Notes
-
[1]
http://www.jeunesdirigeants.fr/Default.aspx?tabid=49, 05/11/2014.
-
[2]
Le CJD a été assez peu étudié par les historiens ou les sociologues. Philippe Bernoux a publié (1974) une étude sur le CJD, s'intéressant à la fois à son histoire, au profil de ses adhérents et à son fonctionnement. Plus récemment, des travaux se sont spécifiquement intéressés à la naissance du mouvement (Le Bot, 2012) ou à ses propositions en termes de management (par exemple, Bereni, 2009 ; Berger-Douce, 2009 ; Grazzini et Boissin, 2013).
-
[3]
Extrait d'une discussion enregistrée lors d'une réunion du CJD Paris, le 13 février 2008, avec un adhérent de la section (35-40 ans) à la tête d'une entreprise individuelle dans le conseil.
-
[4]
Pour des raisons de lisibilité, « jeunes dirigeants » et « JD » ne seront plus mis entre guillemets dans la suite du texte. Nous prions toutefois le lecteur de garder à l'esprit que ces deux expressions renvoient au langage indigène.
-
[5]
http://www.jeunesdirigeants.fr/Default.aspx?tabid=49, 02/09/2013.
-
[6]
Ce calcul a été effectué par nos soins, à l'aide de données obtenues sur l'intranet du mouvement, relatives à certaines caractéristiques des adhérents de dix sections choisies de manière aléatoire (N = 436).
-
[7]
Nous avons modifié le nom des enquêtés.
-
[8]
Ces chiffres sont issus d'un sondage interne réalisé en novembre 2012 par les responsables nationaux du CJD auprès de l'ensemble des adhérents. Ce sondage par voie électronique a recueilli 850 réponses. Le fort taux de réponses nous incline à considérer les réponses à ce sondage comme étant utilisables dans le cadre d'un travail scientifique. Parmi les questions posées, une concernait « l'origine des dirigeants », avec cinq choix possibles : « salarié minoritaire », « salarié dirigeant non actionnaire », « héritier », « repreneur », « créateur ». Une autre question concernait le niveau de diplôme des JD avec, là encore, cinq choix possibles : « autodidacte », « CAP, BEP ou équivalent », « Bac », « Bac +2/3 », « Bac +4/5 ».
-
[9]
Leurs propriétés sociales semblent d'ailleurs distinguer nettement les JD des « entrepreneurs de l'économie numérique » dont on pourrait pourtant plus ou moins inconsciemment les rapprocher de prime abord puisqu'ils ont pour caractéristique commune d'être relativement jeunes. Les capitaux scolaires plus légitimes de ces entrepreneurs et leur ascension économique et sociale très rapide les différencient en effet des adhérents du CJD. Ce constat général gagnerait à être précisé par une étude sociologique de cette fraction du milieu des dirigeants d'entreprise, qui n'a suscité jusqu'à présent qu'un intérêt médiatique, voir par exemple « Ces ‟barbares” qui veulent débloquer la France », L'Obs, no 2603, 30/10/2014, p. 70-78. Le rapport de ces « entrepreneurs du numérique » au mouvement patronal « Croissance plus », qui prétend représenter les secteurs économiques d'avenir, pourrait à cette occasion être questionné. Quoiqu'il en soit, lors de nos deux enquêtes, nous n'avons pas rencontré de « jeunes dirigeants » qui correspondaient à ce profil de chef d'entreprise. La jeunesse n'est décidément qu'un mot.
-
[10]
Entretien du 17 mars 2008 avec Jean, 40 ans, consultant indépendant en relations publiques. Il est le seul de nos enquêtés qui soit issu de la « grande bourgeoisie » : sa famille comporte « huit générations de polytechniciens ». Il est titulaire d'une maîtrise d'histoire et d'un CAPES d'histoire-géographie.
-
[11]
Entretien du 8 avril 2008 avec Marc, 33 ans, chef d'une entreprise de logistique d'une vingtaine de salariés. Fils d'un cadre commercial et d'une employée de banque, Marc est titulaire d'une maîtrise de science économique et d'un DEA en Organisation de la production et de l'entreprise.
-
[12]
Cette attitude diverge de celle généralement observée dans les milieux dirigeants (voir notamment Chamboredon, Pavis, Surdez et Willemez, 1994).
-
[13]
Nous nous inspirons ici, librement, de la typologie de Kriesi (1993). L'auteur distingue les organisations politiques et sociales selon que leurs activités sont tournées vers les adhérents ou vers l'extérieur d'une part et selon qu'elles exigent un investissement plus ou moins important de leurs adhérents d'autre part.
-
[14]
CJD, communiqué de presse « Accord SUR l'emploi et pas POUR l'emploi », 15 janvier 2013.
-
[15]
CJD, Trente-cinq propositions pour l'emploi, 26 novembre 2012.
-
[16]
CJD, communiqué de presse « Conférence sociale », 10 juillet 2012.
-
[17]
http://www.jeunesdirigeants.fr/Default.aspx?tabid=75, 14/11/2014.
-
[18]
De ce point de vue, le CJD se rapproche d'un mouvement comme les EDC, entrepreneurs et dirigeants chrétiens (Georgy, 2009, 2010). À l'inverse, il se distingue d'un mouvement comme l'institut Montaigne (Tabbagh, 2009), qui repose sur l'investissement de hauts responsables de grandes firmes multinationales et dont le fonctionnement est centré sur la production d'expertise destinée à orienter les pratiques sociales.
-
[19]
Ce format de fonctionnement est similaire à certaines activités que les EDC proposent à leurs adhérents (Georgy, 2009, 2010). Cette ressemblance nous conduit à émettre l'hypothèse que le répertoire d'action du CJD emprunte pour partie à la tradition chrétienne des groupes de parole.
-
[20]
Entretien du 18 mars 2008 avec Alain, 45 ans, cadre d'une entreprise d'ingénierie en télécommunications d'une centaine de salariés. Le père d'Alain était ingénieur, sa mère était au foyer. Il est titulaire d'une maîtrise d'histoire et d'une maîtrise d'économie.
-
[21]
Nous n'avons ainsi pas pu assister à ce type de commission. En tant qu'extérieur au groupe, nous n'avions pas et n'allions pas payer ce coût d'entrée symbolique qui, seul, fonde la légitimité à écouter et conseiller un adhérent.
-
[22]
Entretien du 6 février 2008 avec Anne, 47 ans, dirigeante d'une agence immobilière comptant deux salariés. Anne est issue d'un milieu « modeste » : son père était boulanger et sa mère femme de ménage ; elle est diplômée d'une école normale primaire.
-
[23]
Entretien du 7 décembre 2007.
-
[24]
Entretien du vendredi 29 mai 2009 avec Louis, 60 ans, consultant en formation, fils d'instituteurs et titulaire d'un DEUG de gestion. Louis comptait parmi les responsables nationaux du CJD au milieu des années 1990.
-
[25]
Entretien avec Thomas, déjà cité.
-
[26]
Entretien du 18 mars 2008. Martine, 52 ans, a eu des responsabilités nationales au CJD au début des années 2000. Elle est issue d'une famille d'artistes du cirque et est docteure en géographie.
-
[27]
Entretien avec François, ingénieur de formation et héritier d'une entreprise industrielle de 70 salariés, 24 février 2009. François, 68 ans, a été président national du mouvement au début des années 1980.
-
[28]
L'article de Michel Offerlé dans ce dossier témoigne de ce que le CJD n'est pas le seul mouvement où les candidats aux responsabilités ne se bousculent pas.
-
[29]
Pour une illustration récente de l'ambiance festive des congrès, voir notamment « TGV Bordeaux-Lille, les jeunes patrons étaient-ils ivres ? », L'Express.fr, 20/06/2014.
-
[30]
Nous n'avons pas intégré, dans cette modélisation de l'engagement au sein du CJD, de facteurs plus structurels, comme l'existence de militants parmi les parents ou les proches, le passage par les scouts ou par des organisations de jeunesse : syndicats étudiants ou associations d'élèves dans les écoles de commerce ou d'ingénieur. Nos deux enquêtes ne nous ont pas conduit à considérer ces facteurs comme étant des déterminants de l'engagement.
-
[31]
Pour une histoire de la notion de « réforme de l'entreprise », voir Chatriot (2012).
-
[32]
L'APM se propose, comme le CJD, d'améliorer les pratiques professionnelles des dirigeants d'entreprise.
-
[33]
En nous basant sur les annuaires du CNPF/MEDEF édités entre 1980 et 2010, qui contiennent des informations sur les responsables des syndicats patronaux de base, des fédérations patronales, des unions locales et de la confédération, nous avons trouvé qu'environ un tiers des membres du bureau national du CJD avaient compté parmi les responsables de ces structures syndicales diverses, ce qui nous semble être un chiffre important. En revanche, nous n'avons réussi à produire aucun chiffre concernant la présence dans les CCI d'anciens membres du bureau national, car il aurait fallu aller chercher dans les annuaires de chaque CCI, sur une période d'une trentaine d'années.
-
[34]
Nous remercions M. Offerlé, C. Hmed et les lecteurs anonymes de Sociétés Contemporaines, de la relecture qu'ils ont faite de ce texte. Nous demeurons bien entendu seul responsable de ses erreurs et insuffisances.
1Évoquer le « patronat français » implique en général d'évoquer le mouvement des entreprises de France (MEDEF) voire, plus rarement, la confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) ou l'union professionnelle artisanale (UPA) (Coulouarn, 2008 ; Offerlé, 2009). Toutefois, ces trois syndicats « représentatifs » des entreprises ne sont pas les seules organisations à parler et à agir en leur nom et en celui de leurs dirigeants. D'autres formes d'actions collectives patronales, non syndicales et non représentatives, poursuivent cet objectif : les « clubs », « mouvements de pensée » ou « think tanks ». Le centre des jeunes dirigeants (CJD), Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC), Croissance plus ou encore l'Institut Montaigne entrent dans cette catégorie. Les travaux
2 relatifs aux organisations patronales décrivent ces mouvements comme des « représentations spécifiques » de certains segments du patronat, indépendantes des syndicats d'employeurs (Dufour, 2001 ; Woll, 2006 ; Coulouarn, 2008 ; Daumas, 2010). Cette définition tend à évacuer la question du rapport entre ces mouvements et le milieu patronal plus général dans lequel ils s'inscrivent. Pourtant, ils contribuent de manière décisive à l'objectivation et à la mobilisation collective du groupe des chefs d'entreprise. Dans cet article, nous nous concentrerons sur le CJD, qui est l'un des plus anciens mouvements patronaux de sociabilité et de réflexion et celui dont les effectifs sont les plus nombreux (Offerlé, 2009).
