Sociétés 2003/1 no 79

Couverture de SOC_079

Article de revue

Moi++, le moi cyborg et la ville d'après le 11 septembre

Pages 51 à 73

Notes

  • [1]
    William J. Mitchell est Doyen du MIT School of Architecture and Planning et profes- seur d’architecture, media arts et science. Il vient d’être nommé à la tête du MIT’s Program in Media Arts and Sciences, comprenant le prestigieux MIT – Media Laboratory, http:// loohooloo. mit. edu/ people/ mitchell. html Ce texte est la traduction du prologue ainsi que d’une partie du chapitre 3 de l’ouvrage de William J. Mitchell, Moi ++ The Cyborg Self and the Post-9/11 City, MIT Press, Cambridge, USA, à paraître en septembre 2003. Traduction par concession de l’auteur. Tous droits réservés. Copyright William J. Mitchell.
  • [2]
    Homer, Odyssey, Book V (traduit par Samuel Butler) : He never closed his eyes, but kept them fixed on the Pleiads, on late-setting Bootes, and on the Bear – which men also call the wain, and which turns round and round where it is, facing Orion, and alone never dipping into stream of Oceanus – for Calypso hat told him to keep this to his left. Days seven and ten did he sail over the seas, and on the eighteenth the dim outlines of the mountains on the nearest part of the Phaeacian coast appeared, rising like a shield on the horizon.
  • [3]
    La technologie du télégraphe sans fil s’est installée depuis environ 1896 et Marconi et d’autres ont conduit des expériences toujours plus ambitieuses – y compris la transmission d’un signal bref à travers l’Atlantique de Cornwall à Newfoundland en 1901. Mais ce fut la première démonstration pratique de la capacité à transmettre des télégrammes sans fil sur de très grandes distances.
  • [4]
    The New York Times a utilisé finalement des appels de téléphones portables et des messages email pour constituer une chronique détaillée des dernières heures des deux tours. Voir Jim Dwyer, Eric Lipton, Kevin Flynn, James Glanz et Ford Fessenden, « Fighting to Live as the Towers Died » , The New York Times, dimanche 26 mai 2002, pp. 1 et 20-23.
  • [5]
    En septembre 2002, le comité du Président pour la Critical Infrastructure Protec- tion a dramatisé le point en faisant la remarque : « Un train a déraillé dans un tunnel de Baltimore et Internet a ralenti à Chicago. Un incendie au Nouveau Mexique a endommagé un gazoduc et la production reliée aux IT s’est arrêtée à la Silicon Valley. Un satellite est sorti de son champ de contrôle des centaines de kilomètres au-dessus de la terre et cela a empêché les clients des banques d’utiliser les DABs. » (The Natio- nal Strategy to Secure Cyberspace, Draft, September 2002, www. whitehouse. gov/ pcipb/cyberstrategy-draft.pdf, p. 44).
  • [6]
    L’auteur se réfère a son livre M++ dans sa version intégrale. (N.d.T.)
  • [7]
    Traduction partielle d’une partie du chapitre 3 du Moi ++ The Cyborg Self and the Post-9/11 City.
  • [8]
    Housing : New Look and New Outlook, ibid.
  • [9]
    Peter Henderson, « No Office ? No desk ! No Problem, Sun says » , Reuters, samedi 1er juin 2002.
  • [10]
    L’exemple le plus parlant est celui de Burke et Wills qui décidèrent de traverser l’Australie du nord au sud avec six chameaux et des provisions pour trois mois. (Suite note 10) Ils repoussèrent violemment les aborigènes du désert qui leur offraient de la nourriture et ils moururent de faim et de soif.
  • [11]
    Pour une discussion obsessionnellement détaillée au sujet des compromis impliqués, voir Colin Fletcher et Chip Rawlins, The Complete Walker IV, New York, Knopf, 2002.
  • [12]
    Dans Ulysse, James Joyce a réfléchi à la trajectoire de l’eau jusqu’au robinet de Léopold Bloom : « Est-ce qu’elle coulait ? Oui. Du réservoir de Roundwood dans le comté de Wicklow d’une capacité cubique de 2 400 millions de gallons, en passant au travers d’un aqueduc sous-terrain, de conduites filtres et d’un tuyau double construit d’après un projet financier initial de 5 £ par yard linéaire sur la route de Dargle, Rathdown, Glen of the Downs et Callowhill jusqu’au réservoir de 13 hectares à Stillorgan, une distance légale de 22 miles, et de là, à travers un système de réservoirs relais, par une inclinaison de 250 pieds jusqu’à la limite de la ville au pont d’Eustace, au-dessus de la rue Leeson… » New York, Everyman’s Library edition, 1997, pp. 902-903.
  • [13]
    Chris Kenyon, « The Evolution of Web-Caching Markets » , Computer, vol. 34, no. 11 (novembre 2001), pp. 128-30.
  • [14]
    Peter Cook (ed.), Archigram, New York, Princeton Architectural Press, 1999, p. 119.
  • [15]
    Sur l’histoire des débuts de la communication sans fil, voir Hugh G. J. Aitken, Syntony and Spark, The origin of Radio (deuxième édition), Princeton, Princeton University Press, 1985.
  • [16]
    William Crookes, « Some Possibilities of Electricity » , Fortnightly Review, vol. 51 (février 1892), pp. 173-181.
  • [17]
    The Economist, « The World in Your Pocket » , October 1999.
  • [18]
    William Stallings, « The Global Cellular Network » , dans Wireless Communications and Networking, Upper Saddle River NJ, Prentice Hall, 2001, p. 4.
  • [19]
    Le processus n’a pas été sans problèmes et contretemps. Dans les années 1990, le protocole sans fil WAP n’a pas réussi à attirer un soutien et le service de téléphone par satellite à basse altitude Iridium n’a pas réussi à attirer des clients. Les fournis- seurs et fournisseurs potentiels de services sans fil ont payé très cher aux enchères pour obtenir des spectrum licenses et ont ensuite eu des difficultés à faire marcher leurs modèles de commerce. Le standard 3G pour des services avancés qui était supposé faire avancer l’industrie vers un nouveau niveau dès l’an 2000 n’a pas été reçu avec un enthousiasme universel et a été mis au défi par IEEE 802.11b (Ethernet sans fil ou Wi-Fi) et Hiperlan. Quand même, le nombre d’utilisateurs d’appareils sans fil n’a cessé de croître rapidement depuis le début des années 1990 aux quatre coins de la planète.
  • [20]
    http:// grouper. ieee. org/ groups/ 802
  • [21]
    www. bluetooth. com
  • [22]
    www. aetherwire. com
  • [23]
    Au cours de l’été 2002, il y a eu un soudain engouement pour cela, alors que la popularité des réseaux 802.11 augmentait. Ce phénomène se rapprocha, assez cons- ciemment, de la vieille tradition des vagabonds qui indiquaient des lieux à mots cou- verts, où l’on pouvait s’attendre à de l’hospitalité, et peut-être de l’idée centrale de Thomas Pynchon The crying of lot 49. La terminologie vient du mot « wardialing » utilisée en 1983 dans le film de science-fiction War Games. Voir Jane Black, « A Wireless End Run Around ISPs » , Business Week Online, juillet 3, 2002, www. businessweek. com.
  • [24]
    Pour plus de détails sur cette compétition et une analyse des problèmes liés à ce comportement, voir Spectrum Policy Task Force, Report, Federal Communications Commission, ET Docket N°. 02-135, novembre 2002. Le rapport recommande la réforme du spectre des comportements pour permettre un usage plus efficace de ce spectre.
  • [25]
    Leonard Kleinrock, « Breaking Loose » , Communications of the AMC, vol. 44, no. 9 (septembre 2001), pp. 41-45. Voir aussi Eric Knorr, « Mobile Web vs. Reality » , Technology Review, vol. 104, no. 5 (juin 2001), pp. 56-63.
  • [26]
    Un réseau de connexions sans fil fiable est une composante technique cruciale de la nomadicité, mais comme Kleinrock le met en évidence, il y en a beaucoup d’autres aussi cruciales. Pour une étude des problèmes techniques clés, et les premiers efforts pour les résoudre, voir Guruduth Banavar et Abraham Bernstein, « Software Infras- tructure and Design Challenges for Ubiquitous Computing Aplications » , Communi- cations of the ACM, vol. 45, no.12 (décembre 2002), pp. 92-96.
  • [27]
    Un des premiers exemples de travail en réseau non définit spacialement et s’auto- configurant fut le système MICA de Berkeley pour les réseaux de capteurs sans fil. Voir Mike Horton et AL, « MICA : The Commercialisation of Microsensor Motes » , Sensor Online (www. sensoronline. com), avril 2002.
  • [28]
    Certaines des premières analyses de ces effets ont été transmises par Barry Brown, Nicola Green et Richard Harper (eds.), Wireless World : Social and Interactional Aspects of the Mobile Age, Londres, Springer, 2002 ; J. Katz et M. Aakhus, Perpetual Contact : Mobile Communications, Private Talk, and Public Performance, Cambridge.
  • [29]
    Il y a eu beaucoup de travaux sur cette théorie. L’un d’eux particulièrement convain- quant et récent a été écrit par Jared Diamond dans Guns, Germs, and Steel : A Short History of Everybody for the Last 13 000 Years, New York, Vintage, 1998. Voir, en particulier, le chapitre 4, « Farmer Power » .
  • [30]
    Jeremy Rifkin proposa une thèse similaire, et peut-être la poussa un peu trop loin, dans The Age of Access, New York, Jeremy P. Tarcher / Putman, 2000.
  • [31]
    Pour un aperçu des débuts du commerce basé sur la RFID, circa 2002, voir Amy Cortese, « Tollbooth Technology Meets the Checkout Lane » , The New York Times, dimanche 7 juillet 2002, Section 3, p. 4.
  • [32]
    Pour une des premières analyses classiques de l’abstraction de l’argent et ses consé- quences, voir George Simmel, The Philosophy of Money, Londres, Routledge, 1990 (première publication en 1907).
  • [33]
    Des débats sur le sujet des cyborgs, et des cyborgs en tant qu’acteurs sociaux, sont apparus de plus en plus fréquemment ces dernières années. Gregory Bateson les aurait initiés avec ses spéculations au sujet d’une écologie de la pensée dans les années soixante et au début des années soixante-dix. L’élaboration d’une théorie radicalement nouvelle, connue sous le nom de Actor Network Theory, s’est inspirée des travaux de Michel Callon et de Bruno Latour, We Have Never Been Modern, Cambridge MA, Harvard University Press, 1993. Donna J. Haraway donna un point de vue féministe influent dans Simians, Cyborgs, and Women : The Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991, et insista sur les qualités perturbatrices et émancipantes de la condition de cyborg. Chris Hables Gray rassembla des écrits clés au sujet des cyborgs dans The Cyborg Handbook, New York, Routledge, 1995. N. Katherine Hayles explora le rapport de la subjectivité à la personnification et dé- personnification de l’information dans How We Became Posthuman : Virtual Bo- dies in Cybernetics, Literature, and Informatics, Chicago, University of Chicago Press, 1999. Et les perspectives cyborgs ont commencé à infiltrer la littérature rela- tive à l’organisation et aux études urbaines ; voir Stephen Graham et Simon Marvin, Slintering Urbanism : Networked Infrastructures, Technological Mobilities and the Urban Condition, New York, Routledge, 2001.
  • [34]
    Donna Haraway est à l’origine d’un déluge de débats critiques sur le corps, le genre cyborg et le féminisme dans Simians, Cyborgs, and Women : The Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991.
  • [35]
    Vernor Vinge anticipa l’importance de cela dans son roman paru en 1981, True Names, qui commence ainsi: « Il était une fois dans les Premiers Temps de la Magie, le magicien avisé considéra son propre nom comme son bien le plus cher mais aussi comme ce qui menaçait le plus sa bonne santé, si un jour – se poursuit l’histoire – un ennemi, même un ennemi faible et sans talent, apprenait le vrai nom du sorcier, alors les sorts les plus habituels et connus pourraient détruire et asservir même le plus puissant. Comme ces temps passèrent, et que nous évoluions de l’Âge de Raison à la première et seconde révolution industrielle, de telles notions furent discréditées. De nos jours, il semble que la roue a fait un tour complet (même s’il n’y a jamais eu vraiment de Premier Temps) et nous nous souciions de nouveau des vrais noms. » Comme le Mr. Slippery de Vinge, les craqueurs d’Internet et les faiseurs de torts se cachent derrière leur pseudonymes et craignent de se faire arrêter si leurs vrais noms sont révélés. (Pour un retirage de True Names, avec les commentaires sur les identi- tés en ligne et leur dissimulation, voir James Frenkel, ed., True Names and the Opening of the Cyberspace Frontier, New York, Tor, 2001.)
  • [36]
    Dans son ouvrage hautement sceptique, On the Internet (New York, Routledge, 2001, p. 11), Hubert L. Dreyfus a relié ce point spécialement à la structure en réseau hyper-imbriquée du World Wide Web. Il observe : « Clairement, l’utilisateur d’une bibliothèque hyper-connectée ne resterait pas un sujet moderne avec une identité définie, désirant une représentation du monde plus complète et fiable, mais devien- drait plutôt un être post-moderne, un être inconstant prêt à s’ouvrir à tous les nou- veaux horizons. Un tel être ne s’occupe pas de rechercher de ce qui est signifiant mais de se connecter à une source d’informations aussi large que possible. »
  • [37]
    Mark C. Taylor, The Moment of Complexity ; Emerging Network Culture, Chi- cago, University of Chicago Press, 2002, p. 231. De façon un peu similaire, Brian Massumi a suggéré (Parables for the Virtual, Durham, Duke University Press, 2002, p. 128): « L’ex-humain est désormais un nœud parmis les nœuds. Certains nœuds sont toujours constitués de substances corporelles organiques, certains sont consti- tués de silicone, et d’autres, comme le bras des anciens robots, sont constitués d’allia- ges. Le corps constitue de nœuds envoie, reçoit, et travaille de concert avec tous les autres nœuds. Le réseau est auto-connectable à l’infini, et malléable à l’infini. La forme et les directions qu’il prend ne sont pas décidées de manière centrale mais proviennent de l’interaction complexe de ses opérations.
  • [38]
    Dans des études similaires reconnaissant ce point, il émerge une théorie de « l’an- thropologie du cyborg » – l’étude des cultures dans lesquelles le vrai sens du mot « homme » est remis en question par l’évolution scientifique et technique. Voir Joseph (Suite note 38) Dumit, Gary Lee Downey et Sarah Williams, « Cyborg Anthropology » , Cultural Anthropology, vol. 10, no. 2, pp. 2-16 (1995), et Joseph Dumit et Gary Lee Downey, « Cyborgs and Citadels : Anthropological Interventions » , in Emerging Sciences and Technologies, Santa Fe, School of American Research Press, 1997.
English version

