Couverture de SOC_150

Article de revue

Les réfléchissants. Gilets Jaunes, ronds-points et nulle part ailleurs

Pages 83 à 97

Notes

  • [1]
    Ph. Joron, « L’ordinaire événementiel », in Cahiers Européens de l’Imaginaire, n° 6, CNRS Éditions, Paris, 2014, p. 182-186.
  • [2]
    E. Morin, L’esprit du temps (1962), Éditions de l’Aube, Paris, 2017, p. 272.
  • [3]
    Le mouvement des Bonnets rouges, apparu en Bretagne lors des manifestations organisées les samedis 14, 21 et 28 octobre 2013, s’est constitué en réponse à la loi sur l’éco-redevance sur les poids lourds et l’installation de portiques « écotaxe », mais aussi en réaction aux divers plans sociaux du secteur agro-alimentaire, dont notamment la fermeture d’abattoirs et la restructuration de ces derniers avec l’utilisation momentanée de travailleurs détachés roumains non soumis à la législation française sur la rémunération minimale (SMIC). Le slogan des Bonnets rouges : « Vivre, décider, travailler en Bretagne » fait écho à l’appel de syndicalistes, de chefs d’entreprise, de politiques locaux d’intellectuels et de citoyens régionalistes dénonçant le trop-plein de réglementations nationales et européennes qui selon eux invalide le dynamisme économique, social et politique de l’entité régionale bretonne, sur fond de revendications culturelles et identitaires.
  • [4]
    M. McLuhan, La Galaxie Gutemberg, Gallimard, coll. « Idées », Paris, 1977.
  • [5]
  • [6]
    Cf. Ph. Joron, « La communication sacrificielle » Les Cahiers de l’IRSA, n° 6 (Philippe Joron, dir., Violences et communication : approches franco-brésiliennes des altérités communicationnelles, Publications de l’Université Paul Valéry, Montpellier, 2006, p. 245-261).
  • [7]
    Cf. P. Clastres, La Société contre l’État, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », Paris, 1974.
  • [8]
    Cf. G. Sorel, Réflexions sur la violence (1906), Ressources Slatkine, Paris-Genève, 1972.
  • [9]
    Ph. Joron, « La sudation du quotidien : ou les pores du réel médiatique », Sociétés, n° 114, p. 60-61, 2011.
  • [10]
    P. Sansot, Les gens de peu, PUF, coll. « Quadrige », Paris, 2009.
  • [11]
    Cf. Ph. Joron, « Mise en garde… Redingote, gilet jaune et gros orteil », Sociétés, n° 141, « Georges Bataille : enracinement, actualités et perspectives » (Philippe Joron, dir.), p. 5-8, 2018.
  • [12]
    G. Bataille, « Informe », in Œuvres complètes, tome 1, Gallimard, Paris, 1970, p. 217.
  • [13]
    O. Romano, « Les Trente sans gloire vues par l’œil de Bataille », Sociétés, n° 141, « Georges Bataille : enracinement, actualités et perspectives » (Philippe Joron, dir.), 2018, p. 87-97.
  • [14]
    https://elabe.fr/wp-content/uploads/2019/03/note-gilets-jaunes_vf_20-03.pdf. enquête réalisée entre le 14 décembre 2018 et le 8 janvier 2019 auprès de 10 010 personnes réparties sur le territoire français en 12 sous-échantillons régionaux de 800 individus âgés de 18 ans et plus (1 200 en Île-de-France).
  • [15]
    M. Maffesoli, Au creux des apparences. Pour une éthique de l’esthétique, Plon, Paris, 1990, p. 57.
  • [16]
    https://www.gouvernement.fr/le-grand-debat-national. Dernière consultation le 13 juin 2019 à 9 h 58.
  • [17]
  • [18]
    M. Maffesoli, Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse, Méridiens Klincksieck, coll. « Sociologies au quotidien », Paris, 1988, réed. La Table Ronde, Paris, 2000, p. 101.
  • [19]
    Cf. Z. Bauman, La vie liquide (2000), Arthème Fayard, coll. « Pluriel », Paris, 2013.
  • [20]
    B.-C. Han, La société de transparence, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, PUF, Paris, 2017, p. 19-20.
  • [21]
    Ibid., p. 65.
  • [22]
    J. Machado da Silva, A sociedade midiocre.Passagem ao hiperespectacular, Sulina, Porto Alegre, 2013.
  • [23]
    V. Susca, Joie tragique, CNRS Éditions, Paris, 2011.
  • [24]
    Cf. G. Simmel, La tragédie de la culture, Rivages, Paris, 1988, p. 91 ; Ph. Joron, « Georg Simmel et la sociologie du futile. Dans les anfractuosités du social et de l’intime… », Épistémè, vol. 20, « The News Horizons of Language and Media in the Era of Posthumanism », Propedia / Center For Applied Cultural Sciences – Korea University, Séoul, décembre 2018, p. 46-67.
  • [25]
    B.-C. Han, Psychopolitique. Le néolibéralisme et les nouvelles techniques du pouvoir, traduit de l’allemand par Olivier Cossé, Circé, Paris, 2016, p. 17.

