Couverture de SOC_147

Article de revue

Le blogueur en tant qu’éducateur

Pages 27 à 42

Notes

  • [1]
    En préparant cet article, je me suis appuyé sur l’aide bibliographique fournie par le Dr. Zuzana Kusá, PhD., a qui j’adresse mes sincères remerciements. Je remercie également sincèrement M. Alexei Diakonov pour l’organisation et la réalisation d’une enquête auprès des visiteurs du blog.
  • [2]
    T. Hourigan, L. Murray, « Using blogs to help language students to develop reflective learning strategies: Toward a pedagogical framework », Australian Journal of Educational Technology, vol. 26, 2010/2, pp. 209-225, ici p. 210.
  • [3]
    L.A. Eastham, « Research Using Blogs for Data: Public Documents or Private Musings? », Research in Nursing and Health, vol. 34, 2011, pp. 353-361, ici p. 353.
  • [4]
    D. Alieva, « Od radu k (internetovému) fóru alebo občianske samorasty », OS- Občianska spoločnosť, Roč.11, 2009/4, pp. 60-68.
  • [5]
    M. Maffesoli, « Préface », in S. Hugon, L’étoffe de l’imaginaire. Design relationnel et technologies, Éditions Lussaud, Fontenay-le-Comte, 2011, p. 12.
  • [6]
    L.A. Eastham, « Research Using Blogs for Data: Public Documents or Private Musings? », op. cit., p. 357.
  • [7]
    H. Shema, J. Bar-Ilan, M.Thelwall, « Research Blogs nad the Discussion of Scolarly Information », P LoS One, vol. 7, 2012/5, e35869, pp. 1-8, ici p. 1.
  • [8]
    L. A. Eastham, « Research Using Blogs for Data: Public Documents or Private Musings? », op. cit., p. 354.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    F. O. Smirnov, Iskusstvo obchtchenija v Internete, Kratkoje rukovodstvo. Viljams, 2006, p. 124.  http://www.williamspublishing.com/PDF/5-8459-1004-8/part.pdf.
  • [11]
    M. Maffesoli, Le temps revient. Formes élémentaires de la postmodernité, Desclée de Brouver, Paris, 2010, p. 160.
  • [12]
    Note de la rédaction : l’auteure de cet article vit à Bratislava, les références au passé et aux transformations sociales y renvoient.

1 Ces dernières années, notre vie quotidienne est saturée de nouveaux médias, de nouvelles formes d’information et de communication. Nous ne pourrions y échapper, même si nous le voulions. Outre les moyens de communication traditionnels, il est nécessaire d’en avoir de nouveaux. Actuellement, nombre d’entre eux sont indispensables car ils nous permettent de mieux communiquer avec notre environnement et plus rapidement. Nous pouvons choisir d’utiliser ou non des applications telles que Facebook, Instagram ou Twitter, mais on peut difficilement se passer du moteur de recherche Google, de Gmail pour envoyer des e-mails, ou de l’application WhatsApp. Cependant, on ne peut pas dire que tous nos contemporains participent à des réseaux sociaux. Certains parce qu’ils ne disposent pas des moyens techniques nécessaires. D’autres, parce qu’ils sont incapables de les acquérir en raison de leur âge avancé ou parce qu’ils manquent des compétences techniques.

2 Pourtant, il y a aussi des personnes, même parmi les scientifiques, qui refusent la participation aux réseaux sociaux, parce qu’ils détestent Internet et tout ce qui s’y rapporte. La cause de cette distanciation n’étant pas leur arriération technique, mais plutôt la peur inconsciente d’une intrusion de forces inconnues dans leur vie privée. S’ils veulent s’inscrire à un nouveau réseau social, ils doivent nécessairement créer un nouveau compte et, ainsi, révéler leur identité. L’exigence fixée par l’administrateur de créer un compte (account), peut être perçue comme une nouvelle soumission à une autorité. Pour les personnes qui ont longtemps vécu dans les conditions d’un régime totalitaire, de telles inquiétudes quant à leur liberté sont tout à fait naturelles. Pour eux, l’adhésion à de nouvelles associations implique une perte partielle de liberté personnelle.

3 Ce sont probablement les survivances de la mentalité « postcommuniste », caractérisée par « une réticence à révéler une pensée privée »  [2], comme le soulignent T. Hurigan et L. Murray à propos des enseignants polonais chargés de faire des blogs. D’autre part, la question de la confidentialité ne s’applique pas uniquement aux personnes qui ont conservé une « mentalité postcommuniste ». C’est très important pour tous les participants des réseaux sociaux. Par exemple, Eastham aborde le problème de « la protection appropriée de l’identité des blogueurs »  [3], qui traitent de maladie et de santé.

4 Cependant, même ceux qui, pour protéger leur identité, évitent de s’inscrire sur les réseaux sociaux, s’intéressent aux productions de ces derniers. Ils regardent des forums de discussion, lisent des commentaires de participants, regardent des vidéos sur YouTube, etc. Ils sont présents dans l’espace des réseaux sociaux, mais en tant que visiteurs dont l’identité reste non détectée. C’est une bonne occasion de comprendre la nature de la communauté qui se cristallise sur la plate-forme de ce réseau social.