Prologue

1 Afin d’honorer le centenaire approchant, je me suis embarqué pour un pèlerinage électronique. Comme Ulysse mettant les voiles pour Ithaque, j’ai regardé vers les paradis pour me guider [2]. Je suis entré dans « Marconi Station, Wellfleet, Massachusetts » à l’aide de mon système de navigation automobile. Le satellite GPS m’a situé, le logiciel a calculé la route la plus rapide et des commandes d’une voix artificielle m’ont conduit vers une falaise sablonneuse sur les rives de Cape Cod.

2Roulant à toute allure sur la Route 6, écoutant leur radio et occasionnellement discutant à leur téléphone portable, les automobilistes n’y pensent pas, mais c’est de ce côté venteux (dont la plus grande partie est maintenant enfouie dans l’océan) que le monde sans fil a commencé [3]. C’est ici que Guglielmo Marconi a construit quatre tours de 70 mètres, a fait tourner une toile d’araignée de fils dans le ciel, a remonté à la manivelle un moteur à kérosène capable de tourner avec une provision d’une puissance de 20 000 volts et qui avait un rotor à étincelles périodiques qui pouvait être entendu à des kilomètres à la ronde. Le 18 janvier 1903 (l’année où les frères Wright présentèrent au monde le vol maîtrisé), il transmit un message de télégraphe sans fil à travers l’Atlantique. Les continents étaient reliés d’une nouvelle manière.

3Un siècle plus tard, les systèmes globaux sans fil m’ont amené sur place et une fois là, m’ont permis facilement de rester en contact avec d’autres. Dans ma main, je tenais un transmetteur et récepteur bon marché qui était énormément plus sophistiqué que la construction gigantesque de Marconi et qui pouvait instantanément me connecter à n’importe lequel des centaines de millions d’appareils semblables éparpillés de par le monde. En plus, il pouvait me relier aux innombrables serveurs Internet et du Web. J’ai retiré le couvercle (sans tenir compte de la garantie) pour laisser apparaître un modèle architectural très précis de la taille de ma main ; l’énergie était contenue dans une pile de la taille d’une boîte d’allumettes, les commandes de transmissions étaient réduites à une puce et la tour antenne ne mesurait plus que quelques centimètres de long. Il semblait que Brobdingnag avait été transformé en Lilliput – provoquant une inversion dramatique. Là où les opérateurs humains de Marconi avaient été les appendices d’une machine immobile, l’appareil que je tenais maintenant était une extension libératrice de mon corps en mouvement.

4Les deux parties du système de Marconi ont évolué dans des directions opposées. Le réseau a grandi. Le lien unique sans fil a explosé en une toile dense et planétaire d’infrastructures sans fil; si on comptait tous ses liens terrestres, satellites et spatiaux, cela deviendrait la construction unique la plus étendue de toute l’humanité. Simultanément, pourtant, les appareils de transmission et de réception s’étaient dramatiquement réduits ; d’éléments faisant partie du paysage, ils sont devenus des accessoires de mode.

5Et cette transformation double, pensais-je, n’était pas qu’un simple miracle technologique ; cela avait changé notre mode de vie. Tout au long des cent dernières années – et particulièrement dans ces dernières décennies –, la convergence entre une technologie sans fil toujours plus poussée et une infrastructure de réseaux étendue, des objets électroniques miniaturisés et une prolifération de l’information digitale, a radicalement renouvelé la relation des individus à leur environnement, et construit et renouvelé également la relation qu’ils ont les uns envers les autres. Je pensais à la conversation depuis un portable qui a continué jusqu’au moment exact où les tours du World Trade Center se sont écroulées, à ces appels désespérés depuis les cabines des avions détournés qui fonçaient sur leur cible et à ces pagers de poche qui ont continué à transmettre sous les décombres [4]. Nous étions devenus inséparables de nos toujours plus puissants organes électroniques ; nos membres étaient devenus des supports d’antenne en chair ; nos connections s’étaient ramifiées et intensifiées à un degré presque incompréhensible. Des images prénatales et moniteurs de battements de cœur à la persistance posthume de nos adresses digitales et traces, notre corps existe aujourd’hui dans un état d’engagement électronique continuel avec son entourage.

6La relation objet-objet avait suivi le même chemin. Les réseaux digitaux avaient débuté en tant que collections de grosses boîtes, chères, connectées par des fils bon marché. Mais avec le temps, les boîtes se sont réduites, leur prix ont baissé et leur quantité a augmenté, alors que le fil est resté pour le moins identique. En conséquence, ce furent de plus en plus les fils des réseaux et non pas les boîtes qui occupèrent de l’espace et coûtèrent de l’argent. Comme les réseaux s’étendaient, les fournisseurs de télécommunications se préoccupèrent du « dernier kilomètre » de câble des foyers et des entreprises, les architectes s’efforcèrent de coincer des plateaux de câbles et des placards à fils dans les immeubles, des câbles traversaient les étages et formaient des enchevêtrements inconvenants, et plusieurs choses qui auraient pu bénéficier de connexion au réseau ne l’obtinrent jamais parce qu’il était tout simplement trop difficile de tirer des fils. À l’aube du XXIe siècle, cependant, des connexions sans fil, bon marché et omniprésentes permettent à toutes sortes de nouvelles choses d’être reliées au réseau – de très petites choses, de très nombreuses choses, des choses très isolées, des choses très mobiles, des choses profondément incrustées dans d’autres choses, et des choses qui sont coincées dans des endroits serrés et inaccessibles. Aujourd’hui, rien ne doit rester sans lien.

