Couverture de SOCO_106

Article de revue

Le phénomène José Bové ou la fabrique sociale d'un « miracle politique »

Pages 45 à 72

Notes

  • [1]
    Le 30 juin 2000, Pierre Bourdieu participait à Millau au grand rassemblement organisé à l'occasion du procès des dix militants mis en examen après le « démontage » du McDonald's. Il est interrogé dans un parc par un journaliste réalisant un film documentaire : film (Gay et Zollet, 2001). Cette vidéo est aussi accessible sur internet.
  • [2]
    Nous remercions Éric Darras et Olivier Baisnée pour leur relecture attentive et leurs suggestions. Nous tenons également à remercier les relectrices et relecteurs de la revue Sociétés Contemporaines, dont les commentaires avisés ont permis de faire progresser ce texte.
  • [3]
    Extrait du carnet de terrain, lors de la première rencontre avec José Bové, chez lui le 12 février 2012 dans le cadre de l'enquête sur sa candidature à la présidentielle de 2007 :
    José Bové me propose un café et, dans le même élan, que l'on se tutoie. J'accepte les deux propositions. Il me demande alors de préciser ce qui m'intéresse. Je m'explique très rapidement et de la façon la plus générale possible. Il m'écoute en préparant le café dans une cafetière Bodum. Il me tourne le dos. ­ Je travaille sur la campagne de sa candidature à la présidentielle. J'essaie de comprendre comment elle s'est déroulée et d'analyser la diversité des gens qui y ont participé. ­ Lorsqu'il se retourne en me tendant une tasse de café chaud il me dit dans un grand sourire : « Contrairement à ce qu'on a pu, dire je ne suis pas un miracle politique ».
  • [4]
    Période prise en compte dans cette analyse car l'histoire ne s'achève pas là.
  • [5]
    Juillet 2004, Il faut tuer José Bové, Paris : A. Michel.
  • [6]
    Entretien avec José Bové, le 12 mars 2014.
  • [7]
    Avant cette biographie il avait déjà publié en 2000, La gauche de la gauche, Paris : Seuil, et en 2002, L'impossible défaite, Paris : Seuil.
  • [8]
    Installé en 1975 dans le Larzac, il y est toujours, éleveur ovin et militant à la CP. Il achève son mandat de secrétaire national en mai 2013 et fait partie des quatre militants qui seront arrêtés et emprisonnés pour le « démontage » du McDonald's de Millau en 1999.
  • [9]
    Exclu à l'automne 1971 de l'Internationale situationniste, il part vivre à la campagne et s'installe comme éleveur de moutons à partir de 1982, d'abord dans les Pyrénées Orientales puis sur le Causse Méjean en Lozère. Il adhère à la CP en 1991 et entre au comité national en 1993. Il est élu au secrétariat national de 1995 à 1999. Dès 1995 il s'engage dans la lutte contre les OGM et fait partie des initiateurs des toutes premières actions avec José Bové notamment la destruction de semences transgéniques en janvier 1998, à Nérac, dans le Lot. Il est incarcéré pour ces faits au mois de décembre et purge ses six mois de peine dans leur intégralité. Il refuse le soutien de ses anciens camarades de la CP et plus encore, toute demande de grâce présidentielle. Il se montre particulièrement critique vis-à-vis de la médiatisation de cette lutte et de José Bové en particulier et revendique une posture plus radicale.
  • [10]
    Entretien avec José Bové, mars 2014.
  • [11]
    Les archives de l'INA ne sont systématiquement compilées que depuis la mise en place du dépôt légal en 1995, pour les archives antérieures il s'agit d'une recherche sur une base de données composée uniquement des images diffusées par les chaines publiques.
  • [12]
    Cette observation n'est fondée que sur le comptage de sa présence médiatique, sans analyser les contenus qui, à coup sûr, seraient diversifiés selon les chaînes, les émissions et les moments. Passé le premier moment d'engouement médiatique, il y eut dès 2001, des reportages à charge dans divers médias. Cependant la présence médiatique étudiée ici n'en est pas transformée et comme une information et un démenti font deux informations, un reportage positif et un négatif font deux reportages et augment d'autant la visibilité médiatique de l'individu concerné.
  • [13]
    Aux élections des chambres d'agriculture de 1995, la CP a remporté 20,07 % des voix contre 53,96 % pour la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles alliée au Centre national des jeunes agriculteurs.
  • [14]
    Ivan Bruneau indique dans sa thèse (Bruneau, 2006, p 73) que José Bové et d'autres militants auraient obtenu des informations sur une « caisse noire » mise en place au niveau de l'interprofession. Une action judiciaire est entamée en 1988 et arrêtée en 1994. Ces deux sièges seraient un point de l'accord aboutissant au retrait de l'action en justice.
  • [15]
    Besset Jean-Paul, Le Monde, samedi 11 décembre 1999, p. 15 ; Régions « À Millau, José Bové continue à ‟penser global” ».
  • [16]
    Laval Gilbert, « Profil : José Bové, 46 ans, éleveur de brebis dans le Larzac, mène tambour battant la jacquerie contre la mondialisation », Libération, 17 septembre 1999.
  • [17]
    Né en 1970, il se décrit comme auteur, poète, libertaire. Il a longtemps été animateur des Cafés Philo au niveau national et militant de Touche pas à mon Pote étant plus jeune. Il n'a jamais été encarté dans un parti. Grec par son père il est actuellement très engagé avec les mouvements de révolte qui traversent ce pays.
  • [18]
    Entretien avec Yannis Youlountas 2011.
  • [19]
    Il faut cependant tempérer cet usage et le rôle de cet outil parmi les militants de base. En effet en 2007, l'accès à internet n'est pas aussi répandu qu'aujourd'hui. En juin 2006, seuls 43 % des + de 18 ans ont une connexion internet à domicile (Bigot, 2006). Dans les groupes observés, lors des premières réunions environ un tiers des participants ne dispose pas d'une connexion internet. Ce sont d'ailleurs ces militants qui « disparaîtront » le plus rapidement.
  • [20]
    Pour une analyse plus détaillée de cette approche du capital politique à la manière du capital culturel (Bourdieu, 1979), par une décomposition en trois états qui permettent diverses modalités d'accumulation et participent en cela à la lutte au sein du champ en ce que la définition du volume et de la structure du capital politique dominant dans le champ est centrale pour la définition et la répartition des positions en son sein. Voir Bourad, 2014.
  • [21]
    En réalité cette idée existe depuis longtemps dans cet espace politique et « renaît » régulièrement, jusqu'à présent sans succès. À ce moment-là, le dernier échec en date est celui de l'appel, en 2003, pour une alternative à gauche dit de Ramulaud, du nom du restaurant parisien où se retrouvent pour discuter les représentants de la LCR, du PCF, des Verts dont Gilles Lemaire, et le courant du PS de Jean-Luc Mélenchon.
  • [22]
    « La gauche antilibérale menacée d'éclatement : Les choix des Collectifs », Le Monde, 10 décembre 2006.
  • [23]
    Discours de déclaration de candidature, Bourse du travail de Saint Denis le 1er février 2007.
  • [24]
    Youlountas Yannis, « Arguments concrets pour la désignation de José Bové » samedi 11 novembre 2006 notamment publié sur le site http://Bellaciao.org
  • [25]
    Entretien le 23 mai 2011 avec Christophe. Né en 1966, il n'a plus d'engagements politiques au moment de l'entretien mais fut membre de plusieurs organisations de jeunesses dont les JC ; fils unique, ses parents sont militants communistes et ont eu des responsabilités dans le parti. Selon ses termes il gagne sa vie en vendant « du culturel sur eBay ». Il devient membre des Électrons libres dès la création du groupe et fait partie des premiers signataires de la pétition appelant au retour de José Bové.
  • [26]
    Entretien avec Yannis Youlountas, novembre 2011.
  • [27]
    Ce texte a été écrit avant les élections de la présidentielle 2017.

1Dans un entretien livré en 2000, Pierre Bourdieu est interrogé sur le « phénomène Bové ». Au journaliste qui l'interpelle : « Et pour diffuser ces théories, on dispose d'un atout de marque ici en la personne de José Bové qui arrive à faire passer des concepts très globaux à l'ensemble de la population... », Pierre Bourdieu répond : « Absolument, alors ça c'est un peu, enfin c'est un miracle, c'est vrai. Il y a un côté extraordinaire qu'une parole de ce type soit possible, alors ça c'est un peu les grandes révolutions prophétiques, enfin c'est des gens qui arrivent à trouver le langage et puis tout, la manière d'être, c'est un tout, la prophétie est une chose très mystérieuse, moi ça m'intéresse beaucoup sociologiquement. Oui c'est tout, le personnage, la manière de parler, le ton, le génie de la métaphore, et puis l'intelligence, le raccourci analytique, enfin bon des tas de choses qui ne sont pas données au premier venu [1] ».