« Le CJD est un mouvement de jeunes dirigeants, représentatifs du tissu économique et qui défendent l'idée d'un libéralisme responsable. C'est aussi un lieu où les jeunes dirigeants viennent rompre l'isolement, se former et progresser [1]. »
4 En 1938, une centaine de patrons, derrière Jean Mersch, Auguste Det uf, Eugène Schueller et Louis Harmel, fondent le centre des jeunes patrons [2]. Ils se réfèrent à la doctrine sociale de l'Église et entendent redéfinir la fonction patronale, qu'ils estiment mise à mal par l'épisode de mai 1936. En rupture avec les conceptions de leurs pairs, issus notamment de la confédération générale du patronat français, ils affirment que cette fonction s'acquiert non par l'héritage mais par le mérite et qu'elle se légitime par la recherche du bien commun « L'économie au service de l'Homme » est le slogan du mouvement depuis sa création. Partant de ces principes, les fondateurs du CJP considèrent qu'il doit être un centre de formation à cet exercice nouveau de l'autorité patronale. Pour réussir, cette formation doit être l' uvre des patrons eux-mêmes : elle doit être une auto-formation de groupe. Ils conçoivent donc le CJP non comme un prestataire de services fonctionnant grâce à des permanents mais comme une école de l'engagement patronal, reposant sur l'investissement bénévole des adhérents. Leur initiative rencontre une certaine adhésion : dès 1945, le mouvement compte 2 200 adhérents. Durant les décennies suivantes et jusqu'au début des années 2000, il en rassemble entre 2 500 et 3 500. Le CJP devient CJD lors de son congrès de l'été 1968. En des temps à nouveau troublés, les « jeunes patrons », souvent décrits comme le « poil à gratter » du patronat, c'est-à-dire du CNPF, entendent réaffirmer par ce changement de nom que diriger une entreprise est un métier et non un statut social et qu'il doit s'effectuer au bénéfice de l'ensemble de la communauté qu'est l'entreprise (Bernoux, 1974).
5Le CJD revendique actuellement plus de 4 500 adhérents, répartis en près de 110 sections présentes sur l'ensemble du territoire national. La plupart d'entre eux sont des entrepreneurs, c'est-à-dire des chefs d'entreprise qui ont eux-mêmes créé leur poste. Ils dirigent des entreprises de tailles variées, dans l'industrie et les services. Moyennant une cotisation annuelle d'environ 1 700 euros, les membres du CJD sont invités à prendre part à des activités régulières : réunions mensuelles de section et commissions de travail sur des sujets généralement liés à leur entreprise. Ceux qui le souhaitent peuvent également participer à d'autres activités, payantes, comme les congrès régionaux ou nationaux, les petits-déjeuners ou déjeuners avec des personnalités et les sessions voire les stages de « formation au métier de dirigeant ». Ce mode de fonctionnement conduit les adhérents à se retrouver régulièrement et à échanger, entre pairs et de manière plus ou moins formelle, formalisée et publicisée, des points de vue, des expériences, des analyses, dans des domaines très divers, allant de leur vie privée au fonctionnement de la société, en passant par leur activité professionnelle. Pour des entrepreneurs, à la découverte du statut de chef d'entreprise, ces activités et échanges permettent d'abord un apprentissage du métier de dirigeant d'entreprise. Ils participent également d'une socialisation au rôle de « patron », membre de l'élite économique revendiquant une intégration à une élite sociale plus générale (Kolboom, 1984). Enfin, c'est dans et par la participation à ces activités et ces échanges que les adhérents en viennent progressivement à s'engager au service de l'organisation, devenant peu à peu des entrepreneurs de la cause patronale. Ainsi, en tant qu'instance de socialisation au métier de dirigeant d'entreprise et au rôle de patron et en tant que lieu d'apprentissage de l'action collective patronale, le CJD participe à l'objectivation et à la mobilisation collective des chefs d'entreprise. Nous montrerons qu'à partir d'entrepreneurs, récents chefs d'entreprise, le CJD veut produire non seulement des dirigeants d'entreprise formés à leur métier, mais plus encore des « patrons », voire des militants patronaux, membres de l'élite sociale.
6Nous nous appuierons sur des données recueillies lors de deux enquêtes, l'une portant sur les adhérents de la section parisienne du CJD, l'autre portant sur l'engagement au bureau national du mouvement entre le début des années 1980 et la fin des années 2000 (Ciccotelli, 2008, 2009). Notre matériau comporte vingt-cinq entretiens, réalisés avec des adhérents et avec d'anciens adhérents, ainsi que de nombreuses observations participantes, au sein de la section parisienne et au siège national (voir encadré 1).
7Le CJD regroupe des entrepreneurs qui, du fait de leurs caractéristiques et trajectoires sociales, ressentent des difficultés à endosser leur rôle social (I). Ils utilisent alors l'organisation comme un pourvoyeur de ressources leur permettant de combler ces lacunes, afin de se construire dirigeants et même patrons d'entreprise (II). Ne se limitant pas à acquérir des ressources de dirigeant, certains adhérents s'engagent activement dans la structuration du mouvement et d'autres finissent même par devenir des militants patronaux (III). L'étude de la participation et de l'engagement au sein du CJD permet ainsi de poser, à une action collective de dirigeants économiques, la question du lien entre la structure sociale de son adhésion, le répertoire d'action qu'elle propose et le type d'engagement qu'elle promeut.
Des entrepreneurs en quête d'un statut social stabilisé
« Sauf que moi, je n'avais ni rêvé de créer une boîte... je ne savais pas ce que c'était, je ne sais toujours pas ce que c'est d'ailleurs [rires]. Et je dis ‟mouais... chef d'entreprise”... Entre fin 2002, début 2003 et maintenant, il m'a fallu regarder des livres sans image « qu'est-ce qu'une entreprise [3] [rires] ? »
Dirigeants jeunes ou jeunes dirigeants ?
9Au sein du CJD, les adhérents sont appelés les « jeunes dirigeants », « JD » [4]. La jeunesse des JD repose d'abord une définition chiffrée : la limite d'âge pour prendre des responsabilités au sein du mouvement est de 45 ans et l'âge moyen des adhérents serait de 39 ans [5]. Nos observations accréditent ce chiffre : en 2009, 64 % des JD avaient entre 36 et 45 ans [6]. En comparaison, sur la période 2007-2009, 61 % des dirigeants d'entreprise en général avaient plus de 45 ans (DARES, 2009). Un jeune dirigeant d'entreprise a donc aux alentours de 40 ans. Mais la jeunesse n'est pas qu'une affaire de chiffres. Un jeune dirigeant, c'est un dirigeant qui est prêt à se remettre en cause, à « prendre du recul » et à « se former » afin « d'améliorer sa performance et celle de son entreprise » (page internet CJD). Les JD partageraient un certain « état d'esprit » l'expression revient souvent en entretien et chercheraient à promouvoir le progrès économique et social en l'appliquant dans leur entreprise. Ceci suppose qu'ils en contrôlent le fonctionnement : c'est d'après ce critère que le CJD définit un « dirigeant ». Les JD sont des « chefs d'entreprise » ou des « cadres dirigeants » qui jouissent d'une « autonomie de gestion » et de « management » dans leur entreprise (page internet CJD).
10Nos enquêtes nous permettent d'objectiver plus précisément le type de chefs d'entreprise que sont les JD. Leur jeunesse semble plus caractériser leur rapport au statut de dirigeant que leur âge ou leur état d'esprit. Les trajectoires professionnelles des adhérents du CJD sont marquées par des aller-retour plus ou moins réguliers et durables entre l'encadrement salarié et la direction d'entreprises. Rares sont ceux dont la première tentative de création d'entreprise a été fructueuse : les autres opèrent alors un repli dans l'encadrement, avant de se « lancer à nouveau » dans la création d'une entreprise.
Pierre [7], 40 ans, marié à une chanteuse de jazz et père d'une petite fille, dirige depuis trois ans une entreprise d'informatique parisienne qui compte aujourd'hui près d'une quinzaine de salariés. Issu d'une famille de cadres commerciaux, il est titulaire d'un bac C, d'un DUT d'informatique obtenu à Angers et d'une maîtrise d'innovation. Il est embauché en 1991 chez Bull, une grande firme informatique. En 1994, il décide de travailler en indépendant. En 1999, il tente de pérenniser son activité en créant une entreprise, qui échoue deux ans plus tard. Il choisit alors d'entrer en tant que dirigeant-actionnaire dans le capital d'une entreprise, afin d'apprendre la gestion. Mais en 2003, confronté à un patron qu'il n'apprécie pas, Pierre décide de se lancer de nouveau, avec plus de succès cette fois. Il intègre le CJD à ce moment-là.
12Les JD appartiennent au milieu de l'encadrement en reconversion dans la direction d'entreprise, comme le confirment les chiffres relatifs à l'origine de leur position sociale. Leur appartenance au milieu des dirigeants est récente. Ils n'ont pas hérité du statut patronal, seuls 12 % d'entre eux ayant pris la tête d'une entreprise familiale. À l'inverse, près des trois-quarts d'entre eux sont des entrepreneurs, c'est-à-dire des dirigeants qui ont eux-mêmes créé leur poste. En réalité, ce chiffre est même plus élevé car les cadres, qui représentent 15 % des adhérents, ne sont pour la plupart d'entre eux des salariés que jusqu'à leur prochaine tentative de création d'entreprise.
TABLEAU 1. Statut des adhérents du CJD
TABLEAU 1. Statut des adhérents du CJD
13Les entrepreneurs JD se distinguent nettement des indépendants et petits patrons, qui constituent l'essentiel des entrepreneurs français (Offerlé, 2009 ; Frau, 2012). Contrairement à eux, les membres du CJD sont à la tête de PME et sont majoritairement diplômés du supérieur. 66 % des JD dirigent une entreprise de dix salariés ou plus, alors que les entreprises de cette taille ne représentent que 6 % des entreprises françaises. De plus, près de 90 % des adhérents du CJD sont diplômés du supérieur, soit un chiffre très élevé pour le milieu des dirigeants d'entreprise.