7Par conséquent, la tentative de séparation des bits et des atomes était terminée. Dans les premiers jours de la révolution digitale, il avait semblé utile de chercher à séparer ces unités élémentaires de matérialité et d’information. Le virtuel et le physique étaient représentés en tant que deux domaines séparés – le cyberespace et le meatspace, comme l’a exprimé la formulation involontairement très directe de William Gibson. Cela était apparu comme un soulagement bienvenu des contraintes rebelles de la tangibilité – du moins jusqu’à l’éclatement des « Dot-com » [entreprises commerciales sur Internet, NdT]. Aujourd’hui pourtant, la frontière entre eux se dissout. L’intelligence des réseaux s’est incrustée partout, dans toutes sortes de systèmes physiques – qu’ils soient naturels ou artificiels. Avec une fréquence grandissante, les événements du cyberespace se reflètent dans l’espace physique et vice-versa [5]. Le commerce électronique n’était pas, comme il s’est avéré, le remplacement de sites physiques et de réseaux par des serveurs et des télécommunications, mais l’intégration sophistiquée de réseaux digitaux dans des chaînes d’alimentations physiques. De plus en plus, nous vivions notre vie aux endroits où la circulation de l’information électronique, les corps mobiles et les endroits physiques s’entrecroisaient de manière particulièrement utile et attirante. Ces endroits allaient devenir des occasions pour une architecture nouvelle caractéristique du vingt et unième siècle.

8La métaphore de « virtualité » sembla puissante lorsque nous nous efforçâmes tout d’abord de comprendre les implications de l’information digitale, mais elle a, depuis, fait son temps. Les bits n’étaient pas simplement assis dans le cyberespace pour être visités occasionnellement comme des images dans une galerie, ni poussés au travers d’une « fenêtre » (métaphore révélatrice). Elle prit plus de sens pour reconnaître que l’information invisible, intangible, encodée électromagnétiquement établissait de nouveaux types de relations parmi des événements physiques qui avaient lieu dans des endroits physiques. Un bit était en fait une « différence qui fait la différence » , mais nous devrions penser cette différence en termes de quelque chose de concret avec des coordonnées spatiales et temporelles – de même que l’ouverture ou la fermeture de quelque interrupteur, porte ou vanne, l’expédition d’un produit d’un entrepôt, le démarrage ou l’arrêt d’un moteur, le changement de couleur d’un pixel quelque part sur un écran ou le changement de position du bras d’un robot – plutôt qu’un changement de valeur d’une variable abstraite ou l’altération dans l’état mental imaginé du récipient d’un message idéalisé.

9Les bits, conçus au sein de cette tendance tangible et architecturale, rendent possible la spécification de la relation entre les causes physiques et les effets en termes de fonctions mathématiques symboliquement exprimées (aussi nommées programmes informatiques), plutôt qu’en construisant les liens mécaniques spécialisés ou des systèmes hydrauliques, des circuits électriques hard-wired et toutes choses semblables. À travers la télécommunication avec ou sans fil, les bits rendent ces relations à distance effectives. Grâce à leur capacité de stocker des instructions et des données, les bits permettent à des relations prédéfinies de se manifester asynchroniquement. Avec l’intégration croissante de réseaux de télécommunication et de contrôles digitaux dans des véhicules et des réseaux de transports, des systèmes de fourniture électriques, des systèmes de conduites d’eau, de gaz et des oléoducs, des systèmes de contrôle des barrages et des torrents, des systèmes d’air conditionné et des systèmes de commerce global, les bits contrôlent aujourd’hui l’approvisionnement de simplement tout ce qui est essentiel pour nous. Des accumulations et torrents de bits sont en train de tisser une toile toujours plus dense de connexions complexes et inéluctables à travers l’espace et le temps. Et ce n’est que le début ; la courbe de développement technologique s’élance avec vigueur dans la partie raide.

10Mais il y a de mauvais et de bons bits. Des zéros peuvent être mal intentionnés et certains peuvent servir d’armes aussi efficaces que des balles. Dans un monde de réseaux et un monde connecté électroniquement, il n’y a pas de distinction fondamentale entre les adresses et les cibles. Mon adresse postale conventionnelle fait de moi une cible potentielle pour toutes sortes de prospectus, de spores d’anthrax et de lettres piégées, simplement dispersées depuis n’importe où. De même, mon adresse électronique attire des virus, des vers et des spams d’origine encore moins déterminée. Les coordonnées propagées par mon appareil sans fil invite à l’espionnage électronique et à la surveillance. La technologie qui guide aussi précisément ma voiture vers un endroit urbain spécifique peut tout aussi bien guider un missile ou une bombe intelligente. Et de plus en plus, les conteneurs qui vont à toute allure à travers les liens que nous avons construits avec autant de soin – des paquets sur Internet aux conteneurs de cargo de transport et aux cabines des jets – ne sont pas seulement sujets à un piratage physique, ils peuvent aussi être piratés, militarisés, reconstruits, reprogrammés, recombinés, redirigés et retournés contre nous de manière électronique.

11Dans les pages suivantes [6], j’examinerai les implications entremêlées des liens sans fil, l’échelle planétaire, la connexion omniprésente, la miniaturisation et la portabilité, les bits rendus mobiles et les systèmes associés et des exercices pour notre corps, nos vêtements, notre architecture, nos villes, nos modèles et systèmes de mouvement et notre utilisation de l’espace et du temps. En particulier, je considérerai une conséquence cruciale de ces transformations technologiques : le changement d’un monde structuré par des limites et des enceintes vers un monde de plus en plus dominé à tous niveaux par les connexions, les réseaux et les circulations. Il s’agit d’un monde de relations moins rigides, plus fluides et flexibles – entre la connaissance et l’action, entre la forme et le matériau et entre les gens et les lieux. Il s’agit d’un monde qui nous demande de repenser nos approches établies de l’image et de la construction de notre environnement de vie et de travail, et qui nous demande de reconsidérer les fondations éthiques de nos motifs, de nos installations et de notre pratique de la planification.

12Mon analyse ne donne la priorité ni à la logique autonome du développement technique, ni au désir, ni au pouvoir. Au contraire, je prétends que nous façonnons nos technologies et ensuite nos technologies nous façonnent, en un cycle permanent qui forme notre environnement physique et social quotidien. Je n’écris pas de la perspective d’un futuriste technologique qui tente de prédire ces cycles, ni de la perspective d’un scientifique social empirique qui les observe avec attention se dérouler, mais de la perspective d’un designer engagé dont le travail est de réfléchir, d’imaginer et d’inventer.

1 Des bipèdes sans fil [7]

13Alors que mes réseaux s’étendent à jamais, mes circonscriptions se multiplient et se développent comme des ondulations sur un étang. Mon moi cyborg est structuré – comme Linux – comme un système de coquilles nichées les unes sur les autres, avec des connexions articulées et contrôlées avec soin à chaque niveau. Sous mon épiderme, il y a un noyau de carbone bien ficelé, principalement fonctionnel grâce au code génétique et mon système nerveux central, mais peut-être augmenté par des implants. Ensuite, il y a une couche de vêtements, de cuir, de plastique, un peu de métal et un nombre croissant de petites machines et d’appareils électroniques miniatures ; pour fonctionner en tant que système coordonné, ces composants doivent travailler en réseau au travers de mon corps ou de mes habits. Quand je voyage dans un véhicule, il y a une couche supplémentaire, principalement du métal, qui comprend ses propres appareils électroniques, ses propres codes structurels et une interconnectivité toujours plus sophistiqués. Les couches architecturales (qui, bien sûr, étaient l’idée de machine à habiter de Le Corbusier) sont généralement composées de matériaux lourds en même temps que de machines fixes et de réseaux de tuyaux, canalisations et fils. Finalement, les couches régionales et planétaires sont formées d’infrastructures à large échelle et à longues distances et de réseaux dispersés géographiquement.

La migration des fonctions

14Les fonctions ainsi que les organes artificiels qui les fournissent pourraient peut-être migrer en avant et en arrière de ces couches selon les circonstances. Considérer la protection et le contrôle du climat par exemple. Si je dois continuer à avoir assez chaud, je peux mettre un pull et compter sur ma chaleur corporelle, ou je peux isoler les murs de ma maison et introduire un système de chauffage mécanique. Dans les années 1960, Rayner Banham et François Dallegret ont mis en scène ce point dans un projet connu ; leur dessin les montrait assis, nus, dans une bulle de plastique transparent qui était gonflée grâce à un appareil à air conditionné au centre. Buckminster Fuller est allé plus loin et a proposé un dôme transparent géant avec contrôle du climat qui recouvrirait tout Manhattan, enfin, Marshall McLuhan a même suggéré avec arrogance que « des thermostats planétaires pourraient remplacer ces extensions de la peau et du corps que nous appelons maisons [8] » .

15Pour me protéger de la pluie, je peux utiliser un parapluie portable ou un toit permanent. Si j’ai peur qu’on me tire dessus, je peux mettre un gilet pare-balles à l’intérieur de ma veste ou sur les fenêtres de ma voiture, ou je peux poster des gardes qui fouilleraient les gens à l’entrée. Lorsque je conduis une automobile, je dépends de l’airbag placé dans le tableau de bord, mais, sur une moto, cela ne fonctionne pas et ainsi l’airbag n’est formé que par mes vêtements protecteurs. Si je participe à une manifestation dans la rue, je peux construire une barricade ou marcher derrière un bouclier mobile. Si je suis astronaute, je peux avoir mes systèmes de ravitaillement dans une combinaison spatiale près du corps, ou dans l’infrastructure d’une station spatiale.

16Les points de contrôle peuvent aussi changer. Au temps des contrôles mécaniques simples comme les boutons de portes et les volants à direction assistée, il y avait un lien direct de l’appareil de contrôle vers le mécanisme contrôlé et cela limitait strictement la liberté spatiale. Mais le télégraphe a introduit la possibilité du contrôle à distance ; le mouvement de la clé de transmission induisait un mouvement correspondant dans l’appareil de réception. Aujourd’hui, si je veux activer un appareil, je peux trouver l’interrupteur sur le mur, sur l’appareil lui-même (comme avec les lampes de bureau et les téléviseurs) ou sur une commande à distance. Et comme de plus en plus d’appareils ont des connexions à un réseau et des adresses IP, tout peut potentiellement être contrôlé depuis à peu près n’importe où.

