Couverture de SOC_150

Article de revue

Les visages contemporains de la révolte

Pages 23 à 42

Notes

1En France, le mouvement des Gilets jaunes renouvelle profondément le visage de la contestation et des mouvements sociaux. Ce fut la première mobilisation d’ampleur portant sur des revendications économiques et sociales réunissant plusieurs centaines de milliers de personnes qui se déclenchait hors du cadre syndical classique depuis des décennies. Celui-ci est d’ordinaire déterminant dans les mobilisations sociales en France de ces vingt dernières années : grèves contre les réformes des retraites de 2003 et 2010, mobilisations de la jeunesse contre le CPE en 2006, mouvement contre la Loi Travail de 2016.

2Cette mobilisation ne s’inscrit dans aucune des catégories préétablies des mouvements sociaux en France [1], ne se situant pas dans un clivage classique gauche/droite, pas plus que dans les répertoires d’action classiques des mouvements sociaux, refusant toute représentation ou leadership unifié du mouvement. S’il est fortement novateur à l’échelle française, ce mouvement semble compréhensible dans un renouvellement plus global des contestations à l’échelle mondiale. Les révolutions arabes de 2011, le mouvement du 15 Mai en Espagne [2], le mouvement de Maidan en 2014, les contestations au Brésil en 2014 présentent des similitudes dans le fond et la forme avec le mouvement des Gilets jaunes [3]. De même, les embrasements les plus récents à Hong Kong et au Chili en 2019, aux États-Unis en 2020 avec le mouvement Black Lives Matter présentent des éléments similaires.

3La sociologie classique des mouvements sociaux ne permet qu’une explication insatisfaisante de ces dynamiques. En effet, ce courant des sciences sociales s’est construit face à la psychologie des foules et aux théories du comportement collectif pour qui les mécanismes des mouvements de foule étaient avant tout liés à des mécanismes irrationnels. « Tordant le bâton dans l’autre sens », la sociologie des mouvements sociaux a offert un cadre explicatif des mouvements sociaux basé sur la pure rationalité des acteurs. Par exemple, pour les tenants du paradigme de la mobilisation des ressources, les mouvements sont rendus possibles par l’existence d’une organisation de mouvement social (SMO [4]), chargée de mobiliser différentes ressources matérielles et symboliques. C’est l’existence de cette structure qui rend possible l’action collective, coordonnant les divers individus qui ont des intérêts communs par un cadrage de l’action collective. Ce cadrage associe un diagnostic de situation (frame diagnosis), perçue comme insatisfaisante, associée à un appel à l’action collective autour de revendications (frame prognosis). Dans cette synthèse, les organisations de mouvement social mettent en œuvre des répertoires d’actions préexistants et intelligibles en tant que tels par l’opinion publique à laquelle s’adressent les actions qui sont autant de performances [5].

4Une telle théorisation des mouvements sociaux offre une explication pertinente des dynamiques organisationnelles à l’œuvre au sein de structures pérennes de mouvements sociaux. Pour reprendre les catégories de Weber, elle fonctionne à partir du moment où l’action sociale s’oriente vers un type d’organisation légalo-rationnelle, basée sur une structure bureaucratique telle que Roberto Michels la décèle dans sa caractérisation de la « loi d’airain de l’oligarchie » [6].

5Néanmoins, il n’est pas possible de réduire les mouvements sociaux aux logiques des différentes organisations qui en orientent l’action. Ainsi, Isabelle Sommier pointe l’importance des émotions collectives dans la compréhension des mouvements sociaux, aspect souvent négligé [7]. De plus, si ces schémas interprétatifs sont fonctionnels au niveau mésosociologique des organisations, ils n’expliquent que partiellement les raisons qui poussent les individus à s’engager au sein de mouvements. Ils ne permettent pas non plus d’appréhender les raisons qui font qu’un mouvement émerge à un moment précis [8]. Ces limites apparaissent d’autant plus clairement dans les mouvements qui nous intéressent, car ceux-ci refusent dans une large mesure la représentation, les directions et le leadership. Comme le fait remarquer Yves Cohen, ces mouvements, qui ne correspondent pas à ces schémas canoniques, émergent depuis le début des années 2010 [9]. La plupart des mouvements présentés plus haut se déroulent sans organisation de mouvement social centralisée, ce qui exclut les schémas d’une mobilisation rationnelle de ressources militantes.

6De même, les schémas de la psychologie des foules ne fonctionnent pas non plus : ceux-ci théorisent les personnes mobilisées comme étant sous l’emprise de meneurs-démiurges jouant sur les émotions des foules comme un instrument de musique. Si les sentiments, les imaginaires et les affects sont essentiels dans les mobilisations contemporaines, il n’y a pas pour autant de chef d’orchestre ni de leader charismatique tirant les ficelles.

