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Article de revue

Pour une sociologie des affects : penser les concerts engagés « Salomé »

Pages 60 à 66

Notes

  • [1]
    « Salomé » chanson de Lavilliers, album Solo, Barclay, 1991.
  • [2]
    En un certain sens, débattre des théories de la connaissance et de la connaissance elle-même revient à répondre à la question kantienne : comment les concepts peuvent-ils être une représentation sensible de quelque chose d’une nature différente de la leur ?
  • [3]
    « La division entre le sujet et l’objet, avec la position de surplomb qu’elle impliquait, laissait entendre que les sciences humaines pourraient parvenir à une situation de clôture de la connaissance dans lequel le sujet pourrait saturer l’objet par l’enveloppe de son savoir ». (Dosse, 1997 : 309)
  • [4]
    La chanson est une œuvre culturelle singulière : comme le note le psychanalyste Philippe Grimbert, « on ne peint pas les tableaux du peintre, on n’écrit pas les livres de l’écrivain ; mais on chante les chansons du chanteur » (Grimbert 1996 : 122)
  • [5]
    Extrait de la chanson « Salomé » de Lavilliers, album Solo, 1991, Barclays
  • [6]
    Il s’agit de chercher notamment les moyens symboliques utilisés pour induire un « terministic screen », un ensemble de symboles faisant office d’écran ou de grille d’intelligibilité et à travers lequel le monde fait sens.
  • [7]
    Dans l’ouvrage qui fonde une manière inédite de concevoir l’art, La passion musicale, Antoine Hennion, réévaluant le rapport théorique du chercheur à son objet, propose une voie/voix de l’interstice, celle de la médiation active, qui dissout l’opposition œuvre/social et qui récuse le dilemme entre l’analyse qui attribue toutes les compétences aux sujets et celle qui confère toute propriété aux objets eux-mêmes (Hennion, 2007).
  • [8]
    Voir à cet égard le numéro de revue Terrain, n°37 : « Musique et émotion », Paris, 2001.
  • [9]
    Laborde D., 1994, « Des passions de l’âme aux discours de la musique », Terrain, n° 22, p.79. Pourtant, les émotions ne sont pas des propriétés structurelles de l’objet quel qu’il soit car il n’est d’émotion musicale que celle que des sujets laissent émerger. « Il n’existe pas de faits strictement émotionnels ». Les émotions ne sont pas inhérentes aux objets, même lorsqu’il s’agit de musique, mais résultent de la mise en place de différents dispositifs et de la construction de significations plurielles et consensuelles à la  musique  par les sujets.
  • [10]
    Un positivisme scientifique en traces dans la science-se-faisant, ainsi que des logiques inscrites dans la dynamique de nos sociétés, concourent à une mise en cause, peut-être historiquement inédite, du sujet humain et du lien social, épreuves dont le caractère radical révèle d’autant plus la puissance des sujets à ne pas s’y laisser réduire / séduire. Ainsi, quand l’objet est un sujet, la question de la rétroaction possible (nécessaire) de l’objet sur le sujet, ou encore des dispositions cognitives, matérielles, affectives, éthiques du sujet-connaissant-agissant à partir de l’action des objets sur lui ne peut être appréhendée qu’au travers du prisme partiellement déformant de la subjectivité, libre tout autant que déterminée, du sujet – connaissant. Il s’agit donc de réfléchir à l’implication du chercheur lui-même dans son objet d’autant que les situations d’enquête exigent tout un dispositif d’effacement progressif des contextes habituels de la pratique, effacement que nous pensons non heuristique.
  • [11]
    Bien sûr, en tant que telle, cette élucidation n’a d’intérêt que pour le sujet lui-même. Mais nous suggérons qu’elle peut déborder l’expérience singulière en illustrant en quoi l’activité scientifique n’est jamais aussi transparente qu’elle le prétend, sorte de discours « sans bruit », mais qu’elle met en jeu beaucoup plus que ce que les cours de « Méthodes des sciences sociales » expliquent aux étudiants dans la classique description de ce que « la technique fait à l’objet » ou des relations sujet/objet.
  • [12]
    C’est ainsi que l’ouvrage « La grenade entrouverte » écrit par le politologue Bruno Etienne est une reconstruction des énigmes du monde et du moi, mémoires de l’oubli qui permettent de saisir que créer, c’est (aussi) dire l’intime : faire œuvre c’est faire corps, tout en dépassant le contexte particularisant de l’expérience singulière. Mais le paradoxe de cette intime universalité, c’est que l’étranger traverse l’intime. Les sciences sociales se sont construites, à l’ère de la raison triomphante, sur l’oubli de la question éthique et de la subjectivité du chercheur et ce double ouvrage du politologue, à la fois traité de science politique, conçu comme herméneutique et ascèse, et auto-analyse biographique, mérite aujourd’hui d’être relu. La grenade y est à la fois objet signifiant, métaphore nomade, parabole conceptuelle, itinérance d’une histoire et appétence de vie. Ce chemin de reliances donne à voir les moments d’une subjectivité dans un mouvement où se lit/lie une histoire collective et un chemin personnel comme tentative de reconstruction du sens.
  • [13]
    Le passage du Nous académique au Je intime illustre la part du sensible qu’oblitère souvent l’acte de recherche.
  • [14]
    Je les étudiai dans leur lutte symbolique pour l’existence sociale plus qu’artistique, se traduisant par le travail des sous-cultures alliant la socialisation d’une minorité juvénile anomique, l’utilisation plus ou moins ritualisée des techniques du corps et de l’extase, pratiques de présentation de soi, rapports aux normes, mise en œuvre de rituels.
  • [15]
    Bien sûr, toute une série de déterminations conscientes et inconscientes présidèrent à ce choix, déterminations que je ne tenterai pas ici d’éclairer, en ce qu’elles ne seraient là que digression de mon propos essentiel
  • [16]
    Une trentaine de concerts vus « pour le plaisir » sur plus d’une trentaine d’années dans des lieux divers, de la toute petite salle de spectacle de Marseille à la salle de spectacle d’un haut lieu sidérurgique en période de crise, Thionville, à la grande salle de spectacle parisienne, jusqu’au spectacle en extérieur sur un terrain vague d’une petite ville de province, Salon de Provence, ou encore dans une petite discothèque d’Hyères, et ce, combiné à la pratique de la chanson de variétés en amateur et de celle de ma fille Salomé, dont le prénom, figure mythique de la création artistique et littéraire autant que de l’histoire biblique, porte en son sein autant l’aspiration à la paix que le risque de l’altérité : prénom-chanson de Lavilliers.
  • [17]
    Il eut pu s’agir d’une volonté de l’artiste de confondre plusieurs niveaux du rapport avec son public, voire de manipuler les ressentis ou affects du public. En l’espèce, l’artiste ne tenait pas à qu’un article ou un ouvrage soit écrit sur ces concerts et il fallut beaucoup d’insistance et d’obstination pour obtenir l’autorisation de faire ces enquêtes de terrain dans les concerts. Si bien que l’hypothèse d’instrumentalisation tombe d’elle-même. La question reste posée cependant de l’effet de cette adresse sur les publics et de la manière dont la chercheure s’en emparant, cette adresse modifia ce que la technique fait à l’objet.
  • [18]
    Qu’ils soient délibérés pour marquer ma présence ce soir-là ou simplement venus spontanément.
  • [19]
    Cette dichotomie est tirée du travail de Raphaël Liogier, 2000. Au sens d’une adhésion intellectuelle à des principes, des valeurs justifiées en raison. Ou adhérence, au sens d’une croyance intime, éprouvée en commun reposant sur une architectonique des désirs humains et précédant ou accompagnant la justification rationnelle sur les fins collectives.
  • [20]
    « Pour apprivoiser cette musique indocile, on a pu aussi lui appliquer la théorie du reflet. Elle devient alors un écran où se donneraient à entendre les croyances partagées, les représentations collectives, les identités (…) dont elle serait le symbole sonore. Sans densité propre, elle se contenterait de renvoyer aux valeurs et aux significations qui l’instituent en support de leur expression. (…) (Ce serait alors) oblitérer l’acte créateur et interactif qui l’a mise au monde, ignorer que la puissance d’évocation d’un chœur de flûtes, comme celle d’une sculpture ou d’un masque, (d’un concert) dépasse largement les jeux d’une petite symbolique identitaire » (Roueff, 2001)
  • [21]
    Il s’agit de ne pas réduire l’œuvre à un objet de consommation et de refuser la conception d’un récepteur passif face à l’œuvre, pour mettre en valeur l’activité, l’expérience, l’interprétation : le récepteur de la chanson participe à l’œuvre de façon active et sa collaboration est même nécessaire à l’œuvre, car la partition n’est pas figée et reste pour le musicien, le chanteur, l’artiste un champ de possibles lié à cette ambiguïté, pour établir une relation aux spectateurs qui eux-mêmes font vivre ces contenus à l’aune de leur culture, de leurs affects et de leurs émotions dans une perspective originale.
  • [22]
    Nous n’en reproduirons ici qu’un extrait parmi des dizaines.
  • [23]
    A vrai dire cette phrase ne semble pas être extraite d’une chanson de Bernard Lavilliers – sauf erreur de notre part – ce qui est encore plus symptomatique de ce que le récepteur fait de ce qu’il entend ou croit entendre.
  • [24]
    Extrait de L’exilé, Album Causes perdues et musiques tropicales, 2010, B. Lavilliers.
  • [25]
    Extrait de Causes perdues, Album Causes perdues et musiques tropicales, 2010, B. Lavilliers.
  • [26]
    Extrait de L’exilé, Album Causes perdues et musiques tropicales, 2010, B. Lavilliers.
  • [27]
    Extrait de Traffic, Album Histoires, 2002, B. Lavilliers.
  • [28]
    Extrait de Identité nationale, Album Causes perdues et musiques tropicales, 2010, B. Lavilliers.
  • [29]
    Comme Bakhtine l’a montré avec les notions de dialogisme er de polyphonie, et comme Umberto Eco l’exprime dans ses travaux sur l’œuvre ouverte.
  • [30]
    Le sujet conscient, rationnel et volontaire de la modernité cède la place au sujet de la seconde modernité. Dans une sorte d’union des contraires, somme toute symptomatique des formes sociales, postmodernes, ce moment de concert proprement politique au sens du lien social qui se crée dans l’implicite et le ténu des interactions sociales (sourires, contacts, regards, communications infra-verbales) renvoie à la fois paradoxalement et dialogiquement à ce que Maffesoli qualifie de « transfiguration du politique quand l’ambiance émotionnelle prend la place du raisonnement » ou quand le sentiment se substitue à la raison et à des discours d’engagement politique critiques plus classiques, mais construisant des civilités infra-politiques, dans une sorte de moment-monde, de topos collectif. Comme si, finalement, le politique post-moderne, récusant les modalités institutionnalisées par les instances productrices de biens symboliques, cherchait d’autres lieux d’expression du politique.
« À quoi la musique fait appel en nous, il est difficile de le savoir ; ce qui est certain, c’est qu’elle touche une zone si profonde que la folie elle-même n’y saurait pénétrer. »
Emile-Michel Cioran, De l’inconvénient d’être né. Paris, Folio Gallimard, collection Essais, 1973

