Couverture de SOCO_064

Article de revue

Pierre Bourdieu au Val Fourré : de quelques obstacles à la réception profane d'une sociologie critique

Pages 115 à 133

Notes

  • [1]
    Créée en 1993, l’association Points Cardinaux s’est donnée pour objectif d’inscrire l’égalité au cœur du projet politique (Association Points Cardinaux, 2002).
  • [2]
    Pour situer Pierre Bourdieu dans le répertoire des figures de l’engagement qui jalonnent l’histoire du champ intellectuel en France, voir Gérard Mauger (1995).
  • [3]
    Radio scolaire créée en 1988 au sein du collège André Chénier, au centre du Val Fourré, Radio Droit de Cité s’est affranchie de l’éducation nationale le 18 juillet 2001, à la suite de l’autorisation du CSA d’émettre sur la fréquence 95.5 FM.
  • [4]
    Catégorie de classement indigène, « racaille » est souvent utilisé par les « jeunes des cités » pour se désigner eux-mêmes. Plutôt qu’un pôle délinquant, l’épithète vise alors, par autodérision, la synecdoque dont ils ne cessent d’être l’objet.
  • [5]
    Selon le recensement de la population de Mantes-la-Jolie en 1999, les ouvriers sont 7068, dont 28.2 % au chômage. Ils représentent 38.9 % de la population active. Si on leur adjoint les employés, au nombre de 5918, les deux catégories donnent une idée de l’importance relative des « classes populaires » dans l’espace social local : 71,5 % du total des actifs.
  • [6]
    Satan.
  • [7]
    Il s’agit d’une reconstruction logique qui tente de rendre compte d’une configuration et non d’une description chronologique.
  • [8]
    S’ils ne sont pas référencés, tous les propos de Bourdieu repris dans le texte ont été tenus par lui durant la conférence-débat du Chaplin.
  • [9]
    C’est Stéphane Bernard qui lui souffle alors avec un sourire : « J’y crois ! ».
  • [10]
    Il y a dans son intervention autre chose qu’un discours contre l’école, ce qu’entend Bourdieu. Parce qu’elle est quotidiennement en contact avec des mères d’élèves, elle cumule des informations plus ou moins élaborées sur les perceptions populaires des transformations actuelles du système scolaire local.
  • [11]
    Faut-il rappeler qu’« à la violence symbolique, comme violence méconnue et reconnue, donc légitime, s’oppose la prise de conscience de l’arbitraire qui dépossède les dominants d’une part de leur force symbolique en abolissant la méconnaissance » (Bourdieu, 1980, note 27, p. 230).
  • [12]
    Échantillon raisonné construit par l’analyse, il est constitué d’intervenants et de spectateurs dont la configuration reflète au mieux la structure de l’espace des réceptions.
English version

1Le 1er décembre 1999, Pierre Bourdieu vient pour la première fois au Val Fourré, à l’invitation d’une association parisienne, Points Cardinaux  [1] et de la radio locale Radio Droit de Cité (RDC), auxquels se sont joints la Ligue des Droits de l’Homme du Mantois et la librairie La Réserve. Il est prévu qu’il participe à une émission de radio de 18 à 19 heures sur le thème des « Inégalités face à l’éducation et à la culture », puis, dans la soirée, à une rencontre-débat au Centre culturel Le Chaplin du Val Fourré.

2Sans doute peut-on inscrire cette « visite » dans le prolongement des efforts faits, en particulier depuis décembre 1995, pour « faire sortir les savoirs hors de la cité savante » (Bourdieu, 2001). Il s’agit alors de chercher à associer les chercheurs aux militants du « mouvement social » pour former un « intellectuel collectif » et montrer pratiquement que, loin de s’opposer, sciences sociales et militantisme peuvent constituer les deux aspects d’un travail de transformation sociale. Sous une forme particulière, la démarche répond à la vieille question de l’utilité de la sociologie, continuellement reformulée depuis Durkheim, à laquelle Bourdieu a donné, en parlant de « savoir engagé », une orientation particulière. C’est dans une conférence qu’il a faite à Chicago qu’est ainsi désigné l’engagement des intellectuels  [2] (savants, écrivains, artistes) auprès des militants du « mouvement social » tel qu’il a tenté – en vain – de s’organiser en France après décembre 1995 et que Bourdieu a essayé d’élargir au cadre européen. Il n’est pas indifférent de savoir que cette conférence a été tenue en décembre 1999 dans les jours qui ont suivi sa présence au Val Fourré (Pour un savoir engagé, Bourdieu, 2001).

NOTE MÉTHODOLOGIQUE

Cette analyse de la visite de Pierre Bourdieu au Val Fourré reconstitue, apparemment, un simple événement où se cristallisent les interactions suscitées par une rencontre. Elle s’inscrit dans le cours d’une enquête ethnographique que j’ai engagée depuis une douzaine d’années, dans le cadre d’une thèse sur les jeunes des classes populaires, dirigée par Gérard Mauger.
En amont, la connaissance du terrain a permis de situer les principaux protagonistes dans l’espace des luttes sociales locales, et de mettre en relation leurs comportements avec les principales propriétés qui les caractérisent.
J’ai enregistré la totalité des débats qui se sont déroulés lors de la conférence de Pierre Bourdieu et bénéficié du travail de Marie Dolez, documentariste de Mantes-la-Jolie, qui a filmé – malheureusement en partie seulement – son passage à la radio, outre la conférence. L’observation s’est déroulée à partir de la position la plus élevée et la plus éloignée de la scène, permettant d’embrasser l’ensemble du public.
En aval, Nasser Tafferant, alors étudiant en sociologie, qui était présent lors de l’émission de radio et la conférence, m’a aidé à analyser les images de Marie Dolez et celles de la fin du film de Pierre Carle, La sociologie est un sport de combat. Il m’a également rapporté de nombreuses informations sur les discours de la jeunesse populaire du Val Fourré avant et après l’événement. Dans de longues discussions, Christophe Gaubert m’a aidé à réfléchir.
Il faut considérer cette description comme celle d’un cas qui, au fond, ne doit rien au hasard. Singulière, elle est aussi une conséquence de déterminations générales qui posent le problème générique des relations susceptibles de se nouer entre un sociologue (ou plus généralement un « intellectuel ») et les classes populaires (« le peuple »). Parce que Pierre Bourdieu détient le capital symbolique que l’on sait, la forme des interactions s’en trouve exacerbée ; pourtant, ce n’est pas lui, personnellement, qui est interrogé ici, mais la logique d’un ordre social.

3Mais cette intervention au Val Fourré ne s’adresse pas seulement à des militants qui connaissent plus ou moins les concepts qu’il emploie dans leur portée analytique et politique, parce qu’ils les ont acquis, directement pour certains par la fréquentation de ses ouvrages ou, plus souvent, à travers les digests de la presse syndicale et dans les débats internes aux organisations. Une population très diverse sous le rapport des ressources scolaires ou de l’investissement militant, qui comprend certes des militants d’origines multiples, mais plus encore des curieux, des habitants peu investis dans l’action politique, des travailleurs sociaux, des jeunes, dont la présence répond à des intérêts divers, est venue l’écouter. Que se passe-t-il alors ? Le sociologue, analyste des rapports de domination, n’est plus sur un terrain somme toute confortable où les règles du jeu sont plus ou moins connues de tous, comme c’est le cas lorsqu’il est confronté à des journalistes, des intellectuels médiatiques ou des hommes politiques. S’il y a des coûts sociaux pour un intellectuel à « transgresser la frontière du sacré académique » en intervenant hors de son champ (Instituer efficacement l’attitude critique, Bourdieu, 2002), ce public reconnaît néanmoins la valeur du capital scolaire (parce qu’il la connaît pour l’avoir acquise à l’école) et/ou du capital scientifique (sociologique en l’occurrence) : les « horizons d’attente » sont proches. Au Val Fourré, le sociologue entre dans les contradictions d’un monde social diversifié, que les rites d’une émission de radio ou la cérémonie d’une conférencedébat publique ne suffisent pas à stabiliser : il y a des coûts à s’exposer au profane. Pierre Bourdieu est alors très loin des conditions ordinaires de réception de sa pensée.

