Couverture de SOC_122

Article de revue

L'éthique chamanique et l'esprit du néolibéralisme coréen

Pages 43 à 55

Notes

  • [*]
    Professeur de sociologie à l’Université nationale de Séoul (Corée du Sud).
  • [1]
    D. Harvey, Brief History of Neoliberalism, Oxford University Press, Oxfrod, 2005. ; G. Becker, The Economic Approach to Human Behaviour, The University of Chicago, Chicago and London, 1976 ; M. Foucault, Naissance de la biopolitique, Seuil, Paris, 2004, p. 221 sq.
  • [2]
    Niklas Rose indique que la gouvernementalité néolibérale se caractérise par sa tendance à « gouverner sans gouverner la société ». La société sans social est l’utopie néolibérale. Voir N. Rose, “The Death of the Social ? : Re-figuring the Territory of Government”, in Economy and Society (25-3), 1996, p. 328.
  • [3]
    H.-J. Kim, « Déconstruction éthique du néolibéralisme incorporé », in Société et théorie (17), 2009, pp. 177-179.
  • [4]
    H.-J. Kim, « Origine et structure de l’authenticité », in Sociologie coréenne (43-5), 2009, pp. 6-8. Par idéologie, j’entends le système de croyances ; par habitus, le système de dispositions ; par imaginaire, le système de rêves et de mémoires ; par dispositif, le système de techniques.
  • [5]
    Il serait intéressant à ce propos de rappeler que Pascal préfère le « cœur » à la raison, car il est une faculté, selon lui, plus clairvoyante et originelle que cette dernière. Ainsi, « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » et le cœur seul est à la hauteur de sentir Dieu, étant donné qu’il fonde la foi (B. Pascal, Pensées, Garnier-Flammarion, Paris, 1976, pp. 127-128).
  • [6]
    M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, trad. I. Kalinowski, Paris, Flammarion, 2000, p. 165.
  • [7]
    J.-H. Ji, Origine et formation du néolibéralisme coréen, Chaeksesang, Séoul, 2011, p. 223 sq.
  • [8]
    H.-J. Kim, « Origine et structure de l’authenticité », in Sociologie coréenne (43-5), 2009, pp. 3-5.
  • [9]
    Ch. Taylor, The Ethics of Authenticity, The Havard University Press. 1991 ; J. Golomb, In Search of Authenticity, Routledge, London and New York, 1995 ; Ch. Guignons, On Being Authentic, Routlege, London and New York, 2004.
  • [10]
    M. Berman, The Politics of Authenticity, Georgee Allen & Unwin, London, 1970, p. xv sq.
  • [11]
    D. Rossinow, The Politics of Authenticity, Columbia University Press, 1998, pp. 1-8.
  • [12]
    Au nombre de ces unités de survie se compte la nation coréenne. Par exemple, dans les représentations médiatiques de la crise de 1997, tous les processus étaient dépeints comme une perte déplorable de souveraineté politico-économique de la nation. L’appel à l’aide du FMI était interprété comme une humiliation, rappelant par la suite l’événement historique de la colonisation du pays par les Japonais, ce qui reste toujours un véritable traumatisme de la mentalité nationale. La fierté d’avoir réussi à se développer si rapidement à partir des ruines de la guerre civile s’est écroulée minablement. En revanche, la peur inconsciente de ne pas pouvoir survivre aux changements de l’environnement international, précisément lorsque la dynastie Chosun est tombée tragiquement sous le joug de la colonisation japonaise, elle, s’est réveillée. Autrement dit, la crise de 1997 n’a pas été perçue seulement comme un problème d’ordre économique mais aussi d’ordre « moral ». Elle a attisé la mémoire inconsciente collective autour de l’idée-force de la survie. Selon cette logique, les souffrances de quelques individus ou groupes doivent être endurées volontairement sous forme de sacrifice pour la cause de la survie du pays. Cette idée a réussi à orienter facilement le peuple coréen vers le néolibéralisme, sous prétexte qu’il n’y avait pas d’autre moyen que la libéralisation radicale de la société pour sauver la nation de cette crise existentielle.
  • [13]
    À ce propos, voir D.-J. Seo, Volonté de la liberté, volonté de l’autothérapie, Dolbege, Séoul, 2009.
  • [14]
    M. Weber, Hindousime et bouddhisme, trad. I. Kalinowski et R. Lardinois, Flammarion, Paris, 2003, p. 531.
  • [15]
    Ibid., p. 530 sq.
  • [16]
    H. Kahn, World Economic Development, Croom Helm, London, 1979 ; E. Vogel, Japan as Number One, Havard University Press, 1979.
  • [17]
    D. Aikman, Pacific Rim. Area of Change, Area of Opportunity, Little, Brown and Company, Boston, 1986 ; Y. Shichihei, The Spirit of Japanese Capitalism and Selected Essays, trans. L. E. Riggs and T. Manabu, Madison Books, 1992.
  • [18]
    S.-Ch. Yoo, « Une réinterprétation du capitalisme confucianiste en Asie de l’Est », in Tradition et Modernité (3), 1997 ; M.-H. Kook, Industrialisation par l’État en Asie de l’Est et confucianisme, Kwangju, Presses universitaires de Chon-nam, 1999.
  • [19]
    À ce propos, voir M. Hardt, « Affective Labor », Boundary 2 (26-2), 1999 ; Y. Moulier Boutang, Le capitalisme cognitif, Éditions Amsterdam, Paris, 2007. ; L. Boltanski & E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, pp. 21-28.
  • [20]
    J. Baudrillard, Société de consommation, Paris, Denoël, 1970, p. 27.
  • [21]
    M. Mafessoli, Le temps des tribus, La Table Ronde, Paris, 1988.
  • [22]
    M, Mafessoli, Éloge de la raison sensible, La Table Ronde, Paris, 1996 ; M. Mafessoli, Le réenchantement du monde, Perrin, Paris, 2007.
  • [23]
    J.-S. Choi, « La tendance à adorer le matériel chez les religions coréennes contemporaines », in Étude de la culture coréenne (16), 2009, p. 130.
  • [24]
    S.-R. Kim, « L’éthique de la croyance dans la fortune et la culture capitaliste », in Étude des religions (27), 2002, p. 62.
  • [25]
    L. Kendall, Shamans, Nostalgias, and the IMF, University of Hawai’i Press, Honolulu, 2009, pp. 142-143.
  • [26]
    D.-S. Yoo, L’histoire et la structure du chamanisme coréen, Presses universitaires de Yonsei, Séoul, 1975, pp. 345-353 ; J.-S. Jung, Continuation et changement de la tradition, Akanet, Séoul, 2004, p. 89 ; T.-G. Kim, Le chamanisme coréen, Daewon, Séoul, 1991, p. 118.
  • [27]
    Selon Kim Sung-Rye, le chamanisme est une tradition inventée relativement récemment à l’âge moderne par les nationalistes coréens désireux d’affirmer une identité nationale face à la colonisation japonaise. Cf. « L’analyse des discours sur la tradition chamaniste », in Anthropologie culturelle de la Corée (22), 1990.
  • [28]
    Pour un glossaire des termes chamaniques, voir A. Guillemoz, La Chamane à l’éventail, Imago, Paris, 2010, pp. 193-202.
  • [29]
    G.-S. Choi, La compréhension du chamanisme coréen, Yejon, Séoul, 1994, p. 60.
  • [30]
    I.-H. Kim, Étude de la pensée chamanique coréenne, Jipmundang, Séoul, 1987, pp. 211-212.
  • [31]
    M. Eliade, Mythes, rêves, et mystères, Gallimard, Paris, 1957, pp. 155, 157.
  • [32]
    G.-S. Choi, La compréhension du chamanisme coréen, op. cit., pp. 78-79.
  • [33]
    J.-H. Jung, La compréhension de la culture religieuse en Corée, Jipmundang, 1985, p. 252.
  • [34]
    S. Trigano, Qu’est-ce que la religion ?, Flammarion, Paris, 2001, pp. 62-63.