5 Je dois avouer que je consulte depuis quelque temps des forums Internet de séries télévisées populaires. J’y suis arrivée par curiosité pour le contenu de séries que j’avais manquées. Puis, je me suis intéressée aux discussions virtuelles qui se développaient sous forme d’échanges de commentaires entre les membres du forum. Souvent, j’ai ressenti une similitude de point de vue avec certains des participants. Bien que ne pouvant participer activement à la discussion, n’étant pas inscrite, je me sentais membre d’un club de discussion, non pas virtuel, mais authentique. Ces années d’expérience m’ont amenée à une réflexion sur les problèmes de la société civile  [4]. J’ai donc examiné les caractéristiques d’un forum Internet que j’ai observé, en tant que communauté. C’était une réunion virtuelle, composée de participants inscrits. Ils se réunissaient pour exprimer leur opinion sur une nouvelle série télévisée diffusée depuis plusieurs mois. L’une des caractéristiques spécifiques du forum était qu’il existait une interaction virtuelle entre les participants. Ils ne se rencontraient pas physiquement, mais échangeaient des répliques entre eux.

6 Il faut ajouter qu’ils participaient au forum sous pseudonymes. Néanmoins, même dans cette communauté virtuelle, de véritables amitiés naissaient. Ces relations d’amitié se manifestaient par une forme d’entraide dont les participants faisaient preuve parfois. L’un d’eux pouvait par exemple raconter à un autre le contenu d’un épisode qu’il avait manqué. Il y aura toujours des gens qui aideront les autres et ils recevront en retour des remerciements. Ces relations réciproques participent à la consolidation du forum comme socialité virtuelle.

7 Quant au contenu de « la conversation » entre participants, habituellement elle était triviale, mais parfois certains d’entre eux montraient des connaissances encyclopédiques dans un domaine particulier. Ensuite, ils donnaient des explications factuelles et détaillées sur certaines des réalités abordées par la série actuelle. La discussion se déroulait dans une atmosphère démocratique. Le forum Internet n’était pas stratifié. De même, il n’y avait pas de structure hiérarchique. Personne ne prenait le premier rôle, personne ne dirigeait les autres. En ce sens, on peut soutenir que le forum Internet démontre « l’horizontalité de la puissance fraternelle »  [5]. Mais même dans cet environnement démocratique, au fil du temps, certaines des personnes les plus engagées, les plus informées et les plus dévouées parmi les participants sont devenues des leaders informels.

8 Quant à l’éducation aux vertus civiques, ce sont aujourd’hui aussi des forums de discussion qui servent d’écoles de civisme à nos citoyens. Ils apprennent à leurs membres les principes du respect mutuel, de la conduite honnête, de l’ordre et de la justice. Au cours de la période d’existence du forum, cet ensemble aléatoire de personnes qui ne se sont jamais rencontrées s’est transformé en une communauté suffisamment stable et solidaire qui présente les caractéristiques de la société civile en miniature.

9 D’un forum qui a finalement disparu en tant que genre sur la chaîne de télévision que je préférais, je suis récemment passée à un autre type de communauté virtuelle, à savoir le blog personnel qui représente une sorte de « journal intime » sur Internet. Il aborde divers sujets que le blogueur publie régulièrement et qui sont plus ou moins plébiscités par les membres éventuels du blog. Ils peuvent même s’inscrire et visiter le blog en permanence.

10 Précisons que les blogs sont une forme de communication asynchrone, qui « peut être indexée, archivée et donc disponible sur les moteurs de recherche »  [6]. Cela permet aux visiteurs d’accéder aux articles archivés même s’ils ne sont pas inscrits.

11 Cela me convenait parfaitement, parce que je ne voulais pas m’inscrire à un blog, mais simplement suivre ses activités. Ce fut pour moi une occasion de faire connaissance avec une autre application sociale d’Internet qui était très répandue. Il s’agissait avant tout de comprendre la nature de la relation entre un blogueur et ses followers. L’opportunité s’est présentée à moi en surfant sur YouTube. J’ai été attirée par le titre du blog Le Crépuscule des dieux, qui reprend le titre d’un des opéras de Wagner. Mais le sous-titre était également attrayant pour moi, car il s’adressait à toutes les personnes qui « ne sont pas indifférentes au destin du théâtre musical ». Et bien qu’à mon avis l’intention du blog n’ait pas été de gagner un grand nombre de followers, il s’avère que le nombre d’abonnés dépasse aujourd’hui les 10 000. Ce nombre considérable s’explique par l’intérêt croissant que suscite l’opéra dans le monde contemporain.

12 Quant à moi, j’avais des raisons d’être concernée par ce blog, car l’opéra est au centre de mes intérêts, mais je n’avais personne avec qui en parler. En visitant ce blog, je pouvais écouter chaque jour un critique musical réputé, un véritable expert en opéra, qui fréquentait régulièrement des spectacles qui m’étaient inaccessibles. Ce blog est en fait un vidéoblog ou vlog car il est constitué d’enregistrements vidéo de conférences de l’auteur, publiés chaque jour sur YouTube. Parfois, ces conférences prennent le caractère d’une improvisation plus libre, d’autres fois, elles ressemblent à des conférences officielles, qui s’adressent à un public étudiant ou professionnel. Cela vaut en particulier pour les conférences consacrées à l’histoire de l’opéra, que l’auteur a qualifiées de « bref cours sur la folie de l’opéra ». Le sous-titre de ce cours neutralise le sens ironique du titre en expliquant que c’est « l’histoire de l’opéra pour tous ceux qui veulent en tomber amoureux ».

13 En fait, ce journal Internet donne l’impression d’une chaîne continue, constituée de rapports très précis sur des premières d’opéras se déroulant partout en Europe, non seulement à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, mais aussi à Vienne et Paris, à l’opéra bavarois de Munich, au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, à l’opéra d’Amsterdam, de Zurich, etc. Il souhaite pourtant véritablement réaliser l’un des objectifs de son blog, qui est de vouloir faire économiser à ses membres « du temps et de l’argent », qu’ils perdraient en visitant des productions d’opéra ratées. Pour obtenir de telles informations, il doit être littéralement infatigable. En effet, pour cette seule saison d’opéra, notre blogueur a visité pas moins de 117 représentations d’opéra dans différents théâtres. En outre, il donnait un aperçu de toutes les premières des festivals d’opéra de Salzbourg, Bayreuth et d’Aix-en-Provence. À chacun de ces festivals, il a assisté à toutes les premières annoncées pour les décrire en détail tous les soirs sur son blog. Ce faisant, il se concentre sur l’évaluation globale de la production, y compris la mise en scène, la performance des orchestres et des chanteurs.

