Notes
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[1]
Le film est disponible sur le site : http://sante.gouv.fr/deploiement-de-la-telemedecine-tout-se-joue-maintenant.html
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[2]
Ce test statistique constitue en quelque sorte une synthèse des corrélations entre les différents items qui composent une échelle de mesure d’un construit psychologique. On considère comme satisfaisant un score supérieur ou égal à 0.7, ce qui permet de traiter ensemble les données relatives au même construit.
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[3]
Ce test permet d’aboutir à l’acceptation ou au rejet d’une hypothèse qu’il n’y a pas de lien entre une variable qualitative et une variable quantitative. Nous en avons déduit le seuil de probabilité (p), qui est considéré comme significatif s’il est inférieur à 0.05.
1La fin du XXème siècle a connu un développement exponentiel des technologies de l’information et de la communication (TIC), offrant ainsi de nouvelles perspectives dans tous les secteurs d’activité, et en particulier dans le domaine de la santé. Ainsi, la pratique médicale à distance, appelée télémédecine, permet de poser un diagnostic médical, de réaliser le suivi des patients, d’obtenir rapidement l’avis d’un spécialiste, de se concerter en vue d’une prise de décision thérapeutique, de prescrire des traitements ou des actes de soins, de réaliser ces actes et d’en assurer le suivi sans devoir se déplacer. Cette nouvelle manière de prodiguer des soins présente de nombreux avantages, mais elle se heurte également à des réticences de la part des patients et des professionnels de santé, qui y voient souvent une forme de déshumanisation.
2Nous nous sommes intéressés aux futurs infirmiers, et plus particulièrement aux facteurs susceptibles de modifier leur intention d’utiliser, après l’obtention de leur diplôme, les dispositifs de télémédecine dans leur pratique quotidienne. En effet, cette pratique étant en pleine expansion, il est nécessaire pour les instituts de formation en soins infirmiers d’identifier les facteurs sur lesquels ils vont pouvoir agir pour préparer au mieux les étudiants à l’usage de la télémédecine.
La télémédecine : une nouvelle manière de prodiguer des soins
3Le Code de la Santé Publique (article R.6316-1) précise que le champ de la télémédecine recouvre cinq actes principaux : la téléconsultation, la télé-expertise, la télésurveillance, la télé- assistance et la régulation médicale.
4La téléconsultation est une consultation médicale à distance entre un patient et un professionnel médical. Le patient peut être accompagné d’un professionnel de santé (médecin ou non) pendant la consultation. Le médecin va poser un diagnostic sans examiner le patient cliniquement, par téléphone ou visioconférence. Il prodiguera ensuite une ordonnance électronique qui permettra au patient d’avoir accès au traitement approprié pour le problème de santé diagnostiqué.
5La télé-expertise se réalise en dehors de la présence du patient. Elle consiste en « un échange entre deux ou plusieurs médecins qui arrêtent ensemble un diagnostic et/ou une thérapeutique sur la base des données cliniques, radiologiques ou biologiques qui figurent dans le dossier médical d’un patient. » (Simon et Acker, 2008, p.15). Elle permet d’optimiser la prise en charge d’un patient en obtenant l’avis d’un expert compétent sans délais.
6La télésurveillance a pour objet de permettre à un médecin d’interpréter à distance des données cliniques, radiologiques ou biologiques. Ces données permettront un suivi médical et une prise de décision adaptés pour le patient.
7La téléassistance, quant à elle, permet à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé pendant la réalisation d’un acte de soin. L’acte en question peut être un acte chirurgical ou médical, mais également un acte d’imagerie ou un acte dispensé dans le cadre d’une situation d’urgence. Dans cette dernière situation, la personne assistée par le médecin peut également n’avoir bénéficié d’aucune formation en santé, s’il s’agit par exemple du témoin d’un accident de la route.
8La régulation médicale est réalisée par les médecins des centres d’urgence qui établissent par téléphone un premier diagnostic afin d’apporter la réponse la mieux adaptée au problème du patient, selon la nature de l’appel.
