Couverture de SOCO_113

Article de revue

Le rire comme clef de compréhension des relations sociales

Rire avec les clients, rire de soi, rire des placiers dans les marchés de Roubaix

Pages 113 à 134

Notes

  • [1]
    Citons à titre d'exemple l' uvre de Peneff (1992).
  • [2]
    Notamment dans le milieu ouvrier. Voir, par exemple, Beaud et Pialoux (2012).
  • [3]
    Ma recherche porte sur les six marchés de Roubaix : Le Pile, Nation, L'Épeule, Le Centre, Rubens et L'Alma.
  • [4]
    Je m'intéresse aux clients mais seulement au moment des interactions avec les commerçants.
  • [5]
    Même s'il est question parfois dans ce texte de ce qui provoque le rire, l'attention porte ici davantage sur l'interaction où naît le rire que sur les causes sociales du rire dans le sens d'Henri Bergson qui voit le rire comme une correction sociale de mots, gestes et « caracteres » faisant preuve d'un automatisme, d'une raideur qui contrastent avec l'élasticité de la société (Bergson, 1924).
  • [6]
    Grâce à l'aide de Marie Cros de la PUDL (Plate-forme universitaire des données de Lille).
  • [7]
    Ou de « sauver la face » dans le sens du face work de Erving Goffman (1973).
  • [8]
    Ce type d'interaction marchande avec les touristes ­ une clientèle non connue ­ se distingue de la théorisation de l'activité marchande par Clifford Geertz dans Le Souk de Sefrou (2003) qui repose davantage sur une relation entre habitués, sur la confiance établie sur le temps long et le regroupement des commerçants par métier. Dans les marchés de Roubaix, on trouve les deux types d'interactions marchandes, dans le sens où le moment de l'accroche telle une prédation, décrite par Michel Peraldi, peut se convertir en relations entre habitués.
  • [9]
    Dans un tout autre contexte, Emmanuelle Zolesio montre dans son étude sur les chirurgiennes que la domination masculine moins franche et moins flagrante passe par la multiplication des plaisanteries, de l'humour grivois en direction des femmes ; ce qui constitue une forme de domination masculine, plus subtile et plus insidieuse (2012).
  • [10]
    Ma recherche menée en thèse sur les marchés de rue de La Paz mettait déjà en évidence le caractère primordial des compétences relationnelles aux yeux des commerçantes, en tant que clef de la prospérité du négoce, au sein d'un ensemble de compétences professionnelles (comme la connaissance du produit, sa présentation, la recherche du fournisseur, etc.). Cf. Marchand, 2006.
  • [11]
    Sur la división genrée du commerce de rue (Marchand, 2017).
  • [12]
    Je reprends ici l'expression utilisée par les commerçants eux-mêmes pour contrecarrer l'idée du sens commun selon laquelle « on fait les marchés parce que l'on ne sait rien faire d'autre ».
  • [13]
    Ou, si l'on reprend les termes de Florence Weber (1989, p. 24) : « À l'affût des moindres éléments qui leur permettent une interprétation, les indigènes, chacun avec sa position et sa stratégie propres, construisent progressivement la place du nouvel arrivé ».
  • [14]
    Selon les termes de Henri Bergson « Le rire cache une arrière-pensée d'entente, je dirais presque de complicité, avec d'autres rieurs, réels et imaginaires » (1924, p. 11).
  • [15]
    Je suis moi-même originaire de Roubaix.
  • [16]
    L'étude des catégories ethniques révèle certains principes d'organisation sociale, qui peuvent à leur tour mobiliser divers contenus culturels (Barth, 1995).
  • [17]
    Même si l'auteure incite à « saisir les rieurs dans l'immédiateté d'une pratique routinière », son analyse porte sur la « verbalisation a posteriori au cours d'entretiens longs passés avec les rieurs eux-mêmes » (2011, p. 20).
  • [18]
    Selon l'expression des commerçants eux-mêmes.
  • [19]
    Cette similitude en termes d'origine avait été remarquée par Dominique Duprez et Pinet (2003) dans leur étude sur le recrutement des agents de médiation.
  • [20]
    Rouya signifie « frère » en arabe.
  • [21]
    Cela n'est pas sans rappeler les jeux, les symboles et l'ironie des subalternes, décrits par James Scott (2008).

1Ici, c'est le marché de New-York ! Ah moi, je suis un gars sérieux en affaires, mais pas avec les femmes. Puis Gérard chante : « Sous le soleil de Mexico ! Faut faire attention au soleil, ça tape ici. » Les clients majoritairement des femmes, attroupées autour de l'étal de Gérard, vendeur de fripes, rient tout en fouillant les vêtements. Nous sommes lundi 30 mars 2009, le soleil perce à peine au marché Rubens, dans le quartier dit du Nouveau Roubaix. Les commerçants de rue ont le pouvoir d'emmener la clientèle ailleurs, comme le

2comédien emporte son public. Le marché anime la ville, lui « donne vie » ; les commerçants « plantent le décor », déballent leur étal, leur marchandise, endossent un rôle sur un espace circonscrit par les barrières municipales et, pendant le temps du marché, la ville change de visage. À la fin, les marchands remballent et la ville retrouve son apparence habituelle. Le marché de rue participe à la théâtralisation de l'espace urbain, dans le sens d'Anne Raulin (2002).

3En sciences sociales, différents registres d'humour sont présents au sein des recherches sur le monde du travail, surtout dans les secteurs les plus pénibles, dans le domaine avant tout salarié. Il est classiquement étudié comme un moyen d'alléger la souffrance au travail [1], de réduire le poids de la hiérarchie, et de favoriser le maintien d'une solidarité entre salariés [2]. Le but de cet article est de considérer le rire comme véritable objet d'étude, dans la lignée de Marc Loriol qui s'écarte des théories fonctionnalistes et néo-marxistes de l'humour dans le monde du travail (2013). Dans mon étude, le rire au travail n'est pas appréhendé seulement en ce qu'il permet de réduire la souffrance et l'aliénation. Certes, il est une arme de résistance au travail, dans le sens de James Scott (2008). Mais, plus que cela, le rire en situation s'avère être une dimension particulièrement heuristique pour la compréhension de la subtilité des relations sociales et notamment de pouvoir, dans les marchés de Roubaix [3].

4Le rire en situation s'avère être un analyseur de trois types de relations des commerçants [4] : rire avec les clients, rire de soi et rire des placiers. Les moqueries et les sarcasmes vis-à-vis des placiers sont à distinguer de l'humour. En effet, l'humour vise le rapprochement et l'ouverture à l'autre, alors que la moquerie écarte l'autre. C'est pourquoi il m'est apparu opportun d'analyser les formes de rires plutôt que les formes d'humour. De manière avant-gardiste, en 1928, Eugène Dupréel définit le rire comme un « rapport social », dans son ouvrage intitulé Sociologie du rire. Selon Claude Javeau, auteur de la préface : « La typologie que propose Dupréel ­ rire d'accueil et rire d'exclusion  ­ est une illustration avant la lettre de ce qui sera connu sous le nom d'interactionnisme symbolique » (2012, p. 18). Ce « rapport social » concerne les différentes sphères de la vie sociale. Néanmoins, les marchés de rue offrent un terrain privilégié de cette approche, dans le sens où ils donnent à voir des relations de proximité, de « corps à corps ». Selon Stefan Le Courant, à propos de son étude dans un café de la Goutte d'Or, quartier immigré et commerçant de Paris, « le rire naît de ce qui est le plus directement accessible, le plus visible : la perception de la différence de chacun. Les signes extérieurs du citadin ­ son âge, son sexe, sa couleur de peau ses habits, etc. (2013, p. 5). Les marchés de rue, en tant qu'espaces publics d'interactions marchandes, de « face à face » sont le terrain privilégié de l'observation multi-située des interactions où naissent le rire [5] entre les rieurs et leurs interlocuteurs, en faisant la distinction entre ceux qui rient et ne rient pas.

