Couverture de SOCO_121

Article de revue

Histoires d'A et méthode K

La mise en récit d'une technique et ses enjeux dans le mouvement pour l'avortement libre en France

Pages 139 à 170

Notes

  • [1]
    Entretien avec Alice (gynécologue médicale, ANEA, puis GIS et MLAC), avril 2012.
  • [2]
    Notamment popularisé par le film Histoires d'A (réalisé par Charles Belmont et Marielle Issartel, membres du GIS), rendu célèbre par la lutte contre sa censure à l'automne 1973.
  • [3]
    C'est plus tard, lors du congrès de juin 1973, que le courant radical en faveur du droit à avorter devient majoritaire au MFPF.
  • [4]
    Sauf précision contraire, c'est l'autrice qui traduit.
  • [5]
    Version reprise par des médecins critiques dès la période précédant la création du MLAC. Cf. « À propos de 177 avortements par aspiration pratiqués en France selon la méthode de Karman ». Archives de la CFDT, 8H625.
  • [6]
    Technique mise au point par des féministes début 1971 : il s'agit d'aspirer le contenu de l'utérus à l'aide de l'extracteur « Del-Em » inventé par Lorraine Rothman (seringue connectée à une bouteille hermétique dans laquelle est fait le vide, soit un équipement moins encombrant et onéreux que celui des aspirations précoces qu'utilisent des médecins à la fin des années 1960). Destiné à un usage au sein de collectifs de femmes, ce procédé est présenté comme un moyen d'amoindrir l'inconfort et la durée des règles ; et, si l'utérus contient un embryon, il aura un dessein abortif.
  • [7]
    Karman utilise le Supercoil lors du deuxième trimestre de grossesse. Le procédé consiste à insérer des bandes de plastique dans l'utérus pendant 24 heures, à la suite de quoi la femme avorte « spontanément » (le reste des débris f taux étant aspiré à la canule). Il aurait provoqué de graves complications (perforations utérines, infections, hémorragies, etc.) chez des avortées au Bangladesh et à Chicago. Sur le Supercoil scandal voir Ruzek, 1978, p. 198-204 ; Tunc, 2008a.
  • [8]
    Un groupe du MLF Genève, « Avortement ­ les méthodes ». Correctif à la brochure Contraception & Avortement, septembre 1973. Archives contestataires, MLF-GE/S2/D25.
  • [9]
    Entretien avec Michelle (MLAC-Paris 9e), juin 2016. Elle avait une excellente maîtrise de l'anglais et fréquentait des féministes états-uniennes.
  • [10]
    Quand ce n'est pas en le citant : « Les femmes de Los Angeles comprirent l'intérêt de ma méthode. L'aspiration fut pratiquée dans une free-clinic [...]. Je fus dénoncé et emprisonné. Une manifestation permit ma libération et l'avortement continua à être pratiqué, mais sous un autre nom : l'aspiration menstruelle » (CLAC, 1973, p. 26).
  • [11]
    Entretien avec André (médecin généraliste, MFPF Lille), avril 2013.
  • [12]
    « Chacune dans leur coin (Discussion du 13 mars 1974) », Avortement et vie quotidienne, 15, 14 mars 1974.
  • [13]
    Entretien avec Claude (psychiatre, AG de l'avortement), mai 2016. Italiques de l'autrice.
  • [14]
    « Toutes ces choses-là étaient illégales, aussi illégales que la liberté elle-même », probablement été ou automne 1973, signé « Assemblée générale pour la liberté d'avorter ». Souligné dans le texte. Archives privées.
  • [15]
    Brochure, ANEA, Nous avons fait des avortements. Voici pourquoi, 1973. Archives privées.
  • [16]
    Claudine Escoffier-Lambiotte écrit dans Le Monde du 7 mars 1973 : « Quelques rares services de gynécologie français » recourent à l'aspiration « pour les cas médicaux ».
  • [17]
    Entretien avec André, mai 2016.
  • [18]
    « Elles auraient pu la faire plus tôt, leur brochure ! » Supplément au Torchon brûle, 3, p. 14. Signé « Le groupe de femmes du 5e », distribué au printemps 1972. Archives privées.
  • [19]
    Katia D. Kaupp, « MLF vaincra ! À la Mutualité, 4 000 personnes ont dénoncé les crimes contre les femmes », Le Nouvel Observateur, 22 mai 1972.
  • [20]
    Invité par Kénizé Mourad, journaliste au Nouvel observateur, qui l'a rencontré au Bangladesh.
  • [21]
    Entretien avec Daniel (médecin et chercheur, GIS et MLAC), avril 2013.
  • [22]
    Entretien avec Vincent (généraliste, Choisir, CLAC), juin 2013.
  • [23]
    Entretien avec Clémence (généraliste, GIS, MLAC), juillet 2014.
  • [24]
    GIS. Dossier avortement, Bulletin no 3, octobre 1972.
  • [25]
    Entretien avec Marthe (gynécologue médicale, MFPF, GIS et MLAC), mars 2012.
  • [26]
    Entretien avec Paula (infirmière, GIS, MLAC), novembre 2013.
  • [27]
    Entretien avec Clotilde (généticienne, MLAC d'Aix), octobre 2013.
  • [28]
    Un groupe de médecins du GIS et du MFPF, « Les interruptions précoces de grossesse par la méthode Karman. L'expérience française », Actes du colloque de la société de fertilité et de stérilité (juin 1974), p. 135-155. Archives privées.
  • [29]
    Je remercie chaleureusement Mélo d'avoir partagé des archives de l'AG de l'avortement.
  • [30]
    Inspiré du concept de « avortement criminel sécurisé » (Pheterson et Azize, 2006). À rebours du sens commun faisant de tout acte illégal un « avortement à risque », les autrices envisagent « l'éventail complet des pratiques abortives » sécuritaires, y compris en contexte criminalisant.
  • [31]
    Entretien avec Vincent.
  • [32]
    Entretien avec Gilles (AG de l'avortement), mai 2016.
  • [33]
    Texte dactylographié, AG pour l'avortement. Archives privées.
  • [34]
    Entretien avec Gaby, avril 2016.
  • [35]
    Entretien avec Claude.
  • [36]
    Entretien avec Anna (réseau clandestin puis MLAC), février 2016.
  • [37]
    « Discussion du 13 mars 1974 », Avortement et vie quotidienne, no 16, 21 mars 1974. La Contemporaine, F/Delta/Res/0576/51, Dossier 5.
  • [38]
    Entretien téléphonique avec Hélène (réseau clandestin puis MLAC), juin 2016.
  • [39]
    « Chacune dans leur coin », Vie quotidienne et avortement, no 15, op. cit., p. 19.
  • [40]
    Texte de réflexion, « À propos de la technique de la sonde : quelques réfutations et débusquages. Constat sur l'AG à propos d'un problème pratique », prob. 1973, signé par Michel, membre de l'AG de l'avortement. Souligné dans le texte.
  • [41]
    Ce terme dépréciatif désigne le charlatanisme médical en général et les médecins qui font commerce de la pratique illégale de l'avortement en particulier.
  • [42]
    Entretien avec Bernard (généraliste, Choisir-Lyon-MLAC), janvier 2013.
  • [43]
    Conseil de Nantes, « Propositions pour l'organisation de l'avortement libre ».
  • [44]
    Ibid.
  • [45]
    Ta-ta-ta, le GIS casse les prix, op. cit., p. 6.
  • [46]
    Des militant·e·s italien·ne·s ont utilisé l'expression il metodo Karman (avec moins d'insistance qu'en France), mais le fait que « la méthode » leur ait été transmise par des Français·e·s tendrait à confirmer mes hypothèses.

1

En même temps qu'il y avait cette revendication de liberté pour les femmes, il y a eu à leur disposition une technique formidable qui était la méthode Karman. Et l'un soutenait l'autre. La méthode Karman a été soutenue par les féministes qu'étaient soutenues par la méthode Karman, vous voyez [1].

2Dans le roman des origines du mouvement pour l'avortement libre en France, à une politisation féministe de l'acte succède la lutte pratique, retentissante, dont la « découverte de la méthode Karman » en 1972 par des médecins critiques serait le déclencheur. Ce récit partiel [2] est généralement admis par les recherches socio-historiques s'intéressant à la pratique militante d'avortement « rendue possible par le développement d'une nouvelle technique » (Mossuz-Lavau, 1991, p. 89) ou aux « pratiques protestataires rendues possibles par la méthode Karman » (Pavard, 2009, p. 50) ; celle-ci « conditionn[ant] la possibilité de l'émergence d'un mouvement » (Rameau, 2010, p. 74). Ainsi, l'apparition d'un savoir-faire devient une clé d'explication première du mouvement social et d'évolution des pratiques médicales. La réification de la catégorie « méthode Karman », prégnante en France, pose question par rapport à l'histoire longue du fait abortif et des mouvements pour l'avortement.

3D'abord, ce récit non disputé ignore l'antériorité de discours promouvant des techniques simples d'avortement : la récurrence de ces discours au fil du temps atteste que ce n'est pas l'efficacité technique de l'aspiration abortive qui détermine le tournant que prend la mobilisation en 1973, en termes d'échelle et de répertoire d'action. Cet article démontre, à l'instar de l'analyse de Marilène Vuille sur la méthode d'accouchement sans douleur, que son « succès relève moins de la “découverte” d'un outil innovant susceptible de résoudre un problème posé à la pratique [gynécologique] que d'une mise en scène de progrès » (Vuille, 2017, p. 117). Pour cela, en plus de « relativiser le caractère démiurgique de la méthode » (Pavard, 2012, p. 47), il s'agit d'appréhender comment celui-ci s'est construit et quelles en ont été les conséquences. La portée transformatrice de la technique tient en fait au cadrage (Gilbert et Henry, 2012) qu'élaborent des protagonistes du mouvement pour faire passer l'avortement de danger à pratique sûre.