1Actualité à rebours. Celle des gens qui essaient de ne pas trop être en retard sur leur vie ni trop en anticipation non plus sur le graal de l’existence partagée. Celle de ces gens qui la font au quotidien, selon des opportunités d’appoint, espérant améliorer la recette dictée, dans des accrochages râpeux et des glissements huilés entre réel et imaginaire. Celle aussi des observateurs et commentateurs, parfois issus de leurs rangs, dont la fonction consiste à traduire ce qui est en train de se passer selon des modes de lecture accessibles au plus grand nombre, à l’aide d’analyses contrariées par l’urgence. Parmi eux, des journalistes en mal de sensation, des experts autoproclamés, des faiseurs d’opinions politiques et syndicaux référencés, des blogueurs, des instagrameurs, des youtubeurs influenceurs sponsorisés. Quelques intellectuels et universitaires dans le ressac des frustrations à simplement tenter d’exister aux côtés du quidam occupant le terrain des apparences. Les sociologues sont à la remorque. Avec toujours un temps de retard sur la pensée sociale et les actes qui l’agitent ou qu’elle met en acte. Certains d’entre eux disent bien sûr ce qui pourrait être, ou ce qui pourrait advenir, dans le souhait ou le combat. Ceux-là, selon le bon vouloir des illusions attendues, donnent le ton du présent à venir, en fonction des contreforts décryptés du passé. Dans une perspective sans cible. La désorientation générale est désormais en point de mire.

2En France, depuis le samedi 17 novembre 2018, ladite actualité est revêtue d’un Gilet jaune en mouvement, voire « en marche », sur les bandes d’arrêt d’urgence menant aux ronds-points d’une orientation qui se cherche. Mouvements et arrêts. Arrêts sur le cours de la vie sociale française mise à mal par des politiques d’austérité, de restriction mais aussi de réforme cherchant à assurer un couplage harmonieux entre légitimité démocratique et imposition étatique. Arrêts momentanés qui mettent en perspective les reliefs tourmentés de divers mouvements sociaux, apparemment inconciliables sur le plan idéologique, en quête d’autres voies de recours possibles. À leurs façons.

3Mais, dit-on, il n’y a plus d’idéologies. Aucune trame de subsistance utopique. Il ne reste que des idéaux adaptables aux circonvolutions du moment, dans l’avenir perturbé de plaisirs passés que le présent interjette à chaque instant pour mieux en défaire la continuation contrariée. Il ne subsiste surtout que des prises de position radicales, résolument paradoxales pour qui cherche à les saisir ou les comprendre.

4Une actualité qui fait le point. Cherchant la pause et l’imposant par nécessité, au creux des opportunités trouvées. Une actualité qui porte en mode miroir et selon des attributs réfléchissants toutes les contradictions, les impasses, les lignes de fracture de notre contemporanéité. Celles du monde globalisé et de la singularisation des parcours humains. Celle du consumérisme, de la paupérisation, de la faim, de la malbouffe, de la solitude, de la souffrance animale, des échanges numériques, de la pollution, de la mobilité bobo, des conflits armés, de la métropolisation, de la gentrification des centres urbains, de la relégation des vies périphériques vers leurs propres conforts low-cost, de la ruralité qui occupe confortablement la superficie généreuse de sa tranquillité à l’ombre des éoliennes dont elle dénonce les nuisances sonores, des meurtrissures environnementales, des migrations politiques, économiques et climatiques. Des passe-droits et des injustices de traitement. Du terrorisme au service d’idéaux perdus dans le bouillon nostalgique d’une perfection inexistante par principe. Celles encore de l’aveuglement, de l’arrogance, du mépris, de l’hypocrisie, du repli identitaire, d’une altérité en panne, aigrie et rabougrie. Un peu de l’histoire du monde et des sociétés, dans les détails de celle appartenant à chaque individu. Une urgence de l’ordinaire faisant corps, par soudage des maux individuels. Un quotidien événementiel [1] qui, grâce au feuilleton continu du storytelling médiatique, épouse les singularités égotiques de chacun, en désir d’expression dans un brassage et un entretien réciproque entre réel et imaginaire [2].

5Depuis novembre 2018, tout a été dit ou presque – le « presque » étant souvent un abîme insondable – sur ce qui semble ne pas être encore une communauté instituée, ou un groupe formel bien identifié, ou encore une entité sociétale organisée. Quelques sociologues, politiques et journalistes, formatés par formation, habitus idéologique ou fidélité corporatiste à un découpage de la société en classes, se raccrochent encore à des modes d’analyse qui ne correspondent plus aux coups de boutoir de « l’esprit du temps », de cette contemporanéité ouverte à tous les possibles dont Edgar Morin donnait déjà à voir la dynamique en termes de culture de masse dès la fin des années 1950.

6Contre toute attente, mais à l’exemple d’autres couleurs par le passé, le jaune s’est imposé comme la teinte dominante de notre histoire présente. C’est là un symbole de vitalisme et de puissance, de savoir et d’espérance, de lucidité et de discernement, de contact social et de fraternité, de plein accès à la lumière, de reconnaissance de soi dans le partage de quelques souffrances infligées ou ressenties. Mais c’est aussi une couleur de contrastes, qui détient ses revers et ses sombres nuances. Une couleur encline à l’usure, au dépérissement, au salissement lorsqu’elle est contaminée par des pigmentations ne relevant pas de son registre spectral originel. Ainsi, selon des logiques de réemploi, d’autres teintes telles que le noir, le vert, le rouge et le brun occupent encore et toujours la palette, en embuscade, en vue de possibles surcouches. Mais avant que ne s’applique le jaune, la base était-elle blanche, neutre, ou contenait-elle déjà ces mêmes tonalités en dispute ?

7Après la « bonnet-rougeole » des gens de Bretagne en octobre 2013 [3], voici donc venu le temps d’une « gilet-jaunisse » française en novembre 2018. Une France maladive et souffreteuse ? Tout entière penchée sur ses propres misères ? Au 6 janvier 2019, soit presque deux mois après cette mise en route des ambulances jaunes et des cortèges de mécontents sur les bandes d’arrêt d’urgence, 53 % des Français souhaitaient encore la poursuite du mouvement, en dépit des violences constatées, afin de stopper la baisse continue du pouvoir d’achat et ouvrir la voie à des impératifs de réorganisation à la fois économiques, politiques, culturels et sociétaux. Un grondement factieux dans le grand déballage du mal-être contemporain français.