Plaisanter avec les clients : un savoir-faire théâtral et commercial

5Le marché est un théâtre urbain, une scène où les commerçants endossent un rôle public, objet principal de mes observations, dans une perspective Goffmanienne (1973). Ils se mettent en scène, dans le sens où ils présentent une certaine image d'eux-mêmes à la clientèle, en public, dans une visée commerciale.

Une méthodologie plurielle basée sur l'observation

Une première phase de travail de terrain exploratoire ­ reposant sur l'observation dans les marchés, la rencontre des agents municipaux ayant en charge le service économique de la ville  ­ commence en 2008. La seconde phase, entamée en 2010, et fondée sur la réalisation d'entretiens ethnographiques dans le sens de Stéphane Beaud (1996), vise à dessiner différents profils de commerçants et à construire une typologie, selon l'acception idéal-typique de Max Weber (1971). Parallèlement, je poursuis une observation davantage ciblée, focalisée. La méthodologie plurielle se décline de la manière suivante :
  • ­ 40 observations menées dans différents contextes : les espaces de vente, et plus précisément les interactions commerçants/clients, commerçants/placiers, commerçants/riverains, commerçants/police municipale, commerçants/inspecteurs de l'URSSAF ; les réunions de la commission municipale, de périodicité mensuelle. Les observations sur les marchés sont l'occasion d'entretiens informels, dont je prends en notes les bribes a posteriori.
  • ­ 30 entretiens formels, enregistrés, avec les commerçants selon diverses variables : le sexe, l'inscription dans un parcours migratoire, les emplois et les formations antérieures à la vente, l'ancienneté dans le commerce, l'appartenance à une certaine « génération » et le type de marchandises proposées. Je mène aussi des entretiens avec les placiers, le régisseur (ou « chef des placiers »), le directeur du service économique de la mairie, les policiers municipaux et le contrôleur de l'URSSAF (responsable du travail clandestin). L'entretien n'est qu'une interaction parmi d'autres, qu'une technique, au milieu d'une méthodologie qui repose essentiellement sur l'observation et les enquêtés choisissent le lieu de l'entretien : le marché, chez eux, chez moi, dans mon bureau ou au café. En général, les entretiens ont lieu avec les commerçants qui me sont les plus familiers, grâce à l'observation. Ils n'ont pas le même attrait selon qu'ils aient lieu au marché ou non : au marché, ils sont des moments d'observation de multiples interactions entre les commerçants et les clients, qui sont tout aussi importants que l'entretien. S'ils ont lieu ailleurs, les commerçants n'endossent plus le rôle public « commercial » et se confient davantage « en coulisse ».
  • ­ Le dépouillement d'archives de presse et d'archives municipales (délibérations des conseils municipaux).
  • ­ Le traitement avec SPSS du recensement des commerçants réalisé par la mairie de Roubaix en 2006 et qui permet d'avoir des données chiffrées [6].

Les blagues

6L'objectif du rire est de créer un lien de proximité avec le client dans un but commercial. Il sert aussi à créer une ambiance agréable, conviviale, à tenir un rôle professionnel, qui contraste avec l'épuisement et les grandes difficultés éprouvées en raison du caractère aléatoire de l'activité commerciale, à l'extérieur. Dominique, commerçante de « linge de maison », âgée de 65 ans, charge et décharge son camion (drap, nappes, housses de couettes, serviettes-éponges) dans la rue, elle se sent physiquement très fatiguée (entretien, 28/05/09). Elle est divorcée sans enfant et vit avec son vieux père malade, qu'elle soigne quotidiennement. Malgré son état d'épuisement, elle ne laisse jamais entrapercevoir au client la moindre de ses failles, se maquille le visage de manière assez prononcée et répond au client avec humour et bonne humeur, ce qui lui permet de « garder la face » [7]. Alors qu'elle m'entretient de son état de fatigue extrême, Dominique répond à un client : « Quoi de neuf ?  ­ La moitié de dix-huit ». Puis elle rétorque à une cliente qui ne trouve pas de drap en accord avec la couleur de sa tapisserie : « Faut changer de papier ». À moi : « Ils n'ont pas toujours le même sens de l'humour ». Dominique a réponse à tout.

7Les plaisanteries interpellent un·e client·e en particulier ; elles s'inspirent des caractéristiques de la personne (sexe, âge, etc.). Elles visent à accrocher la clientèle comme chez le vendeur de rue ou le « camelot » décrit par Hervé Sciardet dans son étude ethnographique des marchés aux Puces de Saint-Ouen et qui s'oppose au brocanteur de trottoir qui, lui, « n'accroche pas le passant » (2003, p. 100). Les commerçants de Roubaix, en grande majorité des hommes, redoublent de techniques d'accroche de la clientèle constituée d'une majorité de femmes.

8Arezqui vend des parfums, un article destiné prioritairement aux femmes. À une jeune femme qu'il ne connaît pas : « Comment va ma cousine ? ». À une dame âgée : « Comment va jeune fille ? Comment va mademoiselle ? ». À une autre « Et la princesse ? ». Il s'agit de flatter, de créer un rapport de proximité, chaleureux, avec la clientèle féminine, de manière assez proche des rituels de séduction décrit par Gilles Boëtsch et Dorothée Guilhem : « Un rire ou un regard partagé établissent une communication en apparence ludique et spontanée [...] La séduction mobilise les sens humains, notamment le champ du visuel, pour capturer l'autre, interpréter ses réactions verbales et gestuelles et réagir en fonction des effets produits sur le récepteur en adaptant ses propres comportements. Elle franchit une distance pour établir une proximité, elle permet de maintenir l'interaction en tension, en jouant conjointement du réel et du ludique » (2005, p. 181). À Roubaix, les commerçants redoublent d'arguments humoristiques emprunts de rapports sociaux de sexe, dans une visée commerciale. Non pas que les femmes commerçantes extrêmement minoritaires ne fassent pas preuve d'humour dans les interactions marchandes, mais elles accostent moins la clientèle selon cette technique d'accroche plus masculine. Cela n'est pas sans rappeler l'acte marchand décrit par Michel Peraldi dans son étude sur Marrakech, Le Souk des possibles comme une prédation entre « deux corps qui s'affrontent » : « le commerce s'apparente alors à une chasse ­ une pêche  ­ qui révèle d'une épreuve de virilité ». Tout comme le poisson est pris dans les nasses du pêcheur, pour reprendre la métaphore de Michel Peraldi, il s'agit d'attirer un client par la faconde et par l'humour, « non sans y prendre un certain plaisir par le sentiment de s'y accomplir individuellement et virilement » (2018, p. 113). Selon l'auteur, l'interaction marchande peut être comparée à un sport de combat [8].