14 Le secret de l’attractivité de ce blog pour un certain type de visiteurs n’est pas seulement la quantité et la fraîcheur des informations fournies par l’auteur. Il semble que de nombreux membres sont intéressés par la vision non conventionnelle du blogueur sur l’état actuel de la vie musicale dans le monde. Il dispose d’une véritable érudition et d’une riche pratique journalistique, ainsi que d’expérience dans l’organisation d’opéras et de concerts. D’ailleurs, pendant plusieurs années, il s’est consacré à la planification de la vie de l’opéra du Bolchoï. Les fréquentes excursions dans son riche passé lors de ses conférences sont le reflet de ses expériences d’autres productions des mêmes titres d’opéra. Pour moi, ces souvenirs étaient plus intéressants que les descriptions de certains spectacles d’aujourd’hui, dont la mise en scène est influencée par la tendance contemporaine. Cependant, l’auteur soutient évidemment les metteurs en scène d’avant-garde comme Konwitschny, Wilson ou Tcherniakov, qui représentent cette tendance. Tcherniakov est maintenant vraiment « à la mode », toutefois, ses productions non conventionnelles de nombreux opéras classiques, qu’il s’agisse d’Eugène Onéguine, Rouslan et Ludmila, ou de La Traviata, ne conviennent pas à de nombreux fans d’opéra, y compris aux suiveurs de notre blogueur. Selon l’auteur, Tcherniakov est probablement un des meilleurs directeurs d’opéra d’aujourd’hui. Il assiste à toutes les premières de la production de Tcherniakov, partout où elles ont lieu.

15 Et cela malgré sa réputation de critique impitoyable de tout et de tous. Cela ne relève pas du snobisme, mais d’une exigence poussée pour tout ce qui touche à l’opéra. Il ne respecte personne, ni les chefs d’orchestre les plus acclamés ni les plus célèbres prima donna. Pour cette raison, il a hérité du surnom de « haïsseur de l’opéra ». Une femme, après avoir consulté son blog, l’a qualifié de « critique charmant-méchant ». Il attaque non seulement les personnes mais aussi tous les principes désuets de la direction d’opéra. Il détruit tous les mythes qui circulent dans le monde de l’opéra, mais gagne ainsi la sympathie de ses suiveurs qui apprécient son ton sarcastique.

16 Si nous voulions indiquer la raison principale qui a également conduit notre blogueur à bloguer, ce serait certainement une envie de partager des connaissances avec d’autres, plus précisément, de les éduquer. C’est d’ailleurs une des causes de blogging fréquemment mentionnées aujourd’hui, à côté du besoin de contact social, d’expression de soi, de reconnaissance, etc. L’activité de notre blogueur montre qu’il poursuit actuellement un objectif éducatif comme il l’a fait dans son passé récent. À une époque où l’éducation permanente de tous les citoyens était presque une obligation, il était habitué à être un éducateur. Il a donc donné des conférences publiques sur des sujets professionnels et écrit de nombreux articles dans des magazines et des journaux. Pour lui, son blog n’est que la continuation de son ancienne activité éducative. À la différence qu’il enseigne aujourd’hui non pas dans une salle de conférences, mais, chez lui, assis sur son canapé. Ce type de blogueur appelle un type adéquat de suiveur, qui était habitué dans un passé récent à élargir ses connaissances lors de certains cours et formations. Alors, aujourd’hui, ils se rencontrent dans un blog, en tant que blogueur et suiveur.

17 Le fait que ce blog se consacre à la diffusion des connaissances professionnelles sur le théâtre d’opéra parmi les profanes, le place dans la catégorie des blogs éducatifs, qui sont actuellement très populaires. Et bien que l’auteur ait un rang scientifique, son blog n’appartient pas à la catégorie des blogs de recherche ou scientifiques, qui sont aussi « des moyens de diffuser des informations scientifiques via le Web »  [7]. Ce blog ne poursuit pas d’objectifs de recherche, bien qu’il cherche des informations nouvelles sur la vie musicale contemporaine. Dans ce cas, l’incarnation actuelle d’un blogueur en tant que critique musical, servant à élever le niveau du théâtre musical d’aujourd’hui, devient réelle. De ce point de vue, son blog peut être classé dans la catégorie des blogs consacrés à la musique classique. Notre blogueur, cependant, combine très bien le rôle de protecteur de la musique classique avec le rôle d’éducateur. Cette combinaison prédétermine la nature de la relation entre le blogueur et ses suiveurs éventuels.

18 En ce qui concerne l’intention éducative du blog, elle évoquera les relations de respect, d’admiration pour le blogueur en tant qu’éducateur. Cela contribue à créer un consentement au sein de la communauté qui se cristallisera autour du blogueur. En ce qui concerne la protection de la musique classique, cette intention encouragera le blogueur à être plus critique à l’égard des artistes d’opéra, au risque de provoquer un désaccord, voire même la résistance de certains suiveurs.

19 Ces deux intentions créent une ambiance spécifique pour ce blog, qui diffère considérablement de celle que nous avons observée sur le forum de discussion. En effet, « les blogs en tant que groupe diffèrent considérablement des autres applications sociales Internet »  [8]. La compréhension de ces différences est importante « aux chercheurs lors de l’évaluation des sources de données afin de déterminer les méthodes de leurs collections »  [9]. Eastham elle-même se consacre à la comparaison de blogs avec les chat rooms de Facebook.

