Couverture de SOCO_057

Article de revue

Jeux de miroirs dans l'administration est-allemande

Les usages croises du stereotype bureaucratique apres l'unification

Pages 83 à 104

Notes

  • [1]
    Cf. l’introduction générale de ce numéro.
  • [2]
    La mise en place des réformes administratives dans l’ancienne RDA s’est accompagnée de programmes d’assistance assurés par des fonctionnaires ouest-allemands et le développement de partenariats entre administrations d’Allemagne de l’Est et de l’Ouest.
  • [3]
    Il est, par ailleurs, difficile de compléter ces témoignages oraux par l’exploitation de sources écrites en raison du langage standardisé et codifié des archives qui « semble faire écran au monde et nous ‘empêche’ de savoir » (Kott, 2002, p. 10).
  • [4]
    Cette enquête a été menée entre 1994 et 1997 dans le cadre d’une thèse de sociologie (Lozac’h, 1999).
  • [5]
    Les analyses offertes par d’autres enquêtes de terrain (Berg, 1994 ; Berking et Neckel, 1992 ; Rogas et al., 1997) autorisent néanmoins une mise en perspective de ces observations empiriques.
  • [6]
    Cf. l’introduction générale.
  • [7]
    Karl Ulrich Mayer (1993) mobilise le concept de « néo-traditionalisme communiste » pour rendre compte de ce système.
  • [8]
    Cf. l’introduction générale.
  • [9]
    À l’échelon local, le travail des agents était soumis au droit de regard du maire, lui-même lié par les décisions préparées au sein des organes du SED (Mortier, 1993, p. 236).
  • [10]
    Cette vision rejoint les analyses qui mettent l’accent sur le poids de l’arbitraire dans l’administration de RDA. Cf. sur ce point l’introduction générale.
  • [11]
    De telles représentations sont également mentionnées par d’autres enquêtes de terrain conduites dans des communes est-allemandes (Rogas et al., 1997, p. 86 ; Berg et al,. 1996, p. 87).
  • [12]
    Nombre d’études empiriques ont en effet mis en évidence les limites de la formalisation dans les pratiques quotidiennes. On peut citer, entre autres, les travaux récents de Vincent Dubois (2003) et Jean-Marc Weller (1999).
  • [13]
    Si ces propos s’inscrivent dans la critique du modèle professionnel du fonctionnaire, ils visent également à remettre en cause la compétence d’Allemands de l’Ouest qui font doublement figure d’« étrangers » : ils le sont d’un point de vue géographique, comme le souligne la formule récurrente « ils ne sont pas du coin » ; ils le sont également d’un point de vue culturel, dans la mesure où leur est déniée la capacité à comprendre la réalité est-allemande.
  • [14]
    Voir également sur ce point Berg, et al. (1996) ; Rogas et al. (1997).
  • [15]
    De ce fait, « le collectif a, dans sa dimension communautaire, incontestablement assuré la stabilité du système socialiste » (Kott, 2001, p. 147).
  • [16]
    L’étude des situations et des configurations dans lesquelles ces différentes pratiques administratives sont produites mériterait une analyse plus fouillée qui dépasse le cadre du présent article.

1« Le problème, c’est toute cette bureaucratie qu’il y a maintenant… ». Cette plainte revient comme un leitmotiv dans les témoignages recueillis auprès de membres de l’administration municipale, d’élus locaux et de représentants du secteur associatif en Allemagne de l’Est. D’après ces témoins, le système administratif ouestallemand serait plus bureaucratique que celui de RDA. De tels propos ont de quoi surprendre, dans la mesure où ils vont à l’encontre des représentations savantes et ordinaires communément associées aux régimes de type soviétique, couramment appelés bureaucratiques voire présentés comme des bureaucraties par excellence [1]. Martin Osterland (1996, p. 45) souligne d’ailleurs le caractère « relativement paradoxal » de ces résultats montrant que « comparativement au centralisme bureaucratique de la RDA […] les citoyens est-allemands ressentent la nouvelle administration communale comme encore plus fortement bureaucratisée ». De manière réciproque, les Allemands de l’Ouest en poste dans les nouveaux Länder[2] ne manquent pas d’évoquer leur étonnement face à des modèles professionnels qui échappent aux canons en vigueur dans leurs administrations d’origine.

2Le processus d’unification a ainsi constitué les administrations de l’ancienne RDA en espaces où s’observent, se rencontrent voire s’affrontent différents types de pratiques et d’interactions. Aussi notre réflexion s’appuie-t-elle sur les discours suscités par cette confrontation pour saisir la réalité administrative est-allemande. Les témoignages des Allemands de l’Est offrent un premier niveau d’analyse : leurs multiples critiques à l’encontre de la bureaucratie ouest-allemande permettent d’esquisser en creux les contours de l’activité administrative en (ex-)RDA. Il ne s’agit certes pas de démontrer, à l’aune de ces discours, le caractère « moins bureaucratique » de l’administration est-allemande mais d’identifier les modes de fonctionnement dont cherche à rendre compte l’usage de cette qualification. Certaines précautions s’imposent dans l’exploitation de récits qui reconstruisent rétrospectivement les situations d’interaction, les modalités de décision ou encore les rapports aux usagers à l’œuvre du temps de la RDA [3]. Il nous faut composer avec une perception sélective voire une potentielle réécriture des expériences antérieures qui associe à l’idéalisation de l’ancien régime, communément qualifiée d’Ostalgie, une stigmatisation du système importé de l’Ouest. Il convient par ailleurs de dépasser l’étude « en creux » de l’administration en (ex-)RDA en introduisant un second niveau d’analyse fondé sur la mise au jour des héritages, c’est-à-dire des routines et des représentations professionnelles qui perdurent au sein des administrations est-allemandes. Deux types de sources sont mobilisés pour appréhender ces traces du passé. Aux diverses formes de continuités soulignées par les agents administratifs est-allemands se joignent les témoignages de leurs collègues ouest-allemands en poste dans les nouveaux Länder, qui offrent aussi la mesure des héritages en pointant les multiples décalages avec leur administration d’origine. Les données recueillies dans le cadre de ces entretiens sont certes l’expression de perceptions partielles et subjectives de la réalité administrative en (ex-)RDA. La confrontation des regards est- et ouest-allemands permet néanmoins d’en saisir différentes facettes. Formulées sur le registre de la comparaison, ces perceptions croisées dévoilent en outre des représentations dissonantes du travail administratif. Elles attestent par conséquent le poids des socialisations respectives, dans la mesure où la manière dont Allemands de l’Est et de l’Ouest qualifient – et critiquent – mutuellement leurs pratiques renvoie également à des concurrences autour de la définition du modèle professionnel légitime.

3Notre analyse se centre sur l’étude de deux « villes socialistes modèles » de l’ancienne RDA, Eisenhüttenstadt et Hoyerswerda [4]. Érigées dans les années cinquante en tant que lieu d’expérimentation et vitrine des idéaux socialistes, elles se caractérisaient par des principes d’organisation politique, économique et sociale mais aussi architecturale et urbanistique censés offrir les conditions matérielles d’un mode de vie collectif et égalitaire. Cet article ne saurait ainsi restituer le fonctionnement des administrations socialistes réelles dans leur ensemble et doit prendre en considération les propriétés du contexte local en replaçant les pratiques et interactions administratives dans cet espace périphérique marqué par une dynamique propre au sein du régime est-allemand (Rowell, 2002, p. 104). Si notre enquête ne peut, compte tenu de son ampleur limitée, prétendre à la représentativité [5], elle offre en revanche deux terrains exemplaires dans leurs modalités de gestion de l’héritage communiste : prégnant dans l’administration d’Eisenhüttenstadt, celui-ci est au contraire rejeté à Hoyerswerda. Ces différences se manifestent notamment au travers de leurs politiques de recrutement respectives. Au maintien en poste de l’ancien personnel à Eisenhüttenstadt s’oppose la prédominance de nouveaux venus, généralement issus de l’industrie, à Hoyerswerda. Ce rapport différencié au passé estallemand s’accompagne de positions divergentes à l’encontre du modèle ouestallemand. La direction municipale de Hoyerswerda a opté pour une stratégie de reproduction, que favorise l’importation d’experts administratifs chevronnés. La commune compte en effet plusieurs fonctionnaires de l’Ouest dotés d’une longue expérience professionnelle. C’est tout particulièrement le cas du maire en poste de 1991 à 1994, ancien chef de l’administration d’une ville de Rhénanie du Nord-Westphalie, recruté grâce à l’activation des réseaux politiques de la CDU locale. Forts d’une légitimité qu’ils puisent dans leur savoir-faire et leur capital social, ces Allemands de l’Ouest occupent une position dominante à Hoyerswerda, attestée par leur rang dans la hiérarchie municipale. Les instances municipales d’Eisenhüttenstadt ont, en revanche, privilégié une stratégie de distanciation, qui se traduit, entre autres, par un recours limité aux services d’agents administratifs ouest-allemands, cantonnés de plus à des positions dominées, tant en raison de leur profil professionnel que de leurs fonctions au sein de l’appareil municipal. Ils se divisent en deux catégories : la première regroupe de jeunes diplômés attirés par les perspectives de carrière dans les administrations de l’Est ; la seconde se compose de personnes issues des secteurs socioculturels qui ont vu dans les nouveaux Länder un terrain propice à l’expérimentation dans ces domaines.

