Notes
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[1]
Ricardo Ferreira Freitas est professeur à l’Université de l’État de Rio de Janeiro. Il est docteur en sociologie de l’Université Paris V.
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[2]
Gaëlle Dupont, « La fièvre des mégapoles », Le Monde, 8/9 octobre 2006, p. 16. Voir http://portal.unesco.org/fr/ev.php.
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[3]
« Nous sommes tous très accessibles, mais nous n’échappons pas à la violence ; c’est un paradoxe, mais peut-être est-ce justement parce que nous sommes aussi accessibles que nous sommes sujets à la violence. De toute façon, même si nous n’aimons pas cette idée, la violence se présente comme une réalité anthropologique et, à notre époque, cela n’est pas différent » (Contrera, 2002, p. 94, traduction libre de l’auteur).
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[4]
« Les enclaves privées et fortifiées cultivent une relation de négation et de rupture avec le reste de la ville et avec ce qu’on peut appeler un style moderne d’espace public ouvert à la libre circulation. Elles transforment la nature de l’espace public et la qualité des interactions publiques dans la ville, qui deviennent de plus en plus marquées par le soupçon et la restriction » (Caldeira, 2000, p. 259).
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[5]
Caldeira parle, dans ce cas, spécialement des « condomínios fechados », phénomène urbain de plus en plus répandu au Brésil, surtout dans les métropoles. Les « condominios fechados » sont des ensembles d’immeubles où les habitants ont, dans des îles urbaines, en même temps leurs appartements ou maisons et plusieurs options différentes de loisir et de commerce. C’est une espèce de résumé de la ville – protégée et surveillée – entre grilles et murs.
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[6]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Contrat_premi%C3%A8re_embauche.
En France, le contrat première embauche (CPE) était un type de contrat de travail à durée indéterminée, à destination des moins de 26 ans, prévu par l’article 8 de la loi pour l’égalité des chances. La vive opposition et la contestation d’une partie de la population ont fait reculer le pouvoir exécutif. Publiée au journal officiel le 2 avril 2006 avec la promesse de Jacques Chirac que des modifications seraient effectuées, une proposition de loi présentée par le Premier ministre du 10 avril 2006 propose de le retirer et de le remplacer par un dispositif visant à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes en difficulté. Le reste du projet de loi pour l’égalité des chances a été conservé. Contrairement à ce que son nom indique, un salarié aurait pu être sous le régime de ce contrat, sans qu’il s’agisse pour autant de son premier emploi. À l’instar du CNE (contrat nouvelle embauche), ce contrat était assorti d’une « période de consolidation » de deux ans. Durant cette période, l’employeur ou le salarié pouvaient rompre le contrat de travail sans en donner le motif, à l’instar de la période d’essai des CDI et des CDD. Le Premier ministre français Dominique de Villepin, qui a annoncé sa création le 16 janvier 2006, estimait grâce à ce nouveau contrat inciter à l’embauche des jeunes, dont le taux de chômage en 2006 (23 % pour les jeunes actifs) était supérieur au taux moyen de la population active (environ 10 %). Le CPE était réservé aux salariés de moins de 26 ans et concernait uniquement les entreprises du secteur privé de plus de vingt salariés (excepté celles de travail à domicile), à la différence du contrat nouvelle embauche (CNE) qui ne s’adresse qu’aux petites entreprises de moins de vingt salariés. De plus, comme pour tout contrat à durée indéterminée (CDI) proposé aux salariés de moins de 26 ans au chômage depuis plus de six mois, le CPE s’accompagne d’exonération de cotisations patronales pendant une durée de trois ans. Une « période de consolidation » aurait également donné la possibilité à l’employeur et au salarié de rompre le contrat de travail (licenciement ou démission) sans avoir à en énoncer le motif, à l’instar de la période d’essai en CDI ; cette modalité a été la plus critiquée par les syndicats et les mouvements étudiants, considérant que cela aurait pu faciliter les licenciements abusifs. -
[7]
Deborah Berlinck, “A lei e suas controvérsias”, O Globo, caderno O Mundo. Rio de Janeiro, 25 mars 2006, p. 45.
