Notes
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[1]
Le titre complet de la recherche est « Étude de l’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité des premiers apprentissages », que nous abrégeons dans cet article en LECP. La méthodologie de cette recherche est décrite dans Goigoux, Jarlégan & Piquée (2015). Le rapport est paru à l’adresse http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/lire-ecrire/rapport/rapport-lire-et-ecrire.
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[2]
Cf. Crinon, Espinosa, Gremmo, Jarlégan, Kreza & Leclaire-Halté (2015), et Leclaire-Halté, Gremmo, Kreza & Espinosa (2017).
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[3]
Dans la recherche LECP, la tonalité de la classe est déterminée par la moyenne des catégories socio-professionnelles des deux parents de tous les élèves.
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[4]
Nous gardons les numéros des classes de la recherche LECP.
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[5]
M correspond à la prise de parole de l’enseignant, E à celle d’un élève, EEE à celle de plusieurs élèves en même temps. Un / indique une pause dans la prise de parole. Les transcriptions ont été « nettoyées » pour en faciliter la lecture.
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[6]
Les images sont données en annexe.
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[7]
Le prénom des élèves a été remplacé par leur initiale.
1Le moment de la date est souvent considéré comme un rituel de l’école maternelle : « le rituel de la date », est une expression, comme le souligne Sophie Briquet-Duhazé (2015), qui est en effet très utilisée par les enseignants de maternelle. Ce moment faisant partie d’un rituel a, en particulier, fait l’objet d’articles de Laurence Garcion-Vautor (2003a, 2003b) et Anne Leclaire-Halté (2005). Qu’en est-il des pratiques à l’école élémentaire, et plus particulièrement au CP ? Maryvonne Vannier et Marie-Paule Merri ont fait une enquête (2015) sur les pratiques enseignantes en matière de rituels (ce terme, même s’il est associé à des pratiques différentes selon les enseignants, étant entendu au sens large d’activités récurrentes). Après avoir souligné qu’un certain nombre d’articles sont consacrés aux rituels à l’école maternelle et dans des institutions scolaires « d’exception » (enseignement spécialisé, classes préparatoires aux grandes écoles…), ces auteures s’interrogent sur les pratiques enseignantes à l’école élémentaire, au collège et au lycée, dans le cursus scolaire « ordinaire ». Elles ont ainsi recueilli les réponses de 316 enseignants, réponses qui révèlent qu’à l’école élémentaire, la date, avec l’exposé du programme de la journée, apparaît bien dans les activités proposées régulièrement aux élèves. Qu’en est-il, plus spécifiquement, au CP ?
2C’est en visionnant des films tournés dans des classes de CP que nous avons constaté que la date faisait l’objet d’une activité particulière dans un certain nombre de ces classes, et cela, quelle que soit l’académie dans laquelle se situait la classe. Le corpus que nous étudions ici est issu de la recherche Lire-Ecrire CP [1], dont l’objectif a été d’identifier les caractéristiques des pratiques de l’enseignement/apprentissage du lire-écrire au CP qui s’avèrent les plus efficaces et les plus équitables. Au cours d’une grande enquête effectuée entre 2013 et 2015, 131 classes de CP, réparties sur 16 académies, ont été observées pendant leurs séances de lecture et d’écriture, par plus de 140 observateurs, selon une grille d’observation définie par un ensemble de 60 chercheurs regroupant 13 laboratoires français de sciences de l’éducation ou de sciences du langage. Les séances de classe ont été également filmées. Le corpus vidéo ainsi rassemblé et mis à disposition des chercheurs et chercheuses du projet, se compose, pour chaque classe, des enregistrements des séances d’apprentissage de la lecture et de l’écriture pendant trois semaines, la première semaine (s1) en novembre 2013, la deuxième (s2) en mars 2014 et la troisième (s3) en mai 2014, ce qui permet ainsi une vision de l’évolution des pratiques enseignantes.
3Nous sommes membres du groupe qui s’est intéressé, dans le cadre de cette recherche LECP, aux pratiques d’explicitation mises en œuvre par les enseignants observés, à partir de l’hypothèse que l’explicitation joue un grand rôle dans la réussite des élèves, notamment dans celle des élèves en difficulté [2]. Ce groupe en est actuellement à une phase d’analyse qui a un double objectif : décrire de manière détaillée les conduites explicitantes enseignantes auprès des élèves qui en ont le plus besoin, et essayer de dégager des liens entre ces conduites explicitantes et la progression des élèves, telle que la recherche LECP l’a attestée. Ont été sélectionnées dix classes à tonalité fortement défavorisée, qu’elles soient ou non classées en zone d’éducation prioritaire [3]. Cinq d’entre elles ont été repérées par la recherche LECP comme plus favorables à la qualité des apprentissages des élèves que l’ensemble du groupe, et les cinq autres, à contrario, comme moins favorables.
4C’est lors des visionnements qu’il nous a paru intéressant de nous arrêter sur une dimension particulière de l’activité quotidienne d’une classe, à savoir l’explicitation de la date du jour. Certes, il faut tout d’abord rappeler que les enregistrements vidéos ont été réalisés pour recueillir les moments d’apprentissage de la lecture et de l’écriture et ne rendent compte que de 3 semaines d’activité scolaire : pour ces deux raisons, ils ne comportent pas tous des moments « date », et ce, de manière justifiée, puisque ce n’était pas la consigne donnée aux observateurs qui devaient aussi filmer les séances et qu’en outre, les activités liées au lire/écrire ne commençaient pas nécessairement en début de journée. Ce rappel est important : si pour certaines classes, il n’y a pas de moment date attesté par les vidéos recueillies pour LECP, cela ne signifie pas que ces classes n’ont jamais de moment date. Mais les vidéos témoignent également du fait que, dans certaines classes, on relève un travail spécifique autour de la date, et que certains enseignants mettent en place une activité régulière, qui peut même relever d’un rituel de début de journée. Nous avons également constaté que ce moment consacré à la date peut comporter des objectifs d’apprentissage qui vont au-delà du « repérage dans le temps », pour participer, comme d’autres moments, à d’autres apprentissages.