1. L’ENCADREMENT DE L’ACTIVITE ADMINISTRATIVE

4En appliquant le qualificatif bureaucratique à l’administration ouest-allemande, les agents municipaux de l’ancienne RDA visent avant tout l’encadrement normatif de ses activités, auquel ils opposent des pratiques et interactions qui alliaient arrangement et domination sous le régime socialiste réel.

1.1. LE CARCAN DES REGLES DANS LA BUREAUCRATIE OUEST-ALLEMANDE

5Au cours d’un entretien mené à Eisenhüttenstadt, un agent municipal affirmait : « C’est sûr, le système ouest-allemand est très bureaucratique, il y a tout un tas de procédures administratives et juridiques à respecter ». Et d’ajouter : « Le problème général de la RFA, c’est que c’est trop réglementé, il y a parfois trop de règles… ». Ces propos résument de manière emblématique le sens que nos interlocuteurs estallemands donnent à l’adjectif bureaucratique : ils désignent ainsi le caractère codifié et formalisé d’un travail administratif dont l’accomplissement est encadré par un ensemble de normes et de réglementations, rythmé par une succession de démarches et de formalités. Plus exactement, l’emploi du qualificatif bureaucratique sert à stigmatiser les effets de cette formalisation. Sont tout d’abord dénoncées la multiplication et la complexification des normes juridiques qui rendent la réalisation des tâches laborieuse voire pénible : « On le remarque au niveau de notre travail à l’étatcivil : il y a beaucoup plus de lois à observer, à examiner avant de prendre une décision… ça rend le travail beaucoup plus compliqué » (chef de service, Hoyerswerda). Les agents administratifs déplorent en outre les usages systématiques de l’écrit qui participent de cette formalisation de leur activité professionnelle : documents, formulaires, rapports sont fustigés comme « un tas de papiers à remplir, une paperasse qui nous encombre » (chef de service, Eisenhüttenstadt).

6Agents et usagers de l’administration ressentent ces exigences formelles comme autant de contraintes qui tendent à ralentir le processus de prise et de mise en œuvre des décisions : « Quand je vois tous ces papiers que je dois remplir, je me dis que c’est pas possible [...] Pour la moindre chose, il faut déposer une demande écrite pour avoir l’autorisation. Tout doit se faire par écrit, alors ça prend du temps… Les gens ne comprennent pas qu’il faille autant de temps pour traiter un dossier, qu’il y ait toutes ces règles à respecter. Ils croient que ça marche tout de suite. C’est difficile de rendre compréhensible tous ces mécanismes bureaucratiques. Il faut leur faire comprendre que ça prend du temps, que pour répondre à leur demande, il faut obtenir différentes autorisations. Par exemple, pour une demande d’achat, ça peut durer plus d’un an parce qu’il faut prendre en considération tout un tas d’éléments, respecter différentes étapes » (agent administratif, Eisenhüttenstadt). À la lenteur des procédures se joignent d’autres griefs stigmatisant la rigidité d’un cadre réglementaire qui « ne permet pas de résoudre concrètement les problèmes » (conseiller municipal sans étiquette, Eisenhüttenstadt) et apparaît, de ce fait, comme un obstacle au traitement des requêtes formulées par les administrés : « Les intérêts des gens ne sont pas toujours pris en compte par l’administration… C’est pas forcément lié aux employés mais au système. Toutes ces règles, tous ces papiers ça rend les choses impersonnelles, éloignées de la réalité » (membre d’association, Eisenhüttenstadt). Les critiques des usagers visent moins les comportements des membres de l’administration que le caractère contraignant des procédures requises dans l’exercice de leur profession. Les agents municipaux partagent d’ailleurs cette représentation des règles, identifiées à un carcan qui les empêche de satisfaire les attentes des administrés. La responsable du bureau d’aide sociale à Hoyerswerda évoque notamment les entraves juridiques qu’elle rencontre régulièrement dans l’attribution effective des allocations prévues par les divers programmes d’assistance : « Je voudrais parfois aider les gens qui ont des problèmes mais la loi ne leur permet pas. Elle impose tout un tas de conditions et de critères à respecter et quand les gens n’entrent pas dedans, tant pis pour eux. Leur situation réelle, la loi s’en fiche ! ». Ainsi, l’emploi du qualificatif bureaucratique pointe avant tout l’application rigide de normes impersonnelles à des situations nécessairement particulières.

7Lourdeur, complexité des procédures, inadaptation aux besoins des usagers... Nos interlocuteurs est-allemands insistent sur les méfaits d’une réglementation qu’ils jugent excessive. Ces propos relèvent d’un usage péjoratif du terme bureaucratique, qui fait écho aux discours ordinaires dénonçant de manière récurrente les dysfonctionnements des administrations occidentales. Les témoignages est-allemands offrent cependant une particularité en soulignant le caractère nouveau d’une inflation réglementaire qui confère à l’administration importée de l’Ouest l’image d’« un maquis encore plus impénétrable que par le passé » (Mortier, 1993, p. 243) : « C’est pas croyable ce que le système ouest-allemand peut être bureaucratique. On parlait toujours de la bureaucratie de la RDA mais à côté de ce qu’on a maintenant, je peux vous dire que c’était rien ! La bureaucratie a été multipliée par dix. Aujourd’hui on a beaucoup plus de papiers à remplir et à faire remplir, de documents à traiter, de notifications à examiner. Pour la moindre décision il faut vérifier tout un tas de choses, voir si c’est conforme à telles règles, suivre des procédures longues et compliquées » (chef de service, Hoyerswerda).

8En usant du comparatif « plus bureaucratique » pour désigner l’administration ouest-allemande, les propos recueillis dans les deux municipalités tracent, en creux, les limites de la formalisation administrative en (ex-)RDA. Ils rejoignent les analyses qui mettent l’accent sur la faiblesse de la codification juridique propre aux régimes socialistes réels et, plus particulièrement, à leur administration, présentée comme le règne de l’informel [6]. Concluant de ce fait au caractère irrationnel de l’appareil bureaucratique de type soviétique, celles-ci n’éclairent toutefois « en rien les mécanismes ayant permis aux institutions étatiques de fonctionner bon gré mal gré pendant quarante ans » (Rowell, 1999, p. 141). Aussi s’agit-il de dépasser ces analyses pour restituer les logiques autour desquelles s’articulaient les modes d’action et de relation des agents administratifs de l’ancienne RDA.

1.2. L’ADMINISTRATION DE RDA ENTRE ARRANGEMENT ET DOMINATION

9Le rapport aux usagers cristallise une large part des critiques formulées à l’encontre de l’administration ouest-allemande. Au principe d’une gestion impersonnelle des dossiers, les agents municipaux de l’ancienne RDA opposent un traitement individualisé des administrés, qui semble s’inscrire dans la continuité de pratiques antérieures. Celles-ci reposaient en effet sur des mécanismes d’arrangements informels, favorisés par le faible encadrement juridique de l’activité administrative : « Avant, quand quelqu’un n’était pas content, ça arrivait qu’il vienne directement se plaindre auprès du responsable de l’administration. On voyait ce qu’on pouvait faire. Si on avait la possibilité de trouver un arrangement, on le faisait. Mais bon, c’est sûr que c’était pas toujours possible » (chef de service, Eisenhüttenstadt). Les arrangements prenaient corps au travers de contacts directs et interpersonnels entre agents administratifs et usagers, qui transparaissent dans la manière dont certains administrés sollicitent aujourd’hui les services municipaux. Ces comportements suscitent des critiques dans les rangs de l’administration, en particulier à Hoyerswerda où ces vestiges du passé sont vécus sur le mode de la contrainte, comme le montrent les propos du chef du service des biens immobiliers évoquant les attentes désormais illégitimes que l’administration continue à produire : « Il y a encore des gens qui croient que ça marche comme avant et qui viennent directement ici pour se plaindre quand ils sont pas contents, quand ils ont un problème avec leur voisin par exemple parce que c’est quelque chose qu’ils connaissaient du temps de la RDA. Ils essaient d’obtenir quelque chose par cette voie. Ils ont pas encore compris que maintenant il y a des nouvelles règles qu’il faut respecter et que ça marche pas comme ça. Ils viennent à tout bout de champ pour obtenir quelque chose qui n’est plus de notre ressort, c’est vraiment pénible parfois […] C’est toujours le même problème : chacun veut qu’on trouve la solution à ses difficultés personnelles. Mais on n’est plus là pour s’occuper des problèmes personnels des gens comme c’était le cas avant […] Dans les anciens Länder, ils [les agents administratifs] n’(ont) pas ce problème, ils ne rencontrent pas ce genre de situation ». Ce témoignage apparaît révélateur des décalages à l’œuvre dans les processus d’apprentissage entre des agents administratifs formés aux nouvelles règles du jeu et des usagers qui continuent à adopter les répertoires d’action acquis au cours de leur socialisation antérieure.