8L’image du mouvement, mise en partage dans le village global [4] sous forme de clichés écornés parce que déjà manipulés, est celle d’une France repliée sur elle-même et râleuse, se voulant désormais imperméable aux mutations du monde auxquelles auraient pu cependant donner accès les ronds-points de l’altérité culturelle. Une France en état de siège dont la presse écrite internationale dresse les contours en situation de barricades, d’agitations et de dégradations diverses, mettant à mal les attraits indéniables mais aussi surfaits et artificiels de la première destination touristique mondiale [5]. Il s’agit là d’un instantané fixant les bornes de notre suffisance, culturellement égocentrique en pratique mais généreuse en idéaux. Suffisance consistant à toujours vouloir dénier notre propre violence pour la reléguer au-delà de nos frontières réelles, diplomatiques ou culturelles. Générosité travaillant à la mise en coupe réglée de ce qui ne saurait être encore ou jamais la France, selon les canons de l’aumône distribuable aux seuls vertueux ou assimilables. Cela rappelle étrangement, mais aussi sans surprise mémorielle pour qui veut bien donner du crédit aux avertissements du passé, les commentaires affûtés de la presse internationale lors des événements insurrectionnels de 2005 [6].

9Mais c’est aussi l’image d’un « peuple » qui tente de reprendre sa destinée en main, en bon héritier des idéaux des Lumières et de la Révolution dont il reste malgré tout le porte-drapeau légitime aux yeux du monde. Dans ses sursauts d’humeur, il demeure ainsi « Liberté, Égalité, Fraternité ». Et s’il se bat pour lui-même, il le fait aussi pour ces idéaux-là portés bien haut, selon lui, afin d’éclairer ce même monde. Peuple responsable, mettant en adéquation ce qu’il fait pour lui-même et ce qu’il impose aux autres, insidieusement, à condition que cela ne le desserve pas. Ou que les autres, formatés mais émancipés, en quête de satisfactions au moins similaires, ne prennent appui sur la desserve, sur les plats déjà servis qui ont donné satisfaction aux premiers bénéficiaires. Et s’il combat encore pour son propre ventre, quand bien même repu, c’est là une épreuve dont il pense qu’elle sert les intérêts de tous les peuples. La boucle est bouclée. Toute suspicion d’égoïsme ou d’ethnocentrisme est ainsi écartée et du même coup, tout reste de culpabilité est évacué sans somation dans les latrines de l’Histoire.

10À l’examen de ce mouvement des Gilets jaunes, nombre d’interrogations se font jour, avec leur lot de réponses provisoires, de certitudes arrangées et de désarrois : Émanation du « peuple » contre ses représentants ? Exercice crisique de la Société contre l’État [7] ? Biffage de toute autorité étatique en représailles au bafouement des corps intermédiaires politiques et syndicaux par le suzerain présidentiel ? Nouveaux usages de la démocratie, corrélatifs à une redéfinition du politique et de ses conceptions ? Le « tout et n’importe quoi » à tout vent de l’opinion publique contre des consultations citoyennes encadrées ? Liberté de conscience politique contre obligation de vote citoyen ? Point de non-retour, pour une réaffirmation de nos archaïsmes fondateurs ? Au détour de quelques psaumes d’espérance ? Querelles autour de l’usage de la violence légitime [8] ? Virgules sociales et culturelles, pauses jugées nécessaires dans la temporalité accélérée de notre pluralité mondiale ?

11Autant de revendications que de Gilets jaunes, autant d’incertitudes que d’espérances. Une foultitude d’idées reçues et déjà faites sur la reproduction conquérante d’un passé luxuriant limité aux seuls tenants de la domination culturelle, politique et économique. Autant d’hétérogénéité que de semblant d’homogénéité, dans le gros œuvre de déconstructions successives. Autant de fraternités que de ronds-points. Autant de lamentations encore sur des souffrances circonstanciées concernant l’exclusion du droit à l’aisance. Souvent aussi, nombre d’impossibilités culturelles et contextuelles à regarder en face la misère du monde qui, elle, n’a même plus de larmes pour irriguer sa peine. La France, ouverte sur lesdits idéaux de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, dans des désirs affichés d’humanisme universalisant, eux-mêmes contrecarrés par des relents d’ethnocentrisme décomplexé, sombre sous des vagues d’humanité par excès [9]. Ce sont là des réflexes de survivance.

12Qui sont les Gilets jaunes ? Que représentent-ils ? Que veulent-ils ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Leur apparente diversité est-elle synonyme d’unité ?

13Toutes ces questions et bien d’autres agitent les débats sociaux, politiques, économiques, médiatiques depuis le samedi 17 novembre 2018, Acte I de cette mobilisation sans précédent à plus d’un titre. Sans doute une mise en garde, en aucun cas une avant-garde, mais loin sans faut un nouvel agencement sociétal par mégarde de ceux qui s’en étonnent encore.

14Si on le compare à d’autres formes de contestation ayant eu cours par le passé, le mouvement des Gilets jaunes donne à voir des spécificités sociologiques dont la mesure et l’analyse invitent cependant à quelques prudences.

