Notes
-
[*]
Florence Méry, psychanalyste, Lyon, tél. 04 78 37 28 49.
-
[1]
Cette recherche concernant l’étude d’une collection particulière de faire-part (de 1962 à 1987) fut réalisée avec la collaboration de François Chapuis (gynécologue-accoucheur), Martine Paccoud (sage-femme) et Marie-Christine Souan (orthophoniste) et fut présentée lors du colloque de l’association Champs, Le Nom et la nomination, Érès, 1990 (épuisé).
Ils bavardent,
Ils bavardent les faire-part de naissance,
Ils bavardent à tort et à travers !
2 Et pourtant nous savons d’expérience à quel point nos bavardages d’enfant traitaient de choses éminemment plus sérieuses que celles imaginées par les adultes, nous permettant parfois de nous en sortir à bon compte : un petit arrangement avec la vie !
Alors écoutons-les !
4 Le rituel attaché à l’annonce de la naissance était un rituel qui ne nécessitait pas d’invention ou de créativité de la part des parents. Au contraire, les formulations traditionnelles à caractère officiel étaient de rigueur. Tradition oblige !
5 La formulation telle que Monsieur et Madame, ou Mr et Mme , en abrégé, suivi du seul prénom du père et de son patronyme est toujours d’actualité. La filiation est souvent inscrite :
Monsieur et Madame…
ont la joie de vous annoncer
la naissance de leur fils
David
Mr et Mme Jean-Claude…
ont la joie de vous annoncer
la naissance de leur fille
Anne-Laure
8 Parfois apparaît un rappel de la lignée maternelle avec le nom patronymique de la mère, Monsieur…et Madame… née…
Monsieur Pierre…
et Madame née Patricia…
ont la joie de vous faire part de la naissance de
Maud
10 Depuis quelques années, au Monsieur et Madame, quelque peu protocolaire, se substitue l’énoncé des seuls prénoms des parents,
Marie-Odile et Michel sont très heureux
de vous annoncer la venue au monde de
Grégorie
12
Pendant des générations, les parents ont annoncé la naissance de leurs enfants, et peu à peu, ils ont laissé à d’autres ce privilège. En effet, nous assistons à un effacement des parents, tendance profonde surtout quand la famille s’agrandit.
Les parents se désistent au profit des frères et sœurs, l’annonce est faite par l’aîné ou les aînés. Le nouvel enfant est présenté, prenant d’abord rang dans sa fratrie et non dans sa filiation :Béatrice et Christian…
laissent à Clément et Sophie
la joie de vous annoncer la naissance de
Charles
Rémi
Est heureux de vous annoncer
La naissance de sa petite sœur
Lise
14 Naître serait désormais une affaire de fratrie !
15 Si les parents se désistent quant à l’annonce de la naissance, ils maintiennent la joie, l’éprouvé de bonheur qu’ils prêtent, voire transfèrent, ipso facto, sur la fratrie. Cet éprouvé peut rejaillir sur les aînés qui, eux, ne peuvent se faire reconnaître frère ou sœur, c’est-à-dire perdre « joyeusement » leur statut d’enfant unique, qu’en se confrontant à la « morsure » de la jalousie, jalousie structurante qui, reconnue et traversée, autorise l’aîné(e) à être grand frère ou grande sœur avec désespoir et bonheur. Cela demande du temps, du temps pour questionner sa place et pouvoir de nouveau consentir à l’occuper au sein de sa fratrie.
16 Mais alors pourquoi la mise au monde d’un enfant ne peut-elle s’envisager pour toute la famille que sous d’heureux augures ? Cela viendrait-il faire écho à notre propre jalousie d’enfant, comme une remémoration à notre insu de nos « souhaits de mort » à l’endroit du nouveau venu, et de notre « haine » d’enfant en direction de nos parents ?
17 L’effacement parental est encore plus patent lorsqu’il n’est pas fait mention de ceux qui annoncent l’enfant.
Lucie
est née le Dimanche…
Catherine, Jean-Luc et Mélanie
19 Le patronyme ne s’écrit alors qu’avec l’adresse, masquant ainsi l’inscription des lignées paternelle et maternelle. Cela ne signifierait pas tant la difficulté de devenir un père et une mère que celle de se dégager de ses propres parents, dans ce passage consistant à n’être pas seulement le fils ou la fille de son père et de sa mère, mais à être un homme et une femme, devenant père et mère de ce nouvel enfant.
