Notes
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[1]
Cette nouvelle procédure est présentée sur le site internet de l’INSEE ((www. insee. fr).
-
[2]
L’auteur a participé à cette opération en qualité de délégué de l’INSEE dans une commune d’environ 20 000 habitants.
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[3]
Les textes qui organisent le recensement sont la loi du 7 juin 1951 modifiée et, pour le recensement de 1999, le décret n° 98-403 du 22 mai 1998, Journal Officiel, 24 mai 1998.
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[4]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 38, Dépliant d’information grand public : » À quoi sert le recensement ? Comment se déroule-t-il ? ».
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[5]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 3, Notice explicative.
-
[6]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 38, Dépliant d’information grand public.
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[7]
Les brochures d’information et une notice explicative sont distribuées aux populations avant et pendant la collecte.
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[8]
L’argument que doit développer l’agent recenseur pour contraindre les réticents à répondre consiste à leur rappeler que le recensement est obligatoire. De même, la carte de l’agent recenseur porte la mention « le recensement est obligatoire » (loi n° 51-711 du 7 juin 1951 modifiée). Ce caractère obligatoire est rappelé dans le décret n° 98-403 du 22 mai 1998.
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[9]
Le caractère obligatoire du recensement est rappelé dans les campagnes médiatiques (presse écrite et télévision) annonçant les opérations autant que les sanctions prévues en cas de refus de réponse.
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[10]
Les usages du recensement varient entre les deux institutions. Du côté de l’INSEE, le recueil d’informations permet d’effectuer des études pour les différentes opérations de l’État. Du côté des mairies, il sert non seulement à connaître l’évolution de la population, mais surtout à évaluer les différentes dotations financières de fonctionnement attribuées aux collectivités locales et les modes d’élections, Le Monde, 3 avril 1999.
-
[11]
On s’intéressera ici aux seuls acteurs engagés sur le terrain
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[12]
P. 14 in Documents de l’INSEE, imprimé n° 10, Instructions aux Mairies, p.14
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[13]
Une zone géographique est constituée d’un ensemble de communes.
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[14]
Le découpage des districts de recensement est variable selon la taille de la commune. Pour les communes de plus de 10 000 habitants, le découpage est effectué en amont par la direction de l’Insee. Pour les communes de moins de 10 000 habitants, le découpage est effectué par les mairies et le conseiller technique de l’INSEE. Voir Documents de l’INSEE n° 10, Instructions aux mairies.
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[15]
Cf. note 12.
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[16]
Un agent recenseur, excédé par la pression, nous affirme, lors d’un entretien hebdomadaire, que cet emploi lui a été procuré par ses parents aux fins de mériter son argent de poche, mais qu’il n’avait, en réalité, aucune envie de le faire.
-
[17]
Lors de nos rencontres hebdomadaires avec le conseiller technique, des collègues évoquaient le refus de certaines mairies d’envisager des relances administratives.
-
[18]
Le délégué est recruté et rémunéré par l’INSEE. Les agents recenseurs et les contrôleurs mairies sont recrutés par les mairies, et rémunérés par elles dans le cadre du budget alloué par l’INSEE.
-
[19]
En particulier, l’absence de casier judiciaire.
-
[20]
Le barème de rémunération des différents imprimés collectés sur le terrain ou remplis par l’agent ainsi que les autres activités du recensement était le suivant : 0.41€ pour un Bulletin étudiant, une Feuille de logement ou un dossier d’immeuble collectif ; 0.82 € pour un bulletin individuel ; 4.12 € pour un bordereau de district ; 16.16 € pour un relevé d’immeuble ou une participation aux séances de formation.
-
[21]
Documents de l’INSEE Imprimé n° 3, Notice explicative.
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[22]
L’opération leur est présentée comme une initiative de la mairie dont le but est d’améliorer leurs conditions de vie à travers l’attribution ou l’augmentation d’une allocation.
-
[23]
Les différentes tâches de pré-collecte de l’agent recenseur comprennent la tournée de reconnaissance du secteur, le remplissage du carnet de tournée, l’inscription sur un imprimé de tous les logements à recenser, la rencontre d’évaluation avec délégué du travail effectué.
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[24]
Un district de recensement est composé d’un ensemble d’habitations délimité par le tracé routier de la ville.
-
[25]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 60, Manuel du délégué.
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[26]
Les pourcentages que doivent atteindre les agents recenseurs sont étalés sur les 4 semaines initiales prévues pour la collecte. Ils sont donc respectivement de 40 %, 30 %, 20 % et 10 %.
-
[27]
Selon les postiers, le recensement leur a été décrit comme la seule opération de distribution et de récupération des imprimés.
-
[28]
Les secteurs de recensement attribués à chaque agent comprennent entre 600 et 800 habitants.
-
[29]
Selon le conseiller technique, la rémunération s’effectue au prorata des imprimés récupérés.
-
[30]
Le ratissage correspond aux dernières opérations de recensement opérées sur le terrain après le 10 avril. Elles sont faites par le délégué et le personnel municipal.
-
[31]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 50, Mémo de l’agent recenseur.
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[32]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 2, Bulletin individuel.
1En 1999, l’État français organisait, par la médiation de l’INSEE, le 33ème recensement de la population. Ce recensement de 1999 est le dernier à avoir été organisé simultanément sur l’ensemble du territoire français, mais la nouvelle procédure, mise en œuvre depuis trois ans, laisse inchangés l’objectif, les informations collectées et les opérations de collecte menées à l’échelle locale [1].
2Le recensement, comme entreprise, revêt l’aspect banal de simples opérations de comptage et d’enregistrement des individus et de leurs identités sociales, mais il met pourtant aux prises institutions étatiques et individus. Cet article se propose d’opérer un retour réflexif sur un travail de terrain conduit dans le cadre de cette opération : celui d’un gestionnaire, à l’échelon communal, de cette grande machinerie [2]. Ce travail est ainsi constitué en une expérience ethnographique qui permet d’examiner le projet en actes, notamment la dynamique de l’enquête ainsi que ses effets sur le matériau recueilli. On se propose de rendre compte de cette expérience par une double focale, suivant le modèle emprunté à G. Allison et P. Zelikov (1999). Nous présenterons d’abord l’organisation administrative de l’opération. Puis nous indiquerons l’agenda des réalisations concrètes sur le terrain. Enfin, nous rendrons compte des rapports qui lient les enquêtés à l’État, à travers les différents espaces sociaux que celui-ci administre et que dévoile l’opération.
1. L’AGENDA ADMINISTRATIF DE L’OPÉRATION
3Le recensement, dans son projet administratif, s’énonce et se définit comme une opération organisée et codifiée dans ses différentes phases de mise en œuvre. Les différentes séquences qui le composent, notamment le recrutement des agents, la formation, la publicité sur l’opération, le calendrier général et le recueil d’informations, sont planifiées dans les moindres détails et ne demandent qu’à être appliquées sur le terrain. Cette opération constitue également une vaste entreprise regroupant une grande diversité d’acteurs à différents paliers, mobilisés pour un objectif commun, objectif qui guide leurs actions et modèle leurs comportements. Pourtant, la réalisation du recensement se monnaie sur le terrain, comme le suggère Vincent Dubois (1999) à propos du fonctionnement d’une administration, en termes de microinteractions disparates, parfois conflictuelles, entre plusieurs acteurs. Ces interactions font que l’opération échappe parfois à la logique et surtout à l’emprise de la toute puissance de l’État qui s’y projette.
1.1. LE CADRE GÉNÉRAL DU RECENSEMENT
4Le recensement revêt un caractère public, non seulement parce qu’il est le fait de l’État, mais aussi parce qu’il concerne tous les individus et suppose l’adhésion de la population. Il revêt un caractère civique, parce qu’il assigne, de ce fait, un lien d’appartenance aux agents sociaux et que ceux-ci le reconnaissent. En ce sens, le recensement se distingue d’autres types d’enquêtes, notamment des sondages d’opinion.