TABLEAU 2. Taille des entreprises des adhérents du CJD et des entreprises françaises
TABLEAU 2. Taille des entreprises des adhérents du CJD et des entreprises françaises
TABLEAU 3. Niveaux de diplôme des adhérents du CJD et des chefs d'entreprise français
TABLEAU 3. Niveaux de diplôme des adhérents du CJD et des chefs d'entreprise français
14Pour autant, les propriétés sociales des jeunes dirigeants sont très éloignées de celles des « grands patrons », issus de la grande bourgeoisie, diplômés des grandes écoles et à la tête de grands groupes (Bourdieu et Saint-Martin, 1977 ; Bauer et Bertin-Mourot, 1997 ; Dudouet et Grémont, 2010). 81 % des adhérents du CJD dirigent une entreprise de moins de 50 salariés. En outre, s'ils sont diplômés du supérieur, ils ont rarement fait de grandes écoles. Ils sont titulaires de diplômes techniques du supérieur BTS ou DUT de diplômes universitaires généralistes de deuxième cycle en sciences humaines et sociales notamment ou de diplômes dispensés par de petites écoles privées d'ingénieur et de commerce. Nos observations nous permettent d'affirmer que nos enquêtés étaient principalement originaires des classes moyennes salariées. Dans la plupart des cas, leurs deux parents travaillaient, souvent dans l'encadrement en tant qu'ingénieurs, managers ou commerciaux ou dans des professions intermédiaires en tant qu'enseignants ou employés qualifiés notamment. Un seul de nos enquêtés était issu de la grande bourgeoisie [9].
15Les jeunes dirigeants ont des propriétés sociales en termes de milieux d'origine et de niveaux de diplôme qui correspondent à celles des agents sociaux occupant des postes dans l'encadrement moyen à supérieur du privé (Bouffartigue et Gadéa, 2000). Toutefois, le déroulement de leur carrière professionnelle indique qu'ils tendent à quitter l'encadrement et à se reconvertir dans la direction d'entreprise. Entrepreneurs encore proches du monde salarial, ils cherchent à se construire comme des dirigeants d'entreprise. Afin de se conformer à ce rôle, auquel ils n'ont pas été socialisés, ils s'appuient sur leurs prédispositions à l'apprentissage et à la formation.
Des dirigeants d'entreprise en construction
16À la différence d'un cadre, dont l'activité professionnelle concerne un domaine de connaissances et de savoir-faire spécifiques et qui est très souvent intégré à une équipe, un dirigeant doit pouvoir prendre en charge l'ensemble des aspects liés à la vie de l'entreprise. Il doit comprendre et maîtriser les enjeux stratégiques, juridiques, financiers, commerciaux et managériaux impliqués par son activité. Nos enquêtés estiment qu'au moment où ils sont devenus entrepreneurs, ils ne disposaient pas des ressources nécessaires afin de satisfaire à l'ensemble de ces exigences.
Q : « Ça veut dire quoi que tu n'étais pas mûr ? C'est quoi la maturité ?
R : Pour créer une entreprise au début, il faut un peu savoir tout faire. On ne peut pas dire ‟je vais prendre une administrative, un cadre commercial, un responsable financier machin et puis on va bosser”. Non, quand tu crées ex nihilo c'est toi qui produis donc il faut trouver des missions, trouver des clients, faire les missions, faire tourner, rentrer de l'argent, faire les comptes, financer, etc. Et moi, la dimension faire, je savais faire mais la dimension trouver des clients, je ne savais pas faire et j'ai testé un petit peu et là je me suis rendu compte que cette dimension-là, je ne l'avais pas du tout. Et en plus, je n'étais pas du tout à l'aise avec ça. Aller prospecter, aller au contact des clients, j'étais vraiment... ‟ouh là... l'entreprise ça va être difficile, là”. Donc j'ai stoppé ça. Mais en même temps, je me suis dit ‟il faut que j'apprenne” [10]. »
18Confrontés à ces problèmes dans l'exercice quotidien de leur métier, nos interlocuteurs, qui n'étaient alors pas encore adhérents au CJD, ont ressenti la nécessité de « rompre l'isolement », de « lever le nez du guidon » et de « trouver des solutions aux problèmes » comme ils le répètent en entretien. À ce stade, l'attitude de nos enquêtés ne les caractérise pourtant pas spécifiquement : des travaux portant sur d'autres organisations patronales ont relevé des motifs semblables comme participant des éléments déclencheurs de l'investissement dans une action collective (par exemple, Georgy, 2009, 2010 ; Offerlé, 2013 ; Rabier, 2013). Il est par ailleurs probable que de nombreux chefs d'entreprise partagent les mêmes sentiments mais ne franchissent jamais le pas de l'action collective.
19Ceux de nos enquêtés qui en viennent à considérer l'opportunité d'intégrer une organisation patronale suivent souvent les conseils de leur entourage. L'adhésion à des organisations patronales d'indépendants ne fait pas partie, selon eux, du domaine des possibles : leurs caractéristiques sociales, de leur milieu d'origine à leur trajectoire scolaire et professionnelle, les éloignent trop de ces zones du monde patronal. D'un autre côté, plus jeunes que la majorité des chefs d'entreprise et engagés dans un processus de reconversion de statut social, ils s'identifient difficilement au groupe des dirigeants d'entreprise et encore moins à celui des « patrons ». Ils jugent lointaines et inefficaces les formes d'action collective qui incarnent communément et traditionnellement le patronat.
Expliquant qu'il a joint différents groupes patronaux, Thomas, qui dirige une entreprise de logistique d'une vingtaine de salariés, en vient à évoquer le MEDEF, qui incarne à ses yeux ce patronat dont il estime se différencier : « Alors qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai commencé par aller m'aérer l'esprit au MEDEF, ça ne m'a pas du tout plu parce que c'était des déjeuners, entre midi et quatorze heures, dans des grands hôtels, avec des gens qui avaient à peu près cinquante ans, la bedaine [rires]. Pas confrontés aux mêmes problématiques que moi, donc j'en ai fait deux trois et je ne me sentais pas dans mon élément. C'était pompeux [11]... »
21À l'inverse, ces entrepreneurs diplômés mais au statut social en voie de redéfinition, héritiers non pas du statut patronal mais d'une appétence pour la formation, sont susceptibles de s'intéresser au CJD, s'ils viennent à en connaître l'existence. En effet, ce mouvement revendique l'idée selon laquelle un bon dirigeant d'entreprise ne naît pas dirigeant mais que c'est avant tout un dirigeant qui accepte de s'améliorer en se formant et en échangeant avec ses pairs. Ainsi analysons-nous le choix fait par certains entrepreneurs de rejoindre le CJD comme une volonté d'accumuler certaines ressources afin de combler des lacunes rencontrées dans le cadre de l'exercice du métier de chef d'entreprise. Leur participation à une action collective patronale trouve son explication dans leur volonté de se construire comme des dirigeants d'entreprise.
Encadré 1. des chefs d'entreprise ouverts à l'investigation sociologique
22Le CJD regroupe donc des entrepreneurs qui, bien que diplômés et à la tête de PME, estiment ne pas disposer de ressources suffisantes pour endosser leur rôle et pour pouvoir se considérer comme de véritables dirigeants d'entreprise. Ils cherchent à combler leurs lacunes et attendent du mouvement qu'il leur fournisse ces ressources.
Le CJD comme entreprise de production de dirigeants d'entreprise et de patrons
23Les activités que propose le CJD sont tournées vers ses adhérents [13]. Elles doivent leur permettre d'acquérir les savoir-faire pratiques ainsi que les dispositions mentales du dirigeant d'entreprise, voire du patron accompli.
Un groupe d'émulation patronale
24Le CJD met en avant ses actions en faveur d'une économie au service de l'homme et d'un libéralisme responsable. Force de proposition, d'action et d'influence en la matière, il revendique une place dans l'orientation du fonctionnement de la société.
« Le centre des jeunes dirigeants (CJD) salue le fait que le gouvernement ait confié aux organisations représentatives la négociation de l'accord sur l'emploi. Néanmoins, le CJD regrette que cet accord SUR l'emploi n'ait pas abouti à un accord POUR l'Emploi [14]. » « Toujours force de propositions depuis 74 ans et acteur responsable de l'économie française, le centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD) entend contribuer au débat national et propose 35 solutions pour faciliter la création et le maintien d'emplois en France [15]. » « À l'invitation de Michel Sapin, ministre du Travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, le centre des jeunes dirigeants (CJD) contribue au sommet social [16]. » Ces extraits de rapports ou de communiqués de presse, que nous avons choisis au hasard parmi de nombreux documents issus des rubriques « Idées » et « Médias » du site internet du mouvement, témoignent du fait qu'il entend intervenir dans l'espace public.
26Toutefois, nos deux enquêtes ne nous ont pas permis d'accréditer les prétentions du CJD dans ce domaine. Le travail de représentation d'intérêt suppose, pour ceux qui l'entreprennent, un accès régulier et répété aux agents qui sont en position de modifier les normes de tel ou tel domaine d'activités sociales (Grossman et Saurugger, 2012). Lors de notre enquête sur la section parisienne du CJD, nous n'avons observé aucune action récurrente de défense des valeurs du mouvement auprès de responsables politiques ou économiques. Les JD parisiens participaient à des activités qui étaient uniquement tournées vers eux-mêmes et qu'ils réalisaient dans l'entre-soi. Ce qui est vrai des sections l'est aussi du niveau national. Les responsables nationaux sont occupés par le fonctionnement interne du mouvement et par les rapports qu'il entretient avec ses adhérents. La structuration de l'équipe permanente, qui vient matérialiser ce en quoi consiste l'activité de l'échelon national, en témoigne. Sur les quinze permanents qu'elle compte, seule la responsable de la « communication opérationnelle » est principalement chargée de la représentation extérieure du mouvement [17]. Les autres permanents occupent des postes en lien avec l'organisation interne du mouvement. Quatre d'entre eux prennent en charge sa gestion courante secrétariat général, problèmes comptables et administratifs trois autres « animent le réseau » CJD, cinq salariés doivent en outre organiser les formations destinées aux adhérents et enfin, les deux derniers gèrent la communication interne [18].