4On se propose d’abord d’examiner la genèse de cette rencontre, de restituer ensuite les modalités de cette conférence-débat qui, rapidement, devient une scène d’affrontements, avant de s’interroger sur la signification d’une réception diversifiée d’un savoir qui se veut engagé.

1. GENÈSE D’UNE RENCONTRE

5Cette rencontre peut s’analyser comme celle d’une trajectoire – celle de Pierre Bourdieu – avec un espace local qui a lui-même une histoire. Elle prend ici la forme d’un ensemble d’interactions qui se nouent d’une part avec les promoteurs et les organisateurs de l’invitation, et, d’autre part, avec le public dans ses différentes composantes. La genèse de cette rencontre renvoie à trois questions : pourquoi les promoteurs invitent-ils Pierre Bourdieu ? Pourquoi accepte-t-il l’invitation ? Pourquoi le public vient-il ?

1.1. INVITER PIERRE BOURDIEU

6Si, sous des modalités et à des degrés différents, les promoteurs sont plutôt des militants de valeurs universelles qui rejoignent en cela la démarche de Pierre Bourdieu, ils ont aussi, dans cette entreprise, des intérêts divers liés à leurs propres entreprises. Points Cardinaux cherche, en animant une émission mensuelle politique « de qualité » sur Radio Droit de Cité (RDC), à apporter un peu de « lumière » dans ce quartier délaissé, et réalise là une des émissions qui atteint le mieux son objectif. L’équipe de RDC trouve dans ce type d’initiatives de quoi construire une légitimité en phase avec son sigle qui lui permet de contrebalancer le format musical, hégémonique sur ses ondes. La Ligue des Droits de l’Homme du Mantois, qui a bien du mal à assurer ses permanences faute de militants, rappelle sa présence obstinée. La Réserve, librairie associative qui depuis plus de vingt ans réussit à maintenir une diffusion de la « haute » culture, en faisant régulièrement venir des écrivains pour débattre de leurs œuvres, consolide sa position.

7Interlocuteurs, ces promoteurs apparaissent comme les médiateurs du rapport de Pierre Bourdieu avec le public : ils vont l’avertir, le conseiller, le diriger dans un espace qu’il ne connaît pas et le protéger.

8Lors de l’émission à RDC s’établit le premier contact en direct avec un animateur de RDC et un représentant de Points Cardinaux. Si l’émission est publique, le public se réduit ici à quelques personnes présentes dans la salle de classe qui sert de studio d’enregistrement. Cette première phase « intime » pèse sur la manière dont Pierre Bourdieu perçoit la situation locale et l’ambiance d’un espace géographique et social : tamisée. Elle se termine par un repas rapide au Val Royal, la brasserie de la « dalle », spécialement ouverte ce soir-là à la demande de RDC. Après avoir demandé comment allait se dérouler le débat – la réponse tient en trois phrases –, il reste sans trop voir qui est autour de la table, ne s’engageant pas dans une conversation avec les gens présents, à la différence des militants de passage qui arrivent dans un monde qu’ils ne connaissent pas et qui posent des questions. Il faut dire qu’il était sans doute malade : très fatigué, il a demandé de suite de l’eau pour prendre des médicaments.

9Cette protection rapprochée se prolonge lors de la rencontre au centre culturel où tous l’entourent, y compris sur scène (deux organisateurs l’encadrent) : elle s’avérera efficace lorsqu’il sera bousculé. Stéphane Bernard, le responsable de la librairie La Réserve, le conduit au sens propre dans ses prises de parole à travers le dédale des intervenants qui s’adressent à lui : « Mon rôle, ça a été de lui dire au fur et à mesure qui était qui ! ». C’est lui qui a eu la charge la plus importante. Ses dispositions intellectuelles, son statut de notable (libraire réputé) et de militant politique connu et connaissant bien le champ politique et associatif local (il est responsable chez les Verts) légitiment son rôle d’animateur et de régulateur de la soirée. Tantôt il neutralise l’ardeur excédée de Pierre Bourdieu face à tel intervenant, tantôt il se dresse contre le sacrilège des profanateurs, mobilisant son propre capital symbolique pour soutenir explicitement l’invité.

10Dans cette rencontre, les différents organisateurs s’en tiennent à ce rôle de médiation ou d’interface : aucun d’entre eux ne revendique explicitement une participation au « mouvement social », et chacun fonctionne plutôt comme une garde rapprochée s’efforçant de mettre en valeur « le savant ».

1.2. ACCEPTER DE VENIR AU VAL FOURRÉ

11Pour comprendre la présence de Pierre Bourdieu au Val Fourré, on peut s’en remettre à ce qu’il dit de sa vision de « l’engagement » des sociologues. Il s’agit d’associer des « chercheurs indépendants » au « mouvement social », d’abandonner le devoir de réserve que s’imposent généralement les savants, de sortir de la « dichotomie entre scholarship et commitment » pour la transformer en « scholarship with commitment », en savoir engagé, afin de mettre une connaissance rigoureuse au service de transformations sociales effectives. Au cours des premières minutes de son interview à la radio, son interlocuteur semble à l’unisson :

12

Bourdieu : Je vais encourager les sociologues que je connais à venir étudier ce que vous faites ici, parce que…
Adile, animateur de RDC : Ils seront les bienvenus.
Bourdieu : Je pense que ça pourrait vous être utile d’avoir leurs diagnostics, leurs regards, etc. Et aussi parce que je pense que c’est une expérience exemplaire, c’est-à-dire qu’on a un point de départ éducatif, un espèce de jeu pédagogique avec tout ce que ça a de gratuit, etc. et puis ça devient une expérience professionnelle qui s’autonomise peu à peu, par rapport à une association éducative, avec les difficultés que ça implique. Enfin bon. Et je trouve ça tout à fait formidable  [3]. Maintenant pourquoi je viens ? Parce que ça m’intéresse. Et parce que je pense que peut-être ma venue peut contribuer à l’entreprise un tout petit peu.

13Pourtant, très vite, l’interaction cafouille : la dissymétrie des relations qu’impose son capital symbolique l’emporte. La condescendance ne serait pas loin si Bourdieu ne se savait pas pris dans ces relations (par exemple, Bourdieu, 2002b). Il insiste maladroitement sur sa sincérité en gratifiant son interlocuteur de son admiration :

14

Bourdieu : Ce que j’ai vu de votre équipement, votre professionnalisme, ce
que je viens d’entendre ici, c’est vrai, je trouve ça réellement très admirable,
bon je le dis sincèrement.
Adile : Merci.
Bourdieu : non, non, mais je le pense, vraiment.

15Dominant dominé par sa domination, il ne sait qu’en faire. Surtout lorsqu’il s’agit d’improviser une analyse sociologique. Il esquive ainsi une question sur le quartier du Val Fourré :

16

Adile : (…) une cité dortoir qui a défrayé la chronique, certains disent un ghetto. Aux yeux du sociologue, comment s’explique l’existence d’un tel lieu, et quels enseignements en tire-t-on, et que trahit-il donc de notre société ?
Bref qu’en pense le sociologue ? (…)
Bourdieu : Bon là, c’est typiquement, je dis très souvent ça, et avec vous j’ose, parce que vous êtes sympathique, vous êtes gentil, vous êtes jeune, vous allez bien le prendre, mais votre question est une excellente question, vraiment, je ne le dis pas encore une fois par politesse, mais ce que je pourrais faire de plus important, ce serait d’élaborer la question, c’est à dire de discuter avec vous pendant...il faudrait du temps pour que la question soit telle que je puisse y répondre. Telle qu’elle est posée, je ne peux pas y répondre.