5Pour cet article, notre visée est essentiellement descriptive. Nous avons choisi de décrire les pratiques de cinq enseignants de classes à tonalité fortement défavorisée qui ont une activité « date » organisée comme un moment spécifique de la journée scolaire. Ci-dessous, voici deux tableaux, l’un présentant les cinq classes concernées et l’autre donnant les caractéristiques de leurs enseignants, tous expérimentés à la fois dans leur métier et dans leur enseignement au CP :
Tableau 1 : Caractéristiques des classes du corpus.
N° classe [4] | 50 | 61 | 79 | 94 | 110 |
---|---|---|---|---|---|
Éduc. prioritaire | oui | non | oui | oui | oui |
pourcentage d’élèves de milieu défavorisé | 90 % | 83 % | 84 % | 79 % | 100 % |
type cours | simple | simple | simple | simple | simple |
effectif CP | 24 | 23 | 23 | 24 | 20 |
Nb enseignant | 1 | 1 | 1 | 1 | 2 |
Rythme | 4,5 jours | 4 jours | 4 jours | 4 jours | 4 jours |
Dispositifs spécifiques | aucun | Maitre surnuméraire, CRI | CLIS, UPE2A | Maitre surnuméraire, assistants d’éducation, CLIN | Maitre surnuméraire |
Tableau 1 : Caractéristiques des classes du corpus.
Tableau 2 : Caractéristiques des enseignants concernés.
N° classe | 50 | 61 | 79 | 94 | 110 |
---|---|---|---|---|---|
Sexe | F | M | F | F | |
Age (2013) | 38 ans | 43 ans | 57 ans | 40 ans | 33 ans |
Niveau de diplôme | Bac + 5 | Bac + 3 | Bac + 2 | Bac + 3 | Bac + 3 |
Discipline du diplôme le plus élevé | lettres modernes + développement social | mathématiques | non mentionnée | allemand | non mentionnée |
Ancienneté dans le métier | 7 ans | 16 ans | 35 ans | 16 ans | 9 ans |
Ancienneté en CP | 5 ans | 6 ans | 20 ans | 10 ans | 5 ans |
Tableau 2 : Caractéristiques des enseignants concernés.
6Nous avons cherché à savoir si les programmes ministériels préconisent la mise en place d’un moment de la date au CP. Quel cadrage fournissent-ils pour les pratiques enseignantes que nous allons décrire ? Les enseignants que nous avons observés ayant tous plus de 7 ans d’ancienneté à l’époque des enregistrements, soit 2013, nous avons consulté les programmes officiels de 2002 et de 2008 pour le cycle 2 de l’école primaire. Dans aucun des deux ensembles, il n’est fait référence, pour le CP, à la mise en place d’un moment « date », mais les textes traitent de notions reliées, comme la question de l’espace-temps et de la temporalité. Les programmes de 2002 pointent une continuité avec l’école maternelle, pour préciser :
« Dans la continuité de l’exploration des diverses manifestations de la temporalité entamée en maternelle, les élèves accèdent à un usage raisonné des instruments leur permettant de structurer le temps et de mesurer les durées :
- explicitation de la programmation des activités scolaires pendant l’année, de l’emploi du temps hebdomadaire et quotidien ;
- présentation quotidienne des activités de la journée et bilan du travail effectué (par exemple, en faisant participer les élèves à la rédaction du cahier-journal) ;
- utilisation des horloges et du calendrier. »
8Ils classent alors le développement des compétences de repérage dans le temps dans les compétences mathématiques, en termes de grandeurs et mesures, avec notamment :
« - connaître les jours de la semaine et les mois de l’année et lire l’information apportée par un calendrier ;
- utiliser un calendrier, un sablier ou un chronomètre pour comparer ou déterminer des durées. »
10Les programmes de 2008 sont beaucoup moins précis : les mentions qui portent sur la question du temps sont faites au niveau de la rubrique « découverte du monde » et sont peu détaillées :
« Les élèves apprennent à repérer l’alternance jour-nuit, les semaines, les mois, les saisons. Ils utilisent des outils de repérage et de mesure du temps : le calendrier, l’horloge. »
12Ainsi, l’existence d’un moment de la date dans les classes observées, loin d’être une prescription officielle, relève en fait de l’initiative dont chaque enseignant dispose dans ses choix pédagogiques, initiative souvent issue de la tradition et des pratiques observées en formation initiale. Pour rendre compte des pratiques autour de la date telles que nous les avons observées dans les cinq classes concernées, nous examinerons, dans un premier temps, les caractéristiques de ce moment de la date, en nous demandant si le terme de rituel est adapté pour qualifier ce moment. Puis nous nous pencherons sur les différents apprentissages liés à cette activité dans la classe.
Le moment de la date : un rituel ?
13Le terme de « rituel » est souvent utilisé par les enseignants pour parler de certains moments récurrents dans l’emploi du temps, et le moment où l’on « fait la date » en fait partie. En témoignent les annotations des enquêteurs, qui devaient coder le type de tâche qu’ils observaient : certains ont noté « rituel » dans la colonne réservée à cet effet pour caractériser le moment de la date. En témoigne également cette transcription d’un échange, en semaine 1, dans la classe 79, au moment où l’on écrit le programme de la journée :
Extrait 1 (79-s1)
M [5]: et pendant ce temps-là on écrit l’emploi du temps/je vous écoute
E : lecture
M : on commence par la lecture ?
E : rituel
M : alors je l’écris comment rituels ?