15Si les comparaisons donnent à penser, elles ne sont que des outils de mise en forme de ce que l’on cherche à comprendre ou de ce qui ne semble pas encore avoir de sens. Le mouvement des Gilets jaunes est inédit, un nouveau plat de résistance dont les ingrédients sont cependant préexistants, historiques, issus du passé, imprégnant notre contemporanéité. Ce qui change par rapport à d’autres événements du même ordre, c’est le tour de main, la façon de faire, les pratiques mettant en œuvre une certaine vision de la vie et du monde, mais également une conjonction singulière de faits, d’acteurs, d’aspirations et de ressentiments. Un air du temps dans lequel se combinent culture de masse, nouvelles technologies, échanges numériques et mobilité, au creux d’un intime brassage entre le réel et l’imaginaire. Un autre contexte dans lequel « l’intelligence collective » est mise à contribution pour que tous les individus se sentent concernés par la « cause » à défendre : maîtrise des réseaux sociaux, immersion dans les thèses complotistes, réappropriation de la visibilité du gilet jaune, détournement et transformation du rond-point en place de rassemblement, d’échange et de revendication. Plus encore, dans ce mouvement, on constate que la prise en main du présent prime sur un avenir dépossédé et nostalgique d’un passé d’abondance, sur un avenir amputé de ses béquilles faites de racines, sur un futur sans horizon sinon celui de la restriction imposée, de la limitation, de la débauche de règlements, d’une aliénation de soi-même que celle des autres, mise en partage, permet de révéler voire de sublimer.

16Seule solution de fortune : réinvestir le présent à coups de douleurs communes, dans l’effervescence festive des ronds-points ou la violence cathartique des rassemblements, luxe péremptoire des « gens de peu » [10] qui se rebiffent pour ne pas être biffés dans une complète ignorance de leur existence, et de ces autres mieux lotis sans doute qui craignent de subir le même sort.

Acteurs, spectateurs et identités en mouvement

17Qui sont les Gilets jaunes ? La prudence est de mise au pourtour de la problématique en mouvement. Ce qui veut dire aussi certitudes instantanées à quelques endroits de la spirale en actes. On a pu dire qu’ils constituaient une communauté informe et disparate. Mais les poussières agglomérées, sous les couches de colle populiste, inaugurent une nouvelle matière sociale. Une colle jugée de piètre qualité par les professionnels du lien, qui fait et défait l’ensemble selon les tensions exercées. Mais les strates compactées et cependant informes sont bien là, sous les rides de ceux qui ne veulent pas voir.

18Arrêtons-nous [11] un instant sur une courte note relative à l’adjectif « informe » publiée par Georges Bataille dans le numéro 7 de la revue Documents en décembre 1929 : ainsi, un dictionnaire devrait dire non le sens mais « la besogne des mots », leur travail de clôturage consistant tout à la fois à inclure et à évacuer. Cette remarque s’applique d’autant plus au terme « informe » qu’elle le place dans des espaces de désolation heuristique sans issue possible. Pour la communauté des académiques, l’univers n’a de sens qu’à la condition de sa mise en forme en coupe réglée : « il s’agit de donner une redingote à ce qui est » [12]. Désigner l’informe revient alors à pointer du doigt le déclassement, à signifier la mise au ban, à déclasser ce qui n’appartient pas à l’univers du connu, de l’envisageable et de l’acceptable selon les canons culturels du groupe de référence. Mais l’informe n’est rien d’autre qu’un préalable à la réduction intellectuelle qui cherche à le structurer et à le formater.

19S’il fallait les réduire à de seules catégories sociales, on constaterait alors que les Gilets jaunes sont largement issus de milieux dits paupérisés ou abandonnés à un sentiment de frustration et d’amertume, toutes générations confondues, ayant pour référence ou modèle le système de solidarité national français instauré dans l’après Seconde Guerre mondiale, dans la période 1950-1970 et des poussières appelée « les trente glorieuses ». Les trente suivantes, celles qu’Onofrio Romano qualifie avec raison de « sans gloire » [13], ont vécu sur les restes d’une vie à crédit. Elles se sont conformées à l’encolure débraillée de la mondialisation des biens, des services, des individus, des idées, de l’information, ainsi qu’au joug cravaté, sous contrôle apparent, d’une décolonisation pourtant nécessaire, laquelle restait non assumée aussi bien par les maîtres d’antan (les ressortissants des pays du premier monde) que par les nouveaux récipiendaires politiques et économiques des entités nationales émergentes et libérées, qui ont reproduit le jeu tragique d’une jouissance réservée, personnelle et clanique. Un humanisme par défaut prêtant le flanc à une humanité par excès, laquelle prend ce même idéal en tenaille.

20Mais qui sont donc les Gilets jaunes ? Peut-on en établir un portrait d’ensemble ? Ont-ils une identité commune ? Selon une étude publiée le 20 mars 2019 par Elabe et l’Institut Montaigne, intitulée « La France en morceaux » [14], ceux qui se revendiquent « Gilets jaunes » sont majoritairement (57 %) en situation d’emploi (ouvriers 26 % et employés 21 %), mais aussi des retraités (21 %), les chômeurs ne représentant que 11 % d’entre eux. Politiquement, ils ont voté au premier tour de l’élection présidentielle en 2017 pour Marine Le Pen (29 %), Jean-Luc Mélanchon (17 %), représentants de partis politiques qualifiés de « populistes », alors que 27 % d’entre eux ont voté blanc, ou se sont abstenu, ou sont non inscrits sur les listes électorales. Pour autant, ces caractéristiques sont soumises à quelques fluctuations dans la durée du mouvement. Il existe en effet pour chaque individu ou groupe sociétal concerné des identités multiples, des identifications de circonstance, des formes de « sincérités successives » [15] et des arrangements avec la vérité du moment.

21Le portrait que l’on peut ainsi établir de ce mouvement est une succession de clichés pris tout au long de son déploiement. Si dès l’amorce de la mobilisation on pouvait constater une proportion non négligeable de commerçants et de petits entrepreneurs, les violences de décembre 2018 à Paris et dans certaines villes de province en ont rapidement dissipé les ardeurs. Corrélativement, des éléments d’ultrapolitisés et les pratiques du Black bloc se sont invités au festin, essaimant des feux de radicalisation sporadiques alors que les organisations politiques et syndicales, débordées par la soudaineté et l’éparpillement des motivations jaunes, restaient partagées entre hésitations, étonnements et inclinations à la récupération.