17De manière moins logique, la mémorisation et les processeurs peuvent aussi migrer. Mon fournisseur de puissance électrique pourrait venir d’une pile de la taille d’un bouton ou d’un tout petit générateur à l’intérieur de ma chaussure, d’une plus grande pile ou générateur dans ma voiture, de générateurs à cellules photovoltaïques ou à combustible dans l’immeuble que j’occupe ou d’une grille électrique étendue sur une vaste région géographique et incluant plusieurs usines à haute puissance. La lumière dont j’ai besoin pour trouver mon chemin peut venir d’une installation au plafond ou d’un casque de mineur. Si je suis un plongeur ou un homme de l’espace, mon oxygène est stocké localement et circule à travers une tuyauterie que je peux porter. Si je suis un automobiliste ou le passager d’un avion, je compte sur le système d’air conditionné qui se trouve à bord et si j’habite un immeuble, je dépends de la circulation de l’air naturel grâce aux ouvertures, de l’appareil à air conditionné d’une pièce ou d’un système central de gestion des canalisations d’air.

18Pour me fournir en informations et en puissance de traitement, je peux avoir accès à une mémoire digitale et à une capacité de traitement par un appareil portable, je peux obtenir ce dont j’ai besoin grâce à un ordinateur personnel ou un serveur de réseau local ou je peux télécharger d’un serveur à distance sur une connexion d’appoint [9]. Je peux l’attraper directement d’un point d’alimentation ou je peux le stocker dans la mémoire cache en différents lieux de stockage intermédiaires pour un accès plus rapide.

19Même les fonctions des sens peuvent changer. La température d’une pièce dans laquelle j’habite peut être régulée par un détecteur sur le mur ou par les détecteurs de mon corps. Si je veux un système de contrôle de ma santé afin de savoir si je vais m’évanouir, je pourrais installer des détecteurs de mouvements dans les murs ou des accéléromètres sur mon corps. Lors des premiers essais de création d’environnements intelligents, de multiples détecteurs étaient connectés à un seul ordinateur central qui traitait les entrées et répondait ; maintenant, il semble plus efficace de distribuer le pouvoir de traitement aux détecteurs eux-mêmes et d’exécuter localement des tâches à bas niveau d’interprétation.

20Il y a dans tout cela (comme dans de nombreuses migrations) une forte dimension sociopolitique. Si on contrôle la température en mettant ou enlevant des couches d’habits, on privilégie le choix individuel autonome, mais si on se lance dans la bulle en plastique de Banham, on fabrique une situation où les habitants nus doivent négocier les uns avec les autres pour décider de la température. Fuller n’a probablement pas considéré le fait que le temps à l’intérieur de son dôme sur Manhattan deviendrait une affaire aux mains des politiciens de la municipalité de New York.

Échelle et portée

21Une affaire d’échelle. Les sous-systèmes qui évoluent indépendamment dans nos corps biologiques sont de tailles variables et ces tailles déterminent la situation potentielle du stockage et du traitement – en couches intérieures intermédiaires ou en couches extérieures. Il y a quelque part une distinction entre des sous-réseaux mobiles associés à notre corps et les infrastructures de réseaux fixes de l’entourage.

22Les aborigènes nomades du désert australien représentent un extrême. Pour eux, presque tout se trouve dans les couches périphériques – l’infrastructure naturelle. Ils portent peu de choses sur eux, ne mettent presque pas d’habits ; cela allège et libère le corps, mais demande une connaissance extraordinaire de l’habitat et une capacité très développée à localiser et exploiter l’eau, la nourriture, l’abri et les autres ressources qu’il offre. Les explorateurs européens du dixneuvième siècle – équipés de chameaux chargés de provisions – n’avaient pas cette capacité et souvent, ils périssaient [10].

23Les randonneurs portent plus sur eux que les aborigènes nomades, mais ils s’imposent des limites. Ils calibrent avec soin la capacité de stockage qui leur fournira une capacité de survie suffisante entre les différentes escales. Plus ils emportent de choses, plus ils peuvent aller loin, mais ils le paient par des efforts supplémentaires et une diminution de leur agilité [11].

24Des chevaux avec des sacoches permettent aussi d’aller plus loin, mais leur flexibilité en est aussi grandement diminuée ; il y a plus d’endroits où ils n’ont pas accès. Des chaises roulantes pour les malades et les personnes âgées réduisent plus encore la liberté de mouvement, mais fournissent de la place pour des mécanismes sophistiqués et des appareils électroniques, des supports médicaux et même un goutte-à-goutte pour une intraveineuse.

25Le transport mécanique qui donne la possibilité de déplacer de plus grosses quantités de choses change l’équilibre encore plus. Comparée à un cheval, une voiture peut accueillir une plus grande capacité de stockage et de traitement dans ses couches internes afin de créer une zone d’indépendance plus large et plus lourde par rapport aux ressources et aux conditions qui l’entourent. Cela est poussé à l’extrême dans les véhicules tous-terrains qui contiennent des portes tasses, des limousines qui ont des bars, des autos-caravanes qui ont une cuisine, une salle de bains et des immigrants du désert de poussière en route pour la Californie à bord de leur vieille voiture branlante, cabossée et surchargée. Un avion moderne est un restaurant volant ainsi qu’un cinéma, un vaisseau spatial avec un équipage à son bord a approximativement la taille d’une maison et transporte tout ce dont il a besoin dans les plus hostiles territoires imaginables. Un porte-avions est un système indépendant qui se déplace lentement et qui a la taille et la complexité d’une ville. Ron Herron créa joyeusement des images de villes en marche pour épater les gens dans les années 1960.

26À l’extrême, nous trouvons les véhicules indépendants – de l’Arche de Noé au vaisseau Entreprise dans Star Trek – qui doivent œuvrer pour de longues périodes dans des lieux où ils ne peuvent compter sur aucune infrastructure. Les bateaux des explorateurs maritimes comme James Cook ont fait face à cette situation ; le petit vaisseau de Cook devait transporter des provisions pour des mois en mer ainsi que des antidotes contre le scorbut. Les sous-marins modernes sont dessinés pour être opérationnels pendant des périodes similaires loin de leur base. Le vaisseau spatial pour les missions sur Mars aura besoin de systèmes de survie durables, indépendants et qui se recyclent – dessinés en un compromis particulièrement soigné de volume et poids contre capacité et portée.

Les options de localisation

27Étant donné une taille et une granularité particulières des parties des systèmes cyborg mobiles, les décisions des designers concernant l’emplacement des sites de stockage et de traitement – dans les couches internes ou externes, dans l’infrastructure fixe des réseaux ou dans les sous-réseaux indépendamment mobiles – répondent à plusieurs facteurs. Les designers doivent prendre en considération l’intensité, l’urgence et la prévisibilité des besoins, du volume et du poids des conteneurs de stockage, de la vitesse et de la capacité du réseau, la continuité ou la discontinuité de la connexion au réseau, la fréquence des lieux de reconnexion et de réapprovisionnement, la quantité et la périssabilité des ressources livrées, des exigences par rapport à la sécurité et la facilité de duplication. Il se peut qu’il soit nécessaire de rechercher un optimum sur la taille et les bénéfices, en plaçant ces sites où il y a beaucoup d’espace. Il est possible aussi qu’il y ait un agenda politique – un désir d’accroître l’autonomie individuelle en situant les ressources et les fonctions dans des couches internes, gérées personnellement, ou inversement, un désir de consolider la communauté en les déplaçant vers des couches externes, gérées collectivement.

28L’eau par exemple est lourde et volumineuse, et nous n’en avons en général pas besoin instantanément, c’est pourquoi (mis à part les jeunes joggeurs modernes et les souris de fitness) nous transportons seulement des bouteilles d’eau lorsqu’il n’y a pas d’autre possibilité. Par contre, nous organisons des systèmes étendus de réservoirs et l’eau est distribuée de manière dense dans les immeubles et les environnements urbains [12]. Dans de nombreuses cultures, l’activité de construction, de gestion et de manutention de ces systèmes a été une visée cruciale de l’activité politique et un moment critique pour la cohésion sociale.

29La puissance électrique, d’un autre côté, est aujourd’hui nécessaire dans sa continuité pour faire fonctionner des appareils électroniques portables. Ainsi, nous sommes nombreux à transporter sur nous plusieurs piles miniatures. C’est très bien si nous n’avons besoin que de milliwatts ou de watts pour un appareil peu puissant, mais si nous avons besoin de kilowatts ou de mégawatts pour une grande machine, nous sommes probablement obligés d’utiliser une très grande pile, un générateur volumineux ou un fil.

30L’information digitale stockée est encore différente ; la facilité de duplication permet de garder des copies à portée de main des dossiers quand la vitesse du réseau est limitée. Mais lorsqu’il s’agit d’une variété rapidement périmée et lorsque cela peut être transféré presque instantanément grâce à des canaux à haut débit, il est plus sensé de la garder sur le serveur central et de l’envoyer sur demande là où elle est nécessaire. Ou de même que les systèmes de livraisons comme l’ont démontré ceux qui ont été mis en place par Akamai, cela peut être efficace de dupliquer et de stocker un contenu dans de nombreux serveurs caches près de l’utilisateur final et d’utiliser un logiciel d’optimisation sophistiqué pour déterminer la trajectoire de livraison la plus rapide lorsque les demandes sont reçues d’endroits particuliers [13].

31Si les objets dont nous avons besoin fréquemment sont trop encombrants pour le transport, nous pouvons parfois compter sur des grilles fixes de points d’accès. Ces cabines de téléphones publiques étaient les particularités visibles de plusieurs villes à l’aube de l’époque du téléphone cellulaire ; on pouvait en trouver une rapidement dès qu’on avait besoin de téléphoner. Aujourd’hui, nous comptons de plus en plus sur des systèmes privés et portables et ces points d’accès publics ont grandement diminué en importance. Inversement, beaucoup d’étudiants dans les campus universitaires préfèrent aller contrôler leurs e-mails à des points d’accès publics plutôt que de transporter sur eux des ordinateurs sans fil volumineux.