27L'absence d'une politique de « lobbying » du CJD renvoie aux propriétés sociales de ses adhérents et de ses responsables. Éloignés des espaces sociaux dont proviennent « l'élite des politiques de l'État » (Génieys, 2008) et le grand patronat, ils ne peuvent pas accéder aisément à ces groupes d'agents. Ils ne participent pas à la construction des problèmes publics et, de fait, leur travail dit « d'influence » se résume à de la communication. Les activités du CJD sont donc tournées vers ses adhérents. Il s'apparente, pour eux, à un pourvoyeur de ressources dont ils estiment disposer en quantités insuffisantes.
Découvrir le métier de dirigeant et le statut de patron
28 Les adhérents du CJD découvrent progressivement les activités que le mouvement leur propose. Leurs premières expériences d'engagement leur permettent de rencontrer des personnalités extérieures, issues d'horizons divers monde de l'entreprise, de la culture, de la politique, du syndicalisme, des médias et qui présentent un exposé suivi d'un échange avec les participants. Ce schéma correspond aux réunions « plénières » mensuelles, qui se tiennent en semaine et en soirée et que les adhérents sont fortement incités à ne pas manquer, ainsi qu'aux « CJDéj » bimensuels, organisés sur le temps du déjeuner et auxquels la participation est optionnelle.
Nous avons assisté à quatre réunions plénières. La première consista en un exposé assez détaillé des technologies de l'information et de stockage de la connaissance, donné dans l'un des derniers étages de l'une des tours de la bibliothèque nationale de France, par son président. La seconde, organisée dans les locaux de la société pour l'encouragement à l'industrie, dans le 6e arrondissement de Paris, fut l'occasion d'une présentation théorique du mécénat d'entreprise, avec des témoignages de responsables de grandes entreprises mécènes (comme Total). La troisième réunion plénière s'est déroulée dans les salons du cercle républicain et a consisté d'abord en plusieurs tables de réflexion sur des sujets liés à l'argent (comment le gagner moralement, qu'en faire, comment le considérer) puis en une présentation discutée par Jean Peyrelevade des conclusions de chaque table. Enfin, la dernière plénière, qui a eu lieu au théâtre du Gymnase, a été l'occasion de revenir sur les multiples possibilités qui s'offrent à un dirigeant à la recherche d'engagement.
Les trois CJDéj auxquels nous avons assisté ont eu lieu dans une salle d'un grand hôtel ou d'un grand restaurant parisien. Durant le premier, Christian Sautet est venu évoquer le projet économique de Bertrand Delanoë en vue des élections municipales qui allaient avoir lieu. Plus tard, ce fut au tour de Michèle Cotta de venir évoquer son expérience de journaliste au sein de grands médias nationaux. Enfin, le dernier CJDéj consista en une présentation par un auteur peu connu du grand public de son dernier ouvrage sur la liberté d'entreprendre.
30Ces réunions permettent aux adhérents de rencontrer des personnalités connues dans des lieux renommés et de prendre part à des discussions plus générales que celles qui les mobilisent habituellement dans le cadre de la direction de leur entreprise. L'accumulation d'un capital d'honorabilité conforte les adhérents dans l'idée qu'ils appartiennent pleinement au monde des décideurs, ou du moins à une forme d'élite sociale. Les entrepreneurs que sont les JD se socialisent ainsi au statut social de patron, tel que défini par les responsables du CJD comme membre de l'élite économique devant s'intéresser à l'ensemble des aspects de la vie de la Cité. Plus immédiatement, ces réunions sont l'occasion pour les adhérents de se rencontrer ou de se retrouver autour d'un bon repas ou d'un cocktail et dans la bonne humeur le tutoiement et l'attitude agréable et « bienveillante » sont de rigueur, les traits d'esprit, boutades et rires s'expriment assez librement. Ces moments conviviaux favorisent les échanges informels entre adhérents, autour de sujets divers. Certains problèmes d'entreprise peuvent être évoqués et des solutions trouvées, assurant ainsi à chacun de progresser en tant que chef d'entreprise.
Lors d'une réunion plénière, vers la fin du dîner exceptionnellement, ce soir-là, il n'y avait pas de buffet mais un dîner servi à des petites tablées de 8 ou 9 adhérents trois de nos voisins discutent stratégie. Autour de Gilles, deux adhérents donnent leur avis sur la meilleure manière de publiciser l'un de ses produits une formation d'anglais aux grandes entreprises. Doit-il s'agir d'un petit film de trois minutes insistant sur l'importance de l'anglais ou d'un jeu interactif devant semer le doute dans l'esprit de celui qui le fait à propos de sa maîtrise de la langue ? Gilles penche pour le jeu. Les deux JD qui conseillent Gilles prennent en compte de multiples paramètres pour se prononcer : coût et faisabilité des deux dispositifs, effets sur le récepteur, pertinence de chaque idée selon la structure des entreprises visées, etc. Au final, l'idée du film apparaît comme la meilleure. Gilles a donc pu obtenir des conseils contradictoires, qui lui permettent d'aborder le problème sous un autre angle.
32 Ces formes de mutualisation d'expérience sont au centre du deuxième type d'activités, les commissions de travail, que les adhérents sont incités à découvrir souvent dès la première année. Ces commissions réunissent tous les mois des volontaires autour d'un thème annuel donné. Celles qui rassemblent la plupart des adhérents sont celles qui se penchent sur le développement de leur entreprise « commission stratégie », « groupe d'aide à la décision », « commission développement commercial » par exemple et sur leur « développement personnel » « commission miroir », « commission bien-être et affirmation de soi en groupe » entre autres. À chaque séance, un participant revient, plus ou moins longuement, sur ce qui, dans son entreprise le plus souvent mais aussi parfois, plus généralement, dans sa vie, lui semble ne pas aller, ou sur ce qu'il aimerait changer. Après l'avoir écouté, les autres participants lui donnent leur avis ainsi que des conseils. Les adhérents du CJD participent massivement à ces commissions, qui leur fournissent gratuitement là où des cabinets de conseils facturent des sommes élevées des avis extérieurs leur permettant de s'améliorer dans l'exercice de leur métier [19].
R : « Ah oui ! On a des types qui ont des difficultés dans leur boîte. Le CJD donne l'occasion de dire ‟j'ai des gros soucis avec ma boîte” et bon bah, c'est toujours des drames quoi, c'est toujours un moment très difficile. On a un groupe qui s'appelle le GAD groupe d'aide à la décision qui peut être sur des questions offensives. J'ai 4-5 JD que je réunis, qui me donnent leur avis. Ou alors défensif, pour fermer la boîte quoi. Histoire de me rassurer que ma décision est la bonne. Et ça, il y a beaucoup de GAD.
Q : Et alors ça, comment ça se passe ? On convoque les JD, comment ça se passe ?
R : C'est le président qui va animer et qui va trouver 4-5 JD et puis en une soirée, voilà, ils exposent les données... [20] »
34Le bon fonctionnement de ces commissions suppose d'accepter de se livrer aux autres adhérents. Le coût d'entrée à payer afin de recevoir des conseils, s'il est financièrement compris dans celui de l'adhésion, n'en est pas moins symboliquement élevé [21]. Le CJD ne bénéficie à ses adhérents que s'ils sont prêts à s'y investir : il se différencie en cela des syndicats patronaux, qui fournissent des services en contrepartie d'une cotisation. En retour, ces séances de groupe, tournées autour d'un travail sur soi et qui ressemblent à des rituels d'intégration, contribuent à établir un lien de proximité et de confiance entre les adhérents. Elles participent des processus d'autorisation à se penser et à se dire « dirigeants » : en s'en remettant au jugement d'autres « jeunes dirigeants » au titre qu'ils sont ses « pairs », l'adhérent qui se prête au jeu reconnaît participer du groupe des dirigeants d'entreprise.
Une adhérente évoque la « commission miroir », durant laquelle un participant est aidé par les autres à résoudre ses problèmes professionnels ou personnels [22].
Q : « Parce que c'est souvent ces « miroirs » ?
R : Ah tous les mois on en a une. C'est chacun qui parle à son tour. La miroir de... quand c'est la miroir de quelqu'un, c'est sa soirée à lui. On ne s'occupe que de lui. Et je vous assure que c'est très éprouvant, quand vous avez dix personnes autour de vous qui vont vous posez des questions, ‟mais attends, etc.” sur ta vie... »
36Après avoir montré qu'ils sont prêts à donner au mouvement, ses membres peuvent alors prendre part à des formations intensives. Le CJD est le seul mouvement patronal non syndical qui en propose à ses adhérents. Ces formations concernent des domaines techniques gestion et comptabilité, informatique, marketing ou plus généraux « développement personnel », définition du métier de dirigeant notamment. Elles sont payantes, généralement entre 300 et 700 euros, et se déroulent sur deux ou trois jours, en province, regroupant des adhérents de plusieurs sections. Leur fonctionnement repose sur l'intervention de formateurs extérieurs au mouvement mais aussi sur les échanges des participants entre eux. Les sessions de formation nécessitent un investissement conséquent financier et en temps de la part des adhérents mais ils y participent volontiers car elles leur permettent d'approfondir leur apprentissage du métier de dirigeant.
Pierre, que nous avons déjà présenté, nous explique avec grand enthousiasme en quoi consiste la formation au métier de dirigeant nommée « Copernic ». Tout d'abord, « des chercheurs, sociologues, sémiologues » ont interrogé des chefs d'entreprise afin de définir leur métier : « Nous, notre métier, c'est quoi, comment on fonctionne, nos méthodes pratiques. » « 22 savoirs de processus » ont ainsi été dégagés : « c'est ça le métier de dirigeant et maîtriser ça, c'est être un dirigeant professionnel et en confiance ». Pierre insiste sur les exigences intellectuelles de la formation : « ça fait appel à beaucoup de concepts dont ils n'ont pas écrit la définition donc il faut aller voir ». À la suite de cette phase « théorique », des « modules de formation » sont mis en uvre, « qui permettent d'appliquer le savoir ». Au total, la « mise en situation de Copernic » dure deux jours, « et généralement tu sors la tête à l'envers ». Par la suite, les adhérents qui ont pris part à la formation restent en contact les uns avec les autres afin d'échanger sur la manière dont ils appliquent ce qu'ils y ont appris : « On est dans une logique de l'intercoaching pour vérifier qu'on a bien intégré ça dans nos pratiques... parce que la formation, c'est immédiatement opérationnel [23]. »
38Après trois ou quatre ans d'adhésion au CJD, les adhérents ont pris part à de nombreuses plénières, des CJDéj, des commissions de travail et des formations. Ces activités leur ont permis d'accumuler du capital entrepreneurial et du capital patronal, c'est-à-dire des savoir-faire utiles à la direction d'une entreprise au quotidien, tout en les rendant coutumiers des adresses prestigieuses, des hôtes importants et des débats ambitieux et généraux. Pendant ces quelques années, les JD ont payé, financièrement et de leur personne, pour devenir des patrons. Autrement dit, en contrepartie d'investissements importants de la part de ses adhérents, le CJD leur fournit des capitaux essentiels pour endosser le rôle de dirigeant d'entreprise et de « patron » (Kolboom, 1984). Là où, au moment de leur adhésion, ils étaient des entrepreneurs encore proches du monde du salariat, beaucoup s'apparentent désormais, ou veulent s'apparenter, à des patrons, c'est-à-dire à des dirigeants d'entreprise qui ne se limitent pas à leur rôle d'élite économique mais qui entendent jouer un rôle plus global dans la société.