Motivations

22Le mouvement s’est mis en place sur les ronds-points le 17 novembre 2018 après l’annonce de l’augmentation du prix des carburants (Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Energétiques, TICPE) et notamment du diesel, et de la diminution de la vitesse autorisée à 80 km/h sur le routier réseau secondaire, le plus dense mais aussi le plus délaissé par l’État et les collectivités territoriales en termes d’investissement. Les Français des zones rurales et périurbaines ont de plus en plus de mal à financer leurs déplacements. Le constat affiché et scandé était celui de la baisse continue du pouvoir d’achat, de l’inégalité fiscale, de l’usure du modèle français de l’assistance sociale (santé, prestations familiales et de solidarité, assurance chômage), de l’inaccessibilité économique de certains biens et services de nécessité mais aussi des loisirs, plaisirs et rêves consommatoires. À titre de comparaison, seuls 7 pays des 28 formant l’Union européenne ont un revenu minimum officiellement instauré dépassant les mille euros. En France, au 1er janvier 2019, le montant du SMIC horaire brut était de 10,03 euros (7,72 euros nets), soit un SMIC mensuel brut de 1 521,22 euros (1 171,34 euros nets) pour 35 heures de travail hebdomadaire et 151,57 heures de travail mensuel.

23S’il s’applique à mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu en 2017, Emmanuel Macron n’en devient pas moins le symbole jupitérien d’une imposition par le haut, jugée méprisante en pratique, arrimée à des choix et des ajustements portant sur des options toutes nécessaires mais apparemment incompatibles entre elles dans l’urgence de leur réalisation en sursis. Mais il avait en sa faveur le non-choix moral, face aux extrémités alarmistes et populistes de la droite dure, ainsi qu’aux circonvolutions intéressées mais fatiguées de la droite molle. Transformation de la manœuvre politique, louvoyante par définition, en concrétisation du mépris pour ceux qui sont supposés ne pas savoir ou ne plus être indispensables dans la médiation (les corps intermédiaires). Erreur. Les pensants se sont heurtés aux réfléchissants.

24Tout est question de méthode. En somme, l’Acte 1 n’est que l’émanation contrariée d’un Acte Zéro installé depuis plus de trente ans, celui d’une « fracture sociale » déjà annoncée par Jacques Chirac le 17 février 1995 lors de son discours fondateur à l’élection présidentielle.

25Si les motivations initiales des Gilets jaunes étaient essentiellement d’ordre économique, d’autres revendications politiques et sociétales ont émergé. Au fil du mouvement de protestation, dans l’avancée des « samedis jaunes » en Actes, le débat sur la consultation directe des Français s’est imposé. Il portait sur les modes de production des propositions gouvernementales, entre les impulsions données par la présidence et le rôle joué par l’Assemblée nationale et le Sénat, les deux chambres du Parlement. C’est tout l’édifice de la démocratie représentative qui était alors remis en question, avec l’appel à l’instauration d’un Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) pour toute question portant à la fois sur les grandes lignes d’orientation politique et sur les aspects les plus concrets de la vie quotidienne des Français. Afin de contrecarrer cette exigence, en donnant l’impression de la satisfaire en partie, le gouvernement engagera dans l’urgence à l’initiative du président de la République un Grand Débat National [16] entre décembre 2018 et avril 2019 sur quatre thèmes : la fiscalité et les dépenses publiques, l’organisation de l’État des services publics, la transition écologique, la démocratie et la citoyenneté.

26Conformément à ce qui a été avancé plus haut, les motivations sont diverses, hétérogènes et nécessairement contradictoires. Comment concilier en effet la baisse demandée du prix des carburants et de la fiscalité avec les impératifs de transition écologique et ceux du financement des services publics, tout autant exigés ? Comment vouloir davantage de sécurité et d’assistance tout en s’affranchissant de toute espèce d’autorité organisationnelle en ce domaine (politique, judiciaire, sociale, policière, militaire) ? Toutes ces injonctions, légitimes, parlent à chacun. Mais elles questionnent en même temps la raison d’être du lien social, la contribution de chaque individu aux affaires communes, ou bien le sens que l’on pourrait encore accorder à une réelle ligne de partage entre société et communauté, entre global et local, sans se référer nécessairement à des principes stricts de démarcation.

Signes de reconnaissance

27Détournement des fonctions du gilet technique de haute visibilité et de sécurité, équipement de protection individuelle (EPI). Bande d’arrêt d’urgence, mise au ban, banlieues, périphérie, ruralité. Attirer l’attention, non plus sur les risques de percussion (percutage) mais l’omniprésence de l’accident déjà en acte, déjà en route, déjà visible. Tout en continuant de donner à voir l’urgence, la panne ou l’accident, dans une exposition qui alerte les consciences, le Gilet jaune a renforcé ces fonctions initiales, en devenant une sorte d’exosquelette par détournement contre les coups de la vie, l’évitement d’une survivance imposée et la reconquête d’une fierté bafouée.

28Le Gilet jaune, c’est le Justaucorps de la France, un exosquelette d’assistance par emploi mais qui se veut « insurgence » ou insurrection par urgence, au motif de sa peine au travail ou en absence de ce dernier et de ses revendications à un plein accès aux récréations de tout ordre. Une demande d’assistance à l’existence, et non à la survie.

Appropriation spatiale

29Détournement des fonctions circulatoires du rond-point, dont les attributions initiales de fluidité et de distribution du passage sont contournées pour en faire un lieu d’arrêt, voire de thrombose, mais encore de visualisation, de discussion, de fraternité, de ressentiment, d’échange, de confrontation, de festivité, de drame également. En somme, une nouvelle place publique, éphémère, fait jour. Une réappropriation des attributs physiques de l’agora, dont l’efficacité médiatique est aussi nourrie et amplifiée par les forums sur les réseaux sociaux.