2 Ce substantif « miracle » rend compte de la surprise et de l'enthousiasme provoqués par cette parole détonante dans le champ politique, son peu d'orthodoxie et le profil apparemment atypique du porte-parole [2]. En effet, José Bové n'est alors qu'un éleveur ovin, porte-parole de la Confédération paysanne (CP), un syndicat minoritaire dans l'espace agricole. Pourtant il est l'une des voix les plus audibles et crédibles d'un mouvement encore naissant et protéiforme qu'on qualifiera ultérieurement d'altermondialisme. En quelques mois à peine le leader aveyronnais de la Confédération paysanne est devenu une icône médiatique et l'un des porte-parole d'un mouvement social d'ampleur nationale et même internationale. Même s'il s'agit d'un porte-parolat de fait plus qu'en statut, puisque ce mouvement n'est pas structuré de façon formelle. Et parce qu'ils prescrivent en décrivant, les médias apparaissent à la fois tels des amplificateurs et des porte-micros de ce porte-parolat. Pour autant, José Bové ne se vit pas lui-même comme un « miracle politique », c'est du moins ce qu'il prétend lors de notre première rencontre en février 2012 lorsqu'il déclare : « Contrairement à ce qu'on a pu dire je ne suis pas un miracle politique[3] ».

3 Il est à ce moment-là élu au parlement européen depuis près de trois ans. Loin de la figure politique atypique évoquée une dizaine d'années auparavant, il occupe alors un mandat électif et s'intéresse à ce qui se dit de lui. Pourtant, qu'il s'agisse d'une fausse coquetterie ou d'une lucidité réflexive, cette (dé)négation de sa désignation miraculeuse interpelle. Alors que sa présence médiatique et sa candidature à l'élection présidentielle en dehors de tout soutien partisan tendent plutôt à valider ce constat, nous entendons montrer par l'enquête sociologique que ce qualificatif occulte au contraire des processus de personnalisation de ressources collectives et de croyances dans une efficacité des médias qui feraient les rois. En effet le parcours politique et militant de José Bové, de l'activisme au sein d'un syndicat minoritaire agricole à une candidature à la présidentielle, ne cesse d'intriguer. L'attention médiatique qu'il a pu obtenir alors qu'il n'était que porte-parole syndical régional étonne d'autant plus que l'espace politique médiatique est ordinairement « réservé non à des hommes mais aux positions politiques qu'ils occupent » au sommet de la hiérarchie du champ politique (Darras, 1995). De surcroît, il ne suffit pas de produire un acte militant en direction des médias pour recevoir la médiatisation attendue ni d'ailleurs, faut-il le rappeler, d'être médiatisé pour que la cause aboutisse (Marchetti, 1998 ; Sobieraj, 2011). Du reste, des éléments de la trajectoire militante de José Bové le confirment. Lors des premières mobilisations contre les OGM, les destructions de semences en janvier 1998 ou l'arrachage de plants de riz en juin 1999, ses actions ne reçoivent qu'une couverture médiatique insignifiante et plutôt négative. Quelques mois plus tard, le « démontage » du McDonald's bénéficie à l'inverse d'une médiatisation intensive, relativement favorable, d'ampleur nationale et durable. Cette médiatisation se personnalise rapidement, se répand et se prolonge durant les années qui suivent, à mesure que son influence s'étend de la section locale de la Confédération paysanne jusqu'au mouvement altermondialiste en passant par la direction nationale du syndicat pour aboutir finalement à une candidature à la présidentielle en 2007 [4].

4 Il s'agit donc en apparence d'un « miracle politique » et médiatique. Pour rendre compte des conditions sociales de possibilités de ce leadership il convient d'étudier successivement ses ressorts biographique, politique et enfin charismatique. Il s'agit, par le prisme de cette candidature et de ce candidat spécifique, de réfléchir plus largement à la place des médias dans la formation du capital politique et donc à leur influence politique.

Ce travail repose d'abord sur l'observation des collectifs engagés dans la campagne électorale de José Bové et de 42 réunions et rassemblements militants suivis entre octobre 2007 et août 2011. J'ai ensuite réalisé 28 entretiens dont certains ont été réitérés à plusieurs mois d'intervalle dont 2 avec José Bové lui-même. J'ai enfin consulté les archives audiovisuelles de l'INA (entretiens avec José Bové ou reportages consacrés à sa personne sur TF1, France 2 et France 3 de 1998 à 2012) et procédé au dépouillement de trois titres de la presse généraliste nationale (Le Monde, Le Figaro, Libération) ; les données ainsi collectées ont fait l'objet de traitements statistiques systématiques. Une utilisation des listes de diffusion militantes m'a permis d'obtenir 102 réponses à un questionnaire (sur un nombre de destinataires estimé à 300) et de recueillir des informations sociographiques sur les membres des collectifs mobilisés.

Les ressorts biographiques d'un « miracle politique »

5Il apparaît essentiel de poser avant toute chose les jalons du personnage José Bové. En effet, comme pour d'autres figures médiatico-politiques, chacun d'entre nous s'en est construit un portrait fondé sur des idées préconçues notamment par nos prédispositions politiques et nos pratiques médiatiques. Il faut donc d'abord se débarrasser de tous ces José(s) Bové(s), produits buissonniers de la pensée, pour permettre à l'analyse de se développer.

Biographie stratégique

6La biographie sociologique est un exercice délicat (Pudal, 1994). Dans le cas de José Bové, plusieurs difficultés ont pesé et notamment le grand nombre d' uvres (livres, films, reportages, bande dessinée [5]), écrites par, avec ou simplement sur José Bové, proposant des présentations de sa biographie plus ou moins fournies et fiables. Tous ces travaux ou presque s'inscrivent dans l'idée qu'il existe une histoire de vie qui s'organise autour de séquences ordonnées et logiques (Bourdieu, 1986), ils retracent parfois au mot près, les mêmes anecdotes, les mêmes enchaînements logiques, la même cohérence. Ce constat est apparu d'autant plus évident lors du second entretien avec José Bové où nos questions biographiques ont recueilli les mêmes anecdotes que celles lues ailleurs. Ainsi par exemple de l'anecdote des gendarmes lors de la naissance de sa première fille :

7

« Et ils m'ont refusé le statut (d'objecteur de conscience) et donc je me suis caché pendant un an. Marie est née au moment où j'étais encore recherché, enfin juste quand elle est née je venais de recevoir la décision du Conseil d'État de casser la décision de l'armée de me refuser le statut, donc en fait j'étais juridiquement plus poursuivi mais les flics ne le savaient pas encore. Ce qui fait qu'ils m'ont arrêté, enfin ils ont encerclé la maison où on habitait, parce que j'avais déclaré la naissance de Marie, ma fille aînée, à ce moment-là. Donc ils ont cru qu'ils avaient fait un bon coup mais manque de pot c'était raté. [Il rit] C'était pas redescendu dans les gendarmeries [6]. »

8Ce rapport d'opposition débonnaire avec l'ordre et ses forces est récurrent dans ses divers récits de vie (notamment Bové, Dufour, Luneau, 2000 ; Bové, Ariès, Terras, 2000). Il narre d'ailleurs ces anecdotes avec un plaisir non dissimulé. Elles participent ainsi à la construction d'un discours de cohérence d'ensemble que synthétise notamment l'expression désobéissance civique qu'il a contribué à forger (Bové, Luneau, 2004) et qui constitue la modalité centrale de la lecture qu'il propose de son engagement militant.

9Ainsi José Bové maîtrise l'exercice qui consiste à se raconter. Sa biographie est un ouvrage régulièrement remis sur le métier et peaufiné, repris et amélioré selon l'actualité vécue, mais dont la cohérence d'ensemble fait bloc. Présente dans tout entretien, la cohérence biographique est ici professionnalisée. Il s'agit d'une co-construction entre les auteurs des portraits et l'homme public (Collovald, 1988). C'est notamment le cas de sa biographie écrite par Denis Pingaud et publiée en 2002. Le titre de ce récit héroïsant de sa vie est déjà une promesse, La longue marche de José Bové, qui le hisse ainsi symboliquement à la hauteur d'un Mao Zedong. Et le choix de ce rapprochement est à coup sûr d'autant plus délibéré que l'auteur, professionnel de la communication, est aussi « spécialiste » de la gauche et de l'extrême gauche [7] et a lui-même été militant à la LCR et journaliste pour son hebdomadaire, Rouge. Il favorise ainsi le rapprochement avec le principal leader communiste issu de la paysannerie et qui incarne la défense du rôle des paysans dans la révolution. De plus la période de la vie du leader chinois rappelée n'est pas anodine puisqu'il s'agit de « l'épreuve » par laquelle il s'est imposé comme chef du parti. Ce livre « portrait » constitue un support essentiel de singularisation qui naturalise la position dominante par « l'évidence » de l'exceptionnalité ; la mise en valeur de qualités personnelles gomme en particulier toute construction collective de ces ressources. Il permet une perception téléologique du parcours biographique qui donne aux lecteurs mais aussi probablement à José Bové, une impression de cohérence forte des différents moments de sa vie (Memmi, 1991).