20 Cependant, lorsque nous comparons les blogs avec les forums de discussion, nous remarquons d’abord leurs similitudes. Par exemple, un blog et un forum se caractérisent par l’organisation des articles dans l’ordre chronologique inverse. Une autre similitude réside dans le fait que la communication y est asynchrone. Ainsi, il peut être archivé et reste toujours accessible à tous les internautes grâce au moteur de recherche.

21 Quant aux différences entre ces deux applications, nous les avons constatées lors de notre première visite sur le blog. La première différence est « démographique ». Si le forum est « peuplé » par des participants et représente une collectivité, le blog est incarné par une seule personne, le blogueur lui-même. Un seul blogueur est apparu devant nous, à la fois comme conférencier, caméraman qui a enregistré cette conférence, visiteur de tous les événements dont il a parlé, administrateur, etc.

22 Contrairement au forum de discussion, qui crée une plate-forme thématique pour les réunions régulières de ses membres, le blog constitue la voix de la seule personne qui en est l’auteur. Il propose son sujet, que lui-même développe et présente sous forme de conférences ou d’articles à ses visiteurs potentiels. Encore faut-il attirer des visiteurs. Au début, quelques personnes que le blogueur connaît personnellement. Peu à peu, d’autres visiteurs s’intéressent au sujet du blog et s’abonnent à des conférences. Ce sont eux qui constituent la communauté virtuelle, qui se cristallise autour du blogueur. Nous nous intéressons donc aux relations qui se créent entre le blogueur et ses suiveurs, ainsi qu’entre les suiveurs eux-mêmes. Mais il faut remarquer que, contrairement aux participants au forum, qui sont toujours « visibles » en raison de leur contribution constante à une discussion continue, les visiteurs de blogs sont difficiles à trouver. Nous ne pouvons connaître la présence d’un visiteur que par sa réponse à la conférence d’un blogueur sous forme de question ou de commentaire. Le statut du commentaire dans le blog est assez différent de celui du forum de discussion, ce qui est la source d’une autre différence entre forum et blog. Dans le forum, chaque participant contribue à la discussion avec ses commentaires. Peu à peu, ils sont accumulés et sont superposés chronologiquement. Ensemble, ils forment un « corpus » de discussions auquel tout internaute peut accéder à tout moment.

23 Quant au blog, ses visiteurs peuvent poster leurs commentaires, mais ne sont pas obligés de le faire. Après la conférence, l’un d’eux peut remercier l’auteur ou appuyer son opinion. Cependant, certains écoutent passivement la conférence et ne publient pas leur point de vue. Après tout, cela n’est pas ennuyeux. Même si leurs commentaires n’existaient pas, le blog ne disparaîtrait pas. Pour le blog, l’activité informatique de l’auteur est importante, pas celle de ses suiveurs. En effet, au contraire du forum qui cesserait d’exister sans les commentaires de ses participants, car ils servent de matériaux de construction pour la discussion, le blog, lui, n’est pas aussi dépendant des commentaires des suiveurs. Ils contribuent à certains ajustements dans le comportement du blogueur à l’égard de son auditoire, mais ils ne peuvent ni perturber ni détourner l’intention initiale du blog.

24 Les commentaires dans le forum de discussion vont de la brève réplique au commentaire d’un autre visiteur, à des messages relativement volumineux. Les commentaires de blog sont plus succincts que les commentaires de forum, l’espace y étant plus restreint. Quant à la discussion dans le blog, elle n’a pas le caractère global et cohérent du forum. Elle est fragmentaire et divisée en plusieurs « mini-discussions » qui se sont cristallisées autour des différentes conférences de notre blogueur. Cette fragmentation de la discussion sur le blog provoque également des situations dans lesquelles nous ne savons pas où la discussion se déroule, ni si elle existe réellement. Pendant ces périodes « sourdes », le blog comme application sociale peut nous apparaître comme incomplète. C’est ce qui m’est arrivé lors de mes premières visites sur ce blog.

25 Je dois avouer qu’à cette époque je ne m’intéressais qu’aux conférences du blogueur. Grâce au forum, j’avais appris qu’il peut y avoir une discussion constante en ligne. C’est pourquoi j’ai cherché dans le blog aussi un lieu permanent où tous les commentaires des visiteurs potentiels du blog pouvaient être trouvés. Mais un tel endroit n’existait pas. En n’ayant pas accès aux commentaires, je n’ai pas eu accès aux suiveurs qui les envoient. Cela peut créer une impression temporaire d’incomplétude, un « dépeuplement » absolu du blog, ou le seul blogueur règne. Il semblait être le seul agent actif du blog, envoyant ses messages à d’éventuels suiveurs. Ces derniers semblaient quant à eux cantonnés dans le rôle de destinataires passifs de ses messages. Il semblait qu’ils ne pouvaient ni poser de questions au conférencier ni exprimer leurs points de vue sur certains passages controversés : c’est un cas typique de communication unilatérale. Il n’y avait donc pas d’interaction entre le blogueur et ses suiveurs, car ils ne communiquaient pas les uns avec les autres.

26 Quant aux relations entre les suiveurs eux-mêmes, elles semblaient ne pas exister du tout. Comparés à un forum de discussion où les membres interagissent au moins virtuellement entre eux, les membres du blog n’avaient pas cette opportunité. Et bien que le blogueur fournisse des informations très pertinentes, sa relation asymétrique avec le public provoquait une certaine insatisfaction. Le conférencier, lui, ne pouvait pas savoir avec certitude si sa conférence était réussie ou non. Le seul indicateur de la qualité de ses conférences était pour lui le nombre de « j’aime » ou « je n’aime pas » que laissent les participants et les visiteurs du blog.

