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Article de revue

Connexion interculturelle : communications et comportements socioculturels entre citoyens empathiques dans le monde

Pages 5 à 10

Notes

  • [1]
    This research was supported by Basic Science Research Program and the Social Science Korea Program through the National Research Foundation of Korea funded by the Ministry of Education [grant number 2017S1A3A2067374].
  • [2]
    Voir inter alia, L. Beamer, “Learning intercultural communication competence”, Journal of Business Communication, n0 29(3), pp.285-303, 1992; D. A. Jameson, “Reconceptualizing cultural identity and its role in intercultural business communication”, Journal of Business Communication, n° 44(3), pp.199-235, 2007; P.W. Cardon, “A critique of Hall’s contexting model: A meta-analysis of literature on intercultural business and technical communication”, Journal of Business and Technical Communication, n° 22(4), pp.399-428, 2008.
  • [3]
    R.T. Halualani, T.K. Nakayama, “Critical Intercultural Communication Studies at a Crossroads”, in The Handbook of Critical Intercultural Communication, Wiley-Blackwell, Malden, 2010, p. 8.
  • [4]
    A.J. O’Brien, A. Eriksson, “Cross-cultural connections: Intercultural learning for global citizenship”, Intercultural Communication Competence: Educating the Global Citizen, 2010, p. 2.
English version

1 Ces dernières années ont vu la prolifération de myriades d’articles et de livres sur la communication interculturelle parallèlement à la mondialisation et au développement rapide des entreprises transnationales en raison de l’intégration en bloc par les institutions locales des normes et standards mondiaux  [2]. Le point de départ essentiel, pour ces recherches commerciales ou sur la communication interculturelle liée à la mondialisation, est la parfaite osmose sur la question des compétences en communication interculturelle ou à l’échelle mondiale qu’une personne doit maîtriser pour neutraliser les risques culturels inhérents aux transactions commerciales internationales, qu’ils soient discrets ou saillants. L’objectif poursuivi par le développement de ces aptitudes en communication interculturelle n’est pas de développer une compréhension empathique de l’Autre et/ou des autres cultures chez les professionnels mais bien d’optimiser les rendements tout en réduisant les coûts grâce à l’exploitation massive des ressources naturelles, des externalités (ex. : air, eau, biosphère humaine, etc.), du corps ou du travail d’autrui.

2 En conséquence, la communication interculturelle dans les affaires traite l’empathie humaine, nécessaire pour déchiffrer le sens des messages de communication émanant de milieux culturels très différents, comme étant moins importante que la capacité de persuasion des partenaires locaux visant à leur faire accepter des connotations culturelles intégrant des politiques commerciales néoclassiques ou néolibérales et les forçant ainsi à accepter les conditions des grandes entreprises mondiales qui étendent leurs prouesses technologiques et financières partout dans le monde. Alors qu’une compréhension empathique des autres cultures serait préjudiciable aux intérêts commerciaux mondiaux, en permettant aux hommes et femmes d’affaires de comprendre et gérer la souffrance et l’angoisse des populations locales du fait de la cruauté de normes commerciales mondiales toujours plus contraignantes, les aptitudes à la communication interculturelle protégeraient ces intérêts des grandes multinationales en leur permettant de persuader les populations locales d’accepter, voire de chérir, les vexations de la mondialisation et la destruction de leur culture locale. En ce sens, la communication interculturelle implique nécessairement hiérarchie, pouvoir et luttes.  [3]

3 Dans ce contexte, nous intitulons cette édition spéciale : « Connexion Interculturelle » de sorte à illustrer cette nouvelle tendance de la communication interculturelle, laquelle suppose une participation active à la communication interculturelle par l’établissement de véritables liens entre les partenaires transnationaux en communication. Les connexions interculturelles ou pluriculturelles, contrairement à la simple communication multiculturelle, mettent en évidence le fait qu’il est crucial de relier des membres de cultures différentes de la communauté mondiale « pour rendre possible une meilleure compréhension politique, une meilleure conscience éthique de même que de meilleures compétences interculturelles afin d’améliorer les relations des citoyens émergents du monde. »  [4] C’est pourquoi les connexions interculturelles nécessitent non seulement des compétences pluriculturelles pour les profits des entreprises mais également des efforts en termes d’approfondissement de la compréhension du milieu politique, éthique et culturel pour une future collaboration entre citoyens du monde. Ces efforts demandent de bonnes connaissances pour amorcer une communication et des attitudes empathiques, un affect de communication crucial qui nécessite une vision du monde anthropocentrique basée sur les émotions envers des êtres humains issus de tous les milieux et des quatre coins du monde.