30Exutoire du rond-point : réappropriation communautaire d’un investissement public décennal concernant des ouvrages sans doute utiles par nécessité mais aussi futiles par démultiplication, devenu signe ostentatoire de l’action publique et municipale. Tourner en rond, une dynamique qui loue la statique dans l’évacuation du moindre mal. Comme le précise Michel Maffesoli à propos de l’investissement des ronds-points par les Gilets jaunes, « le lieu fait lien » [17] dans un « être-ensemble sans emploi » [18] faisant forme sociale. Contre toute attente, une fin de non-recevoir risque de s’imposer face à une révolution annoncée dans l’éclatement. Les acteurs sont pluriels et seront nécessairement surpris par leur envers.

Maîtrise temporelle

3120 avril 2019 : 23e Acte de mouvement hebdomadaire. Un arrêt sur le temps, une reconquête de la durée par l’affirmation d’un présent perpétuel primant sur un avenir sans horizon, sinon celui de la restriction imposée, de la limitation, de la réglementation outrancière, d’une aliénation de soi-même que celle des autres, mise en commun, permet de révéler. Un retour à la durée contre l’accélération du temps (instantanéité) et la promiscuité des espaces (simultanéité) [19].

Modes d’action : dénonciation, culpabilisation et récréation

32La prégnance de la puissance d’en bas ébranle le pouvoir d’en haut, mettant en vis-à-vis les galeries souterraines de l’invisibilité sociale et les méandres filandreux du céleste. Ce qui signifie aussi une défiance vis-à-vis des institutions et des corps intermédiaires, de nature politique, associative, syndicale, intellectuelle et journalistique, remplacés par les forums internétiques, par ce « véritable » média des aspirations multiformes portées par tout groupement humain de circonstance.

33Il est ici question de transparence, de vérité mais aussi de complotisme. En s’appuyant sur des analyses de Jean Baudrillard, le philosophe Byung-Chul Han affirme que « l’hyperinformation et l’hypercommunication témoignent précisément du manque de vérité, mieux, du manque d’être. Plus d’information, plus de communication n’éliminent pas le flou fondamental du tout. Elles l’aggravent, au contraire [20]. » Ainsi, un cumul ou un amoncellement d’informations dans une positivité de la transparence à tout prix ne débouche pas sur une vérité constituée, puisque la direction, le balisage et donc le sens font défaut à cette orgie informationnelle et communicationnelle. Il ne reste alors que des sortes de « sincérités successives », autre manière de dire l’exutoire de vérités adaptatives et d’arrangements moraux contextuels.

34Dire tout et son contraire pour défaire ce qui est. Montrer tout et n’importe quoi selon des connexions créées de toutes pièces, pour soutenir telle ou telle thèse dans l’air du temps. Avec Byung-Chul Han, on pourrait admettre l’idée que « la société de transparence, comme société de la révélation et du dénuement, travaille contre toute forme de masque, contre l’apparence » [21], mais ce serait sans compter ce qui caractérise la persona, autrement dit l’exercice quotidien de la duplicité. Un affichage de transparence n’est somme toute qu’une forme d’apparence parmi d’autres, laquelle se transforme en permanence sous la férule d’un néant sans fond ni parois. Pour reprendre ici une belle analyse de Juremir Machado da Silva, nos sociétés devenues « médiocratiques » annoncent l’ère de l’hyperspectacularité [22].

35Facebook, Twitter et Instagram sont les plateformes numériques d’une représentation héroïque autocentrée portée par les inoculateurs intéressés de la gilet-jaunisse (les lanceurs d’alerte et de fake news) sur le champ de bataille des samedis éternels, alors que leurs suiveurs, en quête d’identification et de reconnaissance, désavouent toute espèce de représentation politique, syndicale, médiatique.

36Les Français disent ne pas vouloir subir par le haut des directives d’intérêt général et souhaiter imposer par le bas leurs décisions ayant trait à leur quotidien, mais ils acceptent cependant de se laisser porter par des entités abstraites (l’État-providence, l’Aide sociale, les Collectivités territoriales, l’Assurance maladie, les Subventions dédiées au secteur privé, Dieu, le Destin, l’Histoire, etc.) lorsqu’elles leur sont profitables et qu’ils n’ont pas l’impression d’être manœuvrés à leur insu. Le plot institutionnel et collectif, la balise ou la bite d’amarrage, ce qui canalise l’ensemble social et l’arrime à la sécurité, devient alors objet de complot diffracté, atomisé, mais partageable à souhait dans les réseaux sociaux. La borne, ce qui donne le jalon et donc la mesure par rapport à un état situé et daté, provoque désormais l’insubordination à toute espèce de directive, et assurément à une direction décidée par représentation nationale.

Jouissance

37La jouissance du malaise partagé, une modalité de cette joie tragique [23] qu’éprouvent les individus sans attache ferme dans la durée (politique, morale, syndicale, de classe) sinon celle, nouvelle, de l’opportunisme communautaire entre transparence d’affichage, radicalité d’attraction-répulsion et liberté de clavier ou d’image, découvrant les limbes utilitaristes du complot généralisé. Une jouissance relevant de la mise en partage des difficultés éprouvées sur un mode ethnocentrique, des positions de confort affirmées sur un mode égoïste, du désir de changement politique exprimé sur un mode immobiliste, des affirmations radicales destinées à l’ensemble social sur un mode doux et moelleux pour l’expéditeur. Dans ce fouillis, il est encore question de classes sociales. Dans les faits, tous les acteurs sociaux, quelles que soient leurs conditions respectives, s’invitent à pleurer dans la soupe.

38Il y a là une esthétique du dérisoire, de l’ordinaire et du commun prenant les atours de l’essentiel. Il y a là encore une conquête festive faisant œuvre d’identification en manque. Le soulèvement festoie sur les décombres, les gravats et les cendres qu’il découvre, à force d’aveuglements conformistes et répétés, pour tenter d’accéder à la plage sous les pavés.