Les boniments

9Les boniments ou les numéros clownesques quant à eux ne s'adressent pas à une personne en particulier mais à la foule et ont pour but de créer un attroupement autour de la marchandise proposée.

10Parler fort, c'est comme dans la vente à la criée c'est du théâtre, c'est théâtral, ben oui, c'est un but attractif quand tu passes et puis, hop, il crie tu sursautes, voilà, le but c'est que tu regardes son produit et que tu ailles à son étal [...] Ils savent repérer le client qui vient pour acheter et pour passer le temps, se promener, c'est ce qu'ils ont développé, ils savent lire le langage du corps (Chef des placiers, le 21/01/09).

11Il s'agit de faire appel aux sens, l'ouïe, la vue, le goût ou l'odorat pour mettre en évidence le caractère original du produit, en fonction de sa provenance, son prix peu élevé, sa qualité, sa saveur exceptionnelle, etc. Susciter le rire par le corps tout entier engagé : par la voix, les mots et les gestes. Un marchand de jupes serties de pièces métalliques, originaires de Turquie, en met une sur sa tête. Son front est orné d'une couronne brillante, ce qui fait bien rire les clients et attire leur attention (observation, le 20/05/07).

12Au marché place de la Nation, un vendeur de clémentines espère vendre un peu de rêve et de voyages en s'écriant : « Ce sont des clémentines de Tiziouzou [en Kabylie] c'est magnifique Tiziouzou, il y a la mer, la montagne, les arbres y poussent tout seuls » (observation, le 24//11/06). On entend des cris provenant de la rue adjacente : « Un euro, c'est liquidé, profitez aujourd'hui c'est pas demain ». Une cliente à côté de moi « Aujourd'hui j'ai des sous, demain, j'en ai plus alors j'en profite ».

13Au marché de Rubens, le marché du lundi, dans le quartier du Nouveau Roubaix, Gérard, vendeur de fripes, commence, comme à chaque fois, son boniment par cette annonce : « Ici c'est le marché de New York ! ». Il poursuit « Il y a un homme qui essayait un string on l'a vu par le trou de la serrure ». Des dames assez âgées regardent les vêtements rient et sont gênées (Observation, le 18/05/2009). Une autre fois, au même marché du lundi, le même commerçant scande à nouveau « Ici, c'est le marché de New york ! ». Gérard me dit : « Il faut bien rigoler ici tu viens ici, tout le monde fait la gueule ici avec la crise ». À la foule « il y a des chemises ici, ton mari il est moche avec la chemise il est encore plus moche. Ah non, c'est pas taille unique ici. Ta femme elle a cul comme ça [il fait les gestes avec ses mains, très gros] elle met un string ça va pas ». Une femme âgée et très coquette arrive « Ça va chérie ? » Elle répond : « Ça va ».

14L'objectif du rieur est de créer un attroupement et de susciter la curiosité par effet de surprise, quitte parfois à choquer en se référant à la nudité des corps. Les commerçants de Roubaix, en très grande majorité des hommes, dominent symboliquement les femmes par l'humour [9] pour contrebalancer la dépendance économique vis-à-vis d'une clientèle majoritairement féminine. Je rencontre Nordine le placier, qui me dit à propos de Gérard : « Lui, il s'est trompé, il aurait dû faire un one-man-show, si ça tombe tous les humoristes ils viennent ici pour faire leur spectacle ». Un autre lundi, Gérard me précise plus bas :

15Ah oui, moi je rigole, on dit n'importe quoi, on fait de la dépression mais on rigole, ah on fait le clown ici, on rigole, on est en dépression mais on rigole, [plus fort, au public] des fois je marche sur les mains, hein madame c'est vrai, madame c'est pas vrai ? Il faut bien rire hein ? Il faut bien rire » (observation, le 9/03/2009).

16Le décalage, voire le fossé, entre, d'une part, le sentiment de découragement, indéniable, face à la difficulté de la vente, d'autre part, la nécessité impérieuse de garder le sourire face à la clientèle, « en public », pour filer la métaphore théâtrale, révèle l'injonction à s'interdire l'expression de toute émotion négative sur le marché [10].

Rire de soi

17Si l'on s'intéresse maintenant à la répartition des commerçant·e·s non sédentaires selon les marchés, nous pouvons relever une nette corrélation entre les différentes variables. Tandis que les commerçants d'origine nord-africaine, hommes, « non alimentaires », habitants Roubaix sont surreprésentés dans certains marchés (le Pile, l'Alma, la Nation et l'Epeule), on trouve proportionnellement plus de femmes, plus « d'alimentaires», plus de gens qui habitent hors Roubaix, et moins de commerçants d'origine nord-africaine à Rubens et au Centre. Très peu de femmes sont seules responsables d'un poste de vente sur le marché, et enregistrées comme telles [11]. Le plus souvent, les femmes, rares, aident et accompagnent les hommes, frères ou conjoints.

18Les commerçants des marchés de Roubaix constituent une population hétérogène au regard des parcours antérieurs à la vente. Certains vendent comme leurs parents, suivant une tradition familiale ; ils sont maraîchers, fromagers ou charcutiers et l'activité commerciale représente pour eux le prolongement d'un métier : ils sont avant tout artisans et détiennent un savoir-faire, dont ils sont fiers. Mais cette figure est aujourd'hui très minoritaire dans les marchés de Roubaix. Elle est incarnée par les commerçants les plus âgés, d'ascendance française ou européenne qui parlent avec nostalgie d'un temps révolu où les commerçants « de métier » étaient majoritaires. C'est aussi parmi eux que l'on trouve le plus de couples, sur lesquels repose une véritable répartition des tâches. Aujourd'hui, dans les marchés roubaisiens, la plupart s'installe dans l'activité commerciale après une rupture professionnelle, soit un licenciement et une incapacité à retrouver un emploi, soit une rupture dans un long processus de recherche d'emploi salarié. La voie ne semble pas tracée, comme dans le cas d'une transmission familiale : au contraire, le commerce de rue résulte d'un changement de cap. Ce profil, majoritaire, regroupe plutôt des commerçants d'origine nord-africaine. Deux sous-profils se dessinent :

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­ D'une part, un nombre important des commerçants d'origine nord-africaine qui étaient employés dans l'industrie notamment textile avant de connaître le chômage, au moment de la vague de fermeture des entreprises, et qui ont généré eux-mêmes leur emploi dans le négoce. La décision de faire les marchés apparaît souvent comme une dernière chance, une issue de secours, au milieu d'une impasse.
­ D'autre part, les commerçants de la génération suivante, les plus jeunes, pour lesquels le marché est souvent une solution envisagée par dépit, en raison de l'impossibilité de décrocher un premier emploi. Un nombre non négligeable de jeunes commerçants d'origine nord-africaine « surdiplômés » [12], se lancent dans les marchés après un itinéraire de recherche d'emploi salarié, infructueux, parsemé d'expériences de discriminations.

