Notes
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[*]
Roberto Marcelo Falcón est docteur en philosophie du design de l’Université de Barcelone. Chercheur au CEAQ, il a réalisé une étude postdoctorale sur les processus de recherche et de formation artistique. Il est coresponsable du GREAS et GRASE, Laboratoire d’éthique médicale, Université Paris Descartes V.
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[1]
GREAS, Groupe de Recherche d’Écoformation Artistique et Société pour développer la recherche et la formation à travers du sensible-artistique, au sein du CEAQ, Centre d’Étude sur l’Actuel et le Quotidien, Université Paris Descartes Sorbonne.
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[2]
F. Capra, Uncommon Wisdom. Simon & Schuster, New York, 1988.
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[3]
G. Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, PUF, Paris, 2003.
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[4]
C. Vaz Ferreira, Lógica Viva, Losada, Buenos Aires, 1962.
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[5]
M. Maffesoli, Matrimonium. Petit traité d’écosophie, CNRS Éditions, Paris, 2010.
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[6]
Ibid., p. 16.
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[7]
J.-P. Boutinet, Anthropologie du projet, Quadrige/PUF, Paris, 2008.
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[8]
R. M. Falcón, Sentido del proyecto æfectivo, thèse doctorale, Université de Barcelone, 2010, http://www.tdr.cesca.es
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[9]
J.-P. Boutinet, Anthropologie du projet, Quadrige/PUF, Paris, 2008, p. 359.
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[10]
R. M. Falcón, Sentido del proyecto æfectivo, op. cit.
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[11]
M. Maffesoli, La République des bons sentiments, Factuel, Paris, 2010, p. 40.
-
[12]
M. Maffesoli, Homo eroticus. Des communions émotionnelles, CNRS Éditions, Paris, 2012, p. 40.
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[13]
G. Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, op. cit., p. 142.
Introduction
1 La recherche et la formation artistique se découvrent à travers un chemin sensible, bouleversant la raison et ébranlant la connaissance tectonique. En effet, la pensée sensible, stimulée dans les processus artistiques, nous ouvre des sentiers vers d’autres dimensions de l’expérience et de la connaissance. L’immersion erratique dans ce vécu créateur est une pause active qui nous séduit et nous emporte vers des pistes différentes de la recherche et de la formation. Ce que nous découvrons ne se révèle pas comme une chose immuable, mais plutôt comme une vérité relative, asymétrique et errante. Dès lors, les chercheurs deviennent des explorateurs des profondeurs et nous transportent dans des trajets courbes d’où émerge une connaissance séductrice et interdisciplinaire. Ainsi, l’expérience de chercher ensemble à partir du sensible révèle l’existence d’une intelligence collective qui découvre par la création. Ces recherches qui amplifient le réel par la dimension artistique nous invitent à dessiner et traverser des trajets sensibles où le singulier et le collectif sont reliés.
2 La pensée artistique révèle alors le glissement du rationnel au sensible dans la recherche et nous permet d’expérimenter la création d’une connaissance apocryphe en état latent. En effet, différentes formes de recherches erratiques apparaissent qui abandonnent la prison du connu et s’aventurent dans les trajets compréhensifs et sensibles. C’est cette dimension que nous avons développée dans le groupe de recherche GREAS [1] avec les chercheurs de diverses origines et disciplines. Plongés dans des aventures de recherche et de création collective, les diverses expériences vécues nous ont offert la substance de la pensée artistique. La recherche s’est développée et réalisée à travers des expériences erratiques ou sensibles, tel un chemin qui invite, implique et initie les personnes dans une intelligence créatrice collective. La recherche artistique surgit alors comme un contre-courant sensible, comme un perpétuel devenir créateur qui s’introduit dans les mystères de la connaissance. Elle dévoile ce glissement du projet au trajet, par la présence d’une raison sensible collective qui irrigue la formation, la recherche et la création.
