Notes
-
[1]
J. Delumeau, La peur en Occident XIVe-XVIIIe siècle, Fayard, Paris, 1978, p. 7.
-
[2]
M. Augé, Les nouvelles peurs, Payot & Rivages, Paris, 2013.
-
[3]
P. Virilio, L’administration de la peur, Textuel, Paris, 2010.
-
[4]
Cf. D. Altheide, R. Snow, Media logic, Sage, Beverly Hills, CA, 1979, p. 9.
-
[5]
N. G. Canclini, Consumidores e cidadãos – conflitos multiculturais da globalização, Ed. UFRJ, Rio de Janeiro, 1995.
-
[6]
M. Featherstone, Cultura de consumo e pós-modernismo, Nobel, São Paulo, 1995.
-
[7]
M. Maffesoli, No fundo das aparências, Ed. Vozes, Petrópolis, 1996.
-
[8]
U. Beck, Sociedade de risco: rumo a uma outra modernidade, Ed. 34, São Paulo, 2010.
-
[9]
G. Debord, La société du spectacle, Gallimard, Paris, 1992.
-
[10]
P. Legros, F. Monneyron, J.-B. Renard, P. Tacussel, Sociologia do Imaginário, Sulina, Porto Alegre, 2007, p. 75.
-
[11]
Fédération Internationale de Football Association.
-
[12]
Comité International Olympique.
-
[13]
M. Augé, « Contre la peur – interview de Marc Augé par Fabio Gambaro », Jornal La Repubblica, 28-01-2013(a). Traduction de Moisés Sbardelotto. Disponible à l’adresse http://www.ihu.unisinos.br/noticias/517266-contra-o-medo-entrevista-com-marc-auge (consulté le 23 septembre 2015).
-
[14]
D. Altheide, « Media logic, social control and fear », Communication Theory, n° 23, 2002, p. 50.
-
[15]
Ibid., pp. 49-50.
-
[16]
D. Maingueneau, Novas tendências em análise do discurso, Pontes, Campinas, 1993, pp. 113-114.
-
[17]
Ibid.
-
[18]
M. McCombs, A teoria da agenda: a mídia e a opinião pública, Vozes, Petrópolis, 2009.
-
[19]
J. Chade, « Contra zika, OMS sugere evitar áreas pobres », O Estado de S. Paulo, 13 maio 2016.
-
[20]
J. Chade, M. Dolzan, N. Garcia, P. Favero, « Dirigentes minimizam risco de zika », O Estado de S. Paulo, 3 maio 2016.
-
[21]
A. Greco, « Está chegando a hora », O Estado de S. Paulo, 19 août 2016.
-
[22]
S. Racy, « Cuidando da campeã », O Estado de S. Paulo, 20 août 2016.
-
[23]
A. Fishlow, « Depois da Olimpíada », O Estado de S. Paulo, 20 août 2016.
-
[24]
Cf. M. Augé, Les nouvelles peurs, op. cit.
-
[25]
Z. Bauman, 2008, p. 10.
-
[26]
Cf. D. Maingueneau, Novas tendências em análise do discurso, op. cit.
Introduction
1La peur est un sentiment qui provoque une alerte, généralement à partir d’un contact physique ou mental mettant en éveil le sens du danger. L’historien Jean Delumeau [1] souligne qu’au fil de l’histoire la peur était souvent liée à la faiblesse humaine, sans pour autant être synonyme de lâcheté, alors que les actes de courage étaient associés à l’intrépidité. À partir des analyses de Delumeau, il est possible de comprendre la peur de l’autre en fonction des manifestations politiques, sociales et économiques. L’autre, dans ce cas, est l’inconnu, l’étranger, naturel ou mystique.
