent, Paris, Le Seuil, 1980.
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[3]
« Propos sur la causalité psychique », dans Écrits (1956), Paris, Le Seuil, 1966.
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[4]
« Le père », dans L’enfant et sa famille, Paris, Payot, 1944.
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[5]
Le couple et l’enfant, Paris, Odile Jacob, 1995.
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[6]
Paris, Odile Jacob, 2000.