Le régime du cœur néolibéral

1Le néolibéralisme est d’ordinaire défini comme un mode de gestion de la société, représenté par un ensemble de doctrines idéologiques. Il est notamment caractérisé par des programmes politico-économiques attribuant le rôle de répartition des ressources publiques exclusivement au marché, et aussi par une croyance généralisée en l’omnipotence de la logique marchande, même jusque dans l’intimité de la vie privée [1]. Depuis les années 1980, le néolibéralisme s’est érigé, dans la plupart des pays développés, en « régime du social » ayant pour fonction et effet de reconfigurer la société actuelle en une société conforme à son idéal, tant au niveau institutionnel qu’organisationnel, c’est-à-dire une société sans social [2].

2Or il existe une autre facette plus intéressante que celle-là. Le néolibéralisme ne renvoie pas seulement au hardware institutionnel, mais aussi au software psychologique des agents sociaux dont les actions et les interactions constituent la société même [3]. Autrement dit, le néolibéralisme peut et veut s’infiltrer, voire s’incorporer dans les corps des hommes agissant et pâtissant dans son univers, et qui s’efforcent de survivre coûte que coûte, angoissés dans leur « sécurité ontologique » telle que Giddens la définit. Plus qu’une simple idéologie abstraite, le néolibéralisme arrive toujours à se matérialiser en principes pragmatiques et positifs, ancrés dans le réel, exerçant de façon effective un pouvoir contraignant sur les agents pris dans sa « cage d’acier ». Il motive, agite, encourage, ou décourage les acteurs sociaux. Il les fait rêver, cauchemarder et fantasmer. Il régit leurs rires et larmes quotidiens. Il les émeut, les écœure, et les émerveille. Il affecte leurs corps et dirige leurs cœurs. Le néolibéralisme est vivant dans l’être même des sujets qu’il ne cesse de produire et de reproduire. En bref, il est un « régime du cœur » aussi bien qu’un « régime du social ». Par régime du cœur, nous entendons l’ensemble des idéologies, des habitus, des imaginaires et des dispositifs de conduite qui structurent et conditionnent non seulement l’activité rationnelle ou cognitive (la pensée), mais aussi l’activité émotionnelle ou affective (la passion), et également l’activité volitive ou appétitive (le désir) des agents sociaux [4]. En remettant en valeur la notion de cœur de cette manière, nous invitons à réintroduire dans la sociologie contemporaine cette optique qui permettrait d’apporter un éclairage sociologique aux régions beaucoup plus obscures et opaques de l’âme humaine, pleines de pathologies, fantasmes, pulsions, croyances, désespoirs, espérances, ou de peurs [5]. C’est là où l’homme apparaît non pas foncièrement modernisé, rationalisé, ni même civilisé. Il reste d’une certaine manière religieux. Le cœur doit et peut être considéré comme la zone psychologique où tout ce qui est religieux survit aux tentatives de domination de la raison, et guide les actions des acteurs sociaux. Les dieux, ou esprits, sont en exil, déguisés et métamorphosés, dans les cœurs où les agents sociaux puisent le sens de leur vie.