10L’arrangement tenait de caractéristiques propres à la société est-allemande, qui dépassaient le simple cadre des rapports entre agents municipaux et administrés. Il participait d’un mode de relation qui structurait l’ensemble des interactions sociales, sans lequel on ne peut « reconstruire de manière juste la vie en RDA ni comprendre de manière appropriée sa relative stabilité » (Kocka, 1994, p. 552). Généralement analysé comme une réponse aux défaillances tant organisationnelles que matérielles du centralisme (Rogas et al., 1997, p. 12) autorisant « la survie de l’ensemble du système » (Kott, 2002, p. 18), l’arrangement prenait la forme de transactions destinées à compenser les difficultés économiques qui affectaient tout particulièrement les instances communales, en raison d’une allocation centralisée des ressources défavorable aux espaces périphériques. Ces échanges de biens et de services se nourrissaient d’une imbrication entre logiques publiques et privées qu’ils contribuaient eux-mêmes à renforcer. Le contexte de pénurie favorisait ainsi l’émergence de formes d’entraide, qualifiées de « communauté de misère » (Senghaas-Knobloch, 1992, p. 300) ou encore d’« organisation des mal approvisionnés » (Struba, 1991, p. 422).

11Dès lors, l’arrangement appartenait au quotidien d’institutions communales où se mêlaient pression économique et poids des réseaux d’interconnaissance propres à l’échelon local. Les ententes établies entre administration municipale et entreprises d’État – ou combinats – offraient une illustration de ces pratiques, favorisées par l’ancrage des agents municipaux dans la société locale : « Du temps de la RDA, le système était tel qu’il fallait faire en sorte d’avoir de bons contacts avec les grosses entreprises. Comme ça, on pouvait aller voir la direction et dire : “nous pourrions construire tel bâtiment ou rénover telle rue mais nous n’avons pas le matériel nécessaire”. Alors, si ça intéressait les gens de l’entreprise, ils soutiraient une partie de leur matériel pour nous le donner ». Le récit de cet agent administratif en poste à Hoyerswerda montre que l’arrangement relevait d’une solidarité instrumentale, visant à tisser puis exploiter des liens personnels en vue d’un quelconque profit. Il témoigne en outre d’une routinisation voire d’une institutionnalisation de l’arrangement entre l’administration communale et son environnement, tolérée et même encouragée par le régime de RDA. Afin de ne pas accroître le déficit de légitimité suscité par la situation de pénurie, le pouvoir central avait tendance à fermer les yeux sur les échanges entre administrations et entreprises, qui pouvaient d’ailleurs être officialisés sous la forme de contrats communaux. Si ces derniers prévoyaient initialement l’octroi de prestations financières pour la construction d’équipements sociaux ou sportifs, les coopérations se sont, dans les faits, réduites à des prestations en nature à travers la fourniture de matériaux de construction, de machines et de main-d’œuvre par les combinats (Bernet, 1993, p. 36). Ces pratiques remettent en cause « l’interprétation dominante selon laquelle les administrations territoriales auraient été contraintes à l’improvisation pour compenser la rigidité du plan central », dans la mesure où les transactions ne s’effectuaient pas à l’insu du pouvoir central mais faisaient partie intégrante de l’économie en RDA (Rowell, 2002, p. 123). Les ententes établies entre combinats et administrations municipales soulignent aussi les limites d’une lecture hiérarchique qui voit l’entreprise socialiste comme une simple unité de production et l’administration locale comme une simple courroie de transmission, assujetties aux directives du centre. Derrière la façade officielle de l’économie planifiée se dessinait une « deuxième réalité » (Wollmann, 1991, p. 248), articulée autour de coopérations informelles et d’échanges personnels offrant l’accès à différents types de biens, de services et de privilèges [7].

12Les discours des agents municipaux est-allemands tendent à masquer les formes de domination qui structuraient également les interactions entre l’administration locale et son environnement en RDA. D’autres récits diffusent en effet une image très différente des relations entre personnel administratif et usagers, faisant écho aux analyses qui voient dans l’appareil bureaucratique de type soviétique l’instrument du pouvoir totalitaire [8] et dans ses membres les acteurs chargés de mettre en œuvre son emprise sur les citoyens. Ils insistent sur l’indifférence des agents municipaux, présentés comme des « chefs », « ceux d’en haut » qui « n’en avaient rien à faire des problèmes de la population » (conseiller municipal, initiative de citoyens, Eisenhüttenstadt). Et se montraient dès lors peu disposés à faire preuve de conciliation à l’égard des usagers, livrés au bon plaisir de l’administration. Délivrée des contraintes juridiques, celle-ci avait de fait « tous les droits. Si elle voulait refuser une demande, elle n’avait pas de comptes à rendre. Elle disait “c’est comme ça” » (membre d’une association, Hoyerswerda). La stratégie des agents municipaux consistait notamment à se retrancher derrière la direction du parti dirigeant et les ordres des instances supérieures [9] pour opposer un refus aux requêtes des administrés (Glaeßner, 1993, p. 72). Le centralisme démocratique substituait ainsi à l’encadrement juridique des pratiques administratives un contrôle hiérarchique et politique exercé par les organes du parti dirigeant, qui assuraient cette tâche grâce à leur mainmise sur les nominations aux positions administratives centrales, en grande majorité occupées par des représentants du SED (Wollmann, 1997, p. 13).

13Ces différents témoignages renvoient une image contradictoire du fonctionnement administratif en RDA. La contradiction n’est toutefois qu’apparente, dans la mesure où arrangement et domination constituaient deux facettes indissociables des interactions entre l’administration est-allemande et son environnement. Ceci tient tout d’abord à la faible codification de l’activité administrative en RDA : propice aux pratiques d’arrangement, elle permettait en même temps aux agents municipaux d’exercer leur domination sur les administrés. Ceci s’explique ensuite par les principes qui sous-tendaient les échanges entre l’administration et son environnement : inscrits dans une logique « donnant – donnant », ces derniers semblaient conditionnés par la capacité des administrés à offrir des biens ou des services en retour, excluant ceux qui, en raison de leur position professionnelle ou sociale, étaient dépourvus de telles ressources. Aussi l’arrangement était-il fonction des rapports de force locaux. Ce que rappellent notamment les propos suivants, relatant la manière dont les instances municipales procédaient à la répartition des dotations octroyées par le pouvoir central entre les artisans de la commune : « En RDA, notre travail c’était de partager les moyens financiers et matériels mis à la disposition du conseil de la ville entre les uns et les autres. On n’avait pas grand-chose à distribuer. Par exemple, on recevait 420 mètres cube de bois par an et il fallait le partager entre les menuisiers de la ville. Du coup, il fallait qu’on s’arrange entre nous […] Bien entendu, chacun souhaitait recevoir plus pour faire plus. Les gens dépendaient de nous » (agent administratif, Eisenhüttenstadt). Ce mode de distribution montre combien les artisans étaient soumis au bon vouloir des autorités municipales pour l’acquisition de matériaux. À l’inverse, les transactions entre administrations locales et entreprises d’État s’opéraient dans une configuration marquée par la dépendance des premières à l’égard des secondes. Face à des organes communaux dotés de ressources limitées, les directions des combinats apparaissaient comme les véritables instances de pouvoir à l’échelon local. Directement subordonnées à l’autorité centrale, ces entreprises disposaient de départements de construction et d’entretien susceptibles d’être utilisés dans le cadre des missions d’approvisionnement et de réparation dévolues aux communes (Berking et Neckel, 1992, p. 154). La disparité des moyens plaçait l’appareil municipal dans une position de quémandeur, que les agents administratifs endossaient personnellement en sollicitant l’aide du combinat : « J’ai travaillé de nombreuses années dans l’administration, je connaissais beaucoup de gens ici. J’ai toujours soigné mes contacts avec les gens du combinat. C’était important d’y avoir de bons copains si on voulait réussir à mettre sur pied des projets dans la commune parce que c’était le combinat qui avait le pouvoir et l’argent. C’était un véritable État dans la ville. On était dépendant de lui et si on avait de bonnes relations, on pouvait obtenir son soutien » (ancien responsable de la culture, Eisenhüttenstadt).