27 Cette situation confère à l’auteur le statut exceptionnel d’enseignant ou de maître qui façonne l’opinion de ses suiveurs. On pourrait dire que nous décrivons une situation artificielle et atypique. C’est un cas vraiment modélisé, mais une telle situation peut se produire dans n’importe quel blog. C’est le cas lorsque le blogueur n’obtient aucune réponse, n’a pas de suiveurs. Son blog deviendra dysfonctionnel et occupera inutilement de la place sur le réseau comme Le Hollandais volant, ainsi qu’on nomme les blogs qui ont atteint la fin de leur cycle de vie, mais sont toujours restés sur Internet  [10]. Mais si le blogueur gagne un public, il devient une sorte de point de cristallisation autour duquel se forme une communauté virtuelle. Cette communauté ne présente pas l’ambiance fraternelle que nous avons trouvée sur le forum de discussion. Elle semble comme l’antipode du forum, dans lequel nous avons vu un prototype de société civile. Dans le cas du blog, l’impression serait plutôt celle d’une salle de classe, dominée par l’autorité d’un enseignant hautement respecté. Le style catégorique irrévocable dans lequel les conférences du blogueur étaient stylisées, en particulier au début, contribuait à cette impression. Cette image convient aux cas extrêmes et stricts de domination du blogueur sur son public. Une vision plus libérale se contenterait de l’image du salon parisien de l’époque de Voltaire et de Rousseau. Dans ces salons, une personnalité éminente, une sorte de maître spirituel ou de gourou d’aujourd’hui, dominait généralement. Son opinion était celle qui prévalait sur les autres. Donc, la seule possibilité pour ses suiveurs était d’exprimer ouvertement leur admiration pour le maître, ou de l’écouter poliment.

28 Aujourd’hui, certains blogueurs jouent les petits Voltaire pendant une heure. Et plus leurs idées sont obscures, plus ils sont autoritaires envers leurs suiveurs. Dans ce cas, l’absence de relations entre le blogueur et son public renvoie une image extrême et donc répulsive du blog. Cependant, cette image change en un instant, dès que les commentaires commencent à apparaître sur le blog. Par hasard, nous les avons trouvés sous l’une des conférences. Il s’agissait de quelques répliques en marge de la conférence, dans lesquelles le blogueur critiquait une chanteuse célèbre. Seules quelques répliques, pleines de remerciements et d’appréciation envers le blogueur pour son attitude intrépide, et soudain, tout a changé. Comme dans La Belle au bois dormant ! Le blogueur a reçu enfin une réponse de son auditoire, indiquant la qualité de ses conférences. Il était intéressant de voir comment les visiteurs du blog ont eux-mêmes contribué à la transformation de la communication unilatérale en une communication bilatérale. Pendant un moment, il a même semblé que les visiteurs du blog pouvaient former des relations rappelant celles qui apparaissent dans un forum de discussion. Cela grâce à l’atmosphère de discussion dans laquelle les visiteurs regardent et répondent aux remarques des autres. Au cours de la discussion, les visiteurs du blog façonnent leur relation avec le blogueur, ce qui est une condition préalable à la consolidation progressive de la solidarité entre eux, que nous avons constatée chez les membres du forum de discussion.

29 C’était la première fois que je rencontrais dans un blog des visiteurs qui, en commentant le même exposé du blogueur, donnaient l’impression d’un groupe virtuel. Ensuite, il y a eu plusieurs cas de ce type. J’ai commencé à chercher moi-même sur YouTube des commentaires et des discussions sporadiques sur les conférences particulières de notre blogueur. Il était très intéressant pour moi de lire leurs commentaires qui, malgré leur brièveté, témoignaient du soutien sans équivoque des opinions du blogueur. Ils exprimaient surtout gratitude et admiration pour le blogueur, ce qui confirmait son rôle d’éducateur. Certes, selon lui, il recevait également des commentaires critiquant ses attitudes vis-à-vis de certains artistes d’opéra et parfois ceux-ci ne pouvaient pas être publiés. Par conséquent, il a dû modérer les commentaires qu’il recevait.

30 Récemment, il a intensifié ses relations avec son public. Dans ses conférences, il cherche à répondre aux questions qu’il reçoit du public par courrier électronique. Il a même organisé plusieurs réunions avec des membres inscrits pour répondre à leurs questions. Il publie ensuite des vidéos de ces conférences publiques sur YouTube. Ainsi, la communication virtuelle est devenue réelle et le blogueur est revenu à son passé de conférencier.

31 Il convient de noter qu’il modifie le style de communication avec ses auditeurs réels. De professeur autoritaire il se transforme soudain en conseiller tolérant qui explique patiemment au public son attitude à l’égard de l’opéra d’aujourd’hui. Cependant, il ne l’abandonne pas non plus son rôle de maître spirituel pour certains de ses suiveurs. Au contraire, le contact actif avec son public le renforce dans ce rôle. On pourrait dire qu’une atmosphère d’adoration hystérique est dégagée par certaines visiteuses, ce que l’on peut voir dans leurs commentaires. Parfois, les suiveurs semblent incapables d’esprit critique. Cela conduit à la création de nouveaux mythes à la place de ceux que le blogueur a lui-même supprimés.