9Les autres appellations couramment utilisées en référence à la télémédecine dans des domaines spécifiques (« télédiagnostic », « télésuivi »…) sont incluses dans les définitions des actes cités ci-dessus. (Simon et Acker, 2008, p.15)
10L’usage de la télémédecine en France permet de répondre à de nombreux enjeux. Il faut tout d’abord pallier la diminution du nombre de médecins sur l’ensemble du territoire français qui serait effective au moins jusqu’en 2020 d’après les enquêtes statistiques réalisées (Attal-Toubert et Venderschelden, 2009). De plus, la mise en place des dispositifs de télémédecine entraîne un réaménagement du territoire sanitaire en France car il existe de réelles inégalités en matière d’offre de soins médicaux et paramédicaux : cela permet donc de lutter contre les inégalités d’accès aux soins dans les zones sous-médicalisées.
11Les bénéfices concernant la prise en charge des patients sont également importants. En effet, la télémédecine permet d’écourter les délais de prise en charge, en particulier pour une consultation avec des médecins spécialistes ou dans la prise en charge d’une situation d’urgence. De plus, la télésurveillance et la téléassistance permettent un maintien à domicile et une réduction du temps d’hospitalisation, ainsi qu’une optimisation du parcours de soins en évitant, par exemple, un transport inutile vers une structure de soins quand le problème peut être réglé au domicile du patient.
12Les enjeux pour les professionnels de santé sont conséquents. La télémédecine permet de développer la coordination des soins, de favoriser les échanges entre les professionnels de santé qui interviennent auprès des patients, d’optimiser les temps de prise en charge médicaux et paramédicaux (et donc de diminuer les coûts des interventions et hospitalisations). De plus, les professionnels, en formation initiale et continue, sont amenés à acquérir de nouvelles connaissances, tant au niveau des savoirs formalisés que des savoirs d’action.
13Tous ces enjeux suscitent différents freins : juridiques, économiques, mais surtout humains. En effet, les usagers d’abord peuvent émettre des réserves quant à l’utilisation des nouvelles technologies dans leur prise en charge. L’obtention de leur consentement éclairé et celui de leur entourage, ainsi qu’une formation sur les principes d’utilisation, est nécessaire avant de débuter un programme de télémédecine avec eux. Les soignants peuvent également se montrer réticents. La télémédecine modifie sensiblement les modalités d’exercice des professionnels, et le manque de contact physique avec le patient peut susciter une méfiance, un sentiment de déshumanisation des soins. De plus, les échanges d’informations entre les praticiens s’en trouvent changées, ainsi que les modalités de consultations. « Des protocoles très stricts doivent être respectés tant pour les actes que les entretiens pour préserver autant que possible la relation patient-médecin d’autrefois, tout en tirant le meilleur parti des incontestables avantages techniques et économiques qu’apporte la télémédecine » (Parizel et al., 2013, p.464)
La théorie du comportement planifiée : un outil pour décoder l’intention des étudiants en soins infirmiers face à l’usage de la télémédecine
14Les représentations que les étudiants peuvent avoir des enjeux de la télémédecine sont influencées par les professionnels qu’ils côtoient lors de leurs stages et les formateurs qui les accompagnent tout au long de leur cursus. Selon la théorie développée par Icek Ajzen dans les années 1990, le système de représentations se construit à travers l’expérience et les informations disponibles dans et sur l’environnement. Celui-ci engendre trois éléments : l’attitude, la norme subjective et le contrôle comportemental, qui déterminent l'intention d'agir. L’intention serait le seul déterminant direct du comportement.
Fig.1 : La théorie du comportement planifié
Fig.1 : La théorie du comportement planifié
16Il est donc possible de prévoir le comportement d’un individu à partir de son intention comportementale. Cette intention, quant à elle, est déterminée par l’attitude de l’individu, mais également par les normes subjectives qu’il se fixe et le contrôle comportemental qu’il pense posséder sur son comportement.