32En général, si on fabrique des cabines mobiles plus grandes, on peut transporter plus de choses et mobiliser plus de fonctions ; on peut emporter plus de fonctionnalités dans un véhicule tous-terrains que dans une voiture à deux places et encore plus dans un mobile home. Mais l’effet le plus frappant du récent développement technologique a été de changer la ligne séparatrice entre des cabines stationnaires très fonctionnelles (architecture) et des « boîtes » mobiles moins fonctionnelles – ce sont les véhicules, les appareils portables et implants. La miniaturisation (en particulier des appareils électroniques) permet aux designers de concentrer plus de fonctionnalités dans de petits emballages et l’extension des réseaux réduit les distances entre les points de ravitaillement. Les designers d’armes ont été parmi les premiers à réaliser cela. Les premiers efforts de miniaturisation de l’électronique étaient motivés par le désir de remplacer le pilote humain par des systèmes de direction de missiles pour une destruction à longue portée. Au début des années 1970, « l’Archigram » de David Greene et Mike Barnard a vu où la miniaturisation allait être primordiale ; ils ont imaginé l’« aborigène électrique » , ont spéculé sur « l’influence possible de matériaux électriques miniaturisés sur les modes de vie » et ont proclamé – légèrement en avance sur leur temps – que « les gens deviendraient architecture ambulante [14] » .

33Cet effet est sérieusement évident avec des cœurs artificiels et d’autres organes. Les appareils volumineux à côté du lit qui obligeaient leurs utilisateurs à rester bien attachés à leur architecture fixe dans des lieux fixes se sont transformés en sacs à dos et harnais portés en bandoulière et sont devenus, dans quelques cas, assez petits pour être implantés. Petit à petit, le corps des patients précédemment attachés et immobilisés a été libéré.

Le chaînon manquant

34Récemment encore, cependant, il existait un important chaînon manquant. Les connexions entre les couches du réseau fonctionnaient raisonnablement bien de l’échelle planétaire jusqu’aux murs, mais il y avait un trou. La connexion temporairement interrompue de notre corps lorsqu’il se levait et se déplaçait.

35Des appareils de stockage provisoire – des bouteilles d’eau, des piles rechargeables et des pots de chambre – peuvent étendre la portée de notre corps d’un point de réseau fixe. (Cela fonctionne, mais il y a la contrainte de la capacité de transport et de la date d’expiration.) Des tuyaux et des fils flexibles permettent la même chose. Un tuyau d’arrosage nous permet de rester connecté au système de ravitaillement en eau alors que nous marchons dans notre jardin et un cordon électrique nous permet de rester connecté à la grille de l’électricité pendant que nous passons l’aspirateur. Plus dramatiquement, les plongeurs dépendent de leur tuyau d’air. Mais on ne peut pas rester attaché à un tuyau lorsqu’on marche dans la rue, conduit une voiture ou pilote un avion. Et l’on ne peut pas relier avec des fils les satellites à la station de base. Dans ces situations, on doit compter sur des connexions sans fil.

36La possibilité est tout d’abord apparue au milieu du dix-neuvième siècle lorsque James Clerk Maxwell a établi une théorie sur l’existence de perturbations électromagnétiques qui pourraient avoir servi un tel but [15]. En 1888, Heinrich Hertz a employé expérimentalement des étincelles pour produire des ondes de radio et au début des années 1990, William Crookes – dans un morceau classique de futurologie – a pu spéculer dans la Fortnightly Review sur un monde de communications sans fil [16]. Au tournant du siècle, grâce au travail de pionniers de Guglielmo Marconi et d’autres, le télégraphe est finalement devenu le télégraphe sans fil. Les bateaux en mer allaient bientôt maintenir un contact télégraphique continu avec les stations de la côte et vers les années 1920, les voitures de police et les taxis ont obtenu des téléphones radio primitifs pour la communication vocale.

37Dans le milieu des années 1940, Bell Labs a développé l’idée de distribuer des transmetteurs à faible puissance sur de larges étendues et de transmettre les appels pour fournir un service mobile continu à un grand nombre d’utilisateurs. C’était le début du téléphone cellulaire, mais les systèmes cellulaires commerciaux n’ont pas été mis sur le marché avant la fin des années 1970. Depuis, la croissance des systèmes cellulaires a été explosive ; en 1990, il y avait presque onze millions d’utilisateurs de cellulaires sur toute la planète, en 1995, le nombre par année de nouveaux abonnés à un téléphone portable commençait à excéder le nombre de nouveaux abonnés à un téléphone fixe et au début des années 2000, le nombre d’utilisateurs a grimpé jusqu’aux milliards [17].

38Les premiers systèmes cellulaires employaient des signaux analogues et étaient prévus avant tout pour permettre une communication vocale ; au début des années 2000, les systèmes sont devenus digitaux et leur utilisation s’est étendue de la connexion d’individu à individu au traitement entre données éclatées. Cela a engendré un intérêt pour les systèmes sans fil à large bande qui peuvent transmettre des données non pas seulement à la vitesse de kilobits par seconde, mais à celle de mégabits ou même de centaines de mégabits – comme l’exigent, par exemple, les multimédia sophistiqués [18]. En fin de compte, les différences entre les systèmes sans fil vocaux et de données ont commencé – de manière embrouillée et hésitante – à disparaître [19]. Nous sommes entrés dans un monde de services de téléphones cellulaires GSM et de 3e génération (G3), de réseaux locaux (l’internet sans fil) IEEE 802.11a et 802.11b [20], de réseaux Bluetooth [21], pour remplacer les câbles séries et les câbles USB qui ont connecté des appareils électroniques contigus et des réseaux à grande vitesse UWB [22]. Dans les laboratoires de recherche, de nombreuses autres alternatives ont été explorées. Il n’y avait pas de réseau sans fil et les standards entraient en compétition et en conflit, mais, l’interconnectivité sans fil planétaire semble aujourd’hui parfaitement à notre portée.

Les limites de la frontière hertzienne repoussées

39Des micro-ordinateurs sans fil séparés les uns des autres par quelques centimètres aux satellites géostationnaires situés à des dizaines de milliers de kilomètres dans l’espace, le monde sans fil tisse autour de lui un cocon d’antennes, de points d’accès au réseau, de relais, de canaux de communication de plus en plus dense, multicouche. On intègre de plus en plus des canaux de communication physiques de différents types, depuis les standards et protocoles de télécommunication à des systèmes d’une complexité déconcertante, vastes et intégrés. Chaque point de la surface de la terre constitue à l’heure actuelle une part du paysage hertzien – comme étant le résultat de transmissions innombrables et de leurs propres réflexions et obstructions. Le terrain électromagnétique que nous avons construit, et que nous continuons à élaborer, consiste en des points chauds ou des points morts, des régions exposées et des régions protégées, des portables qui passent et d’autres surchargés, qui sonnent occupés, des signaux encodés de façons très diverses, des signaux qui interfèrent les uns avec les autres, des signaux habilement multiplexés de telle manière qu’ils n’interfèrent pas entre eux, des zones encombrées et des cages de Faraday, et les bourdonnements et grésillements incessants des ondes électromagnétiques. C’est un paysage intriqué, invisible – un paysage que la présence d’antennes laisse deviner (parfois, aussi, ce sont des symboles indicateurs de réseaux sans fil crayonnés dans la rue pour indiquer les points chauds [23]), et qui est mis en évidence par ceux qui roulent et se promènent dans la rue avec un ordinateur portable sans fil à la recherche de réseaux sans fil.

40Ce paysage forme une économie politique et géopolitique, complexe, relative à la zone de couverture sans fil. Au sein de cette économie, à tous les niveaux, il y a compétition : pour l’accès aux communautés, pour les sites d’antennes, pour le partage du temps de connexion, pour la capacité des canaux [24]. Tout comme les royaumes et les empires dans l’ancien temps luttaient pour le contrôle d’un territoire terrestre, ceux qui cherchent le pouvoir aujourd’hui se battent de plus en plus pour le contrôle des ondes aériennes.

41Une stratégie géopolitique, tirant ses fondements des anciennes traditions des communications téléphoniques et radiophoniques, est de traiter le spectre comme la frontière d’un pays. Les gouvernements le découpent en petits morceaux et le vendent – comme lors des enchères de spectre, dans de nombreuses parties du monde, qui précédèrent l’introduction du service de téléphone portable G3. Cela facilite une organisation globale, centralisée. En tout cas, cela concentre la responsabilité de fournir une couverture dans les mains de quelques détenteurs de licences, et encourage le développement de réseaux centralisés dans lesquels tout doit passer par quelques gros routeurs. Cela signifie que ces routeurs vont être de plus en plus surchargés à mesure que le nombre d’utilisateurs augmente. Et cela ralentit souvent l’introduction de nouveaux prestataires de services, car les enchères de spectres obligent les détenteurs de licences à s’endetter fortement.

42Une stratégie de compétition, qui tire son expérience d’Internet, consiste à considérer un spectre comme une ressource partagée, comme les anciens communaux de village, ou comme le terrain mis à disposition d’une communauté de squatters. Chacun peut l’utiliser, aussi longtemps qu’il respecte quelques règles. Cela dépend de la disponibilité du spectre sans licence, de l’usage de technologies sans fil de courte portée ou multi-pas, telles que les systèmes 802.11. C’est plus désordonné, et accroît les contraintes de sécurité, et l’on risque de voir le système surexploité par un petit nombre au dépens du plus grand, cependant, cela présente certains avantages non négligeables. Cela permet la construction décentralisée, et l’interconnexion de réseaux – un peu comme l’association du packet-switching, avec les protocoles de communication TCP/IP, qui permit la formation fulgurante d’un réseau mondial. Et cela permet une structure de réseau avec des anneaux en surnombre, décentralisée –, ce qui signifie que la capacité du réseau peut être accrue par l’ajout de canaux alternatifs, sans risquer de saturer le cœur central de la structure.

43À l’extrême, le déploiement d’une infrastructure sans fil peut devenir un processus viral incontrôlable. Avec des nœuds de connexion sans fil bon marché, et un réseau sans fil standard banal tel que le 802.11, des particuliers peuvent ajouter des nœuds de connexion à volonté. Avec la technologie multi-pas, un mobile ou des nœuds de connexion sans fil ad hoc peuvent spontanément former des chaînes consolidant l’infrastructure. Et les externalisations manifestes des réseaux accélèrent vivement le développement du processus ; chaque nœud de connexion ajouté à un réseau accroît l’utilité des nœuds existants.

44On peut faire un parallèle entre tout cela et les stratégies de développement de l’immobilier. Vous pouvez procéder aux moyens de concessions de terrain ou d’enchères et de communautés d’intérêt superstructurées, ou bien en instaurant une structure générale et en encourageant au sein de cette structure de nombreux développements moins importants, initiés et contrôlés de façon indépendante. Le plus souvent, en pratique, le type de communauté urbaine émerge d’une complexe combinaison des deux, et il semble que ce soit aussi l’avenir du paysage hertzien.