14Replacer les pratiques administratives dans l’organisation sociale est-allemande permet de résoudre l’apparente contradiction soulevée par la concomitance des rapports de domination et des mécanismes d’arrangement. Les seconds dévoilent en outre les limites d’une conception monolithique du contrôle exercé par le pouvoir central sur les espaces périphériques au sein des régimes socialistes réels, dans la mesure où les principes de soumission et d’obéissance devaient s’accommoder des marges de manœuvre – certes réduites – dont disposaient les acteurs locaux. Les échanges entre l’administration et son environnement se comprennent également dans un contexte d’interpénétration entre la société et l’appareil étatique, marqué par des phénomènes de glissement voire d’effacement des frontières entre sphères publiques et privées qui ont favorisé la diffusion de pratiques informelles et d’interactions interpersonnelles. Aussi les arrangements ne remettent-ils pas seulement en cause l’ampleur du processus de pénétration de la société par l’appareil étatique ; ils mettent réciproquement au jour les formes de pénétration de cet appareil par la société. Ce que traduit la notion de « socialisation de l’État », qui renverse la perspective totalitaire de l’« étatisation de la société » en montrant que les modes de fonctionnement de l’appareil administratif dépendaient des agencements du corps social (Kott, 2001, p. 16).

2. DES MODELES PROFESSIONNELS EN CONFRONTATION

15Les critiques formulées par les agents administratifs est-allemands ne s’arrêtent pas aux contraintes engendrées par une bureaucratie ouest-allemande qui tend à « corseter » l’activité administrative en imposant de multiples formalités. Elles visent par ailleurs un ensemble de comportements et de représentations qui donnent corps à la figure du fonctionnaire de carrière. En d’autres termes, le regard critique que posent les Allemands de l’Est sur l’administration importée de l’Ouest concerne à la fois les modalités de son activité et le modèle professionnel de ses agents : à travers l’usage du terme bureaucratique, ils stigmatisent tant la formalisation des pratiques que le formalisme du personnel administratif. Leurs discours font ainsi écho au modèle du fonctionnaire de « type nouveau » prescrit par les autorités de RDA, dont Jay Rowell offre une analyse dans ce numéro.

2.1. DE LA FORMALISATION AU FORMALISME : LA FIGURE DU FONCTIONNAIRE OUEST-ALLEMAND EN ACCUSATION

16« Nous, on n’est pas des fonctionnaires ! » (agent administratif, Eisenhüttenstadt). Ce nous, qui représente les agents administratifs de l’Est, sous-entend un eux désignant implicitement leurs collègues originaires de l’Ouest. À travers cette remarque se dessine une identité professionnelle construite en opposition au modèle incarné par le fonctionnaire ouest-allemand. Celui-ci renvoie tout d’abord à la figure weberienne de l’agent administratif garant du principe de légalité et respectueux des procédures, à l’image du maire ouest-allemand en poste à Hoyerswerda qui « veut que les choses soient faites dans les formes, qu’on respecte les hiérarchies » (chef de service). Les agents municipaux de l’ancienne RDA lui opposent une application souple voire approximative des formalités administratives, dont témoigne l’observation de cet Allemand de l’Ouest en fonction à Eisenhüttenstadt : « Dans le service [d’urbanisme], les règles c’est pas trop un problème. Par exemple, même si toutes les connaissances pour un avis public ne sont pas réunies, on le publie, on n’en fait pas tout un cirque » (agent administratif).

17L’absence de formalisme se manifeste également au travers de modes de coopération qui privilégient les échanges directs et informels, illustrés par le recours à la communication orale et le court-circuitage des hiérarchies dans l’administration municipale d’Eisenhüttenstadt : « Ici, il y a des relations de travail que je connaissais pas à l’Ouest. Je n’avais jamais rencontré ça avant. Les gens s’adressent directement à leurs collègues, du style “Tu saurais pas, tu pourrais pas, t’aurais pas”. C’est la voie courte qui domine, les employés vont directement voir le chef. C’est pas rare qu’il y en ait un qui débarque comme ça chez le maire pour régler un problème. C’est quelque chose de très étonnant pour moi, en Allemagne de l’Ouest, c’est différent, les relations sont plus formelles, il faut souvent passer par l’écrit, la voie hiérarchique est plus longue, on respecte les différents niveaux. Bon, c’est sympa ce côté informel mais à mon avis c’est aussi problématique. Quand il n’y a pas de traces écrites, les choses ne sont pas toujours claires. En cas de conflits, ça peut être délicat » (directeur du musée local, originaire de l’Ouest). Les témoignages diffusent ainsi l’image d’une administration caractérisée par le primat de l’oral, déjà sensible dans les critiques formulées à l’égard de la « paperasserie ouestallemande ». Ils vont à l’encontre des travaux qui, sur la base des archives de RDA, montrent que l’écrit détenait « une valeur spécifique dans la culture bureaucratique est-allemande » (Escudié, 2003, p. 96).

18Ces comportements suscitent quelques réserves parmi les Allemands de l’Ouest en poste à Eisenhüttenstadt. Le chef du département chargé des affaires sociales et culturelles y voit notamment une porte ouverte à l’arbitraire [10] : « En Allemagne de l’Ouest, le principe c’est que les choses doivent être à 150% correctes. Ici, c’est pas comme ça : si l’employé pense que c’est correct, alors c’est bon, ça suffit… C’est sûr que ça a du bon de pas se casser la tête pour savoir si ce qu’on fait est 100% correct sur le plan juridique, ça rend le travail agréable. Mais pour moi qui vient de l’Ouest, je ne sais pas si c’est bien ou pas. Parfois ça me pose problème de voir que les règles ne sont pas forcément observées […] ça me dérange parce que j’ai l’impression que d’une façon les droits des citoyens ne sont pas toujours respectés ». Ce regard critique sur les pratiques administratives est-allemandes met au jour des usages de la règle qui s’inscrivent en décalage voire entrent en conflit avec l’ethos du fonctionnaire diffusé en Allemagne de l’Ouest.

19Les agents municipaux est-allemands présentent ces usages comme une perpétuation des comportements à l’œuvre en RDA, où l’« on ne s’embarrassait pas de toutes ces règles, de toutes ces procédures » (agent administratif, Eisenhüttenstadt). Ils participent de cet héritage professionnel caractérisé par un faible encadrement formel de l’activité administrative : « Avant, le maire disait : “on va construire une usine ici” et ça se faisait comme ça ! Maintenant, il faut presque un an pour mener à bien un projet de construction avec toutes ces procédures à observer » (agent administratif, Eisenhüttenstadt). Si ce propos doit être nuancé en raison de son caractère simplificateur, il permet néanmoins d’entrevoir les logiques d’un processus décisionnel peu soucieux des règles juridiques en matière d’action publique. Les observations des fonctionnaires ouest-allemands détachés dans les nouveaux Länder viennent d’ailleurs conforter ces affirmations : « Le travail administratif, ça se fait pas comme ça. Il y a tout un tas de procédures à suivre. On ne peut pas décider ou agir n’importe comment. Par exemple, pour délivrer un permis de construire, il y a des règles prévues qu’il faut respecter. Apparemment, c’est quelque chose dont nos collègues de l’Est n’avaient pas l’habitude » (chef de service, Hoyerswerda). Un « manque d’habitude » également souligné dans les récits consacrés aux apprentissages qui ont accompagné le processus de transformation. Ils montrent en effet que la resocialisation professionnelle des agents administratifs de l’ancienne RDA relève avant tout d’une familiarisation avec un nouveau rapport à la règle dans l’exercice de leur métier : « Quand les changements sont arrivés, ça faisait déjà huit ans que je travaillais dans l’administration… Mon activité n’a pas tant changé que ça dans son contenu, c’est surtout les procédures qui sont différentes […] On a dû apprendre que les choses n’étaient pas aussi simples, qu’il y avait tout un tas de règles à observer, certaines formes à respecter, qu’on ne pouvait pas décider comme ça » (chef de service, Eisenhüttenstadt). Ces témoignages révèlent en outre la prégnance d’une socialisation antérieure qui continue à marquer les pratiques administratives : ils évoquent les difficultés des Allemands de l’Est à intégrer des exigences formelles qui leur « posent problème » parce qu’ils n’ont « pas grandi avec » et n’y étaient « pas habitués dès le début » (agent administratif, Eisenhüttenstadt). Semblent plus particulièrement touchés les employés municipaux « qui travaillent depuis trente ans dans l’administration » et « ont beaucoup de mal à se faire à tout ce fatras administratif, à toutes ces réglementations » (chef de service, Eisenhüttenstadt). Les difficultés d’adaptation ne sont pas seules en cause dans ce rejet. Plus profondément, il procède d’une défiance à l’égard des outils juridiques : « Toutes ces procédures, c’est pas forcément ce qui permet de répondre aux problèmes. Je pense que ça suffit pas d’appliquer les lois, on ne peut pas résoudre les choses avec des règles… » (chef de service, Eisenhüttenstadt).