20De manière plus générale, même si les éléments culturels ne sont pas absents, et apparaissent souvent comme une conséquence, les personnes d'origine immigrée seraient plus enclines à créer leur propre travail, en raison de difficultés face à l'accès à l'emploi salarié. À propos des immigrés, Danilo Martuccelli nous rappelle « la discrimination dont ils sont l'objet dans l'accès à l'infrastructure (en termes de droit), ou tout simplement au marché de l'emploi ­ sur lequel ils doivent créer leur propre poste de travail » (2006, p. 402). On retrouve le même processus s'agissant des jeunes commerçants alors qu'ils sont enfants d'immigrés, nés et scolarisés en France. Certains font de longues études et rêvent d'une situation bien meilleure que celle de leurs parents. Ce ne sont pas des immigrés et le mot « intégration » n'a pas de sens pour eux. Pourtant, leur patronyme, leur « faciès » (pour reprendre leur expression), sont un obstacle à cette ascension. Ils rejoignent à contrec ur le marché, en considérant que le monde du travail salarié ne les accepte pas. C'est à ce moment-là que le mot « intégration » prend sens, ou plutôt son antonyme : ils font l'expérience de « l'exclusion », se sentant profondément différents dans leurs droits à aspirer à un avenir professionnel à la hauteur de leurs cursus scolaire.

21C'est ce type de commerçants, les « surdiplômés » qui ont un bac + 4, bac + 5, qui retient mon attention dans cette partie. Ils sont loin d'être des figures d'exception et leur parcours est socialement significatif ; ce sont eux qui développent des discours d'autodérision au moment des entretiens, récits tragi-comiques teintés d'une grande réflexivité. En dehors des scènes de vente qui sont comme des représentations théâtrales, objet d'observation, les entretiens menés sont en quelque sorte les « coulisses », d'autant plus quand ils ont lieu ailleurs qu'au marché, en fonction de leur choix : chez eux, chez moi, au café ou dans mon bureau. Si la réalisation d'entretiens et le partage de blagues et de discours au second degré s'est avérée possible, c'est grâce à une période d'immersion, pendant laquelle les commerçants et les commerçantes ne vont pas manquer de tester mon sens de l'humour, comme pour éprouver ma place [13], comme une « période d'essai », afin de voir, de manière apparemment paradoxale si je prends au sérieux leur travail, si je les prends eux-mêmes au sérieux en vérifiant qu'il y a suffisamment de connivence et de compréhension entre nous [14], pour qu'ils puissent se livrer en toute confiance, en sachant que je ne suis pas immigrée, que j'ai fait de longues études et que j'ai réussi à m'insérer dans le marché de l'emploi salarié. J'ai par ailleurs un accent du Nord, comme eux, et même roubaisien [15] qui n'échappe pas, en tout cas, aux habitants de Roubaix. Pour le dire autrement, ma personne représente à leurs yeux un mélange d'extériorité et de proximité.

22Les blagues sont nombreuses à mon égard : « Ah voici la sexologue » (pour « sociologue »), ou « Voici le CRS » (pour faire allusion au CNRS). Par exemple, quand je discute avec un commerçant, un autre crie : « Ah non, si tu l'interroges, ça va gâcher ta recherche tu vas plus rien comprendre » (les commerçants et moi-même rions). Certains ne veulent pas s'entretenir avec moi : « Moi c'est fini, je ne parle plus du passé, de mes études, je ne parle pas du marché, c'est terminé » me rétorquent-ils de manière très émue. Ils éprouvent beaucoup de difficulté à accepter leur place sociale, le fait de faire le marché. D'autres désirent, au contraire et non sans fierté, me parler de cette période de leur vie, à moi qui connaît l'université, à « l'intellectuelle », à laquelle ils peuvent s'identifier et qui représente ce qu'ils auraient pu ou dû être. Autrement dit, ils cherchent à attester l'existence de leur diplôme, l'accréditer, le faire revivre et lui donner sens.

23Prendre au sérieux la discrimination face à l'emploi permet de rappeler que les arguments biologiques et culturels, en matière ethnique, viennent souvent justifier a posteriori, une organisation sociale [16]. Dans ces circonstances, les marchés sont à appréhender comme des espaces de relégation ethnique, espaces aussi bien sociaux que physiques. Le phénomène de ségrégation, en tant que « division ethnique du travail et des activités économiques » (Simon, 2006) est clairement visible, identifiable dans l'espace urbain.

De la non-reconnaissance des études...

24Hakim relate l'épreuve impossible du stage :

25

À la fin j'envoyais des CV, c'est véridique ce que je raconte. Je mettais à la fin « Prêt à payer le stage ». On était 26 dans la section, sur les 26, il y avait moi, Acid, Rachid, Hamid, sur les 26, on était 4 arabes. Sur les 4, il y en a qu'un qui a trouvé un stage par piston, par sa belle-famille [...] On a découvert un autre monde, la fac, on y a cru, on y a adhéré, sinon on n'aurait pas continué. Et puis on s'est rendu compte que ce discours, il est faux, il est faux, mais en fait, le vrai problème, avec la crise maintenant... Maintenant, même pour rentrer chez Esterra, faut du piston, pour rentrer là-dedans, tu te rends compte ? Alors qu'il y a vingt ans, il y avait que des noirs et des arabes qui couraient derrière, c'est véridique. Le seul blanc, français, c'était le chauffeur [il rit].

26L'évocation en riant de l'image elliptique et très éloquente du camion d'Esterra résume à elle seule la discrimination à l'accès à l'emploi, en fonction de stigmates basés sur le corps, en l'occurrence sur la couleur de peau.

27Hakim a une maîtrise de mathématiques ; ce qui explique son jeu de mot particulièrement habile : 

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Vous êtes issu de l'immigration » ça veut dire quoi ? On est français. On nous demande de nous « intégrer », ça veut dire quoi ? « Intégrer » quoi ? Même pas à un Italien, un Portugais, ou un Espagnol, pourquoi nous ? Pourquoi ? Le mot « intégration », « intégrer » quoi ? La seule chose que je connaisse c'est l'intégration par partie (entretien, le 09/02/09).

29Le jeu de mots a pour finalité ici de mettre en évidence le caractère absurde de l'ostracisme. En utilisant une expression issue du domaine mathématique, à mille lieux du discours politique intégrationniste français, on mesure le fossé entre les espérances issues du modèle méritocratique et la réalité du marché du travail.

30Concernant la non-reconnaissance des études des enfants d'immigrés d'origine nord-africaine et l'absence d'ascension sociale sur le marché du travail, Mohamed s'exclame en riant : « Les gens veulent croire que nous sommes débiles » (observation, 9/03/09).

31Mustapha évoque ses études et ses « rêves déçus » ; il finit par en rire. Mais ce sont des rires mêlés de tristesse, les yeux parfois mouillés, la gorge serrée. Le rire apparaît comme une technique de défense :

32On rebondit, on s'adapte, et puis voilà mais on ne digère jamais le fait d'avoir perdu son temps, d'avoir été discriminé, on a été en plein dedans, on l'a vécu, on l'a subi et puis on s'est résigné à faire autre chose et à s'adapter (entretien, le 14/03/09).