José Bové est né à Bordeaux en 1953 de parents étudiants en agronomie, eux-mêmes enfants uniques de commerçants, poissonniers bordelais du côté de sa mère et fleuristes horticulteurs bruxellois du côté de son père. Peu après sa naissance son père obtient un séjour de fin d'étude à Berkeley aux États-Unis où ils résident de 1956 à 1959. À son retour il fait ses études primaires dans un établissement bilingue. Ses parents sont catholiques non pratiquants, assez peu politisés mais plutôt à droite et amateurs de randonnées et d'activités en plein air. Son père est un virologiste des agrumes mondialement connu, il termine sa carrière comme Président régional de l'INRA Aquitaine et sa mère comme professeur de sciences naturelles. Après l'obtention du baccalauréat en 1972, il s'inscrit en hypokhâgne et en philosophie à Bordeaux où il va rejoindre ses parents mutés dans le courant de l'année précédente. Il suit peu les cours et s'investit dans les mouvements pacifistes et antimilitaristes des objecteurs de conscience. C'est ainsi qu'il s'engage, dès 1973, dans le soutien aux paysans du Larzac qui refusent l'extension du camp militaire sur leurs terres. En 1976, il s'installe avec sa femme dans une ferme squattée du Larzac et prend activement part à cette lutte. Il compte parmi les militants qui sont incarcérés après s'être introduits dans le bureau du Génie militaire pour dérober des documents de vente des terrains en juin 1976. Cette lutte du plateau millavois est l'occasion pour lui de se former professionnellement comme éleveur de brebis et comme militant. Proche des militants chrétiens, libertaires et écologistes, notamment dans la mouvance de Jacques Ellul qu'il a rencontré un peu plus tôt à Bordeaux, José Bové fait ses armes de militants actif et de désobéissant pacifiste et convaincu. Lorsque F. Mitterrand est élu en 1981, il accorde un bail emphytéotique aux habitants du plateau qui gèrent depuis collectivement les terres du Larzac. Cette bataille militante structure ainsi durablement cet espace dont l'engagement perdure aujourd'hui.

10À l'inverse, le projet d'une biographie sociologique n'est pas de cotiser à l'évidence de la singularité et au mythe du « grand homme » mais bien plutôt de mettre à jour non seulement les logiques collectives qui sous-tendent les capitalisations individuelles de ressources mais aussi les liens entre le social incorporé et les relations, positions et prises de positions dans les différents champs qui ont compté dans la trajectoire de José Bové (Elias, 1991). L'objectif étant d'identifier les éléments qui ont pu lui permettre d'être perçu plus tard comme « un miracle politique ».

Un établi à la campagne ?

11Le jeune José Bové, issu d'un milieu bourgeois intellectuel, décide donc de devenir paysan par convictions politiques, afin de continuer la lutte par d'autres moyens. Cela correspond à un type d'engagement qui n'est pas si rare dans les années soixante-dix (Hervieu-Léger, 2005). L'installation sur le plateau du Larzac est l'occasion pour lui d'accumuler un capital d'autochtonie conséquent (Retière, 2003 ; Renahy, 2010). Ce profond ancrage local permet ainsi un discours d'authenticité « car les racines se cultivent, elles s'entretiennent, voire elles se créent, faisant de l'authenticité un construit social » (Franquemagne, 2010 ; voir aussi Peterson, 1992).

12Comme pour les établis en usine, l'abnégation nécessaire lors de l'installation très précaire dans le Larzac et sa pérennisation procurent des compensations dont un véritable prestige au sein des groupes militants fréquentés (Dressen, 2000). Il prolonge cet engagement « permanent » de la lutte du Larzac dans les années 1970 dans la construction d'une opposition syndicale agricole (Bruneau, 2006). D'abord au sein des Travailleurs Paysans de Bernard Lambert (Chavagne, association Bernard Lambert, 1988) puis il participe à la création en 1987 de la Confédération paysanne dont il devient membre du comité national. Cette accumulation de ressources militantes fait de lui le leader naturel du Larzac historique et du renouveau syndical néo-rural, unifiant dans sa personne toutes les énergies militantes du plateau (Bruneau, 2006).

13 Pourtant, même s'ils ne sont pas si nombreux, d'autres militants historiques du Larzac pouvaient eux aussi prétendre au leadership (ex. : Christian Roqueirol [8] ou René Riesel [9]). Il reste que José Bové possède des ressources qui dans chacune de ces situations lui permettent d'optimiser ces expériences et de les convertir en ressources.

Le parcours dévié d'un héritier

14Si le milieu social de José Bové pouvait laisser penser qu'il embrasserait une carrière différente, l'agriculture n'arrive pas pour autant par hasard dans sa trajectoire professionnelle.

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« Donc c'était une tradition agricole depuis toujours, d'ailleurs c'est parce que mes grands-parents étaient aussi là-dedans que mon père a fait l'agro. [...] Donc lui je pense qu'il est rentré à l'INRA par cette tradition-là, que moi j'ai aussi, même si c'était plus du tout agriculture mais quand même, et moi très tôt, c'est avant le Larzac, c'est quand j'étais à Bordeaux que je vais travailler dans les fermes. [10] »

16 Le récit familial permet de reconstruire des cohérences et des continuités biographiques qui concernent également l'engagement politique. Bien que ses parents soient peu politisés, et plutôt à droite, José Bové s'engage dans des mouvements clairement situés à gauche. Pour autant, dans le paysage politique des années soixante-dix il se déclare plutôt attiré par les groupes anarchistes que communistes envers lesquels il garde ses distances. Sur ce point, il rejoint son père très critique à l'égard des pays communistes et notamment lors de son retour de Cuba où il a donné des conférences en tant que spécialiste des agrumes. José Bové déclare qu'étant jeune homme, il lit Proudhon, Bakounine et Stirner et se montre plus intéressé par la désobéissance civile inspirée d'Henri David Thoreau, de Martin Luther King et de Gandhi que par la doctrine maoïste. Ce choix politique à l'extrême-gauche non communiste, et à considération individualiste revendiquée, n'implique alors pas de rupture radicale avec ses parents.

17 Enfin, José Bové bénéficie d'une socialisation familiale cosmopolite qui lui permet à la fois d'accumuler un capital culturel et social et de jouir d'un rapport à l'étranger traditionnellement associé aux milieux privilégiés (Wagner, 2010 ; Dezalay, 2004). Ce sont des ressources rares dans le milieu paysan dans lequel José Bové évolue ensuite, en dépit du fait que l'agriculture est l'un des espaces professionnels les plus précocement européanisé notamment par les politiques agricoles communes successives, à l' uvre depuis les années soixante.

18 Ainsi, contrairement à Bernard Lambert, autre grande figure de la gauche paysanne, José Bové est un militant devenu paysan et non un paysan qui se politise. Il trouve dans ses engagements de syndicaliste agricole une façon inattendue de faire s'actualiser et fructifier ses dispositions à l'international et son capital culturel incorporé. Cela lui permet non seulement de s'exprimer en anglais, mais aussi de s'approprier les enjeux internationaux tels que ceux en passe d'être discutés à Seattle en 1999 et plus largement, ceux discutés au sein des engagements altermondialistes. Il maîtrise ces questions qui sont aussi au cœur des préoccupations de son syndicat et il en parle simplement et d'autant plus clairement qu'elles ont un impact concret sur son quotidien et qu'il bénéficie de l'expertise syndicale sur ces questions.

19 Il incarne, au sens fort du terme, ce combat qui lie le local et le global. Pourtant cette incarnation ne doit pas faire oublier que nombre de ces ressources culturelles, sociales et politiques sont collectives avant d'être capitalisées au niveau individuel dans une combinatoire spécifique facilitée par des origines sociales inhabituelles qui permettent à José Bové à la fois de se distinguer de ses homologues paysans et de se rapprocher des journalistes.

Le « démontage » du McDonald's : retour sur les conditions d'une « naissance » médiatique

20Avant 1999 [11], José Bové n'apparaît que six fois sur les chaines nationales (entre 1978 et 1998) et vingt-quatre fois sur les chaînes régionales. Il s'agit essentiellement de reportages sur « le Larzac 20 ans après » ou, sur les chaînes régionales, de sujets sur les premières actions de la Confédération paysanne sur les OGM et le veau aux hormones. Bien qu'ancien, son engagement ne « naît » réellement dans l'espace médiatique qu'en 1999 avec le « démontage du McDo », suivi par la manifestation de Seattle [12].

Graphique. Occurrences de « José Bové » sur les trois principales chaînes hertziennes entre 1999 et 2012.

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Graphique. Occurrences de « José Bové » sur les trois principales chaînes hertziennes entre 1999 et 2012.

21Si l'on remonte chronologiquement la courbe des apparitions télévisuelles de José Bové (graphique), on observe une médiatisation classiquement liée à une échéance électorale (2007) et une forte baisse des apparitions à la fin de son mandat de porte-parole de la Confédération paysanne en 2004. En revanche, sa présence médiatique importante entre 1999 et 2003 surprend. Elle est d'autant plus difficile à expliquer qu'il n'occupe qu'une position institutionnelle assez marginale de porte-parole de la CP, syndicat agricole minoritaire [13]. Revenir plus spécifiquement sur ce moment inaugural du « démontage du McDo » permet de comprendre cette médiatisation et ses prolongements au-delà de cette affaire. En effet, cette action et sa médiatisation fonctionnent comme un objet politique gigogne qui permet l'emboîtement de différentes strates d'intérêts, syndical, politique et médiatique, et autant d'enjeux pouvant générer une mobilisation et un soutien croissant, du local au global.