Présentation des stages de formation aux adhérents du CJD.
Présentation des stages de formation aux adhérents du CJD.
39Pour autant, à ce stade, rares sont les adhérents qui, ayant achevé de se construire eux-mêmes comme dirigeants et patrons, se voient en entrepreneurs de la cause patronale, c'est-à-dire en militants patronaux. La littérature consacrée à l'engagement patronal souligne que les obstacles au militantisme cités dans le cas des agents socialement dominés peuvent fournir des hypothèses de questionnement a priori plus pertinentes encore concernant les pratiques des dirigeants économiques. Temps libre réduit, valeurs individualistes, comportement utilitariste dans le cadre de leur métier, achat-vente plutôt que don-contre-don : les chefs d'entreprise ne constitueraient pas un public facilement mobilisable dans le cadre d'actions collectives. Les organisations d'employeurs existent pourtant et avec elles les militants patronaux. Notre matériau d'enquête nous permet de contribuer à l'analyse des ressorts et des déterminants du militantisme patronal.
« Tu as reçu, tu donnes » : promouvoir des entrepreneurs de la cause patronale
40Le fonctionnement du CJD repose sur le remplacement régulier de ses responsables. Ceci favorise l'émergence d'entrepreneurs de la cause patronale : le CJD apparaît dès lors comme une entreprise de mobilisation patronale. Ses responsables sont engagés dans un militantisme astreignant et cumulatif qui constitue, après le départ du mouvement, un terrain favorable à d'autres engagements patronaux.
Une rotation accélérée des responsables du mouvement
41Le CJD prévoit que ses fonctions électives présidences de section, de région ou nationale doivent être occupées par des adhérents qui ont moins de 45 ans le jour de leur prise de fonction. Cette règle s'applique également à l'ensemble des responsables membres des bureaux autour des présidents et présidents de commission. Une seconde règle interdit l'exercice d'une responsabilité élective pour plus d'un mandat. Cette règle tend à s'appliquer à l'ensemble des responsables. Ces deux principes impliquent un remplacement régulier et continu des responsables du mouvement.
Un ancien responsable national justifie ce fonctionnement : « On est dans un mouvement de militants ! Je milite deux ans, le suivant milite deux ans, le suivant... on organise quoi ? Qu'est-ce qu'on peut faire de mieux ? L'organisation du CJD, on fige dans le béton ? Avec des mecs qui vont essayer de gérer par procédure ? Ça ne va pas non ! C'est pas fabriquer un mouvement de moutons, mais de militants ! C'est un mouvement d'émergence le CJD, donc on fait faire des trucs aux JD dans les sections pour que ça pète de partout [24] ! »
43Afin d'organiser leur succession, les responsables sortants détectent les adhérents qui prennent part à plusieurs activités, c'est-à-dire qui acceptent d'accorder du temps, des moyens financiers et un investissement personnel au mouvement, et qui, en retour, tirent profit de leur participation. Il s'agit de leur proposer de prendre en charge l'organisation d'une commission ou d'entrer au bureau afin d'aider le président de la section.
Q : « Mais quand c'est comme ça, enfin le président vient et te propose la commission miroir ?
R : Bah lui, si tu veux [hésitation], bon on se voit quand même souvent, il commence à tâter le terrain, bon il y a les personnes qui s'occupent des commissions donc qui commencent à regarder qui veut faire quoi, ‟est-ce qu'il n'y en a pas qui veulent animer”, ou s'il manque tant de gens, ‟tiens, est-ce qu'il n'y en a pas qui veulent”...
Q : Mais il y en a qui disent ‟Non, hors de question !” ?
R : Moi, ça, je ne pourrais pas te dire, je ne sais pas, il faudrait demander ça au gars qui, à l'animateur, qui s'occupe des commissions. Je pense qu'il y en a oui. Bah qui disent ‟non”, disons qu'ils ne disent pas ‟oui” quoi. Après, on est quand même vachement sur la base du volontariat, de la bonne volonté, on ne va pas forcer les gens à faire des trucs s'ils ne veulent pas. Tu as reçu, tu donnes [25]... »
45Le don-contre-don est favorisé par la petite taille des sections, qui rassemblent en moyenne une cinquantaine d'adhérents et où le comportement du free rider est difficile à assumer. Les responsables recourent toutefois, de préférence, à des incitations plus positives afin d'encourager la prise de responsabilité. Ils insistent sur les apports, pour les adhérents et leur entreprise, de la prise de responsabilité : savoir rationaliser son emploi du temps, apprendre à diriger une réunion et à manager un groupe, lever le nez du guidon des préoccupations quotidiennes, améliorer la confiance en soi, rencontrer des personnalités connues, sont les rétributions du militantisme (Gaxie, 2005) les plus souvent mises en avant. Peu d'adhérents refusent toute prise de responsabilité, au risque de se marginaliser au sein de la section et de ne plus pouvoir bénéficier de leur adhésion. Nombreux sont ceux qui acceptent de diriger une commission ou de prendre part au bureau.
46Cette étape est déterminante pour la suite de leur trajectoire d'engagement. En effet, elle vient distinguer ceux qui réussissent à négocier du temps libre auprès de leur entreprise et de leur famille, afin de l'investir dans le mouvement. Cette capacité à se rendre disponibles conditionne entièrement l'engagement ou non des adhérents. Martine, ancienne responsable nationale du CJD et cogérante d'une entreprise de conseil d'une quarantaine de salariés, explique ainsi qu'elle a pu se consacrer au mouvement parce que son associé a réussi à faire fonctionner seul l'entreprise [26]. D'autres responsables soulignent qu'une entreprise d'une certaine taille, où le dirigeant peut compter sur plusieurs cadres, peut assez facilement se passer de lui. Tous, hommes et femmes confondus, insistent en outre sur l'importance de l'acceptation par leur famille de leurs absences répétées, conséquences de leur engagement. Ainsi, un ancien responsable de la section parisienne nous a-t-il confié avoir dû renoncer à aller plus loin qu'un siège au bureau de section parce que sa femme refusait de le voir moins qu'elle ne le voyait déjà.
Encadré 2. Les jeunes dirigeant(e)s.
47La première prise de responsabilité révèle en outre ceux qui sont susceptibles de réussir à endosser le rôle du responsable patronal. Prendre en charge un mouvement patronal n'équivaut pas à diriger une entreprise : les dispositions mentales et les savoir-faire pratiques supposés par ces deux rôles se différencient, même s'ils peuvent se compléter. Là où le patron d'entreprise peut ordonner à ses subordonnés, le responsable patronal ne peut qu'inciter et encourager ses pairs, en les ménageant toujours. De même, un dirigeant d'entreprise peut penser et parler au nom de son entreprise, voire en son nom propre ; à l'inverse, un responsable patronal doit toujours penser et parler au « nous », fait d'entreprises et de dirigeants très différents les uns des autres, très différents de lui surtout. Enfin, la finalité même que l'entrepreneur dit se donner, l'efficacité productive et le profit, ne saurait être celle que le responsable patronal est censé poursuivre : la défense des valeurs du CJD et sa pérennisation en tant qu'organisation comptent bien plus ici.
« Pour moi, président de section, c'est le boulot le plus compliqué du CJD. C'est un travail d'animation associative, on n'a pas de pouvoir mais une fonction. Il y a des gens qui ne veulent pas le faire parce qu'il faut aller parler à la presse, au patronat, il faut aller dehors, s'investir dans les structures, représenter, ça n'est pas seulement de l'animation. Il faut s'occuper au sens care, des gens, de la section, voir comment ça va. C'est pas une animation d'estrade [27]. »
49En retour, le dirigeant qui réussit à acquérir ce nouveau rôle le perçoit positivement : plus encore qu'à une rétribution du militantisme, il s'apparente à du capital militant (Matonti et Poupeau, 2004), acquis hors de l'entreprise mais qui peut être utilisé dans ce cadre. Par exemple, un dirigeant d'entreprise qui a appris à organiser un groupe sans avoir à recourir à la contrainte peut l'appliquer à ses salariés. Dans un autre domaine, un chef d'entreprise qui prend en charge l'organisation d'une action collective patronale accumule des attributs symboliques du responsable patronal, qui contribuent à une amélioration de l'image qu'il a de lui-même, ce qui peut in fine avoir des effets bénéfiques dans le cadre de son métier. « L'assurance » ou la « confiance en soi », souvent citées en entretien, facilitent la tâche du « meneur d'hommes » et du négociateur de contrats commerciaux et d'emprunts bancaires qu'est un dirigeant d'entreprise.
50L'adhérent qui, dès ses premières prises de responsabilité, fait preuve d'une capacité à dégager du temps libre nécessaire à l'engagement et à s'adapter au rôle du responsable patronal, s'apparente alors à un militant, vite amené à progresser dans l'organigramme du CJD. Les propositions de postes, du niveau local au niveau national, ne manquent pas [28]. Les cas d'engagements coûteux en temps et en investissement personnel pris spontanément, « sur un coup de tête », dans l'enthousiasme d'un congrès ou d'une réunion plénière, existent mais ne sont pas fréquents [29]. En la matière, c'est la prudence qui prévaut.