2Dans notre contemporanéité, les zones périphériques urbaines, les moyens de transport, les contacts sexuels, le marché du travail sont quelques-uns des scenarii dans lesquels les médias, dans leurs diverses modulations, explorent la peur comme thématique d’appel. Dans ce monde de craintes de toutes sortes et pour tout type de consommation, certains mots détiennent un effet captatoire et magique, tels que : violence, attentats, maladies. La peur est révélée dans l’autre, mais surtout dans les messages explicites ou implicites que délivrent les médias. Marc Augé [2] corrobore cette idée quand il affirme que la liste actuelle des peurs est sans fin, du chaos climatique aux accidents quotidiens. Pour y faire face, des assurances de toutes sortes sont proposées ou suggérées, ainsi que des centres commerciaux fermés et des résidences protégées. Paul Virilio [3] ajoute à cet inventaire les maladies, les aliments contaminés, le terrorisme, les virus technologiques.
3Nous porterons ici notre attention sur un sujet très présent dans la presse brésilienne et française depuis la fin de 2015 : le virus Zika. Émanation type de nos peurs contemporaines et des imaginaires qui leur sont corollaires, le virus Zika a bénéficié d’une couverture médiatique internationale sans précédent, au sein de laquelle se sont manifestées de multiples contradictions sur la maladie provoquée. L’inexactitude des informations et les faibles données scientifiques à disposition n’ont fait qu’augmenter la peur et l’inconfort des populations touchées et de ceux qui souhaitaient se rendre aux endroits où l’incidence du moustique était importante. Nous avons analysé les reportages publiés dans Le Monde, en France, et O Estado de São Paulo, au Brésil, pendant les premiers mois de 2016 et durant les Jeux olympiques (JO) de Rio. Nous avons priorisé les reportages ayant leurs titres publiés à la Une de ces journaux parce qu’ils attirent le plus l’attention, laissant à penser que le contenu mérite d’être vu plus en détail. Ainsi, dans la logique de la presse [4], la façon dont les nouvelles sont transmises peut transformer la perception et l’interprétation des faits.
La peur, la culture et la consommation
4Nombre de chercheurs, tels Canclini [5], Featherstone [6] et Maffesoli [7], convergent dans la définition de la consommation comme un phénomène pluriel, instable et complexe, qui dynamise les métropoles et utilise différents processus de communication dans la vie quotidienne. Le point de vue des médias confirme cette hypothèse en investissant dans la crainte en tant que nouvelle valeur, en l’utilisant comme un produit d’appel. La peur est ainsi un lieu commun nécessaire à la presse et au monde des affaires en général. La peur se vend.
5Paul Virilio soutient que la crainte actuelle est bien davantage qu’une illusion médiatique ; elle fait partie de toutes sortes d’affaires basées sur la mondialisation. Les craintes individuelles se mêlent aux peurs collectives et sont entraînées par la logique capitaliste de la contemporanéité. Dans ce scénario, Ulrich Beck [8] diagnostique l’alliance entre le capitalisme et le développement technologique comme une rupture au sein de la modernité elle-même, en la reconfigurant comme une société du risque. Le tourisme, l’une des grandes forces économiques contemporaines, inclut dans ses forfaits de voyage un certain nombre d’assurances pour protéger le voyageur en cas de grève des transports, de bagages perdus, de maladies contractées et même de décès. Les villes, à leur tour, augmentent leur discours sur la sécurité, en essayant de conjurer la peur de ceux qui veulent les visiter.
6La ville est l’environnement parfait pour la consommation et, souvent, son propre produit. En ce sens, l’urbanité sert de plate-forme d’affaires qui réunit la spéculation immobilière, les événements de différentes tailles et natures, les centres commerciaux et un mélange sans fin de manifestations dont les capitaux sont à la fois publics et privés. À Rio de Janeiro, les administrations municipales des deux dernières décennies ont largement capitalisé sur cette stratégie, en facilitant l’occupation urbaine par les plus diverses entreprises liées au tourisme, au divertissement et aux loisirs, pour lesquelles chaque spectacle implique l’injection de capitaux.