20Au-delà des usages se dessinent des représentations spécifiques de la règle dans l’administration est-allemande. Ses agents contestent la capacité des procédures standardisées à fournir des répertoires d’action appropriés à leur pratique professionnelle, déniant « l’utilité du droit dans son ensemble » (Berg et al., 1996, p. 86). Déjà sensibles au travers des récits pointant les méfaits d’un carcan réglementaire ouest-allemand qui ne permet pas de répondre aux situations particulières et aux problèmes concrets, ces critiques témoignent également d’une intériorisation du « devoir d’empathie » associé au modèle du fonctionnaire de « type nouveau ». Elles renvoient en effet à une définition particulière du « juste traitement » des usagers : à une gestion impartiale et impersonnelle des requêtes, qui redéfinit les individus en catégories générales et décline les problèmes en termes de légalité (Weller, 1996, p. 216), les agents administratifs de l’Est opposent l’engagement en faveur des administrés qu’ils connaissent individuellement et sollicitent directement leur assistance [11]. L’arrangement fonctionnait d’ailleurs comme un instrument au service de cette conception du « juste traitement » des doléances défendue par nos interlocuteurs est-allemands. Ainsi, les discours ne mettent pas seulement en cause l’efficacité de la règle ; ils contestent aussi la légitimé d’une formalisation administrative accusée de détourner les agents municipaux de ce qu’ils définissent voire revendiquent comme leur véritable mission : « Toute cette bureaucratie qu’il y a maintenant, c’est un vrai problème. On ne peut pas agir vite, il y a beaucoup d’obstacles qui empêchent de décider spontanément. Par exemple, en 1992, plusieurs associations pour les jeunes ont été créées. Elles se sont adressées aux services municipaux pour que la ville mette des locaux à leur disposition. Et ça n’a pas été aussi simple que je le croyais. Avec toutes ces règles de l’Ouest, c’était impossible de leur attribuer rapidement un local. Il a fallu demander différentes autorisations, remplir des papiers, ça a pris du temps… Pour moi, c’est un problème toutes ces procédures bureaucratiques parce que du coup on ne s’intéresse plus qu’à la légalité de notre action et on perd de vue ce qui est notre vraie mission, on en vient à oublier la question qui devrait être au cœur de notre travail : qu’est-ce que notre service fait concrètement pour les jeunes de la ville ? » (agent administratif, Hoyerswerda).

21Se profile dès lors une stigmatisation du contre-modèle professionnel ouestallemand, marquée par un glissement péjoratif. La figure du fonctionnaire respectueux des formes cède la place à celle du bureaucrate formaliste qui se complaît dans un attachement (trop) scrupuleux aux normes et aux procédures : « J’ai fait concrètement l’expérience de la façon dont ça se passe avec l’administration. Ils accordent plus d’importance aux règles qu’aux problèmes des gens. Le problème peut être très grave, ça ne change rien : si le formulaire est pas bien rempli, la personne n’a plus qu’à retourner chez elle et recommencer […]. Ils s’en fichent bien de savoir si les gens qui sont en face d’eux ont des problèmes personnels » (conseiller municipal PDS, Hoyerswerda). Ces propos font écho aux travaux sur les dysfonctions bureaucratiques qui pointent les dérives ritualistes de la formalisation administrative, en montrant comment l’application des règles passe du statut d’instrument à celui de fin en soi. En d’autres termes, les procédures ne sont plus appliquées en référence à un ensemble de buts mais font figure d’absolus (Merton, 1965, p. 196 et sqq ). Relativement absentes à Eisenhüttenstadt, ces critiques apparaissent, en revanche, récurrentes à Hoyerswerda. Elles visent en premier lieu les agents administratifs de l’Ouest, accusés d’être plus vigilants dans l’observation des règles que soucieux des usagers, sommés d’effectuer leurs démarches « dans les formes » pour voir leurs requêtes prises en considération : « J’ai l’impression que chez beaucoup de fonctionnaires de l’Ouest, il n’y a que la règle qui compte. Ils prennent leurs décisions en fonction de la loi. Je l’ai remarqué ici chez certains de mes collègues de l’Ouest, ils se montrent souvent trop pointilleux. Pour eux, ce ne sont pas les problèmes des gens qui comptent mais le respect des règles […] L’important pour eux, c’est que leur décision soit conforme aux textes » (chef de service). Les critiques s’étendent en outre aux agents administratifs de l’Est « qui se sont montrés très vite prêts à intégrer les exigences de l’Ouest ». Formulée par une employée du service d’aide sociale à l’enfance, cette remarque vise le comportement procédurier adopté par certains de ses collègues dans leurs interactions professionnelles : « Il y en a par exemple au service des travaux publics, quand on veut trouver une salle à mettre à disposition d’associations, il faut obtenir toute une série d’autorisations ». Sont ici dénoncés les pairs qui « ont bien appris leur leçon » en calquant rapidement leur comportement sur celui des fonctionnaires détachés. On peut s’étonner de propos qui véhiculent une image quelque peu caricaturale de la bureaucratie et des bureaucrates ouest-allemands en masquant la part de compromis et d’aménagements informels également à l’œuvre dans les administrations occidentales [12]. Ils s’inscrivent pour partie dans l’entreprise de stigmatisation du modèle professionnel importé de l’Ouest. Mais le formalisme observé à Hoyerswerda trouve aussi sa source dans une configuration locale marquée par la domination de fonctionnaires ouest-allemands qui ont établi et légitimé cette position grâce à la mise en œuvre et en scène de leurs compétences administratives et juridiques. Ils ont tout particulièrement mobilisé ces ressources dans le cadre des processus d’apprentissage en faisant office de principaux canaux de transmission du modèle administratif ouest-allemand auprès de leurs collègues de l’ancienne RDA.

22Au-delà d’une moindre formalisation, les discours dévoilent ainsi des représentations et des usages de la norme qui participaient d’un modèle professionnel spécifique. Derrière le respect limité des règles se dessinaient des comportements accordant une large place au pragmatisme

2.2. LE PRAGMATISME DES AGENTS ADMINISTRATIFS EST-ALLEMANDS : UN MODE DE COMPETENCE EN QUESTION

23À l’approche formaliste du travail administratif, les agents municipaux de RDA opposaient une démarche pragmatique, articulée autour de l’élaboration de solutions ad hoc, comme le soulignent les propos tenus par un employé du service économique à Eisenhüttenstadt : « Du temps de la RDA, on étudiait le problème, on réfléchissait aux différentes manières de le résoudre. Ensuite, on allait voir le chef. On lui disait : “voilà le problème, on peut le résoudre de telle façon”. S’il était d’accord, on le faisait, tout simplement ». Ce récit permet de saisir les différentes dimensions que nos interlocuteurs confèrent à la notion de pragmatisme. Elle désigne tout d’abord les principes qui guidaient leur prise de décision : au respect d’un cadre normatif prédéfini se substituait une appréciation subjective des problèmes et des réponses appropriées à chaque situation concrète. Les agents administratifs estallemands mentionnent de manière récurrente « le bon sens » dont ils usaient pour produire leurs propres règles de conduite. La notion de pragmatisme sert ensuite à rendre compte de modalités d’action faisant appel au sens pratique des individus. Celui-ci se traduisait notamment par la recherche de formes d’arrangements internes qui rappellent les logiques à l’œuvre dans les interactions entre l’administration municipale et son environnement. L’anecdote suivante, narrée par une employée du service d’aide sociale à l’enfance, montre que ces habitudes subsistent à Eisenhüttenstadt : « Nous avons ici un club pour les jeunes. Ce sont eux qui gèrent ça tout seuls. Ils ont les clefs du local, ils sont indépendants […] ça a bien marché pendant deux ans, sans grand problème. Et puis il y a quelques jours, je suis rentrée de vacances et une collègue m’a dit : “ils ont cassé un mur pour faire une porte et pouvoir utiliser aussi la pièce d’à côté”. Le hic, c’est que cette pièce n’appartient pas à la commune et du coup c’est un problème par rapport au code de la construction […] Je suis allée voir le chef du service des travaux publics et il a été vraiment sympa, très compréhensif. Il a tout de suite dit : “on va examiner si ça va et faire en sorte de leur laisser cette pièce à disposition”. Je trouve ça vraiment bien cette façon de travailler ». Le pragmatisme renvoie enfin à des processus de consultation directs et informels qui s’appuyaient sur les modes de communication orale évoqués précédemment.

24La phase de transition a été marquée par une perpétuation de ces répertoires d’action, comme le rappelle ironiquement un employé du service culturel d’Eisenhüttenstadt : « Juste après la Wende, c’était une période super ! (rires) … Les gens venaient et ils disaient : “on voudrait faire quelque chose dans la culture”. Et paf, un simple coup de tampon et ils avaient leur autorisation ! » (agent administratif,). Le pragmatisme a alors fonctionné comme une réponse à l’incertitude engendrée par le contexte de vide juridique : « au début, rien n’était clairement défini, on s’est pas tellement cassé la tête avec les règles, on s’attaquait librement aux choses, on a fait confiance à notre bon sens « (agent administratif, Eisenhüttenstadt). C’est ce que soulignent les analyses qui montrent comment la mobilisation des pratiques héritées de la RDA a pu constituer une ressource dans le processus de transformation (Reißig, 1995, p. 151).