Les congrès régionaux ou nationaux sont un moment privilégié de détection de responsables régionaux ou nationaux potentiels. Ces « grand-messes » du mouvement, payantes, ont lieu tous les deux ans, sur deux ou trois jours. Ils sont organisés autour d'un thème, qui donne lieu à plusieurs groupes de travail et une ou plusieurs personnalités issues d'horizons divers sont invitées à écouter les conclusions de ces groupes et à les débattre lors d'une grande conférence. En 2010, le Congrès du CJD se tient du 24 au 26 juin, à Nantes, au parc des Expositions de la Beaujoire. Il a pour thème « De l'Entrepreneur soliTaire à l'Entreprise soliDaire ». L'avocate iranienne Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix 2003, ainsi que Martin Hirsch, alors secrétaire d'État à la Solidarité, sont les deux invités mis en avant.
Les congrès sont théoriquement ouverts à tous les adhérents mais rassemblent en réalité principalement des adhérents ayant déjà des responsabilités. On y vante les réalisations et le « travail sérieux » de tel ou telle responsable de section, qui découvre de nouveaux horizons d'engagement et que les responsables régionaux ou nationaux vont chercher à enrôler.
52Avant de s'engager sur un nouveau poste, l'entrepreneur de CJD évalue ce qu'il est prêt à donner au mouvement. Il se fonde d'abord sur ce que son entreprise et sa famille lui permettent de faire et ensuite sur les rétributions du militantisme qu'il estime avoir perçues jusque-là et celles qu'il escompte percevoir par la suite. Ce schéma de l'engagement des JD au sein du mouvement renvoie à la notion de « carrière d'engagement » (Fillieule, 2001, 2005). D'une part, leur entrée en militantisme se fait de manière progressive et évolutive, c'est-à-dire par étapes de réévaluations successives de ce qu'ils ont donné au mouvement et sont prêts à lui donner à l'avenir et par étapes d'adaptations plus ou moins réussies au rôle de responsable patronal. D'autre part, leur engagement n'est pas autonome des autres sphères sociales de leur vie, en particulier de leur situation familiale et de l'état de leur entreprise [30]. Au fur et à mesure du déroulement de leur carrière d'engagement, les responsables du CJD prennent une part de plus en plus active à la définition de sa politique.
L'apolitique du CJD
53Bien qu'il se présente comme étant apolitique, le CJD défend une conception particulière du libéralisme, le libéralisme responsable ou l'économie au service de l'Homme. Cette conception induit une définition spécifique de ce qu'est un dirigeant d'entreprise : le chef le serait par mérite et non par statut hérité et rechercherait la défense de l'intérêt général. La direction d'une entreprise constituerait ainsi une responsabilité sociale [31]. Ces propositions, exprimées comme telles, ne font jamais l'objet de remises en cause en interne. En revanche, leurs implications sur le répertoire d'action de l'organisation nourrissent des débats qui constituent les principaux enjeux politiques propres au mouvement. Certains de ses responsables considèrent que le CJD doit veiller à bien former ses adhérents au métier de dirigeant : des patrons bien formés individuellement constituent un grand pas vers le bien commun. D'autres responsables ne sont pas convaincus par cette définition libérale de l'intérêt général. Pour eux, la formation au métier de dirigeant doit être explicitement articulée à un encouragement à l'engagement au service de l'organisation mais aussi de la société. Les responsables du mouvement expriment ordinairement leurs points de vue concernant ce qu'est ou doit être le CJD dans le cadre du déroulement des activités du mouvement, par le biais d'échanges oraux discussions informelles autour d'un verre lors d'une plénière par exemple, ou plus formelles lors d'une réunion du bureau ou écrits courriers électroniques collectifs notamment. Plus ponctuellement, ils peuvent être mobilisés comme des orientations programmatiques par les candidats à la présidence de section ou à la présidence nationale. Ils se présentent alors devant les électeurs par un discours de quelques minutes et leur font parvenir, sous forme dématérialisée, un document de trois ou quatre pages qui fait office de profession de foi.
Les turbulences traversées par le CJD lors de la réforme des 35 heures constituent un épisode particulièrement révélateur de ces oppositions. Lorsque Martine Aubry décide de généraliser les 35 heures à l'ensemble des salariés français, elle suscite la colère des dirigeants d'entreprise. Seul le CJD, alors emmené par son président Laurent Degroote, décide de suivre la ministre du Travail en incitant les jeunes dirigeants à expérimenter les 35 heures dans leur entreprise, afin de fournir des pistes d'amélioration de la loi. Cette position, dénoncée dans les milieux patronaux et jusqu'au sein du mouvement comme une trahison, se traduit rapidement par des remous en interne les effectifs passent de 2 400 à 1 900 adhérents. À la fin de son mandant, terminé « péniblement » nous a-t-on souvent répété, Laurent Degroote fut remplacé par Louise Guerre, connue pour sa volonté de réorienter le CJD vers la formation au métier de dirigeant. De manière moins spectaculaire, lors de notre enquête au sein de la section parisienne, le candidat qui a remporté l'élection à la présidence de section prônait une rupture avec la politique de progression des effectifs menée jusque-là. Arguant du fait qu'elle se traduisait par le recrutement de « consommateurs » et non de « militants », il s'est employé, une fois élu, à « privilégier la qualité à la quantité » afin de s'assurer que les nouveaux arrivants bénéficieraient au mouvement autant qu'il leur bénéficierait.
55La portée des débats doctrinaux internes au CJD dans la construction de sa politique mérite toutefois d'être relativisée. Rien ne nous permet, dans notre matériau, de durcir les différences de prise de position en les rapportant à des différences de position dans l'espace social : politisation ou place dans l'ordre économique notamment. Loin de constituer un clivage structurant du mouvement, ces positionnements, lorsqu'ils sont mobilisés dans le cadre des élections, fonctionnent alors comme des marqueurs d'une différenciation avant tout discursive. Les responsables du CJD s'accordent en effet sur ce que sont les deux piliers de la participation au mouvement : engagement et formation. Surtout, quelle que soit leur approche, les dirigeants du mouvement ne peuvent en modifier le fonctionnement ni rapidement ni de manière régulière. Bien qu'incarné par une structure légère, le CJD repose sur des règles et des rôles institués dans une pratique de long terme et qui s'imposent en grande partie à ses responsables, notamment pour ce qui concerne les activités qu'il propose à ses adhérents. À de rares exceptions près « l'épisode des 35 heures » en fut une les changements de présidence ne se traduisent pas, pour l'organisation, par des changements d'orientation.
56Ainsi, après six années passées au CJD durée moyenne d'adhésion de nombreux adhérents ont été amenés à y prendre des responsabilités, souvent limitées, et à participer à la définition de sa politique. À cette occasion, quelques-uns ont accumulé, en plus du capital patronal, un capital militant. L'articulation entre ces deux capitaux fait d'eux des entrepreneurs de la cause patronale.
Le CJD comme entreprise de mobilisation patronale
57Le CJD encourage ses adhérents, particulièrement ses responsables, à s'engager au sein des autres organisations patronales afin d'y faire valoir leurs valeurs et leur conception de l'entreprise et du métier de dirigeant qui sont censées être les mêmes que celles du mouvement. Le CJD n'est toutefois pas une organisation de jeunesse du CNPF/MEDEF, qui se fixerait pour objectif de préparer ses adhérents à y prendre ultérieurement des responsabilités, comme peuvent le faire, mutatis mutandis, le mouvement des jeunes socialistes ou celui des jeunes populaires pour le PS ou l'UMP (Bargel, 2009). L'engagement dans telle ou telle organisation patronale n'est pas une « suite logique » de l'engagement au CJD. Dans les faits, il n'en agit pas moins comme une entreprise de mobilisation patronale. En effet, certains de ses adhérents, qu'il a transformés en entrepreneurs de la cause patronale, sont prêts à investir leur nouveau capital militant dans d'autres actions collectives patronales. Bien qu'il soit difficile de fournir des statistiques sur les engagements ultérieurs de ses anciens adhérents, plusieurs indices accréditent l'idée que, forts du rôle et des capitaux acquis au CJD, nombreux sont ceux qui s'investissent pour la cause patronale.
58Nous avons vu que le caractère non syndical du CJD attire des dirigeants, qui y voient la garantie d'une certaine liberté d'expression et d'action. Après leur départ du groupe, certains cherchent à retrouver un mouvement qui lui ressemble. Ainsi, parmi les EDC, qui se proposent de concilier la pensée chrétienne et le rôle de dirigeants, on compte une proportion non-négligeable d'anciens « jeunes dirigeants », environ 10 % (Georgy, 2010). De même, l'association pour le progrès du management (APM) a été fondée en 1987 par un ancien président du CJP/CJD (1968-1970), Pierre Bellon, et a été présidée, plus tard, par un autre président du CJD (1988-1990), Jacques Chaize [32]. Lors de nos entretiens avec des adhérents du CJD qui étaient proches de la sortie, le nom de l'APM revenait régulièrement comme lieu potentiel d'engagement. En effet, cette organisation se donne des objectifs très proches de ceux du CJD, en termes de formation de ses adhérents notamment. Enfin, l'un des fondateurs d'entreprise et progrès, José Bidegain, a présidé le CJP de 1961 à 1964. Si ces mouvements véhiculent une conception de la défense des intérêts patronaux assez proches de celle du CJD l'intérêt d'un dirigeant est plus de s'améliorer en tant que dirigeant que de revendiquer au nom du patronat ils ne sont pourtant pas ceux auxquels pensent les responsables du CJD lorsqu'ils défendent la nécessité de s'engager au sein du patronat. C'est le patronat « représentatif », c'est-à-dire syndical et consulaire, qu'ils ont à l'esprit.