7Comment dès lors expliquer ces nouveaux mouvements massifs qui modifient durablement les climats politiques des pays où ils se déroulent ? Est-il possible d’affirmer que nous assistons à l’émergence d’une « foule sans chef » qui serait à même de bouleverser l’échiquier politique ? Assiste-t-on au jaillissement d’un nouveau modèle des mouvements sociaux comme semble l’affirme Yves Cohen ? Si oui, quelles seraient les caractéristiques de ces mouvements renouvelés ?

8Par ailleurs, ces mouvements semblent caractérisés par un nouveau rapport au fait politique. Quel est le rapport à l’État de ces mouvements ? Se caractérisent-ils par un projet politique ? Le refus de la représentation peut-il augmenter le niveau de conflictualité ? Quel est le rapport du maintien de l’ordre à ces contestations ? Est-ce que le caractère profondément liquide de ces soulèvements suscite une réponse contre-insurrectionnelle de la part des gouvernements ? Enfin, quel est le rôle du politique en interne ? Existe-t-il des formes de directions, et si oui comment les caractériser ?

9Nous allons questionner ces thématiques par une discussion des mouvements les plus récents de la liste énoncée plus haut. Plus familiers par nos recherches avec le mouvement des Gilets jaunes, nous allons ancrer la discussion sur des références à ce mouvement sans pour autant s’y limiter. Nous tenterons de nous appuyer sur le mouvement de contestation d’octobre 2019 au Chili ainsi que le mouvement dit Black Lives Matter contre les violences policières aux États-Unis à partir du mois de mai 2020. L’objectif n’est pas de dégager un idéal-type ou un modèle unique de ces mouvements renouvelés, mais de manière moins ambitieuse de dresser le profil de ces mouvements par rapport à une série de points d’intérêt : les revendications unificatrices, l’absence de leadership, le rapport au politique, l’utilisation des médias sociaux [10], ainsi que l’utilisation d’un répertoire d’action parfois émeutier. Nous discuterons aussi du traitement fait par le maintien de l’ordre à ces mobilisations, marqué par une brutalisation de l’action policière.

I. Contestation liquide et « foule sans chef »

Une contestation liquide

10Pour répondre aux diverses interrogations que nous venons de poser, il importe d’examiner les caractéristiques des revendications, leur départ et leurs évolutions afin de mieux comprendre les finalités qui lient les participants.

11Nous verrons que les médias sociaux sont essentiels. En France, les Gilets jaunes, avant d’être un mouvement de rue sont une mobilisation en ligne de plusieurs mois principalement sur Facebook et YouTube. Lors de l’été 2018, des groupes intitulés « France en Colère » se développent et commencent à devenir massifs [11]. Y sont notamment partagées des vidéos YouTube virales émises par divers influenceurs tels que Jacline Mouraud, Éric Drouet, Priscilla Ludowsky et Frank Buhler. Si les motifs de colère sont dès le départ multiples, une mesure cristallise tout particulièrement les mécontentements : la forte augmentation des taxes sur le diesel, perçue comme particulièrement injuste après des années d’incitation par les pouvoirs publics à l’acquisition d’un véhicule diesel. Une vidéo demande aux participants en accord avec le mouvement un geste de soutien passif, c’est-à-dire le fait de poser son Gilet jaune (obligatoire dans tous les véhicules) sur le tableau de bord, première matérialisation non numérique d’un mouvement qui jusqu’ici est avant tout une forme de socialité en ligne. Cette dynamique sur les réseaux attire l’attention des médias mainstream qui augmentent d’autant plus la visibilité du mouvement. C’est dans un deuxième temps que le mouvement se lance dans l’espace public, avec une première journée de mobilisation le 17 novembre 2018. Plusieurs centaines de milliers de participants vêtus de gilets jaunes occupent des ronds-points, péages et bloquent le passage routier. Les occupations se poursuivent les jours suivants et culminent dans des « Actes » le samedi qui sont des moments forts, souvent émaillés d’affrontements avec les forces de l’ordre [12].

12Au Chili, la dynamique est quelque peu différente : un groupe lycéen organise des opérations de désobéissance civile pour lutter contre l’augmentation des tickets de métro de la capitale. Filmées et retransmises sur les réseaux sociaux, ces actions et leur répression par les forces de l’ordre sont l’étincelle qui lance un cycle de manifestations axées autour de la manifestation et de l’occupation d’une place de la capitale, la Piazza Italia [13], ouvrant la voie à des affrontements massifs avec les forces de l’ordre qui font de nombreux blessés graves parmi les manifestants.