4 En outre, des connexions basées sur une communication pluriculturelle, laquelle repose sur la compréhension empathique de la culture des uns et des autres, engendrent la création d’une zone commune d’engagement au sein de laquelle les différents besoins, désirs et préoccupations aux niveaux culturel, social, politique, éthique et les autres besoins humanitaires sont partagés par des formes de vie culturelle unanimes, bien que bien souvent inconscientes, comme par exemple l’emploi répandu des baguettes parmi les Européens ou les nouveaux mouvements culturels en plein essor (comme la vague coréenne ou « K-Pop »), les veillées et mouvements aux chandelles, les politiques des partis politiques et les nouveaux mouvements religieux.

5 À partir de cette portée théorique ce numéro est structuré autour de divers articles montrant chacun à sa manière des idées pertinentes qui enrichissent la réflexion autour de la thématique choisie. Avant toute chose, l’article de Oh et Kim sur la mélancolie rencontrée parmi les fans du « Hyallu » (la vague coréenne) du monde entier présente une thèse provocante affirmant que l’universalisme féminin de la forme féminine de la mélancolie, définie en termes pathologiques et ontologiques comme un sens de perte qui ne parvient pas à être exprimé ouvertement comme une tristesse, pouvant donc parfois aboutir à une psychose maniaco-dépressive, est la principale motivation des femmes en faveur de la créativité, de l’apprentissage et d’une participation culturelle, comme l’illustrait le cas des fans de Hallyu. L’engouement pour le « Hallyu », essentiellement féminin, dégage des compétences de communication grâce à des connexions actives parmi les fans de Hallyu de sexe féminin, du fait de leur découverte commune de compétences nouvellement acquises permettant d’apprécier les cultures étrangères, et notamment la culture venant de Corée du Sud, la langue, les TV dramas coréennes et la musique K-pop. Par opposition aux syndromes masculins de la mélancolie, la mélancolie féminine se base sur les inégalités de genre qui sont vécues par toutes les femmes dans les sociétés humaines du monde entier.

6 En deuxième lieu, l’article de Yoo et Jang sur la compréhension empathique des votants quant à la problématique de la pauvreté et sur leurs attitudes envers les politiques de bien-être du gouvernement constitue un test empirique de leur hypothèse, à savoir qu’une forte compréhension contextuelle de la pauvreté permettrait à une personne de sérieusement renforcer son attitude bienveillante envers les politiques sociales. La compréhension contextuelle de la pauvreté renvoie à la « capacité de comprendre les autres expositions historiques et l’influence des obstacles intégrés aux systèmes sociaux, politique et économique de la société ». En se plaçant dans un contexte socio-économique identique ou comparable à celui des populations vivant véritablement dans la pauvreté, les personnes extérieures peuvent parvenir à un niveau de compréhension contextuelle leur permettant de dégager un aperçu complet de la façon dont la pauvreté détruit la vie d’une personne, peu importe sa détermination, sa rigueur et ses facultés cognitives. Considérant que l’étude approfondie a découvert une signification statistique entre les deux variables sans proposer de comportement théorique exemplaire qui permettrait à ces variables d’être combinées à d’autres interventions pour produire le résultat final, les deux auteurs de cet article s’attellent à la tâche de fournir des modèles explicatifs de la façon dont la compréhension contextuelle de la pauvreté permet aux attitudes bienveillantes des votants d’entraîner l’augmentation des dépenses sociales. En fait, il est possible de percevoir que de nombreux votants peuvent toujours s’opposer aux dépenses sociales, en dépit de leur capacité à dégager une compréhension contextuelle. L’article de Yoo et Jang constate que la compréhension contextuelle est un nécessaire préliminaire au véritable altruisme (à savoir : un comportement empathique sans aucun intérêt personnel dans le calcul), bien qu’il ne s’agisse pas d’une condition suffisante à défaut d’autres contingences.