Une action locale, nationale et internationale

22Lorsque le groupe de militants « démonte » le McDonald's en construction sur les hauteurs de Millau, il agit, selon ses déclarations, en réaction aux sanctions internationales infligées par les États-Unis sous la forme d'une surtaxe du Roquefort. Parmi les membres de ce groupe, les militants du syndicat des producteurs de lait de brebis (SPLB) sont bien représentés. En tant que militant de ce groupe, José Bové a obtenu [14], avec un autre producteur, de siéger à l'interprofession du Roquefort réunissant les industriels et les producteurs représentés jusque-là uniquement par le syndicat des éleveurs de brebis (SEB qui est affilié à la FNSEA). Ces deux sièges sont temporaires et doivent être renégociés à la fin de l'année 1999. L'Interprofession de Roquefort réagit en début d'été aux surtaxes imposées par les États-Unis à leur produit en rencontrant le ministre de l'Agriculture Jean Glavany, mais celui-ci se déclare impuissant à intervenir sur cette sanction. La méthode classique de négociation avec les ministres n'ayant pas abouti, il se dégage un espace pour le duo du SPLB dont le maintien à la table des négociations de l'interprofession est loin d'être assuré. Ce contexte localisé compose ainsi un premier élément de compréhension essentiel de cette action.

23Cela vient s'ajouter au long engagement de la CP dans la lutte contre la politique agricole commune. L'adoption de sa réforme à Berlin en mars 1999 doit déboucher sur un nouveau cycle de négociations de l'Organisation mondiale de commerce à Seattle en novembre. En juillet, lors de la réunion du comité national du syndicat, il est donc décidé de profiter du festival du film américain de Deauville, en septembre, pour intervenir en mobilisant les milieux culturels. François Dufour, le porte-parole national de la CP de l'époque déclare « J'ai été chargé de préparer cette action, qui, dans notre stratégie, devait revêtir une importance nationale. Dans la foulée, le représentant de l'Aveyron a proposé : « Le Roquefort est surtaxé et on a un McDo en construction chez nous... » (Bové et al., 2000a). Or la hiérarchie de ces actions s'inverse et la ferme installée à Deauville n'aura qu'un effet de rappel de l'intense mobilisation de l'été suite au « démontage » du McDonald's.

24Pour autant, cela reste une action dans laquelle le syndicat tout entier s'investit. François Dufour fait rapidement une lettre à toutes les sections dans laquelle il donne les éléments de cadrage et la ligne de défense attendue des militants : « J'ai écrit noir sur blanc, clairement, que la prétendue « casse » n'était pas un saccage mais se résumait à un démontage, que nous avions suffisamment d'assurances pour le dire et arrêter de tergiverser. Qu'il fallait, aujourd'hui, prendre en compte l'acharnement de la juge, que nous devions considérer la répression syndicale plutôt que de s'arrêter sur un chiffre » (Bové et al., 2000a). Cette lettre est ainsi une mise en ordre de marche de la CP et de son appareil syndical pour tenter de prescrire un cadrage médiatique profitable (Iyengar, 1990). Cette action bénéficie ainsi, dès son origine, du soutien à la fois de l'Interprofession du Roquefort et de la CP.

25José Bové, en tant que leader de cette action, s'impose au sein de son syndicat où s'affrontaient alors partisans de méthodes « radicales » et « réformistes » (Bruneau, 2006). La résonance médiatique de cette action est telle que même aux États-Unis le New York Times lui accorde un article à la Une le 12 octobre 1999 alors qu'il n'est à l'époque que représentant régional au comité national de la CP et administrateur à l'interprofession du Roquefort. La notoriété conférée par ce journal le rend alors incontournable pour le voyage à Seattle, en novembre, où il accompagne la délégation composée du secrétaire général, du représentant de la CP à la coordination paysanne européenne et du porte-parole national de la CP. Et comme il s'exprime avec une relative aisance en anglais, il prononce un discours à Seattle, lors d'un meeting international d'organisations opposées aux règles de l'OMC. Au cours de celui-ci, il brandit une tome de Roquefort et précise qu'il n'a payé aucune surtaxe lors du passage de ce fromage en douane. Proposant une image d'Épinal de la France vue des États-Unis, il nargue aussi les autorités et met en cause les nouvelles dispositions douanières appliquées par les États-Unis sur certains produits français. À nouveau l'image fait mouche dans les médias.

26Cette action est donc doublement spécifique, géographiquement et professionnellement, puisqu'elle est ancrée dans les enjeux des producteurs de lait de brebis de l'Aveyron et dans les affrontements au sein de l'espace syndical agricole mais aussi au sein même de la CP entre deux tendances qui s'opposent. Pourtant, elle parvient à élargir son audience notamment grâce à son registre de discours général sur la malbouffe, la liberté syndicale et les multinationales auquel s'ajoute la force de la mise en scène symbolique autour du Roquefort. Mais ces atouts n'auraient probablement pas suffi à permettre une telle médiatisation si l'appareil syndical entier de la CP ne s'était pas impliqué dans la lutte de cadrage (Benford et Snow, 2012), soutenu par l'ensemble de la gauche de gauche, parvenant ainsi à accueillir les préoccupations d'associations et de syndicats variés. Par la suite, la sévérité des sanctions pénales ouvre un nouvel espace médiatique dont le « feuilleton » s'étale sur une année. La soumission à ces peines sévères incarne alors une « forme sacrificielle d'engagement avec une forte connotation morale » (Hayes et Ollitrault, 2012). En effet, le « don de soi » pour l'intérêt général relève d'une posture à la fois sacrificielle et héroïque, en écho au modèle christique. Ainsi, la répression contre les différents actes de désobéissances de José Bové, le « démontage » du McDonald's comme les fauchages de champs OGM s'invitent rapidement dans la couverture médiatique et participent à l'héroïsation de José Bové, provoquant un effet surgénérateur de médiatisation de cet héroïsme coproduit par sa médiatisation.

Affinités d'habitus et convergence d'intérêts

27Or si cette forte médiatisation puise de puissantes ressources dans les différentes organisations et appareils qui la soutiennent, les dispositions de José Bové facilitent certaines affinités sociales et/ou politiques avec les journalistes, qu'il s'agisse d'anciens trotskystes pour les plus âgés (comme les correspondants locaux du Monde ou de Libération) qui retrouvent dans ses actions des modalités d'engagement connues, ou des plus jeunes dont l'excellence professionnelle est marquée par la distance aux partis, qui reconnaissent alors une dimension « citoyenne » (Lévêque et Ruellan, 2010). Ces affinités transparaissent notamment dans la sympathie, voire même la séduction sociale, qu'exerce José Bové auprès des journalistes.

28

« José Bové, légèrement amaigri sous son éternelle veste de cuir défraîchie, a la moustache rayonnante [15]. »
« Il enchaîne dans le même sourire sur la démocratie et la marchandisation des activités humaines. José Bové respire le bonheur de réfléchir. Quand il n'est pas dans sa bergerie ou en train de démonter un McDonald's, le gaillard a, de toute façon, la tête dans les livres [16]. »

29Comme pour les photographies dans les biographies des leaders syndicaux paysans, son « bon sourire et la clarté de son regard » ajoutent « un surcroît de vertu à son pouvoir de mobilisation » (Maresca, 1983) et s'ajoute à l'inclinaison journalistique à l'explication du politique par des facteurs individuels et psycho-biographiques, valorisant les individus par rapport aux appareils, les trajectoires (censément exemplaires) par rapport aux idéologies.

30En effet, les journalistes actuellement en poste dans les services politiques, par un effet de leurs trajectoires et de leurs socialisations, ont un rapport toujours moins politique à la politique et cherchent à valoriser des formes d'activités politiques émanant de « la société civile » au détriment des acteurs politiques officiels souvent jugés anachroniques et disqualifiés (Kaciaf, 2013 ; Saïtta, 2010). José Bové profite de l'évolution des rapports du champ journalistique et du champ politique qui s'autonomisent, l'un l'autre et l'un de l'autre, s'entrechoquent et se concurrencent sous certaines dimensions et notamment pour le droit de parler au nom de la « société civile » (Dulong, 2010). En effet, entre 1960 et 2000, la profession journalistique triple ses effectifs et subit de grandes transformations : elle se rajeunit, se féminise et élève son niveau général de recrutement (Duval, 2004 ; Neveu, 2013a). Le modèle professionnel du champ journalistique s'en trouve remis en cause et modifié. La revendication d'autonomie vis-à-vis des politiques accompagne une plus grande précarité et une soumission plus forte aux décideurs économiques. La quête de sujets « prêts à diffuser » ouvre ainsi un espace de médiatisation plus grand que par le passé pour le type de mise en scène que peuvent incarner certaines actions de désobéissance civique, parfois perçues comme des actions pour médias (Champagne, 1984 ; Baisnée, 2001). Ce type d'action sur le registre de l'opinion individuelle plutôt que politique et de la citoyenneté plutôt que des militants de partis, a d'autant plus de chance d'être bien reçu qu'il entre en congruence à la fois avec les schèmes de perception « bourgeois cultivé » des journalistes et avec les intérêts objectifs du champ journalistique dans la remise en cause du monopole de la représentation légitime par les hommes politiques. José Bové agit alors en ressort justificatif : en lui laissant une large expression médiatique, les journalistes accréditent un peu plus leur propre constat de la distance croissante entre la politique professionnelle et le « terrain » et par là se légitiment comme porte-parole de la « société civile ». Ils renforcent ainsi leurs positions en privilégiant dans le réel ce qui vient alimenter le verdict de la crise de la représentation (Neveu, 2000). Ces jeux de forces et de contraintes entre les champs politique et journalistique contribuent à de l'émergence du mouvement altermondialiste.