20 Les parents, dans cette nouvelle formulation où ne s’inscrit que leurs prénoms déliés de leur patronyme, viendraient peut-être signifier à leur manière que chacun pourrait être exempté de « la dette de vie ». Cette formulation signerait ainsi une confusion à propos de cette dette, qui n’est pas à l’endroit des géniteurs, mais concerne les générations à venir et consiste à instituer la vie par un dit entre les générations, relatif aux interdits fondateurs de l’humanité. Le rappel des lignées qui inscrivent le nouvel enfant dans l’espace et le temps d’une génération, la sienne (ce que nous entendrons avec force bruits à l’orée de l’adolescence), institue la succession des générations. Il est vrai que passer du statut de mari et de femme à celui de père et de mère nécessite du temps, le temps subjectif nécessaire à l’adoption du nouveau-né.
21 Cet effacement des parents devient total lorsque l’enfant se présente lui-même. Certains bébés s’annoncent, ils annoncent leur naissance, ils se nomment, ils présentent leurs parents. Ils actent leur nomination seuls, sans autre.
Je suis née le…
je pèse…
mes parents vont bien
je m’appelle
Julie
23 Qu’en est-il de la nomination en acte ? La formulation fréquemment inscrite : « Je m’appelle », suivie de la mention : « Je suis né » inverse l’acte de nomination et celui de la naissance, signant l’assujettissement du devenir de l’enfant au prénom choisi comme une destinée.
Je m’appelle Mathias,
Je suis né le 20 février 1980
25 Parfois deux destins sont mis en résonance :
Bonjour ! c’est Julie
J’ai une bonne nouvelle
Comme j’ai été bien sage
papa et maman m’ont offert
un petit frère.
Il est tout mignon et s’appelle
Benjamin
27 Si le nouveau bébé n’est au monde que comme récompense de la sagesse de l’aîné(e), alors subjectivement tous les événements heureux ou malheureux de la vie de ce frère risquent de n’être interprétés qu’à l’aune de la sagesse de sa sœur.
Papa et maman
ont croqué la pomme
ils ont eu un pépin
c’est moi
Bernard
leur petit trognon
29 Quand l’origine de la vie se confond avec le commencement de la vie, où naître comme pépin serait assigner l’enfant à n’être qu’un pépin, cela vient souligner qu’aucune désignation n’a valeur d’acte de nomination.
30 Le prénom est un signifiant, il ne réduit pas le sujet à un signifié. Il inscrit le petit d’homme dans sa singularité d’être, sous le vocable de son prénom. Myrtille, Prune ou Mirabelle ne sont en rien des fruits à croquer, même si dans le langage amoureux on se dévore des yeux et l’on croque la pomme. La pomme du jardin d’Éden !
31 De nos jours, les parents ajoutent à l’annonce d’une naissance les circonstances de la naissance :
Jérémy
est né
sur le siège arrière de la 4L
33 Le registre de la conception peut être révélé à ceux qui lisent le faire-part :
C’est moi
Justine
l’essai que mes parents ont réalisé
sans éprouvette ni seringue
je suis née le…
35 Sont évoquées les questions autour du désir d’enfant. Questions vraies qui ont traversé les parents face à ce désir d’enfant. Réponses, imaginaires ou pas, qui soulignent parfois le recours à la fécondation in vitro, signant ainsi une des réponses de notre société au désir d’enfant.
36 Certains faire-part s’éloignent encore d’avantage de la tradition. Ainsi, l’annonce ne porte plus sur la naissance de l’enfant mais sur son devenir inscrit dans un projet social. La naissance frappe l’imaginaire et engendre une certaine idée d’enfant : sa vie relationnelle, son avenir professionnel.
37 La créativité de nombreux faire-part évoque les projections parentales, nécessaires d’ailleurs et inhérentes au travail psychique de toute grossesse. Ces imaginaires à propos de l’enfant à naître gestent au cours de la grossesse, ils soutiennent la dynamique à l’œuvre dans la filiation, ils évoquent l’anticipation parentale.
Je m’appelle Cléo
bonjour papa
après une traversée de neuf mois
bienvenue
39 Parfois le faire-part s’adresse aux parents eux-mêmes. Il serait une reconstruction qui viendrait signifier, pour le dire avec D.W. Winnicott, qu’un « élan vital » est là en dehors des parents. Le bébé est porteur d’un élan vital propre à lui. Françoise Dolto parlait d’un désir d’enfant à naître et à vivre, ce que la clinique des nouveau-nés hospitalisés nous enseigne quotidiennement.