3Max Weber a fait preuve d’une perspicacité exceptionnelle en démontrant qu’au centre du style de vie (Lebensführung) des premiers agents capitalistes, se trouvait une forme spécifique de « cœur » déboussolé, angoissé. C’est celui des calvinistes qui étaient privés de tous les moyens magiques pour obtenir le salut de l’âme. Weber décrit le paysage de ce cœur intérieur de la manière suivante : « Dans son inhumanité pathétique, cette doctrine devait influencer l’état d’esprit d’une génération, qui se rendit à la logique implacable : elle fit naître en particulier un sentiment de solitude intérieure inouïe de l’individu. Pour ce qui était la grande affaire de leur vie, la question de salut éternel, les hommes du temps de la Réforme en étaient réduits à suivre la voie solitaire qui les conduisait à un destin fixé de toute éternité. Nul ne pouvait leur venir en aide [6]. » Il en résulte la formation de l’ascétisme séculier qui, fonctionnant comme « régime du cœur » pour ces hommes désespérés, a ouvert la voie pour l’intégration des calvinistes au monde capitaliste sans qu’ils ne perdent le zèle religieux. C’est la naissance de l’esprit capitaliste tel qu’il est présenté par Weber. Le régime du cœur (ascétisme séculier) a lié le religieux à l’économique, le social au psychique, et finalement l’émotionnel au rationnel.

4Nous tentons, dans cet article, d’explorer le régime du cœur néolibéral, manifestement prospère dans la société coréenne depuis quinze ans, pour apporter un nouvel éclairage à l’analyse de la forme que prend le néolibéralisme en Corée. Ce travail sera effectué en trois temps : i) nous examinerons la structure et la formation du régime du cœur néolibéral à l’œuvre dans la société coréenne, à savoir le survivalisme ; ii) nous étudierons en quoi l’origine de ce régime du cœur néolibéral, ou survivalisme, est à chercher dans le chamanisme coréen ; iii) nous nous interrogerons sur la logique typique de l’éthique chamanique et notamment sur trois points essentiels, l’eudémonisme, le pragmatisme et la kratophanie, et montrerons en quoi le survivalisme est comparable à cette éthique.

De l’authenticité au survivalisme

5En 1997, la société coréenne a subi un choc collectif. Il s’agit de la crise financière, qui l’a mise dans l’incapacité de rembourser une somme importante de dettes étrangères, et s’est transformée en crise de solvabilité. Le 21 novembre, le gouvernement coréen, incapable de régler seul ce problème, a décidé, en fin de compte, de demander au Fonds monétaire international (FMI) une aide d’urgence. Afin de bénéficier du sauvetage financier (financial bailout) du FMI, le pays a été obligé d’accepter de mettre en place des mesures d’austérité rigoureuses se focalisant sur la reconstruction compréhensive et substantielle des organisations entrepreneuriales et gouvernementales. C’est par là que le nouveau régime du social radicalement néolibéral imposé par le FMI a commencé à s’enraciner dans la société coréenne, qui, en conséquence, s’est transformée très rapidement en une société frappée par l’insécurité et la précarité [7]. L’anxiété permanente caractérisait l’ambiance sociale, principalement du fait de l’absence de protection contre les incertitudes de la vie. La néolibéralisation de la société a détruit la plupart des remparts sociaux qui se dressaient contre les risques contingents, et a liquéfié les rapports interpersonnels jadis fondés sur une sociabilité spontanée. Sur le plan du régime du cœur aussi, cet événement marque un tournant décisif.

6Avant que le néolibéralisme ne prenne un tel essor débridé, la société coréenne était sous l’influence des retombées d’une démocratisation tourmentée. Les années 1980 se sont gravées dans la mémoire collective des Coréens comme la période de l’expression de l’aspiration à la démocratie dans tous les secteurs de la société, culminant en 1987 lorsque le gouvernement a cédé finalement aux diverses revendications (y compris le suffrage universel direct pour l’élection présidentielle) de la société civile qui s’est insurgée violemment contre le gouvernement pendant quelques mois. Comme nous l’avons déjà analysé dans un autre travail, le régime du cœur animant les militants universitaires qui ont joué le rôle principal dans les mouvements sociaux de cette époque, se caractérise par ce qui est appelé l’« authenticité » [8].

7Cette éthique tire son origine de la pensée du XVIIIe siècle, notamment celle de Rousseau et de Herder, en mettant l’accent sur la capacité morale innée de l’homme à distinguer le vrai du faux par le simple dialogue avec sa voix intérieure au lieu d’obéir aveuglément aux normes imposées par la communauté. Elle s’est cristallisée conceptuellement dans la philosophie existentialiste, de Kierkegaard à Sartre et Camus, en passant par Heidegger, en tant que telos de l’être-là (Dasein) fatalement jeté dans le monde et existentiellement prêt à l’attente de sa mort [9]. Or, dans les années 1960, cette éthique en est arrivée à se conjuguer au politique sous la forme de « politique de l’authenticité » [10]. Par exemple, la « New Left » américaine réunit la poursuite individuelle du soi authentique et la volonté collective pour une meilleure société, ces deux projets n’étant pas différents en réalité, dans la mesure où afin de vivre en tant qu’être authentique, il faut que la société soit non répressive et non discriminatoire. Ainsi l’éthique et le politique se sont croisés dans l’authenticité, entendue comme régime du cœur pour ceux qui voulaient changer de monde [11].