33Plus de révolte intérieure, plus de colère, les commerçants sont davantage animés par un esprit de soumission, un fatalisme teinté de cynisme. Les propos de Kader, vendeur de fruits et légumes, montrent bien que le marché ne représente en rien un projet convoité, mais une voie adoptée par dépit, en l'absence d'alternative : « C'était soit je faisais les marchés, soit je braquais, je devenais délinquant et j'allais en prison. Quand on s'appelle Kader ici on ne trouve pas de travail » (observation, le 22/10/2007).

... vers l'acceptation du marché...

34La pénibilité du commerce de rue réside avant tout dans le fait de travailler dehors par tous les temps. Le sol est gelé quand je rencontre Kader : « Là c'est plus du courage, c'est de la folie (en riant), le pire, c'est les pieds ». Mohamed vend des vêtements pour femmes : « Bon, c'est pas un métier de tout repos, l'hiver est dur on galère. L'hiver c'est vraiment à la limite, vous avez presque envie de pleurer tellement vous êtes gelé [en riant] » (observation, 15/12/08).

35Les entretiens oscillent entre, d'une part, des récits de déception profonde et, d'autre part, de soulagement, après coup, d'occuper un certain refuge, une niche professionnelle, d'échapper à l'expérience de la discrimination dans le travail et de pouvoir partager cette expérience commune ; c'est de ce partage « entre soi » qu'émane le ton humoristique. Slimane relate son vécu du racisme en riant :

36

Même pour sortir en boîte, on rentre pas. C'est malheureux quand même : « T'as vu à cause de toi on rentre pas, on n'a pas pu rentrer » disent les copains en riant. Bien sûr, on va rigoler, qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse ? On n'a pas le choix, c'est la vie ? Au début ça blesse et tout. Après on s'habitue, t'façon on n'a pas le choix. Si vous savez pourquoi ils [les clients] préfèrent des fois les arabes ? Parce qu'ils savent qu'on vend moins cher c'est tout, c'est que pour ça. À chaque fois, je leur dis « T'façon, vous venez pas pour mes beaux yeux, vous venez pour les prix ? ». 

37Slimane en arrive même à rire de la différence de faciès avec les clients, par un jeu de renversement du stigmate « mes beaux yeux » (le 08/10/07).

... jusqu'à une nouvelle conception de la vie

38Bakir exprime non sans ironie son acceptation du marché qui le pousse à une certaine résignation :

39

Attendez j'arrive pas à dormir, j'ai trop hâte d'aller au marché. Non [en riant]. Par obligation, grosso modo tout le monde est obligé [...] De toute manière, moi, je prends la vie comme elle vient, donc c'est tout, je complique pas les choses, basta, ça sert à rien  (entretien, le 27/03/07).

40À force de ne pas pouvoir réaliser ses projets, l'expérience enseigne à ne plus se projeter professionnellement pour se protéger contre la déception. Les propos de Ali évoquent une certaine routinisation de l'injustice qui conduit au cynisme et au fatalisme : « On vit dans l'injustice, je ne l'ai jamais quittée, on finit par s'y accommoder » (entretien, le 26/07/2009).

41Le discours de Kader révèle que l'épreuve de la discrimination et l'expérience des marchés le poussent à une forme de sagesse et d'humilité :

42

Moi, je travaille dans les marchés, t'as vu mes enfants, ils grandissent, donc, ça va, on ne se casse plus trop la tête, on a ce qu'il faut pour vivre donc ça va. Ça dépend aussi des gens, il y en a qui sont gourmands et ceux qui sont gourmands des fois, ils se cassent trop la gueule, vaut mieux être petit et heureux  (entretien, le 22/10/2009).

43Cette nouvelle conception le mène à considérer les études non plus comme un titre à visée purement professionnelle mais comme une caractéristique qui façonne l'individu dans sa globalité :

44

J'ai même des copains du marché qui rigolent des fois de moi parce que j'ai dit : « Ouais tu sais même pas parler, t'as même pas fait d'études », ils me disent « Qu'est-ce que tu parles, toi, t'as fait des études pour rien ». Il y en a qui rigolent encore : « Ouais t'as fait des études mais pour rien, on est au même niveau ». [Il rit.] Mais dans un sens ça ne me dérange pas parce que les études c'est aussi pour toi, pour tes enfants, si tu veux leur apprendre quelque chose [...] la réussite qu'est-ce que ça veut dire ? Je crois que réussir, c'est être respecté dans la vie, à mon avis, c'est ça, c'est « être respecté », je l'ai le respect, je ne le cherche pas. Déjà, des grosses claques, même de l'étonnement, oui, sur le moment, parce que si on était préparé, ce serait une confirmation, mais on a toujours, on savait mais on se disait peut-être que t'auras une chance. Le racisme, après on te dit : « T'es parano, tu vois le mal partout », ou alors la phrase c'est : « Qu'est-ce que tu fous en France alors ? » Cette phrase t'as la haine, finalement, c'est comme si on vous a mis dans le stigmate de l'étranger alors que tu l'étais pas et puis toi, tu les as pris au pied de la lettre : « Ah je suis étranger ? Ah ben tu vas voir si je suis un étranger » (entretien, le 22/10/2009).

45La blessure est présente, vive, mais le ton humoristique aide à accepter l'inacceptable, à vivre avec, à minimiser aussi son impact comme par pudeur, comme lors d'un processus de deuil plus ou moins achevé. Si l'autodérision des commerçants de rue de Roubaix révèle une forme de réflexivité qui aide à tenir jour après jour, en tant que respiration et mise à distance, elle ne pousse ni à l'action collective ni à la mobilisation, mais incite plus à l'acceptation. Le registre de l'autodérision permet de mettre des mots sur une partie de leur parcours auparavant occultée car trop douloureuse, une manière de « faire avec »... Avec une expérience qu'ils préféreraient enterrer. Plus que tout autre, c'est un rire « d'accueil », dans le sens ou rire de soi permet d'accueillir, d'accepter une partie de soi, de manière comparable à une réconciliation. À partir de l'analyse du rire dans l'entretien, Laure Flandrin [17] écrit : « L'on est au moins autant ce à quoi l'on renonce que ce l'on est effectivement devenu, et le rire porte parfois la marque de ces désillusions de trajectoire » (2001, p. 33).

46L'autodérision des commerçants de rue permet d'examiner le lien entre domination et consentement de celle-ci. Cette forme de rire apparaît comme un espace critique vis-à-vis du processus de discrimination, une manière de la déjouer symboliquement, ce qui n'est pas sans rappeler que face à la domination, les blagues peuvent participer d'une certaine désapprobation des dominés ou, pour reprendre les termes de Danilo Martuccelli « la domination peut imposer le consentement pratique des dominés, mais pas le consentement volontaire » (2004, p. 473).

47L'analyse des entretiens donne à voir un rapport à soi, en lien avec la place sociale occupée par les acteurs, mais l'étude du rire comme rapport à l'autre est possible grâce à l'observation des interactions entre les rieurs et les autres qui, et cette précision constitue l'un des intérêts de l'observation, eux, ne rient pas toujours. Si l'observation des scènes de rire avec la clientèle permet d'appréhender la relation au client dans une intention de rapprochement, de manière assez proche de ce que Eugène Dupréel nomme « rire d'accueil » (2012), elle se prolonge de manière « décloisonnée » dans l'étude du rire non pas avec mais contre les placiers.