Nomadisme électronique

45Petit à petit, émergeant du développement désordonné mais irrésistible de la zone de couverture des réseaux sans fil, se développa la possibilité d’une forme électronique de nomadicité radicalement repensée, reconstruite – une forme qui n’est pas seulement issue des dispositions naturelles d’un terrain, mais une infrastructure sans fil sophistiquée, bien intégrée, combinée à d’autres réseaux, et déployée à une large échelle.

46Léonard Kleinrock (l’un des pionniers du réseau Internet) a défini cette infrastructure comme « le système support nécessaire pour fournir un assortiment riche en possibilités de calcul, de communication et de services aux nomades se déplaçant d’un endroit à l’autre de manière transparente, intégrée, pratique et adaptative [25] » . Cela nécessite, comme le note Kleinrock, « indépendance de lieu, de mouvement, de plate-forme de calcul, de moyen de communication, de bande passante de transmissions, avec une disponibilité générale des points d’accès permettant de séparer les fichiers, les systèmes et les services » . Les défis techniques mis en œuvre pour aboutir à cela sont significatifs, et aboutiront de plus en plus ; ce faisant, les implications sociales et culturelles de la nomadicité électronique deviendront de plus en plus évidentes [26].

47D’autres types de réseaux – les transports, l’énergie, l’eau, l’évacuation des eaux usées – ne peuvent pas fonctionner sans fil (sans canalisation), bien sûr. Mais en fournissant des moyens efficaces de recherche et de localisation, le réseau de connexions sans fil relie nos corps articulés de manière bien plus efficace à ces réseaux d’accès aux ressources plus traditionnelles. Si vous cherchez un moyen de transport, par exemple, vous pouvez appeler un taxi ou une ambulance à partir de votre téléphone portable. Si vous voulez savoir quand le prochain bus doit passer, vous pouvez consulter le panneau d’affichage de l’arrêt de bus capable de pister à distance les véhicules en service. Si vous voulez trouver la place de parking libre la plus proche, un distributeur d’eau, des toilettes publiques ouvertes et propres, vous pourrez de plus en plus le faire à partir de vos appareils portables sans fil. Si vous découvrez un restaurant avec un plat formidable au menu du jour, vous pouvez appeler tous vos amis. De cette façon, les systèmes sans fil réduisent le temps de recherche et d’hésitation, et minimisent le temps nécessaire pour obtenir ce dont vous avez besoin.

48De plus, les interconnexions sans fil mobilisent les choses aussi bien que les personnes. Dans les réseaux câblés, des objets tels que des téléphones ou des ordinateurs de bureau doivent être physiquement branchés pour fonctionner ; ils ont des emplacements déterminés de manière relativement fixe et stable. Mais, dans des systèmes interconnectés sans fil, les composants ont simplement besoin d’être alignés à l’intérieur du boîtier. Si vous ajoutez la possibilité de miniaturiser et de s’auto-configurer à l’interconnexion sans fil (en collant simplement un composant à n’importe quel endroit pour qu’il fonctionne), les systèmes en réseau deviennent fluides et sans forme [27]. Ils s’apparentent moins à des objets rigides sur des tableaux ou dans des boîtes, moins à des immeubles ou des villes, et plus à des camps de nomades – prêts à se mettre en mouvement et se reconfigurer, à tout moment, en fonction des besoins exprimés.

49L’effet répété de ces transformations est profond, et le deviendra encore plus à mesure que la technologie sans fil continue de se développer et de proliférer [28]. Les connexions sans fil d’une infrastructure fixe, les appareils électroniques portables et transportables, et les appareils sans fil miniaturisés, complètent aujourd’hui le long projet relatif à l’intégration sans lien physique de nos corps biologiques articulés avec les systèmes étendus de nœuds de connexion et de liaisons. En conséquence, les fonctions qui étaient auparavant remplies par une architecture, du mobilier, et des agencements fixes, sont maintenant relayées par des outils implantés, portables et transportables. Et les activités qui dépendaient auparavant de la forte proximité des sites de stockage – de l’eau, de la nourriture, des matières premières, des chambres fortes, des bibliothèques, ou des fichiers de renseignements commerciaux – se reposent désormais de plus en plus pour leurs réseaux de distribution à grande échelle géographique sur un réseau de connexions mobiles.

50Dans un monde électronique nomade, je suis devenu un terminal à deux jambes, une adresse IP ambulante, peut-être même un routeur sans fil dans un réseau mobile dédié. Je m’inscris non pas dans un simple cercle Vitruvien mais dans des ondes électromagnétiques.

Les règles d’accès

51Cette nouvelle forme de nomadisme est, bien sûr, très différente de celle des anciens groupes de chasseurs, qui étaient contraints par la répartition éparse de la nourriture, de l’eau et des autres ressources, de se déplacer sur de larges étendues. Pour eux, la mobilité était une nécessité, mais aussi une contrainte de développement. Ils étaient limités par ce qu’ils pouvaient transporter avec eux. La possibilité réelle d’un développement économique plus large reposait sur la sédentarisation, l’accumulation et la protection des surplus alimentaires ; en conséquence, l’aptitude à pouvoir maintenir les efforts d’activités non alimentaires sur les sites d’accumulation a permis une spécialisation de cellules de travail dans des villes à forte densité [29]. Aujourd’hui, des réseaux de grande échelle assistent les cellules de travail et de spécialisation à une échelle mondiale plutôt qu’à une échelle purement urbaine, la possibilité de se spécialiser dans la gestion des problèmes de rupture de production alimentaire dépend de l’accès au réseau, et cet accès est possible – de plus en plus – en tout point, et de manière continue. Vous pouvez en tirer tous les avantages de la mobilité – aller à la rencontre d’horizons plus larges tant intellectuels que culturels, avoir des opportunités pour faire des affaires à travers le monde entier, dénicher des talents uniques et des ressources, collaborer avec des spécialistes quelles que soient leurs positions géographiques, être stimulé par la diversité – à des coûts inférieurs aux coûts traditionnels.

52Dans ces conditions de post-sédentarisation, les capacités et privilèges d’accès sont plus importants que dans les formes traditionnelles de droit de propriété et de contrôle de la propriété [30]. Si vous êtes suffisamment en bonne santé et doué de prérogatives, par exemple, aujourd’hui vous pouvez voyager vraiment léger – avec une carte de crédit et un passeport, un équipement électronique portable, un sac de voyage ; vous pouvez tirer beaucoup d’avantages des infrastructures contemporaines en réseau hautement développées pour accéder à tout ce que vous voulez, tout ce dont vous avez besoin. Si vous travaillez dans quelque domaine des sciences, une bibliothèque personnelle entassée dans votre bureau sera bien moins utile qu’un accès souple à un réseau et l’acquisition des droits de propriété intellectuelle sur des sites d’informations en ligne.

53La meilleure façon de mettre en place des prérogatives d’accès est de produire un objet physique que vous pouvez transporter dans votre poche, comme un talisman, un passeport, une clé en métal, une carte en plastique, ainsi un système de garde-barrière peut contrôler vos droits d’accès. Avec un système informatique, vous produisez des codes mémorisés – un mot de passe ou un code confidentiel – en le dactylographiant de manière explicite ou en trichant. Désormais, il vous suffit de vous équiper vous-même d’un transcodeur (télépéage, NdT) sans fil qui instantanément, automatiquement, et discrètement fournit les codes d’entrée quand il est interrogé par un appareil garde-barrière électronique. Ainsi, les automobiles équipées de transcodeurs EZ-Pass peuvent accéder aux autoroutes payantes sans faire la queue aux péages, et accéder aux pompes à essence comme EXXON Mobil’s Speedpass, qui s’appuient sur une technologie RFID similaire (fréquence radio d’identification). Avec toujours plus de miniaturisation, les appareils RFID se réduisent à des étiquettes suffisamment petites pour être fixées à des chaînes de clés, pour être cousues dans des vêtements, et même être implantées sous la peau ; les nomades sans fil peuvent parvenir à s’autoidentifier en continu et automatiquement [31]. Vous n’avez même pas à vous arrêter pour vous identifier, des appareils électroniques peuvent capter les codes RFID au travers de votre corps ou de votre véhicule au moment où vous passez. D’un point de vue du service aux consommateurs, des capacités et des prérogatives d’accès omniprésentes vous assurent l’obtention de ce que vous voulez, quand vous voulez, où vous voulez. Selon les prévisions des analystes du marché, ce même état de connections fournit des opportunités (se heurtant à toutes les contraintes de vie privée possibles) de suivre en continu votre comportement, en tirer des inférences, et anticiper vos besoins. (En route pour acheter un hamburger, et automatiquement vous en trouvez sur votre chemin.) Quel que soit le moment ou l’endroit où vous faites usage de vos prérogatives d’accès, vos actes sont supposés être enregistrés dans une base de données mondialement centralisée, et par la suite utilisés comme base pour définir vos possibilités de crédit, comme tendances vraisemblables de votre consommation future, comme stratégies marketing ciblées.

54En d’autres termes, le monde post-sédentaire représente l’abstraction et la mobilisation ultimes des capacités d’échange – et au-delà, de richesse et de pouvoir [32]. Dans des économies d’échange simples, la richesse ne vous sert à rien, à moins que vous n’ayez accumulé vos biens à proximité, et puissiez échanger ces biens contre d’autres que vous pourriez vouloir. On créa des pièces et des chèques pour avoir des monnaies d’échange plus abstraites et liquides, et soutenir le développement de systèmes d’échanges commerciaux plus complexes et géographiquement plus étendus. Les réseaux de télécommunications électroniques poussent l’abstraction et la mobilisation encore plus loin – permettant aux richesses d’être disponibles aux guichets de la Western Union, aux distributeurs ATM, ou aux terminaux de distribution d’argent pour cartes de crédit sur les points de vente. Désormais, négociables à l’échelle mondiale, les monnaies d’échange électroniques (qui peuvent être complexes, ayant des niveaux d’abstraction diverses comme les hypothèques, les options, et leurs dérivés aussi bien que les équivalents des retraits d’argent instantanés) peuvent circuler sans fil et servir partout où il y a un terminal mobile de réception.