8Quant à la société coréenne, c’est pendant les années 1980 et jusqu’au début des années 1990 que l’authenticité éthico-politique régnait en qualité de régime du cœur, formant une solide structure morale qui donnait un sens à la vie et à la mort auprès de ceux qui le cherchaient. Beaucoup de jeunes étudiants, ouvriers, citoyens s’insurgeant contre le pouvoir, ont été emprisonnés, torturés, assassinés, voire même se sont immolés par le feu. Ces victimes ont été sacrifiées sur l’autel de la démocratie. Selon les règles de conduite de l’authenticité, la vie vouée au sacrifice pour une cause est plus honorable que la survie dans un monde ignoble, et la vie politique (bios) prime sur la vie biologique (zoè). Le sujet de l’authenticité s’avère ainsi être le protestataire. Son moi s’intériorise par l’autoréflexion éthique, mais il est en même temps toujours prêt à s’engager dans le monde extérieur, qui lui apparaît comme la sphère publique (Habermas). Voici sa logique de fonctionnement. C’est précisément ce régime du cœur qui s’est écroulé avec l’importation des idées néolibérales. Celle-ci a entraîné une reconfiguration drastique de tous les domaines de société, produisant une série de phénomènes typiques, tels que la fragilisation du marché du travail, l’augmentation incontrôlable des emplois temporaires, la hausse du taux de chômage et des licenciements, la bipolarisation des classes sociales, le rétrécissement important de la classe moyenne, la croissance considérable du nombre de suicides, etc.

9Cela signifie l’avènement d’une société de concurrence totale, société qui n’est plus conçue comme un ensemble d’individus moralement solidarisés, mais plutôt comme une arène où se produit, sous la loi de fer de la survie du plus fort, l’élimination des moins adaptés, ou, pour utiliser une expression à la mode en Corée, des losers, ceux qui ont raté leur vie. La néolibéralisation a mis en place les conditions nécessaires pour que surgisse un nouveau régime du cœur, le « survivalisme ». Sous son empire, on est contraint de chercher à survivre de toutes ses forces, pour ne pas tomber dans la misère du perdant. Le sujet du survivalisme se présente justement comme un compétiteur, pour qui la raison d’être n’est plus « vivre ensemble » ou « vivre pour la découverte de soi », mais « vivre à tout prix ». Dans son vocabulaire, il n’existe pas de termes comme histoire, monde, société, humanité, etc. La culture fait partie pour lui de l’arsenal des outils pour la survie. Il instrumentalise tout ce qui a d’ordinaire une fin en soi. Voici le schème de la logique du survivalisme.

Figure 1

Logique du survivalisme

Figure 1

Logique du survivalisme

10Dans la mesure où le principe de concurrence joint à celui de méritocratie s’applique presque totalitairement, on est naturellement forcé de tenter d’augmenter ses compétences dans tous les domaines possibles afin de ne pas être éliminé. Le sujet du survivalisme doit faire de son moi une incarnation vivante des capitaux accumulés (qu’il soit capital humain, social, culturel ou économique). Le rapport qu’on entretient avec son moi se résume à l’auto-investissement, ou à la capitalisation de son être même. Il investit dans son corps, son intelligence, sa personnalité, son émotion, et son cœur. Qu’il soit salarié, étudiant, ménagère, petit entrepreneur, patron d’organisation privée ou publique [12], il est sous une pression constante et toujours démesurée de survie, et est incité à faire de son mieux, ne serait-ce que pour conserver ce qu’il a déjà acquis. Cela explique la raison pour laquelle la gouvernementalité néolibérale va de pair avec l’engouement populaire pour les livres d’auto-assistance [13], pour les concours de talents télévisés (survival audition programs), pour les récits enjolivés de succès dans presque tous les secteurs de la société. Alors que la survie devient le paradigme dominant, le survivant est érigé en nouveau héros de la société. Les mythes de survie se produisent et se reproduisent à profusion. La société se mue de jour en jour en spectacle dramatique de la sélection des vainqueurs, qui ne sont pour autant aucunement assurés de leur future réussite, car ce spectacle sans trêve ni merci ne finira jamais. Dans la société coréenne, la survie comme valeur suprême précède d’autres valeurs civiques, telles que la justice, l’égalité, la liberté, la fraternité, la solidarité ou la vérité. Comment se fait-il que cette idéologie si simple et si brute a gagné le cœur des Coréens ? Sur quelle base éthico-spirituelle au sens wébérien du terme ce régime du cœur s’appuie-t-il ?

Le retour du chamanique

11Max Weber voyait dans des religions d’origine asiatique un « jardin enchanté » (Zaubergarten) [14]. Faute d’une éthique atrocement rationnalisante et désillusionnante comme le calvinisme, pensait-il, le peuple asiatique était absorbé d’une manière générale par ce jardin ensorcelé, s’employant à réaliser ses vœux séculiers par des moyens magiques : la guérison des maladies, la naissance d’un enfant, le succès aux examens, la victoire dans la concurrence, le gain de cause, la prospérité économique de la famille et l’entreprise, etc. [15] Il en résulte qu’en Asie la modernité capitaliste n’a pas pu éclore de manière autonome. Restant fidèle à l’idée originale de Weber qu’il y a certes une parenté de choix entre régime du social et régime du cœur, nous pouvons cependant soulever deux objections à cette thèse du « jardin enchanté asiatique ».