17L’attitude se définit comme un « état mental et neuropsychologique déterminé par l’expérience et qui exerce une influence dynamique sur l’individu en le préparant à agir de manière particulière à un certain nombre d’objets ou d’événements » (Abric, 2008, p.24). Les attitudes sont le produit de la personnalité d’un individu, mais dépendent également d’un pôle sociologique (expérience, culture). Elles ne sont pas innées, elles se construisent en réponse à un stimulus, à partir de la perception que l’individu se fait de l’objet en cause. Elles se traduisent par des comportements, et ne sont donc pas directement observables (seuls les comportements le sont). Les attitudes donnent à l’individu des grilles de compréhension du monde qui l’entoure, un cadre de références. Elles sont stables et peuvent constituer un frein en cas de changement. Par exemple, les étudiants n’ayant pas été suffisamment accompagnés par les professionnels de santé et les formateurs pourront refuser d’utiliser les dispositifs de télémédecine avec des personnes âgées car toutes les expériences et repères qu’ils auront eus abondent dans le sens que ces dernières n’ont aucune affinité pour les nouvelles technologies. Cependant, les attitudes peuvent également se modifier, lentement, avec des influences extérieures, si ces dernières sont correctement ciblées.
18Selon Ajzen, les attitudes sont déterminées par les croyances à l’égard des objets mais aussi par rapport aux conséquences envisagées de son comportement (croyances comportementales) et à l'évaluation des conséquences (favorables ou défavorables).
19La norme subjective dépend de la croyance d’un individu selon laquelle les personnes importantes pour lui pensent qu’il devrait accomplir ou non une action. Elle dépend donc de la perception de l'individu quant à l’opinion de personnes ressources par rapport à la réalisation d’un comportement (croyance normative). Ce facteur permet de mesurer l’impact que les opinions d’autrui exercent sur les comportements d’un individu. Par exemple, pour les étudiants en soins infirmiers, les formateurs et les soignants qui les accompagnent et les évaluent tout au long de leur cursus représentent des personnes importantes, leur opinion influence le comportement des apprenants.
20Selon Ajzen, la norme est également dépendante de la motivation de l’individu à se soumettre aux attentes des personnes ressources. L’individu agira donc selon un sentiment d’obligation personnelle ressenti par rapport à l’adoption d’un comportement (norme morale). Ce facteur consiste en l’évaluation par l’individu de la correspondance entre le comportement et ses valeurs et principes moraux.
21 Cependant, les comportements ne sont parfois que partiellement volontaires, ils ne peuvent pas être modifiés activement par le sujet à cause du contrôle limité qu’il a sur la situation. Pour cela, Ajzen a ajouté une troisième variable, à savoir la perception du contrôle sur le comportement.
22Le contrôle comportemental se réfère à la manière dont un individu perçoit la facilité ou la difficulté d’accomplir un comportement donné. En effet, certains comportements nécessitent des ressources externes, des habiletés et des opportunités sur lesquelles l’individu n’a pas un contrôle total. La perception du contrôle sur le comportement traduit la manière dont il gère seul les éléments extérieurs, obstacles et éléments facilitateurs (autonomie perçue), ainsi que la perception de l’individu de son efficacité personnelle en vue de réaliser ce comportement (capacité perçue). Ainsi, un individu convaincu qu'il ne pourra pas atteindre l'objectif qu'il s'est fixé, aura peu de raisons d'essayer ou de persévérer s’il rencontre des problèmes.
23Ainsi, la théorie de l’action planifiée nous éclaire sur les obstacles psychologiques qui peuvent conduire les étudiants en soins infirmiers à être réticents pour utiliser la télémédecine dans leur future pratique professionnelle. La connaissance de leurs attitudes, mais également de la norme subjective et du contrôle comportemental qu’ils perçoivent, ainsi que l’intention qu’ils ont ou non de s’inscrire dans le dispositif nous renseignerons sur les comportements qu’ils devraient développer à l’avenir.
Méthodologie de la recherche
24L’enquête s’est déroulée en trois séquences, sur un laps de temps de quatre mois.