55Réciproquement, un espace post-sédentaire redéfinit aussi les conditions dans lesquelles on se trouve sans abris – situation dans laquelle on n’a pas sa place, où l’on est marginalisé dans une société sédentaire. Désormais, ce n’est pas essentiellement la situation où l’on n’a pas de domicile fixe. C’est le cas de celui qui n’a pas de prérogatives d’accès. Si vous ne pouvez vous payer ou obtenir de telles prérogatives, si vous vous retrouvez sur une liste noire, si simplement vous perdez votre carte ou votre équipement, si vous oubliez votre mot de passe, si vous avez une intolérance aux RFID, ou même si vos batteries sont simplement déchargées, vous êtes – comme ces explorateurs coloniaux livrés à eux-mêmes dans le désert australien – entourés par un profusion de choses inaccessibles.

La subjectivité nodulaire

56Pour mon bien ou non, de fait, je ne suis pas seulement un cyborg travaillant sur le net ou spacialement étendu, mais aussi un cyborg post-sédentaire – non pas parce que j’ai été bioniquement reconstruit (à part deux dents remplacées, je continue à utiliser mon équipement d’origine légèrement usagé) mais parce que je suis continuellement connecté, même quand je me déplace [33]. Je suis inséparable de mes réseaux toujours plus étendus et en constante évolution, mais ils ne doivent pas m’assujettir. Non seulement, ces réseaux sont essentiels à ma survie physique, mais ils constituent et structurent aussi mon champ de vision et mon espace de travail – mes possibilités de connaître et d’agir sur le monde. Continuellement et irrémédiablement, ils jouent le rôle de médiateurs pour tout ce qui touche à mon existence sociale, économique et culturelle. Et ils contribuent de manière aussi cruciale à l’acquisition de la connaissance de mes neurones.

57Parfois ces systèmes de flux étendus nécessitent que je dévoile l’identité de mon corps ambulant, mais à d’autres moments, ils amènent une impédance d’identité. Quand je cesse d’uriner, j’ébauche un nœud de réseau indiquant le genre, et de fait, je fais une déclaration de genre. Quand je passe un point de contrôle de sécurité à l’aéroport, ou me sers d’un distributeur ATM, je dois déclarer mon nom et fournir des preuves de mon droit à les utiliser. Si je porte une balise RFID, ou si je me soumets (peut-être sans le savoir) à une vérification biométrique, les marques que mon corps transporte sont observables. Mais, si je porte un masque et des gants, l’identification de ces marques devient difficile. Et sur Internet, comme on peut finalement le remarquer, personne ne sait que je suis ___. Dès lors que mon corps se déploie artificiellement hors de son noyau de chairs, son genre, sa race, et même des indicateurs d’espèce disparaissent [34]. Il peut prendre des noms d’emprunt, des masques, des voiles multiples, parfois contradictoires. Ses agents et avatars dans des contextes particuliers peuvent être ambigus ou trompeurs – comme lorsque je choisis une apparence bien électronique pour me représenter dans un jeu vidéo. Sa réelle localisation peut être indéterminée, et il peut se cacher derrière des schémas cryptés et des serveurs par procuration [35].

58Nous avons besoin de bien plus que de l’extensionnisme de Mc Luhan, et certainement plus que l’effet amplificateur de Dot-com non régénérés, pour donner un sens à tout ça. Ce n’est pas simplement que nos capteurs et acteurs sensoriels dominent plus d’espace, que notre réseau d’interconnexions soit plus large et plus dynamique, ou que nos téléphones portables et nos alphapages soient toujours avec nous ; nous faisons l’expérience d’un virage fondamental dans l’histoire de la subjectivité [36]. Comme Mark Taylor l’a succinctement résumé, « Au sein des cultures de réseau émergentes, la subjectivité est nodulaire… Je suis connecté à des objets et des sujets d’une façon telle que j’existe par eux et au travers d’eux, de même qu’ils existent par moi et à travers moi. »  [37] Je ne dois pas avoir une identité définie, et je ne vis pas non plus comme un individu discret. Mes critères de coordination spatiale et temporelle sont diffus et indéfinis. Les extensions de mon réseau s’entrecroisent et s’entremêlent avec celles des autres.

59Des sages humanistes pourraient clamer avec complaisance que l’étude propre de l’humanité est l’homme. Cette confidence ex-cathedra semble déplacée dans un post-quelque chose, ex-réseau era, « l’humanité » et « l’homme » sont des catégories usées, et l’idée de les « étudier » (dans une étude ?) semble de plus en plus anachronique. Pour les étudiants interconnectés comme moi – élaborant des textes sur nos ordinateurs portables sans fil, écrivant tout en marchant, redéfinissant et multipliant constamment nos sources, davantage géographiques et électroniques, transportant des caméras digitales, surfant sur le Web, navigant au travers des réseaux de citations, de références croisées, et des hyper-liens, lançant des agents et des spiders, fouillant de tous cotés dans la métabase, et prêtant attention à un torrent d’e-mails et de messages instantanés tout en même temps – le cyborg électro-nomade est un sujet d’étude tout à fait d’à-propos [38]. Beaucoup se lamenteront sur la disparition du sujet humaniste libéral (probablement pre-TCP/IP, pre-HTTP, pre-RFID) et de ses pontifes. Les partisans d’Heidegger et autres critiques du modernisme s’indigneront sur le fait que la technologie soit totalisante et sur les qualités prétendument aliénantes de la condition de cyborg sans fil. Les étudiants du genre (gender studies, NdT), de la race et en économie politique nous rappellerons (assez raisonnablement) que nous ne sommes pas tous interconnectés dans les mêmes proportions, de la même façon. Les spécialistes de la défense et de la sécurité s’inquiéteront (de façon assez compréhensive) du potentiel de destruction croissant des crackers et des pirates de l’air. Ceux qui souhaitent juste une vie plus simple choisiront de se déconnecter, et de fuir le réseau dans l’Idaho. Mais pour ce sujet nodulaire particulier du début du vingt-et-unième siècle, la déconnexion serait une amputation. Je suis une partie des réseaux, et les réseaux font partie de moi. Je suis présent dans les répertoires. J’apparais dans Google. Je suis relié, donc je suis.

