1 Parler du conte, parler des mots, ce sont paroles de passage. C’est dans les récits, les histoires qu’on raconte aux tout-petits que leur sont offerts tous les possibles.
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Un travail en direction des très jeunes enfants a été mené depuis de nombreuses années dans les bibliothèques, les structures de la Petite enfance, les écoles maternelles, avec le soutien du Centre des arts du récit en Isère. Ce travail relève d’un engagement profond qui s’est toujours appuyé sur les travaux d’acces (association culturelle contre les exclusions et les ségrégations). René Diatkine a particulièrement insisté sur la langue du récit qui permet à l’enfant de grandir et de se structurer. Le lien établi par la littérature orale favorise la relation directe entre l’adulte et l’enfant dans une interaction à travers laquelle chacun peut entrer dans l’univers de l’autre. Nous avons vu des parents venir écouter des contes avec leurs enfants, quelquefois très petits. Ensemble, ils écoutent les mêmes histoires, petites ou grandes, légères ou profondes. Moments magiques de plaisir partagé, volés au temps. Nous pensons que l’éveil culturel du tout petit enfant passe aussi et surtout par la transmission du patrimoine oral. De nombreux moyens ont été mis en place pour y parvenir :
- développer les moments d’écoute en multipliant les temps des histoires ;
- créer les conditions du renouveau de la parole et du récit dans le cadre familial ;
- former le personnel intervenant auprès des tout-petits dans les lieux de la culture et de la petite enfance, ainsi que les parents ;
- permettre l’accès aux spectacles et aux créations d’artistes-conteurs qui travaillent en direction de ces publics ;
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accompagner les conteurs qui racontent aux plus petits.
« Maintenant dis à ton cœurQu’il vienne près de moiComme vont venir vers tes oreillesmes paroles… »
3 « Mais que peut-on raconter aux tout-petits ? Il n’y a pas grand-chose si l’on compare avec le répertoire pour les plus grands ! » Pourtant l’enfant, même très petit, est prêt à écouter toutes les histoires si l’adulte lui fait « un cadeau d’amour » dans la plus grande liberté et le plus grand respect.
5 Les premières histoires que l’on donne à entendre sont les enfantines, qui sont dites sur la peau du bébé, plaisir des mots chantés, murmurés, plaisir du toucher, du contact : « Que fait ma main ? Elle caresse, doux, doux, elle tape, aïe ! aïe ! » Puis viennent les comptines que l’on peut raconter longtemps, même quand l’enfant est grand : « Toi, toi, toi, moi, moi, moi, c’est toi, le petit roi… » Ces comptines que les enfants aiment redire dès qu’ils commencent à parler. Monde magique, cruel, qui dit les difficultés de la vie mais qui apprend aussi le corps et les choses :
7 Les contes de randonnées sont, bien sûr, les histoires favorites des petits : Boucle d’or, La chèvre et les sept biquets, Roule galette ou Les trois petits cochons sont des incontournables
9 Répéter, réentendre les même mots, les mêmes actions dans un sens ou dans l’autre, tricotés à l’endroit ou à l’envers ! Quelle jouissance ! Quelle puissance, l’enfant comprend petit à petit, s’en imprègne pour enfin se les approprier.
11 Les contes merveilleux qui permettent encore plus de nourrir l’imaginaire – « Il était une fois, quand les oiseaux avaient des dents, quand les animaux parlaient, quand les arbres chantaient, quand les pierres marchaient… », Hänsel et Gretel, mais aussi Le Petit Chaperon rouge, Le Petit Poucet, Blanche-Neige et les sept nains, Cendrillon ou La Petite Sirène sont des classiques. Ce sont les parents qui, les premiers, très souvent, les racontent à leurs enfants dès 2 ans. Ils font partie du patrimoine familial ; ce sont les histoires dont les parents se souviennent, parce qu’elles ont bercé leur enfance. Souvent aussi ils les connaissent à travers les films de Walt Disney, et ce sont « ces contes » qu’ils racontent le soir à leurs petits. Versions édulcorées certainement mais versions d’amour parce que transmises par les parents. Il est en nous une enfance que nous n’avons jamais oubliée, que nous n’oublierons jamais. Ces contes qui font peur puis rassurent invitent les enfants à partager un pays sans frontière où tout peut exister. Bon nombre d’albums pour l’enfance et la jeunesse peuvent être racontés sans le support du livre et des images, comme La Chasse à l’ours, Le Beau Ver dodu, Bébé, Les Trois brigands.
12 Il y a donc de quoi dire et dire encore pour ces petits princes et ces petites princesses, ce public de choix. Si le champ est vaste, la façon de s’y prendre est variée. Beaucoup de conteurs utilisent des accessoires… Mais raconter à voix nue, juste avec sa voix, son corps et ses regards, reste la façon la plus simple et la plus forte. Le conte n’a pas besoin de support ; il faut que le conteur soit présent, habité par son histoire, qu’il sache pourquoi et pour qui il la raconte, et qu’il ne se trompe pas d’envie. Le spectacle de contes pour les petits est à la mode, la demande est sans cesse croissante. Les conteurs doivent savoir qu’il est pertinent de raconter aux tout-petits. Faire plaisir, les émerveiller, les sidérer, ce n’est pas vraiment le propos, et les enfants sentent très vite si l’artiste est réellement là pour donner et partager. On exerce cet art avec son cœur, avec son corps, avec son histoire personnelle. C’est un voyage difficile pour aller à la rencontre de l’autre, d’autant plus difficile que les enfants sont très, très petits.