39Il y a là enfin un être-ensemble de contamination dans l’affrontement. Ce qui fait question, c’est que ce mouvement national de contestation mais aussi de proposition n’ait pas encore été déployé ailleurs dans le monde, sur ce terrain du matérialisme existentiel, alors qu’il en manifeste toutes les urgences basiques : celles de la paupérisation, de la faim, de la solitude, des échanges numériques en déshérence, du manque de ressources en eau, de la pollution, des guerres fratricides, de la métropolisation, des dépenses énergétiques, des migrations climatiques, économiques et politiques ; celles encore de l’aveuglement, de l’arrogance, du mépris, du bourgeoisisme refoulé et aigri, du repli identitaire, d’une altérité en panne et rabougrie.

40On constate cependant à moindre échelle une contamination du procédé (Gilets jaunes) avec les Stylos rouges (malaise dans l’Éducation nationale), les Gyros bleus (malaise des policiers), mais aussi les Foulards rouges et les Gilets bleus qui expriment un sentiment de saturation quant aux effets du mouvement des Gilets jaunes dans le temps. Par contamination, toute plissure singulière invente la possibilité d’une déchirure d’ensemble.

41Subsiste alors l’accommodation des restes, c’est-à-dire le dépeçage des poses posturales surannées (physiques, éthiques, intellectuelles) suivi de leur rapiéçage idéologique à obsolescence programmée, dont l’invitation au démontage ou au démantèlement des ensembles précédents affermit et confirme un maintien de ce qui est déjà perdu et de ceux qui n’ont jamais acquis que par sursis.

42L’hétérogénéité des Gilets jaunes s’inscrit dans le cadre d’une socialité de circonstance au sein de laquelle l’étalage des singularités œuvre aux impératifs de l’appartenance, aussi peu affirmée soit-elle, quitte à ce que cette adhésion transitoire se fasse sous couvert d’anonymat : l’éclaté se veut unité alors que le fragment s’invente en totalité. En tant que marqueur vestimentaire, le gilet jaune est à l’épreuve de la mode dont il se risque à parcourir l’éphémérité, en revêtant du même coup une tendance à l’uniformisation et une inclination à la distinction [24].

43Sans doute avons-nous affaire ici, dans les ruades de la gilet-jaunisse ambiante, à un placebo collectif de cette liberté originelle, supposément perdue et regrettée, éperdument éprise de quelque emprise sur l’humanité, que nos actes tentent d’étreindre. Et cela alors même que la liberté ne peut exister que par les choix de notre seule conscience qui en limitent cependant l’expression réelle au contact de l’altérité, de cet autre qui permet le maintien de chacun dans des proportions raisonnables, à tout le moins acceptables.

44Mais en définitive, souhaitons-nous réellement être libres ? N’avons-nous pas inventé Dieu pour ne pas trop plier sous le poids de la liberté ? Sous le parrainage d’un Dieu soutenu par nos croyances en lui, n’avons-nous pas organisé nos désirs de culpabilité détruisant du même coup nos envies de liberté [25] ? Surgissement d’une déité exemplaire, au motif de nos efforts pour une verticalité conquérante à l’échelle humaine et pour une horizontalité sociale de repli. Coupables, cependant enchaînés à un attrait aveuglant pour une innocence sans souillure mais déjà compromise par les errements de nos recherches. Nos conquêtes sont à la mesure de nos failles. Et si l’homme, à défaut d’inventer Dieu, se contentait de lui-même pour contenir sa liberté, il ne s’en sentirait pas moins coupable à ses propres yeux de l’avoir fait.

Bibliographie

Bibliographie

  • Bataille G., « Informe », in Œuvres complètes, tome 1, Gallimard, Paris, 1970.
  • Bauman Z., La vie liquide (2000), Arthème Fayard, coll. « Pluriel », Paris, 2013.
  • Clastres P., La Société contre l’État, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », Paris, 1974.
  • Han B.-C., La société de transparence, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, PUF, Paris, 2017.
  • Han B.-C., Psychopolitique. Le néolibéralisme et les nouvelles techniques du pouvoir, traduit de l’allemand par Olivier Cossé, Circé, Paris, 2016.
  • Joron Ph., « Georg Simmel et la sociologie du futile. Dans les anfractuosités du social et de l’intime… », in Épistémè, vol. 20, « The News Horizons of Language and Media in the Era of Posthumanism », Propedia / Center For Applied Cultural Sciences – Korea University, Séoul, décembre 2018, p. 46-67.
  • Joron Ph., « La sudation du quotidien : ou les pores du réel médiatique », Sociétés, n° 114, 2011, p. 60-61.
  • Joron Ph., « Mise en garde… Redingote, gilet jaune et gros orteil », Sociétés, n° 141, « Georges Bataille : enracinement, actualités et perspectives » (Philippe Joron, dir.), 2018, p. 5-8.
  • Joron Ph., « La communication sacrificielle » Les Cahiers de l’IRSA, n° 6 (Philippe Joron, dir., Violences et communication : approches franco-brésiliennes des altérités communicationnelles, Publications de l’Université Paul Valéry, Montpellier, 2006, p. 245-261).
  • Joron Ph., « L’ordinaire événementiel », Cahiers européens de l’imaginaire, n° 6, 2014, p. 182-186.
  • Machado da Silva J., A sociedade midiocre.Passagem ao hiperespectacular, Sulina, Porto Alegre, 2013.
  • Maffesoli M., Au creux des apparences. Pour une éthique de l’esthétique, Plon, Paris, 1990.
  • Maffesoli, Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse, Méridiens Klincksieck, coll. « Sociologies au quotidien », Paris, 1988, rééd. La Table Ronde, Paris, 2000.
  • McLuhan M., La Galaxie Gutemberg, Gallimard, coll. « Idées », Paris, 1977.
  • Morin E., L’esprit du temps (1962), Éditions de l’Aube, Paris, 2017.
  • Romano O., « Les Trente sans gloire vues par l’œil de Bataille », Sociétés, n° 141, « Georges Bataille : enracinement, actualités et perspectives » (Philippe Joron, dir.), 2018, p. 87-97.
  • Sansot P., Les gens de peu, PUF, coll. « Quadrige », Paris, 2009.
  • Simmel G., La tragédie de la culture, Rivages, Paris, 1988.
  • Sorel G., Réflexions sur la violence (1906), Ressources Slatkine, Paris-Genève, 1972.
  • Susca V., Joie tragique, CNRS Éditions, Paris, 2011.