12Premièrement, il faut revaloriser le potentiel du confucianisme comme dispositif éthique susceptible de produire des sujets capitalistes, étant donné que dans le déroulement de l’histoire de la modernisation au XXe siècle, le confucianisme s’est révélé bien opérant au bénéfice du développement capitaliste dans plusieurs pays asiatiques, ce qui contredit d’une certaine mesure la théorie de Weber. Un groupe de chercheurs a essayé d’expliquer la raison pour laquelle ces pays, dont la Corée du Sud, ont réussi le processus de modernisation. Ils ont communément mentionné le facteur culturel, le confucianisme. Herman Kahn et Ezra Vogel présentent l’éblouissante performance économique des quatre petits dragons (Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong et Singapour) comme l’emblème de l’accomplissement des « valeurs asiatiques » [16]. Ils traitent la culture confucianiste d’équivalent fonctionnel du protestantisme, mettant en relief les traits caractéristiques suivants : hiérarchie solide, loyauté envers les supérieurs, passion pour l’éducation, gouvernement savant et moral, familialisme au sens positif du terme [17]. En effet, l’éthos confucianiste renforce l’esprit du capitalisme d’État mis en place dans les années 1970-1980, dans la mesure où cet éthos prescrit une attitude de vie ascétique par l’industrie et l’épargne, favorisant l’accumulation du capital nécessaire pour l’industrialisation [18].

13Deuxièmement, il faut envisager de déconstruire le concept de « capitalisme rationnel et organisé », puisqu’en conséquence de l’évolution du dernier siècle, le capitalisme d’aujourd’hui n’est pas réellement tributaire de l’esprit ascétique et rationnel du protestantisme (ou du confucianisme). Dans ce nouveau capitalisme qualifié de global, néolibéral, financier, affectif, cognitif, régénéré, ou postfordiste [19], le registre de la rationalité est beaucoup plus restreint, au fur et à mesure que l’économie quitte le réel pour s’ancrer dans le numérique et la finance ; que les organisations s’affaiblissent sous la pression de flexibilité de toutes les étapes de leur chaîne de production ; que la culture tient lieu de moteur indispensable de l’économie nouvelle, cessant d’être le lieu de la critique sociale ; et surtout qu’une série de nouvelles formes de courants culturels, spirituels, et religieux jouissent d’une grande popularité auprès du peuple. Par ailleurs, dans la société de consommation, la pensée magique et la mentalité miraculeuse reviennent [20]. Le social disparaît, cédant le pas aux différentes nouvelles formes de « socialité » [21]. Le monde semble réenchanté [22]. La thèse de Weber devrait être confrontée à ce grand tournant de la logique du social, organisé par le nouvel ordre capitaliste. Pour comprendre et expliquer l’esprit (régime du cœur) du capitalisme d’aujourd’hui, il faudrait plutôt s’intéresser aux religiosités moins systématisées et moralisées, et plus enchantantes et mystiques comme le New Age, le spiritisme, la scientologie, la parapsychologie et toutes les sortes de spiritualités alternatives.

14Pour parler de la société coréenne, cette tendance va s’approfondissant depuis la crise de 1997 qui a marqué le commencement de l’époque d’insécurité. L’incertitude des variations du marché et de l’avenir rend impossible de faire des projets sur la base d’une pure rationalité calculatrice, car on ne dispose pas de suffisamment d’informations crédibles. Dans ces situations-là, le peuple angoissé tend à chercher des systèmes de savoirs et de techniques suprascientifiques ou parascientifiques pour se soulager de la peur de l’avenir. En réalité, on observe que depuis la crise financière, le chamanisme coréen semble être en voie de prospérer à nouveau. Le nombre de chamanes ne cesse d’augmenter, et les services chamaniques se diversifient, et se marchandent habilement surtout grâce à l’internet [23]. Or ce qui est le plus significatif est qu’un grand nombre d’entrepreneurs et de commerçants indépendants coréens consultent des chamanes régulièrement, lorsqu’ils se sentent perdus et désespérés, confrontés à un avenir totalement imprévisible et ténébreux en temps de crise perpétuelle [24]. Laurel Kendall, qui a longtemps travaillé sur le chamanisme coréen, soutient également que dans la société coréenne la thèse de Weber ne tient pas, du fait que des sujets capitalistes coréens sont plus ou moins enclins à dépendre du chamanisme pour survivre dans le marché qu’ils regardent comme « animé, arbitraire, et plein de risques » [25]. Le « jardin enchanté » est ainsi de retour, profitant de l’occasion où l’angoisse sociale fait rage, détruisant la possibilité de rêver d’un avenir meilleur et révélant l’urgence absolue de l’impératif de survivre. Cette résurgence postmoderne du chamanisme s’explique partiellement par sa fonction sociale à proprement parler : il est de fait capable d’offrir une consolation, des solutions, voire une thérapie à ceux qui s’efforcent de ne pas être exclus dans cette période difficile. Il existe, semble-t-il, une singulière parenté de choix entre le chamanisme et le survivalisme, à la différence du confucianisme qui ne préconiserait jamais la survie comme désirable, tant qu’elle est dénuée de sens moral. L’éthique confucianiste, tout comme l’esprit du « capitalisme organisé », est déjà dépassée. À sa place est réapparue l’éthique chamanique qui n’est rien d’autre que l’origine religieuse du régime du cœur du capitalisme néolibéral de la société coréenne. Qu’est-ce que l’éthique chamanique ? Quelle est sa logique d’opération ? En quel sens a-t-elle une affinité sélective avec le survivalisme contemporain ?