1 Interroger la distance qui sépare le sujet connaissant de l’objet-de-savoir, c’est réfléchir sur (et réfléchir) cette mise en relation(s) gnoséologique au travers de l’alternative épistémologique suivante : ou bien la connaissance n’est que le résultat de l’enregistrement de données organisées dans le monde extérieur par un sujet connaissant entretenant un rapport d’observateur avec une réalité, supposée être et supposée indépendante par construction, ou bien elle est construite par un sujet qui réorganise/construit les données (im)médiates, mais du coup ne peut les produire qu’à travers ses sens. Si, comme le souligne Heisenberg, un monde entièrement objectif serait dénué de sujet l’objectivant et par là-même absurde puisqu’inobservable, le strict dualisme disjonctif entre le donné et le construit ne serait, au mieux, que le signe d’une « raison paresseuse » et au pis une « docte ignorance » supposant que notre-être-au-monde n’est qu’une circonstance marginale dans les potentialités de description cognitive d’une réalité indépendante [2].

2 Certes, pour qu’une connaissance scientifique se constitue, un espace de possibles doit naître : s’il faut que soient levées les hypothèques transcendantes pesant sur le Monde et les hommes, la séparation conceptuelle entre matériau et sujets connaissants doit apparaître comme un préalable, sorte de fonds commun d’évidence, corrélé à l’idée d’autosuffisance de l’objet à connaître. Mais, comprendre comment les sciences se disent, c’est interpréter le double mouvement circulaire, qui de la séparation sujet/objet fondatrice d’une volonté-de-connaissance scientifique, sécularisée (au moins partiellement), mais aussi prométhéenne et transgressive, se complexifie dans les approches épistémologiques constructivistes, anarchistes ou sensibles, en une abolition, de droit et de fait, de la séparation entre observateur(s) et observé(s), que confirment (ou à tout le moins mettent en œuvre) autant les sciences sociales que les sciences physiques et la mécanique quantique : pour mieux dépasser l’alternative dans la lignée de l’épistémologie de « l’entre-deux-quelque-part-dans-l’inachevé » que propose Michel Bitbol dans « l’aveuglante proximité du réel » (Bitbol, 1998). La purification moderne, qui revient à la volonté de cliver ce qui vient du sujet et ce qui est extrait de l’objet, s’apparente à un métalangage de surplomb que le « parlement des choses », selon l’expression de Bruno Latour, ne peut que remettre en cause, sauf à adhérer à l’épochè husserlien qui met en suspens, mais dans une perspective phénoménologique, le jugement sur la question de l’existence d’une réalité extérieure. « Contrairement à ce que l’on pense généralement, une description (...) révèle les caractéristiques de celui qui la fait. Nous, observateurs, nous distinguons nous-mêmes précisément en distinguant ce qu’apparemment nous ne sommes pas, c’est-à-dire le monde » (Dupuy,1992 : 356), mais dont justement nous faisons partie. Si la connaissance est auto-éco-organisée, l’autosuffisance de l’objet à connaître devient alors auto-référentialité de l’objet-sujet à connaître et qui cherche à (se) connaître : dans les sciences sociales, en effet, la singularité tient au fait que l’objet est évidemment un sujet, mais un sujet sachant (ou croyant savoir) qu’il sait et qui par ailleurs, est le client des sciences sociales. « On a affaire à un objet plein, c’est-à-dire possesseur de sens autosuffisant, autoproduit, autogéré, autonormé..., en ce sens qu’en eux se disposent, s’appareillent, se combinent, se déchirent, se déclinent, une infinité de sens, des sens en tous leurs états, où les acteurs sociaux se logent en même temps qu’ils en sont exilés » (Vidal, 1985 : 149).