5La dimension civique, qui constitue la toile de fond de l’opération, s’appuie sur un ensemble d’éléments imbriqués. D’une part, l’encadrement juridique du recensement implique sa solennité et sa légitimité [3]. La loi de 1951 lui confère un caractère obligatoire : tous les individus vivant en permanence sur le territoire français sont astreints à répondre [4]. Le décret de 1998 fixe, quant à lui, le calendrier des opérations, les acteurs habilités (INSEE et communes) et les modalités de son exécution. D’autre part, le recensement se donne à voir comme une mission d’intérêt général et collectif à travers les multiples usages administratifs qui en sont faits aux niveaux national et local. Outre la possibilité de faire le point sur la population de la France et ses caractéristiques sociales et professionnelles [5], le recensement offre en effet un intérêt en matière de politiques publiques nationales et locales. Il en est ainsi des politiques d’emploi, de protection sociale et sanitaire, des transports, des équipements publics (éducatifs, culturels, sportifs) et commerciaux (usines, centres commerciaux) [6]. Constant dans les documents officiels, le rappel de ces formes d’utilités publiques du recensement vise ainsi à susciter l’adhésion des populations à l’opération [7].
6Cette adhésion, forcée ou volontaire, des populations à l’opération de recensement est suscitée par la procédure même du recensement, laquelle alterne deux mécanismes. D’une part, le recensement fait appel à la libre manifestation de la conscience civique des recensés, lesquels sont censés remplir leurs imprimés sans injonction de l’agent recenseur. D’autre part, l’obligation de remplir le questionnaire est rappelée aux enquêtés par les agents assermentés. La palette des mandements prévus combine des procédés divers d’obtention de l’adhésion. Ceux-ci vont du simple rappel oral, fait par l’agent recenseur avec présentation de sa carte professionnelle [8], du caractère obligatoire du recensement jusqu’à la privation de liberté, en passant par les efforts de persuasion des agents, les relances de la mairie, ou encore l’attribution d’une amende [9].
1.2. LES ACTEURS ET LEURS FORMES D’INVESTISSEMENT DANS L’OPÉRATION
7En pratique, les modalités d’investissement des acteurs dans l’opération varient en fonction des enjeux projetés ainsi que leurs formes de socialisation.
8Plusieurs groupes d’acteurs, en majorité institutionnels, sont partie prenante du recensement. Au cœur de ce dispositif interviennent l’INSEE et les mairies [10]. La mise en œuvre sur le terrain mobilise également l’emploi d’une chaîne pyramidale de personnels divers : agents permanents de l’INSEE, de mairies, des forces de l’ordre, personnels temporaires de terrain [11]. La rencontre, sous la bannière du recensement, de ces différents groupes d’acteurs, situés à différents paliers et différemment sensibilisés à l’opération, constitue non seulement un réseau dense de relations à plusieurs niveaux, mais introduit aussi une diversité d’investissements et d’usages (Putnik, 1993).
L’INSEE et les Mairies
9Ces institutions, les plus impliquées dans la phase de réalisation de terrain, constituent des points d’impulsion de la dynamique et fournissent la logistique nécessaire à la réalisation du recensement. Une division du travail existe entre les deux institutions. La nature et le niveau de leur collaboration sont fonction des enjeux investis dans leurs relations.
10L’INSEE est à la fois le concepteur du projet, le planificateur et le coordonnateur de l’opération. Il est donc le « responsable de la préparation du recensement et contrôle son exécution sur le terrain » [12]. À cette occasion, l’INSEE mobilise ses différentes directions (centrale et régionales) ainsi qu’une grande partie de son personnel. Chaque direction régionale assure la préparation matérielle et la coordination de l’opération dans sa région. L’INSEE déploie également sur le terrain ses conseillers techniques. Ceux-ci se situent à la jonction du travail des personnels temporaires, dont ils assurent la coordination au niveau d’une zone géographique donnée [13], et de celui du groupe concepteur du projet en diffusant les consignes de travail. Dans la logique des recours dans une procédure juridictionnelle, le conseiller technique est également l’interlocuteur des mairies, en deuxième ressort, après le délégué.
11Ce personnel de l’INSEE est très sensibilisé à l’opération de recensement à travers la formation qu’il reçoit, mais aussi parce que cette entreprise constitue une activité professionnelle permanente pour certains d’entre eux et l’une des raisons d’être de l’INSEE. Les mairies interviennent dans les phases de préparation et de mise en œuvre du projet. À cette étape, leur concours constitue un gage d’efficacité de l’entreprise. En effet, leur connaissance du terrain et leur proximité des populations sont autant d’atouts pour la réussite de l’opération. Il leur incombe ainsi la fourniture de la logistique (locaux, personnels relais). Il leur revient également, pour les plus petites, le découpage des districts de recensement [14], ainsi que la gestion administrative des contacts avec les enquêtés (lettre d’information annonçant le recensement, relance et mise en demeure, police municipale). Si les mécanismes pratiques du concours des mairies sont prévus par le cadre législatif, des règles non écrites contribuent également au bon déroulement de l’opération.
12Les mairies ont ainsi la latitude d’organiser leur collaboration sur le terrain selon leurs modalités propres [15]. Dans ce cadre, le recensement fait l’objet de multiples investissements. Il en va en particulier du recrutement et de l’emploi, comme agents recenseurs, de certains membres du personnel administratif et de la police municipale. Dans la commune dans laquelle l’auteur est intervenu, une petite cellule de recensement a été organisée autour de deux agents municipaux. Ceux-ci, cumulant leurs tâches habituelles et ces nouvelles fonctions, ont participé de façon sporadique au recensement. Des formes de marchandage s’organisent par ailleurs dans le recrutement des agents. Les facteurs de la Poste sont fortement sollicités en raison de leur connaissance présumée ou réelle du terrain. Cette sollicitation, qui s’opère par le canal de la hiérarchie de La Poste, se décline, selon la commune, comme un gage d’efficacité. La contrepartie, dans cette transaction, est la garantie d’attribuer aux postiers leur secteur habituel de distribution du courrier comme aire de recensement. L’opération est également investie par les relations privées. Le recensement représente, pour certains agents communaux, l’occasion d’offrir un travail temporaire à leurs enfants ou à leurs connaissances [16].
13Le recensement constitue une activité ponctuelle pour les collectivités locales. Et les agents municipaux affectés au recensement sont différemment sensibilisés à l’importance de l’opération en fonction des formes d’engagement de chaque commune dans l’opération. En effet, la nature de la collaboration des communes est fonction des enjeux impliqués, tels le franchissement du seuil de population ouvrant droit à une enveloppe budgétaire plus conséquente, la connaissance de la structure de l’habitat et de la population. Et les modalités de collecte sur le terrain se modèlent parfois selon les critères locaux. Il en est ainsi de la mobilisation du panel de mesures envisagées afin de convaincre les « réticents » [17]. Dans la commune étudiée, des mesures de persuasion, telles que les lettres de relance et l’intervention des agents de police, ont certes été utilisées, mais en tenant compte des enjeux locaux. Par exemple, lors d’une réunion, la question des non-réponses est posée ; le délégué propose l’envoi immédiat d’une sommation. Un agent communal refuse cette solution, pour les raisons suivantes : « Il faut éviter tout acte susceptible de susciter le mécontentement des populations. Vous n’êtes pas là tout le temps. Une fois le recensement terminé, vous repartez et nous, nous restons et c’est nous qui subissons. Les gens ne voient pas l’INSEE, mais la Mairie... Les gens n’oublient pas le moment venu... De toutes façons, le maire ne voudra pas ».