Analyse de l’éthique chamanique

15En fait, le chamanisme est généralement considéré comme la source spirituelle de la mentalité, la forme archétypique de l’esprit, et la base de l’inconscient collectif du peuple coréen [26]. Bien qu’il existe une opinion assez différente à ce sujet [27], il paraît toutefois incontestable que le chamanisme représente la religiosité « archaïque » de la culture coréenne. Dépourvu de textes et d’églises, le chamanisme ne se compose que de cérémonies, nommées « kut », commandées par un chamane qui s’appelle Mudang [28]. Le « kut » peut se comparer à la mise en scène de l’exaucement du vœu, de la résolution du ressentiment et de la réconciliation avec l’ennemi. Il s’accompagne souvent d’une extase intense du chamane, mais aussi de l’irruption des passions refoulées des clients. Dans ce processus, les esprits jouent le rôle important d’intervenir dans les affaires humaines, par le truchement du chamane qui les invoque, les console, et les convainc d’accomplir ses souhaits. La communauté se réunit, se réjouit dans l’effervescence collective, pour enfin consolider sa solidarité interne. Le chamanisme constitue ainsi le paysage originel de la sociabilité et de la convivialité des Coréens.

16Toutefois, il importe également de noter que le chamanisme n’a jamais été accepté comme religion légitime par la classe dominante, à travers toute l’histoire de la nation. Parasitant les religions officielles (bouddhisme, confucianisme, christianisme), le chamanisme est toujours resté à l’état de refoulé. Une constante force de répression s’est exercée à son égard, au point qu’il ne pouvait faire autrement que de pénétrer dans les souterrains de la culture (ou la culture souterraine). Là, il a rempli des besoins populaires et remédié aux situations problématiques de l’existence humaine telles que la naissance, la mort, la maladie, la souffrance ou encore le malheur. Ainsi le chamanisme s’est-il glissé jusqu’au fond des cœurs des opprimés (surtout les femmes). Il caressait les blessures douloureuses du deuil, de la perte, de la séparation. Il guérissait et consolait ceux en souffrance. Loin d’être moralisateur ou d’arborer un ton autoritaire, il invitait chaleureusement, par son humanisme tenace, à vivre. Il exhorte à être en vie, à fortifier la vitalité, et enfin à survivre [29].

17À ce niveau de comparaison générale, la correspondance structurale et fonctionnelle entre chamanisme et survivalisme s’observe clairement. L’homme chamanique ressemble beaucoup à l’homme survivaliste, pour qui la survie est la valeur la plus importante, qu’elle soit biologique (longévité), économique (richesse), ou bien sociale (reconnaissance). Tant que l’éthique chamanique se construit, elle aussi, autour de la subjectivité du survivant, elle peut se conjuguer aisément au régime du cœur néolibéral. S’il en est ainsi, il nous faut examiner cette homologie entre les deux plus profondément, en réfléchissant davantage à la logique de l’éthique chamanique. Nous en dégageons les trois aspects fondamentaux suivants : l’eudémonisme, le pragmatisme et la kratophanie.

18Sur le plan sotériologique, l’éthique chamanique renvoie, avant toute chose, à l’eudémonisme, qui se passionne pour la fortune, la richesse, l’abondance, la santé, la chance, et la réussite dans le monde profane. La vision chamanique du monde ne connaît pas d’aspiration à la transcendance. En contrepartie, elle se focalise intensivement sur le bonheur de l’homme dans ce monde-ci, car le salut chamanique ne réside pas dans la vie authentique ou éternelle, mais dans le bien-être ou la satisfaction des besoins et désirs séculiers. La valeur superlative du chamanisme consiste à « vivre », ce qui est l’insigne même du bien, alors que tout ce qui est lié sémantiquement au « mourir » est tenu pour le mal. En effet, le bien et le mal ne se déterminent pas en termes de moralité, mais de longévité biologique. C’est un système de croyances complètement anthropocentrique. Tout doit servir au plaisir des hommes en chair et en os, en dehors de quoi rien n’est considéré comme important.

19Sur le plan méthodologique, l’éthique chamanique renvoie au pragmatisme extrême. On consulte un chamane non pas pour s’interroger sur la connaissance de la finalité de l’univers, non pas encore pour s’élever moralement, mais toujours dans le seul but d’échapper aux problèmes qui nous accablent lourdement. Il n’y a pas de système de doctrines métaphysiques, de catéchisme, de théodicée dans le chamanisme. Tout ce qu’il y a d’important, c’est la mise en pratique des mesures effectives pour mettre fin aux douleurs qui tenaillent les hommes. À cet égard, il se peut que le chamanisme ait sa propre forme de rationalité utilitariste, à savoir un pragmatisme absolu. Tout ce qui aide à se sauver des problèmes épineux est bienvenu. L’utilité y est plus cruciale que la moralité. Il semble que dans le cas du chamanisme, la fin justifie les moyens. Personne ne met en question la légitimité des procédés, tant qu’ils se montrent efficaces en permettant que des malheurs soient esquivés. Cela explique la tendance chamanique à l’instrumentalisation des « Mansin » (esprits). Dans le monde chamanique, les esprits n’incarnent pas l’altérité radicale du divin, détenteur d’un pouvoir et d’une autorité écrasants par rapport aux hommes. S’ils sont invités et traités royalement, au fond, c’est pour être manipulés par le chamane au profit des hommes [30]. Rien ne dépasse le principe fondamental du pragmatisme.