13Aux États-Unis, en mai 2020, c’est la diffusion en ligne d’une vidéo montrant l’étouffement par un policier d’un homme noir, George Floyd qui est immédiatement partagée massivement à l’échelle mondiale et suscite des manifestations sur l’ensemble du territoire états-unien, souvent à l’appel d’organisations de la communauté noire ou du mouvement Black Lives Matter[14]. Les manifestations virent souvent l’affrontement avec les forces de l’ordre et des scènes de destruction symboliques ainsi que des pillages ont lieu. L’occupation n’est pas centrale dans le répertoire d’action du mouvement, mais une zone occupée est établie à Seattle pour plusieurs semaines : la CHAZ, ensuite renommée CHOP [15].

14Plusieurs éléments d’intérêt ressortent de l’examen du déclenchement de ces mouvements massifs de contestation. Concernant les Gilets jaunes et le Chili, c’est le caractère économique des revendications qui semble déterminant. Ces mouvements se mobilisent contre la vie chère, en France le prix de l’essence et au Chili le prix des transports en commun. Dans les deux cas, l’accès à la mobilité est primordial. Ces revendications sociales sont en rupture avec les revendications du mouvement syndical qui concernent le travail et la société salariale [16]. Il est probable qu’au vu des fragmentations des situations salariales et de travail, il soit plus difficile de trouver des revendications de départ unifiant l’ensemble des salariés. Par ailleurs, si les revendications initiales se positionnent hors de l’arène du travail, dans un second temps, des revendications sur le salaire minimum et les retraites émergent dans les deux pays. Y émergent aussi des revendications plus politiques dénonçant le personnel politique discrédité et perçu comme profondément corrompu. Ces aspirations se matérialisent en France par la revendication du RIC (référendum d’initiative citoyenne) permettant de prendre des initiatives législatives sans passer par les représentants élus que sont députés et sénateurs, court-circuitant les chambres législatives [17]. Au Chili, la nouvelle Constitution sera écrite par une assemblée citoyenne excluant les représentants de partis politiques, faisant écho aux revendications du mouvement populaire [18].

15Par ailleurs, reprenant David Harvey, Yves Cohen fait l’hypothèse que la question du droit à la ville est centrale dans la mobilisation et l’expression de ces mouvements, ce qui expliquerait aussi l’importance de revendications liées au transport : prix du ticket de métro au Brésil en 2014 et au Chili en 2019, prix du diesel concernant le mouvement des Gilets jaunes. Le schéma expliquerait l’importance de l’occupation de lieux symboliques tels que la place Tahrir ou encore Maidan constituant un point d’ancrage et de consolidation à la fois matériel et symbolique du mouvement, alors que les Gilets jaunes occupent les périphéries des espaces urbains affirmant un pouvoir potentiel sur les artères des flux économiques du territoire.

16Aux États-Unis, bien que la situation économique soit un élément alimentant la mobilisation, les revendications portent principalement sur la question des violences policières, demandant « la justice pour George Floyd », la punition des auteurs de violences policières, le désarmement et l’arrêt de certaines pratiques policières. Certaines portions du mouvement, notamment à Minneapolis vont plus loin et demandent l’abolition de la police qui aurait vocation à être remplacée par des pratiques moins violentes de « community policing » [19], ouvrant la voie à un vigilantisme se pensant progressiste. Ces revendications se cristallisent autour du slogan « Disarm, Defund, Disband » [20]. En France et au Chili, les revendications contre les violences policières sont importantes, mais ne constituent pas le cœur du mouvement.

17Il est aussi possible de lier le refus de la corruption à une exigence de gouvernement direct : les mouvements rejettent tout autant les représentants en leur sein qu’ils refusent leur confiance à des dirigeants politiques, y compris des partis d’opposition gouvernementale. Ces velléités de gouvernement direct à notre sens se retrouvent aussi aux États-Unis avec la revendication d’abolition de la police. Les tenants de cette abolition perçoivent la police comme structurellement raciste et violente et lui opposent un exercice direct des pouvoirs de police par les habitants d’une localité, assumant cette fonction sans la médiation d’un corps séparé de police, dont l’action est perçue comme inappropriée.

18Dans le cas des Gilets jaunes, le mouvement met en avant une série de revendications sociales et liées à la démocratie, mais celles-ci ne sont pas liées à une idéologie spécifique ni à une inscription dans le clivage gauche/droite. Pour reprendre le concept de cadrage, ces mouvements s’inscrivent dans un framing réduit et très efficace qui ne s’insère pas dans un ensemble idéologique plus large, ce qui permet aussi à un nombre extrêmement élevé et diversifié de personnes de s’inscrire dans le mouvement [21]. Il est cependant pertinent de s’interroger sur cette absence – est-ce que cette absence d’idéologie, la référence au peuple, le refus de la corruption au profit de perspectives de gouvernement immédiat ne constituent pas une forme d’idéologie en soi ? Il est intéressant de mettre en lien ces revendications avec le concept de société liquide développé par Zygmunt Bauman [22].