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[8]
Le taux de chômage au mois de mars 2006 a été de 5,6 % entre les personnes économiquement actives, mais 21,4 % de la population n’est pas vraiment employée, puisque beaucoup n’ont pas de documents officiels. Données de l’Institut Brésilien de Géographie et Statistique.
Les villes ont en réalité absorbé près des deux tiers de l’explosion de la population mondiale depuis 1950, et croissent actuellement au rythme d’un million de naissances ou d’arrivées de migrants chaque semaine
1Les villes sont les arènes des manifestations sociales et culturelles les plus diverses. Sexuelles, familiales, communautaires, artistiques, ethniques, syndicales, corporelles… D’une certaine manière, les villes sont toujours des espaces politiques et affectifs. À chaque coin de leurs rues, des couleurs, des voix, des odeurs ou des images renvoient à une explosion permanente de codes. Cette floraison d’informations constitue la communication urbaine, en tant que représentation et création.
2Les villes changent tout le temps, partant elles inspirent admiration et nostalgie. Les rythmes de la vie montrent que le présent, plus que jamais, dépend du passé et des désirs d’avenir. Dans la transparence de la rue et de tous ses coins secrets, où les banalités peuvent aussi être spectaculaires, chacun peut vivre à la fois le possible et l’incroyable. Les villes servent de décor à l’imagination, elles sont avant tout le lieu où se reflètent, d’une façon en même temps dure et poétique, les bouleversements de toute une société.
3Pour étudier les villes, il faut avoir de la poésie en tête. Les échanges entre les sciences sont également essentiels pour comprendre les discours construits dans le quotidien, surtout ceux des différentes communautés urbaines. C’est l’ère de la ville, de la mégapole, de l’hyperville, une époque où les discours sont construits et détruits en regard de la production urbaine. D’ailleurs, c’est bien cela que l’on voit dans les médias : les reportages, les romans, les séries, les documentaires ont presque toujours la ville comme inspiration, et même quand le sujet vient du milieu rural, le regard et les interprétations de ceux qui les produisent sont urbains.
4Dans les prochaines années, pour la première fois, la population urbaine mondiale dépassera la population rurale. Selon des études de l’ONU [2], en 2030 les citadins représenteront 60 % de la population mondiale. Avec cette tendance, augmente aussi la peur de la violence. Dans les conversations de bars comme à la maison, de maintes façons, le danger est raconté ou annoncé. Tout cela nous invite à étudier les villes et à défendre l’importance de la réflexion sur l’urbain dans tous les métiers et pratiques scientifiques. Nous proposons ici un regard sur les représentations que les médias donnent des villes, en nous attachant spécialement à l’importance croissante accordée à la violence dans les journaux et dans les émissions de radio et de télévision. En étude de cas, nous traitons la façon dont les médias brésiliens ont abordé les manifestations des étudiants français contre le CPE en mars et avril 2006. Nous utilisons les reportages du journal O Globo, de Rio de Janeiro, l’un des plus importants quotidiens au Brésil. Ce journal, qui compte d’excellents spécialistes en politique et en économie, a pris en compte, dans les dernières années, la violence urbaine au quotidien. À la première page du journal, il n’est pas rare de voir des reportages sur la violence qui côtoient ceux sur la politique et l’économie.
5L’idée centrale de cet article est de discuter les données par rapport aux différents types de sociabilité suggérés par les représentations sociales que le média a contribué à établir sur la violence urbaine. Ainsi, nous analysons des narrations autour de cette thématique, en utilisant les mouvements d’opposition dont les étudiants français ont été les protagonistes en mars et avril 2006. Nous partons de l’hypothèse selon laquelle les médias brésiliens ont abordé les manifestations plutôt par le prisme de la violence que par celui des questions émergentes du monde du travail, qui étaient effectivement au centre des discussions et des revendications des étudiants.
6Pendant le premier semestre de 2006, la presse internationale a relaté en détail les manifestations des jeunes à Paris et dans d’autres villes françaises. Selon plusieurs journaux sud-américains, par exemple, tant dans les épisodes des banlieues de Paris en octobre 2005 que dans ceux des protestations des étudiants en mars 2006, il y a eu un important indice de destruction des biens publics et des véhicules, et la violence est ressortie comme l’élément le plus fort des deux événements.