L’expérience erratique artistique
3 L’expérience erratique se propose comme une immersion personnelle et collective dans l’aventure créatrice et rend possible l’émergence d’une connaissance sensible. Connaître à travers l’expérience sensible, erratique et partagée, nous permet de découvrir grâce à des trajets divers où la recherche et l’apprentissage se donnent simultanément. Nous évitons les recherches des sentiers récurrents ou préétablis, pour nous perdre dans une voie obscure de découverte de la connaissance sensible. Le voyage visuel, auditif, tactile, gustatif et olfactif, le trajet qui propose l’expérience erratique, stimule, amplifie et développe la raison, l’emportant vers des dimensions du sensible. L’errance hors de ce qui est connu donne du potentiel à la formation, à la recherche et favorise les rencontres créatives durant le voyage de l’expérience. L’intuitif et l’instinctif dans l’expérience collective irriguent le développement des personnes. Cette expérimentation sensible nous a emporté hors de la récurrence mécanique soulignée par Michel Maffesoli. En effet, nous naviguons hors de tout dogme méthodologique, de tout ce qui empêche d’entreprendre des mouvements organiques ou erratiques. Submergés dans une sagesse insolite, selon Fritjof Capra [2], nous nous approchons intuitivement d’une connaissance apocryphe, où ces aventures intègrent les intuitions et les narrations de vie des participants. Ce sentier de fouilles complexes est un processus initié par l’errance, par ces voyages dans des territoires marginaux ou rejetés. L’expérience artistique s’érige comme une réalité marginale des chemins de recherche scientifique traditionnels, c’est pourquoi elle constitue le seuil principal des recherches sensibles ou erratiques. Bachelard évoquait justement cette approche par l’expérience : « Les concepts et les méthodes, tout est fonction du domaine d’expérience ; toute la pensée scientifique doit changer devant une expérience nouvelle ; un discours sur la méthode scientifique sera toujours un discours de circonstance, il ne décrira pas une constitution définitive de l’esprit scientifique [3]. »
4 À partir de cette situation, nous pouvons initier des recherches différentes qui nous invitent à nous submerger dans une pénombre créatrice. Les rencontres errantes et sensibles favorisent alors l’apparition de groupes de personnes qui étudient et recherchent à partir de l’expérience artistique, à partir de la température créative de l’instant sensible. Elle révèle la présence d’une chaleur, d’une température ou une énergie groupale qui ouvre les portes à d’autres dimensions du savoir.
5 Cependant, les expériences collectives qui impliquent, qui enveloppent les personnes vers une recherche sensible est possible quand nous nous éloignons des objectifs ou des projets qui cherchent une vérité stagnante, quand nous nous situons hors des modèles explicatifs. Nous évitons ainsi les logiques qui séparent pour comprendre ou l’analyse critique. La fertilité offerte par la recherche erratique artistique réside dans l’implication des personnes, des chercheurs, qui se laissent immerger dans les espaces de création sensible. Dès lors, la recherche sensible est une invitation personnelle et collective à participer de sa magie ou de sa sagesse expansive, dans une errance avec l’autre. Ainsi, nous apprenons par le doute, nous naviguons à travers les frontières poreuses du connu. La compréhension active, expérimentale et sensible, devient un sentier de découvertes partagées qui nous introduit dans une logique vivante selon Carlos Vaz Ferreira [4], dans une pensée systémique qui émerge par la fusion et l’hétérogène, vers une connaissance intuitive et sensible.
6 La connaissance artistique est ainsi l’écho d’une réciprocité collective, d’une intelligence groupale et connective qui s’aventure dans une voie sensible de la recherche. La recherche erratique se déploie dans l’ombre et naît comme une résonance collective, une réverbération de la température d’un groupe. Cette richesse ou ce trésor se trouve grâce à une logique vivante et collective, par cette recherche artistique marginalisée par les sciences qui répondent au mythe du progrès [5]. La connaissance qui se dévoile alors est une riche manifestation des processus de recherches erratiques qui atténue la lumière de la raison, qui diminue son éclat pour nous introduire dans une pénombre sensible qui facilite les passages entre le divers. Ces passages qui vont d’une recherche linéaire et contrôlée par le progrès vers des trajets irrigués par des recherches progressives font surgir l’aventure collective de comprendre. La recherche sensible advient après avoir endormi la raison, après nous avoir éloignés de cette lumière intense qui nous aveugle et nous soumet à ne plus pouvoir percevoir certaines réalités. Dès lors, la pensée artistique apparaît quand nous parcourons des sentiers inattendus, dans des cheminements de recherches féconds où se révèle une connaissance insolite. L’immersion dans cette dérive créatrice rend possible la circulation d’une connaissance sensible. C’est pourquoi les explorations erratiques sont des trajets intenses, ce que je nomme une « erratosophie », c’est-à-dire une pensée émergente des expériences artistiques erratiques qui se déploie par la recherche sensible ou instinctive. Telle une approche par la voie négative, la recherche artistique fait passer la connaissance en invitant la raison à se glisser dans d’autres plis du réel. Dans ce climat erratique, la nébuleuse de l’expérience séductrice s’amplifie dans la réunion des chercheurs autour d’une connaissance sensible. Il s’établit ainsi une répétition collective et créatrice, dans une errance intelligence qui révèle le potentiel naturel de la vie. L’erratique, le confus, la pénombre dans la recherche sensible fait passer le potentiel naturel des personnes, leur intelligence affective, ou dans les mots de Maffesoli : « Car la vérité sort plutôt de l’erreur que de la confusion. L’erreur c’est un essai, elle est un moment de l’aspect discutable qu’est toute démarche questionnante [6]. » Par conséquent, l’erratosophie comme processus de recherche est une odyssée partagée qui nous invite à déambuler par une connaissance sensible.