Se moquer des placiers

48S'agissant des places de marché, Hervé Sciardet écrit à propos des marchés aux Puces de Saint-Ouen : « Il ne suffit pas de connaître les règles, les codes symboliques, les conventions, les principes de goût, les critères de collection et les prix de référence pour s'engager dans l'action. Encore faut-il avoir accès aux cadres pertinents pour agir. Il ne suffit pas de savoir le faire, encore faut-il pouvoir le faire » (2003, p. 92). Pourtant, si les interactions entre commerçants et placiers se situent au c ur de la compréhension des marchés, elles sont généralement passées sous silence dans les études relatives aux marchés de rue. Les marchés de Roubaix semblent au premier abord être des lieux conviviaux, agréables où règnent la bonne humeur et la jovialité, mais l'observation de l'installation des commerçants en compagnie des placiers avant l'arrivée des clients montre en quelques sortes « l'envers du décor », et nous rappelle que les plaisanteries constantes des commerçants sont avant tout un savoir-faire professionnel et commercial. À Roubaix, jusqu'en 2006, le placement des commerçants et la réception de leurs « patentes » incombent aux policiers municipaux mais, à partir de cette date, la régie des marchés passe entre les mains d'un service municipal réservé à cet effet. Dès lors, la mairie établit divers projets de « remise en ordre » des marchés : les agents municipaux, appelés « placiers » établissent un recensement des commerçants non sédentaires de la ville, ils contrôlent les certificats de déclaration à la préfecture, l'attestation d'assurance, le métrage et le « comportement » ­ pour reprendre les termes municipaux  ­ des commerçants (Marchand, 2014).

La « guerre des places » [18]

49La répartition des commerçants dans l'espace commercial disponible dépend d'une distinction entre « précaire » et « abonné » selon l'appellation de la mairie, puisque les abonnés, dont la place fixe a été acquise par ancienneté, sont placés en priorité. Les places vacantes sont ensuite distribuées aux précaires, selon une sélection. Il n'est donc pas rare que des précaires doivent rentrer chez eux, en raison de l'absence de place disponible, sachant qu'en général environ 20 % de l'espace est réparti entre les précaires. Cette sélection est établie en fonction d'une liste qui hiérarchise les « précaires » selon certains critères tels que l'ancienneté, l'assiduité et le comportement des commerçants, alors que ceux-ci revendiquent la seule prise en compte de l'ancienneté, critère jugé plus objectif donc plus équitable. Au moment du placement et du contrôle du métrage, il arrive que les commerçants s'opposent au placier, de manière plus ou moins virulente, ou que les commerçants se dressent les uns contre les autres, parfois physiquement. Cela se joue le plus souvent avant l'arrivée des clients, devant lesquels, on se doit, autant que possible, de faire bonne figure.

50Les objectifs de la politique municipale sont diamétralement opposés aux discours des commerçants qui valorisent une certaine liberté dans l'exercice de l'activité commerciale dans les marchés, le fait « d'être son propre chef ». Nous sommes face à un véritable bras de fer entre deux ensembles normatifs. Le commerçant n'ose pas exprimer son mécontentement face au chef des placiers. Même si l'opposition n'est pas frontale, des subjectivités rebelles sont perceptibles aux détours de la conversation, à condition d'observer diverses interactions. Par là même, les commerçants revendiquent leur autonomie, l'existence de leur propre savoir relatif au fonctionnement des marchés, la reconnaissance d'une marge de man uvre vis-à-vis des prérogatives de la mairie. Autrement dit, ils se considèrent comme les « spécialistes », les « maîtres » du marché, résistent à l'autorité municipale en perpétuant certaines normes « traditionnelles » alors que, pour les placiers, les marchés sont des espaces municipaux qui doivent être régis selon les normes de la mairie.

51L'action collective est quasi impossible sur les marchés de Roubaix. L'un des obstacles est la concurrence économique entre les commerçants, leur nécessité d'écouler rapidement leur marchandise ; en témoigne la rivalité entre commerçants alimentaires et non alimentaires. La distinction entre précaires et abonnés représente un second frein à la mobilisation collective. Les propos de ce vendeur de cosmétiques, à propos d'une pétition contre les placiers relatée dans la presse, le confirment une fois de plus : « En vérité, ce sont les précaires qui font des histoires alors ils ont convoqué la presse, et la presse qu'est-ce qu'elle ferait pas tout pour vendre ! » (entretien, le 15/12/08). Puisque l'opposition franche n'est pas possible sur le marché, les moqueries tournent en ridicule les propos des agents municipaux.

Les caractéristiques physiques des placiers

52La ressemblance des origines des commerçants et des placiers n'est pas fortuite. C'est même selon les commerçants, les trois placiers et le régisseur, l'un des critères de la mairie de Roubaix lors du recrutement des placiers, également d'origine nord-africaine, pour créer une espèce de connivence ou de complicité avec les commerçants.

53Selon Kader, qui finit par reprendre le commerce de fruits et légumes de son père après une période de chômage malgré son BAC + 4 en mécanique :

54

Les placiers, c'est des Arabes, pourquoi ? Parce que les commerçants, c'est des Arabes. Finalement, c'est des Arabes, c'est tous des Arabes. On s'est dit on va les mettre ensemble, parce que vous comprenez, ils parlent la même langue, ça passe mieux, c'est véridique. Alors qu'on parle tous français [il rit]. Pourquoi y a que des Arabes qui font du commerce ? Faut pas croire, il y en a plein qui ont des diplômes hein. Celui à lunettes, qui vend des légumes à côté de moi, c'est pareil. On a tous à peu près la même histoire. On débarque tous là pourquoi ? Parce que c'est indépendant, tu rends de compte à personne (entretien, le 09/02/2009).

55A y regarder de plus près, le profil recherché est un peu plus nuancé. Franck, placier, est recruté car il a grandi à Roubaix, « dans les quartiers ». Alors que je le salue lors d'une de mes premières visites au marché Rubens : « C'est parce que je suis le seul blanc que vous vous souvenez de mon nom ? Non, je rigole, je suis pas raciste » (observation, 22/10/2009). Sa présence, en tant que « non-Arabe» est présentée comme exceptionnelle, suffisamment exceptionnelle pour être soulignée et faire l'objet de raillerie de la part de ses collègues : « Il y a un autre placier qui est là c'est le seul Français, il est marié avec une Arabe, en fait il est placier parce qu'on doit prendre un quota Cotorep alors c'est lui » (observation, Nordine, le 31 septembre 2006). Cette référence aux quotas est une manière de dénoncer le recrutement pour des « qualités personnelles », « biologiques » qui nient les compétences professionnelles, la formation, le curriculum vitae, etc. [19] Le fait que Franck soit reconnu comme « blanc » dénote car ce n'est pas tant le fait d'être identifié comme « arabe » qui compte pour être placier ou chef des placiers, mais surtout « non blanc ».