19Cette liquidité et cette plasticité s’appliquent aussi au corps social mobilisé par ces mouvements dans le cas du Chili et de la France [23]. En lieu et place du groupe social des travailleurs et de la classe ouvrière mobilisée traditionnellement par le mouvement ouvrier [24], c’est la figure du peuple qui est convoquée. Cette figure est beaucoup plus indéterminée que la classe ouvrière, à l’instar de la figure des 99 % contre les 1 % popularisée par le mouvement Occupy ou encore la figure de la « caste » qui s’opposerait au « peuple » conceptualisée par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe [25].

20Cette configuration du corps social mobilisé est interprétable à l’aune du concept de « conscience sociale triangulaire » développé par Olivier Schwartz. Celui-ci explique qu’en termes de conscience de position sociale, les classes populaires se définissent désormais autant par rapport à la figure du « eux » des dirigeants, des gouvernants et des puissants que face au « ils », c’est-à-dire les « les familles pauvres qui profitent de l’assistance, les immigrés qui ne veulent pas “s’intégrer” » [26]. Dans cette perspective, il serait possible de concevoir l’économie morale de ces mouvements, au sens qu’Edward Thompson donnait à ce terme, comme orientée contre la figure du « eux ». À l’inverse des mouvements politiques, tels que l’extrême droite, qui tentent de mobiliser les catégories populaires contre la figure du « ils ». Si cette hypothèse se confirmait, elle serait une importante explication de l’échec de l’extrême droite au sein des Gilets jaunes [27]. En effet, des militants et des sympathisants d’extrême droite sont présents au départ, mais ne parviennent pas à peser sur les orientations du mouvement et se retrouvent progressivement marginalisés. Dans le cadre d’une conscience sociale triangulaire, l’insuccès de l’extrême droite s’expliquerait alors par le fait que ces mouvements s’opposent à la figure du « eux », alors que le discours de l’extrême droite d’oppose essentiellement à la figure du « ils ».

Émergence de la foule sans chef ?

21Comme nous l’avons vu précédemment, les mouvements que nous évoquons présentent la double caractéristique de ne pas mettre en place d’organisation centralisée et d’être dépourvus de leader charismatique, au sens du meneur théorisé par Gustave Le Bon dans sa psychologie des foules [28]. Pour mieux comprendre ce phénomène, il est intéressant de mobiliser le concept de « foule raisonnable » et de « foule sans maître » décrite par Yves Cohen [29], que l’historien décèle dans plusieurs mouvements du début des années tels que le Brésil en 2014, l’Ukraine en 2014 ou encore le mouvement du 15-M ainsi que les révolutions arabes et le mouvement du parc Gezi en Turquie. Par ailleurs, lorsqu’éclatent des affrontements, la structuration de la contestation se fait de manière horizontale – ceux qui s’affrontent aux forces de l’ordre s’organisent en petits groupes et se retrouvent aux mêmes endroits par le biais d’appels issus de la communication horizontale des réseaux sociaux.

22Cohen voit dans ces mouvements l’émergence d’une « foule sans maître » : le processus de cadrage et d’élaboration des revendications y est immédiat, sans figure de leader ni direction. Cette figure, de par sa capacité à représenter la masse du corps social, poserait aussi la possibilité d’une légitimité politique concurrente à celle de l’État. Il se pose la question d’une quatrième source de légitimité du pouvoir politique :

23

« De nombreux commentateurs sociologues ou philosophes regrettent que Max Weber n’ait pas conçu une quatrième variante de l’autorité légitime qui aurait pu être la démocratie parlementaire. Et nous pourrions aux temps présents, et pour mieux la protéger, en ajouter une cinquième : l’autorité des mouvements qui se maintiennent “leaderless” et conçoivent par eux-mêmes des objectifs de lutte bien pensés et judicieusement délimités. L’un des futurs possibles pourrait être la mise en forme d’une dualité constamment renouvelée entre la démocratie représentative et la démocratie directe de la rue [30]. »