Un contexte politique propitiatoire

31Dans les années quatre-vingt-dix la CP met en place un « contournement du national » et s'inscrit par-là pleinement dans ce registre international en passe de devenir altermondialiste (Agrikoliansky et al., 2005). Ce mouvement connaît un succès fulgurant au début des années 2000 avant de décroître. Dans ce contexte de diminution de son influence se tient le référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE).

(Re)naissance altermondialiste et capital symbolique

32Les élections professionnelles agricoles de 1989 et 1995 ont installé durablement la jeune CP dans le paysage syndical sans pour autant lui permettre de prétendre concurrencer le syndicat majoritaire dans un horizon proche. Elle est donc contrainte d'essayer de rallier des soutiens extérieurs au monde agricole. S'engageant dans divers mouvements sociaux, les syndicalistes misent sur le registre de la scandalisation (Offerlé, 1998). Ils s'appuient sur deux principes directeurs : le choix de la non-violence et des actions symboliques (Bruneau, 2006). Cette stratégie a pour vertu de démarquer la CP de la FNSEA et du syndicalisme paysan traditionnel (Duclos, 1998) tout en l'inscrivant dans la démarche qui se généralise dans les années quatre-vingt-dix au sein des mouvements sociaux pour prendre en compte les contraintes de la production journalistique. Cette stratégie de positionnement médiatique du syndicat paysan relève de la « loi du jdanovisme » (Bourad, 2017), « selon laquelle les plus démunis de capital spécifique, c'est-à-dire les moins éminents selon les critères proprement [spécifiques], ont tendance à en appeler aux pouvoirs externes pour se renforcer, et éventuellement triompher, dans leurs luttes [spécifiques] » (Bourdieu, 2002). La CP va, par cette dynamique, se trouver au cœur de la constitution de l'altermondialisme en France. Elle est d'ailleurs membre fondateur d'ATTAC, considérée comme la principale organisation altermondialiste dans le monde (Agrikoliansky et Sommier, 2005).

33Ce mouvement a provoqué la surprise des observateurs par l'ampleur et la rapidité de son succès mais cette réussite, à la frontière du politique, provoque aussi des tensions. Les partis politiques tout d'abord sont mis en danger par la tentation de transgression des frontières de la représentation politique légitime qu'il propose. Ensuite le mouvement lui-même est fragilisé par son succès car sa non-structuration et donc l'absence de chef aboutissent en pratique à l'affrontement dénié de tous les prétendants au rôle (Wintrebert, 2007). Et dans cette course au leadership de l'altermondialisme français, José Bové bénéficie de plusieurs atouts. Il se trouve à l'exacte intersection de la série d'évolutions et de transformations qui permettent l'altermondialisme et dont il est possible de définir trois grands axes : la constitution d'un pôle intellectuel et militant centré sur la solidarité avec le « Tiers-Monde » ; les recompositions partisanes et syndicales de l'espace politique français des années 1980-1990 et enfin la dynamique des événements protestataires, contre-sommets, forums sociaux, campagnes mondiales qui vont servir de catalyseur (Agrikoliansky et al., 2005). En effet, en juin 2000, le premier rassemblement de Millau, qui regroupe autour de 100 000 personnes pour accompagner le jugement des « démonteurs du McDo », se résume souvent, en pratique et dans les comptes rendus médiatiques, à un soutien à José Bové. Cet événement ouvre d'ailleurs un nouvel épisode de mobilisations au sein desquelles il occupe une place croissante. L'enchaînement de l'agenda lui permet ainsi d'apparaître comme leader du syndicat agricole ainsi qu'à la tête de l'opposition française à la mondialisation par le démontage du McDonald's et, moins de trois mois plus tard, meneur de manifestation transnationale en opposition au sommet de l'OMC organisé à Seattle. Cela contribue à une forte capitalisation individuelle des ressources symboliques collectives de ce mouvement. D'autant que pour couvrir ce dernier, les journalistes ont besoin de trouver des interlocuteurs identifiés, identifiables, et qui possèdent les qualités oratoires nécessaires à des présentations simples, claires et concises. Et José Bové possède des dispositions sociales qui le place conjointement dans une proximité d'habitus avec les journalistes mais aussi en position d'incarner au mieux les revendications internationales de son syndicat et par là de s'imposer progressivement parmi les leaders du mouvement altermondialiste en France.

En fait de capital médiatique, il semble plus intéressant de penser les ressources médiatiques en termes de capital symbolique valorisable dans le champ journalistique (Benson and Neveu, 2005). Le capital symbolique est ici utilisé dans l'acception qu'en donne P. Bourdieu (Bourdieu, 1994) et que résume Erik Neveu comme « un prestige, une aura, qui naît de processus de perception enchantés ou sublimés d'acteurs qui détiennent des structures ou des volumes inhabituels des capitaux précédents [social, culturel et économique], où qui passent pour les avoir acquis au terme de processus ou d'épreuves extraordinaires » (Neveu, 2013b)..
L'audience qui est accordée à José Bové dans les médias s'éclaire ainsi à la lumière à la fois de ces rapports entre les associés-rivaux que sont les journalistes et les hommes politiques mais aussi de ce moment altermondialiste comme « crise » de la parole politique légitime qui peine à fournir une lecture politique du monde qui permette d'en comprendre les enjeux. Il s'agit donc d'une aura basée sur la « croyance », entre autres celle des journalistes et de l'ensemble des agents intervenant dans le champ journalistique, que José Bové est un personnage médiatique, qu'il a des qualités médiatiques hors du commun qui ont elles-mêmes une efficacité propre, notamment en termes d'audience. Ce capital symbolique repose sur une composition singulière de capital culturel qui allie d'une part un habitus primaire bourgeois cultivé et des ressources culturelles incorporées lors de sa socialisation dans l'univers intellectuel et militant, et d'autre part des connaissances et un savoir-faire syndical et militant accumulés tant à la CP que dans le Larzac. Ce capital culturel, qui est également un capital incorporé, est augmenté et rendu particulièrement efficient par un capital social et notamment un entregent lui aussi relativement peu commun, tout au moins dans son univers syndical, constitué en partie par sa socialisation à l'international mais pas seulement. Cette combinatoire spécifique comme la qualifie Erik Neveu constitue un support théorique plus heuristique pour comprendre la réussite médiatique de José Bové que la restriction à une nouvelle forme de capital qui masque plus qu'elle n'explique les processus à l' uvre et dont la différenciation des formes élémentaires de capital définies par Pierre Bourdieu reste ardue, d'autant qu'elle demeure difficile à rattacher à un champ d'application spécifique.

34Les cinq années qui constituent la parenthèse altermondialiste, entre 1999 et 2004, permettent à José Bové d'accumuler des ressources symboliques et médiatiques en tant que porte-parole officieux. Pour autant, il s'agit moins d'une création de leadership par les médias que de la validation médiatique d'un capital politique existant, bien que José Bové ne puisse faire valoir de titre particulier. Car si ce rôle de porte-parole officieux du syndicat puis de la mouvance altermondialiste ne provoque pas de vives réactions c'est que José Bové jouit d'une reconnaissance accumulée au cours de son histoire militante qui rencontre à ce moment-là une configuration favorable.

35Pour autant, cela ne constitue pas, en soi, un droit d'entrée dans le champ politique et l'arène électorale. Cette intrusion est rendue possible par une situation de crise qui joue en sa faveur.

Les ressorts médiatiques du charisme

36Le groupe que forment les Électrons libres n'est pas tant un groupe structuré qu'un agglomérat de militants qui se sont rencontrés sur internet, forum et liste de discussions, autour du désir commun de faire de José Bové leur candidat. Bien sûr ils ne sont pas les seuls responsables de cette candidature qui a su trouver un écho au sein de collectifs unitaires préexistants. Et sur ce point les entretiens avec les militants dans les collectifs montrent qu'il serait erroné de croire qu'ils étaient, dès le départ de cette entreprise de désignation d'une candidature unitaire, supporters de la candidature de José Bové. En réalité la majorité d'entre eux tenait plus à la procédure de désignation au consensus qu'à un choix arrêté sur une candidature indiscutable. Une candidature Bové n'était donc pas un choix majoritaire au départ mais s'est imposée à mesure que la rupture avec le PCF se consommait. Et dans ce contexte de « crise », les Électrons libres ont alors agi comme des entrepreneurs de cause, constituant le retour de José Bové comme la solution à l'échec des candidatures unitaires et au retour à des candidatures partisanes. Sans en être à l'origine, ils sont donc l'élément déclencheur de cette candidature, en particulier par le lancement de la pétition en ligne pour le retour de José Bové. Or ce groupe au sein duquel l'outil internet s'avère central est aussi particulièrement perméable aux médias.