Certains noms reviennent souvent lorsqu'il s'agit d'évoquer la présence d'anciens adhérents du CJD parmi les responsables du CNPF/MEDEF. Bernard Boisson, président du mouvement entre 1978 et 1981, a ensuite été responsable des affaires sociales du Bâtiment, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, puis il a été conseiller social d'Ernest-Antoine Seillière lorsque ce dernier était président du MEDEF. Pierre Bellon et Jacques Chaize n'ont pas seulement dirigé l'APM, ils ont également siégé au conseil exécutif du CNPF/MEDEF, sans discontinuer de 1981 à 2013 pour le premier, et entre 1999 et 2003 pour le second. Alain Brunaud, qui a présidé le CJD entre 1990 et 1992, a lui siégé au conseil exécutif du MEDEF, en même temps que Jacques Chaize. D'autres anciens, moins connus, ont pris des responsabilités au sein de syndicats locaux ou de MEDEF territoriaux, ex-unions patronales locales. Assez souvent, ces engagements syndicaux locaux vont de pair avec des postes occupés dans des chambres de commerce et d'industrie (CCI). Par exemple, Thomas Chaudron, président national du CJD de 2006 à 2008, préside le MEDEF de l'Essonne depuis 2010, ainsi que la CCI de l'Essonne depuis 2011. Michel Grillon, membre du bureau national du CJD au milieu des années 1980, est élu à la CCI de Brive durant la deuxième moitié des années 1980 et il siège au bureau de l'union patronale locale durant les années 1990, avant de prendre la présidence du nouveau MEDEF territorial, au début des années 2000. Bernard Dalmon, présent au bureau national à la fin des années 1990, préside la CGPME et la métallurgie de l'Aveyron au début des années 2000. Par la suite, il est élu à la CCI de l'Aveyron.
60Il n'est pas aisé de produire des chiffres qui viendraient attester la représentativité ou non de ces exemples d'engagement dans différents types d'action collective [33]. En revanche, nous pouvons dire qu'ils ont pour caractéristique commune de correspondre au modèle de la carrière d'engagement. Les pratiques d'anciens adhérents du CJD qui s'investissent au service de la cause patronale ne sont pas orientées par des déterminants structurels souvent cités dans le cas du militantisme. C'est dans la succession des positions qu'ils occupent au sein des organisations patronales que se dessinent ou non des opportunités de positions futures, pouvant ou non être saisies en fonction d'éléments d'appréciation à la fois propre à la sphère de l'engagement goût pour les postes, rétributions du militantisme, capacités à endosser les rôles notamment et extérieurs à cette sphère situation familiale et professionnelle. Dans ce schéma, le CJD apparaît comme l'institution qui a fourni à tous ces anciens jeunes dirigeants devenus responsables patronaux, les ressources nécessaires à l'enclenchement de leur carrière d'engagement. Le CJD ne s'apparente donc pas à une organisation patronale de jeunesse, qui préparerait ses adhérents à s'investir ultérieurement au sein d'une action collective de chefs d'entreprise spécifique et connue à l'avance. Toutefois, il fonctionne comme une instance de socialisation à l'engagement patronal.
Ainsi, au cours de leur passage à la tête CJD puis de l'APM, Pierre Bellon ou Jacques Chaize ont multiplié les contacts et les opportunités d'engagement au sein du principal syndicat patronal. À la tête d'une PME devenue une multinationale, Pierre Bellon s'est ancré durablement à Paris et a pu laisser ses hauts cadres s'occuper de son entreprise : ces conditions ont favorisé un militantisme actif au niveau national du CNPF/MEDEF. De son côté, Jacques Chaize dirigeait une PME en Bourgogne, qui pouvait plus difficilement se passer de lui. Il a donc choisi un engagement au sein du syndicalisme patronal régional, qui a débouché sur une participation progressive et limitée aux travaux du CNPF/MEDEF national. Dans des cas où l'existence de l'entreprise est mise en jeu en cas de maintien d'un niveau élevé d'engagement, l'ancien JD décide souvent de se recentrer durablement sur son rôle de dirigeant et de s'éloigner du militantisme patronal.
62Le CJD valorise et produit un modèle d'entrepreneurs de la cause patronale basé sur le militantisme. Ces entrepreneurs assurent la pérennisation du mouvement et, pour certains, réinvestissent leur capital militant dans la structuration d'autres actions collectives patronales.
Faire des patrons et faire des militants
63Bien que le CJD regroupe des dirigeants d'entreprise plus jeunes que la moyenne, cette caractéristique ne saurait résumer sa place au sein des organisations patronales. Il ne peut être défini comme une organisation dont la fonction serait de représenter un segment particulier des dirigeants d'entreprise. Le CJD recrute ses adhérents parmi des cadres en reconversion dans l'entrepreneuriat qui ressentent, dans l'exercice quotidien de leur nouveau métier, une inadaptation de leurs prédispositions et de leurs capitaux. Il se présente à leurs yeux comme un pourvoyeur de certaines ressources dont ils ne disposent pas, ou insuffisamment. Les activités proposées sont tournées vers les adhérents et visent à ce qu'ils acquièrent les savoir-faire pratiques du chef d'entreprise et le statut social du patron. De ce point de vue, le CJD s'apparente à une entreprise de production de dirigeants et de patrons d'entreprise. Il socialise ses adhérents à l'exercice de la fonction patronale, objectivée comme reposant sur le mérite, la formation et l'engagement au service de l'intérêt général. De nombreux adhérents du mouvement, en participant à ses activités, y prennent des responsabilités. Ils accumulent du capital militant et certains, en fonction des opportunités de postes au sein de l'organisation et de leur situation professionnelle et familiale, en viennent à endosser, progressivement, le rôle de responsables patronaux. Le CJD agit alors comme une entreprise de mobilisation patronale et de production de militants de la cause patronale [34]. Entrepreneurs au statut social encore indécis et fragile à leur entrée dans le mouvement, les JD finissent par constituer, pour un certain nombre d'entre eux et après plusieurs années de militantisme, l'un des socles de la représentation patronale française.
- BARGEL L., 2009Jeunes socialistes/jeunes UMP. Lieux et processus de socialisation politique, Paris : Dalloz.
- BAUER M., BERTIN-MOUROT B., 1987Les 200. Comment devient-on un grand patron ?, Paris : Seuil.
- BAUER M., BERTIN-MOUROT B., 1997Radiographie des grands patrons français : les conditions d'accès au pouvoir, 1985-1994, Paris : L'Harmattan.
- BERENI L., 2009« ‟Faire de la diversité une richesse pour l'entreprise”. La transformation d'une contrainte juridique en catégorie managériale », Raisons politiques, 35, p. 87-105.
- BERGER-DOUCE S., 2008« Rentabilité et pratiques de RSE en milieux PME. Premiers résultats d'une étude française », Management et avenir, 15, p. 9-29.
- BERNOUX P., 1974Les nouveaux patrons, Paris : Éditions sociales.
- BOUFFARTIGUE P., GADEA C., 2000Sociologie des cadres, Paris : La Découverte.
- BOURDIEU P., SAINT-MARTIN M., 1977« Le patronat », Actes de la recherche en sciences sociales, 20-21, p. 3-82.
- BUNEL J., 2007Représentation patronale et représentativité des organisations patronales, Travail et emploi, 70, p. 3-19.
- CHAMBOREDON H., PAVIS F., SURDEZ M., WILLEMEZ L., 1994« S'imposer aux imposants. À propos de quelques obstacles rencontrés par des sociologues débutants dans la pratique et l'usage de l'entretien », Genèses, 16, p. 114-132.
- CHATRIOT A., 2012« La réforme de l'entreprise. Du contrôle ouvrier à l'échec du projet modernisateur », Vingtième siècle, 114, p. 183-197.
- CICCOTELLI M., 2008Ressorts et dynamiques de l'action collective patronale : l'exemple de l'engagement dans la section parisienne du centre des jeunes dirigeants (CJD), mémoire de M1 sous la direction de M. Offerlé.
- CICCOTELLI M., 2009,Contribution à l'étude des entrepreneurs de patronat : trente ans d'engagement au bureau national du centre des jeunes dirigeants (CJD), mémoire de M2 sous la direction de M. Offerlé.
- COULOUARN T., 2008Au nom des patrons. L'espace de la représentation patronale en France, thèse pour le doctorat de science politique sous la direction de D. Gaxie.
- DAUMAS J.C. (dir.), 2010Dictionnaire historique des patrons français, Paris : Flammarion.
- DUFOUR C., 2001Représentations patronales : des organisations à responsabilité limitée, Chronique internationale de l'IRES, 72, p. 5-22.
- DUDOUET F.X., GRÉMONT E., 2010Les grands patrons en France. Du capitalisme d'État à la financiarisation, Paris : Lignes de repères.
- FILLIEULE O., 2001« Propositions pour une analyse processuelle de l'engagement individuel », Revue française de science politique, 51, p. 199-271.
- FILLIEULE O., 2005« Temps biographique, temps social et variabilité des rétributions », in O. Fillieule (dir.), Le désengagement militant, Paris : Belin.
- FRAU C., 2013Agir sur un marché contesté. Une sociologie du groupe professionnel des débitants de tabac, thèse pour le doctorat de science politique sous la direction de M. Offerlé.
- GAXIE D., 2005« Rétributions du militantisme et paradoxes de l'action collective », Revue suisse de science politique, 11, p. 157-188.
- GENIEYS W., 2008L'élite des politiques de l'État, Paris : Presses de Sciences Po.
- GEORGY C., 2009« Ne vous amassez pas de trésors sur la terre mais des trésors dans le ciel ». L'engagement patronal chrétien à travers l'exemple des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens de Paris, mémoire de M1 sous la direction de M. Offerlé.
- GEORGY C., 2010« Contribution à l'étude du patronat français : enquête auprès de ces entrepreneurs qui cherchent à se rendre « agréables à Dieu » au sein du mouvement des EDC », mémoire de M2 sous la direction de J. Fretel.
- GRAZZINI F., BOISSIN J.P., 2013« Analyse des modèles mentaux développés par les dirigeants français en matière d'acquisition ou de reprise de PME », Management, 16, p. 49-87.
- GROSSMAN E., SAURUGGER S., 2012Les groupes d'intérêt : action collective et stratégies de représentation, Paris : Armand Colin.
- INSEE, 2011« Entreprises selon le nombre de salariés et l'activité en 2011 ».
- INSEE, 2012« Enquête emploi », traitement statistique.
- KOLBOOM I., 1984« Patrons et patronat. Histoire sociale du concept de patronat en France aux XIXe et XXe siècles », Mots, 9, p. 89-112.
- KRIESI H., 1993« Sviluppo organizzativo dei nuovi movimenti sociali e contesto politico », Rivista italiana di scienza politica, 23, p. 67-117.
- LE BOT F., 2012« La naissance du Centre des Jeunes Patrons (1938-1944) : entre réaction et relève », Vingtième siècle, 114, p. 99-116.
- MATONTI F., POUPEAU F., 2004« Le capital militant. Essai de définition », Actes de la recherche en sciences sociales, 155, p. 4-11.