56Si Franck se présente comme un intrus et s'il est présenté comme tel, en raison de sa couleur de peau, Jean-Maurice, chef des placiers, dit avoir été recruté, car il est noir. Ces considérations mélaniques sont significatives du processus de racialisation de la société française étudié par Didier et Eric Fassin, et plus particulièrement du colorisme décrit par Pap Ndiaye (2006).

57Selon Jean-Maurice, le régisseur : « J'ai été recruté là parce que je corresponds au profil de ces gens-là ». Il explique un peu plus loin :

58

Ils pensaient, comme on me l'a dit, le responsable de la mairie « Oui, je sais que vous avez tous galéré, vous avez eu un parcours difficile ». Après, il nous a fait comprendre que si on est là, c'est parce qu'on a galéré. Moi je suis là, c'est pas parce que j'ai galéré, ou je sais pas. Moi, si je suis là, c'est parce que j'ai des diplômes, et je mérite ma place. Si je suis là, c'est pas parce que je fais l'aumône, et j'ai besoin d'argent, c'est que je suis compétent [...] C'est pas parce que je suis de couleur ou d'origine étrangère qu'on me donne un poste et que je mérite pas, j'ai les diplômes, j'ai les capacités, l'énergie, la volonté, l'envie, ce que tout le monde a. Ça veut dire « On te fait une fleur, on te prend », tu te rends compte des gens qui ont des diplômes qui gèrent du personnel ils tiennent des discours comme ça (entretien, le 21/01/2009).

59Comble de confusion, le régisseur dit avoir été recruté pour ses origines étrangères, tout comme les placiers, alors qu'il est originaire de Guadeloupe et ne s'est jamais senti étranger avant d'avoir connu la discrimination sur le marché du travail en France.

60L'emploi du champ lexical du corps se prolonge. Franck est très musclé « En fait, j'ai des épaules, alors je suis l'épaule, je suis leur épaule » (observation, 21/09/2006). Nordine a été recruté car il est d'origine algérienne et a grandi à Roubaix mais aussi en raison de sa pratique du judo, sa fonction d'entraîneur qui démontre sa maîtrise de soi. Si les commerçants parlent de la « guerre des places » pour qualifier les affrontements, parfois physiques, entre commerçants, au moment du placement, avant l'arrivée des clients, il n'est pas étonnant que la force physique et la pratique des arts martiaux soient des caractéristiques valorisées pour le recrutement des placiers. Comme le dit Nordine : « On est au front comme à la guerre, c'est l'argent qui prime » (observation, le 5/07/2009). Ce second ensemble de critères, relatifs à la force physique la corpulence et aux aptitudes martiales, montre toute l'ambivalence comprise dans la fonction même de placier entre, d'une part, camaraderie et proximité supposée et, d'autre part, maîtrise des conflits particulièrement houleux concernant la distribution des places marchandes. Les placiers occupent une place sociale qui semble impossible à tenir. D'un côté, les commerçants nient la légitimité de leur pouvoir, la relation hiérarchique afin d'ignorer les directives municipales, et, de l'autre, la mairie ne tient pas compte de leur compétences professionnelles.

Entre « Rouya » et cowboys

61Si la ressemblance supposée des origines des commerçants et des placiers vise à améliorer la communication et faciliter le travail des placiers, en fait, elle le rend plus difficile. Les moqueries sont le fait de tous les commerçants, mais ceux qui sont d'origine nord-africaine se réfèrent à cette supposée communauté d'origine avec les placiers en les nommant rouya[20] (ce qui signifie « frère ») pour les accuser de traîtrise et les culpabiliser d'avoir « changer de camp » en travaillant pour les intérêts de la mairie. Selon Jean-Maurice, le chef des placiers « en fait, le recrutement au niveau des origines, oui, c'est volontaire bien sûr. Ils se trompent, ils devraient mélanger les gens et arrêter d'alimenter ça » (entretien, le 21/01/09). Régulièrement, les placiers sont accusés de corruption par les commerçants, ce qui fait l'objet de nombreux articles dans la presse locale ; ce que Nordine, placier, s'empresse de démentir :

62

C'est n'importe quoi, moi je vais partir d'ici, ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent quand on dit quelque chose à quelqu'un, ils nous accusent de demander 10 euros. La corruption ! C'est pas vrai, en plus, comme je suis un arabe c'est « Ah rouya ». Ils veulent donner des cadeaux, il faut rien accepter ; avant, je faisais mes courses au marché, maintenant, non, c'est trop d'histoires, il faut faire tout ce qu'ils veulent (observation, le 22/10/07).

63Les commerçants tentent de montrer une conformité à la réglementation municipale et donc de plaire au placier, en essayant notamment de plaisanter et fraterniser avec lui. En même temps, les commerçants se situent dans une stratégie de négociation voire d'opposition et les propos de ce placier, natif de Roubaix, fils d'immigrés algériens, sont très significatifs :

64

Ils m'appelaient rouya pour bien m'endormir mais avec moi ça passait pas. Comme on est originaire de Roubaix, il y a même des gens que je connais depuis 20 ans, mais je suis impartial, le travail, c'est le travail, il faut pas mélanger, si t'as le droit, c'est ça, si t'as pas le droit, ben c'est tout, faut être honnête et ça marchait pas. C'est « T'as attrapé la grosse tête, t'as changé ». Après, on fait même plus attention à ce qu'ils disent, au début c'est vrai, on se remet même en question, on se dit « C'est vrai que j'ai peut-être changé » (entretien 09/01/09).

65La moquerie évite la relation hiérarchique, nie la légitimité du pouvoir des placiers en les qualifiant de « cowboys » ou de « shérifs » [21]. Pour Nordine, cela n'est pas drôle : il doute parfois de lui-même, de ce qu'il est devenu, perd confiance en lui-même. Si les commerçants se battent pour obtenir une place de marché et par là même un espace social, la place sociale des placiers est intenable :

66

Même s'ils me disent parce que je suis arabe « Mais si ! Tu me connais ! Rouya ! ». Non, moi, s'il n'y a pas la personne titulaire avec le numéro, on est obligé d'appeler les flics. C'est trop d'emmerdes, moi, je pars (entretien, le 05/07/09).

67Dans les marchés de Roubaix, le rire se décline différemment selon les interactions et les interlocuteurs. Tout d'abord, face au client, les plaisanteries, blagues, boutades, boniments et numéros clownesques représentent un savoir-faire commercial, un registre de communication professionnelle. Le commerçant se doit d'être jovial, afin de rompre la distance avec l'interlocuteur, en l'occurrence le client potentiel, dans une quête de proximité à visée commerciale. Nous sommes donc face à un rire « d'accueil », dans le sens donné par Eugène Dupréel (2012). Puis, l'autodérision démontre chez les commerçants une certaine réflexivité vis-à-vis de leur parcours scolaire et professionnel, qui aide au dépassement d'une souffrance individuelle, liée à l'expérience de la discrimination à l'emploi salarié. Si, pour Eugène Dupréel, le rire se définit comme un rapport à l'autre, cette étude sur les marchés montre qu'il est aussi un rapport à soi. Enfin, vis-à-vis des placiers, les rires des commerçants sont constants et permettent d'appréhender le rapport au pouvoir et plus particulièrement à l'autorité municipale. On reconnaît certains processus de résistance décrits par James Scott (2008), en raison de l'impossible action collective, frontale et organisée. Le rire a pour but de gommer la supériorité des agents municipaux, de nier leur rôle même en les qualifiant de « marioles » qui jouent aux « shérifs ». Oscillant entre tentatives de fraternisation et d'alliance (« Ah Rouya ») et rejet, entre « accueil » et « exclusion », de l'individu « mis à distance », selon les termes de Eugène Dupréel (2012, p. 52), l'analyse de ces moqueries révèle toute l'ambiguïté de la relation des commerçants de rue à la municipalité.