7Dans le cas des étudiants, les journaux brésiliens ont montré beaucoup d’images de voitures détruites et de magasins envahis et parfois saccagés. Ces images ne font pas apparaître clairement – il fallait lire le texte avec beaucoup d’attention pour le comprendre – que des vandales se sont mêlés aux étudiants et que les partis politiques ont aussi exploité la situation dans un sens ou un autre.
Entre la ville et la violence : quelques ressources bibliographiques
Il est intéressant de noter, à l’encontre de ce qui a prévalu dans la pensée moderne, que l’on peut établir une corrélation entre la « lumière » et la « virtù » naturelle, on pourrait dire, de nos jours, entre la raison et l’inconscient, ou la raison et l’instinct. En effet, il est un savoir inconscient qui ne manque pas, régulièrement, de s’exprimer dans l’explosion des révoltes et des rébellions, ou dans le « quant-à-soi » populaire propre à l’abstention ou aux divers retraits par rapport aux pouvoirs institués
8L’absence de qualité de vie dans le quotidien est l’une des thématiques les plus courantes dans les villes. La communication sociale a pourtant très peu publié sur la violence urbaine. Au Brésil, on trouve des auteurs comme Malena Contrera [3], avec un travail intéressant sur « la panique et le média », et Muniz Sodré qui, dans la quasi-totalité de ses livres, aborde les différences sociales en étudiant les entrelacs entre la communication et la culture. Mais malgré la contribution de ces deux importants théoriciens brésiliens et d’une dizaine d’autres, on a du mal à trouver une bonne bibliographie sur le sujet comme thème de la communication sociale. Pour penser cette problématique, il faut recourir à la sociologie, à l’anthropologie et aux sciences politiques : dans les sciences sociales, au contraire, on peut trouver des travaux assez importants en nombre et en qualité sur le sujet de la violence urbaine.
9Dans cette perspective, citons par exemple la sociologue brésilienne Teresa Pires Caldeira [4], notamment pour ses réflexions sur l’enclavement volontaire [5] des habitants de São Paulo par peur de la ville ouverte. Nestor García Canclini, penseur argentin qui travaille au Mexique, emboîte le pas à Caldeira lorsqu’il accompagne l’information journalistique sur les grandes villes latino-américaines de reportages sur l’insécurité et la violence, sur la décomposition du tissu social visant, selon lui, à protéger le privé et l’individuel. Des études comme celles de Miguel Angel Aguilar au Mexique et de Teresa Caldeira à São Paulo, montrent bien comment les imaginaires de ces mégapoles se modifient avec les nouvelles formes de ségrégation et de violence (Canclini, 2003, p. 163). Les enclavements volontaires apparaissent comme des éléments fondamentaux de l’imaginaire de la métropole contemporaine, en renforçant la consommation de nouvelles et de publicités qui traitent des thématiques de la sécurité et de la violence.
10Selon Moscovici, les représentations ne sont pas créées par un individu de façon isolée. Mais une fois créées, elles assument une vie propre, circulent, se rencontrent, s’attirent et se repoussent, favorisant de nouvelles représentations, pendant que les vieilles représentations meurent (2003, p. 41). L’appropriation de l’information par les journaux est délimitée par son format, mais elle est aussi construite en fonction de l’expérience, des valeurs et des affects de chaque lecteur. À son tour, la violence est un sujet chargé d’expériences, de valeurs et d’affects, ce qui lui confère un statut d’objet important pour la compréhension des réseaux de communication qui permettent la construction des représentations sociales dans le quotidien urbain. Déjà, Maffesoli (1987a), s’inspirant de Simmel, associe les phénomènes de la violence à la dissidence entre les acteurs ou entre les conflits eux-mêmes. Dans cette vision, il n’est possible de s’apercevoir de la violence et d’agir contre elle que s’il existe des processus communs entre les parties, c’est-à-dire s’il existe des communications entre les acteurs antagoniques, sinon il n’y aura aucun climat favorable pour la reconnaissance de la dissidence, du conflit ou même de la violence. Dans les sociétés technocrates, la violence assume le côté maudit du conflit. Elle doit donc être combattue ou, en se référant à Foucault (1975), surveillée.