Une communauté en ligne ?

37L'étude du groupe des Électrons libres repose sur des entretiens formels ou informels avec environ la moitié de ses membres ainsi que sur l'observation de leur réunion de bilan de fin de campagne en juillet 2007. Il est composé de militants non encartés pour la plus grande majorité d'entre eux et pour ceux qui sont dans des mouvements ou associations, ils n'y exercent pas de responsabilités. Ce sont majoritairement des hommes, blancs, diplômés, non partisans, entre 45 et 55 ans, qui ont des situations professionnelles suffisamment confortables pour consacrer quasiment trois mois pleins à cet investissement politique. Ils ne constituent donc pas une remise en cause des conditions sociales de l'engagement (Greffet et al., 2014). Ils exercent des professions indépendantes et bénéficient d'un volume de capital politique institutionnel nul ou presque. Ils trouvent là l'opportunité d'une promotion fulgurante : plus de la moitié d'entre eux seront intégrés au comité national de campagne.

38Ce groupe se fonde sur internet par le biais de divers forums et listes de discussion, à l'initiative de Yannis Youlountas [17] qui rassemble la première trentaine de membres du groupe Larzac.

39

« Alors la liste Larzac, le but c'est de sélectionner et de créer un noyau dur de personnes affutées, compétentes et motivées pour relancer la candidature de Bové [18]. »

40Par la suite, ce premier cercle s'élargit à la fois par l'entremise de Yannis Youlountas mais aussi par capillarité d'affinités, chacun proposant une ou deux personnes. Une analyse plus fine par recoupements des descriptions du groupe et des anecdotes montre que la plupart d'entre eux connaissent au préalable entre une et cinq personnes « physiquement ». Il s'agit donc d'un groupe d'interconnaissances plus que d'individus reliés uniquement par le réseau on line. Le réseau des réseaux semble ainsi resserrer, faciliter et augmenter plus qu'il ne crée des liens entre militants. Cet outil a permis à ces militants « inorganisés » dans des structures formelles, de lancer la pétition internet et ainsi de prétendre relancer la candidature Bové. Cette pratique apparaît d'autant plus centrale [19] au sein des Électrons libres que les membres sont moins dotés en capital politique institutionnalisé (c'est-à-dire de reconnaissances et de titres partisans et électifs [20]).

41Le type de relation qui les lie pour la plupart à José Bové ressort d'un rapport de domination charismatique (Weber, 2014). Comme tout mode de domination, il s'agit d'un idéal type dont la présence plus ou moins proche de « l'état pur » (mais jamais totale) varie notamment en fonction de la position sociale, du volume et de la composition du capital politique mais aussi du capital social et économique. Dans un champ donné, les plus faiblement dotés en capital spécifique étant les plus enclins à croire et donc les plus disponibles à la domination charismatique (Bourad, 2014). Dans le cas de cette campagne, l'étude a montré qu'ils étaient pour la plupart membres de ce groupe des Électrons libres. Ils partagent des dispositions qui les inclinent non seulement à reconnaître en José Bové la réussite d'un « autodidacte » selon eux, mais aussi à transférer sur lui leurs attentes de « revanche sociale » par un effet d'homologie de position (Fossé-Poliak, 1992). L'un des « moteurs » sociaux de leur engagement se trouve dans les velléités de « rattrapage » social d'héritages perçus comme contrariés par les engagements politiques, d'autant plus que lesdits engagements politiques n'ont pas fourni de rétributions matérielles ou symboliques à même de compenser la perte représentée par les infléchissements des parcours scolaires (McAdam, 2012). Cette campagne est ainsi perçue par ce groupe comme une « équivalence » permettant d'intégrer le champ politique à un niveau supérieur, court-circuitant ainsi les procédures classiques de formation et de sélection des institutions en général et des partis en particulier. Ces « marginaux » (Fossé-Poliak, 2008) du champ politique se « reconnaissent » ainsi en José Bové par un effet d'homologie structurale avec la position d'outsider du champ politique. Mais il s'agit toujours d'une « coïncidence imparfaite des intérêts des dominés et de ceux des dominants-dominés qui se font les porte-parole de leurs revendications ou de leurs révoltes, sur la base d'une analogie partielle entre les expériences différentes de la domination » (Bourdieu, 2003).

Le référendum sur le TCE : l'élément déclencheur

42La particularité du scrutin référendaire amène militants et partisans (au sens de militants adhérents de partis) à se côtoyer dans une campagne qui, bien que située dans l'espace électoral institutionnel, n'en reste pas moins dénuée d'enjeux directs en termes de postes et du pouvoir institutionnel et politique qui leur est associé. Sans être révolutionnaire, ce moment spécifique peut malgré tout être analysé comme une situation politique fluide (Dobry, 1992 ; Schwartz, 2008).

43En effet, cette question entraîne une fragmentation de certains partis politiques. Des membres du parti socialiste ou des verts s'opposent à la position majoritaire de leurs partis et se prononcent contre le traité, allant jusqu'à faire campagne aux côtés du PCF et de la LCR qui se sont prononcés pour le Non. Du côté du mouvement social, des groupes dotés d'un poids militant important comme Attac ou la Fondation Copernic s'engagent aux côtés des militants politiques, tout comme un certain nombre de syndicats comme la CGT ou les dix Solidaires, sortant ainsi de leurs espaces usuels pour pénétrer celui de la politique électorale. Cette entrée est aussi permise par la forte unanimité de l'engagement pour le Oui, de la plupart des partis politiques influents comme des médias. Le seul partisan du Non inclus dans la campagne officielle est le PCF. Il bénéficie à ce titre d'un droit d'antenne qu'il accepte de mettre à disposition de l'ensemble des participants de la campagne commune. Or, après avoir favorisé l'entrée dans le champ politique de tous ces protagonistes « frontaliers » pour le soutenir et l'aider dans la campagne du Non au TCE, le PCF se trouve rapidement mis en danger par cette entrée incontrôlée de nouveaux acteurs qui menace son existence dans le jeu. En effet, cette échéance électorale apparaît comme un « test de position politique » (Dobry, 1992) pour les groupes situés à gauche du PS qui aspirent à renégocier l'ensemble du système de distribution et de répartition des positions de pouvoir après le séisme politique de 2002. La victoire du Non au référendum suscite alors des interprétations variées et, en particulier, une lecture en forme de victoire de la gauche antilibérale sur la gauche sociale-libérale (Lehingue, 2007). Ce résultat qui met en « minorité » les principaux partis de gouvernement ouvre ainsi une brèche dans le « cela va de soi » de la représentation politique et donc dans les relations usuelles entre partisans et militants des mouvements sociaux.

44Or dès le début de la campagne du Non au TCE se sont formés les « collectifs du 29 mai » regroupant des militants provenant du large spectre des mouvements sociaux et des diverses sensibilités dites de gauche ou d'extrême-gauche. Suite à cette expérience fructueuse, l'idée (re)germe [21] d'une candidature unitaire antilibérale. Dès le début de cette initiative, Marie Georges Buffet met sa candidature en débat (Pudal, 2008), suivie de peu par José Bové (Libération, juin 2006) et par le retrait de la LCR du processus collectif, qui déclare son candidat à la présidentielle : Olivier Besancenot.

45La désignation d'un candidat commun paraît assez mal partie. Des « primaires » sont malgré tout organisées. Cinq candidats sont en lice : Patrick Braouzec, député communiste de Seine-Saint-Denis ; Clémentine Autain, adjointe apparentée communiste au maire de Paris ; Yves Salesse, président de la Fondation Copernic ; Marie Georges Buffet, secrétaire générale du parti communiste et José Bové. Le vote des collectifs est fixé au 9 et 10 décembre. Durant les deux mois qui séparent le dépôt des candidatures du vote, la tension monte ; des collectifs se créent et sont suspectés par les militants des collectifs plus anciens d'être montés de toutes pièces par les communistes. La polémique enfle et José Bové retire sa candidature le 23 novembre en reprochant au parti communiste et à la LCR de chercher la division. Quelques semaines plus tard, Patrick Braouzec renonce aussi à concourir.

46Au mois de décembre 2006, 569 collectifs s'expriment donnant 54,8 % des voix à Marie Georges Buffet, 22,9 % à Clémentine Autain et 19,5 % à Yves Salesse. La polémique explose, Clémentine Autain, Yves Salesse et José Bové indiquent qu'ils ne feront pas campagne pour la porte-parole du parti communiste. Ces pourcentages, publiés dans le quotidien Le Monde[22], restent relativement mystérieux quant à leur élaboration car un grand nombre de collectifs n'ont pas voté par individus mais ont fait « remonter » au niveau national la (ou les) candidature(s) sur laquelle un consensus pouvait être envisageable. La diversité des modalités de vote participe ainsi au sentiment de suspicion nourri contre les communistes.