7Bien plus que précédemment, les villes du XXIe siècle sont placées dans un environnement très concurrentiel, les forçant à adopter des stratégies de marketing pour la gestion de la cité. L’image de marque urbaine permet de sélectionner et de communiquer un certain nombre d’attributs qui font de la ville considérée la plus qualifiée et la plus attrayante par rapport aux autres. Pour appliquer cette stratégie aux métropoles, il faut un positionnement stratégique qui implique le renforcement de deux concepts fondamentaux : l’identité et l’image de la ville. Le marketing urbain permet la revitalisation urbaine en tant qu’attribut d’importance permettant d’élever la ville à la catégorie des produits concurrentiels. Ici, nous comprenons les grands événements, comme les Jeux olympiques, comme l’une des stratégies de marketing urbain les plus puissantes développées dans les métropoles contemporaines. Sans nul doute, le Brésil est l’un des pays qui ont le mieux assimilé cette idée à sa politique de communication gouvernementale.
8Les méga-événements sont des espaces et des moments de célébration de la consommation, généralement sous la bannière du sport ou des arts. Au-delà du très fort investissement injecté dans la publicité, un certain nombre de produits et sous-produits sont créés par le pays hôte et les participants. Les corps sont ainsi invités à posséder des chemises, casquettes, porte-clés et nombre d’autres produits liés à la fête ayant leurs logos et slogans.
9Un certain nombre de stratégies de publicité internationales, diffusées à la télévision et dans la presse papier dans le monde entier, ainsi que des campagnes institutionnelles visant la population, sont développées sans la participation des habitants pourtant directement concernés. La presse participe de ce processus et assimile ces discours. Pour Guy Debord [9], le discours médiatique génère le quasi-réel, résultat de la simulation médiatisée par des images qui deviennent plus attrayantes que le monde réel. La publicité stimule des valeurs de consommation, des idées qui divergent de la réalité, mais qui, grâce à cet outil, acquièrent le statut de vérité. Les discours médiatiques séduisent, fascinent, provoquent des frissons et influencent le public. En tant que sources de construction, déconstruction et reconstruction de la réalité, ils finissent par présenter un nouveau « réel », par « produire une nouvelle atmosphère de fiction » [10].
10La Coupe du monde de 2014 et les Jeux olympiques de 2016 ont fortement mobilisé la société brésilienne, à la fois par rapport aux changements que les villes subissent, mais aussi au nouvel ordre pour les affaires créées. Les méga-événements fonctionnent, en même temps, en tant que produits de l’industrie des loisirs et comme arguments politiques (pour les gouvernements, la FIFA [11] et le CIO [12]) au nom d’une éventuelle restructuration des villes.
11Dans le même temps ont pu être constatés des processus de gentrification qui ne résolvent en rien les problèmes quotidiens des citoyens en milieu urbain. Dans le cas de Rio de Janeiro, la presse semble s’être emparée des « marques » RIO et BRÉSIL pour authentifier les avantages des changements escomptés ; les structures narratives de la presse de Rio de Janeiro qui, jusqu’au début du XXIe siècle, mettaient en valeur la violence et l’échec des pouvoirs publics, ont changé leur fusil d’épaule et ont commencé à célébrer la pacification et les nouveaux projets de la ville olympique. Pourtant, la peur des attentats, de la maladie Zika et de la violence reste forte dans l’imaginaire collectif. Les deux journaux étudiés ici ont abordé ces questions en valorisant les reportages sur le danger de Zika au Brésil pendant les Jeux olympiques de 2016.
Les cas de Zika dans la presse – « la cousine de la dengue »
12Les conditions qui provoquent la peur nous semblent de plus en plus proches. La quantité, la fréquence et la répercussion des informations que nous recevons quotidiennement créent elles-mêmes une nouvelle forme de peur. Augé [13] affirme que tout ce qui se passe est rapporté par la presse. Même à distance, elle nous tient informés, et en cela, elle peut générer un sentiment d’angoisse comme si les événements se passaient tout près. Le système de l’information peut alors créer une nouvelle forme de peur, et même de terreur paralysante, notamment dans le cas où les sujets abordés prennent des tonalités apocalyptiques.