11Les médias peuvent être considérés, dans la contemporanéité, comme l’un des outils technologiques de contrôle ou de surveillance de la violence, en dénonçant au niveau du journalisme les faits ou en proposant des alternatives qui éloignent le citoyen du conflit. Au début du XXIe siècle, alors que la communication sociale aide à ré-esthétiser la production en construisant une variété de discours de consommation centrés sur l’expansion des besoins; la sécurité est l’un de ses arguments principaux. Avec elle, on assiste à la généralisation de la panique et de la peur, et en découle la pluralité de services de sécurité vendus comme essentiels pour la vie en société. Au Brésil, ce phénomène est particulièrement évident quand on lit les principaux journaux de São Paulo, Rio de Janeiro, Recife et Brasília. Dans toutes ces métropoles, la violence est une thématique présente dans le quotidien, et l’on vit un état d’urgence qui donne l’impression de n’avoir jamais le temps de finaliser les choses puisqu’il faut toujours fuir un danger imminent. Sous l’influence de Maffesoli (2002), nous osons dire que la violence, renouvelée par l’Internet et par les groupements postmodernes, est une marque des temps, ce qui peut représenter le début d’un nouveau process, ou un nouvel ordre mondial, pour le pire ou le meilleur.
12Selon Peretti-Watel (2001), le risque assume, aujourd’hui, l’importance de l’ordre technologique, social, écologique et sanitaire. Le sociologue considère les risques auxquels l’humanité est soumise, tels que les questions de la couche d’ozone et des grandes épidémies, mais aussi celles qui gagnent les valeurs communautaires qui font partie de l’histoire sociale et culturelle d’un groupe donné. Dans les banlieues pauvres ou dans les bidonvilles de Rio de Janeiro, par exemple, la solidarité entre les voisins remplace les polices d’assurance en cas d’incendie, d’inondation ou d’accidents. D’où les interrogations de Peretti-Watel sur les catégorisations objectives développées par les actuaires qui désignent quels sont les comportements et les groupes à risque et calculent les valeurs associées.
13Parmi tous ces auteurs, certains contextualisent les couvertures des médias dans le cas des manifestations des étudiants à Paris, puisque plusieurs reportages ont valorisé ces violences comme le sujet le plus important de l’information. À partir de ce rapide résumé théorique, nous synthétisons, dans les prochains paragraphes, quelques représentations construites par le journal O Globo à propos des manifestations des étudiants et des syndicalistes français contre le CPE (Contrat Première Embauche) [6].
Entre les réformes sociales et la violence urbaine : des représentations médiatiques sur le CPE
L’emploi reste, dans nos sociétés, une des dimensions majeures de l’intégration sociale : la stabilité de l’emploi est bien souvent une des conditions nécessaires pour garantir une certaine sécurité d’existence. S’il en fallait une démonstration, les manifestations massives du printemps 2006 contre le CPE et le CNE en ont apporté une preuve éclatante
14Le printemps de 2006 a été fertile en émotions dans les rues des villes françaises et a suscité l’intérêt et la solidarité des étudiants en plusieurs endroits du monde. L’origine de cette mobilisation des étudiants français a été la loi qui créait le CPE (voir la note 6). Le texte de cette loi a suscité la très forte opposition d’un nombre important d’étudiants et de lycéens.
15Puisque nous avons comme étude de cas le journalisme brésilien, il faut rappeler qu’au Brésil, la France est connue, à travers son histoire, pour avoir un fort pouvoir de rassemblement de la population autour des droits des citoyens. Comme les taux de chômage (autour de 10 % tous âges confondus, mais plus de 20 % pour les jeunes) [7], en comparaison des autres pays de l’Union européenne, préoccupent beaucoup le peuple français, les médias brésiliens sont attentifs à ce qui se passe en France pour établir des paramètres de compréhension sur diverses questions liées à la globalisation, au travail, à l’avenir des adolescents entre autres. Ainsi, a priori, l’ensemble des manifestations et protestations qui ont eu lieu en France au printemps de 2006 aurait dû être interprété par les médias comme une partie d’une lutte plus large en faveur des droits de l’homme, mais curieusement, la violence a été davantage mise en valeur.