14D’autres formes d’aménagement sont également introduites dans l’application des règles du recensement. Le ton adopté dans la lettre de relance et surtout les modalités de son utilisation dépendent du discours autorisé sur le recensement et de la structure des rapports locaux. En effet, la mobilisation du discours légitime sur le recensement, notamment ses formes d’utilité, ainsi que son caractère institutionnel autorisent une mise à distance de l’implication de la mairie : c’est l’État qui impose le recensement, non la mairie. Il s’agit donc, pour les enquêtés, de se mettre en conformité avec la législation, non avec l’ordre municipal.
15L’usage de la lettre de relance n’est d’ailleurs pas systématique. Il dépend des relations passées entre la mairie et les recensés, ou encore du comportement des enquêtés vis-à-vis de l’ordre social. On hésitera ainsi à l’envoyer aux individus qui n’ont jamais eu de problème avec cet ordre. La bonne foi de ces recensés est supposée a priori entière ; ils auraient simplement « oublié » de remettre les imprimés aux agents ou seraient absents de leur domicile. À l’inverse, est plus marquée la propension à adresser une lettre de relance aux « gens à problème », considérés comme tels lors de rapports conflictuels, soit avec la mairie, soit avec l’ordre social en vigueur. À propos d’une famille qui n’a pas remis les imprimés du recensement et dont l’agent recenseur se plaint de l’agressivité de l’épouse, un contrôleur affirme : « ça leur ressemble, ça ne me surprend pas. Ce sont des gens qui se foutent de tout, qui ne comprennent et ne respectent rien, qui se plaignent, râlent toujours et pour un rien, qui ne participent pas et, par-dessus tout, veulent tout avoir. Ah oui, ils méritent bien une sommation ». C’est dire que la gestion pratique du recensement se monnaie selon des enjeux et des usages multiples, relevant aussi bien des institutions impliquées que des individus qui les composent.
Les agents temporaires et leurs conditions d’emploi
16À côté des institutions publiques et de leurs personnels, d’autres catégories interviennent dans l’opération, en l’occurrence les agents temporaires. Trois catégories statutaires composent les agents temporaires : le délégué, les contrôleurs et les agents recenseurs. Dans la commune où l’auteur est intervenu, le nombre d’agents recenseurs s’élevait à trente et un, dont vingt étudiants engagés dans des études très variées, cinq facteurs de La Poste, deux demandeurs d’emploi, trois salariés d’autres entreprises et un retraité. Deux contrôleurs avaient été recrutés pour leur expérience en matière de recensement et surtout pour leur connaissance de la commune et des populations.
17La participation de tous ces agents à ce projet relevant tant du sens civique que de l’intérêt général suppose du même coup leur adhésion. Outre la contrepartie financière (rémunération, cumul des prestations sociales comme le revenu minimum d’insertion, les allocations chômage), les agents recenseurs ont d’ailleurs reçu une lettre signée du Ministre de l’Économie et des Finances en témoignage de leur sens civique. Leurs conditions de recrutement obéissent, par delà certaines différences [18], aux règles des emplois publics, notamment en ce qui concerne les critères de sélection [19] et l’intervention de la préfecture et de la mairie qui valident le contrat sous forme d’arrêté de nomination pour les agents recenseurs. Dûment accrédités par cette intervention de l’Administration et assermentés par l’engagement de confidentialité qu’ils signent, les agents temporaires sont investis de l’autorité de l’État ; cet investissement est révélé par différents signes. Il en est ainsi de la carte d’agent portant la mention officielle « République Française » et les rayures tricolores, comme de la mallette de l’agent recenseur sur laquelle sont portés le logo et la mention « Recensement de la population ».
18Le recrutement des agents recenseurs obéit également à certaines conditions que doivent remplir les candidats. Il en est ainsi des qualités requises, notamment celles d’avoir une instruction suffisante, une conscience et une neutralité professionnelles, d’être de bonne moralité, d’avoir une disponibilité totale, une bonne qualité de contact avec les habitants, d’être stable dans l’emploi, ordonné et méthodique. Le candidat doit aussi satisfaire aux conditions de travail de terrain ; ainsi il doit participer aux séances de formation, à l’accomplissement des tâches annexes de reconnaissance de terrain, et il doit maîtriser les règles techniques du recensement.
19Quant aux conditions de rémunération, elles sont celles d’un contrat à la tâche. Les agents sont recrutés sur une période de deux mois sans détermination du nombre d’heures de travail, dans la mesure où la seule exigence concerne le résultat dans le délai imparti. Ils peuvent ainsi cumuler leurs activités antérieures (scolaires, professionnelles, demandeur d’emploi) avec l’opération de recensement. Leur rémunération se fait à la tâche selon un barème précis : elle est non seulement fonction du nombre d’imprimés collectés sur le terrain, mais aussi d’autres opérations accomplies par l’agent [20].
20Pourtant, la mobilisation et l’investissement de ces agents dans l’opération de recensement ne vont pas de soi. D’une part, le caractère ponctuel et précaire de leur emploi induit des formes de socialisation au recensement différentes de celles des personnels de l’INSEE et de la mairie. D’autre part, les motivations de leur participation sont hétérogènes, compte tenu de la diversité des mécanismes de leur engagement. Les plaintes exprimées par une postière, lors d’une rencontre hebdomadaire de suivi de travail, sont assez explicites : « Je suis trop fatiguée de ma journée de travail pour retourner sur le terrain. On nous demande de faire le recensement et on nous surcharge encore au bureau. Moi, je n’ai rien demandé et je ne peux pas faire plus ». Leur investissement dans l’opération conditionne pourtant la réussite du projet dans la mesure où ces agents sont en contact avec les populations, dernier palier du dispositif.
Les populations
21Elles constituent le public-cible de l’opération et leur niveau d’adhésion conditionne la réussite du processus. La projection civique du recensement, autant que les formes d’utilité collective afférentes, opèrent également pour elles. Différentes campagnes d’explication sont organisées sur l’opération, son importance et sur les formes pratiques de recueil d’informations [21]. C’est que la collaboration des recensés ne va justement pas de soi. Le cas des sans-domicile fixe est révélateur, quoique extrême. En effet, la présentation essentiellement locale et limitée de l’opération [22] qui leur est donnée lors du recueil d’informations permet de s’interroger sur la légitimité de l’enquête auprès de cette population ainsi que sur leur adhésion. On peut en effet se demander si les formes d’utilité publique de l’opération, notamment les transports, les centres commerciaux, l’éducation, la santé qui sont déclinées dans l’opération et que doivent reprendre les agents temporaires pour convaincre les indécis ont une signification pour eux ou s’ils se sentent concernés. C’est dire combien le civisme auquel fait appel le recensement n’habite pas uniformément l’ensemble des acteurs et groupes d’acteurs impliqués dans sa réalisation.
1.3. L’ORGANISATION ADMINISTRATIVE DU TRAVAIL DE TERRAIN
22L’encadrement de l’opération de recensement concerne le travail d’enquête de terrain dont les activités sont strictement organisées.
Le calendrier
23Le schéma général du déroulement du recensement s’étend sur une période de sept mois, de décembre à mai. Il intègre les procédures administratives de précollecte, c’est-à-dire le découpage de la commune en districts de recensement, la constitution des secteurs d’agents recenseurs, la préparation des bordereaux de districts, le recrutement des agents recenseurs, la formation. En second lieu, il comprend les actions de terrain, c’est-à-dire la tournée de reconnaissance du secteur de recensement et le remplissage du carnet de tournée, et la collecte auprès des recensés. Ce schéma comprend enfin les activités postérieures à l’enquête de terrain, c’est-à-dire la vérification et la numérotation des imprimés, leur réintégration, la totalisation et le retour des documents à l’INSEE. Ce calendrier général varie en fonction de la taille de la commune.