4Ensuite, la fiction de « la méthode Karman » minore le changement de référentiel qui advient en 1973 dans la lutte pour l'avortement. Les groupes féministes perdent la propriété du problème et leur action, qui a servi de détonateur depuis 1970, passe alors au second plan (Bateman, 1979), de même que le cadrage en termes de liberté des femmes pour un accès à l'avortement sans condition et gratuit. La marginalisation du référentiel féministe est corrélative de la production d'un bien médical, soit un processus complexe jalonné par de multiples procédures, agent·e·s et institutions, que la causalité technologique ne suffit donc pas non plus à expliquer. L'étude de la mise au point et du mode d'existence de la méthode par aspiration est plus à même de saisir en quoi il y a mutation dans le paysage du contrôle des naissances. Ancrée dans l'observation du travail militant, des pratiques et des interactions, cette analyse questionne ce que la consécration de la « méthode Karman » doit à ses processus de production et aux rapports sociaux qui les façonnent, en particulier les rapports entre professionnel·les profanes et les rapports de sexe. En ce sens, elle s'inscrit dans une sociologie critique et féministe des techniques qui traque les mécanismes d'appropriation des outils et compétences ainsi que les logiques genrées de la démarcation des activités scientifiques (Cockburn, 1985 ; Chabaud-Rychter et Gardey, 2002). En fin de compte, je soutiens que prendre l'appellation « méthode Karman » comme allant de soi restreint l'analyse des luttes et rapports de pouvoir qui structurent l'élaboration des dispositifs contemporains d'avortement et, derrière eux, le contrôle social de la procréation et des corps des femmes.

5Ce récit laisse enfin entendre que le mouvement social surgit dans un vide de pratiques abortives engagées. Il s'en dégage une ligne de partage entre avorteurs/ses usant de techniques traditionnelles, auxquel·les est tacitement désavouée toute implication politique, et avorteurs/ses militant·e·s recourant à l'aspiration. Suivant l'appel de Verta Taylor (1989) à la prudence envers les ruptures auxquelles conclut trop souvent l'étude de la « naissance » d'un mouvement, j'ai cherché à quitter l'histoire séquentielle et à explorer les continuités avec les micro-mobilisations qui précèdent le large front en faveur de l'avortement des années 1973-1974. Cette approche fluide des structures de mobilisation ouvre l'analyse aux réseaux informels d'individus ne recourant pas nécessairement au répertoire contestataire (Staggenborg, 1998). En l'occurrence, elle nécessitait de déborder les cadres spatio-temporels convenus en mordant sur les années 1960, ainsi qu'en s'éloignant des scènes militantes dominantes, parisiennes et médicales, pour inclure l'histoire plus souterraine d'entités restreintes et d'anonymes.

L'enquête

Cette réflexion provient d'une recherche doctorale sur les collectifs ayant une pratique militante de soins à destination des femmes, surtout d'actes abortifs, dans les années 1970-1980. Elle m'a amenée à enquêter sur différentes fractions du mouvement pour la liberté d'avorter : divers comités MLAC, en particulier à Aix-en-Provence, Lille, Lyon et Paris, ainsi que l'AG de l'avortement à Nantes. Pour chacun d'eux, j'ai veillé à croiser sources écrites et orales : outre le dépouillement d'une vingtaine de fonds d'archives ­ avec un recours privilégié à des archives privées non déposées ­, j'ai mené près de 70 entretiens de type récit de vie avec des membres de collectifs à majorité profane et 33 côté MLAC à majorité médicale. Comprendre comment la méthode par aspiration est parvenue entre les mains de non-médecins et a circulé à travers le territoire a exigé de retracer précisément les modes de passation et la structuration des réseaux.
 
Quelques composantes du mouvement social
ANEA : l'Association nationale pour l'étude de l'avortement, émanation en 1969 du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) [3], regroupe une diversité de personnalités, notamment médicales, et  uvre pour une réforme de l'avortement thérapeutique.
MLF : le Mouvement de libération des femmes défend l'avortement en tant que liberté élémentaire des femmes. Outre le manifeste des 343, retenu pour point de départ symbolique de la bataille en France, un « groupe avortement » né dans les réunions du MLF à l'automne 1970 est bientôt suivi par la formation du MLA, le Mouvement pour la liberté de l'avortement.
Choisir : l'association fondée en 1971 par Gisèle Halimi incarne le pan légaliste du mouvement social, avec une stratégie d'abord tournée vers le lobbying. Mais des sections locales développent les réseaux illégaux d'avortement, tandis que des collectifs optent successivement pour les étiquettes a priori concurrentes Choisir et MLAC, à l'instar du groupe grenoblois ­ CLAC (Comité pour la liberté de l'avortement et de la contraception), Choisir, MLAC-Choisir puis MLAC.
GIS : le Groupe Information Santé, créé en 1972 à l'initiative de jeunes médecins d'extrême gauche, s'implique d'abord aux côtés des luttes ouvrières. C'est la cause de l'avortement qui lui donne sa réputation, à partir de la publication en février 1973 du manifeste des 331 médecins déclarant pratiquer des avortements.
MLAC : le Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception est constitué en association en avril 1973 à l'initiative de médecins du GIS et de membres du MFPF afin de susciter un mouvement de masse. Si le MLF est représenté parmi les membres fondateurs (avec des organisations syndicales, politiques et de l'action sociale et familiale), ses diverses tendances gardent une forte distance critique.

6La première partie de cet article retrace la généalogie de l'aspiration et nuance l'innovation radicale qu'aurait représenté la « méthode Karman ». La deuxième partie contextualise les modes d'appropriation d'une technique par des collectifs de médecins critiques, puis leur promotion de la « méthode Karman », qui répond à des motivations politiques et professionnelles. La dernière partie s'emploie à relater un versant plus méconnu des luttes, en montrant que l'adaptation de l'aspiration s'inscrit dans un processus déjà en cours de mutualisation des savoir-faire abortifs par des groupes variés.

Déconstruire l'innovation

7En France, on a retenu le nom de Harvey Karman pour désigner l'avortement par aspiration assorti d'un environnement soutenant. L'appellation est alors synonyme d'innovation majeure. Cependant, d'une part, il ne fut pas « l'inventeur » de cette méthode (Zancarini-Fournel, 2003), mais un acteur parmi d'autres de son histoire, beaucoup moins linéaire et plus peuplée qu'il n'y paraît. D'autre part, telle qu'elle se diffuse dans les pays occidentaux au début des années 1970, l'aspiration constitue autant une primeur qu'une continuité avec les techniques abortives utilisées jusqu'alors, dans ou hors des structures médicales.

Que recouvre la « méthode » ?

Pour les militant·e·s en revendiquant l'usage, la « méthode Karman » mêle le procédé d'aspiration et une préparation « psychoprophylactique ». J'utilise pour ma part « avortement/méthode par aspiration » pour désigner cette double composante.
Le procédé technique consiste en une phase de dilatation du col de l'utérus ­ par des hystéromètres souples (bougies de Dalsace) ou des canules de 4 à 12 mm de diamètre ­, suivie de l'aspiration via une canule souple, dite de Karman. La canule (fin tube de polyéthylène flexible de 16 cm) comporte deux encoches latérales à une extrémité, qui est en caoutchouc mousse pour éviter la perforation utérine. Elle cumule ainsi les fonctions de sonde d'entrée dans l'utérus, de curette des débris embryonnaires et de conduit d'aspiration. L'extrémité sans encoche est reliée par un tuyau à un mécanisme d'aspiration, dont différents types seront utilisés dans les groupes MLAC ­ de la seringue modifiée à l'aspirateur médical électrique en passant par la pompe à vélo inversée ou la pompe à eau. Une fois la canule introduite dans l'utérus, un petit mouvement de rotation et de va-et-vient d'une à trois minutes aspire son contenu. Pour s'assurer qu'elle s'est bien déroulée, l'intervention est suivie de l'observation des produits tamisés de la grossesse (vérification du volume aspiré, éventuel repérage d'une grossesse extra-utérine ou molaire).
Les conditions psychoprophylactiques désignent un panel de techniques de soutien (centrées sur le contact visuel, verbal et tactile) et d'inclusion de l'avortante visant à créer un « climat de confiance ». Ce travail relationnel a été développé par les féministes états-uniennes puis approprié par Karman qui le transmet dans sa démonstration de l'aspiration en France et, enfin, adapté par les MLAC. Un entretien préalable présentant le déroulement de l'acte et les instruments, un accompagnement attentif aux besoins et au rythme de l'avortante et réactif à ses émotions tout au long de la procédure fondent ce que des équipes états-uniennes nomment « l'anesthésie verbale » ; l'acte ne nécessiterait pas d'anesthésie générale ­ tout au plus une anesthésie locale ­ mais une préparation mentale et un rôle actif de la part de l'avortante afin de favoriser la maîtrise de la douleur. La plupart des MLAC utilisent une légère prémédication (antispasmodique, calmant, injection intramusculaire pour prévenir le choc vagal).
Immédiatement après la procédure ­ d'une quinzaine de minutes ­ et à la différence de la pratique sous anesthésie, la femme peut se lever et reprendre ses activités, avec quelques précautions les jours suivants (température et saignements à surveiller).

Un procédé abortif pas si inédit

8Les premières traces de l'aspiration remontent au second XIXe siècle : le chirurgien écossais James Young Simpson démontre l'usage, pour « restaurer les menstrues », d'une seringue reliée à une canule de petit diamètre insérée dans la cavité utérine (Tunc, 2008b, p. 356). En 1927, le praticien soviétique Bykov redécouvre « la technique de Simpson d'aspiration par le vide » (David, 1992, p. 4) [4] pour un usage explicitement abortif. Un procédé amélioré par une assistance électrique fait l'objet d'une publication de gynécologues chinois en 1958 (Tunc, 2008b). Son équivalent artisanal, un bocal à pression négative, aurait été utilisé par les « médecins aux pieds-nus » (CLAC, 1973) ­ ainsi que le souligneront tant de MLAC à une époque où la Chine maoïste nourrit l'imaginaire collectif à gauche. L'aspiration est perfectionnée dans les années 1960 en circulant au Japon, en URSS et en Europe de l'Est, où des gynécologues tchèques et yougoslaves mettent au point l'anesthésie locale (David, 1992). Si la guerre froide ralentit sa circulation dans le monde occidental (Tunc, 2008b), elle est publicisée en 1968 aux États-Unis par l'Association for the Study of Abortion lors d'un congrès international (Joffe et al., 2004, p. 779). Utilisée légalement en Grande-Bretagne, elle y représente 81 % des avortements pratiqués au début des années 1970 (Murphy, 2012, p. 215).