E : (épèle le mot)
M : et un s parce qu’il y en a plusieurs de rituels/donc je mets un s/on fait la date/l’appel de la cantine/on fait les absents/donc tout ça ce sont les rituels/Donc on met un s pour montrer qu’il y en a plusieurs/de rituels
15L’élève qui est interrogé et l’enseignante utilisent un métalangage montrant que certaines activités régulières sont désignées en tant que « rituels » dans la classe et reconnus comme une activité structurante.
16Dans les classes du corpus, le moment de la date constitue-t-il effectivement un rituel ? Il s’agit de définir ce terme. En se référant à l’article de L. Garcion-Vautor (2003a) et à celui d’A. Leclaire-Halté (2005) qui s’est appuyée sur la réflexion de cette dernière, à l’école maternelle, on a affaire à un rituel scolaire de la date si :
- le moment de la date se répète au même moment de la journée, c’est-à-dire le matin à l’arrivée des élèves en classe, et constitue un de ces moments destinés à « assurer la séparation entre la maison et l’école, entre le jeu et le travail » (Garcion-Vautor, 2003a) ;
- ce moment instaure un ordre spatial spécifique, où le corps est contraint ;
- ce moment est celui d’une succession d’actions, et d’une succession de paroles attendues, tant de la part de l’élève/des élèves, que de l’enseignant, auxquelles on ne peut se soustraire.
17Cette définition, propre à des observations conduites à l’école maternelle, nous conduit à rendre compte, dans les classes du corpus, de ce moment, sur les points suivants : le moment et le lieu de la date (avec son inclusion ou pas dans une série d’activités ainsi que son évolution dans l’année — du moins ce que les films laissent voir de cette évolution), les actions et la parole de l’enseignante et des élèves.
Le lieu et le moment de la date
18Dans deux cas sur cinq, le moment de la date donne lieu à une disposition spatiale particulière : les élèves sont assis en regroupement sur des bancs dans un coin particulier de la classe, devant un panneau d’affichage (classe 110 – image [6] 1) ou devant un tableau blanc différent du grand tableau noir placé en situation frontale et utilisé à d’autres moments (classe 61 — images 2, 3 et 4). Une disposition spatiale rappelant une de celles qui existent en maternelle est ainsi privilégiée, au contraire des trois autres classes, les classes 50, 79 et 94, où on note une disposition plus traditionnelle des élèves, en rangées devant l’enseignante (images 5 et 6).
19Quand le moment de la date est filmé, il ouvre toujours la journée de classe, sauf en classe 50, où il intervient, en semaine 2, après une séance de piscine, en milieu de matinée (mais il s’agit du premier moment de la journée dans la salle de classe).
20Dans trois cas sur cinq, la date semble inscrite dans une succession répétitive d’activités : elle est suivie, tout au long de l’année, de la météo et d’une phrase du jour dans la classe 50, du mot du jour et d’un moment consacré à la poésie/récitation dans la classe 110. Enfin, dans la classe 79, la date est accompagnée de l’appel des élèves et de la présentation du programme du jour. La classe 61 présente un cas un peu différent : si le moment de la date revient régulièrement pour ouvrir la journée, il n’est pas suivi par une autre activité et l’enseignant indique qu’une fois le repérage du jour de l’année effectué, la journée de travail peut commencer. Il lance tout de suite une autre activité, comme l’indiquent ces diverses prises de parole qui clôturent le moment de la date :
Extrait 2 (61-s1)
M : très bien allez on s’arrête/la date est mise/qui se rappelle le son qu’on a commencé à étudier vendredi ?
Extrait 3 (61-s2)
M : parfait/on a mis la date/on sait où on en est/tout va bien
Extrait 4 (61-s3)
M : maintenant on va avoir besoin de se mettre au travail
22Pour les classes 50 et 79, il est difficile d’évaluer si le moment de la date est fait de manière régulière tout au long de l’année ou pas. Ce moment semble être un rituel, mais n’est pas attesté dans l’ensemble des captages vidéo. Quant à la classe 94, l’enseignante énonce clairement que la date ne constitue pas un moment régulier de début de classe, puisqu’elle inaugure le seul moment de date attesté par la phrase : « ça fait un petit moment que nous n’avons pas fait la date » (s1). Enfin, dans les deux classes pour lesquelles on a le plus de transcriptions de moments de la date, les classes 61 et 110, ce moment ne semble guère évoluer (se référer, par exemple, pour la classe 61, aux images 2 à 4).
Le matériel utilisé
23Dans les cinq classes, le moment de date se fait autour d’un matériel dédié qui contribue à la ritualisation : ce sont des étiquettes mobiles comportant des chiffres, le nom de jours, celui des mois (images 2, 7, 8 et 9). On peut également remarquer que l’enseignante de la classe 79 utilise le tableau blanc interactif (image 10).
24Il existe aussi des objets plus spécifiques, comme, dans les classes 50 et 79 (images 11 et 12), une roue comportant le nom des jours et équipée d’une flèche comportant le mot « aujourd’hui », ou, dans la classe 94, un système de fiches à tirettes, qui rappelle un calendrier perpétuel et permet de sélectionner la date concernée (image 13). Tous ces objets sont créés par les enseignants et participent des affichages de la classe. Dans les classes 79 et 110, tous les éléments des jours et des mois déjà passés restent également affichés, avec des modalités parfois complexes de guirlandes et de collages (images 8 et 9).