24Dans une commune de moyenne importance comme celle étudiée, la durée globale du recensement est de six mois. Partie intégrante des codes du recensement, le calendrier se projette ainsi comme un gage d’efficacité. Pour ce faire, les différentes activités du travail de terrain doivent être accomplies dans un délai et selon un ordonnancement précis. Les agents recenseurs doivent ainsi avoir suivi les deux séances de formation et effectué les travaux afférents avant le début de la collecte, fixé le 8 mars [23]. La collecte des informations auprès des recensés dure quatre semaines, du 8 mars au 3 avril. Ce délai est impératif : il s’agit d’une durée au-delà de laquelle tout recueil d’informations sur le terrain est légalement proscrit. Les enquêteurs doivent achever le recueil d’informations avant cette date au risque de fausser les résultats, d’empiéter sur les étapes suivantes et aussi d’être sanctionnés.
25Le calendrier de recueil d’informations sur le terrain concerne aussi les enquêtés, dans la mesure où leur collaboration est requise dans le temps imparti. Le rappel, constant dans les média, de l’obligation de répondre ainsi que les sanctions encourues et l’allongement d’une semaine du délai de collecte indiquent que l’adhésion de tous les acteurs à l’opération est loin d’être évidente.
La standardisation des tâches et des agents
26Les différentes tâches qui composent le travail des agents recenseurs sont soigneusement répertoriées et organisées. Non seulement ces tâches doivent être accomplies dans le temps imparti et dans un ordre déterminé, mais elles doivent l’être selon des codes standardisés. Il en est ainsi du sens du recensement des logements, c’est-à-dire de l’itinéraire à suivre pour chaque district [24] ou à l’intérieur de chaque immeuble collectif d’habitation. Il en est ainsi également de la consignation, sur le carnet de tournée, de toutes les opérations accomplies par l’agent recenseur, notamment de la date de remise des imprimés aux populations, de celle de leur récupération, des rendez-vous successifs, des difficultés de récupération des imprimés. Les opérations post-collecte, tels le classement et la numérotation, sont également effectuées suivant une démarche précise. La standardisation des tâches qui facilite l’identification de chaque recensé, ainsi que sa localisation exacte, rend ainsi les agents recenseurs interchangeables. Elle permet surtout un contrôle du travail de terrain et la possibilité de reprise d’un secteur par un autre agent en cas d’abandon ou dessaisissement. Cette formidable organisation administrative connaît cependant des écueils dans sa mise en oeuvre sur le terrain.
2. LA RÉALISATION CONCRÈTE DE L’OPÉRATION DE RECENSEMENT
27La réalisation sur le terrain fait apparaître de nombreux imprévus, aussi bien dans le suivi de terrain des agents recenseurs par le délégué que dans les rapports entre les enquêteurs et les populations. Ces imprévus obligent à recourir à des aménagements divers, notamment à des marchandages pratiques dans la gestion des agents et à une réinvention quotidienne du rôle d’enquêteur.
2.1. INCERTITUDES ET SUIVI DU TRAVAIL DE TERRAIN
28La mise en œuvre du recensement implique de facto l’organisation de relations entre agents temporaires. Ces rapports qui se nouent entre les différents protagonistes sont aussi codifiés par les règles et par les procédures du recensement. Il en est ainsi du travail de suivi des agents recenseurs par le délégué pendant la collecte. Le délégué est chargé de fixer les principaux objectifs aux agents (pourcentages hebdomadaires, exhaustivité, respect du calendrier, application des règles), de définir les moyens pour les atteindre (pression constante, encouragement), enfin d’utiliser l’art et la manière du management (motivation et fermeté) [25]. L’obligation de résultat enjoint au délégué de veiller à ce que les agents respectent les proportions de logements à recenser chaque semaine [26]. En conséquence, le délégué a le devoir de dessaisir ou de remplacer tout agent défaillant.
29Cependant, la diversité des situations de terrain oblige à recourir à des formes d’arbitrages pratiques, manifestant ce que F. Dupuy et J-C. Thoenig appellent une « mise en pièces de la logique bureaucratique » (Dupuy et Thoenig, 1985). Des mesures circonstanciées sont élaborées au cas par cas, réajustées progressivement en fonction des contraintes. En effet, les facteurs de La Poste qui découvrent l’ampleur du travail (tournée de reconnaissance, pourcentage à atteindre chaque semaine, rencontre hebdomadaire avec le délégué) s’indignent des engagements pris par la mairie lors de leur recrutement [27]. Deux d’entre eux abandonnent et deux autres manifestent peu d’enthousiasme au travail. Ils le font savoir à travers des comportements divers (par exemple absences aux rencontres d’évaluation hebdomadaires). Parallèlement, l’état d’avancement général de la collecte de la plupart des agents est en dessous des pourcentages hebdomadaires exigés. Ceux qui sont plus avancés jugent parfois la charge de travail plus élevée que leurs prévisions et ne sont pas toujours intéressés par la reprise d’un autre secteur de recensement. Et le délégué ne dispose ni de personnel de réserve ni de la possibilité de recruter à tout moment. Cette configuration rend inopérantes les consignes de remplacement des agents en cas d’indisponibilité. Pour garantir la continuité de l’opération, il faut alors faire abstraction des pourcentages hebdomadaires afin de maintenir les facteurs dans les effectifs.
30D’autres agents recenseurs, notamment les étudiants, peuvent être engagés dans d’autres processus sociaux parfois antérieurs au recensement. Celui-ci intervient en période de forte mobilisation pour certains (examens). Les agents inscrits en Brevet de Technicien Supérieur ont des programmes scolaires très chargés. Confrontés à des exigences parfois contradictoires, d’aucuns sont moins disponibles et font passer le recensement au second plan. Aux injonctions de disponibilité adressées par l’auteur, l’un d’entre eux rétorque :
« J’ai peut être mal évalué la charge de travail et puis on nous avait décrit le recensement comme quelque chose de simple à faire. J’arrêterai si vous me le demandez. Mais je ne peux pas sacrifier mes études et ma vie pour le recensement. Je le fais pour avoir un peu d’argent de poche. Mais s’il faut choisir entre ma vie et le recensement, il n’y a pas d’hésitation et le choix est déjà fait. À vous de voir si je continue ou si vous me dessaisissez de mon travail.
De toute façon, mes études restent prioritaires ».
32Dans cette situation, la nécessité de faire correspondre les exigences du recensement aux contraintes scolaires amènera à abaisser les seuils de pourcentages exigés et à rendre flexibles les rendez-vous hebdomadaires.
33La situation oblige également à modifier les stratégies de collecte sur le terrain. Les imprimés ne sont plus systématiquement distribués dans un rapport de face-à-face mais déposés dans les boîtes aux lettres avec les enveloppes de retour direct à la mairie. Cette procédure est d’autant plus souvent adoptée que les modes de vie des populations (villes-dortoirs), la structure de l’habitat (digicodes) ou encore les attitudes enregistrées (refus divers) compliquent le travail des agents.
34Les conséquences de cette modification du travail de terrain sont multiples. Dans la procédure de recensement, le rapport de face-à-face constitue un moyen de contrôle de l’exactitude des informations que fournissent les recensés, notamment à propos du nombre effectif d’occupants des logements. Or l’absence de face-à-face rend aléatoire ce contrôle, compte tenu de la faible connaissance des règles de recensement par les populations. Certains recensés confondant « recensement de la population française » et « recensement des Français » avaient ainsi tendance à recenser leurs proches vivant à l’étranger depuis des années. D’autres insistaient pour recenser leurs enfants en séjour d’études à l’étranger pour une longue période au motif que ceux-ci étaient à leur charge alors que la procédure de recensement excluait ces deux hypothèses.