9L'aspiration utérine est expérimentée en France à partir de 1967 (Magnin et al., 1967). En 1970, elle est utilisée à l'hôpital Tenon pour des avortements thérapeutiques ; elle serait aussi « une méthode de choix » pour traiter les complications nées « des avortements illégaux » (Hervet, 1970). Il apparaît donc que, s'il n'avait pas existé un usage extra-hospitalier de l'aspiration, elle aurait progressivement intégré l'univers médical, notamment par imitation des pays étrangers.

10Aux États-Unis, l'aspiration est utilisée à cette même période par des féministes radicales ainsi que par Harvey Karman, un psychologue californien qui réalise des avortements clandestins depuis une quinzaine d'années. Très enclin à l'auto-promotion, il déclare dans des interviews avoir inventé l'aspiration lors d'un séjour en prison au début des années 1960 [5]. En réalité, sa contribution aurait consisté en la mise au point d'une canule en plastique flexible, moins traumatisante pour l'utérus que le matériel métallique. Ses arrestations, ses interventions médiatiques et la célébration de sa canule en congrès médical le font connaître à travers les États-Unis (Ruzek, 1978, p. 200). C'est à l'issue d'une mission d'aide médicale sur l'avortement au Bangladesh en 1972 qu'il fait connaître dans les réseaux occidentaux de planification familiale l'aspiration et sa canule (Murphy, 2012, p. 163).

11« Dans la communauté féministe [étatsunienne], Karman est vu comme un sauveur par certaines » ­ car cet « avorteur clandestin établi » a contribué, par sa canule, à la mise au point d'avortements sécurisés et soutenu des féministes dans la création de leur clinic (groupe de gynécologie autonome) ­, « comme un charlatan par d'autres » (Ruzek, 1978, p. 199). En effet, la notoriété qu'il se forge sur la scène militante fait écran aux recherches que développent des groupes féministes à Los Angeles (matériels, accueil, méthodes de soutien et d'inclusion de l'avortante, soulagement de la douleur). Il est accusé de tirer profit de techniques inventées par ces militantes, telles que l'extraction menstruelle (Rothman, 1978) [6] ; du reste, une interview avec Kénizé Mourad (Le Nouvel Observateur, 18 septembre 1972) attribue à Karman le mérite de « la méthode » d'aspiration menstruelle, sans dissocier ses composantes. Par ailleurs, des féministes engagent des actions en justice contre lui, à propos d'une pratique abortive peu sûre et d'expérimentations sur des femmes non informées de leur statut de cobaye [7]. Cette réputation traverse l'Atlantique et accompagne par exemple dès 1973 la propagation des savoir-faire en Suisse :

12

La méthode d'aspiration avec du matériel en plastique, qu'on appelle à tort méthode Karmann [sic], a été inventée en fait par des femmes de Los Angeles. Karmann, qui n'est d'ailleurs pas médecin, pratique lui, à la solde du gouvernement des USA, des essais de stérilisation sur les femmes de plusieurs pays du Tiers Monde ainsi que sur des femmes pauvres de Philadelphie. C'est pourquoi nous ne voulons plus appeler cette méthode par le nom de « Karmann » [8].

13En France, si une brochure féministe moque les médecins critiques français·e·s à travers un « saint Karman » claironnant l'invention d'une nouvelle méthode abortive, la contestation de sa paternité est très rare. Parmi les récits que j'ai recueillis, seule Michelle, militante du MLF et d'un MLAC parisien, a le souvenir immédiat d'un « escroc » qui « a appris la méthode des filles de Talahassee [Floride] » et « a fait du mal d'ailleurs » [9].

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Couverture de Ta-ta-ta, le GIS casse les prix. Brochure d'un « groupe de femmes du Mouvement », en réaction au manuel du GIS (1973). La Contemporaine, Collections La contemporaine, MLAC, F/Delta/0532.

14L'expression « méthode Karman » gomme l'implication de collectifs de femmes dans la création d'un protocole autour de l'aspiration et fait du titulaire du brevet de la canule le concepteur de la totalité du protocole, dont la fameuse « anesthésie verbale » (cf. par exemple : Frydman, 1982 ; Tournier et Voldman, 1986). En reprenant les points essentiels du discours de Karman [10], de multiples groupes militant pour l'avortement en 1973-1974 ont, outre participé de son héroïsation, attribué à un lot de pratiques un caractère tout à fait novateur.

Une nouveauté de l'innocuité à relativiser

15La promotion de la « méthode Karman » par les médecins critiques en 1973 repose sur l'affirmation de son innocuité, en opposition à la dangerosité supposée intrinsèque de l'avortement par sonde et du curetage. Leur point de vue est le fruit d'une formation médicale qui ne leur a donné à observer que des complications d'avortement. Il procède aussi des représentations dominantes qui assimilent la pratique abortive, hautement stigmatisée, au risque mortel. Loin de nier son degré de morbidité et de mortalité, l'analyse ne peut s'en tenir au sens commun sur la pratique extra-hospitalière.

16D'après les enquêté·e·s avorteurs/ses clandestin·e·s ou « cureteurs » à l'hôpital, qui certes assuraient un suivi variable des femmes après l'acte, nulle intervention médicale n'était requise après la pose de sonde dans une majorité de cas. André estime « un peu à la louche » que « 30 % des avortements provoqués » [11] finissaient à l'hôpital. En douze ans de pratique, Hélène, qui utilisait la sonde, des antibiotiques et hébergeait les avortantes jusqu'à la fin du processus, n'a envoyé qu'une seule femme à l'hôpital (pour hémorragie). Dès lors, quand cette infirmière passe à l'aspiration en 1972, la nouveauté est l'atténuation de la douleur des femmes et la rapidité du processus, mais non l'innocuité, déjà garantie par sa maîtrise de la pose de sonde. De même, Claude, ancien avorteur à la sonde, note que l'aspiration est plus « rassurante », par son caractère « tout de suite définitif » ; c'est la fin de l'avortement en deux temps, dont le second n'était guère contrôlable auparavant. Pour Anna aussi, l'absence de maîtrise d'une partie de l'acte rendait les femmes « dépendantes d'un médecin qui, selon ta gueule, t'envoyait chier ou te culpabilisait » [12]. André, qui a l'expérience du curetage, est impressionné par le « matériel non agressif » de l'aspiration et par sa légèreté. Pour autant :

17

Ça paraissait logique d'aspirer plutôt que de gratter, en fait ? [...] Donc quand j'ai vu en vrai le matériel [...] ça ne me paraissait pas du tout aberrant.

18Claude va jusqu'à qualifier l'aspiration de « mini curetage » : « Vous voyez une canule de Karman, avec ses encoches, et bien on aspirait mais ça grattait aussi un peu. » Cependant, lorsqu'il rencontre à Paris des membres du GIS, la méthode est « présentée comme quelque chose de vraiment différent » [13]. Dans les interventions publiques du GIS, si comparaison il y a entre curetage et aspiration, ce n'est pas pour définir la seconde comme une version évoluée du premier, mais pour les opposer ; les points communs, tels que l'introduction d'un instrument dans l'utérus et le « raclage » de ses parois (Karman, 1972), ne sont pas relevés, voire sont sciemment évités (Fillieule et Sommier, 2018, p. 393).

19Ce discours sur les qualités propres à l'aspiration rétro-agit sur les autres méthodes, renvoyées dans l'archaïsme. Tandis que ces dernières se trouvaient jusqu'alors discréditées d'abord sur le plan moral, c'est une faiblesse technique qui leur est désormais imputée. Des membres de l'AG de l'avortement expriment leur agacement face à ce retournement de l'argumentaire expert :

20

Nous affirmons avoir été mêlés de près ou de loin à des avortements par sonde stérile pratiqués dans les meilleures conditions. Au contraire, la propagande récente des médecins libéraux traîne dans la boue la sonde [...] que cependant la moitié d'entre eux ont nécessairement pratiqué[e] dans les années passées. Il s'agit pour eux d'affirmer la grande pureté technique et statistique de la méthode Karman, de rendre celle-ci indiscutable. Désolés ! elle est à discuter : nous en discutons l'emploi, nous l'aménageons... [14]

21Le discours apologétique du GIS sur l'innocuité de la « nouvelle » méthode convainc avant tout les militant·e·s qui découvrent simultanément la préoccupation pour l'avortement sans danger et la solution. L'AG de l'avortement, franc-tireuse dans le mouvement social, s'oppose à une telle perspective antagoniste des techniques, ce qui concorde avec le continuum des gestes ressortant des récits de témoins ayant cureté ou pratiqué à la sonde.

Une simplicité revendiquée de longue date

22La facilité de l'acte, pour laquelle la « méthode Karman » est réputée, ne constitue pas, là encore, une nouveauté. En fait, c'est un argument que la plupart des défenseurs/ses du droit à l'avortement ont, par le passé, invoqué à l'appui d'autres techniques. En 1914 par exemple, alors que l'emploi de la sonde est majoritaire, le néo-malthusien Georges Hardy expliquait que « l'avortement est une opération très simple, de chirurgie élémentaire. On pourrait même soutenir qu'elle est à portée de gens soigneux n'ayant pas fait d'études spéciales de médecine mais connaissant suffisamment l'anatomie génitale » (Le Naour et Valenti, 2003, p. 66).

23En 1970, dans un article scientifique battant en brèche les « mythes conservateurs sur l'avortement », le gynécologue Émile Hervet vantait, lui, la rapidité de l'aspiration :

24

La France se met rapidement à cette nouvelle méthode qui consiste à évacuer l'utérus par aspiration de l' uf. La méthode est simple et pratiquement sans danger puisque l'avortement, surtout s'il s'effectue précocement, demande une ou deux minutes et ne nécessite pas d'anesthésie. Il ne nécessite pas non plus d'hospitalisation, mais simplement un arrêt de quelques heures.