47Le 6 janvier 2007, des militants qui se qualifient d'« Électrons libres », publient sur le net une pétition qui appelle au retour de José Bové. Le 15, celui-ci encourage la signature de cette pétition et indique qu'il prendra sa décision à la fin du mois au regard du nombre de signatures. Les 20 et 21 janvier, les collectifs se réunissent de nouveau, la pétition a recueilli plus de 25 000 signatures en dix jours, José Bové annonce qu'il accepte d'être « le nom sur le bulletin » [23]. Or, comme José Bové ne bénéficie pas d'un soutien partisan, il apparaît nécessaire de comprendre qui est ce groupe qui le rappelle.

Un prophète médiatique

48Yannis Youlountas écrit, en novembre 2006, une contribution [24], adressée au collectif national pour un rassemblement antilibéral de gauche et des candidatures communes publicisée sur plusieurs sites militants. Il développe les treize arguments qui, pour lui, font de José Bové le meilleur candidat parmi ceux en lice. Le cinquième est ici reproduit :

49

Pour qu'un autre monde soit vraiment possible, il nous faut passer (une dernière fois ?) par une figure charismatique capable d'être le nom rassembleur d'un mouvement sans chef mais avec un symbole en porte-étendard. Soyons sincères et lucides : seul José Bové peut être ce symbole. Lui seul peut apporter la cerise sur le gâteau d'une dynamique qui s'inscrit malheureusement encore dans le cadre des institutions de la Cinquième République, ce qui signifie que la puissance de l'image pèsera autant sinon plus que celle du discours. Pourquoi donc nous priver de ce formidable atout qu'est l'entrée sur la scène politique de José Bové ?

50En entretien il précise :

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« Après je pense que voilà j'ai suivi de près ou de loin selon les périodes l'aura médiatique de cet homme et ses fondements, j'étais sur le Larzac en 2003 on était quand même nombreux et là je me suis dit que quelque chose était possible et quand, en 2005, il a participé à l'action contre le TCE, je me suis dit que l'union antilibérale qui suivait devait choisir quelqu'un au-delà, en dehors des partis plutôt que quelqu'un dans les partis et que cette personne, la plus habilitée à le faire c'était Bové. »

52Il apparaît ainsi que, pour une partie importante des militants de ce groupe, ce capital symbolique valorisé dans les médias pèse de tout son poids dans la construction de la légitimité politique de leur champion. Cela tend à confirmer que le pouvoir des médias résiderait moins dans un effet direct sur le grand public que dans la certitude des « experts », ici des entrepreneurs de causes militantes que sont les Électrons libres, que le grand public est influencé par les médias de masse (Davis and Seymour, 2010). Ainsi cet univers particulièrement critique envers l'influence des médias et leur pouvoir supposé est donc paradoxalement particulièrement réceptif et sujet à l'influence des traitements médiatiques.

53 De plus, les Électrons libres que nous avons rencontrés ne connaissaient José Bové que par le biais des médias avant de s'engager dans cette campagne. Ils ne rencontreront José Bové chez lui qu'une semaine après le lancement de la pétition en ligne. Pourtant ils ont pour la plupart un sentiment de proximité, comme s'ils le connaissaient déjà.

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« J'ai qu'un objectif, que José Bové soit candidat.
Enquêtrice : Tu l'avais déjà rencontré à ce moment-là ?
Non pas du tout mais ce que j'avais vu me suffisait, intuitivement je savais que c'était juste [25]. »

55Il s'agit pour ces adeptes, d'une (re)connaissance par corps (Bourdieu, 2003) autant que par l'intellect, si cette distinction a un sens. Cette reconnaissance occulte le hiatus entre d'une part la position et les dispositions sociales du prophète et, d'autre part, ce que ces membres de la communauté émotionnelle de José Bové perçoivent et interprètent de son hexis. « La reconnaissance charismatique est produite, selon Weber, par la perception simultanée d'un message [...] entendu comme ‟révolutionnaire” et de propriétés qui, elles, n'ont au contraire rien ‟d'absolument nouveau” et ont été acquises par l'éducation et par les apprentissages spécifiques » (Kalinowski, 2005). Ainsi, à travers la dimension physique de la séduction charismatique, il y a la reconnaissance de propriétés sociales incorporées et de ce fait perçues comme naturelles, comme des qualités personnelles du prophète charismatique.

56

« Quand on l'écoute parler, même si par exemple l'articulation des mots n'est pas parfaite, il bafouille un peu, il n'a pas une diction lumineuse, claire, il ne choisit pas toujours les bons termes. Il fait même quelquefois des fautes de syntaxe lui qui lit si bien, qui lit autant, qui écrit pas mal, il a un timbre dans la voix qui transmet une émotion et qui fait sentir que c'est quand même plutôt un homme sincère. Et ça c'est très présent chez lui, il a un regard aussi, il a une présentation [26]. »

57Certains croient voir en José Bové un « autodidacte » susceptible de porter leurs attentes de « revanche sociale ». Pourtant, même s'il n'a pas poursuivi ses études supérieures, José Bové dispose en héritage d'un capital culturel élevé, bien que non officialisé par un diplôme, et d'un capital politique produit de son histoire militante, certes non-officialisé par un mandat. Cette reconnaissance est ainsi initiée dans ce groupe par le biais des médias avant de se concrétiser par une rencontre. Dans ce processus la confusion sur les fondements du capital symbolique de José Bové, notamment valorisé dans les médias, joue à plein. Ces grands consommateurs de médias ont ainsi une réception du personnage de José Bové qui s'aligne sur la perception des journalistes eux-mêmes qui personnalisent des ressources collectives et occultent les formes incorporées du capital politique, culturel, social. Cela permet alors une lecture sous l'angle de l'homologie de position rendant les Électrons libres d'autant plus sensibles à cette valorisation médiatique d'un capital symbolique qu'ils sont aveugles à son fondement.

58 Le poids et le rôle des ressources médiatiques de José Bové sont donc loin d'être négligeables dans l'explication de sa candidature à l'élection présidentielle de 2007. Mais loin du sens commun qui voudrait voir en lui un candidat fait par les médias, ces ressources lui ont plutôt permis de constituer sa communauté émotionnelle, les Électrons libres, autour de l'idée de sa candidature. Elles ont ainsi permis qu'il rencontre, par médias interposés, les militants les plus disposés à croire en son charisme. Pour autant, l'efficacité à l'égard de sa communauté émotionnelle des dispositions incorporées et des ressources médiatiques de José Bové, n'augure pas de leurs rentabilités dans le champ politique.

De la performativité limitée des médias dans le champ politique

59Devenu officiellement candidat à l'élection présidentielle, José Bové normalise sa prise de position : il ne parle plus politique ailleurs, en dehors de l'espace autorisé. Son entrée dans le rang d'une campagne politique officielle modifie son statut de locuteur, et donc la spécificité de son discours. Les dispositions qui faisaient de lui un leader du mouvement social hors du commun médiatique n'ont, alors, plus la même efficacité pour le démarquer des autres candidats. Tant qu'il était perçu comme porte-parole de la « société civile » il pouvait apparaître comme un allié objectif des journalistes et, par eux, du champ journalistique dans la lutte pour son autonomisation et son émancipation vis-à-vis du champ politique. Mais son entrée formelle dans le champ politique dévalue ses ressources médiatiques en les convertissant. Cette perte de valeur médiatique apparaît nettement sur le graphique : le pic médiatique de 2007, partiellement imputable aux contraintes juridiques visant l'égalisation des temps de parole des candidats en période de campagne électorale, est suivi d'une chute drastique qui s'accentue encore après la campagne des élections européenne de 2009 où il est candidat. Après son élection au Parlement européen, sa présence médiatique se raréfie. Moins que l'homme et ses caractéristiques spécifiques, ce qui se joue se lit au niveau des structures. En effet, une fois inséré dans le champ politique, le capital symbolique de José Bové, jusque-là valorisé dans le champ journalistique, est réexaminé à l'aune des catégories et de la structure classique des rapports entre champ politique et champ journalistique. Il devient alors l'un des « petits candidats », un « groupe » composé de tous les candidats en dehors du président sortant (ou d'un autre candidat de son parti), du candidat de l'opposition gouvernementale et du « 3e homme », en l'occurrence en 2007 : Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou.