35Les difficultés de terrain influent également sur le comportement des agents recenseurs. Gagnés par la lassitude, ils rechignent à opérer les relances nécessaires. Ils s’en prennent parfois à la rémunération qu’ils estiment disproportionnée par rapport à la charge effective de travail. Ce sentiment d’exploitation est renforcé par l’amenuisement progressif des espoirs d’un gain satisfaisant par rapport aux estimations du nombre d’habitants de départ attribué à chaque agent [28]. Certains agents en viennent alors à négliger les opérations post-collecte. Une mesure de persuasion ou de dissuasion selon les cas est alors d’appliquer, contre l’avis du conseiller technique [29], le principe selon lequel un district de recensement n’est payé que s’il est complètement terminé. En conséquence, la rémunération échoit à l’agent qui accomplit les dernières opérations. En contrepartie, les agents qui font leur travail jusqu’au bout se voient concéder le bénéfice des imprimés récupérés sur le terrain pendant la période de ratissage [30]. C’est donc à travers ces formes diverses d’arbitrages et de passe-droits sur le terrain engendrés par la dynamique des interdépendances pratiques que s’effectue l’enquête du recensement.
2.2. LES RAPPORTS ENTRE AGENTS DE TERRAIN ET LES POPULATIONS
36Le projet de recensement organise la relation de face-à-face entre agents recenseurs et population. L’enquête mobilise deux registres imbriqués : le caractère institutionnel et civique de l’enquête, d’une part, l’échange progressif entre l’agent et le recensé, d’autre part. S’appuyant essentiellement sur l’autorité de l’État comme ressource mobilisable par les agents, et sur le sens qu’ont les individus de leur citoyenneté, la réalisation de l’enquête est également cadrée dans sa forme et dans la dynamique des échanges. Ceci se matérialise par des prescriptions à l’agent, notamment dans les attitudes à avoir (se faire connaître et se faire apprécier), dans un répertoire de comportements (courtoisie, compréhension, écoute, assistance, assurance) et de procédures, des courtoises aux contraignantes (présentation, avis de passage, relance, mise en demeure) [31].
37L’hétérogénéité des situations de terrain induit une diversité des rapports de face-à-face et avec eux des modalités différentes d’investissement des rôles d’agents. Elles induisent également de multiples dynamiques d’échanges et de ressources mobilisées. Si le caractère institutionnel produit un effet de légitimité important (Beaud, 1996) dans la plupart des relations de face-à-face, il n’est pas seul à l’œuvre dans le recueil d’informations. De plus, il est contrebalancé par d’autres ressources, manifestant ainsi le caractère limité de la parcelle de l’autorité de l’État dont se revendiquent les agents de terrain.
Les relations de proximité
38La proximité géographique et les rapports d’interconnaissance constituent le premier élément sur lequel l’opération s’appuie. Les agents sont systématiquement affectés à un secteur de recensement proche de leur domicile. Les facteurs de La Poste enquêtent également dans leur secteur habituel de distribution du courrier. Cette répartition vise à faciliter le travail dans la mesure où les relations d’interconnaissance liées au voisinage sont censées rassurer les recensés et susciter plus facilement leur adhésion à l’opération. Cette situation engendre des expériences diverses qui sont parfois tributaires des relations passées ou quotidiennes entre les deux parties.
39Le recensement des sans-domicile est fait quant à lui, non par les agents recenseurs, mais par les agents de la police municipale qui sont les seuls tolérés par cette population. La relation d’enquête varie selon le degré de confiance instaurée par les rapports quotidiens (visites régulières, services multiples). Le rapport de face-à-face emprunte aussi un schéma particulier, par exemple pour le lieu de l’enquête (bar ou bureau de recensement), le mode d’établissement de la relation (offrir un café).
40Les facteurs de La Poste mobilisent leurs liens antérieurs avec les recensés dans leurs démarches, particulièrement auprès des personnes âgées. La relation d’enquête relève d’un registre identique à celui des rapports d’échanges de services habituels. Surpris par la capacité de collecte d’une factrice (pourcentages au-dessus de ceux exigés), je l’interroge sur sa méthode de travail, pour lui attribuer éventuellement un autre district de recensement. Elle me répond en ces termes : « Je connais les gens depuis longtemps et j’ai de bonnes relations avec la majorité de mes clients. Je connais aussi pour certains leurs emplois du temps. Je sais donc à quel moment je peux les trouver chez eux. C’est très important de les voir (pour la distribution) après c’est facile puisque je leur rends beaucoup de services. Je leur donne les imprimés et je leur dis de me les remplir très bien. Je peux donc les récupérer même chez les voisins dans l’enveloppe de retour que je leur donne. Et je pense toujours à l’enveloppe... Les gens tiennent au secret. À moi, ils font confiance ».
41Toutefois, la proximité ne constitue pas une ressource favorable dans tous les cas. Les rapports de voisinage tendus ou encore de méfiance de certains recensés envers des agents peuvent contribuer à définir une situation explosive. Alerté par un agent d’un refus de réponse d’une enquêtée, l’auteur prend contact avec elle par téléphone. Pour justifier son refus, l’intéressée invoque l’absence de confidentialité des informations contenues dans ses imprimés au motif que l’agent recenseur, qu’elle connaît bien, n’appartient pas à l’INSEE, seul organisme – selon elle - habilité à en user. La méfiance de l’enquêtée peut tenir certes au culte du secret qui entoure certaines informations considérées en France comme privées. On a en mémoire l’émoi général provoqué par les erreurs de l’administration fiscale concernant les déclarations d’impôts. Mais, elle tient également aux rapports conflictuels antérieurs confirmés par l’agent recenseur : « C’est une femme bizarre, un peu malade sur les bords. Elle a des problèmes avec tous ses voisins. Elle accuse tout le monde de tout. En plus, elle fait plein de choses chez elle qu’elle ne déclare pas. J’en suis sûr. Elle doit avoir quelque chose à cacher... ». Au-delà des rapports de voisinage tendus, la réticence de l’enquêtée révèle ainsi l’interaction d’autres dimensions, notamment institutionnelles dans les relations d’enquêtes.
Différenciation de ressources d’État et de positions sociales
42Les relations d’enquête mettent parfois aux prises de façon plus explicite des positions sociales différentes, ainsi que les formes et les niveaux de ressources dans le rapport à l’autorité de l’État qui y sont attachées. L’appréciation différentielle de statut que font les enquêtés entre le délégué et les agents recenseurs à l’intérieur de l’appareil de recensement peut ainsi conditionner la relation, notamment auprès des personnes réticentes. Le fait que l’agent recenseur n’appartienne pas à l’INSEE et que son statut social soit précaire (étudiant, chômeur), ou jugé inférieur (facteur de La Poste, etc.) l’expose parfois au mépris sous différentes formes. À l’inverse, le statut de délégué de l’INSEE, qui implique une appartenance permanente à l’institut, est décliné comme tel dans les relations d’enquête difficiles ; c’est pourquoi il a souvent permis d’obtenir la collaboration de l’enquêté.
43Dans le même ordre de problèmes, la présence sur le terrain des forces de police, notamment au moment du ratissage, ou encore lors des refus, a très souvent permis d’obtenir la collaboration des réticents. Le jeu des symboles opère par les statuts professionnels et, avec eux, par l’autorité de l’État qui y est attachée. La légitimité de l’enquête ne suffit donc pas à imposer la reconnaissance de l’agent recenseur auprès des enquêtés. En dépit de tous les signes dont il est paré, l’agent ne peut se prévaloir sans conteste de l’autorité de l’État, à la différence d’autres corps tels la police, le fisc ou encore la magistrature. Les ressources institutionnelles de l’agent recenseur, par son statut et par la nature de l’institution qui l’emploie, ainsi que les représentations sociales qui y sont attachées (possibilité de sanction par exemple) sont assez fragiles et peinent à imposer sa reconnaissance.
44La faible reconnaissance de l’autorité de l’agent recenseur est accentuée par le lieu et par les modalités de l’enquête (Lacroix, 1996). Le recensement se déroule au domicile de l’enquêté, mais ce dernier n’est pas obligé de faire entrer l’agent chez lui. De façon alternative, l’enquêté peut aussi se présenter au bureau du recensement. Sur le terrain, les enquêtés peuvent avoir des attitudes déplaisantes, voire agressives vis-à-vis des agents recenseurs (lâchers de chiens, expulsions du domicile ou fermeture violente de la porte.).