32 Mais si les visiteurs du blog apprécient et admirent clairement le blogueur, y en a-t-il parmi eux qui sont en désaccord et qui se sentent opposés à ses vues ? Qu’est-ce qui a réellement amené les gens à visiter et à s’abonner au blog ? Il semblait préférable de le demander directement aux visiteurs du blog. Nous avons donc mené une petite enquête auprès d’un tout petit échantillon de cinq personnes. Ce questionnaire a été organisé et mené par l’un des abonnés du blog Alexei Diakonov, auquel j’exprime mes sincères remerciements. Il a réalisé avec eux de brèves interviews non standardisées au sujet de leur opinion sur le blogueur et ses conférences. Il leur a également demandé ce qui les avait amenés sur le blog. J’étais particulièrement intéressée à savoir si les visiteurs du blog étaient encore capables d’esprit critique ou s’ils étaient totalement tombés sous l’influence du blogueur.

33 En ce sens, j’ai été très heureuse de la première réponse du répondant N.N., qui a dit directement :

34

« Bloguer n’est pas pour moi le standard pour mettre mes pendules à l’heure. Parfois, mon opinion coïncide avec son opinion. Et comme je n’ai pas autant d’expérience concernant la musicologie et que j’écoute moins de musique, je lui fais confiance, mais sans l’adorer. Je fais également confiance à mes oreilles et à mon intuition intérieure. [...] L’intuition et l’audition m’aident à avoir ma propre opinion. J’aime certaines choses dans son blog, et d’autres, non. J’écris rarement des commentaires quand je connais peu le sujet. »

35 Un autre, A.D., a raconté comment il a pris connaissance du blog :

36

« Je suis tombé sur ce blog via YouTube. Je ne l’ai pas spécifiquement recherché, mais j’ai immédiatement regardé quelques conférences. En général, j’éprouve un grand plaisir : je suis d’accord avec presque tout, si j’ai regardé la même production en direct ou si je l’ai enregistrée. De plus, parfois, je ne trouve pas les mots justes pour exprimer mon mécontentement à un moment donné, mais il les trouve toujours. [...] Il est intéressant pour moi de l’écouter lorsque je ne suis pas en mesure de regarder une production et que très probablement, je ne pourrai pas la regarder dans un proche avenir. Mais, si je vais au spectacle le lendemain, je ne regarde pas sa conférence, pour ne pas être influencé dans mon évaluation. »

37 Le répondant analyse les avantages du blog. Il apprécie le professionnalisme de l’auteur :

38

« Chaque édition [de conférence] dure 10 à 20 minutes, ce qui est très pratique pour une personne très occupée. De même, il ne perd pas de temps pour interpréter le contenu de l’opéra, excluant ainsi le public qui n’y connaît rien. Par conséquent, son blog peut être considéré comme professionnel. »

39 Le répondant voit également des défauts dans l’activité du blogueur :

40

« Ses prétentions et invectives ne sont pas toujours clairement argumentées. Il ne propose pas d’alternative de mise en scène de l’opéra pour appuyer sa démonstration. Parfois, il est trop agressif par rapport à ceux qu’il n’aime pas. »

41 Quant au livre de l’auteur sur Tcherniakov, le répondant l’a lu « en une heure, mais il n’a pas trouvé de réponse à ses questions […] juste des formules générales et c’est proche de l’adoration aveugle ». Le répondant conclut :

42

« En l’absence d’institution critique d’opéra à part entière (dans notre pays), je ne considère pas le blogueur comme un messie, mais, bien sûr, comme une personne qui gratuitement partage des informations très importantes. Il ne le fait pas de manière subjective à 100 %, mais avec compétence, clarté et professionnalisme. »

43 Ce répondant a l’avantage d’assister régulièrement aux conférences que l’éminent musicologue M. L., a consacrées à l’histoire de l’opéra, accompagnées d’enregistrements vidéo de spectacles d’opéra. À ma demande, il a comparé ce conférencier à notre blogueur. Ce sont des gens de générations de formations différentes. Notre blogueur fait comme M. L., prétendant être un gourou de l’opéra moderne. Ils travaillent avec des formats différents, mais les deux sont intéressants à leur manière. M. L. a du charisme, toutefois, comme ne restent que 8 à 9 personnes dans son club, il semble dépassé. Personne ne veut passer cinq heures par week-end, assis sur des chaises inconfortables et regarder ce que vous pouvez télécharger sur Internet et regarder à la maison confortablement. Le format des conférences est fondamentalement obsolète, tandis que la présentation du contenu par le blogueur est très vivante, pertinente. Il ne s’écarte pas du sujet et ne se concentre pas sur des détails extérieurs à l’opéra.

44 Réponses du troisième répondant S.Kh. que nous reproduisons avec les questions de l’enquêteur :

45

S.Kh. : Comment suis-je tombé sur ce blog ? Je ne me souviens pas, car je suis intéressé par la musique classique, je surfais, je visitais divers sites et forums, où j’ai trouvé le lien correspondant...
Enquêteur : Est-ce que vous l’écoutez régulièrement ?
S.Kh. : Le contenu n’est pas aussi intéressant qu’au début...
E. : Êtes-vous d’accord avec tout ?
S.Kh. : Oui, à bien des égards, mais pas avec tout. Impressionné par la brièveté de la présentation, la fermeté de la position, sur certaines questions, sa précision de jugement est également appropriée. Les sujets et les questions qu’il aborde sont exprimés, mais ils ne me sont pas familiers par expérience ni par horizon, ils semblent convaincants.
A : Que pensez-vous de ce type d’activité éducative ?
S.Kh. : C’est positif et digne d’attention !
E. : Pouvez-vous comparer sa présentation avec M. L. ? Qui est plus distinct ? / le meilleur/ le plus remarquable ?
S.Kh. : Les contenus sont vraiment différents, M. L. est historien de l’art, et c’est un artiste reconnu d’une grande intelligence et d’une immense érudition. Quant au blogueur, il est utile par la clarté de la présentation. Il aborde des sujets intéressants pour moi : je n’ai pas entendu de matériel à part entière, des conférences sur l’opéra du blogueur.
A : Souhaiteriez-vous discuter en ligne avec d’autres abonnés ?
S.Kh. : Non.
[Plus tard] S.Kh. : Salut ! En parcourant la page Facebook de notre blogueur, j’ai compris que ce gaillard était quelqu’un de franc, courageux et ferme sur ses positions, somme toute très sympathique en tant que personne.