24Par ailleurs, une fois énoncée cette absence, se pose la question de la structuration de ces mouvements. Ici, nous allons nous concentrer sur le mouvement des Gilets jaunes pour lequel nous avons plus de données et de publications à notre disposition. Dans ce cas-là, il semblerait que la coordination s’effectue à la fois au niveau local sur une base de groupes d’occupation (ronds-points) ainsi qu’en ligne. Il semble qu’au niveau local, des groupes de base, des phénomènes de leadership émergent, mais ceux-ci ne se fédèrent pas et ne créent pas d’organisations de ces phénomènes de pouvoir locaux. Les réseaux et médias sociaux jouent ainsi un rôle primordial dans la possibilité de l’existence d’une « foule sans maître ». C’est d’ailleurs dans la sphère des médias sociaux qu’apparaissent des figures d’autorité : des « community managers » qui détiennent une forme de pouvoir dans le sens où ils peuvent contrôler ce qui est diffusé et qui peut avoir accès aux différents groupes mais qui ne parviennent pas pour autant à constituer une SMO ni une direction, car dépourvus de sources de légitimité. Le deuxième type de figure qui détient une forme de pouvoir est celle des personnes postant des vidéos souvent en temps réel « live » et qui peuvent être massivement suivies à l’instar d’Éric Drouet, Priscilla Ludowsky, Maxime Nicolle (Fly Rider). Néanmoins, le fait que ces individus possèdent une audience massive sur les réseaux sociaux ne leur permet pas de convertir ce capital symbolique en leadership effectif du mouvement, affrontant des critiques majeures et massives lorsqu’elles se posent dans une position de direction ou de représentation [31]. Dans cette mesure, il est possible d’affirmer que ces figures se rapprochent plus de la figure de l’« influenceur » que de celle du leader charismatique. Il serait d’ailleurs peut-être intéressant de faire un parallèle entre les mécanismes de brimade des chefs décrits par Pierre Clastres dans La société contre l’État et les attaques que subissent ceux et celles qui tentent de s’ériger en posture de représentation du mouvement [32].

Médias sociaux et révolte

25Enfin, pour comprendre ces mouvements, il importe de saisir l’importance que revêt l’utilisation des différents médias sociaux (Facebook, YouTube, Twitter, Telegram, Whatsapp…) dans leur déroulement. La possibilité d’atteindre des audiences de masses par le biais de mécanismes de communication horizontale, l’importance de l’image dans la culture visuelle contemporaine renforcent le rôle de ces modes de communications. Il n’est bien évidemment pas possible d’introduire un techno-déterminisme expliquant la contestation par l’existence même de ces outils, comme certains commentateurs l’avaient fait imprudemment en labélisant les révolutions arabes de « révolutions Facebook » [33]. Néanmoins, la possibilité d’investir l’espace social que constituent ces plateformes crée des dynamiques à même de faire muter la communication et la structuration des mouvements sociaux.

26Ainsi, selon Mirasol, les différentes plateformes sont des espaces et des arènes sociales ou s’expriment les mobilisations et les affects de la population et déterminent les opinions politiques [34]. Les plateformes rendent possible l’émergence d’arènes médiatiques alternatives où les règles de l’image, de la communication et de la viralité peuvent permettre de toucher des audiences de masses. Cette importance croissante aurait suscité l’émergence de l’astroturfing, c’est-à-dire la possibilité d’influencer massivement le public de ces plateformes en créant de manière concertée des affects, c’est-à-dire des fausses campagnes mettant en scène une communication centralisée présentant les apparences d’un mouvement d’opinion décentralisé.

27L’existence même de ces pratiques souligne l’importance de ces plateformes dans la vie quotidienne et les capacités de modifier les affects mais aussi potentiellement la possibilité de contenus contestataire à atteindre une audience de masse sans passer par les gatekeepers que sont les médias traditionnels. Au lieu d’une opinion publique construite principalement par la télévision, la radio et la presse – celle-ci devient co-construite par les plateformes et les médias avec des influences mutuelles. Stefano Cristante dans sa modélisation de l’opinion publique (doxasphère), attribue une capacité de structuration de l’opinion publique similaire aux mass media et aux médias sociaux [35].

28Le mouvement des Gilets jaunes est dans un premier temps un mouvement d’opinion en ligne qui acquiert une matérialité lorsque les participants se rencontrent physiquement autour d’occupations et de blocages puis de manifestations. Les médias sociaux constituent dès lors des espaces de communication, de mobilisation et de coordination. Ces fonctions étaient précédemment l’apanage d’organisations de mouvement social.

29De même, la manifestation et les diverses actions concrètes sont devenues des espaces sociaux mixtes, à cheval entre la matérialité et le numérique. De par les différents dispositifs de live, une manifestation se déroule simultanément physiquement et en ligne, relayée par une série d’acteurs et suivie par un large public en temps réel. Sur le terrain, à l’instar du concept de manifestation de papier de Patrick Champagne, qui conçoit la mise en œuvre de répertoires d’actions à destination de la presse, les actions sont mises en scène et agies pour les différents réseaux sociaux [36]. Dans cette mesure, le live permet une fusion entre la manifestation physique et la vie numérique. Cette numérisation de l’image de la constatation pose aussi la question de l’esthétique de la contestation : le spectacle des réseaux sociaux est essentiel – et se pose aussi la question de l’esthétique des mouvements pour toucher du public.