7 En troisième lieu, l’article de Choi et Nahm sur la façon dont la Sôka Gakkai International en Corée (KSGI) gère la question épineuse de savoir comment une communication interculturelle dans le domaine religieux peut aboutir à des connexions pluriculturelles avec une nouvelle religion issue du Japon, un pays que la plupart des Coréens détestent en raison de la cruauté de l’expérience coloniale. Dans leur rare analyse de la nouvelle religion mondiale japonaise qui s’est propagée en Corée du Sud, les auteurs de l’article appliquent la méthode d’analyse d’un langage religieux pour définir le processus de mise en place d’une communication pluriculturelle et d’une connexion interculturelle par le prisme de la religion. Les auteurs s’attachent au phénomène intriguant entourant un langage religieux. Par exemple, les auteurs soulignent le fait que « lorsqu’il apprend le langage religieux, le débutant ressent le pouvoir de communication qui lui laisse alors imaginer la possibilité d’un autre monde religieux ». Dans la même veine que celle de l’étude des fans de Hallyu menée par Oh et Kim, cet article en conclut que l’apprentissage religieux par l’intermédiaire du pouvoir des communications religieuses renforce d’une part les aptitudes interculturelles de communication et la connexion pluriculturelle d’autre part. Utilisant les données de terrain rassemblées grâce aux observations liées à la participation et aux entretiens approfondis avec les membres locaux de l’organisation religieuse, les auteurs en ont conclu que l’encouragement empathique dans les communications solidifie l’intégralité du groupe religieux, alors même qu’il s’agit d’une religion relativement nouvelle issue du Japon. La création d’une communauté empathique grâce au langage religieux l’emporte sur l’antagonisme nationaliste qui est bien moins tangible que le sel de la vie moderne en Corée du Sud.

8 En quatrième lieu, l’article de Lee et Suh sur le problème de confiance et les conflits sociaux souligne l’importance de la « sphère de confiance » dans l’étude de la confiance sociale. La plupart des communications en ligne imposant un caractère anonyme ou des conversations entre étrangers, la sphère de confiance, qui renvoie au degré de confiance entre étrangers, occupe une place importante. Voilà qui s’oppose à la sagesse populaire sur la thématique, qui a toujours insisté sur l’importance de la solidité de la confiance entre personnes proches plutôt que sur la confiance entre étrangers. Utilisant les données des médias sociaux coréens sur internet, les auteurs ont découvert que les personnes les plus confiantes (à savoir des personnes capables d’empathie qui font confiance à des inconnus) tendent à être moins sensibles aux conflits sociaux en ligne que les personnes les moins confiantes. En revanche, lorsqu’elles sont exposées à des débats en ligne comprenant des divisions idéologiques extrêmes, les personnes les plus confiantes perçoivent plus aisément ces messages que les autres. Les implications de cette étude sont intrigantes car elle clarifie pour la première fois, dans le contexte de la Corée du Sud, le fait que la manipulation en ligne de la perception des conflits sociaux est possible dans la mesure où le degré de confiance parmi les votants peut être mesuré et ciblé pour certaines préférences politiques qui ont besoin du soutien des votants. En outre, les organisateurs de mouvements sociaux peuvent facilement cibler les personnes faisant preuve d’un plus grand degré de confiance de sorte à représenter à tort le degré véritable de conflit social en Corée du Sud, ce qui entraîne une polarisation idéologique inutile et des agitations politiques.