25Ainsi, trois ans avant la proclamation du GIS, l'aspiration « brute » ­ sans le climat de confiance et la canule non traumatisante attribués à Harvey Karman ­ apparaît déjà comme une simplification significative de l'acte. Mais à l'époque, ce discours scientifique isolé ne suscite pas d'intérêt collectif, par exemple de l'ANEA.

26Adressant depuis 1969 ses réflexions sur l'avortement aux autorités législatives et médicales, motivées par des raisons sanitaires, l'ANEA constitue en 1972 un groupe qui réalise quelques « interruptions de grossesse » dans le but de dénoncer la situation et d'aboutir à la prise en charge médicalisée d'une partie des demandes [15]. Ainsi, Alice envoie des patientes « avec un dossier, les antécédents, pourquoi elle voulait avorter, le nombre d'enfants, etc. » à des gynécologues de l'ANEA, qui retiennent quelques « cas particuliers, qui puissent impressionner un peu ». L'aspiration fait partie des modes d'avortement expérimentés. Toutefois, l'ANEA ne thématise pas la simplicité de l'offre technique, malgré la communication en mai 1972 de statistiques lors d'un colloque international à Paris [16]. L'attitude de ces gynécologues progressistes revient selon André, lui-même engagé au MFPF, à ne pas contredire les justifications techniques (le danger) données à leur position modérée (un droit conditionné à l'avortement) :

27

­ André : Il ne fallait pas dire qu'il y avait des méthodes simples pour faire des avortements [...] Parce que pour que l'avortement ne se répande pas en France, il fallait quand même maintenir le fait que c'était dangereux.
­ LR : Donc si l'ANEA n'a pas dit qu'il y avait des méthodes simples, c'est...
­ André : Ben c'est parce que si elle voulait une loi, il fallait être prudent. C'était de la stratégie. Et puis bon... les gens avaient des réticences sur l'avortement [17].

28Autrement dit, si l'ANEA finit par se mobiliser sur l'avortement par la pratique ­ avant le GIS, donc ­, elle ne s'engage pas plus avant pour faire connaître une manière simple d'avorter. Il faut attendre la proclamation de sa possibilité par d'autres réseaux de médecins, plus radicaux et axés sur la diffusion de l'information.

Des médecins s'organisent

29Si la mutation ne réside pas dans les propriétés attribuées à la technique, quels sont les fondements de son succès ? Pour l'expliquer, il faut s'extraire du discours des acteurs/rices et envisager le travail de promotion opéré par le GIS, bientôt suivi du MLAC. De la propagande à « l'action directe », d'initiatives individuelles ou en petits collectifs épars à un large mouvement couvrant le territoire, la mise en forme politique de la technique transforme les axes stratégiques et accélère la mobilisation. J'analyse ici comment « la méthode » est construite comme centrale dans la rhétorique et, partant, motive le passage à l'action.

L'arrivée de l'aspiration dans les réseaux militants

30C'est vraisemblablement via les réseaux féministes transnationaux que l'aspiration est montrée et discutée publiquement pour la première fois en France. Début 1972, une brochure du MLF évoque « 2 techniques d'avortement médical » [18] : celle de dilatation-curetage et l'aspiration « peu courante en France, mais qui se répand de plus en plus ». En mai 1972, lors du Tribunal de dénonciation des crimes contre les femmes organisé par le MLF et Choisir à la Mutualité, des femmes témoignent de leurs expériences d'avortement clandestin. Parmi les projections auxquelles des centaines de personnes assistent, intervient une scène d'avortement :

31

Voici un vrai avortement propre, sans danger, pratiqué à temps et qui réussit : par aspiration et en huit minutes, dans un centre de militantes new-yorkaises. C'est l'avortement le plus dédramatisé qui soit. La patiente assiste à tout, elle n'est anesthésiée que localement, elle sourit, confiante, elle parle... ouf ! « Ce n'est donc pas plus grave que ça ? » interroge un homme, la cinquantaine [19].

32Mais les militantes du MLF, peu enclines à passer à la pratique abortive (Ruault, 2017, p. 183-187), ne s'en emparent pas pour donner une nouvelle dimension à la lutte engagée depuis quelques mois. L'information ne rencontre qu'un faible écho, au point que, lorsque Harvey Karman fait escale à Paris en septembre 1972 [20], un des instigateurs du GIS ignore encore tout de la technique :

33

Personnellement, je la découvre à ce moment-là. Complètement. Et quand j'ai présenté ce que j'avais appris au groupe du GIS, aucun n'avait jamais entendu parler de cette méthode : la seule existante pour nous, c'était le curetage [21].

34Daniel attribue ce décalage d'accès à l'information à une mauvaise communication entre les réseaux féministes et de médecine critique. Malgré une rencontre assez tôt en 1972, la perspective de militer en mixité, côté MLF, et les représentations dépréciatives du militantisme féministe, côté GIS, font obstacle à une collaboration. C'est donc entre (futur·e·s) médecins que la technique sera d'abord politisée.

35À partir de 1972, la méthode d'aspiration circule en France à partir de deux « foyers » médicaux, à Grenoble et Paris. Alors insatisfaite de sa pratique à la sonde, une petite équipe grenobloise, en contact avec une militante du Women's Lib, se rend en juin 1972 à Londres pour y chercher une technique « moins agressive » [22]. Depuis un an, suite à la démonstration par Karman d'un avortement rapide, une équipe du King's College Hospital est autorisée à expérimenter la méthode (CLAC, 1973). C'est là que Vincent, encore étudiant, se forme : Stella Lewis, médecin australienne, manie une canule en plastique, et Shirley Lal, assistante sociale indienne, s'occupe de « l'accompagnement humain ». Dès fin juin 1972, l'équipe grenobloise troque ses sondes contre les canules de Karman.

36De façon directe ou indirecte, Karman devient alors le vecteur de diffusion de cette méthode d'avortement en France. À Paris, il forme en personne des médecins du GIS à la rentrée 1972 (Pavard, 2009, p. 81-82). Dans ses articles qu'il leur communique, il affirme que la simplicité de l'aspiration et son faible coût la rendent appropriable par tou·tes à l'issue d'une formation sérieuse et applicable hors du contexte hospitalier.

37L'introduction de l'aspiration est unanimement encensée et elle est relatée par les médecins du GIS que j'ai interrogé·e·s comme une rupture, d'abord technique. Alice se rappelle :

38

Ça a complètement révolutionné le fait d'avorter. C'était immensément moins dangereux que le curetage, avec beaucoup moins de complications [...] La première fois que j'ai fait une aspiration, j'étais sidérée ! J'avais jamais vu quelque chose d'aussi simple ! [...] on ouvrait le col avec des sondes et on aspirait directement le f tus.

39Néanmoins, en réduisant les implications de la méthode à une question technique, les récits rétrospectifs font écran à la spécificité du contexte de réception, en particulier aux dynamiques d'appropriation par des réseaux de médecins critiques.

Les conditions d'une réception positive

40L'accueil réservé à l'aspiration au sein du GIS n'est pas d'emblée enthousiaste. Après l'avoir apprise auprès de Karman, Daniel peine à convaincre ses camarades de sa sûreté.

41

­ À une réunion du GIS le lendemain, je leur ai raconté : « Écoutez, moi je crois qu'il est temps qu'on fasse des avortements ». Donc ils m'ont traité de barjo, de dingue : « Mais tu ne te rends pas compte ! C'est trop dangereux, n'importe quoi ! ».
­ Dangereux dans le sens illégal, ou risqué ?
­ Dangereux parce que nous n'avions tous qu'une vision des complications de l'avortement. [...] Et voilà qu'il était dit que ça pouvait être quelque chose de simple, inoffensif ! On n'avait jamais appris ça en médecine. JAMAIS ! [...] Alors comme à l'époque j'étais dans cette démarche de culture scientifique [...] j'ai dit ensuite « Il y a des articles ». On a commencé à avoir une approche plus scientifique et médicale... 

42Clémence raconte qu'avant d'accorder foi en la méthode, les médecins se focalisent sur les caractéristiques techniques, émettant des doutes sur l'innocuité :

43

Les gynécologues prenaient la parole : « Et vous allez comme ça rentrer une canule, dans un col ?! Sans précaution ?! Elles vont faire un choc vagal » [...] Là-dessus d'autres levaient la main : « Oui mais quand vous voulez faire une mensuration des dimensions de l'utérus : vous rentrez quelque chose, ça ressemble bien à une canule ? » « Ouais. », qu'ils disaient les gynécos. « Vous prenez quoi comme précautions avant ? » « Rien. » « Vous en avez beaucoup des chocs vagaux ? » « Très rarement », qu'ils disaient. [Elle sourit] Alors, argument repoussé [...] On a discuté pendant un moment. Et conclu que médicalement, on devait pouvoir le faire, sans prendre des risques excessifs. Donc on a décidé qu'on allait apprendre, effectivement, et pratiquer [23].

44Les longs débats animant le groupe, ajoutés au récit convaincant du parcours international de Karman, aident ce premier cercle de médecins à admettre la possibilité d'une méthode dite légère, ou plus exactement à surmonter leur perception négative de l'avortement. Cependant, contre tout déterminisme technologique, il importe de saisir ce que ce passage à la pratique et la propension à la mettre en récit doivent à la socialisation professionnelle et militante de ces individus.

45Premièrement, le ton et le champ lexical de la révélation impromptue qu'emploient les enquêté·e·s (« sidérée », « révolutionnaire », « spectaculaire », etc.) sont significatifs de la force du cadrage problématique de l'avortement par l'institution médicale. Réinscrite dans leur expérience des drames des « avortements provoqués » (lors de stages aux urgences, en service de réanimation ou de gynécologie, lors d'autopsies en cours de médecine légale), l'irruption de l'aspiration est en effet bouleversante. D'ailleurs, ce contraste avec la formation professionnelle et la méconnaissance qu'elle a entretenue sur l'avortement étayeront leur inférence erronée sur le caractère novateur de la méthode.