46 La réponse du quatrième répondant P.P. était brève, mais plutôt injurieuse. Essayons de la restituer sous une forme convenable. Nous en publions ce qui peut être reproduit :

47

P.P. : Oh, il y a une semaine, que je suis ici, dans la maison de campagne venu avec Le Crépuscule des dieux. Jusqu’à 3 heures du matin j’ai regardé les vidéos de l’auteur... Je n’y ai trouvé aucun artiste vivant ou n’ayant pas terminé sa carrière avant l’âge de 70 ans, dont il parlerait bien... Il faut le démolir a...

48 La dernière réponse est celle de la seule femme, S.S., ayant participé à l’enquête :

49

S.S. : Non, je ne l’aime pas [le blogueur]. Peut-être, il a raison, mais ! Il ne devrait pas être aussi catégorique pour juger tout le monde ! Et pourtant ! Il n’y a pas que des notes de musique : il est toujours acteur et sa performance ! Et j’aime Netrebko, je l’aime beaucoup. Je vais à ses spectacles à la première occasion. Lors de ses apparitions, je suis toujours émue aux larmes. Je ne sais pas comment elle le fait. J’ai vu 100 fois Onéguine, mais je n’oublierai jamais sa Tatjana à Vienne.

50 Comme on peut le voir, notre enquête a révélé une grande dispersion de points de vue de l’auditoire par rapport au blogueur. Trois d’entre eux ont évalué positivement son travail et confirmé la nécessité de son projet éducatif. Deux d’entre eux étaient en désaccord avec le blogueur pour avoir fait des attaques critiques contre certains artistes. Ces invectives découlaient toutefois de l’intention du blogueur de protéger l’opéra classique d’un manque de professionnalisme.

51 La publication de l’enquête nous a permis non seulement de regarder le blogueur à travers les yeux de ses suiveurs, mais également de les observer eux-mêmes. Ce ne sont pas des ignorants, mais des personnes éduquées, qui ont un certain bagage culturel avec un intérêt particulier pour l’opéra classique. Ils ont déjà quelques connaissances dans ce domaine, mais souhaiteraient les élargir. Il était très important pour moi de savoir s’ils avaient toujours un esprit critique. Heureusement, ils ont suffisamment confiance en eux-mêmes et, même lorsqu’ils respectent un blogueur, ils ne le prennent pas pour une icône ou un gourou. Et ce malgré le régime autoritaire, qui est typique de tous les blogs dirigés par des auteurs. Même le plus gentil des blogueurs ne permettra à aucun visiteur de discuter la vision qui est la sienne dans son blog. Notre blogueur ne fait pas exception. Selon le répondant A.D., « il [le blogueur] exprime sans doute son opinion personnelle, son point de vue. Il en est convaincu et il n’y a pas de place pour la discussion dans le vidéoblog... Et voici une particularité spécifique : ceux qui ne sont pas d’accord avec lui sont exclus des abonnés. »

52 Certains auditeurs ne sont pas satisfaits de ces pratiques non démocratiques. Ils tentent de surmonter la relation asymétrique du blog en envoyant au blogueur des questions plus critiques auxquelles. Selon A.D., « il répond rarement, mais par un courrier personnel. Il recueille une grande partie des questions et y répond dans des conférences séparées. Quelque chose comme “réponses aux lettres des travailleurs” pendant le socialisme. »

53 Récemment, l’atmosphère dans le blog semble s’être détendue. Mais elle ne peut pas être comparée à l’atmosphère démocratique créée dans le forum de discussion. C’est parce qu’il n’y a aucune discussion dans le blog entre l’auteur et ses suiveurs, ainsi qu’entre les suiveurs eux-mêmes. Seule l’introduction d’une discussion générale pourrait conférer au blog un caractère démocratique. Cependant, cela n’est pas permis par le format blog personnel, dirigé par l’auteur. Enfin, la supériorité professionnelle d’un blogueur sur son public, qui vient de différentes régions du pays, est évidemment si grande qu’il serait inutile de présumer des relations égales et symétriques entre eux. Le public doit reconnaître cette supériorité et le faire savoir par des « applaudissements » virtuels après chaque conférence réussie de notre blogueur sous forme de commentaires comme « Bravo ! », « Vous étiez formidable ! », etc.

54 Donc, même après cette petite enquête plus fouillée sur ce blog, nous en sommes restée à le comparer à un petit salon virtuel, dans lequel le blogueur se produirait, non pas comme un obscur gourou, mais comme un maître spirituel d’un format nouveau. Cette figure semblait oubliée, mais comme l’écrit Maffesoli : « La civilisation bourgeoisiste moribonde laisse sur Internet la place au retour des figures archaïques qui soulignent que l’on assiste à un vrai réenchantement du monde  [11]. » Bien que nous soyons dans une époque, une réalité et une culture totalement différentes de celles du XVIIIe siècle, l’idée d’un salon en tant que petite communauté intellectuelle centrée sur une personnalité extraordinaire dotée d’une mission particulière a été ravivée par la forme du blog.