17La question est excellente, mais il faut l’élaborer pour pouvoir y répondre… Il ne cessera plus de dire que les questions posées sont difficiles et que, faute de temps, il ne peut pas y répondre dans ce cadre. Il finira par s’en remettre, après l’émission, à de jeunes disciples :

18

Bourdieu : Moi ça m’a beaucoup plu, vraiment... et je pense que ce que j’ai dit est sincère, je pense que c’est un truc qui est très important. Je vais envoyer Poupeau là, le garçon dont j’ai parlé là.
Adile : D’accord.
Bourdieu : Il s’appelle Franck Poupeau, c’est un garçon formidable, il est joueur de rugby. C’est un type très, très dynamique et qui a fait sa thèse sur le mouvement du 93 (Poupeau, 2001). Je vais lui dire de venir là, au moins pour passer une après-midi comme ça, parler avec vous.
Adile : Il peut débarquer à n’importe quel moment, ici je veux dire, sans aucun problème...

19On ne sait plus trop s’il est venu délivrer un message ou venu en chercher un. Le « savoir engagé » s’éloigne. En fait, la question posée est celle de la présence d’un sociologue au Val Fourré. Que peut-il faire d’autre que s’y promener ou enquêter ?

20Ainsi, au-delà de la valeur symbolique du déplacement d’un professeur du Collège de France dans une cité ouvrière majoritairement peuplée d’immigrés, à la réputation sulfureuse, sa présence fait d’emblée surgir un ensemble de difficultés.

1.3. LA PRÉSENCE DU PUBLIC

21Quant au public, venu nombreux à la conférence-débat qui se déroule en plein centre du Val Fourré, il n’est pas plus facile, faute de pouvoir identifier précisément ceux qui le composent, d’en cerner les propriétés que de comprendre les raisons de sa présence. On compte environ 400 personnes qui débordent largement sur les deux allées côtières les 300 places assises en déclivité. Il est assez insolite de voir cette salle bondée : mises à part les projections scolaires et quelques rares manifestations culturelles communautaires, elle est habituellement utilisée pour des projections cinématographiques auxquelles n’assistent que trois ou quatre personnes (fréquemment annulées quand le spectateur solitaire n’a pas pris la précaution de venir accompagné). Ce soir-là, elle est envahie par un public bigarré et bruyant.

22Quelques traits peuvent néanmoins être relevés. C’est d’abord l’absence de personnalités ou de représentants identifiables de l’univers politique local, et, à l’inverse, une forte concentration de militants politiques ou associatifs de base qui ordinairement ne se rencontrent jamais, tout occupés qu’ils sont à labourer leur petit territoire. C’est la première fois (depuis 1968 disent les plus anciens) qu’un tel aimant a la capacité d’attirer dans le même lieu des forces sociales aussi diverses, avec, de surcroît, la cohorte de ceux qui sont investis dans le travail social, l’animation culturelle et l’enseignement, avec ou sans statut, animateurs et éducateurs, emploisjeunes et CES, professeurs d’école, de collège et de lycée et à peu près autant d’étudiants et de lycéens. Et puis les curieux : du pôle « mondain » du centre-ville ou des villages alentour, qui ne fréquente pas d’habitude les débats publics, au pôle « racaille  [4] » du Val Fourré ou d’autres cités du Mantois. Un absent visible : les ouvriers se comptent sur les doigts d’une main  [5].

23On peut aussi rechercher un ordre dans la répartition spatiale du public après que les mouvements se soient stabilisés. La métaphore de l’aimant ou du « foyer central » est utile. Au plus près de la scène, vers le bas, s’accumule du capital. S’y sont installés les plus vieux, les enseignants, les « notables » ou membres d’association reconnus dans l’univers militant local, ainsi que la petite bourgeoisie curieuse. Ils résident plutôt dans le centre ou dans les communes rurales proches. Au fur à mesure que l’on s’élève dans l’espace de la salle et qu’on s’éloigne de son axe central, on descend dans la hiérarchie des ressources : il y a plus de jeunes dans le fond, notamment les jeunes badauds à casquette, amenés par le Point Écoute Jeunes (le PEJ), association implantée dans le quartier des Écrivains, proche du Chaplin, plus d’habitants du Val Fourré, de sans-emploi ou de précaires. C’est là que je me trouve, toute l’étendue de la salle sous les yeux. Occupant une position intermédiaire, beaucoup d’étudiants du Val Fourré se sont agrégés, à distance de « l’ombre » de leur quartier et de la « lumière » du savant.

24On peut, sans trop de risque, avancer que la répartition spatiale reflète approximativement le volume et la structure du capital de chacun : au plus près ceux qui cumulent trois ou quatre espèces de capital (scolaire, politique, associatif) ; au plus loin ou dans la périphérie les plus démunis.

25On peut enfin classer les composantes du public en fonction de leurs comportements pendant le débat : des onze personnes qui se risquent à prendre le micro pour une intervention publique, aux trois jeunes à casquette qui partent au bout de vingt minutes, ne supportant plus la « prise de tête ». Un groupe de supporters adverses apparaît aussi à travers les applaudissements, sur fond d’indifférents et de silencieux, tandis qu’à côté des brouhahas réactifs aux événements en cours, se prolongent les petits bavardages à propos d’autres choses.

2. LA RENCONTRE-DÉBAT : UNE SCÈNE DE LUTTES

26Lorsque Bourdieu prend la parole, après une phase de présentation et une première question du président de Points Cardinaux, je crains le pire. Il commence, en effet, comme un cours au Collège de France. Il déploie sa pensée, dans son style propre, avec rigueur, mais un peu crispé. L’habitué de ses grilles d’analyse se laisse prendre dans une réflexion dont les dispositifs stimulent et produisent de l’intelligibilité : il en ressort enrichi. Mais que se passe-t-il quand on s’adresse à ce public hétérogène dont la connaissance de l’œuvre et de l’auteur de l’œuvre, la familiarité avec ce type de questionnement sont très inégalement distribués ?

27Les premières minutes sont laborieuses : il est parti trop compliqué, il se cherche. À côté de moi, en haut, dans un coin du fond de la salle, Hassan, un jeune habitué du PEJ, sans diplôme et « en galère », se lance dans un commentaire ininterrompu pendant toute la réunion : « Il a envie de ne rien dire ! » s’exclame-t-il au bout de cinq minutes. Mais, progressivement, Bourdieu devient plus clair, sans doute plus calme aussi. La sérénité retrouvée sera de courte durée. Avec le premier intervenant du public, Mounir, une sorte de combat s’engage qui ne cessera plus jusqu’à la fin de la réunion. La première tension concerne les règles du jeu. À un autre niveau, il s’agit de définir le contenu du débat. L’enjeu, pour les uns et pour les autres, est la reconnaissance à obtenir.

2.1. DÉBAT SUR LES RÈGLES DU DÉBAT

28Tout au long des interventions, les règles du jeu de la réunion-débat sont mises en discussion : il s’agit de définir le type de relations qu’il est possible de nouer entre l’invité et son public. Deux camps se distinguent. L’un rassemble ceux qui souhaitent un déroulement pacifié des échanges et le succès de la soirée : ce sont les organisateurs. Ils défendent une organisation classique de la conférence-débat qui fait de l’invité le foyer des interactions : Bourdieu est là, on lui pose des questions, il répond. Pour eux, il est hors de question de laisser libre cours à des monologues ou à des dialogues entre intervenants dans la salle.