25Les agents administratifs ouest-allemands mettent également l’accent sur les talents d’improvisation de leurs collègues de l’ancienne RDA : « Au début, quand je suis arrivé ici, j’ai remarqué que les gens improvisaient beaucoup […] je ne l’aurais pas cru avant de venir, je pensais que ça fonctionnait un peu plus comme chez nous » (chef de service, Hoyerswerda). Ils posent cependant un regard critique sur ces pratiques, dans lesquelles ils voient une « prédilection pour le provisoire », un « goût du bricolage » ou encore une « tendance à la débrouille » aussi inutiles qu’inefficaces. Un jugement particulièrement manifeste à Eisenhüttenstadt, où les fonctionnaires de l’Ouest notent une pérennisation de ces comportements : « Depuis que je travaille ici, j’ai remarqué qu’il y a vraiment une envie d’improviser chez les gens, même quand ils n’en ont pas vraiment besoin. Ici, on bricole, on se débrouille, ce sont des choses qui vont de soi […] Bon, je dois reconnaître qu’ils ont le mérite d’essayer des choses. Mais franchement je trouve que ça a parfois d’énormes désavantages ce bricolage… ça apporte pas grand-chose… Les gens improvisent de manière presque destructrice… » (chef de département). Les Allemands de l’Ouest stigmatisent le caractère contre-productif voire dysfonctionnel de ces héritages dans une administration désormais encadrée par des procédures standardisées et routinisées. Ils tendent ainsi à contester la compétence des agents administratifs estallemands, mesurée à l’aune du modèle professionnel ouest-allemand, à l’instar d’auteurs qui, tel Klaus König (1991, p. 20), soulignent le dilettantisme de l’administration de RDA.

26Si le pragmatisme peut être interprété comme un effet de la faible codification administrative, il est aussi présenté comme une réponse à la situation de pénurie chronique qui frappait la RDA. À l’instar des stratégies d’arrangement, le talent d’improvisation attribué aux agents administratifs est-allemands et, plus largement, à l’ensemble des citoyens de RDA faisait figure de nécessité dans un contexte économique qui, en quelque sorte, imposait le développement de facultés d’adaptation (Senghaas-Knobloch, 1992, p. 304). En d’autres termes, ce type d’analyse envisage l’improvisation comme un comportement contraint : les acteurs devaient trouver des solutions de rechange destinées à compenser les défaillances du régime. Selon Thomas Rigby (1977, p. 56), ces pratiques contribuaient à atténuer la rigidité de l’administration de type soviétique, qu’il qualifie de « bureaucratie organique » par opposition au modèle mécaniste des administrations occidentales caractérisées par la routine. Une telle perspective semble néanmoins réductrice. Replacer le pragmatisme dans le contexte est-allemand ne signifie pas pour autant réduire ce comportement à une réaction aux échecs économiques du système socialiste réel. Les agents administratifs déjà en poste du temps de la RDA le présentent en effet comme l’expression de savoir-faire et même de « savoir-être » sur lesquels ils pouvaient s’appuyer dans l’accomplissement de leurs tâches professionnelles. Ils mettent en avant leur aptitude à affronter et résoudre les problèmes de manière directe, en puisant dans une expérience forgée sur le terrain. On peut certes s’interroger sur une présentation de soi qui apparaît indissociable d’une stratégie de légitimation, dans la mesure où la maîtrise de compétences spécifiques sert à justifier un repositionnement dans le nouvel appareil municipal. Les agents administratifs est-allemands opposent d’ailleurs cette connaissance pratique du milieu local aux savoirs formels de leurs collègues ouest-allemands qui « sont venus ici avec toutes leurs règles » et « ne savent plus quoi faire quand il y a des problèmes qui leur sont inconnus » (chef de service, Eisenhüttenstadt) [13]. Mais de tels savoir-faire ont aussi été observés par les Allemands de l’Ouest à l’occasion de contacts noués du temps de la RDA. Les propos tenus par l’ancien chef du département culturel de Sarrelouis, administration partenaire d’Eisenhüttenstadt depuis 1986, en donnent une illustration : « Le responsable des affaires culturelles à Eisenhüttenstadt était très compétent dans son domaine. Bon, c’était un homme du SED mais il a vraiment beaucoup fait pour la culture au niveau de la ville. Il avait une vraie connaissance de la vie culturelle locale, une bonne expérience… il travaillait beaucoup avec les artistes ».

27Les agents administratifs avaient d’ordinaire acquis ces formes de compétence dans le cadre d’activités professionnelles antérieures. En témoignent les données empiriques, certes très partielles, sur les carrières municipales en RDA : dépourvus, en règle générale, de formation administrative spécifique, les agents communaux possédaient en revanche une qualification professionnelle voire un diplôme universitaire et avaient déjà exercé dans d’autres secteurs d’activités, tels que les entreprises, le commerce ou encore les services (Schneider, 1993, p. 19). Les secteurs à vocation économique et financière de l’administration d’Eisenhüttenstadt présentent quelques exemples de ce type d’itinéraire : on peut citer le cas d’un employé ayant rejoint les rangs de l’administration après avoir dirigé une entreprise d’État de 1960 à 1980 ou encore celui de la responsable du service financier qui a effectué des études d’économie à l’Université Humboldt de Berlin avant d’entrer en poste au début des années quatre-vingt. Nombre de fonctions administratives étaient également occupées par des ingénieurs et techniciens après quelques années de participation directe à la production. Une large fraction des agents recrutés à partir de 1990 offre d’ailleurs un profil similaire. C’est tout particulièrement le cas à Eisenhüttenstadt et Hoyerswerda, dans la mesure où les anciens combinats – dont la privatisation s’est accompagnée d’une forte réduction du personnel – ont fourni un important réservoir de main-d’œuvre pour les appareils municipaux en restructuration. Ces nouveaux venus ne manquent pas de souligner l’expérience de terrain acquise dans le cadre de leur activité professionnelle antérieure. Le témoignage suivant montre en outre qu’ils partagent le pragmatisme de leurs collègues issus de l’ancienne administration : « Avec beaucoup de mes collègues, on venait d’autres domaines, on n’avait pas une vision de fonctionnaires. Nous étions des techniciens et nous avons utilisé nos connaissances techniques […] Le but, c’était avant tout de s’interroger sur les choses à faire, les mesures à prendre et non de savoir si ce qu’on faisait était conforme aux règles administratives. On considérait avant tout les problèmes de manière concrète. Le principal, c’était : “quel est notre but et qu’est-ce qu’il faut faire pour l’atteindre ?” Nous avons résolu beaucoup de problèmes en nous fondant tout simplement sur notre bon sens » (chef de service, Hoyerswerda). Les services municipaux chargés de la Formation, de la Jeunesse et des Sports comptaient pour leur part beaucoup d’anciens éducateurs ou enseignants. L’enquête menée par Peter Beckers (1998, p. 101 et sqq.) dans deux arrondissements de Berlin-Est indique que près des deux tiers du personnel repris dans les services d’Aide sociale à l’enfance disposaient d’un diplôme professionnel : enseignants dans leur grande majorité, ils ont pour certains acquis ensuite une qualification supplémentaire de travailleur social. Ils ont par ailleurs exercé une activité pendant une durée moyenne de neuf ans avant d’entrer dans l’administration de RDA. Quelques exemples de trajectoires puisés dans le secteur socioculturel de l’administration d’Eisenhüttenstadt confirment ces résultats. La responsable du service d’Aide sociale à l’enfance était enseignante, avant d’effectuer une formation d’assistante sociale ; l’adjointe du chef de service de la Jeunesse était auparavant économe dans un jardin d’enfant. Le cas de l’ancien responsable des Affaires culturelles est également emblématique de ce type de parcours : après avoir géré une maison de la Culture dans l’armée durant son service militaire, il a continué à travailler dans ce domaine après son arrivée à Eisenhüttenstadt en 1963 ; parallèlement à son activité professionnelle, il a suivi une formation pour devenir directeur de maison de la Culture avant de faire carrière dans l’administration municipale de 1970 à 1990.

28À partir des années soixante-dix, ces qualifications professionnelles se voient progressivement complétées par un cursus administratif prioritairement destiné aux cadres dirigeants de l’appareil d’État. Maints d’entre eux sont désormais diplômés de l’Académie pour les Sciences Politiques et Juridiques de Potsdam – Babelsberg ou de l’École supérieure Edwin Hoernle à Weimar (Schulze, 1991, p. 162). Cette évolution transparaît, dans des proportions certes modestes, à l’échelon local. Les membres des directions municipales – ou conseils de la ville – sont toujours plus nombreux à suivre des enseignements au sein des ces institutions. C’est par exemple le cas de l’ancienne responsable de la Jeunesse et des Sports à Eisenhüttenstadt qui, après un apprentissage de libraire, a effectué des études d’éducatrice, suivies d’une formation juridique à l’Académie de Potsdam – Babelsberg lors de son entrée dans l’administration.