46Deuxièmement, cette pratique satisfait une quête d'efficacité concrète et « un goût de l'aventure, de la désobéissance » (Porée, 2013, p. 77) chez des individus socialisés aux illégalismes par un engagement préalable ou parallèle à l'extrême gauche (Marichalar et Pitti, 2013). L'attrait pour cette pratique traduit aussi, pour les étudiant·e·s, la volonté d'assumer la responsabilité d'interventions sanitaires, enjeu primordial de la formation médicale (Becker et al., 1961, p. 396-400). L'action militante leur fournit donc un terrain d'apprentissage, comme en témoigne David, 25 ans, étudiant en médecine à Grenoble, qui se dit « Très satisfait d'avoir enfin [...] une pratique médicale vraie (après cinq ans d'études [...] plus ou moins théoriques) » (CLAC, 1973, p. 70).

47Troisièmement, leur critique du pouvoir médical est un préalable à la confiance accordée à un protocole transmis en milieu militant. Ce protocole étant axé sur le confort et le choix des usagères, sa portée critique a tôt fait d'attirer des médecins entretenant une distance avec les savoirs orthodoxes. Des membres du GIS commentent ainsi un article de Karman en octobre 1972 : il « montre une conception de la médecine et une façon d'aborder la relation médecin-patient qui apporte des éléments au débat qui se déroule à l'heure actuelle au sein du GIS » [24]. Rapidement identifiée comme un levier de rénovation des savoirs professionnels, l'aspiration abortive praticable en dehors de l'hôpital permet de « prendre la médecine à la fois comme terrain et comme instrument de lutte » (Pavard, 2012, p. 48).

48La certitude partagée que l'avortement est une question médicale que l'institution finira par accepter favorise leur passage à la pratique. Mais ces médecins, et parfois chercheurs·ses, sont d'autant plus disposé·e·s à le croire que ­ et c'est le quatrième élément ­ leur socialisation professionnelle ambivalente (au vu du décalage ressenti avec le corps médical) les dispose à entrevoir les enjeux scientifiques de leur engagement politique.

49

Quand on a vu ce qu'on pouvait faire, ça nous a brûlé les mains ! cette histoire de canule et de seringue [...] Personne ne connaissait cette méthode. C'est ça les progrès médicaux, c'est que d'un seul coup !... alors je me dis : « La méthode est arrivée pile ! quand on en avait besoin » [25].

50Les mots de Marthe sont à analyser à l'aune de la légitimité actuelle de l'aspiration, dont l'usage s'est largement stabilisé dans son univers professionnel. Ils restent révélateurs de la manière dont, à l'époque, son arrivée est vécue, et donc bientôt construite comme une innovation, un « progrès médical » en puissance.

51Les médecins critiques se saisissent alors du dispositif d'aspiration pour lancer un mouvement d'ampleur pour le droit à l'avortement.

La promotion d'une technique comme point de ralliement

52Le discours que les membres du GIS ou du CLAC produisent est à la mesure de leur sentiment de rencontre providentielle avec le procédé. Dans le texte qu'il publie dès 1973, le groupe grenoblois explique s'être précipité sur les canules « avec une curiosité extrême... conscients que, bien plus que d'une amélioration technique, il s'agissait d'une arme révolutionnaire » (CLAC, 1973, p. 23). La brochure que fait paraître le GIS au début du printemps 1973, Oui nous avortons !, est emblématique de ce discours de rupture. Après avoir présenté les instruments traditionnels (surtout la curette), il est écrit en lettres plus grosses :

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GIS, Oui nous avortons ! Paris, Gît-le-C ur, 1973, p. 22.

53En affirmant l'altérité des méthodes, le GIS utilise l'aspiration pour conjurer le spectre de la dangerosité. La publicité que font les médecins de leur entrée dans la lutte n'est jamais détachée de la méthode par aspiration, sempiternellement accolée au nom de Karman, et d'une prolifération de schémas martelant sa facilité de mise en  uvre, son efficacité et son caractère bénin. Elle est ensuite omniprésente dans les interventions publiques des groupes MLAC. Ils orchestrent le tapage médiatique en s'appuyant sur de nombreux relais militants et divers médias, « tous rapportant les atouts de la méthode Karman » (Rameau, 2010). Un extrait de tract, distribué au printemps 1973 par un comité de la proche banlieue parisienne, témoigne de la diffusion de cette approche : un renouvellement des savoirs est annoncé.

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Tract, « Pourquoi le Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et de la Contraception ? », signé « Les femmes de St Ouen du MLAC », La Contemporaine, F/Delta/170/19.

54Ce type de présentations du procédé abortif, par le GIS puis le MLAC, rencontre un grand succès auprès des milieux militants et suscite le passage à la pratique à travers le territoire. André a bien saisi le rôle de promotion du MLAC, et comment les médecins critiques cherchent à susciter l'adhésion sur une base technique :

55

Il n'y a pas eu avant et après le MLAC. Le MLAC, il a eu un rôle de proclamation : « Nous on sait les faire, il n'y a pas de problème » [...] C'était un peu sommaire. Parce que dire qu'un acte médical n'a pas de complication, c'est une connerie. 

56Paula, quant à elle, fait valoir une dimension centrale de la nouveauté : « Ah la méthode Karman quand elle est arrivée, ça a été la révolution ! Parce qu'avant c'était plutôt : “Qui veut bien le faire en cachette dans son service, avec curetage et anesthésie”? » [26]. La circulation de l'information sur l'aspiration signe la sortie de la clandestinité, qui permet à certains groupes d'avorteurs/ses répartis sur le territoire de se joindre au mouvement. La publicité d'une généralisation de la pratique occasionne ainsi la transformation du réseau clandestin d'avortement relié au Conseil de Nantes en un groupe d'une cinquantaine de membres, l'AG de l'avortement. Pour Claude, qui passe alors de la sonde à la canule, le plus marquant est l'évolution des conditions subjectives de la pratique :

57

C'était comme quelque chose d'une libération et d'une possibilité pour tout un chacun de s'approprier cette pratique. Ce qui était très important, c'est que ça diffusait. Avant, c'était lourd comme ambiance. C'était oppressant d'aller chez les gens comme ça, en cachette... Avec la nouvelle méthode, là on sentait qu'on pouvait parler, que ça sortait [...] qu'on n'était plus seul.

58L'homogénéisation des perceptions militantes qu'autorise la sortie de clandestinité va jusqu'à renouveler la conception de l'acte auprès d'avorteurs/ses disposé·e·s à épouser politiquement la cause. En fin de conversation, Claude ose ainsi aborder la question déshonorante de l'échange monétaire :

59

Ce que je ne vous ai pas dit aussi, c'est qu'au début il y avait un caractère rémunérateur. En fait ça faisait partie de la pratique, pour... pour en gros, pour compenser la clandestinité [...] Oh, c'était de l'ordre, une petite somme hein. Pas bien cher, mais quand même. On a complètement arrêté avec l'AG de l'avortement. On avait donc un autre rapport à la pratique, c'est certain.

60L'appropriation de l'aspiration dans une configuration d'acteurs·rices favorables à la politisation de l'acte donne une signification nouvelle aux avortements illégaux, jusqu'à rompre la logique de compensation financière du risque. C'est bien la construction d'une vaste configuration collective qui crée les conditions de la simplicité.

61Auprès de leurs confrères et cons urs, l'interprétation de la méthode que proposent les entrepreneurs/ses de cause concourt à transformer les représentations. L'insistance sur les bienfaits de la technique est susceptible de convertir des médecins favorables à l'avortement, mais passifs, en avorteurs/ses parties prenantes d'une lutte exemplaire. C'est la révélation publique de l'existence d'un procédé sécurisé qui convainc ainsi Clotilde de se former et de rejoindre un groupe local :

62

Si je n'avais pas été à cette conférence de ce généraliste à Aix, où il expliquait la méthode Karman, j'aurais rien fait. Ça m'a vraiment parlé, quoi ; je me suis dit « Mais c'est juste pas possible ! S'il y a une méthode simple ! Sans danger ! Non douloureuse... » [27]

63En imprégnant le débat public de la possibilité d'une pratique abortive sûre, le GIS et le MLAC engagent une recomposition de l'identité de l'avorteur/se, compatible avec celle de médecin : on passe ainsi de la pose de sonde infamante à l'aspiration militante, toujours illégale mais légitime.

64Le GIS réalise précocement combien l'enjeu de sa contribution à la lutte est l'appropriation scientifique de l'avortement. Bientôt rejoint par d'autres médecins dans cet objectif, il s'empare de l'opportunité de fabriquer un nouvel acte médical : intégrant les résultats des publications étrangères, expérimentant, centralisant puis analysant les résultats de leur pratique, ces médecins s'emploient alors à la codifier dans des études présentées à la profession. Cette production des savoirs hors milieu académique vise in fine la standardisation de l'aspiration pour remplacer le curetage traditionnel. Pour convaincre l'arène scientifique, mais aussi politique, que l'avortement relève de l'expertise médicale, le recours à « la méthode Karman » est essentiel. À travers l'annonce de cette mutation technique, les médecins critiques dénoncent l'archaïsme de leurs supérieurs et, face à leur pratique à la fois médiocre et maltraitante en matière d'avortement, se prévalent d'incarner la modernité médicale. Le récit de la découverte, ici comme dans d'autres domaines scientifiques, sert donc des mécanismes de différenciation professionnelle (Brannigan, 1996 [1981]).

Karman, l'invariant d'un récit à géographie variable

Si le livre de l'équipe grenobloise paru chez Maspero mentionne des « infirmières » en Chine (CLAC, 1973, p. 9), son récit de l'aspiration donne le rôle central à Harvey Karman, jusque dans « l'anesthésie verbale ».
Plus tard dans la lutte, l'un des récits que des médecins destinent à la profession [28] est plus nuancé que les discours usuels du GIS et du MLAC insistant sur le caractère pionnier de la « méthode Karman ». Cette fois, il est question de médecins anglais au XIXe siècle, de Bykov et de médecins américain et chinois, avant d'arriver à « l'objet de [leur] étude » : « À la fin des années 1960, un psychologue de Los Angeles mit au point un matériel et une méthode connus sous le nom de “méthode karman”. Elle fut introduite en France en septembre 1972 ». Ce document illustre le processus de requalification médicale de l'avortement en 1972-1975. On y lit une histoire et une technique d'hommes, laquelle est rapportée à une innovation issue du monde médical, rhétorique qui banalise son introduction auprès de leurs pair·e·s, indépendamment de leurs convictions morales. Enfin, le lexique choisi renferme d'emblée des valeurs du champ médical : comme brevetée empiriquement, la « méthode » acquiert un nom propre, entérinant ainsi la propriété intellectuelle d'un inventeur seul. Il y a bien ici une interprétation genrée et médicale de la technique.