13Ce discours qui provoque l’effroi s’accumule dans la conscience et dans la mémoire collectives. Peu importe si le thème tourne autour du terrorisme, d’un assassinat, d’un vol, d’une fusillade dans une école, des problèmes sur la route, de la pollution de l’eau [14]. Une information qui génère la peur représente bien souvent des complexités sociales sous-jacentes. Cela implique, dans bien des cas, quelque chose d’indésirable qui affecte plusieurs personnes, qui présente des aspects facilement identifiables, et qui possède un mécanisme de solution du problème dont le principal acteur du changement ou de réparation est connu, tel que le gouvernement [15]. Dans le cas de Zika, le transmetteur de la maladie est le même que celui de la dengue, le moustique aedes, qui est, depuis les années 1990, déjà bien présent dans les médias brésiliens. Il nous a semblé intéressant de traiter ici de la relation entre le virus Zika, la presse et les Jeux olympiques de Rio en 2016, pour tenter de comprendre comment le journalisme peut provoquer et renforcer le sentiment de peur, voire influer sur la dynamique de son organisation, comme la non-participation de certains athlètes craignant de contracter le Zika. On se tournera, pour cela, vers les concepts de Maingueneau [16], pour qui tout discours maintient une relation essentielle avec les éléments préconstruits, produits par d’autres discours antérieurs et indépendants. Par le principe d’inter-discours, les médias légitiment certaines informations et, ainsi, en amplifient les causes et les conséquences. On retrouve trois domaines d’inter-discours : la mémoire, l’actualité et l’anticipation [17].
14La presse présente des narrations au monde, quotidiennement et de manière continue. Sa fonction est d’aider à comprendre les récits d’expériences, avec les acteurs principaux et « secondaires ». Elle produit de l’identification et de l’empathie. Les faits, les menaces et les dangers nous semblent ainsi proches, presque palpables. Pour diffuser les informations au public, le journaliste se comporte tel un « garant », conformément à l’analyse proposée par Maingueneau.
15Notre recherche sur l’appréhension médiatique de l’affaire Zika s’est principalement focalisée sur le journal brésilien O Estado de S. Paulo (Estadão) et le quotidien français Le Monde. Au début, nous cherchions surtout à identifier les premières informations données sur la maladie, encore peu médiatique dans la presse de masse brésilienne. Nous avons relevé les dates des premiers textes apparaissant dans l’Estadão mentionnant « Zika », sans encore en faire la Une. Le premier article date du 5 mai 2015 : « Une autre fièvre, “cousine” de la dengue, Zika est suspecte ». Ce titre indique qu’on n’avait pas encore d’idée bien définie, au moins dans ce journal, de ce dont il s’agissait. Le virus Zika était considéré comme un « cousin » de la dengue, maladie mieux connue, frappant à ce moment-là plusieurs régions du pays, notamment dans l’État de São Paulo, où est localisé le siège du journal.
16La référence suivante à Zika n’apparaîtra qu’un mois plus tard, le 6 juin 2015 : « Campinas enquête sur trois cas du virus Zika ». Encore une fois, l’article mentionne une maladie « cousine » de la dengue. Quatre mois passent et le 19 octobre, on publie : « Le Ministère suspecte que la fièvre Zika ait un lien avec les cas de paralysie ». Le chapeau annonce que la liaison entre la maladie et le syndrome a été analysée après 76 cas enregistrés à Bahia et 64 cas constatés à Pernambuco. La peur s’éveille. La paralysie représente, en effet, un problème sérieux et fortement limitant. Par la suite, à partir du 12 novembre, de plus en plus d’informations sur Zika apparaissent dans le journal O Estado de S. Paulo, augmentant en termes de fréquence et d’importance. Le 12 novembre, la première page titre : « La microcéphalie sur des bébés fait décréter l’état d’urgence ».