40 D’autres faire-part de naissance nous convoquent au mystère de l’origine. Une tentative pour mettre en mots et cerner l’énigme de l’origine de la vie, non celle du commencement de notre vie qui, lui, prend date le jour de notre naissance. Confronté aux souhaits de maîtriser la fécondité, l’Homme imagine que la vie se donne par sa seule omnipotence. Au risque de choquer, un enfant est toujours désiré du seul lieu du désir inconscient, désir de maternité, désir de paternité, parfois à l’insu d’un ou des parents. Homme et femme ignorent que lors de l’étreinte une vie se donnera. La place de chacun dans l’ordre des générations est questionnée à l’insu de tous.
41 Si tout prénom est déjà inscrit dans un roman familial, la présentation des noms, prénoms, leur ordonnancement ne sont ni fortuits ni un effet de mode : la place des « et » et des virgules n’est pas anodine. Grammaticalement, le « et » est une conjonction de coordination. Elle sert à marquer une liaison entre deux mots. À l’inverse, la virgule, « signe de ponctuation que l’on place pour séparer les membres d’une phrase et indiquer la plus légère pause », évoque la séparation. Alors le jeu des « et », des virgules et des retours à la ligne devrait à l’évidence traduire fidèlement les liens d’alliance et de filiation.
42 La virgule entre un prénom féminin et un prénom masculin devrait marquer la succession des générations, le « et » reliant un prénom masculin et un prénom féminin inscrirait, en toute logique, un signe d’alliance. Ce n’est pas toujours exact. Il faut parfois être un proche de la famille pour distinguer les liens d’alliance, de filiation et de fratrie, où la mère est séparée par une virgule de sa fille, elle-même conjointe à son père par le « et ».
Magali, Christine et George
ont la joie de vous faire part
de la naissance de leur petite
Amandine
44 Quelquefois, nous assistons à une véritable inversion dans l’ordre des générations : à l’insu des géniteurs, l’arbre de la généalogie est renversé lorsque dans l’annonce l’aîné ou la fratrie précèdent leurs géniteurs
Héloïse et ses parents
ont la joie de vous annoncer
la naissance de
Sylvain
46 Parfois seuls les arrière-grands-parents et grands-parents annoncent la naissance de leurs arrière-petit-fils et petit-fils, témoignant du vivant des ancêtres au prix de l’effacement des parents, l’inscription transgénérationnelle est ici prégnante.
47
Quant à l’iconographie, il est incontestable que le poids des dessins et le choc des mots ne sont jamais le fait d’un hasard. Ils portent en eux le sens de l’investissement passé et futur souhaité par les parents pour cet enfant-là. L’iconographie choisie par les parents sur les catalogues des imprimeurs reste toujours centrée sur un petit nombre d’archétypes, même si la facture des dessins se modernise et ce, malgré la profusion des illustrations proposées dans ces catalogues :
- la carte de visite blanche ou teintée reste d’actualité, son format s’agrandit ;
- les dessins représentants des bébés aux fesses nues, aux visages joufflus d’angelots bouclés, des scènes bucoliques symbolisant notre appartenance à la terre féconde sont nombreux ;
- signe des temps, le petit enfant avec son baluchon, seul sur son radeau au milieu de la mer ;
- le père est mis en scène dans son rôle protecteur de la mère et de l’enfant ;
- avec la disparition de l’inscription patronymique des parents apparaît la figuration du métier des géniteurs ;
- un grand nombre de dessins ou de photos de choux et de cigognes nécessite un commentaire, l’engendrement convie chacun des parents à la question de l’origine. Il les conduit à la réminiscence de leur question d’enfant en eux et à ce qui leur en reste comme élaborations sous la forme des fables de la naissance. Différentes en cela des théories sexuelles infantiles qui, elles, ont été refoulées.
Notes
-
[*]
Florence Méry, psychanalyste, Lyon, tél. 04 78 37 28 49.
-
[1]
Cette recherche concernant l’étude d’une collection particulière de faire-part (de 1962 à 1987) fut réalisée avec la collaboration de François Chapuis (gynécologue-accoucheur), Martine Paccoud (sage-femme) et Marie-Christine Souan (orthophoniste) et fut présentée lors du colloque de l’association Champs, Le Nom et la nomination, Érès, 1990 (épuisé).