II. Le rapport au politique

30Pour mieux comprendre ces nouveaux visages de la révolte, il est aussi nécessaire d’en examiner le rapport au politique : quels en sont les objectifs, les rapports à l’État ? Les mouvements se positionnent-il dans une perspective de négociation avec l’État ou au contraire entendent-ils lui substituer une nouvelle perspective ? Rappelons que Charles Tilly définit les mouvements sociaux comme formulant des revendications vis-à-vis de l’État par une mobilisation faisant preuve de dignité, de nombres, d’unité et de détermination (WUNC [37]). La mise en œuvre d’un répertoire d’actions intelligibles par le plus grand nombre permet de faire pression sur l’opinion publique afin d’amener les pouvoirs publics à négocier et faire des concessions substantielles.

31Il semblerait que les nouveaux mouvements ne rentrent pas dans ce schéma. En effet, la décentralisation et le choix de ne pas se doter de représentants empêchent la négociation. S’il n’y a pas de représentants, les pouvoirs publics ne peuvent trouver d’interlocuteurs. Ce cas de figure se retrouve dans le mouvement des Gilets jaunes. Lorsqu’une série d’influenceurs très connus sont invités à Matignon pour négocier, ils deviennent la cible d’un torrent d’attaques sur les réseaux sociaux qui les poussent à renoncer à la rencontre [38]. Dès lors, le gouvernement ne parvient pas à trouver d’interlocuteurs afin de négocier une sortie de crise. Les réponses du gouvernement au mois de décembre 2018 sont des octrois plus que le résultat d’un dialogue à l’instar des accords de Grenelle en 1968 négociés avec les centrales syndicales [39]. Ces mesures comprennent des dispositions économiques immédiates telles que la suppression de la hausse de la taxe sur les carburants ainsi que l’augmentation de la prime d’activité pour les bas revenus salariaux (présentée comme une augmentation du salaire minimum), ainsi qu’une promesse de démocratie participative : le Grand Débat [40]. Lorsqu’elles sont annoncées, l’intensité du mouvement baisse, mais celui-ci persiste néanmoins de manière relativement massive durant de nombreux mois. C’est aussi le cas au Chili, alors que la contestation explose malgré une très forte répression faisant des centaines de blessés et plusieurs morts. Le gouvernement ne négocie pas avec le mouvement, mais annonce des mesures négociées avec les partis politiques de gauche portant à la fois sur la dimension économique immédiate ainsi que la nature institutionnelle du régime politique chilien. L’impopulaire augmentation du ticket de métro est supprimée et le gouvernement annonce, en faveur des couches les plus pauvres de la population, une réforme de la fiscalité ainsi que du système des retraites. Sur le plan institutionnel, c’est la démission du gouvernement et la mise en place d’une Assemblée constituante qui sont mises sur la table. Dans un contexte de répression exacerbée ainsi que de pandémie de Covid-19, le mouvement perd peu à peu de son intensité [41].

32À la négociation du cadre classique des mouvements sociaux, les pouvoirs publics substituent une double action. La première est l’octroi unilatéral de mesures correspondant à tout ou partie des demandes du mouvement, parfois négociés avec de tiers acteurs positionnés en soutien au mouvement (partis politiques dans le cas du Chili). Le deuxième est la répression des mouvements par diverses pratiques policières. Il est possible d’émettre l’hypothèse que ce traitement étatique marque une importante rupture en termes de nature par rapport aux mouvements sociaux classiques. En effet, ceux-ci conçoivent leur action dans le cadre d’une démocratie conflictuelle où la manifestation de désaccords et de revendications est essentielle et permet de faire évoluer le cadre législatif et économique par le biais d’un recours à l’État. Ici, ce schéma n’est plus en œuvre : les mouvements se conçoivent comme une forme de légitimité souveraine parallèle à celle de l’État, et le refus de la représentation et de la négociation n’est compréhensible que par la mise en lien avec les demandes de souveraineté populaire immédiate : le Democratia real du mouvement du 15-M ou la revendication du RIC chez les Gilets jaunes [42]. Dans cette hypothèse, les mouvements se pensent comme les détenteurs d’une légitimité parallèle et ne reconnaissant donc pas celle des pouvoirs publics. En retour, la réponse des pouvoirs publics, ne pouvant négocier, peut prendre plusieurs formes : négocier avec des interlocuteurs alternatifs (par exemple les partis politiques au Chili), satisfaire certaines revendications de manière unilatérale (comme en décembre 2018 en France) et enfin tenter de démobiliser les participants par la répression. Il convient de noter que cette situation est atypique dans le sens où les mouvements ne sont pas des formes politiques souveraines comme pourrait l’être un état parallèle qui pourrait négocier sur un pied d’égalité avec les pouvoirs publics. Plus que des réelles formes de souveraineté directe des peuples, ces mouvements en sont avant tout des prémisses, étant une force collective mais ne pouvant non plus revêtir les atours de la souveraineté qui permettrait de traiter sur un pied d’égalité avec les pouvoirs publics. C’est à l’aune de cette hypothèse qu’il faut penser la question du maintien de l’ordre de ces mouvements et du rapport aux affrontements.

