1« Et l’enfant ? », interrogeait Myriam David. Une description d’une famille désorganisée, un soignant assailli de noter les défaillances parentales, une crainte de ne pas savoir évaluer les dangers à leur mesure...
2« Et l’enfant ? », nous disait Myriam. « Cette mère délire, elle ricane à regarder des choses que je ne vois pas, son bébé est toujours dans ses bras, je ne l’ai jamais vu posé à terre à 8 mois. Je ne sais pas si je vais gagner sa confiance et faire alliance avec elle. »
3« Et l’enfant ? », disait Myriam. Une quinzaine de personnes inconnues entre elles, venant pour une réunion de première demande : le nombre signe les problèmes importants que l’on va évoquer. Des professionnels lassés, guettés par le « burn out », peut-être déjà prêts à se dévaluer, peut-être déjà hostiles entre eux, de par leurs divergences d’appréciation sur la famille, les projets à tenir, etc.
4« Et l’enfant ? Qui le connaît ? Qui l’a rencontré ? Dans quelles circonstances ? Durant combien de temps ? Qui prend soin de lui ? Comment ? A-t-il changé ? Dans quel sens ? Depuis combien de temps observe-t-on ces problèmes ? Quelles propositions a-t-on déjà faites à la famille pour ce bébé ? »
5Nous ne savions rien du bébé, ou si peu, et certainement pas assez ! C’est cette immense exigence de mieux observer le bébé, sa famille, son entourage plus globalement ainsi que nos propres réactions qui a émané de la formation reçue de Myriam David.
6C’est ce souffle qu’elle nous a transmis, souffle dans sa métaphore de donner la vie et aussi de pousser la graine plus loin ou de réchauffer ce qui se refroidit, souffle qui nous a donné de l’élan dans notre parcours professionnel.
7Comment décrire l’attention que donne Myriam quand elle écoute : elle est entièrement présente, que ce soit à un groupe, à un professionnel ou à un patient, elle est là, disponible, au service de, prêtant ses capacités de compréhension et d’empathie pour aider à une élaboration, pour qu’à l’issue de cette rencontre chacun se soit approprié ou réapproprié un fil d’un sens qui échappait, soit de sa vie professionnelle, soit de sa vie personnelle.
8Qui a eu l’opportunité de recevoir une formation de Myriam David s’en souvient, marqué par ce qu’elle a su réveiller ou éveiller en lui. On n’a pas « assisté » à une conférence de Myriam David. « Elle est venue nous parler », entendons-nous dire aujourd’hui, dix ou vingt ans plus tard... Et ce aux quatre coins de la France, quand nous avons l’occasion de rencontrer les équipes.
9À l’intérieur même de l’unité, ce mouvement de formation, impulsé par Myriam dès la création de l’institution, a été fondamental et continu. Elle nous a initiés à découvrir, à nous émerveiller, à continuer encore et encore, parce que nous n’aurons jamais fini d’explorer et d’apprendre.
10Elle s’est entourée de professionnels qu’elle a choisis sans allégeance à quiconque, personne ou institution, en créant une grande cohérence et stabilité, dans un esprit de travail et de recherche. Ce qui ne signifie pas une équipe calme et sans conflit ! Nos réunions ressemblent quelquefois aux turbulences d’un village gaulois ! Avec oppositions vives, discussions interminables, souffrances. « Que vous étiez fatigants ! », nous dit encore Myriam aujourd’hui en souriant de connivence ! Les sensibilités demeurent différentes chez chacun et les approches cliniques également. Le démarrage est souvent longuement discuté : doit-on répondre à cette équipe par une proposition de réunion ? par une consultation ? par une visite à domicile ? Mais à partir du moment où un tandem thérapeutique se constitue pour répondre à une première demande, carte blanche lui est laissée pour mener cette histoire thérapeutique comme il l’entend.
11Et toujours, pour nous, cette question que l’on reprend : « Et l’enfant ? » Comment l’atteindre ? Comment lui éviter la détresse ? Comment lui permettre un meilleur développement ?
12Au fil du temps, nous avons trouvé quelques pistes de réponses, en sachant qu’elles étaient datées, données à partir d’un certain niveau de pratique et de théorisation et qu’elles continueraient d’évoluer, mais que nous avons souvent souhaité faire connaître, sans doute aussi parce que Myriam nous avait immédiatement donné le goût de ces réflexions et de cette transmission entre collègues et simplement. Je me revois dans les années 1980, débutante à l’unité, au cours d’échanges précédant un séminaire :
13Myriam : « Marthe, voulez-vous introduire la séance en parlant de l’accompagnement thérapeutique ; vous pouvez illustrer en évoquant Guillaume, l’enfant dont vous vous occupez actuellement. »
14MB : « – Volontiers Myriam, mais ce que je vais dire, c’est ce que vous nous enseignez, vous ! »
15Myriam : « – Pas de problème, je serai là, je compléterai, ça ira, ça ira... » Et parce qu’elle était là, ça allait.
16« Et l’enfant ? »... Ce soutien de nos compétences a été important, valorisant chacun à sa mesure en lui donnant l’occasion de les exercer.
17Sans doute a-t-elle eu pour nous cette « préoccupation mater-professionnelle primaire » sur laquelle nous avons pu nous appuyer. Nous le lui avons souvent dit de vive voix ; que ce colloque soit une nouvelle occasion de la remercier.
Les ovni
Mais qu’est-ce qui la pousse à une telle sélection, si elle ne sait même pas que ce sont ses propres mains ? Le plaisir de la répétition. Plaisir de la maîtrise. Mais la répétition de quoi ? D’une présence devant les yeux pardi ! D’ailleurs, elle approche puis éloigne son poing jusqu’à se toucher les yeux, les lèvres... Présence évocatrice du visage maternel.
Déjà tout petit, le bébé s’emploie à le faire apparaître/disparaître en oscillant du regard. Premier jeu de coucou. Ici, c’est un peu plus sophistiqué. C’est encore fortuit, enfin presque. Jusqu’au jour où il arrive ce qui doit arriver : Les sensations musculaires du bras sont mises en relation avec la perception visuelle. Voir et être vu.
Première jonction contemporaine du main-bouche ou du main-main. Tenir et être tenu. Ce qui était pure proprioceptivité se différencie en une part proprioceptive et une autre extéroceptive. Deux parts qui se complètent et s’opposent. Se sentir du dedans et se voir du dehors. Effet de maturation ? Pas seulement. Certains bébés sont tout tournés vers le dehors au détriment du dedans. Plan de survie dans un environnement imprévisible : Tous les sens sont en alerte pour trouver des points de repère. Mais aussi pour fuir le chaos du dedans. Il est moins périlleux de s’entendre quand on a été un tant soit peu entendu !
Pierre Denis