13 En réalité, si l’on ne parle pas de spectacle, il est offert à tous de raconter sans modération le jour, la nuit, chaque fois que l’enfant, qu’il soit gai ou triste, est là, mais surtout chaque fois que l’adulte est disponible pour le faire et en a envie… Tout le monde peut raconter : bibliothécaires, personnel de la petite enfance, animateurs, parents… Mais il faut expliquer, former pour pouvoir montrer que cela est possible et que l’on peut tranquillement raconter des histoires dans les lieux que fréquentent les tout-petits, y compris dans la sphère familiale. La transmission est alors la plus forte, la plus directe. Pendant deux ans, nous avons proposé, dans une bibliothèque, aux parents, de venir apprendre à raconter des histoires. Ce sont les mères qui sont venues, « moments volés aux soucis quotidiens », disaient-elles. L’idée était vraiment que les parents apprennent à raconter pour leurs enfants. Chaque séance proposait un temps d’écoute et de « racontage » d’histoires et un temps théorique autour des différents types de contes : comptines, randonnées, contes étiologiques, facétieux, merveilleux, ou une étude de plusieurs versions d’un même conte, dont la version populaire, avec en regard les livres pour se nourrir et pouvoir choisir en toute connaissance de cause. Le Conte populaire français, Les Contes de Grimm, 365 contes pour tous les âges, Les Contes russes, Enfantines nous ont accompagnés, mais aussi les contes de la collection « À petits petons », parus chez Didier jeunesse. Ce sont des contes dits par des conteurs avant d’être mis par écrit et en image dans un livre. Le Loup et la mésange, L’Ogre Babborcco ou Le Pou et la puce sont des histoires magnifiques, et c’est un véritable bonheur de pouvoir accéder au texte pour s’y référer et les raconter. Apprendre des histoires passe par l’oral, de l’oreille à la bouche, mais nous avons besoin des livres pour y revenir sans cesse. Ces moments sont joyeux et conviviaux, remplis d’émotion aussi quand les comptines, les histoires pour un temps oubliées ressurgissent du fond de la mémoire. Puis, c’est dans les familles, dans les maisons, que les histoires entendues circulent pour le bonheur de tous.
15 Les comptines, les contes tissent des liens directs entre l’enfant et l’adulte. Ce patrimoine oral est souvent oublié. Il est important et nécessaire de le faire entendre, de le faire redécouvrir à tous ceux qui sont près des enfants Pour les tout-petits, la proximité est nécessaire ; famille, lieux de la petite enfance, écoles maternelles, bibliothèques sont des endroits privilégiés pour écouter les histoires. Nous avons souvent oublié que l’oralité permet une transmission culturelle directe. Cela se passe bien plus facilement qu’avec le livre. Le livre a quelque chose de sacré, de difficile pour certains adultes, alors racontons des histoires et ne cessons jamais de le faire.
« Je n’ai pas eu de livres, mais je n’en garde pas le moindre regret, car j’ai eu mille fois mieux : une vieille fée-marraine sur les genoux de laquelle je m’installais au crépuscule devant la fenêtre (cette fenêtre sur le monde dont le souvenir me servira un jour à situer l’histoire de Flonflon et Musette) pour l’écouter me raconter, sans jamais se fatiguer de me les répéter, les contes de Grimm. Nous n’allumions la lumière qu’une fois la nuit tombée et la sorcière entièrement brûlée. Ces temps étaient des temps de pauvreté et pourtant au niveau de l’imaginaire, ils ne m’ont laissé aucun sentiment de privation. Bien au contraire, mes souvenirs d’alors, notamment les impressions que m’ont laissées les contes, sont des richesses inépuisables, des expériences fondatrices qu’on aimerait pouvoir offrir à son tour. »
Bibliographie
Ouvrages cités
- Helen Oxenbury, Michael Rosen, La Chasse à l’ours, Ouest-France.
- Nancy Van Laan et Marisabina Russo, Le Beau Ver dodu, Kaléidoscope.
- Fran Manushkin, Bébé, École des loisirs.
- Tomi Ungerer, Les Trois brigands, École des loisirs.
- Paul Delarue et Marie-Louise Tenèze, Le Conte populaire français, Maisonneuve et Larose.
- Alexandre Nicolaevitch Afanassiev, Les Contes russes, Maisonneuve et Larose.
- Muriel Bloch, 365 contes pour tous les âges, Gallimard.
- Jacob et Wilhelm Grimm, Contes, Flammarion.
- Marie Claire Bruley, Lya Tourn, Enfantines, École des loisirs.
- Muriel Bloch, Martine Bourre, Le Loup et la mésange, À petits petons, Didier Jeunesse.
- Muriel Bloch, Andrée Prigent, L’Ogre Babborco, À petits petons, Didier Jeunesse.
- Praline Gay-Para et Rémi Saillard, Le Pou et la puce, À petits petons, Didier Jeunesse.
- Elzbieta, L’Enfance l’art, Éditions du Rouergue.