7 Le sentier est toujours intuitif, mystérieux et connectif. La recherche par l’expérience erratique fait surgir une multiplicité d’avènements, d’étrangetés en invoquant des passages aléatoires de créations et de connaissance. Par les expériences erratiques, sensibles ou artistiques nous inventons des voies risquées de connaissances qui nous submergent dans les dimensions séductrices de la création. Ce cheminement errant est une aventure créative, où nous pressentons et imaginons un monde différent. Le chercheur est comme un passeur, un homme errant, une plante sauvage qui se déploie et participe d’un monde systémique. Par le tâtonnement, l’errance, la découverte, le relationnel et la déviance, il transforme le connu et les processus de recherches. Il crée des passages ou des seuils qui nous transportent dans une incertitude créatrice artistique. Les chercheurs et les recherches sensibles nous séduisent ainsi en proposant ce voyage non anticipé, dont le guide est ce passeur magique. Nous naviguons hors des logiques linéaires, où se révèle un trajet courbe qui laisse passer les intuitions et fait de la recherche un mouvement sacré qui découvre et nous fait découvrir. Dès lors, le chercheur nous invite à participer d’un mouvement circulatoire, collectif, connectif et créateur qui fait advenir une connaissance sensible, une pensée artistique.
Du projet au trajet aeffectif
8 Faire passer quelque chose entrevu à partir de l’expérience sensible est une action créative différente de celle qui se construit à partir d’une anticipation rationnelle radicale. Dans ce sens, projeter, qui signifie lancer en avant [7], est une action rigide pour établir tout ce dont on a besoin ou on aura besoin. La conception, ou l’idée reliée au projet, est toujours une anticipation, une avancée intentionnelle qui détermine et tente de déterminer ce qui sera. C’est une manière de prétendre contrôler le futur, de le dominer, de le diriger selon des nécessités et des intérêts. Cette réalité a conditionné tous les processus de création, puisque ces actions s’enchaînent en direction à une finalité bien connue. Le trajet que propose l’errance est un chemin alternatif, souterrain, il nous emporte par un sentier courbe sans finalité fixe. Cette forme de penser et de vivre la création favorise l’émergence de manifestations hors d’un propos de construction, d’une idée qui dirige, qui marque et détermine. Ainsi, la création peut se penser comme une résonance d’un voyage erratique, où ce qui apparaît par surprise est significatif. Nous proposons alors une déprojectualisation [8] de la formation et de la recherche par une force intelligente sensible qui circule par la voie négative ou erratique de la création. Se glisser dans ces passages adorcistes, par cette raison sensible est une aventure collective de découvertes, de création et d’invention. Ce mouvement erratique réunit une connaissance sensible, flottante et marginale, qui déambule dans les points aveugles de la raison, de ce qui est attendu contrôlé par les certitudes. Ainsi, l’expérience erratique comme déprojectualisation des processus qui contrôlent la création, est une force qui ouvre, stimule l’épanouissement des personnes et leurs manifestations. Nous sommes dans ce glissement du projet au trajet, de ce qui est absolument contrôlé vers l’aventure et l’errance. Un voyage créateur qui nous submerge dans les pénombres de l’expérience, dans l’aléatoire, le circonstanciel et le hasard ; finalement, un trajet interdisciplinaire collectif et compréhensif.