45L’autorité de l’État que mobilise l’agent recenseur est encore davantage mise à l’épreuve lorsque l’agent doit recenser une personne qui est aussi agent de l’État. Il en est ainsi de la confrontation entre un agent de police et l’enquêteur. Cet agent de police, malgré les explications de l’agent recenseur sur les règles de l’opération, refuse de se faire recenser au motif qu’il l’est chez ses parents. En réponse à l’injonction (rappel du caractère obligatoire et la sanction) de l’agent recenseur, l’intéressé décline son statut d’officier de police. Les échanges qui succèdent mettent en jeu la valorisation ou la banalisation des positions sociales, la définition de l’objet de la rencontre (recensement ou enquête policière) et les rôles respectifs des protagonistes. Ils mobilisent également les usages possibles des positions occupées et des formes d’autorité qui y sont attachées, notamment l’intimidation.
46Le dialogue qui s’instaure constitue ainsi un rapport de forces mêlant divers registres. D’un côté, la logique propre à la dynamique des échanges se traduit par des stratégies de bluff, d’imposition de l’objet de la rencontre. De l’autre, le dialogue mobilise les positions détenues ainsi que la nature des ressources qui y sont attachées, dont peuvent se prévaloir les protagonistes dans l’arène sociale. Décliner son statut d’officier de police et proférer des menaces, pour l’un, ou – à l’inverse – banaliser cette position et rappeler l’obligation de répondre, pour l’autre, ne renvoie pas seulement au jeu des positions sociales, mais aussi et surtout aux formes d’autorité qui s’y attachent et que les protagonistes incarnent. Ce sont donc aussi les formes d’autorité d’État distribuées dans les espaces sociaux et les corps professionnels qui s’affrontent alors dans cette relation d’enquête.
Positions sociales et ressources sociales
47Le jeu des positions et des ressources sociales se prolonge dans d’autres situations d’enquête, notamment lorsque les enquêtés disposent d’autres ressources sociales. La collecte d’informations met aux prises des individus différemment situés dans l’espace social et/ou disposant de ressources diverses qu’ils font prévaloir dans la relation de face-à-face. Les échanges confrontent l’autorité de l’État que mobilisent les personnels de recensement à d’autres ressources (économiques, relations personnelles). Ces situations se révèlent dans des relations d’enquêtes difficiles au cours desquelles il s’agit de convaincre, voire de contraindre ceux qui sont sinon hostiles du moins réticents au recensement ou simplement à la procédure engagée (relance).
48Deux situations vécues permettent de l’illustrer. Dans le premier cas, s’opposent autorité de l’État et ressources liées au statut social. Un chef d’entreprise, après avoir reçu une mise en demeure de répondre, contacte le bureau du recensement par téléphone et s’indigne de la procédure et invoque l’inutilité du recensement. Après avoir tenté de le convaincre de l’importance du recensement en déclinant toutes les formes d’utilités, l’agent recenseur doit évoquer l’hypothèse d’une sanction. En réponse, l’enquêté rétorque : « Vous me menacez Monsieur. Je vous signale que je suis chef d’entreprise avec des salariés sous ma direction et je connais du monde moi. Je vous signale aussi Monsieur qu’on est en France ici ». La dynamique des échanges met en jeu les formes de classements sociaux (directeur/salarié), les ressources mobilisables (autorité de l’État/capital économique et social). De plus, la relation d’échange qui alterne repli institutionnel et investissement personnel transgresse les limites du rôle (Bourdieu, 1990).
49Dans le second cas, s’opposent autorité de l’État et relations personnelles. Une personne mécontente d’avoir reçu une lettre de relance avant mise en demeure, se présente au bureau du recensement. Se basant sur sa relation présumée avec le maire et son soutien électoral, l’enquêté juge anormale la sommation de répondre qui lui est faite. Il indique qu’il compte se plaindre auprès du maire d’une telle menace. Les échanges portent sur la définition de l’objet de la rencontre (recensement/ élection) et avec lui, sur les mandataires du projet (Mairie/INSEE) ainsi que sur les dépositaires de l’autorité (délégué/maire). La confrontation oppose alors les ressources sociales et le type de rapport à l’autorité de l’État dont se prévalent les protagonistes.
50Ainsi la diversité des situations et des ressources mobilisables dans les rapports de face-à-face oblige l’agent recenseur à redéfinir sa fonction en permanence en l’ajustant aux contraintes de terrain. Confronté à d’autres ressources dans des situations d’enquête difficiles, l’agent réinvente son rôle en pratique (Lagroye, 1997).
3. LES RAPPORTS QU’ENTRETIENNENT LES RECENSÉS AVEC L’ÉTAT ET SES INSTITUTIONS
51L’opération de recensement engage l’État et son ordre social, parce que l’État a besoin des résultats du recensement dans ses différents usages administratifs (politiques publiques, structure de la population et de l’habitat, immigration) et politiques (rationalisations, supports d’actions, typification). Les réactions des recensés révèlent la diversité des réceptions de l’opération. Elles témoignent surtout des formes différentes d’identification à l’ordre social et de rapport à l’État (Lahire, 1996) ainsi que la complexité des rapports que les agents sociaux entretiennent avec les différents espaces sociaux qu’administre l’État.
3.1. LÉGITIMITÉS ET IDENTIFICATIONS SOCIALES DIFFÉRENTIELLES
52Le recensement tend à conférer, à travers la magie sociale de la statistique qu’il produit (Desrosières, 1993), une représentation unique aux différentes catégories d’individus enquêtées : celle de la population française. En effet, il s’objective, entre autres, comme la connaissance de la population française et ses caractéristiques sociales et professionnelles, c’est-à-dire de l’ensemble des individus vivant en permanence sur le territoire français, quelle que soit leur nationalité, quels que soient leurs statuts. À cet égard, les individus sont non seulement sommés de répondre, mais doivent aussi faire preuve de leur esprit civique, d’autant que les formes d’utilité publique et collective du recensement sont destinées à tous les agents sociaux.
53La plupart des individus ne s’opposent pas ouvertement au recensement. Ils remplissent les imprimés et les rendent à temps, ou bien ils se présentent au bureau du recensement pour remplir le questionnaire ; ils peuvent aussi solliciter l’aide de l’agent recenseur pour remplir les imprimés. L’effet de légitimité de l’enquête sur cette catégorie de population renvoie à des registres variés. Il peut en effet symboliser l’adhésion à l’opération résultant de la compréhension des enjeux ou tout simplement un acte de soumission, afin d’éviter « les ennuis ». Ce dernier aspect est révélé par la réaction d’inquiétude d’une enquêtée lors de la période de ratissage sur le terrain en compagnie d’un agent de police municipale : « Messieurs, affirme l’enquêtée, j’ai déjà rendu mes documents. Je les ai portés moi-même à la mairie. Je l’avais déjà dit à l’agent recenseur. Je suis étonnée qu’on ne les retrouve pas. Mais, je peux vous en remplir d’autres si vous voulez. Je ne veux pas d’ennuis. J’ai toujours réglé mes questions avec l’administration à temps ; mes impôts... ».
54D’autres, peu nombreux, manifestent leur refus total ou partiel d’adhérer à l’opération à travers des formes détournées.
55Dans un premier cas, les recensés, soit opposent ouvertement leur refus de se faire recenser, soit empruntent des schémas détournés tels le manque de temps, l’absence fictive : certains enquêtés éteignent les lumières de la maison ou ferment les rideaux à la vue de l’agent ; d’autres indiquent aux agents que les occupants sont absents en dépit de la confirmation de leur présence par des voisins.