9 Enfin, la contribution de Jin et Kim sur le répertoire des actions collectives soulève la question sociologique de la mobilisation des mouvements politiques de masse sans aucune direction organisationnelle claire parmi de fortes personnalités qui ne sont actives que sur les médias sociaux. L’objectif ultime de leur recherche est de mettre en place un éventail complet des actions collectives compte tenu des nouvelles contingences de communication et des actions collectives. L’importance de leur quête repose sur les efforts déployés pour mettre en place un débat préliminaire sur la nature d’un répertoire complet d’actions collectives fonctionnant en tandem avec les principaux dispositifs de communication, comme les smartphones et les plateformes internet. Alors que l’analyse approfondie souligne à elle seule la masse individualisée à l’ère des médias numériques, la contribution se demande pourquoi certains mouvements de masse des masses individualisées pourraient avoir une énorme influence sur le gouvernement, comme dans le cas des protestations de Wall Street à New York en 2011, et la veillée aux chandelles de 2016 en Corée du Sud. La comparaison de ces deux mouvements de masses individualisées à New York et Séoul indique que les masses individualisées peuvent réussir à organiser une action collective efficace en occupant des lieux symboliques, comme Wall Street et Gwanghwamun, grâce à des communications sur les médias sociaux échangés parmi la masse individualisée dépourvue de tous meneurs ou organisateurs évidents. En revanche, dans le cas de la Corée, les organisations de mouvements sociaux hors ligne ont joué un rôle clé dans la mobilisation des masses individualisées parallèlement aux plateformes de médias sociaux.

10 Ce numéro thématique de la revue, s’attache aux développements sociaux en Corée du Sud à l’heure des communications mobiles et numériques entre les citoyens. La mélancolie reposant sur le genre joue un rôle essentiel dans la mobilisation des femmes du mouvement Hallyu alors que la compréhension empathique pousse les votants à un nouvel alignement favorable aux dépenses sociales. La sphère de confiance, définie comme la confiance entre étrangers, permet aussi de mobiliser les masses en faveur de nouveaux mouvements sociaux, sur la base de la polarisation idéologique, alors qu’un langage religieux empathique promeut une compréhension réciproque et le renforcement communautaire pour les Coréens ayant embrassé cette nouvelle religion japonaise. Les masses individualisées de Corée du Sud constituent une menace formidable pour le pouvoir en place étant donné qu’elles savent comment choisir parmi le meilleur éventail des mouvements de masse, en utilisant aussi bien les moyens de communication numériques que les organisations de mouvements hors ligne. D’autres études pourront appliquer certaines de ces conclusions à d’autres sociétés.

Bibliographie

  • Beamer L., “Learning intercultural communication competence”, Journal of Business Communication, n0 29(3), pp. 285-303, 1992.
  • Cardon P.W., “A critique of Hall’s contexting model: A meta-analysis of literature on intercultural business and technical communication”, Journal of Business and Technical Communication, n° 22(4), pp. 399-428, 2008.
  • Halualani R.T., Nakayama T.K., “Critical Intercultural Communication Studies at a Crossroads”, in The Handbook of Critical Intercultural Communication, Wiley-Blackwell, Malden, 2010.
  • Jameson D. A., “Reconceptualizing cultural identity and its role in intercultural business communication”, Journal of Business Communication, n° 44(3), pp.199-235, 2007.
  • O’Brien A.J., Eriksson A., “Cross-cultural connections: Intercultural learning for global citizenship”, in M. Alagic, G.M. Remington, F.C. Liu, K.L. Giboson (eds), Intercultural Communication Competence: Educating the Global Citizen, MacMillan Publishers, New Delhi, India, pp. 1-19, 2010.

Date de mise en ligne : 16/09/2019

https://doi.org/10.3917/soc.145.0005

Notes

  • [1]
    This research was supported by Basic Science Research Program and the Social Science Korea Program through the National Research Foundation of Korea funded by the Ministry of Education [grant number 2017S1A3A2067374].
  • [2]
    Voir inter alia, L. Beamer, “Learning intercultural communication competence”, Journal of Business Communication, n0 29(3), pp.285-303, 1992; D. A. Jameson, “Reconceptualizing cultural identity and its role in intercultural business communication”, Journal of Business Communication, n° 44(3), pp.199-235, 2007; P.W. Cardon, “A critique of Hall’s contexting model: A meta-analysis of literature on intercultural business and technical communication”, Journal of Business and Technical Communication, n° 22(4), pp.399-428, 2008.
  • [3]
    R.T. Halualani, T.K. Nakayama, “Critical Intercultural Communication Studies at a Crossroads”, in The Handbook of Critical Intercultural Communication, Wiley-Blackwell, Malden, 2010, p. 8.
  • [4]
    A.J. O’Brien, A. Eriksson, “Cross-cultural connections: Intercultural learning for global citizenship”, Intercultural Communication Competence: Educating the Global Citizen, 2010, p. 2.

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