68Sur le plan méthodologique, l'observation multi-située des propos humoristiques permet d'appréhender le degré de proximité ­ réelle ou escomptée  ­ à l'autre et apporte une approche dynamique. En situation d'entretien, le rire révèle un certain rapport à soi, et montre l'écart entre position sociale occupée et position sociale projetée. Le ton humoristique à la Desproges, les jeux de mots, le côté absurde et loufoque des situations, le tragi-comique aident toute une partie des commerçants à dépasser leur souffrance individuelle, le sentiment d'injustice, de manière cathartique et accepter leurs rêves professionnels déçus. L'autodérision des commerçants de Roubaix donne à voir un regard décalé, critique, un rapport distancié aux relations sociales qui leur permet d'appréhender leur place dans l'espace social avec recul, comme un comédien regarde le personnage qu'il interprète. Ce n'est pas un rire insouciant, jovial, léger, mais un rire souvent corrosif et cinglant qui révèle le décalage entre les aspirations professionnelles des individus et les positions qu'ils occupent. Les commerçants de rue sont les acteurs d'une pièce délibérément comique, en dépit de la grande précarité socio-économique qui touche la ville de Roubaix.

69Au-delà de la réalité des marchés de rue de Roubaix, cet article est une invitation à observer différentes scènes professionnelles ou de pouvoir où naît le rire, en prenant en compte les rieurs et leurs interlocuteurs, sans perdre de vue le fait que tous ne rient pas. Il invite notamment à prendre le rire comme objet sociologique dans l'étude des professions fondées sur les relations, où le rire peut apparaître comme une compétence relationnelle.

70Le rire révèle des relations qui mettent en scène le corps puisqu'il naît des dimensions visibles, apparentes de l'individu et que les mots, les gestes risibles engagent le corps, dans ses dimensions genrée et racialisée. Cette recherche peut donc aussi nourrir certaines réflexions sur les relations de pouvoir qui reposent sur les interactions de proximité, de face à face, de corps à corps, et peut contribuer notamment à la compréhension dynamique de l'évolution des formes de domination rapprochée, dans le sens de Dominique Memmi (2006), dans la mesure où elle nous renseigne tant sur le degré de proximité à l'autre que sur le degré de rapprochement ­ ou d'éloignement ­ espéré.

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Mots-clés éditeurs : Placiers, Rire, Commerçants de rue, Roubaix, Discrimination, Clients

Mise en ligne 29/07/2019

https://doi.org/10.3917/soco.113.0113

Notes

  • [1]
    Citons à titre d'exemple l' uvre de Peneff (1992).
  • [2]
    Notamment dans le milieu ouvrier. Voir, par exemple, Beaud et Pialoux (2012).
  • [3]
    Ma recherche porte sur les six marchés de Roubaix : Le Pile, Nation, L'Épeule, Le Centre, Rubens et L'Alma.
  • [4]
    Je m'intéresse aux clients mais seulement au moment des interactions avec les commerçants.
  • [5]
    Même s'il est question parfois dans ce texte de ce qui provoque le rire, l'attention porte ici davantage sur l'interaction où naît le rire que sur les causes sociales du rire dans le sens d'Henri Bergson qui voit le rire comme une correction sociale de mots, gestes et « caracteres » faisant preuve d'un automatisme, d'une raideur qui contrastent avec l'élasticité de la société (Bergson, 1924).
  • [6]
    Grâce à l'aide de Marie Cros de la PUDL (Plate-forme universitaire des données de Lille).
  • [7]
    Ou de « sauver la face » dans le sens du face work de Erving Goffman (1973).
  • [8]
    Ce type d'interaction marchande avec les touristes ­ une clientèle non connue ­ se distingue de la théorisation de l'activité marchande par Clifford Geertz dans Le Souk de Sefrou (2003) qui repose davantage sur une relation entre habitués, sur la confiance établie sur le temps long et le regroupement des commerçants par métier. Dans les marchés de Roubaix, on trouve les deux types d'interactions marchandes, dans le sens où le moment de l'accroche telle une prédation, décrite par Michel Peraldi, peut se convertir en relations entre habitués.
  • [9]
    Dans un tout autre contexte, Emmanuelle Zolesio montre dans son étude sur les chirurgiennes que la domination masculine moins franche et moins flagrante passe par la multiplication des plaisanteries, de l'humour grivois en direction des femmes ; ce qui constitue une forme de domination masculine, plus subtile et plus insidieuse (2012).
  • [10]
    Ma recherche menée en thèse sur les marchés de rue de La Paz mettait déjà en évidence le caractère primordial des compétences relationnelles aux yeux des commerçantes, en tant que clef de la prospérité du négoce, au sein d'un ensemble de compétences professionnelles (comme la connaissance du produit, sa présentation, la recherche du fournisseur, etc.). Cf. Marchand, 2006.
  • [11]
    Sur la división genrée du commerce de rue (Marchand, 2017).
  • [12]
    Je reprends ici l'expression utilisée par les commerçants eux-mêmes pour contrecarrer l'idée du sens commun selon laquelle « on fait les marchés parce que l'on ne sait rien faire d'autre ».
  • [13]
    Ou, si l'on reprend les termes de Florence Weber (1989, p. 24) : « À l'affût des moindres éléments qui leur permettent une interprétation, les indigènes, chacun avec sa position et sa stratégie propres, construisent progressivement la place du nouvel arrivé ».
  • [14]
    Selon les termes de Henri Bergson « Le rire cache une arrière-pensée d'entente, je dirais presque de complicité, avec d'autres rieurs, réels et imaginaires » (1924, p. 11).
  • [15]
    Je suis moi-même originaire de Roubaix.
  • [16]
    L'étude des catégories ethniques révèle certains principes d'organisation sociale, qui peuvent à leur tour mobiliser divers contenus culturels (Barth, 1995).
  • [17]
    Même si l'auteure incite à « saisir les rieurs dans l'immédiateté d'une pratique routinière », son analyse porte sur la « verbalisation a posteriori au cours d'entretiens longs passés avec les rieurs eux-mêmes » (2011, p. 20).
  • [18]
    Selon l'expression des commerçants eux-mêmes.
  • [19]
    Cette similitude en termes d'origine avait été remarquée par Dominique Duprez et Pinet (2003) dans leur étude sur le recrutement des agents de médiation.
  • [20]
    Rouya signifie « frère » en arabe.
  • [21]
    Cela n'est pas sans rappeler les jeux, les symboles et l'ironie des subalternes, décrits par James Scott (2008).
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