29L’examen des logiques de recrutement à l’œuvre dans les administrations de RDA permet ainsi de dépasser le simple discours de l’incompétence, en montrant que le pragmatisme s’inscrivait aussi dans des trajectoires professionnelles spécifiques. Il répondait, dès lors, à une autre forme de compétence, indissociable de cette identité de praticiens que nos interlocuteurs s’attachaient d’ailleurs à rappeler lors des entretiens : à l’affirmation « nous, on n’est pas des fonctionnaires », ils ajoutaient souvent, par opposition, « on est des praticiens ». Cette distinction entre bureaucrates et acteurs de terrain fait figure de clivage récurrent dans les administrations occidentales. Il oppose classiquement les services chargés des tâches juridicoadministratives, où la maîtrise d’un savoir formalisé apparaît primordiale, aux secteurs techniques, sociaux et culturels, qui valorisent en revanche l’acquisition de connaissances et expériences pratiques. En d’autres termes, cette opposition renvoie aux modèles de légitimation professionnelle propres à chaque secteur administratif. Les enquêtes menées dans les nouveaux Länder mettent toutefois en évidence une dimension spécifiquement Est/Ouest du rapport aux formalités administratives et des usages de la règle (Berg et al., 1996), qui semble échapper au clivage sectoriel. Elle ressort tout particulièrement à Eisenhüttenstadt où les pratiques administratives restent marquées par le poids de l’héritage communiste. Les entretiens révèlent, d’une part, que les dispositions au pragmatisme se manifestent de manière relativement indistincte dans l’ensemble des services municipaux. Ils soulignent, d’autre part, l’étonnement voire la réprobation des Allemands de l’Ouest en poste dans le secteur socioculturel – dont le profil professionnel s’écarte pourtant de la figure classique du fonctionnaire de carrière – face aux formes d’arrangement et d’improvisation cultivées par leurs collègues de l’Est. Produit de trajectoires professionnelles distinctes, ces différences trouvaient aussi leur origine dans la singularité des modes de sociabilité à l’œuvre dans les administrations de RDA.

3. FORMES DE SOCIABILITE ET PRATIQUES ADMINISTRATIVES

30Les espaces professionnels est-allemands se caractérisaient par une sociabilité articulée autour des collectifs de travail, censés concrétiser le primat de la communauté sur l’individu. Ils fonctionnaient comme des structures d’intégration en encourageant diverses formes de collégialité et de solidarité dans le travail (Rogas et al., 1997, p. 53). L’institution de ces collectifs de travail visait « à abolir la distinction entre l’individu et le groupe mais également entre le privé et le public » en organisant « des proximités sociales spontanées, suscitées ou forcées » (Kott, 2001, p. 137) par le biais d’activités communes, telles les excursions, les sorties ou encore les soirées théâtrales et musicales. Dès lors, les administrations constituaient en RDA des lieux de sociabilité qui dépassaient le simple cadre professionnel : « Avant, les relations dans le travail étaient chaleureuses. Par exemple on demandait comment allait la famille, on s’intéressait aux autres. Il y avait une vraie solidarité entre les gens. On se voyait en dehors, on avait des activités en commun. Maintenant, chacun reste dans son bureau. On ne prend pas le temps de se parler de choses personnelles, on se dit seulement bonjour dans le couloir ou des remarques du style “le café est bon aujourd’hui”. Rien de plus. On a surtout des contacts professionnels. Les contacts sont plus froids, plus distants. J’ai l’impression que c’est quelque chose de général à l’Ouest. Je m’en suis rendu compte lors de mes séjours à Pforzheim » (chef de service, Hoyerswerda). Cette image de la communauté chaleureuse et solidaire peut être sujette à caution, dans la mesure où elle offre une vision rétrospective idéalisée qui tend à occulter la dimension contraignante d’une sociabilité à la fois entretenue et circonscrite par le régime [14]. Sandrine Kott (2001, p. 154) note ainsi : « Les collectifs ont pu constituer des communautés solidaires et chaleureuses voire des cadres pour une véritable entraide, mais ils trouvent toujours leur origine dans une initiative venue d’en haut et s’inscrivent dans un projet politique, idéologique, économique et culturel qui oriente et limite leur existence et leur développement ». Il ne s’agit pas pour autant de conclure à l’entière artificialité de ces liens. Les propos suivants montrent en effet que les différentes rencontres organisées en marge du travail ont nourri une réelle convivialité voire tissé des amitiés dans les rangs de l’administration. Ils rejoignent le discours précédent en mettant l’accent sur la spécificité de ces formes d’interaction qu’ils opposent aux relations impersonnelles et distantes des fonctionnaires ouest-allemands : « Du temps de la RDA, on se retrouvait ensemble en dehors du travail, on allait voir des spectacles, faire des visites et pas seulement parce qu’on y était obligé. Bon, c’est sûr qu’il y avait toutes ces histoires de collectif. Mais pas uniquement, on avait vraiment de bons contacts privés à côté du travail […] Maintenant, les contacts privés sont plus limités que du temps de la RDA mais quand même il y a des choses d’avant qui sont restées. Ici c’est pas comme ce qu’on entend dans les anciens Länder […] On prend le café avec les collègues, on discute, on s’informe de la famille, des problèmes personnels » (agent administratif, Eisenhüttenstadt). Les témoignages des Allemands de l’Ouest, que l’on ne peut suspecter d’Ostalgie, viennent en outre conforter ces récits. Ils évoquent « l’existence d’une véritable communauté de travail » qui, selon eux, fait défaut dans les anciens Länder : « Ici, j’ai fait vraiment des expériences très positives avec mes collègues de l’Est. Quand c’est nécessaire, les gens sont prêts à venir à n’importe quelle heure pour travailler. Il y a une solidarité. C’est pas comme à l’Ouest où chacun fait son truc et le reste importe peu » (directeur du musée local, Eisenhüttenstadt).

31Les pratiques de l’administration en (ex-)RDA ne peuvent être dissociées de ces formes de sociabilité encadrées par le régime. Les collectifs instauraient un mode de décision collégial dont les Allemands de l’Ouest soulignent à nouveau l’empreinte dans l’administration d’Eisenhüttenstadt : « J’aime bien la façon dont ça fonctionne avec les collègues de l’Est. On discute, on décide ensemble. Ici, c’est pas chacun pour soi comme à l’Ouest » (agent administratif). Les liens interpersonnels noués au sein de ces structures favorisaient le développement des coopérations informelles articulées autour d’échanges directs entre les individus, sur le plan horizontal mais aussi vertical (Berg et al., 1996, p. 79), qui prenaient notamment corps dans l’usage de la communication orale précédemment mise en avant : « Avant, on n’avait pas que des relations professionnelles. À côté du travail, on buvait le café, on fêtait les anniversaires… ça permettait de régler les problèmes de manière informelle » (agent administratif, Eisenhüttenstadt). Les collectifs de travail constituaient par ailleurs des lieux d’échanges de biens et de services qui contribuaient à la diffusion des pratiques d’arrangement au sein de l’espace professionnel et participaient, plus largement, au brouillage des frontières entre public et privé. Propices à la cohésion du groupe [15], ces structures fonctionnaient en même temps comme des instruments de contrôle social en plaçant chacun sous l’étroite surveillance de ses pairs. Ainsi, les modalités de prise de décision observées dans l’administration d’Eisenhüttenstadt ne dévoilent pas seulement la prégnance d’un modèle collégial mais témoignent également des logiques coercitives à l’œuvre dans les collectifs de travail. Plus exactement, elles montrent que la collégialité faisait figure de réponse à la pression exercée par le groupe dans le cadre professionnel : « Ici, la dimension collective est très importante. C’est bien, mais en même temps ça fait que la prise de décision personnelle est très peu développée. Les gens ne veulent pas décider tout seuls » (chef de département originaire de l’Ouest). Les pratiques de concertation systématique masquaient une difficulté à prendre des initiatives et des responsabilités individuelles imputée à l’emprise du collectif. Toutefois, ces comportements tenaient tout autant à une ingérence des instances supérieures dans l’activité quotidienne de l’administration : « Je trouve qu’en général mes collègues ne sont pas assez autonomes. Personne ne veut décider. Ce qui se règle chez nous en trois coups de cuillère à pot prend un temps fou ici. Les employés ne sont pas prêts à faire quelque chose sans s’être assurés au-dessus qu’ils faisaient bien » (directeur du musée local, originaire de l’Ouest, Eisenhüttenstadt). La faible autonomie des agents municipaux estallemands transparaît notamment au détour de l’anecdote suivante relatée par le directeur ouest-allemand du centre culturel : « La première année, j’ai organisé une réunion où je leur ai dit : “on va organiser une petite fête au centre culturel. Ce serait bien que chacun réfléchisse à ce qu’il pourrait faire et qu’on se revoit ensuite pour en discuter”. Bon, j’ai fait comme je faisais dans mon poste précédent à l’Ouest. Huit jours plus tard, on se réunit encore une fois : personne n’avait réfléchi. Alors j’ai dit : “nous pourrions peut-être faire ceci ou organiser ça”. Huit jours après : toujours rien. C’est seulement à partir de ce moment que j’ai compris qu’il fallait fonctionner en sens inverse. Il fallait dire : “nous organisons une fête, nous avons besoin de cinq stands, X s’occupe du stand n° 1, Y du n° 2, etc. Et à chaque stand, je voudrais avoir ça, ça et ça. Est-ce que vous pouvez vous en occuper ?” Et là, ça a marché. Voilà la différence. Ici, ils ne connaissaient pas le travail autonome ». Les discours des Allemands de l’Ouest font écho aux analyses qui stigmatisent les tendances à l’inertie d’une bureaucratie de type soviétique caractérisée par un fort encadrement hiérarchique et politique. Cette dimension ressort également des propos tenus par certains de leurs collègues de l’Est : « On nous demandait pas d’exprimer notre avis personnel sur la manière d’accomplir le travail ni de prendre des décisions. On nous disait tout ce qu’il fallait faire ; on nous disait “il faut aller à droite” ou “il faut aller à gauche”. Il fallait faire ce qu’on nous demandait. Un point c’est tout » (agent administratif, Hoyerswerda).

