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Article de revue

Actions et réflexions d’une association toulousaine pour assurer la scolarisation d’enfants Roms vivant dans un bidonville

Pages 58 à 62

1Le désir d’améliorer ses conditions de vie est souvent le premier motif d’émigration, fuir la guerre ou la misère devient une nécessité. S’installer dans un autre pays signifie de nouveaux modes de vie, d’expressions avec lesquels il va falloir composer. Apprendre une nouvelle langue, se loger, trouver un emploi et scolariser ses enfants sont particulièrement difficiles avec des taux de pauvreté et de chômage importants. Les politiques publiques cherchent à réduire l’immigration en ne développent pas de structures d’accueil susceptibles de répondre aux besoins des arrivants. Pour aider les migrants, se créent souvent des associations cherchant à faciliter leur insertion.

Au départ, la culture pour faire communiquer le bidonville et la cité

2Dans un bidonville toulousain, sur le terrain de la Flambère, une association intervient, Rencont’roms nous, pour favoriser l’inclusion des personnes qui y vivent, à travers des projets culturels, artistiques et éducatifs, qui permettent aussi de lutter contre le racisme et les discriminations. S’y déploient trois volets : culture, éducation, insertion professionnelle, dans une démarche inclusive et participative, en cherchant à (re)donner la parole aux premiers concernés : les habitants Roms eux-mêmes.

3L’association Rencont’romscherc he ainsi à créer des liens entre le terrain et la ville, pour que les habitants du terrain soient acteurs de la cité, se sentent citoyens et toulousains à part entière. En 2014, à l’arrivée de l’association, les bénévoles ont constaté ce besoin d’ouverture, d’évasion de la part des habitants du terrain. La culture devenait un prétexte à la rencontre. Petit à petit, la culture est devenue un vecteur d’inclusion, de développement personnel. Les habitants s’en sont saisis progressivement.

4Aujourd’hui encore, les discriminations persistent envers les Roms et les personnes vivant en bidonvilles. Il n’est pas rare de voir certains d’entre eux cacher leurs origines par peur de ne pas être embauchés, par exemple. Certains préjugés sont en revanche réciproques. D’où l’idée de créer des projets culturels, artistiques et éducatifs qui créent de la rencontre, du faire ensemble entre différents publics, les appréhensions étant nourries par la méconnaissance de l’autre. Le fait de travailler avec autrui participe au changement de regard. La régularité et le long terme permettent aussi de consolider ces résultats progressivement.

Un glissement progressif vers l’éducation.

5Des projets culturels et artistiques, l’association a naturellement et progressivement glissé vers les questions de scolarisation et d’éducation. En novembre 2017, l’association organise avec le CASNAV de l’académie de Toulouse une journée de rencontres professionnelles sur la scolarisation des enfants Roms à laquelle participaient tous les acteurs dans le domaine. Plus de 100 personnes étaient présentes, ce qui constituait une initiative inédite. Cette journée a permis à l’association de rencontrer les établissements scolaires qui accueillaient les élèves du terrain. Dans un premier temps, des projets culturels se sont mis en place dans ces établissements. Des collaborations qui ont fait prendre conscience à l’association que la scolarisation était un vecteur important d’insertion et que ses projets culturels devaient en être complémentaires.

6Petit à petit, l’association est devenue un interlocuteur des établissements scolaires. Mais tout cela s’est fait de manière ponctuelle, parfois souterraine, sans vue d’ensemble. En 2020, lors du premier confinement, l’association est restée physiquement présente sur le terrain et a inscrit la continuité pédagogique dans son quotidien. Elle a assuré entre mars et juin 2020, les liens entre chaque établissement scolaire et les élèves du terrain, avec notamment la mise en place d’un inédit temps de soutien scolaire sur le bidonville.

7Parallèlement, en 2020, l’État (via la DIHAL – délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement), dans le cadre de son plan de résorption des bidonvilles, replace l’éducation comme un pilier d’inclusion, et crée une trentaine de postes de médiateurs scolaires sur l’ensemble du territoire. Andrei Nicolae en fait partie. Jeune salarié de l’association depuis février 2020 en tant qu’animateur, il voit ses missions être réorientées pour s’occuper du volet scolaire. Ce jeune a habité sur le terrain et a connu des difficultés dans l’accès à l’école. Il agit donc en tant que premier concerné.

La scolarisation, une responsabilité politique

8Rappelons que la scolarisation des enfants des bidonvilles est d’abord une responsabilité politique. La loi dispose clairement dans le code de l’Éducation : « Tous les enfants de trois à seize ans doivent aller à l’école » (et obligation de formation pour les 16-18 ans). Cette obligation scolaire légale incombe premièrement aux communes qui doivent effectuer le recensement des enfants, pour ensuite les inscrire. En découle un travail partenarial entre les acteurs associatifs, l’Éducation nationale et les pouvoirs publics. Scolariser les enfants nécessite de travailler ensemble.

9Il faut également insister sur ce qu’énonce la loi et sur le fait qu’elle reste souvent non respectée aujourd’hui. Tant que certains maires refuseront de scolariser des enfants vivant en bidonvilles, squats ou hôtels sociaux sous prétexte qu’ils n’ont pas de domicile, alors le problème persistera (d’après le collectif #EcolePourTous, près de 100 000 enfants restent encore aujourd’hui à la porte de l’école). En cela, le décret paru le 30.06.2020, dans le cadre de la loi pour une école de la confiance, portant sur la simplification des pièces administratives à fournir lors de l’inscription scolaire devrait permettre d’améliorer la situation sur l’ensemble du territoire. Mais même encore, certains maires sont réticents à inscrire des enfants. Des actions en justice ont d’ailleurs été engagées, soutenues par le collectif #EcolePourTous.