56Dans un second cas, les enquêtés rendent les imprimés à moitié remplis avec une argumentation bien préparée. Certains des imprimés ne comportent que l’état-civil de l’enquêté, ainsi que des informations jugées banales (noms, prénoms, adresse, date et lieu de naissance sur le bulletin individuel) ou générales et sans incidence (noms, prénoms, adresse, les installations sanitaires, de chauffage et de l’eau sur la feuille de logement). Du point de vue de certains enquêtés, les autres informations, considérées comme relevant de la vie privée, ne rentrent pas dans le cadre du recensement : l’argument développé dans ce genre de situation consiste à réduire le recensement au seul dénombrement quantitatif des populations et des logements.
57L’adhésion à l’opération peut être aussi peu évidente pour certains recensés, notamment pour les étrangers. Le recensement semble simplement ambigu du fait des systèmes référentiels de ces enquêtés comme en témoigne cet exemple : un homme muni de sa carte d’identité française se présente à la permanence que nous tenons au foyer et nous demande les raisons de sa convocation. Informé de l’objet de notre présence, il refuse de se faire recenser au motif qu’il est simplement de passage en France et qu’il vit avec toute sa famille au « bled », en Algérie ; il ajoute qu’il est « venu récupérer sa pension de retraite et repart dès qu’il l’aura touchée et rendu visite à ses amis ». Après insistance et explication de l’importance du recensement, notre interlocuteur, en contradiction avec sa carte d’identité, nous répond qu’il ne se sent pas concerné par l’opération parce qu’il est « Algérien et ne rend pas de compte à la France, mais à l’Algérie ». Plus tard, l’enquêté qui au départ ne s’estimait pas concerné par l’opération s’obstine à vouloir recenser des membres de la famille qu’il présente comme vivant ailleurs.
58Plusieurs enquêtés d’origine étrangère ont affirmé comme celui-ci, parfois avec insistance, qu’ils ne se sentaient pas concernés par l’opération. Leur adhésion à l’opération ainsi que la légitimité de celle-ci ne vont donc pas de soi. D’une part, ces enquêtés étrangers ne se considèrent pas comme faisant partie de la population française. D’autre part, leurs représentations de l’appartenance à la société française sont modelées par la nature des rapports qu’ils entretiennent au quotidien avec les univers sociaux et administratifs (Topalov, 1991). Se considérant essentiellement comme « des immigrés du travail », leurs rapports à la France sont empreints des identités de papier et/ou sociales diverses qui structurent leur existence (désignation d’étranger, titre de séjour, de travail) (Noiriel, 1991). Le fait de ne pas accepter de se faire recenser constitue alors souvent une pratique de préservation contre l’intrusion administrative dans des sphères plus intimes et parfois relevant des rapports avec d’autres administrations de l’État.
3.2. CLASSEMENTS SOCIAUX ET IDENTITÉS SOCIALES
59Le recensement est aussi une entreprise de construction et d’assignation d’identités sociales aux enquêtés. Ce processus opère à travers l’exigence de classement qu’organise l’enquête, exigence perceptible aussi bien dans la nature de cette enquête (directive), que dans sa forme (la standardisation) et dans ses questions (fermées). Les enquêtés sont sommés de choisir des catégories sociales et professionnelles en déclinant leur qualité selon les codes sociaux définis (cocher une case), codes dont le bulletin individuel est l’archétype [32].
60Les recensés réagissent différemment. Certains enquêtés se coulent sans problème dans les catégories proposées et cochent une case. D’autres, tout en reconnaissant les catégories de classement proposées, tentent de définir une identité sociale qui leur serait propre ou du moins de modifier celle qui leur est assignée par l’opération. Il en est ainsi des enquêtés qui ne se retrouvent pas dans les classes et dans les formes de hiérarchie sociale sous-jacentes, du fait parfois de l’évolution des dénominations ; ils inscrivent alors leur profession en marge. Tel est le cas de personnes retraitées dont les professions ont disparu ou ont subi d’importantes transformations. D’autres enquêtés encore rejettent les classements sociaux proposés. L’exemple d’une enquêtée, technicienne de surface qui refuse d’être classée au rang d’ouvrier, est illustratif à cet égard. Bien d’autres enquêtés qui se présentent au bureau de recensement hésitent à cocher une catégorie socioprofessionnelle lorsqu’elle leur semble dévalorisante. Ils ont alors tendance à se classer au dessus de la catégorie dont ils relèvent et qui leur est proposée par l’agent recenseur. Cette présentation de soi à l’œuvre dans la déclaration de la profession s’inscrit ainsi dans les luttes sur la définition des identités sociales et des classements sociaux et dont le recensement sert de cadre.
3.3. LES RAPPORTS COMPLEXES AVEC LES INSTITUTIONS ÉTATIQUES
61Les réactions des enquêtés face à l’opération nous renseignent sur les rapports qu’ils entretiennent avec les différentes administrations de l’État. En fait, le recensement opère le rappel de tous les attributs sociaux et administratifs qui matérialisent l’identité sociale des individus (Dardy, 1990). Il convoque alors subrepticement les rapports que ces individus entretiennent avec ces différents espaces. Quatre situations observées mettent en lumière le système des relations qui lient les attributs sociaux en circulation dans les différents espaces sociaux administrés par l’État. Ces situations illustrent également les usages du recensement qu’en font les enquêtés liés aux représentations qu’ils en ont.
62Dans la première situation, l’opération met en question l’identité sociale de l’immigré, donc l’ensemble des rapports qui lient l’enquêté aux différentes administrations de l’État français, notamment sur les prestations sociales (allocations diverses, pension de retraite) et sur son séjour sur le territoire métropolitain. Le retraité « algérien » cité plus haut, bien que déclarant ne pas se sentir concerné par l’opération, insiste pour faire recenser ses enfants. Face à notre refus au motif qu’ils vivent en Algérie, l’intéressé rétorque : « Monsieur, moi, je ne veux pas de problème avec les services sociaux. Ils vont commencer à me compliquer pour ma retraite et tout ça (allocations) en me disant que je n’ai pas recensé mes enfants. Et puis, je ne veux pas non plus que mes enfants aient les problèmes pour la nationalité, l’intégration... »
63La deuxième situation est proche de la précédente, mais se réfère davantage à la question du séjour des étrangers ainsi qu’à toutes les conditions qui structurent leur identité sociale (papiers, travail, prestations sociales). Les relations d’enquête nouées au sein d’un foyer de travailleurs étrangers mettent en lumière l’investissement des enquêtés dans l’opération, leurs rapports avec les différentes administrations et institutions (police, préfectures, services sociaux, éducation, entreprises). Ainsi des personnes se présentent lors d’une permanence de recensement, mais sont incapables de remplir elles-mêmes leurs imprimés, voire de nous épeler leurs noms. Nous leur demandons, afin de faciliter le travail, une pièce attestant leur identité. Certains enquêtés refusent tout en nous assurant qu’ils sont bien en situation régulière. Un enquêté présente des fiches de paie en invoquant la perte de ses autres papiers. En même temps, il se plaint de ne pouvoir bénéficier des prestations sociales alors qu’il cotise. Un autre présente seulement une photocopie de son titre de séjour pour toute sa famille ; puis il nous livre le récit de sa vie : il gagne bien sa vie en travaillant, paie son loyer, ses enfants sont bien scolarisés, mais il n’a pas formulé de demande de prestations sociales pour eux. Il aimerait bien les faire recenser si ça peut « aider à résoudre son problème », mais il a peur que la police et les services sociaux débarquent chez lui.