65La « méthode Karman » est alors au c ur de la stratégie discursive de la mobilisation médicale. Ainsi, un argumentaire initialement politique ­ l'avortement, acte bénin s'il est pris en charge dans des conditions sérieuses, doit être accessible à toutes ­ se mue pour partie en un argumentaire technique ­ une méthode novatrice et portant les ferments d'une autre médecine ­, pour convaincre d'autres médecins de rallier la lutte. Le discours sur la « méthode Karman », qui enchevêtre argumentaire technique et légitimité d'avorter, constitue alors une pièce maîtresse du travail d'acclimatation de l'avortement médicalisé, jusqu'auprès de publics scientifiques.

Des expériences pionnières de l'avortement libre dans la clandestinité

66Pour sortir de l'ornière de la « méthode Karman » et amorcer un récit de la lutte décentré de l'innovation, il faut documenter ses liens avec des pratiques abortives antérieures. En effet, à force d'autonomiser les pratiques de contestation ouverte, l'analyse oublie souvent des formes plus clandestines et moins collectives, qui sont parfois des mobilisations silencieuses (Offerlé, 2008). Ce sont en l'occurrence des groupes préalablement engagés dans la pratique abortive, sans relations orchestrées entre eux, qui participent à partir de 1973 au mouvement social. Je m'appuie ici sur des collectifs découverts au hasard du terrain de thèse [29] et en marge de l'enquête collective ANR Sombrero, qui se déploient autour des savoir-faire de médecins (en majorité hommes), mais aussi de femmes paramédicales et profanes.

67Je propose de désigner par « avortement illégal politisé » [30] toute pratique collective organisée, indépendamment des techniques utilisées. Rompant avec le dualisme que pré-construit le récit de la « méthode Karman » entre actions clandestines et publiques, cette lecture ne présuppose pas les formes que prennent les pratiques organisées à des fins d'entraide (pouvant par exemple inclure une contrepartie monétaire) et, surtout, admet la dimension politique de pratiques d'avorteurs/ses empiriques.

68La notion d'avortement illégal politisé est essentielle pour considérer l'affirmation de pratiques collectives qui, elles aussi, préparent la lutte publique de 1973-1974. Cette entrée permet de toucher du doigt certains chevauchements de pratiques, comme avec les réseaux d'avortement anarchistes, ainsi que les rapports de force qui ont marqué le projet politique et professionnel autour de « la méthode Karman ».

De sondes en canules : parmi les réseaux de médecine critique

69Des médecins militant·e·s du MLAC ont, au cours des années 1960, pris en charge l'organisation concertée d'avortements à la sonde. Les ressources matérielles et les sociabilités d'étudiant·e·s en médecine facilitent le passage à la pratique ; au sein d'une pratique collective, les médecins se sentent sensiblement moins menacé·e·s par les risques d'inculpation et de sanctions disciplinaires.

70Les réseaux informels organisés autour de (futur·e·s) médecins sont certainement légion. S'ils ne sont pas nouveaux, ceux évoqués ici ont la particularité de s'inscrire dans les « subjectivités politiques des années 1960 » (Gobille, 2008, p. 14) qui animent le monde étudiant. Dès 1966, à Marseille, des étudiant·e·s situé·e·s à l'extrême gauche (Comité de lutte médecine ou UNEF) ont pris ce type d'initiatives : après avoir déclenché les saignements à l'aide de sondes posées au Bureau d'aide psychologique universitaire (géré par la MNEF), les militant·e·s orientent les femmes vers certains hôpitaux ou cliniques mutualistes (Fillieule et Sommier, 2018, p. 386). Le degré d'ouverture du réseau est toutefois assez réduit, puisque la majeure partie des bénéficiaires seraient des étudiantes en médecine. Plus tard, des animateurs·rices du réseau se rapprochent du GIS lorsque celui-ci collecte des signatures pour son manifeste de février 1973. Ce collectif marseillais à la structure lâche joue donc en quelque sorte le rôle d'antichambre du MLAC local.

71Un groupe similaire émerge à Grenoble en mars 1972. La naissance de ce qui deviendra le CLAC, racontée dans l'un des rares récits indigènes (CLAC, 1973), s'étale sur plus de deux ans : Annie Ferrey-Martin, anesthésiste de 31 ans et militante sensible aux enjeux de la maternité (Berthommier et al., 1974), active les débats sur la sexualité et le contrôle de la fécondité en 1969 dans la sphère étudiante. C'est autour d'elle et d'une poignée d'étudiants en médecine proches des réseaux d'extrême gauche qu'est créé le Comité pour l'abrogation de la loi de 1920, devenant une section locale de Choisir en février 1972. À l'issue d'un meeting organisé en juin 1972 en présence de Simone de Beauvoir et de Gisèle Halimi, le groupe est « submergé de demandes ». Démarre alors une pratique abortive, par la pose de sondes dans des chambres étudiantes. Cependant, mis à part « un chirurgien complaisant » [31], leurs relais à l'hôpital sont faibles. Cette « filière » est rapidement débordée et la prise en charge des avortantes très insatisfaisante.

Des réseaux impliquant des profanes

72Au tournant des années 1970, d'autres groupes, de diverses morphologies et cultures politiques, pratiquent l'avortement. À Nantes, sur les quatre groupes qui animeront la mobilisation pour le contrôle des naissances en 1973, deux sont issus de réseaux clandestins : Choisir-Nantes (créé en janvier 1973) et l'AG de l'avortement (Équipe Sombrero Nantes, 2014). Vraisemblablement, les médecins à l'origine de la section nantaise de Choisir, qui effectuent depuis quelques mois ou années des avortements, suivent une voie similaire à celle des Marseillais·e·s.

73Le groupe qui préexiste à l'AG de l'avortement, lui, dépend dans un premier temps d'un réseau d'avortement anarchiste existant depuis une trentaine d'années [32]. Celui-ci s'appuie sur la pratique d'un profane ayant suivi quelques années d'études médicales, utilisant l'injection d'un liquide dans l'utérus, méthode qui « fonctionn[e] assez bien » et nécessite rarement un curetage en hôpital. Néanmoins, ce réseau anarchiste est fragile, dans un contexte d'hégémonie marxiste sur les luttes sociales. Son accès est de plus subordonné à des restrictions implicites, que Gilles définit comme « montrer patte noire ». Un groupe d'ami·e·s proches du Conseil de Nantes (collectif anarcho-situationniste) décide alors de mettre sur pied, indépendamment, un « réseau clandestin d'avortements, qui [utilise] la technique de la pose d'une sonde urinaire stérile » [33] pour « plusieurs centaines d'opérations ». La seule femme du Conseil, Gaby, qui milite parallèlement au MLF, y introduit des réflexions féministes qui compteront dans la création de l'AG de l'avortement au printemps 1973 [34].

74En 1969, commence la pratique à la sonde par un étudiant en médecine. Lorsqu'il quitte Nantes, Gaby et Gilles se tournent vers Claude, un autre étudiant en médecine ayant fréquenté le Conseil, et « [l']incitent à [se] former à la pratique de pose de sonde » pour prendre le relais de l'ex-avorteur, qui lui transmet alors un savoir « assez élémentaire » mais rigoureux [35]. L'action de Claude quand il se rend chez les femmes « avec [ses] deux acolytes » se borne à un « accompagnement dans la première partie pratique de la sonde », et non des suivantes (expulsion, saignements, éventuellement curetage). Selon Gaby, Claude s'est fait « poseur de sondes » au nom d'idées politiques et féministes : « Il n'était pas un médecin humaniste faisant ça pour rendre service, mais bien parce que c'était un geste obligatoire à ses yeux ». Le Conseil de Nantes dispose enfin de « réseaux en Angleterre » vers lesquels diriger des femmes et, parfois, les y accompagner. La connaissance d'adresses où avorter hors de France est un point commun à quasiment tous les groupes étudiés.

75Par ailleurs, des réseaux militants d'avortement se développant à la lisière de collectifs féministes s'appuient aussi, semble-t-il, sur l'implication d'étudiant·e·s en médecine. Danielle Gaudry (gynécologue née en 1950) témoigne ainsi qu'en deuxième année d'études, après avoir appris la technique au sein de groupes femmes du Val-de-Marne, elle pose des sondes (Bard et Mossuz-Lavau, 2006, p. 174). Les avortantes sont ensuite accompagnées dans une clinique privée.

76Une expérience militante parisienne se distingue par bien des aspects des récits précédents : ce petit collectif affinitaire, anonyme, repose sur la maîtrise technique par des femmes non médecins. Au tournant des années 1970, Anna est par deux fois confrontée à une grossesse non voulue et contrainte à 23 ans de se poser une sonde afin qu'un médecin accepte de faire un curetage pour 3 000 francs [36]. Peu après, alors infirmière dans un hôpital psychiatrique de la petite couronne parisienne, elle se rapproche de soignant·e·s engagé·e·s en faveur de l'antipsychiatrie, dont Hélène, qui pratique des avortements à la sonde depuis une douzaine d'années. Elle l'assiste quelques mois dans cette pratique, qu'elle commence à apprendre. Dans un deuxième temps, ces infirmières rencontrent dans la ville de leur établissement un groupe de femmes (enseignantes, pour la majorité). On trouve des traces de l'activité clandestine du collectif dans le bulletin Avortement et vie quotidienne, une coordination de MLAC à majorité profane implantée dans la région parisienne et le Nord.

77

Hélène : On était soutenu par des copains très connus [...] qui nous disaient : « Nous, on n'y connaît rien, on vous prête les apparts, mais on vous couvrira » : effectivement si par exemple moi, faiseuse d'anges, je passe au tribunal, ça n'aurait aucune action sur l'opinion publique, 2 lignes dans France Dimanche et puis hop ! Tandis que si c'était F[oucault ?] qui disait : « C'est moi qui tenai[s] la canule », ça ferait un autre effet ! Ils étaient prêts à se déclarer complices de l'avortement [37].