20Finalement, sur le plan phénoménologique, l’éthique chamanique renvoie à la kratophanie. D’après Mircea Eliade, « toute hiérophanie est une kratophanie, une manifestation de force », car « le sacré se manifeste toujours comme une puissance d’un tout autre ordre que les forces naturelles » [31]. Quand il s’agit du chamanisme, le facteur de la sainteté est moins important que celui de la force. Les esprits sont sacrés, non pas parce qu’ils le sont intrinsèquement, mais parce qu’ils sont forts. Le moteur religieux du chamanisme est le culte de la force, ce qui se déclare par le fait que dans le chamanisme l’esprit faible et bon n’est pas beaucoup respecté, tandis que l’esprit mauvais mais fort est hautement adoré [32]. L’homme chamanique est porté à vénérer l’esprit le plus puissant, indifféremment de sa nature bénéfique ou maléfique, vertueuse ou vicieuse, véridique ou mensongère [33]. Ce penchant au kratoculte résulte dans l’élimination de la logique théologique et du jugement moral dans l’horizon de l’expérience chamanique.

Conclusion

21Ces trois aspects se recoupent, s’imbriquent et s’enchevêtrent. L’eudémonisme a besoin de pragmatisme, et le pragmatisme est la conséquence de la kratophanie, et celle-là sert l’eudémonisme. L’éthique chamanique est suffisamment consistante et cohérente, et sa différence avec l’éthique bouddhique, confucianiste, ou chrétienne se révèle incontestable. Elle montre, sans équivoque, l’analogie frappante avec l’éthos et l’habitus du survivalisme : indifférence à tout ce qui n’a pas à voir avec la poursuite de l’intérêt personnel, passion pour l’aisance et le confort matériels, préférence de l’utile sur le véridique, angoisse fondamentale devant les problèmes concrets à résoudre, et tendance à voir le monde en termes de force – ou de capital. Ceci ne signifie pas pour autant que le sujet survivaliste est un pratiquant conscient et fervent du chamanisme. Jeté dans une situation où il est poussé à maximiser ses intérêts matériels, il se comporte, à son insu, comme s’il était chamaniste, conformément à l’éthique eudémonique, pragmatique et kratophanique du chamanisme, laquelle donne à voir une homologie flagrante avec l’éthique survivaliste. L’origine du régime du cœur, à en croire Weber, est certainement d’ordre religieux [34], étant donné qu’il s’agit du sens et de la valeur, en un mot, du « cœur ». Tout ce qui concerne le cœur humain et social n’a pas encore coupé son cordon ombilical avec le religieux. C’est ainsi que notre sociologie du cœur, commençant par le régime du social (le néolibéralisme), et via le régime du cœur (le survivalisme), parvient, en fin de compte, au chamanisme qui est l’origine religieuse du survivalisme.