25Pour conclure, l’activité semble revenir de façon très régulière en début de journée dans les classes 50, 79 et 110 en étant incluse dans une série d’autres activités très régulières. En classe 61, elle se déroule très régulièrement aussi, mais sans être liée à d’autres qui viendraient de façon tout aussi régulière. Ces quatre classes utilisent toutes un matériel spécifique très présent dans les affichages. Pour elles, on peut donc parler de rituel de la date. Seule la classe 94 déroge à cette régularité : certes, l’enseignante consacre certains moments à la date, mais ces moments n’interviennent pas de façon régulière le matin, ne sont ni intégrés à d’autres activités du même ordre ni liés à une disposition spatiale particulière des élèves. Cependant, l’enseignante de la classe 94, si elle ne met pas en place un rituel proprement dit, focalise néanmoins l’attention des élèves sur l’importance de la date, puisqu’elle aussi met en place un affichage spécifique permanent et très visible de celle-ci (image 14).
Les actions de l’enseignante et des élèves
26Dans les classes 61 et 110, les moments de date sont dirigés, dans tous les moments attestés, par l’enseignant, qui est le seul à manipuler les artefacts scolaires correspondants. Ainsi dans la classe 61, c’est le maitre, généralement, qui colle et décolle les étiquettes concernées, à la suite des indications fournies par les élèves selon le questionnement très ritualisé qu’il dirige, et ce pendant toute l’année.
Extrait 5 (61-s1)
M : quel jour sommes-nous aujourd’hui/B. [7]
E : lundi
M : d’accord
M : nous sommes lundi très bien/nous sommes lundi combien aujourd’hui ? C. ?
E : 18
M : lundi 18 très bien
28C’est aussi le cas des moments filmés dans la classe 94. Par contre, dans les classes 50 et 79, les enseignantes délèguent petit à petit la réalisation de ce moment aux élèves : dans la classe 79, dès la semaine 1, c’est un élève qui vient compléter, à partir d’une structure projetée sur le TBI, les phrases de l’activité (image 5), et l’enseignante, si elle vérifie l’exactitude du travail, en demande, mais pas toujours systématiquement une formulation orale :
Extrait 6 (79-s3) :
M : E. tu viens nous lire la date du tableau puisque c’est toi qui l’as faite
30Dans la classe 50, cette prise en charge des élèves se fait progressivement : en semaine 1, c’est l’enseignante qui dirige l’interaction qui concerne l’ensemble du groupe classe, inscrit les éléments au tableau, puis à partir de la semaine 2, ce sont plusieurs élèves, désignés à l’avance, qui viennent effectuer les différentes tâches de ce moment (inscrire la date, dessiner le schéma de météo, etc.), et formulent oralement les éléments demandés, le reste de la classe s’activant à d’autres activités du début de journée (inscrire la date dans son cahier, par ex.) (images 5, 16 et 17).
31Là encore, les actions, qu’elles soient le fait de l’enseignant ou des élèves, témoignent d’une ritualisation de l’activité.
Le discours de l’enseignante et des élèves
32L’objectif des enseignants, pour cette activité, est d’abord de faire énoncer la date du jour en entier. Dans les classes 61 et 110, les échanges se déroulent entre l’enseignant et le groupe-classe. Le questionnement de l’enseignant, dans les deux classes, est très stéréotypé : « aujourd’hui nous sommes ? », « quel jour sommes-nous ? », « aujourd’hui nous sommes quel jour ? », « qui nous lit la date en entier ? ». Cette dernière question est ainsi systématiquement posée par l’enseignant de la classe 61 tout au long de l’année. Dans la classe 50, ce schéma prend place uniquement en s1, et pendant les autres semaines, l’enseignant n’interagit plus qu’avec l’élève chargé de venir écrire la date au tableau, de façon ritualisée également.
33Dans trois classes, les classes 50, 61 et 110, les élèves se livrent à divers calculs : l’enseignant leur demande de calculer la date de la veille, de l’avant-veille, du lendemain, du surlendemain. Enfin, l’enseignant de la classe 61, sans doute celui qui suit le plus un même schéma, revient toujours sur le fait qu’on ne change pas de mois lors des séances filmées (pour changer de mois, il faut arriver au 30 ou 31). Et, à partir de la semaine 2, il fait réciter systématiquement par un élève les listes des jours de la semaine, des mois et/ou des saisons.
34Quelques variations interviennent : le jour du printemps donne l’occasion d’une digression sur cette saison, l’anniversaire d’une élève de la classe est mentionné, l’enseignant demande l’explicitation du raisonnement qui a conduit un élève à indiquer la date du jour.
35La parole des élèves est également contrainte : soit certains d’entre eux sont désignés nominalement pour « faire la date » (classes 50 et 79), soit le groupe-classe est interrogé collectivement (classes 61 et 110). Parfois enfin, les élèves montrent leur intégration du rituel, comme l’indiquent ces deux extraits :
Extrait 7 (61-s3)
E : on ne change pas de mois
M : pourquoi on ne change pas ?
E : on ne change pas de mois avant le 31
M : on ne change pas de mois avant d’être arrivé au 31/très bien
37L’élève marque son adhésion au rituel en énonçant de lui-même la remarque « On ne change pas de mois », formule faisant partie du questionnement ritualisé mis en place par l’enseignant.
Extrait 8 (61-s3)
E : est-ce qu’on peut redire les mois de l’année ?
M : non on va pas les redire/parce qu’on a besoin d’un petit peu de temps pour faire l’activité que l’on va faire maintenant qui est assez longue
39Dans ce second extrait, la demande de l’élève de dire la liste des mois prouve à la fois l’intégration du rituel et le plaisir à s’y soumettre.
40En conclusion, si la date ne fait pas l’objet d’un rituel en classe 94 (ce qui n’empêche pas que certains moments de classe lui sont consacrés), c’est le cas pour les quatre autres classes, même si elles présentent des différences entre elles. Dans ces quatre classes en effet, le moment de la date intervient le matin à l’arrivée des élèves, et assure ainsi une transition entre les univers extra et intra-scolaires. Si ce moment ne s’y déroule pas toujours selon un dispositif spatial particulier, les paroles et les actions y sont répétitives, et le fait qu’il soit maintenu tout au long de l’année le rend sans doute rassurant pour les élèves. On peut donc dire que l’entrée dans le métier d’élève, un des objectifs des enseignants de maternelle, est ainsi aussi celui des enseignants des classes de CP observées Mais on peut également observer d’autres objectifs, plus liés à des apprentissages disciplinaires, dans ces moments consacrés à la date.