Le rapport de l’État aux mouvements sociaux : la question de la violence et des affrontements

33Du fait des caractéristiques que nous venons d’énoncer, la question de l’affrontement est donc centrale. En France, au Chili, aux États-Unis, à Hong Kong, le conflit de rue émerge rapidement. Cette violence est avant tout spectacularisée : les images du conflit et du maintien de l’ordre enflamment les réseaux sociaux ainsi que les médias classiques, dans des échanges avant tout symboliques, l’enjeu n’étant pas la prise de lieux de pouvoir mais avant tout l’expression de la colère et la construction symbolique de celle-ci par l’image – produite avant tout à destination des différents médias sociaux.

34Ce nouveau rapport aux affrontements de rue bouleverse celui du modèle classique des mouvements sociaux. Pour reprendre la situation française, la plupart des organisations du mouvement social (syndicats, associations) depuis les années 1980 ont exclu l’utilisation des affrontements de leur répertoire d’action, en rupture avec les années 1960 et 1970, plus rudes. Selon les travaux d’Isabelle Sommier, les services d’ordre encadrent les manifestations et co-produisent l’ordre public par un travail avec les forces de l’ordre [43]. Cette stratégie de gestion n’exclut pas l’émergence d’affrontements, mais les relègue en périphérie : des affrontements entre certains groupes de manifestants (lycéens, cortèges autonomes…) peuvent éclater mais sont tenus à distance à la fois de manière physique et symbolique par les organisations du mouvement social. De manière physique, les services d’ordre veillent à maintenir une séparation entre manifestants non violents et ceux qui prennent part aux affrontements. De manière symbolique, les manifestants violents sont désignés par le label de « casseurs », motivé uniquement par la destruction et la violence mais dont les motivations politiques sont éludées [44].

35Les mouvements qui nous intéressent ici présentent un tout autre rapport aux affrontements. En l’absence d’organisation de mouvement social, la mise en place de cette séparation n’est pas possible. Il convient par ailleurs de noter que des mouvements tels que les Gilets jaunes ou les révoltés de Hong Kong ne sont pas des mouvements purement tournés vers l’affrontement. Au contraire, il est probable que ceux qui prennent part de manière effective aux affrontements soient numériquement minoritaires à l’exception de certains moments où ceux-ci revêtent une intensité toute particulière. Par contre, il n’y a pas de séparation entre violents et non-violents. Tous les membres du mouvement ne partagent pas l’incorporation de méthodes incluant l’affrontement au répertoire d’action du mouvement. Néanmoins, les attitudes vis-à-vis de ceux qui choisissent le choc frontal vont de la compréhension au soutien actif. Ainsi, dans le mouvement des Gilets jaunes, ceux qui vont au contact des forces de l’ordre sont surnommés « les vaillants ». La dimension interactionnelle et la brutalité de certaines tactiques de maintien de l’ordre sont le second facteur explicatif du développement de cette position de non-séparation.

36Dans le cas du mouvement des Gilets jaunes, initialement les manifestants se positionnent majoritairement pour le refus de la violence et manifestent leur soutien à la police. Un changement très rapide intervient, notamment suite à des vidéos virales qui montrent les violences policières en temps réel. Ainsi, à Bessan près de Béziers, une vidéo massivement partagée montre des gendarmes en train de frapper une personne en situation de handicap, endommageant son fauteuil roulant [45]. Quelques jours plus tard, les Gilets jaunes occupant le péage se réunissent en assemblée générale et votent à main levée la destruction et l’incendie des lieux [46].

37Au-delà de cette dimension interactionnelle, il importe d’interroger la dimension asymétrique des interactions violences entre manifestants et forces de l’ordre. Les manifestants mettent avant tout une violence spectaculaire, mais de relativement basse intensité. S’il est possible d’assister à des destructions spectaculaires de biens (incendie du Fouquets, destructions de péages, saccage de l’Arc de Triomphe), les attaques vis-à-vis des forces de l’ordre restent d’une intensité faible : souvent, les attaques des manifestants se réduisent à des jets de pierre, peu dangereux pour des forces de l’ordre bien protégées. Malgré des utilisations éparses, la mobilisation d’armes plus dangereuses issues du répertoire d’action des mouvements sociaux des années 1970 tels que cocktails Molotov et lance-boulons demeure marginale. Pour reprendre les catégories énoncées par Ted Gurr, ce type de violences rentre dans la définition de « troubles civils de basse intensité mais de large étendue » (large scale turmoil) [47].