Notes

  • [1]
    Ph. Joron, « L’ordinaire événementiel », in Cahiers Européens de l’Imaginaire, n° 6, CNRS Éditions, Paris, 2014, p. 182-186.
  • [2]
    E. Morin, L’esprit du temps (1962), Éditions de l’Aube, Paris, 2017, p. 272.
  • [3]
    Le mouvement des Bonnets rouges, apparu en Bretagne lors des manifestations organisées les samedis 14, 21 et 28 octobre 2013, s’est constitué en réponse à la loi sur l’éco-redevance sur les poids lourds et l’installation de portiques « écotaxe », mais aussi en réaction aux divers plans sociaux du secteur agro-alimentaire, dont notamment la fermeture d’abattoirs et la restructuration de ces derniers avec l’utilisation momentanée de travailleurs détachés roumains non soumis à la législation française sur la rémunération minimale (SMIC). Le slogan des Bonnets rouges : « Vivre, décider, travailler en Bretagne » fait écho à l’appel de syndicalistes, de chefs d’entreprise, de politiques locaux d’intellectuels et de citoyens régionalistes dénonçant le trop-plein de réglementations nationales et européennes qui selon eux invalide le dynamisme économique, social et politique de l’entité régionale bretonne, sur fond de revendications culturelles et identitaires.
  • [4]
    M. McLuhan, La Galaxie Gutemberg, Gallimard, coll. « Idées », Paris, 1977.
  • [5]
  • [6]
    Cf. Ph. Joron, « La communication sacrificielle » Les Cahiers de l’IRSA, n° 6 (Philippe Joron, dir., Violences et communication : approches franco-brésiliennes des altérités communicationnelles, Publications de l’Université Paul Valéry, Montpellier, 2006, p. 245-261).
  • [7]
    Cf. P. Clastres, La Société contre l’État, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », Paris, 1974.
  • [8]
    Cf. G. Sorel, Réflexions sur la violence (1906), Ressources Slatkine, Paris-Genève, 1972.
  • [9]
    Ph. Joron, « La sudation du quotidien : ou les pores du réel médiatique », Sociétés, n° 114, p. 60-61, 2011.
  • [10]
    P. Sansot, Les gens de peu, PUF, coll. « Quadrige », Paris, 2009.
  • [11]
    Cf. Ph. Joron, « Mise en garde… Redingote, gilet jaune et gros orteil », Sociétés, n° 141, « Georges Bataille : enracinement, actualités et perspectives » (Philippe Joron, dir.), p. 5-8, 2018.
  • [12]
    G. Bataille, « Informe », in Œuvres complètes, tome 1, Gallimard, Paris, 1970, p. 217.
  • [13]
    O. Romano, « Les Trente sans gloire vues par l’œil de Bataille », Sociétés, n° 141, « Georges Bataille : enracinement, actualités et perspectives » (Philippe Joron, dir.), 2018, p. 87-97.
  • [14]
    https://elabe.fr/wp-content/uploads/2019/03/note-gilets-jaunes_vf_20-03.pdf. enquête réalisée entre le 14 décembre 2018 et le 8 janvier 2019 auprès de 10 010 personnes réparties sur le territoire français en 12 sous-échantillons régionaux de 800 individus âgés de 18 ans et plus (1 200 en Île-de-France).
  • [15]
    M. Maffesoli, Au creux des apparences. Pour une éthique de l’esthétique, Plon, Paris, 1990, p. 57.
  • [16]
    https://www.gouvernement.fr/le-grand-debat-national. Dernière consultation le 13 juin 2019 à 9 h 58.
  • [17]
  • [18]
    M. Maffesoli, Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse, Méridiens Klincksieck, coll. « Sociologies au quotidien », Paris, 1988, réed. La Table Ronde, Paris, 2000, p. 101.
  • [19]
    Cf. Z. Bauman, La vie liquide (2000), Arthème Fayard, coll. « Pluriel », Paris, 2013.
  • [20]
    B.-C. Han, La société de transparence, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, PUF, Paris, 2017, p. 19-20.
  • [21]
    Ibid., p. 65.
  • [22]
    J. Machado da Silva, A sociedade midiocre.Passagem ao hiperespectacular, Sulina, Porto Alegre, 2013.
  • [23]
    V. Susca, Joie tragique, CNRS Éditions, Paris, 2011.
  • [24]
    Cf. G. Simmel, La tragédie de la culture, Rivages, Paris, 1988, p. 91 ; Ph. Joron, « Georg Simmel et la sociologie du futile. Dans les anfractuosités du social et de l’intime… », Épistémè, vol. 20, « The News Horizons of Language and Media in the Era of Posthumanism », Propedia / Center For Applied Cultural Sciences – Korea University, Séoul, décembre 2018, p. 46-67.
  • [25]
    B.-C. Han, Psychopolitique. Le néolibéralisme et les nouvelles techniques du pouvoir, traduit de l’allemand par Olivier Cossé, Circé, Paris, 2016, p. 17.
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