9 Ces trajets sont des recherches erratiques, des aventures partagées, des mouvements compréhensifs et des expériences surprenantes dans lesquelles tout est relié de manière énigmatique. C’est un processus créateur qui naît d’une intelligence collective irriguée aussi par les histoires de vies des participants, leurs situations personnelles, les facteurs ambiants et les réalités culturelles. L’actuel, le quotidien et le psychologique influencent les processus créateurs et tout ce qui se manifeste. À partir de ce regard et en relation à la pensée de Boutinet [9], nous comprenons que les projets sensibles sont des processus créatifs complexes qui impliquent des correspondances entre une anticipation créatrice (pro-jet), la personne qui crée (su-jet), le manifeste (ob-jet), le rejeté (re-jet), la participation au collectif créateur ou potentiel collectif (sur-jet) et finalement un cursus ou parcours créateur (tra-jet). Sans oublier l’association, la communion, le mariage entre le sensible et le rationnel, sans omettre la présence de l’æffectif [10] (affectif-effectif), qui rend possible le déploiement de processus créateurs à partir d’une affectivité anticipatoire, qui révèle l’existence d’une complexité æffective. En effet, les trajets sensibles sont des æffets postmodernes ou des projets simultanément affectifs et effectifs, imprégnés du hasard, de l’imaginaire, de l’onirique, du ludique et de toutes les pulsions inconscientes qui invitent à l’errance créatrice. Ainsi, les trajets erratiques stimulés par l’expérience sensible, artistique, évitent les idées uniques, les chemins unidirectionnels ou les projets. Les méthodologies sont comme des architectures rigides, des constructions rigoureuses du potentiel naturel des personnes et du monde intuitif. Les trajets erratiques ne sont pas des recettes méthodologiques, mais une invitation à expérimenter dans une dimension ludique et surprenante. Le collectif, la réunion se révèlent comme une pluralité qui recherche, qui crée et qui rompt avec ce processus linéaire obsessif de recherche, tel un monoïdéisme [11] de l’investigation.
10 Par conséquent, le changement du projet au trajet souligne l’avènement d’un lieu participatif et sensible, dans lequel nous pouvons jouer avec la créativité en ouvrant des myriades de connectivités interdisciplinaires. Le trajet erratique est un voyage au présent, une déambulation qui mobilise les énergies personnelles hors de tout contrôle anticipé devenu impertinent, selon Michel Maffesoli : « Je considère que c’est exactement ce qui est en train de se passer de nos jours. Ces mots modernes : citoyen, contrat, démocratie, liberté, projet, ne jouent plus leur rôle “sacramental”. Ils ne mobilisent plus les énergies, en particulier celles des jeunes générations. Ils ont, en son sens scientifique, perdu leur pertinence. Ils en deviennent impertinents [12]. » La recherche errante et sensible incorpore l’intuition, le ludique et l’onirique, et nous transporte vers une dimension poétique et sensible de la connaissance vivante. De fait, le changement de paradigme devient évident, en passant d’un monde statique à un autre dynamique, de l’un fragmenté à un autre entrelacé. Une rupture qui advient comme une réaction sensible, comme une fuite de tout contrôle linéaire. Hors du pouvoir écrasant du concept, de la finalité fixée, du projet, nous pouvons nous submerger dans des expériences collectives, des idées sensibles pour prendre en compte, pour douter et découvrir ensemble. Sans doute, le changement d’une société attachée au projet à une société qui vit dans le trajet telle une aventure créatrice, manifeste deux modes différents d’être, de créer et comprendre. C’est bien un cheminement erratique, un exode incertain, une expérience partagée, une somnolence créatrice, un trajet sensible qui ressurgissent dans tous les points aveugles de la conscience cartésienne, du pouvoir écrasant du concept. Ce scénario révèle un passage du projet rationnel au trajet aeffectif que nous pouvons montrer à travers ces trois modèles qui se succèdent dans les processus créatifs :
11 Modèle rationnel, utilitaire et productif
12 Le projet est l’évidence d’une anticipation rigoureuse de la raison, une force qui contrôle tout processus de création en quatre stades différenciés. Cette réalité répond à un monoïdéisme étranger aux effets holistiques, il est plutôt incliné vers des intérêts économiques, politiques, productifs et utilitaires. Cette méthodologie du projet établit quatre étapes vers la production : a) Archétype comme l’idée initiale, b) Type comme l’idée visuelle qui traduit le verbe initial, c) Prototype ou modèle qui matérialise l’idée, d) Exemple qui est le modèle reproduit technologiquement, adapté pour sa production efficace et vers un bénéfice économique.