38La réponse des forces de l’ordre en France sort du continuum du maintien de l’ordre traditionnellement basé sur la mise à distance des manifestants par l’usage des gaz lacrymogènes [48] et la coproduction de l’ordre public par une négociation entre service de police et organisateurs de manifestations déclarées [49]. Au moins depuis le début des années 2010, des innovations doctrinaires et matérielles ont changé la donne, pointant dans la direction d’une « brutalisation » du maintien de l’ordre, comme le mettent en avant Pierre Douillard Lefèvre [50] ainsi qu’Olivier Fillieule et Fabien Jobard [51]. Celle-ci passerait par un usage accru des armes de forces intermédiaires (abusivement appelées « non létales »), telles que les lanceurs de balle en plastique dur ou caoutchouc (LBD 40 ou Flashball), ainsi que diverses grenades (de désencerclement et GLI-F4 à effet de souffle), qui peuvent causer des blessures graves, des mutilations, voire le décès de manifestants (Rémi Fraisse sur la ZAD de Sivens en 2014 [52]).

39Ces pratiques de gestion des foules sont à l’œuvre dans les interactions entre policiers et manifestants au cours du mouvement des Gilets jaunes. Le journaliste David Dufresne répertorie six mains arrachées, ainsi que 26 personnes éborgnées et un décès au cours des opérations de police liées au Gilets jaunes [53]. Le même type d’utilisation des armes de force intermédiaire se retrouve au Chili où plus de 300 personnes perdent l’usage d’un œil en octobre-novembre 2019 [54]. En France, les pratiques policières dérogent aussi aux principes du maintien de l’ordre par leur caractère indiscriminé : les tirs de grenades lacrymogènes et de LBD ciblent indistinctement les manifestants, qu’ils prennent part aux affrontements ou non. Un rapport de l’OPP de Toulouse fait ainsi état de pratiques telles que l’enfermement de manifestants dans des nasses et leur saturation de gaz lacrymogènes pendant plusieurs heures [55].

40L’émergence des violences est rendue plus probable par l’absence de représentants et de possibilités de négociation, mais ce n’est pas le seul facteur explicatif. Le développement de processus de sécuritisation, c’est-à-dire une augmentation des consommations de services de sécurité par les pouvoirs publics identifiée par le fait qu’« un acteur sécuritisateur utilise une rhétorique de menace existentielle et place ainsi la question en dehors de ce que dans ces conditions on appelle “politique normale”, nous avons un cas de sécuritisation » [56]. Certains observateurs à l’instar de Jérémy Rubinstein estiment que cette exceptionnalité place les pratiques de polices des foules hors du maintien de l’ordre et les rapproche plutôt de pratiques contre insurrectionnelles [57].

Conclusion

41Pour conclure brièvement, de ces mobilisations semble émerger une nouvelle figure des mouvements sociaux. Celle-ci se caractérise par une forte plasticité et liquidité des mots d’ordre et revendications s’inscrivant dans la figure floue du « peuple » opposé à la figure du « eux », des «1 % », de la « caste », ou encore des « politiciens ». Ce flou sémantique l’est à la fois quant au corps politique mobilisé mais aussi face à la figure de l’ennemi (le « eux »). Cette non-définition permet un dépassement des clivages idéologiques et des mobilisations sociales catégorielles permettant potentiellement ce que Michel Dobry nomme une désectorisation de l’espace social propice aux crises politiques et aux révolutions [58].

42Ces mouvements présentent aussi une forte horizontalité et un refus des directions et des organisations centralisées. Les fonctions de coordination et de communication traditionnellement dévolues aux organisations de mouvements sociaux se déroulent largement en ligne sur des plateformes de médias sociaux. Par ailleurs, ces médias sont d’importantes caisses de résonance de ces mouvements dont les modes d’action hybrident parfois monde matériel et vie numérique.

43C’est aussi le rapport au politique de ces mobilisations qui est renouvelé. Elles s’inscrivent dans un contexte où les opportunités politiques d’obtenir des avancées par la mobilisation sont plus faibles pour les mouvements sociaux. Colin Crouch qualifie d’ailleurs le contexte politique de « post-démocratique » [59] alors que Gregory Chamayou parle de « libéralisme autoritaire » [60]. Les mobilisations liquides présentent une autre théorie de la souveraineté que les mouvements sociaux classiques qui mettent en avant des revendications et négocient. Le refus de la direction va de pair avec le refus de la représentation. Sans représentation, la négociation entre les pouvoirs publics et les personnes mobilisées n’est pas possible, créant l’opposition de deux légitimités parallèles : celle des personnes mobilisées et celle de l’État.

44Dans un contexte de durcissement sécuritaire et de spectacularisation de la contestation, la réponse étatique est double : l’octroi de mesures afin de calmer la contestation couplée à des pratiques de police des foules dures dont l’objectif est de mettre en scène l’autorité de l’État dans un contexte de sécuritisation.

Bibliographie


Mots-clés éditeurs : foule sans chef », Gilets jaunes, maintien de l’ordre, mouvements sociaux

Date de mise en ligne : 17/02/2021

https://doi.org/10.3917/soc.150.0023

Notes

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

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