Le moment de la date : pour quels apprentissages ?
41L. Garcion-Vautor (2003b) écrit, dans son introduction : « L’objet du présent article est de montrer comment, à l’école maternelle française, les enseignants mettent en place des cadres de fonctionnements collectifs, définissent une orientation commune et co-construisent un milieu avec les élèves, afin de les familiariser aux concepts de temps, de nombre, et à l’entrée dans l’écrit qu’ils étudieront plus tard à la grande école » (2003b : 235). Qu’en est-il quand les élèves sont à l’école élémentaire ? Dans les moments de date attestés dans les cinq classes, le travail porte sur différentes zones des apprentissages scolaires : outre un travail autour de la compréhension du temps et de sa formalisation, ce qui semble le plus logique, l’enseignant focalise parfois l’attention des élèves sur des éléments du lire/écrire, ou sur des éléments linguistiques comme du lexique ou même des points de grammaire. Sont également abordés des points autour de la connaissance des nombres. On retrouve donc là les préoccupations des enseignants de maternelle dans ce moment de la date. Parfois aussi, des liens sont établis avec la connaissance du monde. Enfin, la vision longitudinale que les enregistrements permettent montre que dans certaines classes, l’enseignant semble aussi viser le développement de l’autonomie de ses élèves, en leur déléguant progressivement la prise en charge de tout ou partie de ce moment.
La compréhension du temps et de sa formalisation socioculturelle
42Dans l’apprentissage de la compréhension du temps, le travail des enseignants va au-delà de la « simple » formulation orale de la date, et cherche à ce que leurs élèves comprennent l’organisation sociale du temps, d’où l’insistance qu’on trouve dans les 5 classes à faire formuler non seulement la date du jour, mais à la situer par rapport aux jours passés et futurs, ce qui leur permet également de travailler sur l’organisation scolaire entre « jours d’école » et « jours où on ne va pas à l’école », voire l’organisation de l’année, comme le fait l’enseignant de la classe 61, à la suite de la question d’un élève :
Extrait 9 (61-s3) :
E : Maitre je veux juste te poser une question/c’est quand qu’on va aller au CE1
M : vous irez au CE1 quand on sera au mois de
EEE septembre […]
M : d’abord il faut qu’on finisse le CP/pour finir le CP il faut qu’on passe donc le mois de mai/mais aussi le mois de
M + EEE : juin
M : ensuite ce seront les grandes vacances qui dureront deux mois/qui sait quels seront les mois des grandes vacances/
E : juillet août
M : juillet et août/donc mai on va à l’école on est au CP/au mois de juin on sera encore en CP/ensuite ce sont les grandes vacances en juillet et en août/et ensuite quand tu reviendras à l’école/ce sera le mois de septembre comme on l’a dit tout à l’heure
E : ce sera la rentrée
M : et ce sera le moment de rentrer en CE1
E : maitre ce sera la rentrée des classes
M : ce sera la rentrée des classes/la rentrée de CE1 pour vous
44Dans la classe 79, l’enseignante justifie la formalisation des mois par des chiffres :
Extrait 10 (79-s1)
M : on répète les mois pour voir si c’est bien le onzième/alors qui connait le premier mois de l’année/ils sont là hein les mois de septembre et octobre ils sont déjà passés/et le onzième c’est le mois de novembre/voilà pourquoi on écrit onze.
46Dans la classe 94, l’enseignante présente aussi la formalisation avec des chiffres, qu’elle nomme « la mini-date » et à laquelle elle donne une forme spécifique :
Extrait 11 (94-s2)
M : bien/qui pourrait me donner la mini date d’aujourd’hui
E : le 20 petit point/03 petit point/2014
M : merci/le jour le mois l’année/nous avons tout.
Extrait 12 (94-s3)
M : est-ce que dans la mini-date on écrit le jour en entier ?
EEE : non
M : on a dit que c’est trop long à écrire/la mini-date est plus facile
48Dans les films, nous avons trouvé très peu d’exemples d’un travail sur la formalisation de la date par des chiffres, sans doute acquise par les élèves avant la première semaine d’observation. Mais les travaux d’élèves recueillis dans la recherche LECP témoignent que cette formalisation est utilisée de manière courante dans toutes les classes.
Une occasion pour étudier le système de la langue
49Le moment de la date est un moment de langage, tant oral qu’écrit : il permet donc à l’enseignant de disposer d’un temps, certes court, d’apprentissage de la lecture et de l’écriture :
Extrait 13 (94-s1)
M : est-ce que tu peux nous refaire la date s’il te plait/hier
E : hier nous étions lundi
M : chut/regarde bien la première lettre
E : jeudi
M : jeudi
Extrait 14 (79-s2)
M : donc c’est le printemps à partir d’aujourd’hui/alors je vous l’écris au tableau/tiens comment on va l’écrire printemps il y a des mots que vous savez écrire dans printemps des lettres
E : p/r/e/n
M : ça vous ne l’avez pas encore appris donc je vous l’écris in
E : i/n
M : prin
E : t/e/m/p/temps
M : t/e/m/p s/à la fin il y a deux lettres muettes
Extrait 15 (61-s1)
M : M : qui s’il vous plait peut nous lire la date en entier la date entière ? A. vas-y
E : lundi/18 / novembre
M : lundi 18 novembre c’est ça
51Ensuite, il permet aussi des temps d’apprentissage de l’écriture, d’abord en fournissant des modèles : ainsi, dans les classes 50 (image 11) et 110 (image 18), les étiquettes comportent les mots écrits sous plusieurs formes (script, cursive, majuscules), puis en fournissant des occasions d’écrire : dans les classes 50 et 79, à partir de la semaine 2, ce sont des élèves qui écrivent les dates au tableau (images 15 et 16).