78Ce réseau fait donc la jonction entre des univers sociaux dissonants. Par les relations qu'Hélène a gardées de son expérience professionnelle à la clinique de La Borde en 1966-1967, ces femmes se « branchent avec des intellectuels » ­ Felix Guattari, Gilles Deleuze, Michel Foucault ­ et des artistes comme Delphine Seyrig, qui fournissent un soutien logistique et financier (pour le matériel). L'écho d'une méthode abortive plus légère que la sonde leur parvient et ce groupe de cinq à huit femmes rencontre à plusieurs reprises les médecins du GIS, qui refusent de leur transmettre la méthode dans l'immédiat « car on était des p'tites infirmières de rien ! », relate Hélène [38]. Elles partent donc en stop à Grenoble se former à l'aspiration : « Le GIS nous a incendiées parce qu'on était passées par-dessus le GIS » [39]. Une telle réprobation illustre la volonté de contrôle qu'exerce le GIS sur la diffusion de l'aspiration et l'application qui en est faite, tout du moins durant cette phase d'expérimentation précédant la sortie du manifeste des 331. Plus généralement, le groupe de femmes et le GIS développent des stratégies incompatibles : quand elles se concentrent sur la nécessité de répondre à toutes les demandes, les médecins revendiquent de pratiquer un nombre limité d'avortements dits « exemplaires » plutôt que « suppléer les carences du pouvoir » ­ ligne conséquente à leur visée d'intégration de l'avortement dans les structures médicales légales.

Rôle transitoire et possibles non advenus

79Ce survol de différents réseaux d'avortement illégal politisé opérant à la fin des années 1960 et au début des années 1970 apporte plusieurs enseignements. Les pratiques clandestines réunissent des fractions peu prestigieuses du corps soignant : étudiant·e·s, psychiatres, généralistes, infirmières. Ces réseaux ont en commun une maîtrise tronquée, car le recours à la sonde signifie « l'acceptation du fractionnement de l'acte technique » et rend incertain le suivi des avortantes. La potentielle intervention du curetage, hors de leur contrôle, signale « le maintien d'une dépendance constitutive avec le milieu médical » [40].

80En ce qu'ils participent tous à la lutte pour l'avortement en 1973-1974, ces réseaux marginaux ont un rôle transitoire. Ils partagent un certain nombre de caractéristiques avec les filières anciennes d'avorteurs/ses, telles que le recours à la sonde, la clandestinité et la rémunération ; les enquêté·e·s sont généralement peu loquaces sur la somme demandée aux avortantes, mais elle semble bien en-deçà des prix des « faiseuses d'anges », a fortiori des « médecins marrons » [41]. Malgré leur proximité avec les pratiques « ancestrales », ces réseaux tiennent à s'en distinguer. Bernard, qui coopère de fait avec des avorteuses à Lyon en suivant médicalement des femmes sur lesquelles elles sont intervenues, se tient ainsi à distance de ce « réseau vénal » [42]. Il finit d'ailleurs par le court-circuiter, au nom des « garanties médicales » à apporter, en posant lui-même des sondes ou en fournissant des adresses à l'étranger.

81Ces organisations montrent également un changement d'échelle en cette période charnière. Certes, la pratique « ne [débouche] pas » sur un mouvement social à proprement parler, qui nécessiterait « l'exposition de ce qu'on [fait] » (Claude) ; néanmoins, l'avortement n'est pas pratiqué isolément. Le regroupement de personnes engagées, la consolidation de ressources et les échanges ainsi permis ouvrent d'ores et déjà une brèche dans la transmission incidente des savoirs abortifs (Ruault, 2017). Ces discrètes impulsions sont en quelque sorte la face cachée des collectifs instigateurs de la lutte pour l'avortement libre. Enfin, la manière dont l'histoire de ces groupes croise celle du GIS renseigne sur les rapports de force qui structurent la requalification de l'avortement en problème sanitaire, là où le MLF avait défendu une lecture de l'avortement inséparable de l'hétérosexualité et de la maternité obligatoires ainsi que du quotidien de l'oppression des femmes.

82Revenons quelques mois en arrière, au réseau lié au Conseil de Nantes ­ qui sortira de la clandestinité avec l'essor du MLAC, en devenant AG de l'avortement. Il est remarquable qu'avant même la diffusion en France de la technique d'aspiration, des membres du Conseil aient appelé à la naissance d'un mouvement « officialisant » les pratiques abortives « souterraines et isolées ». Un communiqué transmis au Planning familial, à des groupes féministes, la MNEF et quelques journaux, entre mai 1971 et l'été 1972, fait plusieurs propositions : l'organisation « par charter des voyages vers l'Angleterre, le Maroc, la Suisse... », la création d'un compte « permettant la collecte de fonds » pour ces interventions à l'étranger, et la publicité des réalités de l'avortement « par des scandales judicieux » :

83

Un exemple : Quelque part 10 ou 15 (?) femmes se font avorter “comme d'habitude” mais au même moment. Puis elles se présentent en groupe à l'hôpital en exigeant un curetage. Dans le même temps le MLA national ou local fait une publicité très large à l'événement afin de :
­ prendre à sa charge l'inculpation éventuelle et assurer la défense de ces femmes ;
­ dévoiler la fausse neutralité de la médecine, forcer l'administration hospitalière et les médecins à prendre en charge publiquement toute avortée, lui permettant ainsi dans l'immédiat d'être correctement soignée après une man uvre abortive [43].

84Ici, le Conseil de Nantes identifie le pôle féministe, à travers le MLA existant depuis 1970, comme le plus légitime pour coordonner la lutte. En outre, le projet présenté s'apparente par certains aspects (voyages, irruption d'avortantes en hôpital, stratégie médiatique, etc.) aux actions qui seront entreprises quelques mois plus tard sous l'étendard du MLAC. Imaginant une coordination de collectifs qui réponde concrètement au problème et fasse « éclater la mauvaise conscience », le discours de ces militant·e·s préfigure des modes organisationnels du MLAC :

85

Organiser un secrétariat général (le MLA ?) ou des secrétariats régionaux chargés [...] de mettre sur pieds les réseaux d'avortement comprenant les médecins ou autres avorteurs validés comme tels par les avortées. Seul un réseau « officiel » permettra de connaître ceux qui pratiquent cette intervention sans fausse conscience et de limiter les tarifs prohibitifs [...]
Une pratique ouverte, insolemment prônée, institutionnalisée par la force de nous, fera plus pour l'avortement libre que toutes les déclarations qui, si elles ont en leur temps permis un déblocage, ne peuvent plus maintenant qu'être traitées dans le chapitre « agitation au jour le jour » [44].

86Un tel discours atteste que le choix de la pratique abortive comme arme politique est en grande partie indépendant du « problème technique ». Sonde, dilatation et curetage ou aspiration ; pratique hors milieu médical ou pression sur les services hospitaliers ; avortements sur le sol français ou à l'étranger ; il existe de multiples manières d'engager la bataille. Pour autant, le glissement de ce groupe vers l'aspiration éclaire, en dernière analyse, la dialectique entre technique et mouvement social : on décèle alors quelle part de son essor est attribuable à la technique. Il ressort que la réelle nouveauté qu'elle introduit, soit la maîtrise rapide de l'avortement avec l'assurance de ne pas recourir à l'hôpital, participe de son appropriation à une grande échelle. Autrement dit, la pratique abortive fait boule de neige car la maîtrise aisée que permet la méthode par aspiration alimente la croyance (préexistante) dans la possibilité de généraliser cette action militante, et vient donc légitimer la pratique profane des avortements illégaux.

87Les quelques sources ici exhumées, sur des actions précédant celle du noyau parisien de médecins critiques, permettent ainsi d'appréhender des formes inexplorées de l'engagement pour l'avortement libre, dévoilant en fait des « possibles non advenus » (Veyne, 1971). L'organisation échafaudée par le Conseil de Nantes fait en effet écho à l'un des principaux griefs que des groupes femmes de quartier exprimeront à l'endroit des médecins critiques après le printemps 1973 : la marginalisation de la lutte des femmes, la création d'un monopole médical et le paternalisme des camarades médecins.

88

La méthode Karman ne nous intéresse que dans la mesure où elle a représenté un saut politique : [...] des femmes y ont vu [...] la possibilité de prendre en mains leurs propres problèmes d'avortement, sans passer par l'institution médicale [...] Le GIS a perçu ce moment politique, mais l'a exploité au profit de sa propre lutte contre l'ordre des médecins et contre la législation. L'avortement devient une pratique de « médecine sauvage », mais il reste aux mains de spécialistes. Il n'est pas le moment où les femmes se constituent comme force politique en se réappropriant le contrôle de leur corps [45].

89Cette accusation de « récupération » de la lutte à des fins professionnelles résonne avec le refus de la confiscation des savoir-faire évoqué plus haut par Hélène. Ces critiques dessinent, en théorie pour l'une et en pratique pour l'autre, des formulations concurrentes de la lutte (et du problème public), en termes d'organisation politique autonome des femmes : restées discrètes, car en lisière de la mobilisation collective et restreintes à quelques-unes de ses fractions, ces appropriations ne font pas le poids face à la force du cadrage médical.

90La catégorie de « méthode Karman » n'aurait pas été popularisée sans la médiation des médecins critiques qui l'ont promue dans les champs militant et médical. L'exagération de son caractère inédit et la logique d'amplification consécutive ont fait advenir « la méthode », avançant alors un argument déterminant du combat pour libéraliser l'avortement. Il n'est donc de « méthode Karman » qu'un slogan dans un mouvement social spécifique, en France dans les années 1970 ; on disait plutôt Vacuum aspiration technique en Grande-Bretagne, aborto per aspirazione en Italie, Absaugemethode en Allemagne, aborto por aspiración/succión en Espagne, avortement par aspiration en Suisse [46]. Continuer à la nommer ainsi, c'est perpétuer le discours des acteurs qui ont dominé cette lutte.