Le virus de Zika également dans Le Monde
17Les premiers mois de 2016, le virus Zika fait l’objet de plusieurs reportages et articles du journal Le Monde. Plus intensément en janvier et février, mais jusqu’en mai. Les textes parlent très souvent des Jeux olympiques de Rio de Janeiro et ils manifestent la peur de ce virus, apparemment inoffensif jusqu’alors, mais qui devient responsable de nombreux cas de microcéphalie chez les fœtus. La peur des malformations fœtales est l’argument le plus récurrent dans le discours du journal, ainsi que ses conséquences politiques, religieuses et économiques dans les pays exposés au virus. Le Brésil est spécialement cité parce que le Nordeste d’où est arrivée la maladie compte le plus grand nombre de cas et aussi parce que Rio de Janeiro doit recevoir les Jeux olympiques quelques mois plus tard, comptant sur une circulation très importante de personnes de tous les continents.
18La première page du journal, datée du 7-8 février 2016 titre ainsi le reportage principal : « Zika : l’épidémie rouvre le débat sur l’avortement en Amérique latine » avec deux annonces d’articles, dont le deuxième est « Reportage au Brésil, à Recife, où 1400 nouveau-nés souffrent de microcéphalie ». Dans l’article, Zika est traité comme le nouveau fléau des pauvres. La photo montre une jeune mère avec son enfant malade. La relance du débat sur l’avortement avait déjà été abordée dans l’édition du 21 janvier 2016, en mettant en question la loi brésilienne qui interdit cette pratique médicale. Dans les reportages publiés au cours de cette période, le Brésil est toujours associé au virus, dans des contextes très variés : l’insalubrité, la politique et la santé publique, la régression dans l’accès aux médicaments innovants, entre autres. À chaque fois, on souligne que Rio de Janeiro est en alerte en raison des Jeux olympiques.
19Le 11 février, sous la rubrique spéciale dédiée aux JO 2016, un article présente une interview du maire de la ville de Rio de Janeiro, dont le titre reprendra les paroles : « Zika n’est pas un problème olympique ». Il reste encore six mois avant que ne commencent les Jeux olympiques et le journal mentionne que le maire Eduardo Paes tente de tranquilliser la société internationale quant à l’épidémie de Zika. Mais, quelques jours avant, le 3 février, Le Monde présente pourtant un reportage alarmant évoquant quelques données de l’Organisation Mondiale de la Santé : « Zika, une urgence de portée mondiale ».
20L’édition du 30 avril du Monde publie dans sa rubrique des Sports un article dont le titre inquiète : « Rio en alerte olympique ». Le chapeau explique : « Plongé dans une grave crise politique et économique, le Brésil n’a pas la tête aux Jeux à moins de cent jours de la cérémonie d’ouverture. Le suivi de l’organisation des grands événements mondiaux relève en effet du devoir des médias. Si quelques embûches viennent en perturber le bon déroulement, il est bien souvent normal de les diffuser. Le Brésil, comme le souligne l’article du Monde, faisait face à une période de grande instabilité politique, aboutissant à l’expulsion de Dilma Roussef de la présidence de la République le 12 mai, date de la procédure d’impeachment, aboutissant après trois mois de procédures au Sénat, à la perte définitive de son mandat le 31 août.
Des informations alarmantes à la veille des Jeux olympiques
21Dans les deux journaux, les principaux titres publiés sur le virus Zika et ses conséquences, comme les cas de naissances de bébés avec microcéphalie ou les différentes réactions des autorités publiques, datent des mois de décembre 2015 (13 fois), janvier (13 fois) et février 2016 (21 fois). Cela se comprend si on considère qu’en décembre, la valeur de l’information se caractérise par la nouveauté et par les polémiques, à savoir les réelles conséquences de la maladie sur les bébés puisque les mères avaient contracté ce virus durant leur grossesse. Pour chaque nouvel article, à répercussions internationales, les médias captent l’attention des lecteurs dans l’accompagnement quotidien du phénomène viral [18].