29Pour le camp opposé, on ne discute pas avec Bourdieu : « on en a vu d’autres, des sociologues et ils ne nous ont rien apporté ». Ils déstabilisent l’ordre de la cérémonie en nouant des échanges entre leaders de la cité : Bourdieu devient un prétexte permettant un débat entre soi, et, accessoirement, avec d’autres.

30D’autres encore, qu’on entend peu, mais peut-être nombreux, souhaitent que soient respectées toutes les formes d’intervention : les questions-réponses ayant Bourdieu comme interlocuteur privilégié, comme le débat dans la salle entre habitants du quartier, que certains voudraient imposer.

31Ainsi enclenchée, la lutte qui se déroule ne concerne pas seulement l’ordre réglé de la réunion-débat, mais elle engage aussi un débat sur ce que doit être le contenu du débat : son caractère « intellectuel » ou non, le rôle de l’intellectuel en général et du sociologue en particulier. Stéphane apostrophe : « On est là pour un débat intellectuel ». Mounir, à qui on ne la fait pas, debout toute la soirée mains dans les poches contre le mur de droite vers le fond de la salle, oppose une attitude virile : « Je ne suis pas venu pour ça ! ».

32On observera qu’un service d’ordre, discret mais efficace, composé de quelques jeunes du quartier, a été organisé pour assurer le bon déroulement de la réunion. En fin de soirée, il sera amené à expulser un jeune homme qui, sous l’effet de l’alcool et de la drogue, debout dans l’allée, une bouteille dans la main, se fait menaçant. Hurlant :

33

« Ta mère, ta mère ! ta mèèèère, ta mère !… Je suis jeune, j’ai 26 ans. J’aime
les jeunes, j’aime pas les vieux !… Dieu il est beau ! Y a que bon, y a pas de
con ! Le con c’est chetan  [6] ! Ah ! celui qu’on voit pas, celui qui dit : pardon,
je m’excuse ! Tu sais ce qui se passe ? Tu vas mourir ! T’es mort ! Vous êtes
tous morts ! Devineeeeez ! »

34On a tendance à l’oublier : l’ordre symbolique ne peut pleinement s’imposer qu’à la condition d’un maintien de l’ordre physique (Terray, 2002).

2.2. LUTTE POUR LA RECONNAISSANCE

35Dans cette lutte symbolique pour la reconnaissance (Bourdieu, 1997, p. 284) sont investis des intérêts différents qu’il s’agit de faire valoir. Essayons d’en dresser la configuration à partir d’une reconstruction  [7] des interactions.

Le pôle de résistance

36Un double pôle de résistance à la domination culturelle se manifeste clairement : en s’opposant frontalement à Bourdieu pour Mounir ; en niant plus subtilement sa présence pour finir par en tirer profit pour Saïd. Du point de vue du quartier, ces deux pôles ne font qu’un : leaders d’une quarantaine d’années, dans l’univers associatif, ils sont bien connus, parlent au nom du quartier, s’y identifient et sont identifiés comme tels. Ils se distinguent pourtant par leurs ressources et leurs dispositions.

37Mounir est le premier à inaugurer au bout d’une demi-heure les questions du public. Il adopte d’emblée une stratégie offensive qui va infléchir le déroulement de la réunion. Dans son association, Oxygène, il dirige une salle de boxe et s’affiche comme pugiliste sûr de sa force physique. Il commence par appeler Bourdieu « José » – ce qui fait rire l’assistance – et met tranquillement en œuvre une stratégie de déstabilisation. Il s’en prend principalement aux sociologues qui viennent dans les quartiers, ces « psychiatres de banlieues » qui, de passage, n’apportent rien. Il le fait sans excès, assez froidement :

38

« Et pour nous, du matin au soir, ça ne change pas. Donc je pense que la part de responsabilité du politique, elle incombe aussi au sociologue en général.
Pas vous spécialement parce que je ne vous connais pas ! » [Rires et applaudissements]

39L’appelant par un autre nom, affectant de ne pas le connaître, il est sur son terrain, et entreprend de « se payer Bourdieu » selon l’expression de Stéphane Bernard. C’est très clairement la catégorie des intellectuels qui est visée, qu’il méprise ostensiblement. Et ça marche. Bourdieu est atteint. Il n’a pas supporté la réaction d’une partie de la salle qui applaudit Mounir : « Pardon. Je vous demande de ne pas applaudir parce que la vérité ne se mesure pas à l’applaudimètre[8] ». Un silence tombe sur l’assistance, mal à l’aise. Pourtant il rentre dans le jeu. À Mounir qui tente de répondre, il lance : « Non, mais ce n’est pas à vous que je m’adresse ! », provoquant quelques rires. Ensuite, il surenchérit dans la critique des sociologues, ce qui ne sera pas toujours bien compris. Un peu plus tard, Mounir reprendra son travail de sape, non pas en jouant le « terrain » (la pratique) contre l’« intellectuel » (la théorie), mais en assimilant le capital culturel de Bourdieu à du capital économique :

40

« Qu’est-ce que tu veux qu’un sociologue ait une visibilité quand il touche 40
ou 50 000F ? C’est ça la vérité, c’est une question d’argent. »

41Les harcèlements systématiques se poursuivent.

42Saïd, lui, intervient dans le dernier tiers de la réunion. Il ne voit pas l’intérêt de la présence du sociologue, se met en position d’extériorité, comme s’il refusait d’entrer dans le jeu, au nom d’un « nous » de quartier irréductible dont le désespoir ne peut être entamé par la présence de Bourdieu : « Ça sert à rien Bourdieu il est là ! ». À la fin de son intervention, il refuse la rencontre-débat et récuse l’interlocuteur : « Voilà quoi, j’ai fini. Maintenant, si vous voulez parler à Bourdieu, c’est pas Dieu, c’est Bourdieu. Il faut pas se tromper ! ». Mais, à l’inverse de Mounir, il tient un discours sur la misère du monde qu’il vit quotidiennement et sur laquelle il a pu réfléchir en prenant la distance et le temps qu’autorise une vocation d’« artiste ». Il commence son propos en s’attaquant à ses concurrents, les « artistes parisiens », sur le mode : ils viennent prendre la place des autochtones, et nous quand on va à Paris, on est traités comme des moins que rien, « on est toujours recalés ». Plus tard, s’adressant à Bourdieu après la réunion, il dira : « On est des sociologues de gouttières ». Tout en affectant une distance, il se situe dans le même registre en manifestant son intérêt pour les mêmes enjeux (l’analyse du quartier). Sa « résistance » se situe sur le même terrain : celui de la compréhension du monde social qu’il élabore « à sa manière ». Il trouvera ainsi une reconnaissance. Bourdieu lui accorde publiquement une sorte d’investiture, en se disant pleinement d’accord sur le constat, mais en désaccord sur la conclusion : « Là, je m’adresse à lui. Pourquoi conclure de manière très pessimiste ? ». La distance affichée en public par Saïd se transforme en recherche de la proximité dans le petit cercle privé de l’après-rencontre : il ira même jusqu’à demander à Bourdieu l’adresse où on peut le joindre. Et lorsque, plus tard, Saïd montera une exposition à la Villette sur l’histoire de l’immigration au Val Fourré, Bourdieu viendra le voir, et il vivra cette visite comme une consécration.

43À la différence de Mounir qui oppose son capital physique au capital culturel de Bourdieu, luttant ainsi pour le principe dominant de domination (la force vs le savoir), Saïd entre dans le jeu du sociologue : il a les dispositions et les ressources qui lui permettent d’en tirer des profits symboliques.

44Cette double « résistance » cristallise contre elle l’opposition d’« alliés » du sociologue dont l’expression est diversifiée.