91Pour aller plus loin, il faut réfléchir à toute l'économie symbolique à l' uvre dans une telle catégorisation et à combien la fiction produite par les médecins critiques est un catalyseur. D'une part, l'impact de leur récit sur l'existence de techniques sûres et simples rend intelligible la source des responsabilités et justifie, pour le GIS, d'imputer la faute à l'État et aux médecins conservateurs. C'est ce travail d'interprétation et de promotion qui a une force d'entraînement décisive et permet au mouvement social de changer d'échelle. Là réside le coup de force du GIS : il rend crédible la pratique militante et ouverte des avortements, ce qu'aucun groupe n'avait réussi jusqu'alors (néo-malthusien·nes, anarchistes, paramédicales organisées, etc.). Au-delà de l'activité protestataire post-68, leur discours est recevable car il s'accorde avec une trame de significations partagées, tant par les réseaux MFPF que MLF, sur les « fléaux de l'avortement » voués à disparaître grâce à la prise en charge médicale.

92D'autre part, leur fiction représente en fait un levier privilégié de la mobilisation pour l'appropriation médicale de l'avortement. La stratégie suivie découlait bien sûr des ressources des professionnel·les engagé·e·s, qui ont su capter la valeur de l'offre technique pour y adosser leur entreprise scientifique ; l'un des rôles de ce procédé interprétatif était donc aussi de les doter d'une légitimité dans l'univers professionnel. Par l'invocation continue de « la méthode Karman », les arguments qui dominèrent les débats publics ont fait valoir le droit d'avorter sur la base d'un souci de santé plutôt que sur l'intégrité corporelle des femmes, ou bien la légitimité à décider du devenir de son propre corps. En fin de compte, cet argumentaire technique, associé à l'ascendant pris par les médecins dans la mobilisation, a opéré via la saturation de l'imaginaire politique. La « méthode Karman » a fait du modèle médico-centré un horizon désirable et indépassable et a contribué à faire passer au second plan des idéaux féministes, ou du moins l'avènement d'une auto-organisation des femmes dans le mouvement pour l'avortement libre.

93L'appellation « méthode Karman » a refait surface récemment dans les espaces académiques et militants en France, à la faveur d'un regain d'intérêt pour les mobilisations féministes des années 1970. Avec ce quasi décalque du récit des médecins, l'un des effets remarquables est que le nom de cet homme en soit venu à symboliser la lutte pour la liberté d'avorter, tout en éclipsant des pratiques protestataires de femmes dans les processus de mémorialisation. Alors qu'ont échappé à mon enquête les pratiques de micro-groupes coupés du milieu médical, il s'avère essentiel, pour renouveler l'historiographie des techniques et du féminisme, de continuer à exhumer l'histoire de l'avortement illégal politisé et de diversifier l'étude des espaces d'engagement.

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Mots-clés éditeurs : Avortement, Réseaux féministes, Médecins critiques, Promotion d’une technique, Cadrage médical, Militantisme

Date de mise en ligne : 06/09/2021

https://doi.org/10.3917/soco.121.0139

Notes

  • [1]
    Entretien avec Alice (gynécologue médicale, ANEA, puis GIS et MLAC), avril 2012.
  • [2]
    Notamment popularisé par le film Histoires d'A (réalisé par Charles Belmont et Marielle Issartel, membres du GIS), rendu célèbre par la lutte contre sa censure à l'automne 1973.
  • [3]
    C'est plus tard, lors du congrès de juin 1973, que le courant radical en faveur du droit à avorter devient majoritaire au MFPF.
  • [4]
    Sauf précision contraire, c'est l'autrice qui traduit.
  • [5]
    Version reprise par des médecins critiques dès la période précédant la création du MLAC. Cf. « À propos de 177 avortements par aspiration pratiqués en France selon la méthode de Karman ». Archives de la CFDT, 8H625.
  • [6]
    Technique mise au point par des féministes début 1971 : il s'agit d'aspirer le contenu de l'utérus à l'aide de l'extracteur « Del-Em » inventé par Lorraine Rothman (seringue connectée à une bouteille hermétique dans laquelle est fait le vide, soit un équipement moins encombrant et onéreux que celui des aspirations précoces qu'utilisent des médecins à la fin des années 1960). Destiné à un usage au sein de collectifs de femmes, ce procédé est présenté comme un moyen d'amoindrir l'inconfort et la durée des règles ; et, si l'utérus contient un embryon, il aura un dessein abortif.
  • [7]
    Karman utilise le Supercoil lors du deuxième trimestre de grossesse. Le procédé consiste à insérer des bandes de plastique dans l'utérus pendant 24 heures, à la suite de quoi la femme avorte « spontanément » (le reste des débris f taux étant aspiré à la canule). Il aurait provoqué de graves complications (perforations utérines, infections, hémorragies, etc.) chez des avortées au Bangladesh et à Chicago. Sur le Supercoil scandal voir Ruzek, 1978, p. 198-204 ; Tunc, 2008a.
  • [8]
    Un groupe du MLF Genève, « Avortement ­ les méthodes ». Correctif à la brochure Contraception & Avortement, septembre 1973. Archives contestataires, MLF-GE/S2/D25.
  • [9]
    Entretien avec Michelle (MLAC-Paris 9e), juin 2016. Elle avait une excellente maîtrise de l'anglais et fréquentait des féministes états-uniennes.
  • [10]
    Quand ce n'est pas en le citant : « Les femmes de Los Angeles comprirent l'intérêt de ma méthode. L'aspiration fut pratiquée dans une free-clinic [...]. Je fus dénoncé et emprisonné. Une manifestation permit ma libération et l'avortement continua à être pratiqué, mais sous un autre nom : l'aspiration menstruelle » (CLAC, 1973, p. 26).
  • [11]
    Entretien avec André (médecin généraliste, MFPF Lille), avril 2013.
  • [12]
    « Chacune dans leur coin (Discussion du 13 mars 1974) », Avortement et vie quotidienne, 15, 14 mars 1974.
  • [13]
    Entretien avec Claude (psychiatre, AG de l'avortement), mai 2016. Italiques de l'autrice.
  • [14]
    « Toutes ces choses-là étaient illégales, aussi illégales que la liberté elle-même », probablement été ou automne 1973, signé « Assemblée générale pour la liberté d'avorter ». Souligné dans le texte. Archives privées.
  • [15]
    Brochure, ANEA, Nous avons fait des avortements. Voici pourquoi, 1973. Archives privées.
  • [16]
    Claudine Escoffier-Lambiotte écrit dans Le Monde du 7 mars 1973 : « Quelques rares services de gynécologie français » recourent à l'aspiration « pour les cas médicaux ».
  • [17]
    Entretien avec André, mai 2016.
  • [18]
    « Elles auraient pu la faire plus tôt, leur brochure ! » Supplément au Torchon brûle, 3, p. 14. Signé « Le groupe de femmes du 5e », distribué au printemps 1972. Archives privées.
  • [19]
    Katia D. Kaupp, « MLF vaincra ! À la Mutualité, 4 000 personnes ont dénoncé les crimes contre les femmes », Le Nouvel Observateur, 22 mai 1972.
  • [20]
    Invité par Kénizé Mourad, journaliste au Nouvel observateur, qui l'a rencontré au Bangladesh.
  • [21]
    Entretien avec Daniel (médecin et chercheur, GIS et MLAC), avril 2013.
  • [22]
    Entretien avec Vincent (généraliste, Choisir, CLAC), juin 2013.
  • [23]
    Entretien avec Clémence (généraliste, GIS, MLAC), juillet 2014.
  • [24]
    GIS. Dossier avortement, Bulletin no 3, octobre 1972.
  • [25]
    Entretien avec Marthe (gynécologue médicale, MFPF, GIS et MLAC), mars 2012.
  • [26]
    Entretien avec Paula (infirmière, GIS, MLAC), novembre 2013.
  • [27]
    Entretien avec Clotilde (généticienne, MLAC d'Aix), octobre 2013.
  • [28]
    Un groupe de médecins du GIS et du MFPF, « Les interruptions précoces de grossesse par la méthode Karman. L'expérience française », Actes du colloque de la société de fertilité et de stérilité (juin 1974), p. 135-155. Archives privées.
  • [29]
    Je remercie chaleureusement Mélo d'avoir partagé des archives de l'AG de l'avortement.
  • [30]
    Inspiré du concept de « avortement criminel sécurisé » (Pheterson et Azize, 2006). À rebours du sens commun faisant de tout acte illégal un « avortement à risque », les autrices envisagent « l'éventail complet des pratiques abortives » sécuritaires, y compris en contexte criminalisant.
  • [31]
    Entretien avec Vincent.
  • [32]
    Entretien avec Gilles (AG de l'avortement), mai 2016.
  • [33]
    Texte dactylographié, AG pour l'avortement. Archives privées.
  • [34]
    Entretien avec Gaby, avril 2016.
  • [35]
    Entretien avec Claude.
  • [36]
    Entretien avec Anna (réseau clandestin puis MLAC), février 2016.
  • [37]
    « Discussion du 13 mars 1974 », Avortement et vie quotidienne, no 16, 21 mars 1974. La Contemporaine, F/Delta/Res/0576/51, Dossier 5.
  • [38]
    Entretien téléphonique avec Hélène (réseau clandestin puis MLAC), juin 2016.
  • [39]
    « Chacune dans leur coin », Vie quotidienne et avortement, no 15, op. cit., p. 19.
  • [40]
    Texte de réflexion, « À propos de la technique de la sonde : quelques réfutations et débusquages. Constat sur l'AG à propos d'un problème pratique », prob. 1973, signé par Michel, membre de l'AG de l'avortement. Souligné dans le texte.
  • [41]
    Ce terme dépréciatif désigne le charlatanisme médical en général et les médecins qui font commerce de la pratique illégale de l'avortement en particulier.
  • [42]
    Entretien avec Bernard (généraliste, Choisir-Lyon-MLAC), janvier 2013.
  • [43]
    Conseil de Nantes, « Propositions pour l'organisation de l'avortement libre ».
  • [44]
    Ibid.
  • [45]
    Ta-ta-ta, le GIS casse les prix, op. cit., p. 6.
  • [46]
    Des militant·e·s italien·ne·s ont utilisé l'expression il metodo Karman (avec moins d'insistance qu'en France), mais le fait que « la méthode » leur ait été transmise par des Français·e·s tendrait à confirmer mes hypothèses.

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