25Dans un premier temps, 75 étudiants en soins infirmiers ont répondu de manière anonyme à un questionnaire, une semaine avant d’effectuer leur stage du semestre 2 d’une durée de 10 semaines. Il était constitué d’affirmations concernant les éléments de la théorie du comportement planifié (attitude, norme sociale, contrôle comportemental, intention) et les pratiques professionnelles de télémédecine (téléconsultation, télésurveillance, téléassistance). Il nous a également semblé judicieux de mesurer l’opinion des étudiants en soins infirmiers concernant les compétences à développer pour utiliser la télémédecine (Wittorski, 1998), ainsi que l’image de l’infirmier que l’usage de la télémédecine renvoie aux autres professionnels de santé et aux patients, en lien avec la construction de leur identité professionnelle et un sentiment de reconnaissance (Sainsaulieu, 1977), ces deux notions étant prévalentes en formation initiale. Les étudiants devaient coter chaque affirmation à l’aide d’une échelle sémantisée en sept points, ou échelle de Thurstone (1= pas du tout, 7= complètement).
26Dans un second temps, cinq semaines après leur retour de stage, ils ont participé à une intervention de trois heures organisée par des étudiants en troisième année de Licence Professionnelle Intervention Sociale. Les étudiants ont tout d’abord visualisé un court-métrage réalisé par le Ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes intitulé « La télémédecine, tout se joue maintenant » [1] qui explique l’intérêt de son usage dans les soins. Ensuite, trente d'étudiants en Licence Professionnelle Intervention Sociale, répartis en six groupes de 4 à 6 personnes, ont présenté les résultats d’une enquête sur l'intérêt de la télémédecine réalisée auprès de six publics différents : les enfants de moins de 12 ans, les adolescents, les étudiants, les familles en situation de précarité, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées. Chaque exposé était suivi d'un temps d’échange avec les étudiants en soins infirmiers spectateurs.
27Dans un troisième temps, ces derniers ont répondu une seconde fois au questionnaire, à la fin de la matinée, dans des conditions identiques à la première passation réalisée quatre mois plus tôt.
Résultats et analyse
Evolution temporelle des éléments constitutifs de la théorie du comportement planifié
28Nous avons vérifié si nous pouvions regrouper les items se référant à l’attitude, au contrôle comportemental et à la norme subjective, à l’aide de l’alpha de Cronbach (α) [2]. Ensuite, nous avons réalisé la moyenne (M) des scores obtenus grâce à l’échelle de Thurstone pour chaque item (ou groupe d’items quand l’alpha de Cronbach était satisfaisant) aux temps 1 et 3. Nous avons également calculé l’écart-type (EC) car il nous permet d’avoir un aperçu de la dispersion des réponses des étudiants par rapport à la moyenne. Enfin, nous avons mesuré la corrélation des données entre les temps 1 et 3 (F), grâce à l’analyse de la variance, dite ANOVA [3].
Fig.2 : Évolution temporelle des éléments constitutifs de la théorie du comportement planifié aux temps 1 et 3 de l’enquête
Fig.2 : Évolution temporelle des éléments constitutifs de la théorie du comportement planifié aux temps 1 et 3 de l’enquête
29Les deux affirmations concernant le contrôle comportemental ne peuvent pas être traitées ensemble (alpha de Cronbach non satisfaisant). L’une concernait l’autonomie perçue par les étudiants (« utiliser la télémédecine dans votre pratique quotidienne dépend de vous, de votre volonté »), l’autre la capacité perçue (« utiliser la télémédecine dans votre pratique quotidienne est une chose difficile »). Les affirmations concernant l’attitude et les normes subjectives, par contre, peuvent être regroupées.
30Les écarts-types sont relativement faibles, les réponses des étudiants sont dans l’ensemble regroupées autour de la moyenne, et aucun seuil de probabilité n’est suffisamment significatif. L’étude démontre donc qu’un apport de connaissances seul ne suffit pas à modifier significativement l’intention des étudiants d’utiliser la télémédecine dans leur pratique quotidienne (la moyenne passe de 3.85 à 3.89 et le seuil n’est pas significatif).
Evolution de l’explication de l’intention comportementale
31Pour mesurer les éléments qui expliquent l’intention comportementale des étudiants face à l’usage de la télémédecine, nous avons réalisé une analyse de régression hiérarchique à l’aide du calcul du coefficient de corrélation linéaire (β). Son principal intérêt est d’indiquer l’intensité de la relation qu’entretiennent deux variables. Plus on se rapproche de 1 ou de -1, plus les variables sont liées. Ainsi, nous pourrons non seulement connaître les variables qui expliquent l’intention comportementale des étudiants, mais également mesurer l’importance que chacune d’elle revêt.