52D’autre part, ce moment fournit des occasions de faire réfléchir sur l’étude de la langue. Dans toutes les classes, les enseignants reprennent les élèves qui ne formulent pas de phrases complètes dès la semaine 1 :
Extrait 16 (61-s1)
M : avant-hier samedi/il ne manque pas un petit bout de la phrase ? Avant-hier NOUS
E : nous étions samedi 16 novembre 2013
Extrait 17 (110-s1)
M : demain nous serons quel jour ? S.
E : mercredi
M : on fait une phrase/demain nous serons
E : demain nous serons mercredi
54Ils y glissent également des remarques sur le système des temps grammaticaux :
Extrait 18 (50-s1)
E : après demain nous éti/nous serons
M : nous serons très bien pourquoi nous serons ?
E : parce que c’est pas aujourd’hui
M : bien/aujourd’hui c’est/nous sommes/pourquoi on dit nous serons ?
E : parce que c’est pas passé encore
M : c’est pas encore passé/c’est pas encore arrivé/très bien
56Enfin, les films attestent de quelques moments de travail lexical, notamment autour du lexique du temps :
Extrait 19 (110-s1)
M : et demain nous serons quel jour R. ?/alors demain c’est le jour qui vient
Extrait 20 (50-s2)
M : comment on appelle les deux jours qui sont passés N. ?
E : samedi et dimanche
M : ben alors comment on les appelle quand on les regroupe ensemble/il y a une expression hein/on dit qu’on est en ?
E : weekend
M : en weekend merci I./on dit qu’on est en weekend/d’accord ?
Des rappels pour la connaissance des nombres
58Le moment de la date demande aussi aux élèves de pratiquer leur connaissance des nombres. Cela touche parfois la numération, lorsqu’ils doivent lire les nombres à voix haute, et plus régulièrement, la dimension ordinale de la suite des nombres lorsqu’ils doivent donner le nombre correspondant au jour en tenant compte des jours passés. C’est donc un moment qui permet à l’enseignant un retour sur des compétences qui peuvent être encore fragiles chez certains élèves, notamment en semaine 1 :
Extrait 21 (94-s1)
E : deux/un
M : alors deux un apparemment les autres ne sont pas d’accord est-ce que tu pourrais regarder si tu trouves ce nombre/là
E :…
M : il n’y a que celui-là nous on prend les deux d’un coup// eh eh moi je vois les deux ensemble dans la même case/vas-y regarde bien/sois précis/alors S. est-ce que tu peux nous dire combien ça fait
E : vingt/vingt et un
Extrait 22 (50-s1)
M : Alors, si on est le 19 mercredi/ça veut dire que mardi nous sommes le 18/or il y a un petit souci lundi 18 et mardi 18/est-ce que c’est possible ?
E : non
Extrait 23 (50-s2)
M : et comment tu sais qu’on est le 17 mars ? si tu avances à partir du vendredi 14/on compte
E : 14
M : vas-y continue
E : 14 15 16 17
M : on est le combien aujourd’hui ?
E : 17
M : le 17/toujours compter les jours qui manquent/d’accord ?
Des liens avec la découverte du monde
60Comme déjà mentionné plus haut, le jour du passage au printemps, lors de la semaine 2, incite trois des cinq enseignants observés à faire un lien avec le monde extérieur. Les enseignants des classes 50 et 61 font expliciter quelques caractéristiques de la saison qui commence :
Extrait 24 (50-s2)
M : et qu’est-ce qui se passe au printemps
E : il fait beau
M : il fait de plus en plus beau/les mauvais jours sont derrière nous/enfin les jours les plus froids/maintenant on aborde les jours les plus doux/les plus ensoleillés
Extrait 25 (61-s3)
M : alors à quoi est-ce qu’on reconnait que l’on est quand même au printemps
E : parce qu’il y a des fleurs qui poussent/et qu’il y a des feuilles dans les arbres
M : des feuilles dans les arbres/des fleurs qui poussent
Le développement de l’autonomie de l’élève
62Par développement de l’autonomie des élèves, nous entendons le développement d’une capacité chez l’élève à prendre totalement en charge, de manière pertinente, la réalisation de tâches sans l’aide de l’enseignant (Gremmo, 2007). Au-delà d’un temps de révision des différents apprentissages disciplinaires que nous venons de décrire, il apparait que le moment de la date est aussi un moment dont l’enseignant peut se saisir pour permettre aux élèves de participer de manière à la fois individuelle et responsable à la vie de la classe. Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, les enseignants des classes 50 et 79 délèguent, plus ou moins progressivement, la réalisation des écritures liées à ce « moment date » à des élèves. Dans les deux classes, ce sont des tâches à responsabilité et les noms des élèves désignés sont inscrits sur la liste de tâches hebdomadaires de la classe, comme l’indique à contrario cet extrait :
Extrait 26 (79-s1) :
M : j’affiche la date/c’est Y. et S./alors S. n’est pas là/et Y. n’est pas là/alors vous allez me dire tous/ce que je dois faire je vous écoute
64Il est d’ailleurs à noter que pour l’enseignante de cette classe 79, la liste des tâches est intitulée « métiers » (image 20), une marque supplémentaire de la volonté de développer la prise de responsabilité de ses élèves en inscrivant les tâches dans des modalités « adultes ».