Les alliés

45Deux groupes, militants intellectuels, d’une part, jeunes entrepreneurs, d’autre part, s’opposent aux récalcitrants. Un autre intervenant, militant ouvrier, recentre le débat.

46Les militants intellectuels, étudiants investis dans des associations socioculturelles, connaissent Bourdieu et l’apprécient. Il y a d’abord Othmane, étudiant en chimie, militant musulman et lecteur assidu du Monde Diplomatique. Il prend au sérieux la présence de Bourdieu et le remercie « pour tous les travaux qu’ils ont fait, et l’association Raisons d’agir qui nous apporte beaucoup et qui, j’espère, vont nous apporter un peu plus pour comprendre le monde dans lequel on vit ». Il insiste sur le fait qu’il a eu, lui, la « décence de préparer une question » et se lance dans un discours sur l’identité, distinguant « assimilationniste », « communautariste », « isolationniste » et « intégrationniste », ce qui lui attire les quolibets d’un ou deux spectateurs et de Mounir qui lui lancera : « Tu peux pas parler plus simple s’il te plaît ? Parle la France ! », ou l’incompréhension de mon voisin Hassan : « On est au Val Fourré, parle à notre niveau, là ! ». Son intervention sur le thème de l’intégration et de l’immigration rencontre un écho favorable chez Bourdieu, qui appelle au respect d’Othmane quand il est interpellé sur le manque de simplicité de son vocabulaire. Mais les propos d’Othmane renforcent l’anti-intellectualisme d’une partie du public.

47Ensuite Aymé intervient explicitement pour remettre le débat sur des rails que, selon lui, il n’aurait jamais dû quitter :

48

Je crois que ce qu’il nous dit depuis tout à l’heure, sa démarche, c’est de déconstruire tous les schémas qu’on nous a inculqués depuis notre plus tendre enfance pour essayer (…) de tendre vers l’égalité...

49Bourdieu le remercie :

50

Alors je m’adresse à Aymé. Je le remercie beaucoup pour ce qu’il a dit parce
qu’il a donné une image idéale de ce que je peux faire. Ça fait plaisir parce
que c’est un peu ce que je veux faire.

51D’autant plus qu’Aymé lui a posé une question sur la rencontre que Bourdieu a eu peu de temps auparavant avec des grands patrons. La question le remet en selle :

52

À mon étonnement, on m’a demandé d’aller parler à ces gens. (…) J’ai lu mon papier, en essayant d’apparaître aussi compétent qu’eux sur leur propre terrain…À mon grand étonnement, ils m’ont répondu. Faiblement, parfois lamentablement. Mais ils m’ont pris au sérieux. Je dis pas ça par…ça prouve que les intellectuels, quand ils font leur boulot, avec leurs petites armes, leurs petits bras, rompus de petite force, ils peuvent ! ».
Mais lorsque Bourdieu fait la leçon aux professeurs, Hassan réagit assez mal :

53

Bourdieu : Quand j’ai dit tout à l’heure très vite que Monsieur Allègre était sans même le savoir l’agent d’un processus de néo-libéralisation, de quasi-privatisation du système scolaire, etc., je pensais que ça surprendrait beaucoup de professeurs qui n’ont pas encore pris conscience de ça.
Hassan (pantois) : « Les professeurs, ils ont pas compris », c’est ce qu’il a dit ?

54De même lorsque Bourdieu compare le public du Chaplin au syndicat de la médecine générale :

55

Bourdieu : Quand j’ai été parler chez les médecins, ils étaient beaucoup plus gentils que vous et moins emmerdants. [Rires] Je peux vous le dire !
Hassan (interpellant Bourdieu du fond de la salle) : Oui mais on a été énervé par rapport à votre vocabulaire. Ouais, on a été…on a été dépassé par rapport à votre vocabulaire, excusez-nous, on n’est pas au même niveau que des médecins, hein !…Il n’accepte pas la vérité !
Joël M. : Il ne t’entend pas.
Hassan : Il m’entend ! Il fait comme les profs, ils ont pas encore compris !
Joël M. : Va prendre le micro !
Hassan : Les RDC, ils vont pas me le donner ! RDC, ils sont où là ? Il nous a comparés à des médecins, des médecins, bac+7, bac+8. On est au Val Fourré. On n’est pas là pour rien, hein ! C’est pas digne d’un sociologue de nous comparer à des médecins, hein !

56Dynamiques, très impressionnés alors par le parcours de Jean-Marie Messier, leur modèle, les jeunes entrepreneurs forment un petit groupe de jeunes qui ont plus de vingt ans. Parmi eux, deux au moins connaîtront dans les années suivantes un succès dans l’entreprise qu’ils ont créée. Ils seront de tous les événements médiatiques et politiques locaux de promotion des « jeunes de quartier » créateurs d’entreprise. Ils se sont aussi engagés dans la vie de la cité où ils ont créé une association visant à promouvoir la « citoyenneté ». Pour l’heure, ils se retrouvent alliés de Bourdieu pour s’opposer aux discours de Mounir et de Saïd. De la même génération qu’Adile, l’animateur de RDC qui a intervi wé Bourdieu, ils sont en phase d’ascension et cherchent à tout prix à se démarquer de la génération précédente : « Il faut se bouger » disent-ils à travers la bouche d’Abdellah. « C’est à nous de nous bouger, c’est à nous de faire les choses, il faut pas attendre que les autres les fassent pour moi ! ». Volontarisme que Bourdieu approuvera lorsqu’il déclarera son désaccord avec la « conclusion pessimiste » de Saïd. Ce n’est pas grâce à eux pourtant que Bourdieu retrouvera momentanément son souffle et un peu de sérénité mais grâce à Jacques, le militant ouvrier.

57Jacques est le seul représentant du « mouvement social » qui prend la parole, sans doute un des derniers établis de l’après-mai 68, encore ouvrier trois décennies plus tard. À Flins depuis le début des années 1970, il a conservé toute sa foi dans la nécessité du « combat de classe ». Il a été de toutes les luttes, mais, après avoir appartenu à différentes organisations politiques révolutionnaires, il n’a jamais vraiment trouvé sa place dans les syndicats. C’est un lettré : il est abonné à une dizaine de journaux et est un des fondateurs associés de la librairie La Réserve, au financement de laquelle il a largement participé. Ce n’est donc pas n’importe quel ouvrier et il est en phase avec Bourdieu dont il a lu au moins La Misère du Monde. Bourdieu se retrouve ainsi face à un interlocuteur qui pose une question dans le registre attendu : « qu’est-ce qu’un intellectuel peut apporter aux luttes ? » Il pourra, pour un temps, développer un discours sur le mouvement social européen et approfondir son analyse des liens entre les intellectuels et « le peuple ». Mais ce renfort d’alliés divers ne suffit cependant pas à faire baisser la tension.

Les sacrifiés

58Un « cinéaste » et une présidente d’association, éloignés des enjeux du débat, font figure de « sacrifiés ».

59Le « cinéaste » est la victime la plus facile : son « sacrifice » rencontre d’emblée le consensus de l’assistance. Bourgeois, pédant, c’est un peu le précieux ridicule. Il a eu son heure de gloire il y a longtemps quand, scénariste, il a travaillé avec Bunuel. Il a pris la parole pour prendre la parole. Et lorsque Bourdieu se plaint qu’il n’y a pas vraiment de questions dans les interventions du public, il veut réagir :

60

Bourdieu : Je vous fais remarquer d’abord qu’il y avait très peu de questions. À part la dernière intervention, j’ai entendu des professions de foi, des explosions d’ego, des tas de choses, mais peu de questions. Donc je suis très embarrassé, pour une question technique, c’est qu’il y a très peu de questions.
J’ai pris des notes...
Le cinéaste :...il y en a une dans ce que j’ai dit.
Bourdieu : Non.
Le cinéaste :...ou tenté de dire.
Bourdieu : Non. Pas du tout. Pas du tout. Pas de question.
Le cinéaste : …Pensez vous vraiment qu’il y a incompatibilité entre la recherche et la...
Bourdieu : Pas de question...[Rires].