3 Les sociologies du « dévoilement », par la destitution théorique du sujet (– objet)/dissolution du sujet humain, souvent absent des sciences humaines, se sont trouvées confrontées aux paradigmes interprétatifs, sorte de greffe philosophique dans les sciences sociales, redéployant la configuration des possibles épistémologiques [3]. Or, dans la lignée des entrelacs de Merleau-Ponty, les choses ne sont pas données comme un en-soi dans un en dehors, qui leur conférerait une identité que le sujet n’a plus qu’à appréhender et s’approprier. Entre un objet trop plein de sens et un sujet en quête de sens, il faut trouver un entre-deux… celle d’une sociologie des affects qui revendique les sens comme mode de saisie objectivante, qu’il s’agisse des sens du sociologue comme des sens des objets-sujets.

4 La sociologie de la musique est à ce titre un analyseur archétypal de la posture épistémologique du sociologue : comment penser ce que la musique fait à nos sens ? Comment saisir le moment intense qu’est un concert, moment qui capte la présence, celle des protagonistes autant que celle du sociologue/observateur et tenter de tenir un discours sinon lucide, au moins réfléchi sur ce qui est du domaine de l’ivresse, de la démesure, de l’expérience festive, de l’émotion ? Mais cette illustration paroxystique – en ce que la musique est d’abord portée par le corps – n’en est pas moins illustrative du rapport aux objets de tous les « social scientists » quel que soit leur sous-champ disciplinaire…

5 Notre matériau empirique – les concerts de chansons [4] engagées en général et les concerts de Bernard Lavilliers en particulier – sera l’occasion de déconstruire la « dichotomie tyrannique » dénoncée par Nelson Goodman (1990) entre émotion et raison si prégnante dans les sciences sociales : l’expérience esthétique se joue du clivage entre le cognitif et l’émotif et devient en elle-même un mode de connaissance ancré sur un investissement affectif intense avec des objets, et ce d’autant plus lorsqu’il s’agit de chansons engagées, c’est-dire ayant vocation à produire une certaine « adhésion » dont nous verrons qu’elle ne fonctionne que comme « adhérence ».

6 Pendant un concert, on écoute, on regarde, on ressent, mais aussi on chante ensemble. Comment comprendre ce qui « fait appel » durant un concert, dans l’intimité du ressenti et des affects de chacun ? Est-il même possible d’en entendre quelque chose ? Tel est notre enjeu cognitif qui ouvre une réflexion épistémologique sur les conditions de possibilité d’une telle sociologie : problématiser une épreuve de réalité (le concert) et saisir comment les acteurs-objets et les acteurs-sujets négocient, composent, entrent en conflit, avec ce qui aura statut de réalité. Dans cette posture, le sociologue accompagne les sujets dans leur traversée rétrospective d’une expérience sociale par son attention marquée aux procédures de qualification sociale, mais il traverse lui-même l’expérience en la réfléchissant. « On ne peut penser le rapport social », explique Patrick Pharo, « sans tenir compte de ce que l’on se dit à soi-même dans une interaction » (cité par Dosse, 1997 : 197), mais aussi ce que l’on a ressenti.

7 Vivre un concert est une expérience à laquelle nous allons essayer de donner sens avec les difficultés inhérentes à la reconfiguration par le récit, le dialogue et la reprise de significations dans l’après-coup et, par conséquent, avec la possibilité de laisser échapper le sens événementiel du moment lui-même.

8 C’est ainsi que notre premier mouvement explicitera le sous-titre énigmatique « Salomé » ; évidemment une chanson écrite par Bernard Lavilliers, mais renvoyant aussi à notre posture méthodologique. En voici un court extrait – pour lequel il manque la voix grave et sensuelle de l’artiste et la musique pour le goûter vraiment…

« Ses yeux de sable noyés de terre de Sienne
Et de berceuses vénitiennes
Ses yeux de sable volcanique
Ses yeux de fado nostalgique »[5]

9 Puis nous partirons à la traque du « frisson dans le dos » au travers de la chanson en concert.

I Le travail de la pensée à l’épreuve du corps

1.1 Les sciences sociales entre prétention à l’universel et quête intime

10 Nous nous interrogeons sur la possibilité d’une chanson sociale ou contestataire à l’ère de la culture de masse et sur les modalités de sa réception. Il s’agit de saisir la chanson telle qu’elle est vécue dans les concerts par les spectateurs pour comprendre la fonction symbolique de l’artiste comme médiateur de messages politiques. Nous nous proposons d’en questionner son action symbolique (Burke, 1966), en ce que l’action symbolique suppose une indétermination du sens, une ambiguïté, une ouverture du texte qui dépasse les intentions de l’auteur. Cette sociologie des publics ne réduit pas le public à un auditoire, mais dans une perspective compréhensive, analyse ce qui surgit avec la musique, le concert, les adresses du chanteur à la salle, les autres, dans un « faire-ensemble » qui construit le sentiment de « faire-public » (Dayan, 1992). Mais une telle ambition s’expose forcément à une évanescence du terrain de recherche, une fois la fête terminée, et donc à une reconstruction seconde du chercheur comme sujet-spectateur. Certes, le sociologue ne dispose alors que d’indices, de témoignages, de questionnaires, d’entretiens pour reconstituer l’intensité de l’événement survenu [6]. Il faut faire preuve d’imagination théorique pour proposer une sociologie du sujet, qui ne laisse pas pour autant hors jeu les éléments constitutifs du concert lui-même (textes des chansons, modes d’adresse, danse, chants, voix, instruments, dispositifs scéniques, construction du spectacle, musique). En d’autres termes, ne pas appréhender « le goût musical comme une propriété, un attribut fixe dont la sociologie doit rendre compte en lui trouvant des déterminations externes, mais comme une pratique, une activité collective avec des objets, un “faire ensemble”, passant par des savoir-faire et n’ayant de sens qu’à cause des “retours” que les pratiquants en attendent – et en obtiennent » (Hennion, 2004 : 10).