22On remarque également que décembre, janvier et février sont des mois en pleine période estivale au Brésil, période de grande incidence touristique, notamment dans les villes de bord de mer, généralement plus humides et donc plus propices à la prolifération du moustique de la dengue, du Zika ainsi que du Chikungunya. Dans un climat engendrant la peur, les textes journalistiques sont préoccupants. Les deux premiers mois de l’année 2016 sont également une période marquée par un grand intérêt international sur la préparation des Jeux. Le ton est plutôt inquiet ou indigné. Les reportages posent notamment la question d’un éventuel ajournement, ou même celle de l’annulation des Jeux olympiques dans la ville de Rio de Janeiro.
23Les mois de mars à juillet enregistrent une incidence de plus en plus faible d’informations alarmistes dans les publications faisant les gros titres : 7 références en mars, 2 en avril, 1 en mai, 2 en juin et 2 en juillet. Sans faire les gros titres, on recense pourtant quelques reportages sur ce thème, particulièrement au Brésil dans l’Estadão. On y voit les conséquences d’une préoccupation née au cours de l’été de l’année olympique, période sensible sur le thème des JO.
24Un reportage du 13 mai 2016 titre : « Contre Zika, l’OMS suggère d’éviter les zones de pauvreté ». L’article fait référence à un guide que l’Organisation Mondiale de la Santé a publié pour orienter les personnes souhaitant se rendre à Rio de Janeiro pour assister aux JO. Le premier paragraphe stipule même : « Sous la pression des demandes pour repousser les Jeux olympiques à cause du virus Zika, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a décidé hier de publier un guide pour les athlètes, touristes et journalistes étrangers qui sont en route pour Rio pour l’événement en août [19]. »
25Toujours dans l’Estado de S. Paulo, une note du 28 mai indique : « Dans une lettre adressée à l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), 150 scientifiques affirment que les JO de Rio devraient être transférés ou repoussés en raison du virus Zika. » Le jour suivant, un article plus important porte le titre : « Le Brésil fait campagne pour contenir la pression de l’OMS ». Et dans son chapeau : « Après que des scientifiques demandent l’ajournement des JO en raison du virus Zika, Itamaraty envoie une lettre auprès de 190 missions diplomatiques. »
26Le 31 mai, la rubrique des Sports lance un article intitulé : « Les dirigeants minimisent le risque de Zika ». On y mentionne la réponse du président du Comité olympique brésilien, Carlos Arthur Nuzman à une lettre envoyée à l’Organisation Mondiale de la Santé qui daterait du 28 mai [20].
27Deux reportages publiés le 3 juin iront dans le même sens : « Les fédérations vont réduire leurs attentes sur Rio – 2016 » et « Zika provoque l’abandon aux JO d’un cycliste aux États-Unis ». Le premier cherche à expliquer que les entités sportives avaient été orientées pour ne pas s’attendre au même niveau des JO du Brésil que ceux réalisés à Beijing ou à Londres (les mots « niveau » et « même » renforcent la tonalité péjorative du sujet). Le deuxième titre s’explique de lui-même. Le cycliste Tejay Van Garderen a décidé de ne pas participer aux Jeux olympiques de Rio du fait que sa femme est enceinte.
28L’OMS prend position sur les procédures à suivre pour les étrangers qui « insistent » pour venir à Rio de Janeiro pour les JO (22 juin). Le 12 juin, on pouvait lire en première page : « Sports, Rio – 2016 en ligne de mire. Zika, pollution, travaux en retard : les plus grands doutes des étrangers à 54 jours des JO » (O Estado de S. Paulo, 2016). Un des articles de ce numéro du dimanche, généralement réservé aux éditions spéciales, s’intitulait : « Les ambassades orientent les touristes sur le pays ». Le texte aborde quelques recommandations distillées par des spécialistes, comme le port de pantalons, de T-shirts à manches longues, ou l’utilisation de spray anti-moustique pour éviter toute piqûre de l’insecte transmettant la dengue, le Zika ou le Chikungunya.