64Dans la troisième situation, le recensement fait appel à la situation professionnelle de l’enquêté et aux rapports qu’il entretient avec les différents services sociaux. Ainsi un enquêté se présente au bureau du recensement, rend ses imprimés, mais refuse d’attendre la vérification de leur remplissage au motif qu’il doit aller travailler. Il lui est fait remarquer qu’il a oublié de mentionner l’adresse de son lieu de travail. Il répond alors qu’il ne peut le faire parce qu’il n’est pas supposé travailler du fait qu’il perçoit des allocations de chômage et d’autres prestations sociales. Son activité ne lui permettant pas encore de vivre décemment, il ne peut la signaler au risque de perdre le bénéfice des prestations sociales. Malgré l’insistance sur la confidentialité et la destination exclusive des informations fournies à l’INSEE, l’intéressé refusera de répondre.
65La quatrième situation est celle dans laquelle le statut matrimonial parasite l’opération de recensement ainsi que les rapports qu’entretiennent les enquêtés avec les administrations judiciaires et fiscales à ce sujet. Lors de la vérification des documents, un contrôleur constate que le bulletin individuel d’un enfant a été rempli par chacun de ses parents, alors que ceux-ci sont séparés. Or les directives du recensement mentionnent que toute personne ne peut remplir ce document qu’une fois, à son lieu de résidence habituelle. Contacté afin de déterminer le lieu de résidence de l’enfant, le parent qui en a la garde mentionne d’entrée de jeu son droit légal de garde, tout en le justifiant par les charges et prestations sociales afférentes. Le parent qui a le droit de visite insiste plutôt sur les charges relatives à la présence occasionnelle de l’enfant à son domicile qui commande, selon lui, que l’enfant soit recensé chez lui. Bien plus, les deux parents font valoir les différentes factures (eau, électricité, alimentation) ou des documents administratifs comme pièces justificatives de leur démarche respective.
CONCLUSION
66L’opération de recensement, qui place une série d’agents sociaux en présence des visions d’État, les somme également d’y adhérer. Sa réalisation révèle non seulement des usages différents des institutions et des agents impliqués, mais aussi ceux des enquêtés. Tout ceci contribue à la fabrication des résultats. En effet, l’opération révèle les rapports complexes que les enquêtés entretiennent non seulement avec les différentes administrations de l’État, mais aussi avec son ordre. Ainsi, comprendre les résultats du recensement, c’est aussi prendre en compte les différents espaces sociaux et administratifs dans lesquels les agents sociaux sont insérés, ces espaces concourant à produire une identité sociale de ces individus. Il faut alors rendre raison aux différents attributs sociaux qui circulent ou que les agents sociaux font circuler. En ce sens, le recensement peut parfois constituer, pour certains, l’occasion d’une mise en cohérence, d’une forme de licitation de ces formes de présentation de soi (Goffman, 1974) dans les différentes scènes sociales organisées et administrées par l’État. Une telle perspective invite à une utilisation prudente des données statistiques issues de l’opération, notamment dans les recherches scientifiques.
Bibliographie
RÉFRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Notes
-
[1]
Cette nouvelle procédure est présentée sur le site internet de l’INSEE ((www. insee. fr).
-
[2]
L’auteur a participé à cette opération en qualité de délégué de l’INSEE dans une commune d’environ 20 000 habitants.
-
[3]
Les textes qui organisent le recensement sont la loi du 7 juin 1951 modifiée et, pour le recensement de 1999, le décret n° 98-403 du 22 mai 1998, Journal Officiel, 24 mai 1998.
-
[4]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 38, Dépliant d’information grand public : » À quoi sert le recensement ? Comment se déroule-t-il ? ».
-
[5]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 3, Notice explicative.
-
[6]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 38, Dépliant d’information grand public.
-
[7]
Les brochures d’information et une notice explicative sont distribuées aux populations avant et pendant la collecte.
-
[8]
L’argument que doit développer l’agent recenseur pour contraindre les réticents à répondre consiste à leur rappeler que le recensement est obligatoire. De même, la carte de l’agent recenseur porte la mention « le recensement est obligatoire » (loi n° 51-711 du 7 juin 1951 modifiée). Ce caractère obligatoire est rappelé dans le décret n° 98-403 du 22 mai 1998.
-
[9]
Le caractère obligatoire du recensement est rappelé dans les campagnes médiatiques (presse écrite et télévision) annonçant les opérations autant que les sanctions prévues en cas de refus de réponse.
-
[10]
Les usages du recensement varient entre les deux institutions. Du côté de l’INSEE, le recueil d’informations permet d’effectuer des études pour les différentes opérations de l’État. Du côté des mairies, il sert non seulement à connaître l’évolution de la population, mais surtout à évaluer les différentes dotations financières de fonctionnement attribuées aux collectivités locales et les modes d’élections, Le Monde, 3 avril 1999.
-
[11]
On s’intéressera ici aux seuls acteurs engagés sur le terrain
-
[12]
P. 14 in Documents de l’INSEE, imprimé n° 10, Instructions aux Mairies, p.14
-
[13]
Une zone géographique est constituée d’un ensemble de communes.
-
[14]
Le découpage des districts de recensement est variable selon la taille de la commune. Pour les communes de plus de 10 000 habitants, le découpage est effectué en amont par la direction de l’Insee. Pour les communes de moins de 10 000 habitants, le découpage est effectué par les mairies et le conseiller technique de l’INSEE. Voir Documents de l’INSEE n° 10, Instructions aux mairies.
-
[15]
Cf. note 12.
-
[16]
Un agent recenseur, excédé par la pression, nous affirme, lors d’un entretien hebdomadaire, que cet emploi lui a été procuré par ses parents aux fins de mériter son argent de poche, mais qu’il n’avait, en réalité, aucune envie de le faire.
-
[17]
Lors de nos rencontres hebdomadaires avec le conseiller technique, des collègues évoquaient le refus de certaines mairies d’envisager des relances administratives.
-
[18]
Le délégué est recruté et rémunéré par l’INSEE. Les agents recenseurs et les contrôleurs mairies sont recrutés par les mairies, et rémunérés par elles dans le cadre du budget alloué par l’INSEE.
-
[19]
En particulier, l’absence de casier judiciaire.
-
[20]
Le barème de rémunération des différents imprimés collectés sur le terrain ou remplis par l’agent ainsi que les autres activités du recensement était le suivant : 0.41€ pour un Bulletin étudiant, une Feuille de logement ou un dossier d’immeuble collectif ; 0.82 € pour un bulletin individuel ; 4.12 € pour un bordereau de district ; 16.16 € pour un relevé d’immeuble ou une participation aux séances de formation.
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[21]
Documents de l’INSEE Imprimé n° 3, Notice explicative.
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[22]
L’opération leur est présentée comme une initiative de la mairie dont le but est d’améliorer leurs conditions de vie à travers l’attribution ou l’augmentation d’une allocation.
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[23]
Les différentes tâches de pré-collecte de l’agent recenseur comprennent la tournée de reconnaissance du secteur, le remplissage du carnet de tournée, l’inscription sur un imprimé de tous les logements à recenser, la rencontre d’évaluation avec délégué du travail effectué.
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[24]
Un district de recensement est composé d’un ensemble d’habitations délimité par le tracé routier de la ville.
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[25]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 60, Manuel du délégué.
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[26]
Les pourcentages que doivent atteindre les agents recenseurs sont étalés sur les 4 semaines initiales prévues pour la collecte. Ils sont donc respectivement de 40 %, 30 %, 20 % et 10 %.
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Selon les postiers, le recensement leur a été décrit comme la seule opération de distribution et de récupération des imprimés.
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Les secteurs de recensement attribués à chaque agent comprennent entre 600 et 800 habitants.
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[29]
Selon le conseiller technique, la rémunération s’effectue au prorata des imprimés récupérés.
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Le ratissage correspond aux dernières opérations de recensement opérées sur le terrain après le 10 avril. Elles sont faites par le délégué et le personnel municipal.
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[31]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 50, Mémo de l’agent recenseur.
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[32]
Documents de l’INSEE, Imprimé n° 2, Bulletin individuel.