Ce qui surgit avec la musique

11 Nous savions depuis nos premiers travaux de recherche que, toujours, les sujets-objets résistent, persistent et signent. Antoine Hennion [7] définit donc une intelligence nouvelle de la musique qui prend au sérieux les objets eux-mêmes pour ce qu’ils sont autant que pour ce qu’ils induisent. Il s’agit de ne pas les réduire à une croyance dans la lignée de Durkheim, à des artefacts ou des mécanismes sociaux, à de stricts construits sociaux dont il s’agirait pour le sociologue de dévoiler la signification ultime. L’idée est de s’arrêter sur les objets sans pour autant les réifier, en ce que la médiation n’est pas ce qui rend actif ce qui lui préexiste, mais actualise ce corps à corps entre le sociologue et son objet, entre l’objet artistique et ceux qui vivent la musique, par l’intermédiaire de toute une série d’intermédiaires, et ce, encore plus particulièrement s’agissant de la musique de variétés qui « opèrent la conjonction maximale de médiations » (Hennion, 2007 : 318). Puisqu’il s’agit de travailler sur ce qui surgit avec la musique engagée et donc sur le lien entre moment/musique/émotions/contenus/affects, un déplacement du champ de compétences s’impose, du sociologue aux sujets, en acceptant l’idée d’une pluralisation du monde social, d’un habitus non univoque, mais aussi celle d’une « poétique des œuvres ouvertes ». Il s’agit donc de relever ce défi, d’entrer en dialogue avec l’objet ou plus exactement avec ce qui surgit avec l’objet… et de « réhabiliter l’auditeur comme siège de sentiments, d’émotion, de passion, d’enthousiasme, de plaisir, d’états, mais qui soient liés aux situations, imbriqués dans leurs dispositifs techniques et sociaux, au lieu d’être justement définis hors des circonstances, des artifices, des effets de groupes ou des particularités locales » (Hennion, 2007 : 375.). Les émotions semblent indissociables des effets produits par la musique « au point que le syntagme émotion musicale” [8] apparaît à bien des égards comme un syntagme pléonastique » [9]. Elles naissent de l’implication des sujets et des significations qu’ils en construisent. La difficulté tient à l’articulation du fait que les sujets musicaux organisent des sonorités, mettent en œuvre des dispositifs pour produire et éprouver certains effets, mais que les moments qui résultent de ces agencements s’inscrivent aussi dans des pratiques et des vécus hétérogènes sans oblitérer l’acte créateur et interactif qui les a mis au monde, sans ignorer que la puissance d’évocation et le pouvoir émotionnel se construisent dans l’expérience et dépendent du médium que constitue la chanson en concert, elle-même productrice d’efficacité émotionnelle et corporelle. L’analyste ne peut la réduire à un logos, en gommant les circonstances de ses pratiques collectives tout comme la mobilisation sensible des sujets.

12 Ce travail de recherche sur Bernard Lavilliers permet de confirmer la primauté des fondements subjectifs dans l’acte de recherche, ce caractère primordial de la subjectivité dans les opérations théoriques de pensée suscitant à son tour des interrogations sur les relations entre le constitué et le constituant au regard de la recherche sociologique [10].

Une sociologue dans un concert

13 À ce moment de notre raisonnement, un détour par mon propre parcours subjectif de chercheure et de sujet s’avère indispensable ; non qu’il puisse intéresser le lecteur en tant que tel, mais bien parce qu’il est porteur d’une manière de penser la recherche et d’une dynamique du sens mise en acte de la recherche [11]. Cette manière de penser le savoir s’ancre dans une manière de penser le rapport au savoir, initiée par les travaux de Bruno Etienne et mes relations à ce chercheur [12]. « Le sens est une certaine façon de diriger notre regard, écrit Alfred Schütz, sur un item de notre expérience. Cet item est ainsi sélectionné et rendu discret par un acte réflexif », mais cet acte réflexif mobilise le corps et les sens, que le sujet en soit conscient ou pas.

Une « compréhension incarnée ».

14 La compréhension sociologique nécessite à la fois la saisie de l’élaboration symbolique de l’expérience du monde qui donne sens aux expériences, mais aussi l’appréhension du rôle médiateur des catégories affectives qui ne peuvent être (ré)appropriées par le chercheur que sur le mode du vécu. Tout rapport social, toute expérience sociale supposent un savoir pratique ou ordinaire comme arrière-fonds commun aux protagonistes d’une interaction sociale, mais qui ne peut être pensé comme une représentation – de sens commun – du monde déjà là… C’est le caractère inséparable des processus sensoriels et moteurs (ici dans le cadre du concert) qui génère la perception, l’action, la sensation, et la cognition pensée comme « compréhension incarnée » selon l’acception de Francisco Varela. Il se joue entre un chanteur, un interprète et son public une forme d’attachement que la sociologie critique n’a pas réussi à saisir : dans cet attachement, il y a toujours un objet du goût, il y a toujours un collectif produit par cet amour commun et qui aime en commun (Hennion, 2005). Pourtant, dans un premier temps, je [13] crus en tant que chercheure à la position théorique de dévoilement et de distance critique de la sociologie du goût. Le savoir se construit contre : contre le sens commun, contre les autres, contre soi-même… mais les premières expériences de terrain (concernant notamment la musique) me firent comprendre qu’il se construit aussi avec : avec les autres, avec soi, avec l’Autre qui parle par sa bouche, selon l’expression de Derrida. Certes, j’avais pour projet, dans ces premiers travaux, de saisir la réalité politique comme construction sociale et scientifique à la fois, sans me borner à saisir les règles par « le haut », comme exécution univoque de procédures rationnelles, mais au contraire de saisir la puissance souterraine du social, par les réinterprétations plurielles, les négociations et jeux de pouvoir, les logiques d’action plurielles qui président à la continuelle définition/redéfinition des règles politiques au sein des groupes. Mais le choix même de l’objet rendait difficile, voire impossible, toute empathie. En termes plus concrets, je commençai mes travaux de sociologie de la musique par des études sur les musiques émergentes [14]. Parmi ces cultures musicales périphériques, je travaillai sur le cas idéal-typique de la musique techno, comme expression d’une socialité socialisante et communautaire des jeunes [15]. Ce qui est à remarquer, c’est que je choisis alors une position de surplomb confortable : celle du chercheur non impliqué, au moins dans la musique et les fêtes qu’il fréquente comme chercheur (mais pas comme sujet). Aucun attrait personnel pour les rythmes technos, pour les transes nocturnes et au final un sentiment doux-amer que cette pensée du décentrement ne me permettait pas de ressentir ce qui fait sens pour ceux qui vivent ces raves, restant étrangère au moment : il s’était agi par de classiques investigations techniques (entretiens, questionnaires, observations) d’entendre ce que les acteurs disaient d’eux-mêmes sans toutefois s’y fier vraiment, car la sociologue que j’étais alors pensait qu’elle ne pouvait se laisser prendre à ce que les acteurs disent d’eux-mêmes, acteurs qui croient en toute bonne foi être ce qu’ils disent qu’ils sont… Et pourtant ne pas entendre et sentir vraiment ce qu’ils disent de ce qu’ils sont est tout aussi dommageable. Cependant pour entendre ce qu’ils disent qu’ils sont, l’empathie, le ressenti, l’affect, le vécu intime, une disponibilité du corps, une maîtrise au moins partielle des compétences ordinaires des sujets qui vivent le moment nécessitent une relation particulière avec l’objet et assumée comme particulière…

15 Après avoir sinon haï mon objet, au moins y avoir été étrangère et indifférente, et face à ce que je perçus confusément comme une faiblesse de perception et de compréhension liée à cette disposition d’esprit revendiquée, je décidais du choix inverse. Ainsi, désormais, pour analyser ce qui se joue entre un artiste particulier, son engagement politique et son public, je ne pouvais plus adopter l’attitude détachée de l’observateur/sociologue, un brin ironique, face à une pratique qui par définition se vit en commun et nécessite de faire sens de ce qui est vu, écouté, ressenti dans un espace et un temps communs. Il s’agissait donc de prendre le risque de « l’aveuglante proximité du réel » pour saisir un mécanisme d’adhésion collective de refuser la purification moderne des objets de science et d’opter pour la familiarité, telle celle du sociologue/musicien praticien de jazz analysant les lieux du jazz et de choisir un artiste, revendiquant certes des engagements, mais surtout permettant au sociologue d’envisager le sens d’une participation spectatorielle pour l’avoir vécue, non comme chercheur, mais comme spectateur [16]. Au cœur même de cette implication personnelle, non tant engagement au sens où l’enjeu demeure d’abord un enjeu cognitif (même si les enjeux cognitifs sont toujours aussi des enjeux sociaux), deux événements font particulièrement écho à l’impossible posture de distance sans affect du chercheur, qu’il le veuille ou pas, qu’il le sache ou pas…