Notes

  • [1]
    William J. Mitchell est Doyen du MIT School of Architecture and Planning et profes- seur d’architecture, media arts et science. Il vient d’être nommé à la tête du MIT’s Program in Media Arts and Sciences, comprenant le prestigieux MIT – Media Laboratory, http:// loohooloo. mit. edu/ people/ mitchell. html Ce texte est la traduction du prologue ainsi que d’une partie du chapitre 3 de l’ouvrage de William J. Mitchell, Moi ++ The Cyborg Self and the Post-9/11 City, MIT Press, Cambridge, USA, à paraître en septembre 2003. Traduction par concession de l’auteur. Tous droits réservés. Copyright William J. Mitchell.
  • [2]
    Homer, Odyssey, Book V (traduit par Samuel Butler) : He never closed his eyes, but kept them fixed on the Pleiads, on late-setting Bootes, and on the Bear – which men also call the wain, and which turns round and round where it is, facing Orion, and alone never dipping into stream of Oceanus – for Calypso hat told him to keep this to his left. Days seven and ten did he sail over the seas, and on the eighteenth the dim outlines of the mountains on the nearest part of the Phaeacian coast appeared, rising like a shield on the horizon.
  • [3]
    La technologie du télégraphe sans fil s’est installée depuis environ 1896 et Marconi et d’autres ont conduit des expériences toujours plus ambitieuses – y compris la transmission d’un signal bref à travers l’Atlantique de Cornwall à Newfoundland en 1901. Mais ce fut la première démonstration pratique de la capacité à transmettre des télégrammes sans fil sur de très grandes distances.
  • [4]
    The New York Times a utilisé finalement des appels de téléphones portables et des messages email pour constituer une chronique détaillée des dernières heures des deux tours. Voir Jim Dwyer, Eric Lipton, Kevin Flynn, James Glanz et Ford Fessenden, « Fighting to Live as the Towers Died » , The New York Times, dimanche 26 mai 2002, pp. 1 et 20-23.
  • [5]
    En septembre 2002, le comité du Président pour la Critical Infrastructure Protec- tion a dramatisé le point en faisant la remarque : « Un train a déraillé dans un tunnel de Baltimore et Internet a ralenti à Chicago. Un incendie au Nouveau Mexique a endommagé un gazoduc et la production reliée aux IT s’est arrêtée à la Silicon Valley. Un satellite est sorti de son champ de contrôle des centaines de kilomètres au-dessus de la terre et cela a empêché les clients des banques d’utiliser les DABs. » (The Natio- nal Strategy to Secure Cyberspace, Draft, September 2002, www. whitehouse. gov/ pcipb/cyberstrategy-draft.pdf, p. 44).
  • [6]
    L’auteur se réfère a son livre M++ dans sa version intégrale. (N.d.T.)
  • [7]
    Traduction partielle d’une partie du chapitre 3 du Moi ++ The Cyborg Self and the Post-9/11 City.
  • [8]
    Housing : New Look and New Outlook, ibid.
  • [9]
    Peter Henderson, « No Office ? No desk ! No Problem, Sun says » , Reuters, samedi 1er juin 2002.
  • [10]
    L’exemple le plus parlant est celui de Burke et Wills qui décidèrent de traverser l’Australie du nord au sud avec six chameaux et des provisions pour trois mois. (Suite note 10) Ils repoussèrent violemment les aborigènes du désert qui leur offraient de la nourriture et ils moururent de faim et de soif.
  • [11]
    Pour une discussion obsessionnellement détaillée au sujet des compromis impliqués, voir Colin Fletcher et Chip Rawlins, The Complete Walker IV, New York, Knopf, 2002.
  • [12]
    Dans Ulysse, James Joyce a réfléchi à la trajectoire de l’eau jusqu’au robinet de Léopold Bloom : « Est-ce qu’elle coulait ? Oui. Du réservoir de Roundwood dans le comté de Wicklow d’une capacité cubique de 2 400 millions de gallons, en passant au travers d’un aqueduc sous-terrain, de conduites filtres et d’un tuyau double construit d’après un projet financier initial de 5 £ par yard linéaire sur la route de Dargle, Rathdown, Glen of the Downs et Callowhill jusqu’au réservoir de 13 hectares à Stillorgan, une distance légale de 22 miles, et de là, à travers un système de réservoirs relais, par une inclinaison de 250 pieds jusqu’à la limite de la ville au pont d’Eustace, au-dessus de la rue Leeson… » New York, Everyman’s Library edition, 1997, pp. 902-903.
  • [13]
    Chris Kenyon, « The Evolution of Web-Caching Markets » , Computer, vol. 34, no. 11 (novembre 2001), pp. 128-30.
  • [14]
    Peter Cook (ed.), Archigram, New York, Princeton Architectural Press, 1999, p. 119.
  • [15]
    Sur l’histoire des débuts de la communication sans fil, voir Hugh G. J. Aitken, Syntony and Spark, The origin of Radio (deuxième édition), Princeton, Princeton University Press, 1985.
  • [16]
    William Crookes, « Some Possibilities of Electricity » , Fortnightly Review, vol. 51 (février 1892), pp. 173-181.
  • [17]
    The Economist, « The World in Your Pocket » , October 1999.
  • [18]
    William Stallings, « The Global Cellular Network » , dans Wireless Communications and Networking, Upper Saddle River NJ, Prentice Hall, 2001, p. 4.
  • [19]
    Le processus n’a pas été sans problèmes et contretemps. Dans les années 1990, le protocole sans fil WAP n’a pas réussi à attirer un soutien et le service de téléphone par satellite à basse altitude Iridium n’a pas réussi à attirer des clients. Les fournis- seurs et fournisseurs potentiels de services sans fil ont payé très cher aux enchères pour obtenir des spectrum licenses et ont ensuite eu des difficultés à faire marcher leurs modèles de commerce. Le standard 3G pour des services avancés qui était supposé faire avancer l’industrie vers un nouveau niveau dès l’an 2000 n’a pas été reçu avec un enthousiasme universel et a été mis au défi par IEEE 802.11b (Ethernet sans fil ou Wi-Fi) et Hiperlan. Quand même, le nombre d’utilisateurs d’appareils sans fil n’a cessé de croître rapidement depuis le début des années 1990 aux quatre coins de la planète.
  • [20]
    http:// grouper. ieee. org/ groups/ 802
  • [21]
    www. bluetooth. com
  • [22]
    www. aetherwire. com
  • [23]
    Au cours de l’été 2002, il y a eu un soudain engouement pour cela, alors que la popularité des réseaux 802.11 augmentait. Ce phénomène se rapprocha, assez cons- ciemment, de la vieille tradition des vagabonds qui indiquaient des lieux à mots cou- verts, où l’on pouvait s’attendre à de l’hospitalité, et peut-être de l’idée centrale de Thomas Pynchon The crying of lot 49. La terminologie vient du mot « wardialing » utilisée en 1983 dans le film de science-fiction War Games. Voir Jane Black, « A Wireless End Run Around ISPs » , Business Week Online, juillet 3, 2002, www. businessweek. com.
  • [24]
    Pour plus de détails sur cette compétition et une analyse des problèmes liés à ce comportement, voir Spectrum Policy Task Force, Report, Federal Communications Commission, ET Docket N°. 02-135, novembre 2002. Le rapport recommande la réforme du spectre des comportements pour permettre un usage plus efficace de ce spectre.
  • [25]
    Leonard Kleinrock, « Breaking Loose » , Communications of the AMC, vol. 44, no. 9 (septembre 2001), pp. 41-45. Voir aussi Eric Knorr, « Mobile Web vs. Reality » , Technology Review, vol. 104, no. 5 (juin 2001), pp. 56-63.
  • [26]
    Un réseau de connexions sans fil fiable est une composante technique cruciale de la nomadicité, mais comme Kleinrock le met en évidence, il y en a beaucoup d’autres aussi cruciales. Pour une étude des problèmes techniques clés, et les premiers efforts pour les résoudre, voir Guruduth Banavar et Abraham Bernstein, « Software Infras- tructure and Design Challenges for Ubiquitous Computing Aplications » , Communi- cations of the ACM, vol. 45, no.12 (décembre 2002), pp. 92-96.
  • [27]
    Un des premiers exemples de travail en réseau non définit spacialement et s’auto- configurant fut le système MICA de Berkeley pour les réseaux de capteurs sans fil. Voir Mike Horton et AL, « MICA : The Commercialisation of Microsensor Motes » , Sensor Online (www. sensoronline. com), avril 2002.
  • [28]
    Certaines des premières analyses de ces effets ont été transmises par Barry Brown, Nicola Green et Richard Harper (eds.), Wireless World : Social and Interactional Aspects of the Mobile Age, Londres, Springer, 2002 ; J. Katz et M. Aakhus, Perpetual Contact : Mobile Communications, Private Talk, and Public Performance, Cambridge.
  • [29]
    Il y a eu beaucoup de travaux sur cette théorie. L’un d’eux particulièrement convain- quant et récent a été écrit par Jared Diamond dans Guns, Germs, and Steel : A Short History of Everybody for the Last 13 000 Years, New York, Vintage, 1998. Voir, en particulier, le chapitre 4, « Farmer Power » .
  • [30]
    Jeremy Rifkin proposa une thèse similaire, et peut-être la poussa un peu trop loin, dans The Age of Access, New York, Jeremy P. Tarcher / Putman, 2000.
  • [31]
    Pour un aperçu des débuts du commerce basé sur la RFID, circa 2002, voir Amy Cortese, « Tollbooth Technology Meets the Checkout Lane » , The New York Times, dimanche 7 juillet 2002, Section 3, p. 4.
  • [32]
    Pour une des premières analyses classiques de l’abstraction de l’argent et ses consé- quences, voir George Simmel, The Philosophy of Money, Londres, Routledge, 1990 (première publication en 1907).
  • [33]
    Des débats sur le sujet des cyborgs, et des cyborgs en tant qu’acteurs sociaux, sont apparus de plus en plus fréquemment ces dernières années. Gregory Bateson les aurait initiés avec ses spéculations au sujet d’une écologie de la pensée dans les années soixante et au début des années soixante-dix. L’élaboration d’une théorie radicalement nouvelle, connue sous le nom de Actor Network Theory, s’est inspirée des travaux de Michel Callon et de Bruno Latour, We Have Never Been Modern, Cambridge MA, Harvard University Press, 1993. Donna J. Haraway donna un point de vue féministe influent dans Simians, Cyborgs, and Women : The Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991, et insista sur les qualités perturbatrices et émancipantes de la condition de cyborg. Chris Hables Gray rassembla des écrits clés au sujet des cyborgs dans The Cyborg Handbook, New York, Routledge, 1995. N. Katherine Hayles explora le rapport de la subjectivité à la personnification et dé- personnification de l’information dans How We Became Posthuman : Virtual Bo- dies in Cybernetics, Literature, and Informatics, Chicago, University of Chicago Press, 1999. Et les perspectives cyborgs ont commencé à infiltrer la littérature rela- tive à l’organisation et aux études urbaines ; voir Stephen Graham et Simon Marvin, Slintering Urbanism : Networked Infrastructures, Technological Mobilities and the Urban Condition, New York, Routledge, 2001.
  • [34]
    Donna Haraway est à l’origine d’un déluge de débats critiques sur le corps, le genre cyborg et le féminisme dans Simians, Cyborgs, and Women : The Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991.
  • [35]
    Vernor Vinge anticipa l’importance de cela dans son roman paru en 1981, True Names, qui commence ainsi: « Il était une fois dans les Premiers Temps de la Magie, le magicien avisé considéra son propre nom comme son bien le plus cher mais aussi comme ce qui menaçait le plus sa bonne santé, si un jour – se poursuit l’histoire – un ennemi, même un ennemi faible et sans talent, apprenait le vrai nom du sorcier, alors les sorts les plus habituels et connus pourraient détruire et asservir même le plus puissant. Comme ces temps passèrent, et que nous évoluions de l’Âge de Raison à la première et seconde révolution industrielle, de telles notions furent discréditées. De nos jours, il semble que la roue a fait un tour complet (même s’il n’y a jamais eu vraiment de Premier Temps) et nous nous souciions de nouveau des vrais noms. » Comme le Mr. Slippery de Vinge, les craqueurs d’Internet et les faiseurs de torts se cachent derrière leur pseudonymes et craignent de se faire arrêter si leurs vrais noms sont révélés. (Pour un retirage de True Names, avec les commentaires sur les identi- tés en ligne et leur dissimulation, voir James Frenkel, ed., True Names and the Opening of the Cyberspace Frontier, New York, Tor, 2001.)
  • [36]
    Dans son ouvrage hautement sceptique, On the Internet (New York, Routledge, 2001, p. 11), Hubert L. Dreyfus a relié ce point spécialement à la structure en réseau hyper-imbriquée du World Wide Web. Il observe : « Clairement, l’utilisateur d’une bibliothèque hyper-connectée ne resterait pas un sujet moderne avec une identité définie, désirant une représentation du monde plus complète et fiable, mais devien- drait plutôt un être post-moderne, un être inconstant prêt à s’ouvrir à tous les nou- veaux horizons. Un tel être ne s’occupe pas de rechercher de ce qui est signifiant mais de se connecter à une source d’informations aussi large que possible. »
  • [37]
    Mark C. Taylor, The Moment of Complexity ; Emerging Network Culture, Chi- cago, University of Chicago Press, 2002, p. 231. De façon un peu similaire, Brian Massumi a suggéré (Parables for the Virtual, Durham, Duke University Press, 2002, p. 128): « L’ex-humain est désormais un nœud parmis les nœuds. Certains nœuds sont toujours constitués de substances corporelles organiques, certains sont consti- tués de silicone, et d’autres, comme le bras des anciens robots, sont constitués d’allia- ges. Le corps constitue de nœuds envoie, reçoit, et travaille de concert avec tous les autres nœuds. Le réseau est auto-connectable à l’infini, et malléable à l’infini. La forme et les directions qu’il prend ne sont pas décidées de manière centrale mais proviennent de l’interaction complexe de ses opérations.
  • [38]
    Dans des études similaires reconnaissant ce point, il émerge une théorie de « l’an- thropologie du cyborg » – l’étude des cultures dans lesquelles le vrai sens du mot « homme » est remis en question par l’évolution scientifique et technique. Voir Joseph (Suite note 38) Dumit, Gary Lee Downey et Sarah Williams, « Cyborg Anthropology » , Cultural Anthropology, vol. 10, no. 2, pp. 2-16 (1995), et Joseph Dumit et Gary Lee Downey, « Cyborgs and Citadels : Anthropological Interventions » , in Emerging Sciences and Technologies, Santa Fe, School of American Research Press, 1997.
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