60José Bové n'est donc pas un « miraculé », il a bénéficié d'un capital symbolique qui a autorisé une accumulation de ressources médiatiques qui, en retour, ont accentué son capital symbolique. Cela lui a ainsi permis d'imposer sa candidature à la présidentielle par une « stratégie charismatique » (Dobry, 1992) en constituant un groupe d'adeptes rendu efficace par la situation de crise créée par l'échec de la candidature unitaire de la « gauche de gauche ». Cependant ce capital symbolique valorisé dans les médias et au sein de sa communauté émotionnelle ne pallie pas le déficit de capital politique « classique » ou partisan dans une campagne présidentielle, comme l'atteste son très faible score au soir du premier tour (1,3 % des suffrages exprimés). Ainsi les ressources médiatiques constituent un élément bonifiant qui vient s'ajouter à un capital politique institutionnel mais ne permet pas d'en compenser l'absence. La stratégie des professionnels de la politique les plus dominants est d'ailleurs là pour le rappeler : s'ils investissent de façon croissante dans leur médiatisation et les ressources qu'elle procure, ils se rendent, concurremment maîtres des ressources partisanes (Darras, 2008 ; Fretel et Lefebvre, 2011). Les candidats qui ont tenté de contourner cette étape ont été jusqu'ici toujours malheureux (comme Edouard Balladur en 1995). L'étude du cas José Bové montre ainsi que la maîtrise du jeu politique demeure, pour l'essentiel, entre les mains des organisations partisanes [27] en dépit de leur considération toujours plus grande pour les ressources médiatiques. Ce que rappellent d'autres candidatures ultérieures réputées elles aussi « médiatiques », telles celles de Nicolas Hulot ou d'Eva Joly.

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Date de mise en ligne : 06/09/2017.

https://doi.org/10.3917/soco.106.0045

Notes

  • [1]
    Le 30 juin 2000, Pierre Bourdieu participait à Millau au grand rassemblement organisé à l'occasion du procès des dix militants mis en examen après le « démontage » du McDonald's. Il est interrogé dans un parc par un journaliste réalisant un film documentaire : film (Gay et Zollet, 2001). Cette vidéo est aussi accessible sur internet.
  • [2]
    Nous remercions Éric Darras et Olivier Baisnée pour leur relecture attentive et leurs suggestions. Nous tenons également à remercier les relectrices et relecteurs de la revue Sociétés Contemporaines, dont les commentaires avisés ont permis de faire progresser ce texte.
  • [3]
    Extrait du carnet de terrain, lors de la première rencontre avec José Bové, chez lui le 12 février 2012 dans le cadre de l'enquête sur sa candidature à la présidentielle de 2007 :
    José Bové me propose un café et, dans le même élan, que l'on se tutoie. J'accepte les deux propositions. Il me demande alors de préciser ce qui m'intéresse. Je m'explique très rapidement et de la façon la plus générale possible. Il m'écoute en préparant le café dans une cafetière Bodum. Il me tourne le dos. ­ Je travaille sur la campagne de sa candidature à la présidentielle. J'essaie de comprendre comment elle s'est déroulée et d'analyser la diversité des gens qui y ont participé. ­ Lorsqu'il se retourne en me tendant une tasse de café chaud il me dit dans un grand sourire : « Contrairement à ce qu'on a pu, dire je ne suis pas un miracle politique ».
  • [4]
    Période prise en compte dans cette analyse car l'histoire ne s'achève pas là.
  • [5]
    Juillet 2004, Il faut tuer José Bové, Paris : A. Michel.
  • [6]
    Entretien avec José Bové, le 12 mars 2014.
  • [7]
    Avant cette biographie il avait déjà publié en 2000, La gauche de la gauche, Paris : Seuil, et en 2002, L'impossible défaite, Paris : Seuil.
  • [8]
    Installé en 1975 dans le Larzac, il y est toujours, éleveur ovin et militant à la CP. Il achève son mandat de secrétaire national en mai 2013 et fait partie des quatre militants qui seront arrêtés et emprisonnés pour le « démontage » du McDonald's de Millau en 1999.
  • [9]
    Exclu à l'automne 1971 de l'Internationale situationniste, il part vivre à la campagne et s'installe comme éleveur de moutons à partir de 1982, d'abord dans les Pyrénées Orientales puis sur le Causse Méjean en Lozère. Il adhère à la CP en 1991 et entre au comité national en 1993. Il est élu au secrétariat national de 1995 à 1999. Dès 1995 il s'engage dans la lutte contre les OGM et fait partie des initiateurs des toutes premières actions avec José Bové notamment la destruction de semences transgéniques en janvier 1998, à Nérac, dans le Lot. Il est incarcéré pour ces faits au mois de décembre et purge ses six mois de peine dans leur intégralité. Il refuse le soutien de ses anciens camarades de la CP et plus encore, toute demande de grâce présidentielle. Il se montre particulièrement critique vis-à-vis de la médiatisation de cette lutte et de José Bové en particulier et revendique une posture plus radicale.
  • [10]
    Entretien avec José Bové, mars 2014.
  • [11]
    Les archives de l'INA ne sont systématiquement compilées que depuis la mise en place du dépôt légal en 1995, pour les archives antérieures il s'agit d'une recherche sur une base de données composée uniquement des images diffusées par les chaines publiques.
  • [12]
    Cette observation n'est fondée que sur le comptage de sa présence médiatique, sans analyser les contenus qui, à coup sûr, seraient diversifiés selon les chaînes, les émissions et les moments. Passé le premier moment d'engouement médiatique, il y eut dès 2001, des reportages à charge dans divers médias. Cependant la présence médiatique étudiée ici n'en est pas transformée et comme une information et un démenti font deux informations, un reportage positif et un négatif font deux reportages et augment d'autant la visibilité médiatique de l'individu concerné.
  • [13]
    Aux élections des chambres d'agriculture de 1995, la CP a remporté 20,07 % des voix contre 53,96 % pour la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles alliée au Centre national des jeunes agriculteurs.
  • [14]
    Ivan Bruneau indique dans sa thèse (Bruneau, 2006, p 73) que José Bové et d'autres militants auraient obtenu des informations sur une « caisse noire » mise en place au niveau de l'interprofession. Une action judiciaire est entamée en 1988 et arrêtée en 1994. Ces deux sièges seraient un point de l'accord aboutissant au retrait de l'action en justice.
  • [15]
    Besset Jean-Paul, Le Monde, samedi 11 décembre 1999, p. 15 ; Régions « À Millau, José Bové continue à ‟penser global” ».
  • [16]
    Laval Gilbert, « Profil : José Bové, 46 ans, éleveur de brebis dans le Larzac, mène tambour battant la jacquerie contre la mondialisation », Libération, 17 septembre 1999.
  • [17]
    Né en 1970, il se décrit comme auteur, poète, libertaire. Il a longtemps été animateur des Cafés Philo au niveau national et militant de Touche pas à mon Pote étant plus jeune. Il n'a jamais été encarté dans un parti. Grec par son père il est actuellement très engagé avec les mouvements de révolte qui traversent ce pays.
  • [18]
    Entretien avec Yannis Youlountas 2011.
  • [19]
    Il faut cependant tempérer cet usage et le rôle de cet outil parmi les militants de base. En effet en 2007, l'accès à internet n'est pas aussi répandu qu'aujourd'hui. En juin 2006, seuls 43 % des + de 18 ans ont une connexion internet à domicile (Bigot, 2006). Dans les groupes observés, lors des premières réunions environ un tiers des participants ne dispose pas d'une connexion internet. Ce sont d'ailleurs ces militants qui « disparaîtront » le plus rapidement.
  • [20]
    Pour une analyse plus détaillée de cette approche du capital politique à la manière du capital culturel (Bourdieu, 1979), par une décomposition en trois états qui permettent diverses modalités d'accumulation et participent en cela à la lutte au sein du champ en ce que la définition du volume et de la structure du capital politique dominant dans le champ est centrale pour la définition et la répartition des positions en son sein. Voir Bourad, 2014.
  • [21]
    En réalité cette idée existe depuis longtemps dans cet espace politique et « renaît » régulièrement, jusqu'à présent sans succès. À ce moment-là, le dernier échec en date est celui de l'appel, en 2003, pour une alternative à gauche dit de Ramulaud, du nom du restaurant parisien où se retrouvent pour discuter les représentants de la LCR, du PCF, des Verts dont Gilles Lemaire, et le courant du PS de Jean-Luc Mélenchon.
  • [22]
    « La gauche antilibérale menacée d'éclatement : Les choix des Collectifs », Le Monde, 10 décembre 2006.
  • [23]
    Discours de déclaration de candidature, Bourse du travail de Saint Denis le 1er février 2007.
  • [24]
    Youlountas Yannis, « Arguments concrets pour la désignation de José Bové » samedi 11 novembre 2006 notamment publié sur le site http://Bellaciao.org
  • [25]
    Entretien le 23 mai 2011 avec Christophe. Né en 1966, il n'a plus d'engagements politiques au moment de l'entretien mais fut membre de plusieurs organisations de jeunesses dont les JC ; fils unique, ses parents sont militants communistes et ont eu des responsabilités dans le parti. Selon ses termes il gagne sa vie en vendant « du culturel sur eBay ». Il devient membre des Électrons libres dès la création du groupe et fait partie des premiers signataires de la pétition appelant au retour de José Bové.
  • [26]
    Entretien avec Yannis Youlountas, novembre 2011.
  • [27]
    Ce texte a été écrit avant les élections de la présidentielle 2017.
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