Implication et affects

16 1992, Thionville, une salle de concert comme une autre… mais une ambiance particulière : un concert de Bernard Lavilliers en soutien aux mineurs en difficulté, frappés par la crise de la sidérurgie lorraine, juste au moment où les derniers hauts-fourneaux s’éteignent peu à peu, ne permettant plus aux « mains d’or » de « travailler encore »… Dans la salle, une femme enceinte debout juste devant la scène danse au milieu des spectateurs… Peu à peu la fatigue s’installe ; le ventre rond pèse, mais le moment est fort et elle n’a pas envie de retourner à sa place ; elle goûte l’instant, la voix, le rythme, le partage avec les autres… Cependant, épuisée, il lui faut s’asseoir. La scène est prolongée par une avancée en bois et quelques marches. Elle s’y installe pour souffler un peu. Une cassure de rythme : Lavilliers, qui vient de chanter des chansons aux rythmes latins qui font danser la salle, avance sur ce promontoire et s’assoit seul avec sa guitare : les musiciens sont sortis, une chanson douce va suivre… Un vigile s’aperçoit de la femme enceinte assise au bout, la main sur le ventre et se précipite : elle va gêner le chanteur… Un petit geste de Lavilliers au vigile, un sourire et la femme enceinte peut rester assise et écouter les chansons solo qui suivent, chantées « juste pour elle » avec ce brin de distance cependant qui lui permet de savoir que, si les illusions construisent le réel, on peut cependant les vivre comme réelles… Quelques minutes après, Lavilliers chante l’une de ses dernières chansons, « Salomé », et la femme enceinte a choisi le prénom du bébé qu’elle porte ; « Salomé » qui bien sûr, porteuse de ce signe, aura dès ses plus jeunes années envie de chanter… Cette anecdote qui raconte le vécu de la sociologue qui enquête illustre à elle seule le passage d’une sociologie critique du goût à une sociologie compréhensive du sujet, sujet connaissant autant que sujet de l’expérience.

17 La seconde anecdote sera paradigmatique des effets de la technique d’investigation elle-même sur les résultats. Lors d’une des enquêtes de terrain, menée en 2010, pendant un concert, je rencontrai quelques minutes avant son entrée en scène l’artiste, grâce à son manager qui me conduisit à sa loge. Celui-ci avait lu un ou deux articles que j’avais écrits sur un précédent concert ; il savait que j’enquêtais ce soir-là auprès du public et il bavarda quelques minutes avec moi. Pendant le concert, comme à son habitude, Bernard Lavilliers parla des chansons qu’il va interpréter. À propos d’une de ses chansons, il avait lu sur internet qu’un philosophe la qualifiait de « post-romantique ». Et s’adressant à la salle, il demanda « post-romantique ? Ça veut dire quoi post-romantique ? » avant d’ajouter « Tiens, je vais demander à la sociologue qu’elle m’explique » [17]. Ces quelques mots [18] changent nécessairement la position de l’observateur extérieur (que d’ailleurs je n’étais pas du fait du choix de mon « objet ») et lui confère dans la parole de l’autre une place sinon légitime, au moins (re)connue. Preuve en fut : il se trouva que plusieurs fois des répondants à mes entretiens firent référence à cette remarque de Bernard Lavilliers au point que plusieurs d’entre eux me dirent « ah c’est vous la sociologue post-romantique !! » avec un sourire complice. La position d’extériorité revendiquée par une certaine manière de faire de la sociologie était là battue en brèche, mais, par définition, cette position n’est jamais tenable, cette anecdote n’en étant qu’une illustration.

La traque du « frisson dans le dos »…

18 Dans les concerts, la fusion partagée est-elle conscience commune ? L’effervescence sociale, la liesse collective produite par le concert, relève-t-elle de l’adhésion ou de l’adhérence [19] ? Si le concert procède d’abord d’une communauté d’émotions et de sentiments partagés notamment par le bouleversement des repères sensoriels, nous nous interrogeons ici sur le pouvoir performatif des concerts. À l’adhésion en raison, rêvée par les Lumières, au travers d’un concept de sujet reposant sur la structure unilatérale, dominatrice et autoréférentielle de la conscience de soi, il faut probablement substituer une adhérence reposant sur de nouveaux processus collectifs de subjectivation pour saisir les formes d’effervescence de la seconde modernité.

2.1 La chanson comme invitation entre subjectivation et halos d’interprétation

19 L’épaisseur complexe du plaisir musical nécessite de ne pas penser les œuvres comme réduites à de simples écrans des valeurs collectives, sans causes, effets ni dynamiques propres (Roueff, 2011) et d’appréhender les (ré)interprétations de la réalité sociale, l’hétérogénéité des pratiques musicales et des jugements les divergences d’interprétation. Pour saisir la grammaire de cet instituant, il faut explorer les chansons comme œuvres ouvertes. Les valeurs associées aux chansons n’impliquent pas qu’elles aient la même acception aux yeux des musiciens, des auditeurs et du chanteur. Il est donc impossible de réduire la chanson engagée aux engagements qu’elle soutient et véhicule [20]. L’engagement politique se nourrit de l’engagement émotionnel, voire même passionnel. Pour Eco (1965), la poétique de l’œuvre ouverte est fondamentale pour saisir le rapport que le récepteur peut entretenir avec l’œuvre, car « l’œuvre d’art est un message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés qui coexistent en un seul signifiant » [21]. La chanson est une invitation, non pas nécessitante ni univoque, mais orientée, à une insertion relativement libre dans un monde qui reste celui voulu par l’auteur. Ces halos d’interprétation à l’œuvre dans la réception des chansons pendant les concerts participent de la jouissance esthétique et de l’émotion.

20 Dans nos entretiens, la plupart des spectateurs des concerts expriment leurs affects face au chanteur ou au spectacle lui-même [22].

« Il arrive à dire ce que je ressens et que je n’arrive pas à dire. (…) Il est une conscience du monde » (Rosalie, Infirmière, 54 ans.)

21

« Je suis une inconditionnelle, c’est comme une nourriture. C’était très fort, son dernier album, il m’a vidé la tête. J’étais sur un petit nuage en sortant du concert. J’étais juste devant, j’ai vu tous les petits détails : les gestes, les regards avec les musiciens, les sourires… Je ne suis pas déçue, il est à la hauteur de ses textes. Ils sont très forts ses textes, mais il y a des phrases que je ne peux pas entendre ; elles sont trop dures, elles me touchent trop : “j’ai recouvert ton visage de sable” [23] par exemple. Certaines chansons me touchent plus que d’autres : “l’exilé” par exemple :

“J’ai deux bracelets d’acier qui entravent mes bras
Le bruit des bottes qui résonnent, mon père a connu ça” [24]

22

De par mes origines – le Mali par mon père ; la Normandie par ma mère – tout ce qui est en rapport avec l’asservissement, j’ai vécu aux Antilles ; l’esclavage a laissé des traces. “Causes perdues” cette chanson aussi elle me parle énormément, j’ai voyagé en Afrique… La France c’était l’Eldorado on leur promettait des conditions de travail… (silence) Les émigrés je comprends pourquoi ils acceptaient. (Elle cite des paroles par cœur) :