- NEVEU E., 2008 [2005]Sociologie des mouvements sociaux, Paris : La Découverte.
- OFFERLÉ M., 2009Sociologie des organisations patronales, Paris : La Découverte.
- OFFERLÉ M. (dir.), 2011« L'espace patronal français : Acteurs, organisations, territoires », rapport DARES.
- OFFERLÉ M., 2013Les patrons des patrons. Histoire du MEDEF, Paris : Odile Jacob.
- OLSON M., 1978 [1965]La logique de l'action collective, Paris : PUF.
- RABIER M., 2013Entrepreneuses de cause. Contribution à une sociologie des engagements des dirigeantes économiques en France, thèse pour le doctorat de science politique sous la direction de M. Offerlé.
- TABBAGH E., 2009« L'Institut Montaigne. Contribution à une sociologie des think tanks », mémoire de M2 sous la direction de M. Offerlé.
- WOLL C., 2006« La réforme du Medef : chronique des difficultés de l'action collective patronale », Revue française de science politique, 56, p. 255-279.
Notes
-
[1]
http://www.jeunesdirigeants.fr/Default.aspx?tabid=49, 05/11/2014.
-
[2]
Le CJD a été assez peu étudié par les historiens ou les sociologues. Philippe Bernoux a publié (1974) une étude sur le CJD, s'intéressant à la fois à son histoire, au profil de ses adhérents et à son fonctionnement. Plus récemment, des travaux se sont spécifiquement intéressés à la naissance du mouvement (Le Bot, 2012) ou à ses propositions en termes de management (par exemple, Bereni, 2009 ; Berger-Douce, 2009 ; Grazzini et Boissin, 2013).
-
[3]
Extrait d'une discussion enregistrée lors d'une réunion du CJD Paris, le 13 février 2008, avec un adhérent de la section (35-40 ans) à la tête d'une entreprise individuelle dans le conseil.
-
[4]
Pour des raisons de lisibilité, « jeunes dirigeants » et « JD » ne seront plus mis entre guillemets dans la suite du texte. Nous prions toutefois le lecteur de garder à l'esprit que ces deux expressions renvoient au langage indigène.
-
[5]
http://www.jeunesdirigeants.fr/Default.aspx?tabid=49, 02/09/2013.
-
[6]
Ce calcul a été effectué par nos soins, à l'aide de données obtenues sur l'intranet du mouvement, relatives à certaines caractéristiques des adhérents de dix sections choisies de manière aléatoire (N = 436).
-
[7]
Nous avons modifié le nom des enquêtés.
-
[8]
Ces chiffres sont issus d'un sondage interne réalisé en novembre 2012 par les responsables nationaux du CJD auprès de l'ensemble des adhérents. Ce sondage par voie électronique a recueilli 850 réponses. Le fort taux de réponses nous incline à considérer les réponses à ce sondage comme étant utilisables dans le cadre d'un travail scientifique. Parmi les questions posées, une concernait « l'origine des dirigeants », avec cinq choix possibles : « salarié minoritaire », « salarié dirigeant non actionnaire », « héritier », « repreneur », « créateur ». Une autre question concernait le niveau de diplôme des JD avec, là encore, cinq choix possibles : « autodidacte », « CAP, BEP ou équivalent », « Bac », « Bac +2/3 », « Bac +4/5 ».
-
[9]
Leurs propriétés sociales semblent d'ailleurs distinguer nettement les JD des « entrepreneurs de l'économie numérique » dont on pourrait pourtant plus ou moins inconsciemment les rapprocher de prime abord puisqu'ils ont pour caractéristique commune d'être relativement jeunes. Les capitaux scolaires plus légitimes de ces entrepreneurs et leur ascension économique et sociale très rapide les différencient en effet des adhérents du CJD. Ce constat général gagnerait à être précisé par une étude sociologique de cette fraction du milieu des dirigeants d'entreprise, qui n'a suscité jusqu'à présent qu'un intérêt médiatique, voir par exemple « Ces ‟barbares” qui veulent débloquer la France », L'Obs, no 2603, 30/10/2014, p. 70-78. Le rapport de ces « entrepreneurs du numérique » au mouvement patronal « Croissance plus », qui prétend représenter les secteurs économiques d'avenir, pourrait à cette occasion être questionné. Quoiqu'il en soit, lors de nos deux enquêtes, nous n'avons pas rencontré de « jeunes dirigeants » qui correspondaient à ce profil de chef d'entreprise. La jeunesse n'est décidément qu'un mot.
-
[10]
Entretien du 17 mars 2008 avec Jean, 40 ans, consultant indépendant en relations publiques. Il est le seul de nos enquêtés qui soit issu de la « grande bourgeoisie » : sa famille comporte « huit générations de polytechniciens ». Il est titulaire d'une maîtrise d'histoire et d'un CAPES d'histoire-géographie.
-
[11]
Entretien du 8 avril 2008 avec Marc, 33 ans, chef d'une entreprise de logistique d'une vingtaine de salariés. Fils d'un cadre commercial et d'une employée de banque, Marc est titulaire d'une maîtrise de science économique et d'un DEA en Organisation de la production et de l'entreprise.
-
[12]
Cette attitude diverge de celle généralement observée dans les milieux dirigeants (voir notamment Chamboredon, Pavis, Surdez et Willemez, 1994).
-
[13]
Nous nous inspirons ici, librement, de la typologie de Kriesi (1993). L'auteur distingue les organisations politiques et sociales selon que leurs activités sont tournées vers les adhérents ou vers l'extérieur d'une part et selon qu'elles exigent un investissement plus ou moins important de leurs adhérents d'autre part.
-
[14]
CJD, communiqué de presse « Accord SUR l'emploi et pas POUR l'emploi », 15 janvier 2013.
-
[15]
CJD, Trente-cinq propositions pour l'emploi, 26 novembre 2012.
-
[16]
CJD, communiqué de presse « Conférence sociale », 10 juillet 2012.
-
[17]
http://www.jeunesdirigeants.fr/Default.aspx?tabid=75, 14/11/2014.
-
[18]
De ce point de vue, le CJD se rapproche d'un mouvement comme les EDC, entrepreneurs et dirigeants chrétiens (Georgy, 2009, 2010). À l'inverse, il se distingue d'un mouvement comme l'institut Montaigne (Tabbagh, 2009), qui repose sur l'investissement de hauts responsables de grandes firmes multinationales et dont le fonctionnement est centré sur la production d'expertise destinée à orienter les pratiques sociales.
-
[19]
Ce format de fonctionnement est similaire à certaines activités que les EDC proposent à leurs adhérents (Georgy, 2009, 2010). Cette ressemblance nous conduit à émettre l'hypothèse que le répertoire d'action du CJD emprunte pour partie à la tradition chrétienne des groupes de parole.
-
[20]
Entretien du 18 mars 2008 avec Alain, 45 ans, cadre d'une entreprise d'ingénierie en télécommunications d'une centaine de salariés. Le père d'Alain était ingénieur, sa mère était au foyer. Il est titulaire d'une maîtrise d'histoire et d'une maîtrise d'économie.
-
[21]
Nous n'avons ainsi pas pu assister à ce type de commission. En tant qu'extérieur au groupe, nous n'avions pas et n'allions pas payer ce coût d'entrée symbolique qui, seul, fonde la légitimité à écouter et conseiller un adhérent.
-
[22]
Entretien du 6 février 2008 avec Anne, 47 ans, dirigeante d'une agence immobilière comptant deux salariés. Anne est issue d'un milieu « modeste » : son père était boulanger et sa mère femme de ménage ; elle est diplômée d'une école normale primaire.
-
[23]
Entretien du 7 décembre 2007.
-
[24]
Entretien du vendredi 29 mai 2009 avec Louis, 60 ans, consultant en formation, fils d'instituteurs et titulaire d'un DEUG de gestion. Louis comptait parmi les responsables nationaux du CJD au milieu des années 1990.
-
[25]
Entretien avec Thomas, déjà cité.
-
[26]
Entretien du 18 mars 2008. Martine, 52 ans, a eu des responsabilités nationales au CJD au début des années 2000. Elle est issue d'une famille d'artistes du cirque et est docteure en géographie.
-
[27]
Entretien avec François, ingénieur de formation et héritier d'une entreprise industrielle de 70 salariés, 24 février 2009. François, 68 ans, a été président national du mouvement au début des années 1980.
-
[28]
L'article de Michel Offerlé dans ce dossier témoigne de ce que le CJD n'est pas le seul mouvement où les candidats aux responsabilités ne se bousculent pas.
-
[29]
Pour une illustration récente de l'ambiance festive des congrès, voir notamment « TGV Bordeaux-Lille, les jeunes patrons étaient-ils ivres ? », L'Express.fr, 20/06/2014.
-
[30]
Nous n'avons pas intégré, dans cette modélisation de l'engagement au sein du CJD, de facteurs plus structurels, comme l'existence de militants parmi les parents ou les proches, le passage par les scouts ou par des organisations de jeunesse : syndicats étudiants ou associations d'élèves dans les écoles de commerce ou d'ingénieur. Nos deux enquêtes ne nous ont pas conduit à considérer ces facteurs comme étant des déterminants de l'engagement.
-
[31]
Pour une histoire de la notion de « réforme de l'entreprise », voir Chatriot (2012).
-
[32]
L'APM se propose, comme le CJD, d'améliorer les pratiques professionnelles des dirigeants d'entreprise.
-
[33]
En nous basant sur les annuaires du CNPF/MEDEF édités entre 1980 et 2010, qui contiennent des informations sur les responsables des syndicats patronaux de base, des fédérations patronales, des unions locales et de la confédération, nous avons trouvé qu'environ un tiers des membres du bureau national du CJD avaient compté parmi les responsables de ces structures syndicales diverses, ce qui nous semble être un chiffre important. En revanche, nous n'avons réussi à produire aucun chiffre concernant la présence dans les CCI d'anciens membres du bureau national, car il aurait fallu aller chercher dans les annuaires de chaque CCI, sur une période d'une trentaine d'années.
-
[34]
Nous remercions M. Offerlé, C. Hmed et les lecteurs anonymes de Sociétés Contemporaines, de la relecture qu'ils ont faite de ce texte. Nous demeurons bien entendu seul responsable de ses erreurs et insuffisances.