Fig.3 : Évolution de l’explication de l’intention comportementale aux temps 1 et 3 de l’enquête (les données significatives apparaissent en grisé)
Fig.3 : Évolution de l’explication de l’intention comportementale aux temps 1 et 3 de l’enquête (les données significatives apparaissent en grisé)
32Dans le tableau ci-dessus, nous avons répertorié les variables qui déterminent l’intention selon la théorie du comportement planifié (attitude, contrôle comportemental, norme). Nous avons également ajouté les variables de construction d’identité professionnelle (à travers la reconnaissance que l’usage de la télémédecine peut apporter aux étudiants de la part des patients et des professionnels de santé), et d’acquisition des compétences et pratiques soignantes relatives à la télémédecine (leur alpha de Cronbach permet de les traiter ensemble). Nous souhaitons en effet savoir si des données additionnelles au modèle d’Ajzen peuvent être pertinentes dans notre étude, à avoir si elles influent également sur l’intention des étudiants, et le cas échéant, dans quelle proportion.
33Nous constatons qu’au temps 1 de notre enquête, seules les variables d’attitude et de norme subjective expliquent l’intention des étudiants. Le seuil de signification de l’attitude est particulièrement bas (< 0.01) et les deux variables expliquent à elles seules 63% de l’intention (modèle).
34Nous avons choisi d’interroger, selon de modèle d’Ajzen, les deux dimensions de la norme subjective : croyance normative et norme morale. Nous avons interrogé les croyances normatives des étudiants par le biais de l’opinion des formateurs et des futurs employeurs, car ce sont des personnes qui influencent leur parcours professionnel. De même, les obligations morales ressenties par les étudiants par rapport à l’utilisation de la télémédecine sont à considérer pour comprendre le phénomène d’adoption de cette technologie. Leur norme personnelle semble donc directement reliée à la norme professionnelle. Il est en effet important qu’elles coïncident pour agir avec compétence car « l’analyse des situations de travail fait apparaître la nécessité pour un professionnel de pouvoir se référer aux normes et règles de son milieu professionnel d’appartenance pour construire avec sécurité et pertinence sa propre façon de s’y prendre » (Le Boterf, 2008, p. 63).
35L’attitude, quant à elle, fait référence à un processus individuel de construction d’une grille de compréhension du monde qui l’entoure, comme nous l’avons développé plus haut.
36Les deux variables renvoient donc à la notion de bien et de mal : l’attitude à un niveau personnel, la norme à un niveau plus sociétal. Avant l’apport de connaissances, l’intention d’utiliser la télémédecine semble essentiellement liée à la perception qu’il s’agit d’une bonne chose à mettre en place.
37Au temps 3 de notre enquête, les deux variables restent prédictives de l’intention, mais elles sont rejointes par la difficulté perçue (une des variables en lien avec le contrôle comportemental) et la reconnaissance. L’ensemble de ces quatre variables expliquerait 69% de l’intention comportementale des ESI.
38La difficulté perçue dans l’utilisation de la télémédecine renvoie à l’aspect technique, à la mise en œuvre proprement dite, et démontre une vision plus concrète que la simple perception du dispositif comme quelque chose bien ou de mal. De plus, la reconnaissance par les autres professionnels de santé et par les patients entre en ligne de compte dans leur intention d’agir. Sainsaulieu insiste sur le fait que la reconnaissance par autrui est constitutive de l’identité professionnelle et sociale de l’individu. L’introduction de ces deux variables démontre que le système explicatif des étudiants en soins infirmiers évolue vers des enjeux plus professionnels. Ils dépassent la vision commune de la télémédecine (« c’est une bonne/mauvaise chose à mettre en place ») pour se projeter en tant que futurs utilisateurs, à conditions d’en maîtriser le côté technique et que l’utilisation du dispositif leur permette d’asseoir leur identité professionnelle.