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Notes

  • [*]
    Professeur de sociologie à l’Université nationale de Séoul (Corée du Sud).
  • [1]
    D. Harvey, Brief History of Neoliberalism, Oxford University Press, Oxfrod, 2005. ; G. Becker, The Economic Approach to Human Behaviour, The University of Chicago, Chicago and London, 1976 ; M. Foucault, Naissance de la biopolitique, Seuil, Paris, 2004, p. 221 sq.
  • [2]
    Niklas Rose indique que la gouvernementalité néolibérale se caractérise par sa tendance à « gouverner sans gouverner la société ». La société sans social est l’utopie néolibérale. Voir N. Rose, “The Death of the Social ? : Re-figuring the Territory of Government”, in Economy and Society (25-3), 1996, p. 328.
  • [3]
    H.-J. Kim, « Déconstruction éthique du néolibéralisme incorporé », in Société et théorie (17), 2009, pp. 177-179.
  • [4]
    H.-J. Kim, « Origine et structure de l’authenticité », in Sociologie coréenne (43-5), 2009, pp. 6-8. Par idéologie, j’entends le système de croyances ; par habitus, le système de dispositions ; par imaginaire, le système de rêves et de mémoires ; par dispositif, le système de techniques.
  • [5]
    Il serait intéressant à ce propos de rappeler que Pascal préfère le « cœur » à la raison, car il est une faculté, selon lui, plus clairvoyante et originelle que cette dernière. Ainsi, « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » et le cœur seul est à la hauteur de sentir Dieu, étant donné qu’il fonde la foi (B. Pascal, Pensées, Garnier-Flammarion, Paris, 1976, pp. 127-128).
  • [6]
    M. Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, trad. I. Kalinowski, Paris, Flammarion, 2000, p. 165.
  • [7]
    J.-H. Ji, Origine et formation du néolibéralisme coréen, Chaeksesang, Séoul, 2011, p. 223 sq.
  • [8]
    H.-J. Kim, « Origine et structure de l’authenticité », in Sociologie coréenne (43-5), 2009, pp. 3-5.
  • [9]
    Ch. Taylor, The Ethics of Authenticity, The Havard University Press. 1991 ; J. Golomb, In Search of Authenticity, Routledge, London and New York, 1995 ; Ch. Guignons, On Being Authentic, Routlege, London and New York, 2004.
  • [10]
    M. Berman, The Politics of Authenticity, Georgee Allen & Unwin, London, 1970, p. xv sq.
  • [11]
    D. Rossinow, The Politics of Authenticity, Columbia University Press, 1998, pp. 1-8.
  • [12]
    Au nombre de ces unités de survie se compte la nation coréenne. Par exemple, dans les représentations médiatiques de la crise de 1997, tous les processus étaient dépeints comme une perte déplorable de souveraineté politico-économique de la nation. L’appel à l’aide du FMI était interprété comme une humiliation, rappelant par la suite l’événement historique de la colonisation du pays par les Japonais, ce qui reste toujours un véritable traumatisme de la mentalité nationale. La fierté d’avoir réussi à se développer si rapidement à partir des ruines de la guerre civile s’est écroulée minablement. En revanche, la peur inconsciente de ne pas pouvoir survivre aux changements de l’environnement international, précisément lorsque la dynastie Chosun est tombée tragiquement sous le joug de la colonisation japonaise, elle, s’est réveillée. Autrement dit, la crise de 1997 n’a pas été perçue seulement comme un problème d’ordre économique mais aussi d’ordre « moral ». Elle a attisé la mémoire inconsciente collective autour de l’idée-force de la survie. Selon cette logique, les souffrances de quelques individus ou groupes doivent être endurées volontairement sous forme de sacrifice pour la cause de la survie du pays. Cette idée a réussi à orienter facilement le peuple coréen vers le néolibéralisme, sous prétexte qu’il n’y avait pas d’autre moyen que la libéralisation radicale de la société pour sauver la nation de cette crise existentielle.
  • [13]
    À ce propos, voir D.-J. Seo, Volonté de la liberté, volonté de l’autothérapie, Dolbege, Séoul, 2009.
  • [14]
    M. Weber, Hindousime et bouddhisme, trad. I. Kalinowski et R. Lardinois, Flammarion, Paris, 2003, p. 531.
  • [15]
    Ibid., p. 530 sq.
  • [16]
    H. Kahn, World Economic Development, Croom Helm, London, 1979 ; E. Vogel, Japan as Number One, Havard University Press, 1979.
  • [17]
    D. Aikman, Pacific Rim. Area of Change, Area of Opportunity, Little, Brown and Company, Boston, 1986 ; Y. Shichihei, The Spirit of Japanese Capitalism and Selected Essays, trans. L. E. Riggs and T. Manabu, Madison Books, 1992.
  • [18]
    S.-Ch. Yoo, « Une réinterprétation du capitalisme confucianiste en Asie de l’Est », in Tradition et Modernité (3), 1997 ; M.-H. Kook, Industrialisation par l’État en Asie de l’Est et confucianisme, Kwangju, Presses universitaires de Chon-nam, 1999.
  • [19]
    À ce propos, voir M. Hardt, « Affective Labor », Boundary 2 (26-2), 1999 ; Y. Moulier Boutang, Le capitalisme cognitif, Éditions Amsterdam, Paris, 2007. ; L. Boltanski & E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, pp. 21-28.
  • [20]
    J. Baudrillard, Société de consommation, Paris, Denoël, 1970, p. 27.
  • [21]
    M. Mafessoli, Le temps des tribus, La Table Ronde, Paris, 1988.
  • [22]
    M, Mafessoli, Éloge de la raison sensible, La Table Ronde, Paris, 1996 ; M. Mafessoli, Le réenchantement du monde, Perrin, Paris, 2007.
  • [23]
    J.-S. Choi, « La tendance à adorer le matériel chez les religions coréennes contemporaines », in Étude de la culture coréenne (16), 2009, p. 130.
  • [24]
    S.-R. Kim, « L’éthique de la croyance dans la fortune et la culture capitaliste », in Étude des religions (27), 2002, p. 62.
  • [25]
    L. Kendall, Shamans, Nostalgias, and the IMF, University of Hawai’i Press, Honolulu, 2009, pp. 142-143.
  • [26]
    D.-S. Yoo, L’histoire et la structure du chamanisme coréen, Presses universitaires de Yonsei, Séoul, 1975, pp. 345-353 ; J.-S. Jung, Continuation et changement de la tradition, Akanet, Séoul, 2004, p. 89 ; T.-G. Kim, Le chamanisme coréen, Daewon, Séoul, 1991, p. 118.
  • [27]
    Selon Kim Sung-Rye, le chamanisme est une tradition inventée relativement récemment à l’âge moderne par les nationalistes coréens désireux d’affirmer une identité nationale face à la colonisation japonaise. Cf. « L’analyse des discours sur la tradition chamaniste », in Anthropologie culturelle de la Corée (22), 1990.
  • [28]
    Pour un glossaire des termes chamaniques, voir A. Guillemoz, La Chamane à l’éventail, Imago, Paris, 2010, pp. 193-202.
  • [29]
    G.-S. Choi, La compréhension du chamanisme coréen, Yejon, Séoul, 1994, p. 60.
  • [30]
    I.-H. Kim, Étude de la pensée chamanique coréenne, Jipmundang, Séoul, 1987, pp. 211-212.
  • [31]
    M. Eliade, Mythes, rêves, et mystères, Gallimard, Paris, 1957, pp. 155, 157.
  • [32]
    G.-S. Choi, La compréhension du chamanisme coréen, op. cit., pp. 78-79.
  • [33]
    J.-H. Jung, La compréhension de la culture religieuse en Corée, Jipmundang, 1985, p. 252.
  • [34]
    S. Trigano, Qu’est-ce que la religion ?, Flammarion, Paris, 2001, pp. 62-63.
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