16En dehors de la violence, des nouveaux codes de consommation qui apparaissaient autour des manifestations ont aussi été repérés et commentés en sous-titres des images et dans les textes des reportages. L’un des aspects qui a pris le plus d’importance porte sur les assurances. L’édition du 24 mars 2006 du Globo a publié un article intitulé « Le printemps de la razzia à Paris : des cambrioleurs s’infiltrent dans les protestations et livrent une bataille dans la capitale », où les photos montraient des voitures détruites et des invasions de supermarchés dans une protestation que les étudiants auraient voulue pacifique. Curieusement, le reportage commence avec le dialogue entre le propriétaire d’un véhicule disloqué et un gendarme, où le premier demande à l’autre que faire. Le gendarme répond : « Appelez l’assurance. »
17Le traitement par O Globo des événements en France et de ses répercussions en Europe et dans le monde a aussi pris en compte l’atteinte aux biens matériels et la question du travail dans la société contemporaine ; le journal a ainsi interviewé les leaders des différents groupes politiques. Pourtant, comme nous l’avons déjà dit, la violence a été choisie comme l’image de la société contemporaine. Parmi les reportages sélectionnés, nous citons celui publié le 19 mars 2006, dans les « cahiers du monde », toujours dans le même journal, un reportage intitulé « Les protestations contre la nouvelle loi grandissent en France ». Le texte de cet article montrait que le centre de Paris avait été paralysé par une grève partagée avec d’autres régions de France. À Paris, la principale manifestation de ce jour avait été pacifique dans la quasi-totalité du trajet, mais avait fini de façon confuse en arrivant à la Place de la Nation. Les photos du Globo ont beaucoup valorisé ce moment violent et spectaculaire de la fin de la manifestation, en montrant des images de voitures brûlées et de jeunes arrêtés par la police, plutôt que d’autres moments où effectivement les étudiants montraient leur capacité à faire une manifestation forte mais pacifique. Déjà le 25 mars, le journal avait abordé les impacts que les manifestations pourraient avoir sur le tourisme, mais les interviewés étrangers semblaient plutôt excités par la possibilité de connaître le « vrai » Paris, malgré la frayeur, surtout des Nord-Américains, au constat d’autant de destructions.
18Cependant, on ne peut pas dire que le journal n’a pas aussi abordé « l’intellectualisation » des conflits. Dans l’édition de 25 mars, les cahiers « Prosa e Verso », l’équivalent d’un « Monde des Livres », les pages 1 et 2 ont été consacrées à la discussion autour des événements, en incluant une interview de deux écrivains algériens, Yasmina Khadra et Mehdi Charef, insistant sur la nécessité d’une plus grande valorisation sociale et culturelle des enfants des immigrés en France.
19Le 26 mars, entre autres titres, on lisait dans les premières pages « Les jeunes ignorent l’invitation de Villepin. Les leaders des étudiants ne paraissent pas à la réunion avec le Premier ministre». Il s’agissait encore d’une manière pour les étudiants de dire au pays et au monde qu’ils allaient continuer le mouvement si le gouvernement ne faisait pas marche arrière sur le CPE. Dans cette situation, les jeunes, les intellectuels, les artistes, les hommes politiques d’opposition manifestaient leur mécontentement face à la promulgation de la loi. Le gouvernement et, en tout premier lieu, le Premier ministre étaient le dos au mur, mais O Globo continuait, dans d’autres reportages, à mettre cette question au second rang, en montrant toujours des scènes de violence qui ne disaient pas très clairement si les auteurs en étaient les étudiants.