Conclusion
39La télémédecine ne se substitue pas aux pratiques soignantes actuelles, mais elle permet de faire face à certains défis auxquels l’offre de soins se trouve confrontée : baisse de la démographie médicale, inégalité d’accès aux soins sur le territoire français, contraintes économiques. Les questions soulevées par la télémédecine pour l’exercice de la profession infirmière sont nombreuses : redéfinition du rôle propre infirmier, transfert de compétences médicales via les protocoles de coopération entre professionnels de santé, augmentation de la responsabilité professionnelle, changement d’approche dans la relation avec le patient, nécessité de se former à l’outil numérique, etc. La formation initiale infirmière a un rôle à jouer pour accompagner les futurs soignants à faire face à ces enjeux, et les aider à assimiler ce nouveau dispositif dans leur pratique professionnelle.
40Cette recherche corrobore la théorie d’Ajzen sur le comportement planifié : l’attitude, la norme subjective, puis peu à peu le contrôle comportemental expliquent l’intention des étudiants en soins infirmiers de faire usage de la télémédecine. Cependant, l’étude a également mis en exergue le rôle de la reconnaissance par les autres professionnels de la santé et par les patients dans la prédiction de l’intention. Ainsi les étudiants, en pleine construction de leur propre identité professionnelle, ont besoin de se sentir reconnus par leurs pairs, ainsi que par les personnes dont elles prennent les soins en charge, pour accepter de prodiguer des soins à distance.
41L’étude démontre également que l’intention en elle-même ne se modifie pas de manière significative après un seul apport de connaissances. Il s’agit d’un processus que seule une étude longitudinale, ponctuée de divers apports de connaissances et d’expérimentations (sur le terrain ou à l’institut de formation), permettrait de mettre en évidence.
42Ainsi, les instituts de formation ont un rôle important à jouer dans l’accompagnement des étudiants en soins infirmiers face à la mise en place de la télémédecine. Si l’utilisation des TIC est une pratique courante dans la vie personnelle de la jeune génération, ils ont besoin d’être accompagnés pour en faire un usage efficient durant leur formation. De plus, il faut les amener à utiliser les outils numériques à bon escient en situation de soins, face à une personne soignée. Il s’agit d’allier les bénéfices apportés par les nouvelles technologies, tout en préservant une relation de qualité avec l’usager de soins, en s’adaptant au contexte et aux possibilités offertes. Préparer les étudiants à l’usage de la télémédecine durant leur formation, en leur permettant d’en comprendre les enjeux, les aidera à mieux faire face aux contraintes du dispositif et à agir dans un cadre éthique et déontologique, dans le respect des valeurs des personnes soignées.
- Abric, J-C. (2008). Psychologie de la communication. Théories et méthodes. Paris : Armand Colin, 3ème édition.
- Ajzen, I. (1991). The Theory of Planned Behavior, Organizational Behavior and Human Decision Processes, 50, 179-211.
- Attal-Toubert, K. et Venderschelden, M. (2009). La démographie médicale à l’horizon 2030 : de nouvelles projections nationales et régionales détaillées, Etudes et résultats, 679, 1-8.
- Le Boterf, G. (2008). Construire les compétences individuelles et collectives. Paris : Editions d’Organisation Groupe Eyrolles.
- Parizel, E., Marrel, P. et Walstein, R. (2013). La télémédecine en questions, Études, 419 (11), 461-472.
- Sainsaulieu, R. (1977). L’identité au travail. Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.
- Simon, P et Acker, D (2008). La place de la télémédecine dans l’organisation des soins (Rapport Mission thématique n°7/PS/DA), Paris : Ministère de la santé et des sports.
- Wittorski, R. (1998). La compétence au travail. Education permanente, 135, 57-69.
Notes
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[1]
Le film est disponible sur le site : http://sante.gouv.fr/deploiement-de-la-telemedecine-tout-se-joue-maintenant.html
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[2]
Ce test statistique constitue en quelque sorte une synthèse des corrélations entre les différents items qui composent une échelle de mesure d’un construit psychologique. On considère comme satisfaisant un score supérieur ou égal à 0.7, ce qui permet de traiter ensemble les données relatives au même construit.
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[3]
Ce test permet d’aboutir à l’acceptation ou au rejet d’une hypothèse qu’il n’y a pas de lien entre une variable qualitative et une variable quantitative. Nous en avons déduit le seuil de probabilité (p), qui est considéré comme significatif s’il est inférieur à 0.05.