65Dans la classe 50, comme nous l’avons vu, la prise en charge des élèves est effective à partir de la semaine 2. Le moment de la date est alors découpé en différentes tâches (inscrire la date en toutes lettres, l’inscrire en chiffres, faire tourner la roue des jours, dessiner le schéma de météo, etc.) (image 17). La dévolution de ce moment aux élèves responsables concerne également les prises de parole qui concernent l’oralisation des écrits, car l’enseignant laisse également à l’élève la responsabilité de juger du moment où il a effectué la tâche :
Extrait 27 (50-s3) :
M : tu es prêt ? quand tu es prêt tu peux y aller
67Le comportement que ces deux enseignantes adoptent lors de ces phases renforce également la dévolution de la responsabilité aux élèves : elles s’occupent toutes deux à d’autres tâches, comme relever le nom des absents (classe 79) ou inscrire le programme du jour (classe 50). Chaque membre de la classe, enseignante comprise, s’activant à des tâches prédéfinies, le moment de la date devient alors le moment scolaire où le collectif se met en marche, par la réalisation d’activités autonomes complémentaires les unes aux autres.
68Ainsi, le moment de la date est utilisé, par les enseignantes des classes 50 et 79, dans un objectif d’autonomisation des élèves. Autonomisation d’abord dans la situation scolaire : les enseignantes leur confient des tâches qu’au début de l’année, elles effectuaient elles-mêmes. Ces deux enseignantes marquent d’ailleurs de la même manière leur conviction que les élèves ont bien acquis la capacité de remplir ces tâches : dans les deux cas, elles s’occupent à une autre tâche enseignante (afficher le programme de la journée pour 50, écrire les devoirs pour 79) pendant que l’élève désigné réalise la sienne. Autonomisation de l’apprenant ensuite : c’est à l’élève de dire quand il pense avoir effectué la tâche de manière pertinente. Autonomisation langagière enfin, la plus importante pour les apprentissages spécifiques au CP : les élèves prennent en charge l’écriture de la date, un élément d’information qui va servir à toute la classe.
69Le cas de la classe 61 nous semble relever également d’une volonté de développement de l’autonomie langagière des élèves. Dans cette classe, alors que le moment de la date relève d’une structure très ritualisée toujours dirigée par l’enseignant face au groupe classe, l’enseignant prend en compte dès la semaine 1 les prises de parole spontanées de ses élèves :
Extrait 28 (61-s1)
M : le combien sommes-nous ? ?
E1 : le 22
M : d’accord
E : et encore on est pas arrivé à la fin du mois
E : on change pas de mois tant qu’on est pas arrivé jusqu’au 30
M : le tout c’est de le savoir/c’est ça le plus important
E : mais on commence un peu à se rapprocher
M : d’accord/qui nous lit la date entière s’il vous plait ? S.
Extrait 29 (61-s2) :
M : nous sommes mardi combien ? W.
E : 18
M : mardi 18
E : encore deux jours et après c’est le printemps
M : vas-y A./répète ce que tu viens de dire que tout le monde entende
E : il reste que deux jours avant le printemps
M : il reste deux jours avant le printemps
Extrait 30 (61-s3) :
M : nous sommes lundi combien/S. ?
E : 19
M : 19 très bien
E : et demain on va lire des histoires
M : et demain on va lire des histoires aux petits/ça c’est vrai
E : on ne change pas de mois
M : pourquoi on ne change pas de mois
E : on ne change pas de mois avant le 31
M : on ne change pas de mois avant d’être arrivé au 31/très bien d’accord/qui nous lit la date entièrement ?
71Ce que nous constatons alors, c’est que ces prises de parole concernent toujours la thématique du moment date : l’autonomie que l’enseignant a amené ses élèves à développer pour cette activité permet à ceux-ci de savoir de quel degré de liberté thématique ils disposent pour s’y intégrer.
Conclusion
72L’analyse des programmes a permis de montrer que la mise en place d’un moment date au début de la journée scolaire relève beaucoup plus de l’initiative de l’enseignant que d’une prescription ministérielle. Qu’est-ce qui fait la spécificité de ce moment, dans cette classe de CP qui ouvre le cycle 2 et intervient tout de suite après la GS de maternelle, où « faire la date » est une pratique courante ? Pour les enseignants que nous avons observés, il apparait que, plus qu’un moment de découverte des apprentissages, contrairement à ce qui se passe en maternelle (Garcion-Vautor, 2003b), le moment de la date sert avant tout comme moment de consolidation des apprentissages, sans que l’enseignant ne focalise trop son attention sur les lacunes des élèves quand elles se révèlent : il est organisé principalement comme un rituel de début de classe. D’un autre côté, il nous semble que, dans les cinq classes que nous avons observées, ce moment fonctionne toujours dans un cadre totalement scolaire, les rappels à la vie extérieure étant liés à la situation scolaire, et nous n’avons constaté qu’un seul exemple de marque affective personnelle, pour l’anniversaire d’un élève. Le « moment date » est donc un moment d’approche « scolaire » de la temporalité, et les liens qui sont faits permettent aux élèves de passer du concret du temps vécu à l’abstrait du temps social formalisé : il est mis en place comme un moment de transition entre la maison et l’école par l’activation régulière d’un rituel qui permet aux enfants d’entrer dans leur rôle d’élève. Pour cela, certains enseignants des classes observées mettent l’accent sur la reconstitution journalière du collectif classe par un rituel très structuré auquel les élèves prennent part avec plaisir, d’autres enseignants privilégient la prise en charge progressivement individuelle et autonome de tâches présentées comme participant à la connaissance et au bon fonctionnement du groupe classe. Même si les cinq enseignants observés, ainsi qu’en témoigne la vision longitudinale qu’a permise la recherche LECP, ont des pratiques très variées, le moment de la date leur sert à placer les élèves dans la situation scolaire, à en expliciter les conditions, à les y faire participer en leur fournissant des rôles d’agents, mais aussi à établir un climat rassurant, parce que les élèves savent à quoi s’attendre et peuvent faire état de leurs acquis, avant d’être confrontés à des apprentissages plus complexes et plus intenses.