61Malgré son désespoir visible, le pauvre homme ne peut échapper au refus de reconnaissance du grand intellectuel qui le toise avec un sourire narquois du haut de sa tribune, au grand plaisir de la salle, hilare.

62Jamila, dernière intervenante, appartient à la population du Val Fourré, et milite dans une association qu’elle préside, Femme 2000, qui, confrontée à l’hostilité de la municipalité, a bien du mal à mener ses activités. Elle se risque sur deux champs de mines : les sociologues et l’école. Elle tente d’abord de réhabiliter les sociologues en s’opposant clairement au discours critique de Mounir, que Bourdieu reprend en partie à son compte, sans comprendre où elle met les pieds :

63

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous monsieur Bourdieu. J’ai rencontré
beaucoup de chercheurs, de sociologues, en particulier ici Adil Jazouli qui est
un grand spécialiste des banlieues, etc., qui y travaillait.

64Elle tient ensuite un discours assez misérabiliste sur les dysfonctionnements de l’école. Bourdieu lui répond brutalement :

65

Je suis bien content d’avoir entendu ça, mais je n’ai rien appris. [Applaudissements] Par exemple, la notion de casier scolaire, j’ai dû écrire ça il y a vingt ans, sur le mode du casier judiciaire. Tout ça, on le sait […] Ce constat, il est fait ; aussi bien local que national, il est fait. Pas par Jazouli, pas par ceux-là.
Dans les pays socialistes, on appelle ça les gens qui viennent peindre l’usine.
Ce ne sont pas des sociologues, je suis désolé. Pour moi c’est pas des collègues, ce sont, ce sont des casseurs de métier, des jaunes. Voilà. Je suis désolé, mais je suis obligé de faire ça, parce que sinon, je ne peux pas me solidariser avec ces gens-là. J’en ai rien à foutre de leur existence, ils ne me gênent en rien, sauf qu’ils peuvent légitimer une certaine révolte générique contre le discours des sociologues et ils peuvent justifier un anti-intellectualisme. Et ça, je suis désolé d’entendre un anti-intellectualisme. Le mouvement ouvrier français a crevé de cet anti-intellectualisme. Le mouvement ouvrier français a été fondé sur une espèce d’ouvriérisme qui autorisait les dirigeants à être bêtes et à demander la bêtise au nom de la discipline de parti. C’est pour ça que je suis obligé de me désolidariser de ces gens. Parce que c’est trop facile de dénoncer ces gens qui sont des, des...oui, des jaunes, ce sont des jaunes, des...je sais pas quoi... qui font semblant de faire un métier et qui en font un autre, ces sortes de police symbolique, des flics symboliques, voilà. C’est grave de ma part de dire ça, je ne le fais jamais. Mais c’est pour faire entendre que cela me touche, mais que je ne couvre pas. Voilà franchement ce que je crois. Alors je pense que parmi les facteurs explicatifs du fait que le mouvement social ne s’organise pas, il y a cet anti-intellectualisme.

66Condensant tous les objets de litiges, autour du rôle du sociologue et de l’intellectuel, la dernière intervention de Jamila fait littéralement exploser toutes les tensions accumulées par Pierre Bourdieu pendant plus de deux heures. Autour de la question de l’anti-intellectualisme populaire, ses réactions focalisent trois problèmes d’inégale difficulté. Le premier est relatif à l’arme du savoir dont il ne faut pas se priver :

67

Quelqu’un a dit [à Mounir] si tu lisais Bourdieu, peut-être que tu trouverais
des choses. En particulier des instruments pour comprendre ça ; en particulier
des armes pour analyser ça ; en particulier toute sorte de choses. Et ça, c’est
pas pour faire de la pub : j’en ai rien à foutre ! C’est pour dire : faites attention
de ne pas laisser votre indignation légitime, cent fois justifiée, vous aveugler
et vous conduire à vous priver d’instruments de connaissance.

68Et, citant La Double absence, d’Abdelmalek Sayad (Sayad, 1997), il ajoute :

69

Il a écrit ce livre pour des gens comme vous ! Alors si vous refusez ça sous
prétexte que c’est un intello, qu’il emploie des grands mots, qu’il parle
d’assimilation et d’intégration, vous êtes des cons, c’est pas possible ! Voilà,
je vous le dis ! C’est pas possible ! [Applaudissements].

70Globalement, la salle est acquise à cette prise de position, même si tous n’en perçoivent pas complètement la portée. Un copain d’Hassan, à côté de moi, s’étonne : « Il les traite de cons, mais ils l’applaudissent ! »

71Par ailleurs, en prenant à partie Jazouli, en le sacrifiant sur l’autel de la « science », en mobilisant le crédit de Sayad « qui, lui, n’était pas un jaune », contre « ceux-là », Bourdieu s’adresse à un public dont il sait qu’il n’a pas la compétence nécessaire pour pouvoir en juger. Apparaît ainsi le risque toujours présent de jouer de l’autorité sans le savoir : ce qui n’est sans doute pas le meilleur moyen de lutter contre l’antiintellectualisme.

72La troisième difficulté porte sur le(s) sens de la circulation des savoirs. La tentation de la penser sur le mode de l’unilatéralité est grande et l’on peut comprendre Bourdieu lorsqu’il dit à Jamila :

73

Vous ne m’avez rien appris, je suis désolé, j’ai lu Sayad. Bon, je pourrais vous en dire qui vous en apprendrait sur vous mêmes, je suis désolé. Je me permets de dire ça avec arrogance, je m’en fous. Voilà. Parce que, parce que, parce que voilà, parce que…  [9] j’y crois. Et je crois que c’est vrai, et je ne vous fais pas des leçons pour votre bien, etc. J’en ai rien à foutre. Mais ne vous privez pas de ces ressources intellectuelles sous prétexte que ça vient d’un intellectuel. Ce n’est pas une maladie d’être intellectuel.

74Pourtant, s’il peut en apprendre sur elle-même à Jamila, il tait ce que Jamila pourrait lui apprendre : non seulement sur les rapports à l’école tels qu’elle peut les percevoir  [10], mais aussi sur la signification de la violence symbolique que le socio-logue a engagé dans ce rapport-là au regard des modalités de transmission et de réception d’un « savoir engagé » pensé comme un moyen de lutter contre l’arbitraire des dominations  [11].

3. LES OBSTACLES À LA DIFFUSION ET À L’APPROPRIATION DES SCHÈMES DE PENSÉE SOCIOLOGIQUES

75Quels enseignements tirer de ce récit ? Les rapports entre le sociologue et les classes populaires ne s’épuisent évidemment pas dans les interactions qui s’établissent avec les intervenants, mais concernent aussi les « publics » dans leur diversité. À cet égard, l’observation des représentations différenciées de la situation étudiée met en évidence différentes attitudes par rapport à la domination culturelle, y compris celle du dominant et appelle à prolonger la réflexion sur le « savoir engagé ».