29Par ailleurs, nombreux sont les témoignages d’athlètes publiés qui disaient avoir peur d’une éventuelle contamination du virus Zika : le golfeur irlandais Rory Mcllroy, parmi les favoris, a affirmé ne pas participer aux JO craignant pour sa santé et celle de sa famille ; la gardienne de but de la sélection de football féminine des États-Unis, Hope Solo, a posté sur un réseau social une photo d’une dizaine d’emballages de produits anti-moustique et un masque de protection, se plaignant d’avoir à disputer les JO dans un pays où il y a de forts risques de contamination ; ou encore, les athlètes de l’équipe de boxe du Kazakhstan qui portaient des bracelets promettant un effet répulsif sur les moustiques et dont le coût s’élevait à 22 dollars.
30Deux de ces situations, notamment celle de Hope Solo, ont agité les réseaux sociaux, avec des centaines de commentaires. Malgré l’ironie – les supporters brésiliens criant « olé, olé, olé, ola, Zika, Zika » à chaque fois que la footballeuse entrait en jeu, comme le soulève le numéro de l’Estadão du 9 août – on y voit surtout le reflet d’une diffusion médiatique internationale du virus Zika. Les formes de divertissement des médias populaires et la culture de masse, ajoutées à la familiarité et les suppositions sur l’utilisation des médias dans la vie quotidienne contribuent, pour Altheide, à l’augmentation de phénomène de peur dans la société.
31Du 5 au 21 août, au cours des Jeux olympiques, les problèmes associés au virus ont presque totalement disparu de l’espace médiatique de nos deux journaux, à tel point que le commentateur des JO Antero Greco [21] mentionne dans un article qu’il semblerait que le virus Zika ait « hiberné » pendant les Olympiades. Ce même jour, une autre page nous apprend que le virus est arrivé à Miami Beach, aux États-Unis. Le jour suivant, le 20 août, un autre texte révèle les nouvelles recommandations du gouvernement nord-américain pour que les femmes enceintes évitent de se rendre à Miami Beach. Le centre du problème s’est délocalisé. Le 20 août également, une note publiée dans la rubrique de Sônia Racy [22], dans l’Estado de S. Paulo, affirme que la mère de la championne Simone Biles aurait commenté ne pas avoir « même vu un moustique » pendant son séjour à Rio pour accompagner sa fille. Le 21, on a pu lire une information stipulant que Rio de Janeiro n’a souffert que d’un unique cas de Zika au cours de ce mois d’août olympique. Le numéro publie aussi l’article d’un économiste, Albert Fishlow [23] qui dira : « Les Jeux olympiques touchent à leur fin. Et le résultat a été meilleur que ce que beaucoup craignaient […], Zika et la violence locale n’ont pas interféré avec la gloire. »
Considérations finales
32La logique médiatique amplifie les sentiments d’insécurité sociale quand elle braque ses projecteurs sur un sujet déterminé. La presse doit diffuser les informations, notamment lorsqu’un événement menace l’ordre social. Cependant, les techniques pour capter l’attention des lecteurs deviennent bien souvent des amplificateurs, provoquant ou renforçant la peur [24].
33On ne remet pas en question son importance dans l’espace médiatique des grands médias, la maladie pouvant avoir des répercussions qualifiées comme sérieuses. Mais cela génère de la peur. Sa présence se justifie dans le cas de situations réelles, mais dont la population apprend l’existence à travers les médias. Ce sont des dangers [25] qui « menacent le corps et les propriétés » ; ou qui menacent « la durabilité de l’ordre social et de la confiance qu’on lui accorde » (exemples : salaire, emploi, survie, vieillesse) ; ou encore, qui « menacent sa place établie dans le monde » (sa position dans la hiérarchie sociale, identité – de classe, de genre, d’ethnie, de religion – et « l’immunité à la dégradation et à l’exclusion sociales »).