73Si le travail présenté ici avait une visée essentiellement descriptive, il fait émerger un certain nombre de questions qui mériteraient d’être traitées de façon fine, avec un corpus plus approprié. Comment ce moment de la date est-il mis en place (ce qui impliquerait de filmer la ou les première(s) semaine(s) de classe) ? Est-il mené de la même façon qu’en maternelle (Leclaire-Halté, 2005) ? Quelles sont les modalités d’évolution du moment de la date tout au long de l’année ? Une dernière question est issue de notre constat que les 5 classes présentées ici étaient toutes classées comme plutôt efficaces par la recherche LECP : le choix par l’enseignant de CP de mettre en place un rituel autour de la date du jour est-il un facteur parmi ceux qui jouent dans la qualité des apprentissages de la lecture et de l’écriture ?
Annexe
Image 1 : 110-s2
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Image 2 : 61-s1
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Image 3 : 61-s2
Image 3 : 61-s2
Image 4 : 61-s3
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Image 5 : 50-s1
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Image 6 : 94-s1
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Image 7 : 50-s1
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Image 8 : 79-s2
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Image 9 : 110-s2
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Image 10 : 79-s2
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Image 11 : 50-s1
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Image 12 : 79-s1
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Image 13 : 94-s1
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Image 14 : 94-s1
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Image 15 : 79-s2
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Image 16 : 50-s2
Image 16 : 50-s2
Image 17 : 50-s3
Image 17 : 50-s3
Image 18 : 110-s1
Image 18 : 110-s1
image 19 : 79-s2
image 19 : 79-s2
Image 20 : 79-s1
Image 20 : 79-s1
Bibliographie
Bibliographie
- Briquet-Duhazé S. (2015) « Définir les rituels à l’école maternelle : un paradoxe institutionnel, pédagogique et scientifique » – Recherches en Éducation HS 8 (27-38).
- Crinon J., Espinosa N., Gremmo M.-J., Jarlégan A., Kreza M. & Leclaire-Halté A. (2015) « Clarté cognitive et apprentissage du lire-écrire au CP : quelles pratiques enseignantes ? » – Pratiques [En ligne] 165-166. DOI : 10.4000/pratiques.2586
- Garcion-Vautor L. (2003a) « L’entrée dans l’étude à l’école maternelle. Le rôle des rituels du matin » – Ethnologie Française XXXIII, 1 (141-147).
- Garcion-Vautor L (2003b) « Analyse didactique d’une situation d’apprentissage particulière à l’école maternelle française : les rituels du matin » – Schweizerische Zeitschrift für Bildungswissenschaften 25 (235-250).
- Leclaire-Halté A. (2005) « Pourquoi Denzel parle-t-il si peu ? Analyse d’une séquence ordinaire : la date en GS de Maternelle » – in : J.-F. Halté et M. Rispail (éds.) L’oral dans la classe. Compétences, enseignement, activités (191-204). Paris : L’Harmattan.
- Goigoux R., Jarlégan A. & Piquée C. (2015) « Évaluer l’influence des pratiques d’enseignement du lire-écrire sur les apprentissages des élèves : enjeux et choix méthodologiques » – Recherches en Didactiques 19 (33-52).
- Gremmo M.-J. (2007) « La médiation formative dans l’autoformation institutionnelle : de la galaxie au paradigme » – in : É. Prairat (coord.) La médiation. Explorations, usages, figures (65-77). Nancy : PU de Nancy.
- Leclaire-Halté A., Gremmo M.-J., Kreza M. & Espinosa N. (2017) « De la complexité du repérage des conduites d’explicitation dans les pratiques enseignantes de la lecture-écriture au CP » – Repères [En ligne] 55. DOI : 10.4000/reperes.1169
- Vannier M.-P. & Merri M. (2015) « A quoi pensent les enseignants quand on leur parle de rituels ? » – Recherches en Éducation HS 8 (14-26).
- Programmes de l’école élémentaire 2002 – B.O. Hors série 1 du 14 février 2002 http://www.education.gouv.fr/bo/2002/hs1/default.htm,
- Programmes du CP 2008 – B.O. Hors série 3 du 19 juin 2008 http://www.education.gouv.fr/bo/2008/hs3/programme_CP_CE1.htm
Mots-clés éditeurs : apprentissage de l’écriture, CP, autonomie de l’élève, rituel, date
Mise en ligne 13/02/2020
https://doi.org/10.3917/spir.hs3.0003Notes
-
[1]
Le titre complet de la recherche est « Étude de l’influence des pratiques d’enseignement de la lecture et de l’écriture sur la qualité des premiers apprentissages », que nous abrégeons dans cet article en LECP. La méthodologie de cette recherche est décrite dans Goigoux, Jarlégan & Piquée (2015). Le rapport est paru à l’adresse http://ife.ens-lyon.fr/ife/recherche/lire-ecrire/rapport/rapport-lire-et-ecrire.
-
[2]
Cf. Crinon, Espinosa, Gremmo, Jarlégan, Kreza & Leclaire-Halté (2015), et Leclaire-Halté, Gremmo, Kreza & Espinosa (2017).
-
[3]
Dans la recherche LECP, la tonalité de la classe est déterminée par la moyenne des catégories socio-professionnelles des deux parents de tous les élèves.
-
[4]
Nous gardons les numéros des classes de la recherche LECP.
-
[5]
M correspond à la prise de parole de l’enseignant, E à celle d’un élève, EEE à celle de plusieurs élèves en même temps. Un / indique une pause dans la prise de parole. Les transcriptions ont été « nettoyées » pour en faciliter la lecture.
-
[6]
Les images sont données en annexe.
-
[7]
Le prénom des élèves a été remplacé par leur initiale.