13 Modèle écologique ou de transition
14 Le projet comprend le processus créatif comme une interrelation d’un être créateur qui émane une idée pour être réalisée, matérialisée et intégrée dans la société ; à la différence du modèle rationnel, il tient compte des effets holistiques. Par conséquent, le modèle écologique se réalise en trois étapes en interaction : a) Émanation de la personne qui imagine et crée, b) Transformation de matières pour l’élaboration ou la création de l’imaginé, c) Manifestation finale de l’imaginé, d) Effets systémiques de ce qui est manifesté.
15 Modèle du trajet sensible ou écosophique
16 Processus créatif collectif qui s’entreprend à partir d’une errance rationnelle et instinctive, en incluant le hasard, le ludique, l’onirique et les circonstances. Ses résonances sont systémiques, où la relation entre création et nature apparaît comme un écho d’un trajet naturel ou sensible. Cette tendance écosophique implique les trajets suivants : a) Invitation collective à participer de l’expérience créatrice, b) Invocation expérimentale du groupe, c) Immersion collective dans l’expérience erratique ou dans une connaissance sensible, d) Invention ou émergence de ce qui surprend et c) Initiation vers un imaginaire collectif partagé.
17 Finalement, ce passage du projet comme potentiel conscient, anticipatif et productif au trajet comme une voie collective, intelligente et sensible de création implique une transition qui nous initie dans d’autres manières d’être ensemble et de créer. Le trajet sensible comme une résonance écosophique manifeste l’existence d’errances collectives, de mouvements qui impliquent la participation à l’instinctif, le poétique et l’artistique. Le groupe créateur, les personnes immergées dans la recherche artistique font corps écosocial, d’où émerge un potentiel solidaire capable de réunir, transformer et offrir, c’est-à-dire inhaler, exhaler ce qui est désiré naturellement par le collectif.
Trouver de nouveau
18 Faire passer une situation créative implique l’aventure, l’errance, cela entraîne souvent compliquer l’expérience, dans les mots de Gaston Bachelard : « Comme nous le montrerons, la méthode cartésienne qui réussit si bien à expliquer le Monde, n’arrive pas à compliquer l’expérience, ce qui est la vraie fonction de la recherche objective [13]. » C’est pourquoi l’errance propose un trajet à partir de la résonance d’être ensemble, en invoquant l’instinctif. Le voyage de la création à partir du sensible dépasse ces limites qui a priori nous empêchent de continuer dans quelconque direction pressentie. Créer devient un défi qui nous amène à réaliser malgré les empêchements, une situation qui met en évidence que l’opportunité réunit les opposés, où la création constitue la chance de créer et recréer. Dès lors, le trajet comme aventure sensible nous invite à une errance partagée, à partir de laquelle il est possible de s’initier dans un processus créatif qui nourrit la recherche et la formation des personnes. La connaissance émergente de ce vécu redécouvre le visage kaléidoscopique et dynamique de l’existence ; où se perdre dans ces labyrinthes de l’incertain permet de découvrir et se découvrir hors de tout projet. Les processus de recherche s’enrichissent par les expériences artistiques et collectives et nous amènent à trouver de nouveau les voies sensibles de création et communication. Au lieu de chercher le nouveau, la pensée artistique ou la recherche sensible nous invite à trouver de nouveau ce qui a été distancié, séparé, fragmenté. Ainsi, trouver de nouveau implique restaurer l’entièreté de la vie, de la connaissance imbriquée en elle, par un je pluriel ou collectif qui rétablit les langages de communication et récupère ce qui a été oublié.