“Tous ces hommes sans femmes des quatre coins du monde
Seuls dans les dortoirs comptent les secondes
Partir si loin pour ne pas réussir
Avoir un toit pour dormir” [25]

23

En France j’ai rencontré des travailleurs émigrés, tombant dans la marginalité. Ça c’est la réalité, ça me touche énormément. Bernard Lavilliers a la particularité de saisir dans le détail ce qui est essentiel pour les gens en peu de mots :

“Frapper à des portes en fer qui ne s’ouvrent pas
Parler à des gens trop fiers qui ne me voient pas” [26]

24

ça je l’ai vécu ! J’ai une culture uniquement occidentale, j’ai fait des études. Quand je me trouve devant certains, il y a des a priori par ma couleur, oui ma couleur de peau. Des gendarmes dans un centre de vacances ; ils voulaient des renseignements, ils m’ont ignorée ; moi la responsable. Je vois, j’analyse et… (silence) je réagis. Bernard Lavilliers a su voir des détails… qui n’en sont pas. Lui, il sait ! Comment il fait ? Il arrive à savoir…

“Trafic vertu
J’aime ou je tue
(…)
Que veux-tu que je sois
Dans cette société-là ?
Un ange ou un cobra
Un tueur ou un rat ?
Où veux-tu que je vive
Dans la radioactive ? » [27]

25

Qu’est-ce que je fais face à ces gens-là ? Je deviens violente ? J’accepte ? Je me soumets ? C’est les questions que je me pose : « Un ange ou un cobra ? Un tueur ou un rat ? » Il me pousse à y penser, Lavilliers. Et « Identité nationale » ! J’habite un coin perdu dans la montagne, et on est tous sous contrôle…
Et « tu deviens repérable sur ton adresse IP » [28]
Vous êtes fliqués par internet. Les dominants, ils se servent de vous, ils vous influencent, vous utilisent socialement… C’est 1984 d’Orwell… Y’a des méthodes pour manipuler les gens par ce qui est infusé et on moule notre identité : Lavilliers est conscient de ce moule. Il utilise ses moyens, il est une conscience du monde. C’est ce que je perçois et cette conscience est essentielle : il voyage, ses albums sortent de studios du monde entier… Pour faire passer ses messages, il doit être dans la société.
Et « La grande marée », c’est une de ses premières chansons : cela me donne un sentiment (silence)... c’est ce qui lave, uniformise tout… En Normandie, aux équinoxes de printemps ; une grande marée remonte et balaye tout… et tout devient uniforme ; on se ressemble tous, on n’est plus capable de se révolter ou de crier.
En 68, j’avais 12 ans, j’ai connu cette solidarité dans la rue, les gens n’en sont plus capables, car on a tout nettoyé… c’est « la grande marée ». On les a ficelés par le confort. Tout est aplani ; pas de soucis pour les dominants.
Ce qu’il fait c’est super ; car il est le vecteur de pas mal d’idées et dénonce. C’est important dans une société grâce à des artistes, les choses peuvent bouger ; il y a les discours politiques, mais on n’y est plus sensible. Les artistes comme lui sont en capacité de se mettre au niveau des gens et ce qu’il dit, la gravité des paroles, entre en contraste avec les rythmes des chansons à danser. Parfois je danse, parfois j’écoute les paroles. Il arrive à dire ce que je ressens et que je n’arrive pas à dire. Il est resté fidèle à lui-même… et pendant ses concerts, presque il ne parle pas assez. Mais parfois, il dit un mot et c’est essentiel, il faut qu’il dise ! »

26 Le témoignage de Rosalie est particulièrement saisissant : d’abord, une très bonne connaissance des textes de chansons, ensuite une réinterprétation des textes à l’aune de son vécu, réinterprétation qui lui donne une grille d’analyse du monde qu’elle étaye par ses propos, qu’elle exprime par ses souffrances. Il y a de constants allers-retours avec les textes qui lui donnent la sensation d’un élargissement de sa conscience du monde. Dans une tension complexe entre monde social, auteur-interprète et spectateurs, c’est une sorte d’herméneutique pensée au profit d’un positionnement politique qui s’inscrit dans les propos de Rosalie, une sorte de poétique de la déchirure qui me semble bien traduire une des fins – non intentionnelles cependant – qui organisent la réception : se comprendre soi-même autant que comprendre les significations portées par les chansons. L’intention d’auteur est toujours débordée [29] : la chanson suggère et le spectateur construit. Pour Rosalie, il y a son histoire familiale (elle est métisse), sa couleur de peau, ses expériences, ses engagements. Cette mise en récit, forme de reconstruction du spectacle charge peu à peu le concert de propriétés qui en disent long tout autant sur les sujets « affectés » eux-mêmes que sur les ressorts du spectacle. Et ce, notamment quand les sujets se vivent comme transformés par la musique : ni tout-à-fait assujettissement des sujets de l’extérieur (au groupe, au concert, à l’artiste), ni tout-à-fait transformation interne des sujets par le vécu du concert, mais une sorte d’entre-deux. Il s’agit d’un entre-deux où les sujets entendent et vivent ce qu’affectivement ils sont prêts à entendre et vivre ; tout en codant la réalité que constitue « la relation interhumaine qui (…) passe par des objets et (…) la relation à un objet qui passe par ses médiateurs humains » (Hennion, 2005 : 361).

27 La chanson vit sur une plus-value de sens qu’apporte celui qui la reçoit avec le fait que dans le cas du concert ,la réception est aussi collective…

2.1 Adhésion ou adhérence ?: quand les sens font sens

28 Certes, le public perçoit, reçoit, interprète les engagements des artistes à l’aune de son parcours biographique singulier, mais – et ce sera l’hypothèse conclusive ouverte – c’est le vécu commun qui pendant le concert donne sens à ces engagements. C’est ce que nous qualifions de participation politique affinitaire : la chanson sociale est une des expressions de cette forme affinitaire de participation, fondée au-delà de l’adhésion sur une adhérence exprimant autant une désaffection pour les modalités classiques du politique qu’une reconstruction identitaire. Le concert est une enveloppe sonore, cristallisant des effervescences éphémères et collectives, une forme de participation mystique ou magique, où chacun appartient à un ensemble qui lui donne sens, qui tisse dès lors un lien social reposant sur le fait de s’entre-appartenir, un rituel liturgique, qu’il passe par la fête, le jeu, l’excitation, le communautaire, le plaisir. Certes, il peut se jouer une forme de résistance, de non acceptation du statu quo, mais cette résistance se pense dans un vécu du présent, une syntonie collective, une « hystérie » – en son sens étymologique – une éthique où l’affect a sa part, une mise en commun d’émotions comme moyen de conforter le groupe. Le concert de Lavilliers remplit la fonction que Durkheim attribuait aux « rites piaculaires », par lesquels une communauté se structurait uniquement en laissant s’exprimer les pleurs et autres humeurs collectives, un moyen de laisser libre cours aux affects, dans une culture de la fête, mode de jouissance du présent. Le sens que le public donne à ce qui est transmis est construit par une expérience collective, sorte de rite collectif, le concert. Il est probable que, en dehors de ce contexte, de cette expérience singulière et collective, le sens se construit tout autrement.