Une mission de médiation scolaire sur le terrain de la Flambère

10Depuis août 2020, l’association est officiellement investie d’une mission de médiation scolaire sur le terrain de la Flambère, là où jusque-là, elle intervenait de manière plus ponctuelle. Andrei Nicolae a une mission : (re)donner le droit de rêver aux jeunes du terrain, en mettant tout en œuvre pour leur assurer un parcours scolaire continu.

11En septembre 2020, tous les enfants du terrain de la Flambère ont été inscrits à l’école, ce qui n’était pas le cas auparavant. Cela représente près de 50 jeunes, de la maternelle au collège. Aller à l’école est une chose, mais y rester et y réussir en est une autre. Ce sont les trois piliers de l’action de l’association dans ce projet de médiation scolaire.

12Aller à l’école, c’est d’abord assurer les inscriptions scolaires, et ce dès 3 ans maintenant et puis, pour les enfants nouvellement arrivés en France (à Toulouse, il existe un service de l’Éducation nationale, l’espace d’accueil, qui permet d’orienter les élèves en fonction de leur niveau linguistique). C’est aussi participer à lever tous les freins matériels qui pourraient entraver les parcours scolaires des enfants (comme par exemple la gestion des cartes de transport scolaire, les établissements scolaires étant parfois éloignés du terrain, mais aussi accompagner les familles dans la restauration scolaire, les assurances, etc.). Rester et réussir à l’école, c’est comment l’association travaille avec l’ensemble des équipes pédagogiques et éducatives pour que les élèvent se sentent bien à l’école. Concrètement, ce sont des échanges quotidiens entre l’association et les écoles, c’est du soutien scolaire deux fois par semaine sur le terrain, etc. C’est un travail du quotidien, mais nécessaire, car l’absentéisme recule et les apprentissages progressent.

13C’est important d’accompagner les élèves et les familles. Toutes veulent que leurs enfants réussissent. L’envie d’aller à l’école existe, malgré les nombreuses difficultés quotidiennes. Les habitants perçoivent bien l’intérêt de l’école, comme un passage obligé, pour partir du bidonville, avoir un diplôme et à terme un travail. En témoigne l’assiduité d’aujourd’hui par rapport à celle d’il y a quelques années. Puis, pour celles et ceux qui sont relogés en appartement, l’assiduité est encore plus renforcée. Il apparait que les postes de médiateur scolaire sont une réponse adéquate, car une personne dédiée suit ce travail au quotidien.

14Ces progrès viennent en partie d’un suivi personnalisé auprès de chaque famille, effectué par l’association au quotidien. Le bidonville est établi sur un terrain stable grâce à la Ville de Toulouse. Aujourd’hui, le terrain compte toujours près de 160 habitants, alors qu’il y a quelques années, ils étaient 220. Certains ont été relogés en appartements, avec l’accompagnement de l’association SOLIHA 31 au niveau socioprofessionnel. Mais d’autres personnes sont arrivées entre temps. Il n’y a aucun risque d’expulsion, ce qui change complètement la donne, permettant à l’association de travail dans des conditions sereines.

Une pluralité d’acteurs favorise la scolarisation.

15La journée de novembre 2017, à laquelle s’ajoute celle de mars 2020, « École & précarité », tenue à la veille du premier confinement, démontre la pluralité des acteurs engagés en faveur de la scolarisation des jeunes en situation de précarité et leur volonté de travailler ensemble. D’un côté, il y a l’Éducation nationale, incluant les établissements scolaires, le CASNAV, et les différents services du Rectorat. De l’autre, les acteurs associatifs qui s’occupent notamment de l’accompagnement social et de la scolarisation, en lien avec les premiers concernés (il existe 7 postes de médiateurs scolaires dans l’agglomération toulousaine). Et puis, les acteurs institutionnels, notamment la Ville de Toulouse. Le dialogue et les échanges se veulent constants et constructifs. Les synergies entre tous ces acteurs, incluant les jeunes premiers concernés, qui en découlent permettent de faire bouger les choses de manière pragmatique. Cette coordination est essentielle. A Toulouse, les acteurs travaillent ainsi collectivement en bonne intelligence, pour accompagner au mieux tous les jeunes vivant en bidonvilles, squats et hôtels sociaux.

Les membres de l’association : des volontaires qui se professionnalisent petit à petit

16Historiquement, les membres de l’association n’ont pas suivi de formation dans le social et ne sont pas des éducateurs spécialisés. Ils apprennent sur le terrain en cherchant à transmettre des valeurs citoyennes et en s’adaptant à toutes les situations. En 2018, un premier cap est franchi, puisque l’association accueille des premiers jeunes volontaires en service civique, qui sont issus du terrain. Elle en accueille 5 en simultané depuis, sur des contrats de 8 mois. En février 2020, l’association crée un premier contrat salarié, confié à Andrei Nicolae, alors âgé de 17 ans. D’abord, en tant qu’animateur, puis en août 2020, comme médiateur scolaire. Tous sont de jeunes Roms issus du terrain. Cela renforce notre démarche inclusive. Ils sont les principaux acteurs et ambassadeurs de l’association. Ce sont les mêmes jeunes qui ont bénéficié des premières actions de l’association en 2014. Aujourd’hui, ils sont de l’autre côté de la barrière et accompagnent leurs frères, leurs sœurs. Ils (re)prennent leur destin en main. Ce sont des beaux exemples sur le terrain. C’est une fierté pour l’association, même si ce n’est pas facile tous les jours, les difficultés quotidiennes étant présentes.


Date de mise en ligne : 11/05/2021

https://doi.org/10.3917/spec.015.0058

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