19 L’erreur, l’imparfait, l’éphémère, l’inconscient ou l’onirique participent ainsi d’une connaissance paradoxale qui est la conséquence non causale des trajets collectifs et sensibles. Toute expérience erratique ouvre des passages dans lesquels il est possible de comprendre le plaisir d’errer sans contrôle. C’est dans ce sens que les personnes qui recherchent sont envoûtées littéralement par l’expérience. Dans ce sens, la recherche se découvre avec plaisir où l’on découvre et connaît par surprise. Une alliance entre raison et sensibilité apparaît alors pour rendre possible l’union entre travail et jeu, pour réaliser une recherche active sensible ou passionnelle, afin de créer une connaissance grâce à cette chaleur associative. La personne qui recherche utilise sa boussole instinctive, en facilitant la circulation d’une connaissance singulière, poétique, artistique et insolite, où la pensée artistique se déploie. La recherche sensible naît ici, se révèle comme une connaissance dessinée, peinte ou sculptée. La séduction profonde de ces processus et de ce qui est créé réenchante le jeu de la recherche et de la formation. Jeu et hasard, surprise, aventure et trajet erratique sont des éléments quotidiens de la recherche sensible artistique d’où émerge la pensée artistique. Comprendre ces processus créateurs, c’est appréhender la recherche et la formation comme une réalité qui nous ouvre les portes vers d’autres dimensions de la connaissance. Une intensité dynamique dans laquelle la création est synonyme de procréation voluptueuse, d’une expérience intérieure partagée. Connaître, c’est ainsi naître dans une union intense, par une expérience qui nous submerge pour nous emporter dans d’autres plis du réel.
Bibliographie
Bibliographie
- Bachelard, G., Le nouvel esprit scientifique, PUF, Paris, 2003.
- Bataille, G., L’expérience intérieure, Gallimard, Paris, 2009.
- Boutinet, J.-P., Anthropologie du projet, Quadrige/PUF, Paris, 2008.
- Capra, F., Uncommon Wisdom, Simon & Schuster, New York, 1988.
- Falcón, R. M., Sentido del proyecto æfectivo, thèse doctorale, Université de Barcelone, 2010, http://www.tdr.cesca.es
- Maffesoli, M., La République des bons sentiments, Factuel, Paris, 2010.
- Maffesoli, M., Matrimonium. Petit traité d’écosophie, CNRS Éditions, Paris, 2010.
- Maffesoli, M., Homo eroticus. Des communions émotionnelles, CNRS Éditions, Paris, 2012.
- Vaz Ferreira, C., Lógica Viva, Losada, Buenos Aires, 1962
Mots-clés éditeurs : découvrir, expérience, trajet, création, recherche
Mise en ligne 04/10/2016
https://doi.org/10.3917/soc.131.0131Notes
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[*]
Roberto Marcelo Falcón est docteur en philosophie du design de l’Université de Barcelone. Chercheur au CEAQ, il a réalisé une étude postdoctorale sur les processus de recherche et de formation artistique. Il est coresponsable du GREAS et GRASE, Laboratoire d’éthique médicale, Université Paris Descartes V.
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[1]
GREAS, Groupe de Recherche d’Écoformation Artistique et Société pour développer la recherche et la formation à travers du sensible-artistique, au sein du CEAQ, Centre d’Étude sur l’Actuel et le Quotidien, Université Paris Descartes Sorbonne.
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[2]
F. Capra, Uncommon Wisdom. Simon & Schuster, New York, 1988.
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[3]
G. Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, PUF, Paris, 2003.
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[4]
C. Vaz Ferreira, Lógica Viva, Losada, Buenos Aires, 1962.
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[5]
M. Maffesoli, Matrimonium. Petit traité d’écosophie, CNRS Éditions, Paris, 2010.
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[6]
Ibid., p. 16.
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[7]
J.-P. Boutinet, Anthropologie du projet, Quadrige/PUF, Paris, 2008.
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[8]
R. M. Falcón, Sentido del proyecto æfectivo, thèse doctorale, Université de Barcelone, 2010, http://www.tdr.cesca.es
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[9]
J.-P. Boutinet, Anthropologie du projet, Quadrige/PUF, Paris, 2008, p. 359.
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[10]
R. M. Falcón, Sentido del proyecto æfectivo, op. cit.
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[11]
M. Maffesoli, La République des bons sentiments, Factuel, Paris, 2010, p. 40.
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[12]
M. Maffesoli, Homo eroticus. Des communions émotionnelles, CNRS Éditions, Paris, 2012, p. 40.
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[13]
G. Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, op. cit., p. 142.