20Le mois d’avril a commencé de façon assez tourmentée avec ces manifestations à Paris. Le Président Chirac, qui avait promulgué la loi, avait été obligé de revenir sur sa décision quelques jours plus tard, car aucune de ses propositions d’adaptation de la loi ne rencontrait l’approbation des étudiants et des syndicalistes. En éditorial, le premier avril, O Globo émet l’idée qu’il ne servirait à rien de se donner plus de temps pour résoudre le problème. Malgré cette note et les reportages qui l’ont suivie, le journal persiste à montrer des photos de violence, même s’il s’agit d’épisodes passés. Pendant le mois d’avril, les textes se font plus informatifs sur les vraies questions qui agitent la France, mais les images sont toujours liées à la violence. « Le Gouvernement français recule dans la réforme de l’emploi » (4 avril 2006, p. 28) ; « Les jeunes se réunissent avec les députés, mais les protestations continuent » (7 avril 2006, p. 48). Jusqu’au 10 avril, les manifestations ont constitué des nouvelles qui ont trouvé bonne place dans le journal, toujours avec l’ingrédient de la violence. Le 11 avril enfin, O Globo signale que Chirac a reculé devant les protestations contre le CPE, en laissant son probable candidat à sa succession, Villepin, assez épuisé. Le jour suivant, les titres sont vibrants : « Les étudiants font la marche de la victoire en France » (12 avril 2006, p. 37). Par contre, O Globo continue d’aborder les thèmes de la violence liés aux mouvements des étudiants, en racontant, par exemple, l’invasion du journal La Tribune le 18 avril ainsi que l’occupation de la Sorbonne le 24 avril. Dans ces deux cas, le journal met en évidence que les manifestants ont été évacués par la police quelques heures après les occupations.
21Dans tous ces exemples, les diverses représentations de la violence urbaine (assauts, incendies, émeutes, destruction du patrimoine privé et agressions physiques) occupent de façon marquante les pages des journaux. Pour le média brésilien, la violence prend de plus en plus d’importance comme point de référence des mouvements urbains. Plusieurs événements d’ordre social perdent leur raison profonde quand ils sont racontés à travers le seul prisme de la barbarie. Dans le cas des protestations des étudiants et des syndicalistes en France, l’approche journalistique brésilienne s’est concentrée d’une manière exagérée sur la violence consécutive aux protestations, en mettant en deuxième plan la raison principale de la mobilité, c’est-à-dire les droits du travailleur et l’avenir des jeunes dans ce contexte.
Encore quelques considérations
22L’analyse des représentations sociales construites par les moyens de communication de masse autour de la violence est le sujet principal de ce texte. Nous nous sommes référés à un journal brésilien de grande importance quant à la formation de l’opinion publique : O Globo. La période d’analyse est comprise entre les mois de mars et avril 2006.
23Nous voyons qu’au Brésil les journaux, considérés d’élite, ont assimilé la violence à un sujet aussi important que la politique et l’économie, alors que, dans d’autres pays, comme la France par exemple, les journaux d’« élite » maintiennent leur style classique et parlent de la violence comme s’il s’agissait de terrorisme ou d’affrontements de niveau international.
24Le Brésil est un pays connaissant un très important taux de chômage, en dehors même de diverses crises dans le monde du travail : sous-emploi et existence d’une main-d’œuvre esclave [8]. Ce sont des données qui nous incitent à inviter la presse et l’académie à s’unir pour provoquer de nouvelles réflexions sur le monde du travail. C’était cela la grande cause qui avait amené les étudiants dans les rues en France. Pourtant, nous avons permis que la violence per se s’installe dans l’imaginaire urbain comme axe principal du comportement. La peur, le risque, le manque de sécurité semblent être le point commun le plus globalisé des grandes villes du monde.
25Nous insistons sur notre intention de relancer la discussion sur les phénomènes de la violence urbaine rapportés par la presse, en associant les données analysées à la théorie de la communication et aux sciences sociales. Comme il a déjà été dit, O Globo est un important véhicule de formation d’opinion publique auprès de segments représentatifs des villes brésiliennes qui, à leur tour, sont des formateurs d’opinion. Pour ce qui nous concerne, nous souhaitons pouvoir ouvrir de nouvelles portes et de nouvelles interprétations à propos de l’influence de la violence racontée par les médias dans la construction de l’imaginaire de la métropole contemporaine.
Bibliographie
Références bibliographiques
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Notes
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[1]
Ricardo Ferreira Freitas est professeur à l’Université de l’État de Rio de Janeiro. Il est docteur en sociologie de l’Université Paris V.