3.1. RÉCEPTION DIFFÉRENTIELLE DES DOMINÉS

76Au terme de la rencontre, on est bien loin de l’unanimité, y compris parmi les militants politiques ou associatifs de base. Les journalistes, témoins de l’événement, ont semblé se réjouir de ce qu’ils présentent comme l’échec de « l’intellectuel ». Par exemple, dans un numéro daté des 4 et 5 décembre 1999, Paris-Mantes-Poissy titre « à la une » : « Pierre Bourdieu chahuté au Val Fourré ». En page intérieure, l’article est sous-titré : « Le Val Fourré apété” à la figure du sociologue Pierre Bourdieu. À l’espace culturel Le Chaplin, bourré à craquer, quelques mots ont suffi à mettre le doigt sur la contradiction dans laquelle se débat l’intellectuel ». Mais l’on n’apprendra rien de plus sur la consistance de cette « contradiction ».

77Du point de vue de la distribution des intervenants prenant la parole, c’est bien du Val Fourré qu’il s’agit : mis à part le « cinéaste » et une femme qui intervient juste avant Djamila, les neuf autres en sont issus (huit y résident ou y ont résidé longtemps ; un étudiant, qui n’y réside pas, y a mené toute sa scolarité et est toujours bénévole dans une association de soutien scolaire). Mais leurs prises de positions ne recouvrent pas complètement l’ensemble des réceptions qui ont pu être observées.

78On peut décliner cet ensemble en cinq pôles  [12], en fonction du volume et de la nature des ressources possédées. La rencontre avec l’intellectuel varie en proportion des intérêts et des dispositions à l’entendre et ne peut s’opérer que sous condition d’un seuil de ressources. Elle peut être impossible, comme pour les trois jeunes partis très tôt au début de la réunion ou pour le jeune homme expulsé. Un deuxième pôle est composé de ceux qui, disposant de ressources locales limitées, voient dans le refus de la relation le meilleur moyen de se protéger d’une concurrence. Ce protectionnisme suppose d’entretenir l’hostilité jusqu’au bout. Mounir en est le représentant : « Il est prétentieux et arrogant…On n’est pas du même milieu, monsieur, je pense ! ». Un troisième pôle, qui affiche sa bonne volonté culturelle mais dispose de peu de ressources, est partiellement sous le charme. N’ayant pas réussi scolairement et affecté par la précarité quotidienne, les préoccupations proprement scolastiques des « intellectuels » comme les maladresses et les contradictions dans lesquelles se débat Bourdieu, lui sont peu compréhensibles ; sa réception est mitigée. Hassan conserve ainsi une certaine méfiance. Un quatrième pôle regroupe des « travailleurs de la relation sociale et pédagogique » et des militants. Ils partagent assez largement la dénonciation de l’anti-intellectualisme, et sont, de par leurs positions, en affinité avec les problèmes évoqués pendant le débat. Mais ils sont aussi plus directement « concurrents » du sociologue dans la prétention à dire ce qu’est le monde social. Ils peuvent se sentir stigmatisés par certains propos et le message passe parfois mal. Ils sont réticents parce que déçus. Geneviève, par exemple, conseillère d’orientation qui a dépassé la cinquantaine, sympathisante critique du parti socialiste, a été désappointée d’abord par ce qu’elle a perçu comme du mépris :

79

Ce n’était pas le sociologue que j’avais en face de moi. Il utilisait sa casquette de sociologue pour parler en temps que citoyen. Il était méprisant, arrogant, ne répondant pas aux questions et sur une position inacceptable : ‘Moi je suis le sociologue, tous les autres sont des gens qui rentrent dans les combines’, refusant tout autre point de vue possible.

80Ce discours polémique ne nous apporte rien, dit-elle, témoignant ainsi d’un écart entre ses aspirations et la forme d’engagement manifesté par le sociologue. Ses attentes ont aussi été frustrées par le manque patent de reconnaissance du travail social, lorsque Bourdieu a déclaré :

81

Si vous lisez encore la Misère du monde, il y a des témoignages pathétiques de travailleurs sociaux qui savent très bien qu’ils ne servent à rien et qui passent la moitié de leur temps à se faire croire qu’ils servent à quelque chose, autant qu’à le faire croire aux gens à qui ils sont chargés de le faire croire. Il y a beaucoup de professeurs qui savent qu’ils ne servent à rien.

82Un cinquième pôle, enfin, est pleinement pris dans le jeu. Il englobe une partie des militants politiques ou associatifs, des travailleurs sociaux et des enseignants qui se retrouvent pleinement dans le projet de « savoir engagé » parce qu’ils y occupent une place valorisée. S’y ajoutent aussi les nouvelles générations étudiantes. Longtemps après la fin du débat, un groupe de jeunes discute encore passionnément de l’incompréhension qui s’est manifestée. Pour les uns, il faut s’exprimer dans un langage plus simple et accessible à tous (l’intellectuel n’a pas bien fait son travail) ; pour les autres, c’est au public de s’initier à la sociologie (les classes populaires doivent apprendre). Nasser fait partie de ces convertis : il a été quasiment touché par la grâce. Ayant assisté à l’émission de RDC, il a pu s’entretenir quelques instants avec Pierre Bourdieu. Il poursuivait alors des études en licence de sociologie. « Je suis fier de l’avoir vu ! Pour moi, c’est une expérience personnelle intéressante ! ». Il est évidemment sévère vis à vis de ceux qu’il appelle les « détracteurs » ou les « pseudo-détracteurs qui ne le connaissent pas et qui s’affichaient », en particulier Mounir qui « jouait les Gérard Depardieu ».

83Une logique se dessine ainsi qui favorise l’adhésion, la freine ou l’interdit. Les écarts dans la distribution des capitaux permettent, pour partie, d’en rendre compte. La non réception par le premier pôle est liée au volume de son capital scolaire qui tend vers zéro et le met hors jeu. La « résistance » du deuxième pôle renvoie à une structure qui fait la part belle aux ressources agonistiques ou physiques, seule espèce détenue par une frange importante de la population. Pour le dernier pôle, la réception « réussie » s’explique par le volume relativement élevé de ses ressources scolaires et l’intérêt afférent, ou la pleine reconnaissance de son rôle par le sociologue. Mais les troisième et quatrième pôles manifestent une forte sensibilité aux prises de position de Bourdieu. Pour le troisième, moins pris dans le jeu, la comparaison du public avec différents groupes symboliquement distants comme les patrons ou les médecins, les règlements de compte avec tel type de sociologues, ou la critique des travailleurs sociaux et des enseignants sont peu appréciés. Tout se passe comme si l’aspect polémique contredisait l’aspiration à la certitude et au consensus, moyen de compenser les tensions d’un univers familier instable. Quant au quatrième pôle, le travail d’objectivation heurte ses représentations profanes. En particulier, la critique sociologique d’une vision enchantée de soi-même et de sa fonction – d’autant plus acerbe qu’elle vise plus juste – ne prédispose pas d’emblée à une réception sans réticences par les intéressés.

3.2. POUR UNE VISION RÉALISTE DES OBSTACLES À LA RÉCEPTION D’UNE SOCIOLOGIE CRITIQUE

84Une femme, juste avant Jamila, prend la parole :

85

Bon c’est surtout une question que je me pose à moi-même. C’est que devant un auditoire totalement mixte, nous n’avons entendu parler que des messieurs.
Et il me semble que c’est lié quand même aux problématiques de Pierre Bourdieu qui a écrit un livre remarquable que je conseille à tous de lire, qu’ils veuillent être ou non sociologues, et qui s’appelle La Domination masculine.
Il me semble justement que ce que monsieur Bourdieu a dit, à savoir que les dominants s’arrangent pour utiliser les dominés, et c’est bien ce qui est en train de se passer dans cette salle, on est en train de se lancer comme ça des invectives au lieu de s’occuper de problèmes sérieux, voilà. C’était la question que je voulais poser. Pourquoi n’y a-t-il pas… d’autant plus que la question de l’éducation, elle met en scène évidemment aussi bien des jeunes filles, des enfants, des petites filles, que les femmes qui sont des enseignantes et qui sont donc les cadres aussi de cette éducation délivrée ici au Val Fourré. Donc euh, je ne comprends pas pourquoi elles n’ont pas plus la parole.