34À travers les informations reçues quotidiennement par les médias, puis transmises et commentées sur les réseaux sociaux, reflétant toutes les actualités de la société et provoquant parfois le malaise, le citoyen se sent plus proche de situations, pourtant géographiquement distantes.
35Les informations journalistiques sur lesquelles nous avons porté notre attention révèlent des principes d’inter-discours : la mémoire, l’actualité et l’anticipation [26]. Le virus Zika a été très présent dans toute la couverture médiatique quotidienne précédant les Jeux olympiques. Il s’agissait de facteurs récents et intéressants. Les médias ont anticipé un scénario catastrophe pouvant être désastreux au moment de l’organisation d’un événement international aussi important. Six mois s’écouleront dans une atmosphère de peur liée à l’épidémie vis-à-vis des JO. Pourtant, le phénomène a soudainement disparu durant les Olympiades, au même titre que les témoignages de panique. On ne retiendra plus que les informations relatives à ce méga-événement.
Bibliographie
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- Virilio P., L’administration de la peur, Textuel, Paris, 2010.
Mots-clés éditeurs : consommation, virus zika, ville, presse
Date de mise en ligne : 16/11/2018
https://doi.org/10.3917/soc.140.0043Notes
-
[1]
J. Delumeau, La peur en Occident XIVe-XVIIIe siècle, Fayard, Paris, 1978, p. 7.
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[2]
M. Augé, Les nouvelles peurs, Payot & Rivages, Paris, 2013.
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[3]
P. Virilio, L’administration de la peur, Textuel, Paris, 2010.
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[4]
Cf. D. Altheide, R. Snow, Media logic, Sage, Beverly Hills, CA, 1979, p. 9.
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[5]
N. G. Canclini, Consumidores e cidadãos – conflitos multiculturais da globalização, Ed. UFRJ, Rio de Janeiro, 1995.
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[6]
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[7]
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[8]
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[9]
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-
[10]
P. Legros, F. Monneyron, J.-B. Renard, P. Tacussel, Sociologia do Imaginário, Sulina, Porto Alegre, 2007, p. 75.
-
[11]
Fédération Internationale de Football Association.
-
[12]
Comité International Olympique.
-
[13]
M. Augé, « Contre la peur – interview de Marc Augé par Fabio Gambaro », Jornal La Repubblica, 28-01-2013(a). Traduction de Moisés Sbardelotto. Disponible à l’adresse http://www.ihu.unisinos.br/noticias/517266-contra-o-medo-entrevista-com-marc-auge (consulté le 23 septembre 2015).
-
[14]
D. Altheide, « Media logic, social control and fear », Communication Theory, n° 23, 2002, p. 50.
-
[15]
Ibid., pp. 49-50.
-
[16]
D. Maingueneau, Novas tendências em análise do discurso, Pontes, Campinas, 1993, pp. 113-114.
-
[17]
Ibid.
-
[18]
M. McCombs, A teoria da agenda: a mídia e a opinião pública, Vozes, Petrópolis, 2009.
-
[19]
J. Chade, « Contra zika, OMS sugere evitar áreas pobres », O Estado de S. Paulo, 13 maio 2016.
-
[20]
J. Chade, M. Dolzan, N. Garcia, P. Favero, « Dirigentes minimizam risco de zika », O Estado de S. Paulo, 3 maio 2016.
-
[21]
A. Greco, « Está chegando a hora », O Estado de S. Paulo, 19 août 2016.
-
[22]
S. Racy, « Cuidando da campeã », O Estado de S. Paulo, 20 août 2016.
-
[23]
A. Fishlow, « Depois da Olimpíada », O Estado de S. Paulo, 20 août 2016.
-
[24]
Cf. M. Augé, Les nouvelles peurs, op. cit.
-
[25]
Z. Bauman, 2008, p. 10.
-
[26]
Cf. D. Maingueneau, Novas tendências em análise do discurso, op. cit.