55 De nos jours, grâce à Internet, une communication sans limite est devenue possible. Des millions de personnes auparavant insignifiantes ont soudainement voulu dire quelque chose au monde. Les blogueurs, qui étaient considérés encore hier comme n’ayant ni métier ni moyen de subsistance, se sont multipliés tel un bouillon de culture bactérienne. Certains d’entre eux bavardent sur des sujets inintéressants, d’autres répandent des rumeurs fantastiques sur le passé historique récent. Il y a aussi ceux qui, comme « notre » blogueur méritent l’attention et la reconnaissance. Le rôle éducatif de ce blog est indéniable. Le blogueur essaie de contribuer à ce que l’on appelait récemment l’éducation continue des adultes. Cela a été oublié lors de transformations sociales rapides récentes  [12]. De tels blogs aident à maintenir un niveau élevé de culture musicale et théâtrale parmi les personnes éduquées. Il ne s’agit pas d’une culture de masse, mais d’une véritable haute culture qui peut être acquise non pas en quelques minutes de Wikipédia, mais de manière longue et laborieuse dans les salles de conférences et les bibliothèques, dans les musées et galeries, dans les théâtres, dans les salles de concert, et en grande partie grâce aux entretiens avec des éducateurs sages.

56 En ce qui concerne notre blogueur, il reste ce type d’éducateur malgré son passage de la salle de conférence à la sphère de la communication virtuelle. Il élargit sans aucun doute les horizons de ses suiveurs, les aidant ainsi à surmonter leur provincialisme, leurs lacunes, leurs vues obsolètes sur le théâtre. Il les aide à cultiver le bon goût musical et artistique. Il leur apprend à voir les choses familières sous un autre angle de vue. Nous pouvons dire que, dans un océan de bavardage vide, d’ignorance cachée et d’analphabétisme évident, qui continue malheureusement à être alimenté par des sources de communication virtuelle médiocres, un blog comme le nôtre est un petit îlot de culture réelle. Et s’il existe des blogs similaires qui maintiennent et développent la haute culture traditionnelle, nous pouvons être sûrs que notre monde culturel ne disparaîtra pas.

Bibliographie

Bibliographie

  • Alieva D., « Od radu k (internetovému) fóru alebo občianske samorasty », OS-Občianska spoločnosť, Roč.11, 2009/4, pp. 60-68.
  • Eastham L. A., « Research Using Blogs for Data: Public Documents or Private Musings? », Research in Nursing and Health, vol. 34, 2011, pp. 353-361.
  • Hourigan T., Murray L., « Using blogs to help language students to develop reflective learning strategies: Toward a pedagogical framework », Australian Journal of Educational Technology, vol. 26, 2010/2, pp. 209-225.
  • Maffesoli M., Le temps revient. Formes élémentaires de la postmodernité, Desclée de Brouver, Paris, 2010.
  • Maffesoli M., « Préface », in S. Hugon, L’étoffe de l’imaginaire. Design relationnel et technologies, Éditions Lussaud, Fontenay-le-Comte, 2011.
  • Shema H., Bar-Ilan J., Thelwall M., « Research Blogs and the Discussion of Scolarly Information », PLoS One, vol. 7, 2012/5, e35869, pp. 1-8.
  • Smirnov F.O, Iskusstvo obchtchenija v Internete. Kratkoje rukovodstvo, Viljams, 2006, p. 124.  http://www.williamspublishing.com/PDF/5-8459-1004-8/part.pdf

Mots-clés éditeurs : blogueur, forum de discussion, blog

Mise en ligne 09/04/2020

https://doi.org/10.3917/soc.147.0027

Notes

  • [1]
    En préparant cet article, je me suis appuyé sur l’aide bibliographique fournie par le Dr. Zuzana Kusá, PhD., a qui j’adresse mes sincères remerciements. Je remercie également sincèrement M. Alexei Diakonov pour l’organisation et la réalisation d’une enquête auprès des visiteurs du blog.
  • [2]
    T. Hourigan, L. Murray, « Using blogs to help language students to develop reflective learning strategies: Toward a pedagogical framework », Australian Journal of Educational Technology, vol. 26, 2010/2, pp. 209-225, ici p. 210.
  • [3]
    L.A. Eastham, « Research Using Blogs for Data: Public Documents or Private Musings? », Research in Nursing and Health, vol. 34, 2011, pp. 353-361, ici p. 353.
  • [4]
    D. Alieva, « Od radu k (internetovému) fóru alebo občianske samorasty », OS- Občianska spoločnosť, Roč.11, 2009/4, pp. 60-68.
  • [5]
    M. Maffesoli, « Préface », in S. Hugon, L’étoffe de l’imaginaire. Design relationnel et technologies, Éditions Lussaud, Fontenay-le-Comte, 2011, p. 12.
  • [6]
    L.A. Eastham, « Research Using Blogs for Data: Public Documents or Private Musings? », op. cit., p. 357.
  • [7]
    H. Shema, J. Bar-Ilan, M.Thelwall, « Research Blogs nad the Discussion of Scolarly Information », P LoS One, vol. 7, 2012/5, e35869, pp. 1-8, ici p. 1.
  • [8]
    L. A. Eastham, « Research Using Blogs for Data: Public Documents or Private Musings? », op. cit., p. 354.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    F. O. Smirnov, Iskusstvo obchtchenija v Internete, Kratkoje rukovodstvo. Viljams, 2006, p. 124.  http://www.williamspublishing.com/PDF/5-8459-1004-8/part.pdf.
  • [11]
    M. Maffesoli, Le temps revient. Formes élémentaires de la postmodernité, Desclée de Brouver, Paris, 2010, p. 160.
  • [12]
    Note de la rédaction : l’auteure de cet article vit à Bratislava, les références au passé et aux transformations sociales y renvoient.
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