29 Le concert, ainsi, ne peut se confondre avec un simple reflet du monde et pourtant son matériau entretient un rapport nécessaire avec la réalité sociale, avec Lavilliers, et avec la réalité politique et sociale en priorité. Dans le concert, l’onirique collectif est mû par des identifications multiples. Les pratiques incarnées deviennent des moyens de redire l’importance du corps individuel dans le cadre du corps collectif, corps mystique ou « corps imaginal ». Car le corps social ne se reconnaît plus par les mécanismes de l’abstraction rationnelle, mais tend à s’affirmer dans l’organicité des groupes émotionnels. Beaucoup de témoignages mettent l’accent sur les sensations, les émotions, le corps, la danse, l’ambiance, l’envahissement par le son, le regard, la voix, à la fois physique et psychique, véhicule, mais aussi vécu véhiculé, instrument de sociabilité et de vitalité intime, les lumières, etc. Le concert oscille entre « transfiguration du politique » et critique sociale [30].

30 Finalement, nous ne nous situons ni dans une posture de sociologie critique qui définit les cultures populaires par leur soumission à la domination, ni dans celle plus angéliste qui insiste sur leurs capacités de résistance et leur autonomie, mais dans une voie de l’entre-deux, qui montre à la fois les ferments de résistance à la domination portés par les concerts de Lavilliers dans la mesure où ses publics y adhèrent et s’y référent assez largement, et la jouissance ludique du moment de concert qui en médiatise les effets jamais univoques. Entre vibration de l’intime et jouissance ludique du présent, ne sont-elles pas cet étrange étranger de l’intérieur ? Lavilliers est une icône spectaculaire du moderne, mais sous la participation émotionnelle et corporelle, collective et singulière des spectateurs « affectés » transparaît l’épiderme du social : il se lit dans la chanson, et particulièrement in-vivo dans les concerts. Lavilliers participe depuis ses premières chansons de ce questionnement social autour de l’altérité et son public ne s’y trompe pas : c’est ce que ce public socialement mixte retient d’abord. Les pratiques culturelles participent à la construction des identités collectives faites de récits collectifs, de symboles partagés et, s’agissant des concerts de Lavilliers, de mise en questions des hiérarchies sociales. Car l’art sert le Politique non pas seulement par le biais de thèses portées par les œuvres, mais parce qu’il transforme les spectateurs en sujets qui « sentent », pensent et pansent le monde.

Bibliographie

Bibliographie

  • Bitbol M., L’aveuglante complexité du réel, Paris, Flammarion, coll. champs, 1998
  • Burke, K. Language as Symbolic Action, Berkeley, University of California Press, 1966.
  • Dayan D., Les mystères de la réception, Le débat, n°71, 1992.
  • Dupuy Jean-Pierrre, Introduction aux sciences sociales , Ellipses, Paris, 1992.
  • Dosse F., L’empire du sens, Paris, La découverte, 1997.
  • Eco U. L’œuvre ouverte, Paris, Le seuil, Coll. Points, 1965.
  • Etienne B., La grenade entrouverte, La tour d’Aygues, éditions de l’Aube, 1999.
  • Goodman Nelson, Langages de l’art. Une approche de la théorie des symboles, Paris, Jacqueline Chambon, 1990 (1968).
  • Grimbert P., Psychanalyse de la chanson, Paris, Les Belles Lettres, 1996.
  • Hennion A. Une Sociologie des attachements. D’une sociologie de la culture à une pragmatique de l’amateur, Sociétés, n° 85 – 2004/3.
  • Hennion, A., La passion musicale. Une sociologie de la médiation, Paris, Métailié, 2007.
  • Latour B., Sur le culte moderne des dieux faitiches, Paris, La découverte, 2009.
  • Liogier R., De l’humain : nature et artifices, Actes sud, La pensée de midi, 2000.
  • Roueff O., Musiques et émotions, Terrain, n°37 - Musique et émotion (septembre 2001), mis en ligne le 06 mars 2007. URL : http://terrain.revues.org/1280 Consulté le 02 juin 2011.
  • Vidal D. De la fiction : anecdotes et catégories. Décrire: un impératif ?, Paris, EHESS, 1985.