86Quelle parole magique pourrait abolir, par la seule vertu de son énonciation, l’intériorisation des formes de domination ? Quel discours, lesté de toute l’autorité de celui qui l’énonce, pourrait en faire progresser la maîtrise ? Il ne suffit pas d’expliciter les mécanismes de la domination pour l’abolir : « En montrant la vérité, on la fait croire, mais en montrant l’injustice des maîtres, on ne la corrige pas » (Pascal, 1977, fragment 688).

87C’est, sans doute, la perception aiguë de ces obstacles et le sentiment de son impuissance qui pousse, par instant, le savant engagé à la dénégation ; qui le place, également dans une position qui peut être perçue comme arrogante mais dont le principe réside plutôt dans la méfiance vis-à-vis des démagogues : « Je m’en fous… je ne vous fais pas des leçons pour votre bien. J’en ai rien à foutre ! ». Et l’on sent poindre le désespoir. Pris dans une contradiction dont il ne peut sortir seul le socio-logue se replie, faute de mieux, derrière sa croyance en la vérité : « Parce que, parce que, parce que voilà, parce que j’y crois. Et je crois que c’est vrai ! ».

88« Une science empirique ne saurait enseigner à qui que ce soit ce qu’il doit faire, mais seulement ce qu’il peut et – le cas échéant – ce qu’il veut faire » (Weber, 1992, p. 125). La réception contrastée de l’intervention du sociologue permet de reposer le problème des conditions de diffusion et d’appropriation des connaissances sociologiques et critiques. Seule une « politique de la perception » (Mauger, 2002) contribuerait à transformer, au-delà du cercle restreint des militants, les schèmes incorporés de connaissance en offrant au plus grand nombre des moyens de compréhension du réel en vue de sa transformation.

89Les classes populaires et les fractions de la petite-bourgeoisie qui, en étant parfois issues, sont prédisposées à se poser en avant-garde et porte-parole du « mouvement social » mais n’ont pas forcément intérêt à l’objectivation de leur position, ne constituent pas un magma indifférencié. Leurs « résistances » à la sociologie ou au sociologue ne sont pas équivalentes. Il est illusoire de croire que la prédiction rationnelle peut, à elle seule, impulser une prise de conscience salutaire et renverser une domination qui se perpétue dans les structures objectives du monde social. Il y a des conditions sociales à la « révolte » et à la « prise de conscience » et, de ce fait, le sociologue n’a guère prise, sauf à la marge, sur la défection des plus démunis de capital culturel et de ressources sociales.

90Pourtant prendre au sérieux l’inégalité des ressources au sein des différentes fractions des classes dominées et la divergence possible des intérêts qui en découle, n’équivaut pas à abdiquer toute tentative de lier scholarship et commitment. Il y a d’abord un enjeu dans les luttes discursives qui est leur contribution à l’ouverture de la représentation symbolique du monde. Il y a aussi – si l’on admet qu’il est possible que l’analyse sociologique, en étant au principe d’une meilleure intelligence et d’une meilleure maîtrise des mécanismes de domination, permette de mieux les combattre – la question ouverte de l’élaboration des modalités pratiques d’une pédagogie politique.

Bibliographie

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  • ASSOCIATION POINTS CARDINAUX 2002. Manifeste pour l’égalité, collection Questions contemporaines. Paris : L’Harmattan.
  • BOURDIEU P. , CHAMBOREDON J.-C., PASSERON J.-C. 1968. Le Métier de sociologue. Paris : Éditions Mouton/Bordas.
  • BOURDIEU P. 1980. Le sens pratique. Paris : Éditions de Minuit.
  • BOURDIEU P. 1992. Les règles de l’art. Paris : Éditions du Seuil.
  • BOURDIEU P. 1997. Méditations pascaliennes. Paris : Éditions du Seuil.
  • BOURDIEU P. 2001. Contre-feux 2. Pour un mouvement social européen. Paris : Raisons d’agir Éditions.
  • BOURDIEU P. 2002a. Interventions, 1961-2001. Science sociale et action politique. Marseille : Agone.
  • BOURDIEU P. 2002b. Si le monde social m’est supportable, c’est parce que je peux m’indigner, entretien avec Antoine Spire. La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube.
  • MAUGER G. 1995. L’engagement sociologique, Critique n° 579-580.
  • MAUGER G. 2002. Politique de l’engagement sociologique, Mouvements, n° 24.
  • PASCAL B. 1977. Pensées, Édition de Michel le Guern. Paris : Gallimard.
  • POUPEAU F. 2001. Professeurs en grève. Les conditions sociales d’un mouvement de contestation enseignant, Actes de la recherche en sciences sociales, n° 136-137.
  • SAYAD A. 1999. La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré. Paris : Éditions du Seuil.
  • TERRAY E. 2002. Réflexions sur la violence symbolique, in Jean Lojkine (dir.) Les sociologies critiques du capitalisme, Actuel Marx Confrontation. Paris : PUF.
  • WEBER M. 1992 (1904). L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales, Essais sur la théorie de la science. Paris : Plon.

Notes

  • [1]
    Créée en 1993, l’association Points Cardinaux s’est donnée pour objectif d’inscrire l’égalité au cœur du projet politique (Association Points Cardinaux, 2002).
  • [2]
    Pour situer Pierre Bourdieu dans le répertoire des figures de l’engagement qui jalonnent l’histoire du champ intellectuel en France, voir Gérard Mauger (1995).
  • [3]
    Radio scolaire créée en 1988 au sein du collège André Chénier, au centre du Val Fourré, Radio Droit de Cité s’est affranchie de l’éducation nationale le 18 juillet 2001, à la suite de l’autorisation du CSA d’émettre sur la fréquence 95.5 FM.
  • [4]
    Catégorie de classement indigène, « racaille » est souvent utilisé par les « jeunes des cités » pour se désigner eux-mêmes. Plutôt qu’un pôle délinquant, l’épithète vise alors, par autodérision, la synecdoque dont ils ne cessent d’être l’objet.
  • [5]
    Selon le recensement de la population de Mantes-la-Jolie en 1999, les ouvriers sont 7068, dont 28.2 % au chômage. Ils représentent 38.9 % de la population active. Si on leur adjoint les employés, au nombre de 5918, les deux catégories donnent une idée de l’importance relative des « classes populaires » dans l’espace social local : 71,5 % du total des actifs.
  • [6]
    Satan.
  • [7]
    Il s’agit d’une reconstruction logique qui tente de rendre compte d’une configuration et non d’une description chronologique.
  • [8]
    S’ils ne sont pas référencés, tous les propos de Bourdieu repris dans le texte ont été tenus par lui durant la conférence-débat du Chaplin.
  • [9]
    C’est Stéphane Bernard qui lui souffle alors avec un sourire : « J’y crois ! ».
  • [10]
    Il y a dans son intervention autre chose qu’un discours contre l’école, ce qu’entend Bourdieu. Parce qu’elle est quotidiennement en contact avec des mères d’élèves, elle cumule des informations plus ou moins élaborées sur les perceptions populaires des transformations actuelles du système scolaire local.
  • [11]
    Faut-il rappeler qu’« à la violence symbolique, comme violence méconnue et reconnue, donc légitime, s’oppose la prise de conscience de l’arbitraire qui dépossède les dominants d’une part de leur force symbolique en abolissant la méconnaissance » (Bourdieu, 1980, note 27, p. 230).
  • [12]
    Échantillon raisonné construit par l’analyse, il est constitué d’intervenants et de spectateurs dont la configuration reflète au mieux la structure de l’espace des réceptions.
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