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[2]
Gaëlle Dupont, « La fièvre des mégapoles », Le Monde, 8/9 octobre 2006, p. 16. Voir http://portal.unesco.org/fr/ev.php.
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[3]
« Nous sommes tous très accessibles, mais nous n’échappons pas à la violence ; c’est un paradoxe, mais peut-être est-ce justement parce que nous sommes aussi accessibles que nous sommes sujets à la violence. De toute façon, même si nous n’aimons pas cette idée, la violence se présente comme une réalité anthropologique et, à notre époque, cela n’est pas différent » (Contrera, 2002, p. 94, traduction libre de l’auteur).
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[4]
« Les enclaves privées et fortifiées cultivent une relation de négation et de rupture avec le reste de la ville et avec ce qu’on peut appeler un style moderne d’espace public ouvert à la libre circulation. Elles transforment la nature de l’espace public et la qualité des interactions publiques dans la ville, qui deviennent de plus en plus marquées par le soupçon et la restriction » (Caldeira, 2000, p. 259).
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[5]
Caldeira parle, dans ce cas, spécialement des « condomínios fechados », phénomène urbain de plus en plus répandu au Brésil, surtout dans les métropoles. Les « condominios fechados » sont des ensembles d’immeubles où les habitants ont, dans des îles urbaines, en même temps leurs appartements ou maisons et plusieurs options différentes de loisir et de commerce. C’est une espèce de résumé de la ville – protégée et surveillée – entre grilles et murs.
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[6]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Contrat_premi%C3%A8re_embauche.
En France, le contrat première embauche (CPE) était un type de contrat de travail à durée indéterminée, à destination des moins de 26 ans, prévu par l’article 8 de la loi pour l’égalité des chances. La vive opposition et la contestation d’une partie de la population ont fait reculer le pouvoir exécutif. Publiée au journal officiel le 2 avril 2006 avec la promesse de Jacques Chirac que des modifications seraient effectuées, une proposition de loi présentée par le Premier ministre du 10 avril 2006 propose de le retirer et de le remplacer par un dispositif visant à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes en difficulté. Le reste du projet de loi pour l’égalité des chances a été conservé. Contrairement à ce que son nom indique, un salarié aurait pu être sous le régime de ce contrat, sans qu’il s’agisse pour autant de son premier emploi. À l’instar du CNE (contrat nouvelle embauche), ce contrat était assorti d’une « période de consolidation » de deux ans. Durant cette période, l’employeur ou le salarié pouvaient rompre le contrat de travail sans en donner le motif, à l’instar de la période d’essai des CDI et des CDD. Le Premier ministre français Dominique de Villepin, qui a annoncé sa création le 16 janvier 2006, estimait grâce à ce nouveau contrat inciter à l’embauche des jeunes, dont le taux de chômage en 2006 (23 % pour les jeunes actifs) était supérieur au taux moyen de la population active (environ 10 %). Le CPE était réservé aux salariés de moins de 26 ans et concernait uniquement les entreprises du secteur privé de plus de vingt salariés (excepté celles de travail à domicile), à la différence du contrat nouvelle embauche (CNE) qui ne s’adresse qu’aux petites entreprises de moins de vingt salariés. De plus, comme pour tout contrat à durée indéterminée (CDI) proposé aux salariés de moins de 26 ans au chômage depuis plus de six mois, le CPE s’accompagne d’exonération de cotisations patronales pendant une durée de trois ans. Une « période de consolidation » aurait également donné la possibilité à l’employeur et au salarié de rompre le contrat de travail (licenciement ou démission) sans avoir à en énoncer le motif, à l’instar de la période d’essai en CDI ; cette modalité a été la plus critiquée par les syndicats et les mouvements étudiants, considérant que cela aurait pu faciliter les licenciements abusifs. -
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Deborah Berlinck, “A lei e suas controvérsias”, O Globo, caderno O Mundo. Rio de Janeiro, 25 mars 2006, p. 45.
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Le taux de chômage au mois de mars 2006 a été de 5,6 % entre les personnes économiquement actives, mais 21,4 % de la population n’est pas vraiment employée, puisque beaucoup n’ont pas de documents officiels. Données de l’Institut Brésilien de Géographie et Statistique.