Notes

  • [1]
    « Salomé » chanson de Lavilliers, album Solo, Barclay, 1991.
  • [2]
    En un certain sens, débattre des théories de la connaissance et de la connaissance elle-même revient à répondre à la question kantienne : comment les concepts peuvent-ils être une représentation sensible de quelque chose d’une nature différente de la leur ?
  • [3]
    « La division entre le sujet et l’objet, avec la position de surplomb qu’elle impliquait, laissait entendre que les sciences humaines pourraient parvenir à une situation de clôture de la connaissance dans lequel le sujet pourrait saturer l’objet par l’enveloppe de son savoir ». (Dosse, 1997 : 309)
  • [4]
    La chanson est une œuvre culturelle singulière : comme le note le psychanalyste Philippe Grimbert, « on ne peint pas les tableaux du peintre, on n’écrit pas les livres de l’écrivain ; mais on chante les chansons du chanteur » (Grimbert 1996 : 122)
  • [5]
    Extrait de la chanson « Salomé » de Lavilliers, album Solo, 1991, Barclays
  • [6]
    Il s’agit de chercher notamment les moyens symboliques utilisés pour induire un « terministic screen », un ensemble de symboles faisant office d’écran ou de grille d’intelligibilité et à travers lequel le monde fait sens.
  • [7]
    Dans l’ouvrage qui fonde une manière inédite de concevoir l’art, La passion musicale, Antoine Hennion, réévaluant le rapport théorique du chercheur à son objet, propose une voie/voix de l’interstice, celle de la médiation active, qui dissout l’opposition œuvre/social et qui récuse le dilemme entre l’analyse qui attribue toutes les compétences aux sujets et celle qui confère toute propriété aux objets eux-mêmes (Hennion, 2007).
  • [8]
    Voir à cet égard le numéro de revue Terrain, n°37 : « Musique et émotion », Paris, 2001.
  • [9]
    Laborde D., 1994, « Des passions de l’âme aux discours de la musique », Terrain, n° 22, p.79. Pourtant, les émotions ne sont pas des propriétés structurelles de l’objet quel qu’il soit car il n’est d’émotion musicale que celle que des sujets laissent émerger. « Il n’existe pas de faits strictement émotionnels ». Les émotions ne sont pas inhérentes aux objets, même lorsqu’il s’agit de musique, mais résultent de la mise en place de différents dispositifs et de la construction de significations plurielles et consensuelles à la  musique  par les sujets.
  • [10]
    Un positivisme scientifique en traces dans la science-se-faisant, ainsi que des logiques inscrites dans la dynamique de nos sociétés, concourent à une mise en cause, peut-être historiquement inédite, du sujet humain et du lien social, épreuves dont le caractère radical révèle d’autant plus la puissance des sujets à ne pas s’y laisser réduire / séduire. Ainsi, quand l’objet est un sujet, la question de la rétroaction possible (nécessaire) de l’objet sur le sujet, ou encore des dispositions cognitives, matérielles, affectives, éthiques du sujet-connaissant-agissant à partir de l’action des objets sur lui ne peut être appréhendée qu’au travers du prisme partiellement déformant de la subjectivité, libre tout autant que déterminée, du sujet – connaissant. Il s’agit donc de réfléchir à l’implication du chercheur lui-même dans son objet d’autant que les situations d’enquête exigent tout un dispositif d’effacement progressif des contextes habituels de la pratique, effacement que nous pensons non heuristique.
  • [11]
    Bien sûr, en tant que telle, cette élucidation n’a d’intérêt que pour le sujet lui-même. Mais nous suggérons qu’elle peut déborder l’expérience singulière en illustrant en quoi l’activité scientifique n’est jamais aussi transparente qu’elle le prétend, sorte de discours « sans bruit », mais qu’elle met en jeu beaucoup plus que ce que les cours de « Méthodes des sciences sociales » expliquent aux étudiants dans la classique description de ce que « la technique fait à l’objet » ou des relations sujet/objet.
  • [12]
    C’est ainsi que l’ouvrage « La grenade entrouverte » écrit par le politologue Bruno Etienne est une reconstruction des énigmes du monde et du moi, mémoires de l’oubli qui permettent de saisir que créer, c’est (aussi) dire l’intime : faire œuvre c’est faire corps, tout en dépassant le contexte particularisant de l’expérience singulière. Mais le paradoxe de cette intime universalité, c’est que l’étranger traverse l’intime. Les sciences sociales se sont construites, à l’ère de la raison triomphante, sur l’oubli de la question éthique et de la subjectivité du chercheur et ce double ouvrage du politologue, à la fois traité de science politique, conçu comme herméneutique et ascèse, et auto-analyse biographique, mérite aujourd’hui d’être relu. La grenade y est à la fois objet signifiant, métaphore nomade, parabole conceptuelle, itinérance d’une histoire et appétence de vie. Ce chemin de reliances donne à voir les moments d’une subjectivité dans un mouvement où se lit/lie une histoire collective et un chemin personnel comme tentative de reconstruction du sens.
  • [13]
    Le passage du Nous académique au Je intime illustre la part du sensible qu’oblitère souvent l’acte de recherche.
  • [14]
    Je les étudiai dans leur lutte symbolique pour l’existence sociale plus qu’artistique, se traduisant par le travail des sous-cultures alliant la socialisation d’une minorité juvénile anomique, l’utilisation plus ou moins ritualisée des techniques du corps et de l’extase, pratiques de présentation de soi, rapports aux normes, mise en œuvre de rituels.
  • [15]
    Bien sûr, toute une série de déterminations conscientes et inconscientes présidèrent à ce choix, déterminations que je ne tenterai pas ici d’éclairer, en ce qu’elles ne seraient là que digression de mon propos essentiel
  • [16]
    Une trentaine de concerts vus « pour le plaisir » sur plus d’une trentaine d’années dans des lieux divers, de la toute petite salle de spectacle de Marseille à la salle de spectacle d’un haut lieu sidérurgique en période de crise, Thionville, à la grande salle de spectacle parisienne, jusqu’au spectacle en extérieur sur un terrain vague d’une petite ville de province, Salon de Provence, ou encore dans une petite discothèque d’Hyères, et ce, combiné à la pratique de la chanson de variétés en amateur et de celle de ma fille Salomé, dont le prénom, figure mythique de la création artistique et littéraire autant que de l’histoire biblique, porte en son sein autant l’aspiration à la paix que le risque de l’altérité : prénom-chanson de Lavilliers.
  • [17]
    Il eut pu s’agir d’une volonté de l’artiste de confondre plusieurs niveaux du rapport avec son public, voire de manipuler les ressentis ou affects du public. En l’espèce, l’artiste ne tenait pas à qu’un article ou un ouvrage soit écrit sur ces concerts et il fallut beaucoup d’insistance et d’obstination pour obtenir l’autorisation de faire ces enquêtes de terrain dans les concerts. Si bien que l’hypothèse d’instrumentalisation tombe d’elle-même. La question reste posée cependant de l’effet de cette adresse sur les publics et de la manière dont la chercheure s’en emparant, cette adresse modifia ce que la technique fait à l’objet.
  • [18]
    Qu’ils soient délibérés pour marquer ma présence ce soir-là ou simplement venus spontanément.
  • [19]
    Cette dichotomie est tirée du travail de Raphaël Liogier, 2000. Au sens d’une adhésion intellectuelle à des principes, des valeurs justifiées en raison. Ou adhérence, au sens d’une croyance intime, éprouvée en commun reposant sur une architectonique des désirs humains et précédant ou accompagnant la justification rationnelle sur les fins collectives.
  • [20]
    « Pour apprivoiser cette musique indocile, on a pu aussi lui appliquer la théorie du reflet. Elle devient alors un écran où se donneraient à entendre les croyances partagées, les représentations collectives, les identités (…) dont elle serait le symbole sonore. Sans densité propre, elle se contenterait de renvoyer aux valeurs et aux significations qui l’instituent en support de leur expression. (…) (Ce serait alors) oblitérer l’acte créateur et interactif qui l’a mise au monde, ignorer que la puissance d’évocation d’un chœur de flûtes, comme celle d’une sculpture ou d’un masque, (d’un concert) dépasse largement les jeux d’une petite symbolique identitaire » (Roueff, 2001)
  • [21]
    Il s’agit de ne pas réduire l’œuvre à un objet de consommation et de refuser la conception d’un récepteur passif face à l’œuvre, pour mettre en valeur l’activité, l’expérience, l’interprétation : le récepteur de la chanson participe à l’œuvre de façon active et sa collaboration est même nécessaire à l’œuvre, car la partition n’est pas figée et reste pour le musicien, le chanteur, l’artiste un champ de possibles lié à cette ambiguïté, pour établir une relation aux spectateurs qui eux-mêmes font vivre ces contenus à l’aune de leur culture, de leurs affects et de leurs émotions dans une perspective originale.
  • [22]
    Nous n’en reproduirons ici qu’un extrait parmi des dizaines.
  • [23]
    A vrai dire cette phrase ne semble pas être extraite d’une chanson de Bernard Lavilliers – sauf erreur de notre part – ce qui est encore plus symptomatique de ce que le récepteur fait de ce qu’il entend ou croit entendre.
  • [24]
    Extrait de L’exilé, Album Causes perdues et musiques tropicales, 2010, B. Lavilliers.
  • [25]
    Extrait de Causes perdues, Album Causes perdues et musiques tropicales, 2010, B. Lavilliers.
  • [26]
    Extrait de L’exilé, Album Causes perdues et musiques tropicales, 2010, B. Lavilliers.
  • [27]
    Extrait de Traffic, Album Histoires, 2002, B. Lavilliers.
  • [28]
    Extrait de Identité nationale, Album Causes perdues et musiques tropicales, 2010, B. Lavilliers.
  • [29]
    Comme Bakhtine l’a montré avec les notions de dialogisme er de polyphonie, et comme Umberto Eco l’exprime dans ses travaux sur l’œuvre ouverte.
  • [30]
    Le sujet conscient, rationnel et volontaire de la modernité cède la place au sujet de la seconde modernité. Dans une sorte d’union des contraires, somme toute symptomatique des formes sociales, postmodernes, ce moment de concert proprement politique au sens du lien social qui se crée dans l’implicite et le ténu des interactions sociales (sourires, contacts, regards, communications infra-verbales) renvoie à la fois paradoxalement et dialogiquement à ce que Maffesoli qualifie de « transfiguration du politique quand l’ambiance émotionnelle prend la place du raisonnement » ou quand le sentiment se substitue à la raison et à des discours d’engagement politique critiques plus classiques, mais construisant des civilités infra-politiques, dans une sorte de moment-monde, de topos collectif. Comme si, finalement, le politique post-moderne, récusant les modalités institutionnalisées par les instances productrices de biens symboliques, cherchait d’autres lieux d’expression du politique.
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