32Les différents témoignages renvoient à nouveau une image a priori contradictoire de l’activité administrative en (ex-)RDA. La passivité associée aux principes de commandement et d’obéissance cadre en effet difficilement avec le sens de l’improvisation propre aux pratiques d’arrangements informels. Cette double réalité apparaît pourtant constitutive de l’administration est-allemande. Nombre d’enquêtes insistent d’ailleurs sur ce fonctionnement singulier alliant l’attente des « instructions et interventions d’en haut qui écartait tout travail autonome, en responsabilité propre » et l’instauration d’échanges « clientélistes, dépourvus de formes juridiques et administratives » qui « compensaient, corrigeaient, contrecarraient les structures officielles tout en entretenant avec elles un rapport symbiotique » (Thumfart, 2002, p. 613). Il semble que les agents municipaux est-allemands mobilisaient ces deux registres d’action de manière alternative et complémentaire, en fonction du type de situation ou de configuration en jeu. La double subordination administrative et partisane nourrissait une concurrence entre deux structures parallèles de direction qui contribuait à brouiller la ligne hiérarchique et autorisait des initiatives échappant au contrôle exercé par le centre. De même, la passivité ne procédait pas nécessairement d’une soumission mécanique aux injonctions des instances supérieures. Elle pouvait aussi participer des stratégies de domination développées à l’encontre de certains administrés, dans la mesure où elle permettait de mettre en scène la pression hiérarchique et de justifier ainsi le refus d’un arrangement auquel l’agent administratif ne trouvait aucun intérêt personnel [16].

33Notre propos n’est pas de conclure, sur la base des entretiens menés dans deux communes de l’ancienne RDA, au caractère « moins bureaucratique » et, de ce fait, « plus souhaitable » de l’administration socialiste réelle. Cette posture, qui reviendrait à placer les administrations d’Allemagne de l’Est et de l’Ouest sur une échelle évaluant leur degré respectif de bureaucratie, apparaît contestable, tant en raison de la plasticité de ce concept que des risques de dérive normative qu’elle contient. La confrontation des témoignages souligne en outre la difficulté à saisir et, par conséquent, à qualifier un fonctionnement administratif qui fait l’objet de discours divergents.

34L’enquête de terrain révèle en effet les multiples facettes d’une administration estallemande qui combinait à la fois pragmatisme et inertie, arrangement et domination, rapports collégiaux et fort encadrement hiérarchique et politique. Elle montre que ces comportements renvoyaient à un modèle professionnel inscrit dans des trajectoires et mettant en jeu des compétences propres. Produit de dispositions spécifiques, les pratiques administratives constituaient en même temps une réponse aux contraintes de pénurie et une manière de saisir les opportunités introduites par une codification juridique limitée. Aussi se comprennent-elles également à la lumière du contexte dans lequel travaillaient les agents de l’appareil d’État et des modes d’interaction qu’ils entretenaient avec leur environnement. En d’autres termes, les pratiques administratives ne peuvent être dissociées de cette « double réalité » est-allemande, marquée par l’encastrement des logiques d’intégration et de contrôle ainsi que par l’imbrication des sphères publiques et privées. De même, l’étude empirique met en évidence l’influence exercée par des formes de sociabilité mêlant fonctions de cohésion et d’encadrement. Rendre compte des pratiques administratives en (ex-)RDA nécessite ainsi la prise en considération de la singularité d’espaces professionnels qui dépassaient « à plusieurs égards les frontières qui le limitent en Allemagne de l’Ouest et dans d’autres pays industriels occidentaux » (Hauser et al., 1996, p. 249).

35Le fonctionnement de l’appareil d’État local dévoile enfin les marges de manœuvre détenues par les agents municipaux est-allemands dans l’accomplissement de leurs tâches. Notre enquête de terrain contribue, dès lors, à remettre en cause le modèle du monolithisme bureaucratique communément associé à l’administration socialiste réelle en montrant qu’il est plus fécond « de rechercher les activités et les conflits » (Kohli, 1994, p. 33) pour rendre compte des pratiques à l’œuvre dans les appareils d’État de type soviétique. Ces dernières attestent, plus largement, les limites des analyses en terme de « société organisée » (Lüdtke, 1998, p. 17) qui, à l’instar de la théorie du totalitarisme, diffusent l’image statique d’une « société totalement ‘désubjectivée’, dans laquelle il ne restait aux individus plus que la passivité » (Kohli, 1994, p. 33). La restitution du quotidien de l’administration locale en (ex-)RDA vient contredire cette vision figée des systèmes socialistes réels, déjà mise à mal par les travaux américains – dits « révisionnistes » – sur le bloc communiste, qui privilégient une perspective d’histoire sociale insistant (Werth, 1999, p. 86) « sur les dysfonctionnements d’administrations concurrentes au sein d’un État faible et peu ordonné ».

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Notes

  • [1]
    Cf. l’introduction générale de ce numéro.
  • [2]
    La mise en place des réformes administratives dans l’ancienne RDA s’est accompagnée de programmes d’assistance assurés par des fonctionnaires ouest-allemands et le développement de partenariats entre administrations d’Allemagne de l’Est et de l’Ouest.
  • [3]
    Il est, par ailleurs, difficile de compléter ces témoignages oraux par l’exploitation de sources écrites en raison du langage standardisé et codifié des archives qui « semble faire écran au monde et nous ‘empêche’ de savoir » (Kott, 2002, p. 10).
  • [4]
    Cette enquête a été menée entre 1994 et 1997 dans le cadre d’une thèse de sociologie (Lozac’h, 1999).
  • [5]
    Les analyses offertes par d’autres enquêtes de terrain (Berg, 1994 ; Berking et Neckel, 1992 ; Rogas et al., 1997) autorisent néanmoins une mise en perspective de ces observations empiriques.
  • [6]
    Cf. l’introduction générale.
  • [7]
    Karl Ulrich Mayer (1993) mobilise le concept de « néo-traditionalisme communiste » pour rendre compte de ce système.
  • [8]
    Cf. l’introduction générale.
  • [9]
    À l’échelon local, le travail des agents était soumis au droit de regard du maire, lui-même lié par les décisions préparées au sein des organes du SED (Mortier, 1993, p. 236).
  • [10]
    Cette vision rejoint les analyses qui mettent l’accent sur le poids de l’arbitraire dans l’administration de RDA. Cf. sur ce point l’introduction générale.
  • [11]
    De telles représentations sont également mentionnées par d’autres enquêtes de terrain conduites dans des communes est-allemandes (Rogas et al., 1997, p. 86 ; Berg et al,. 1996, p. 87).
  • [12]
    Nombre d’études empiriques ont en effet mis en évidence les limites de la formalisation dans les pratiques quotidiennes. On peut citer, entre autres, les travaux récents de Vincent Dubois (2003) et Jean-Marc Weller (1999).
  • [13]
    Si ces propos s’inscrivent dans la critique du modèle professionnel du fonctionnaire, ils visent également à remettre en cause la compétence d’Allemands de l’Ouest qui font doublement figure d’« étrangers » : ils le sont d’un point de vue géographique, comme le souligne la formule récurrente « ils ne sont pas du coin » ; ils le sont également d’un point de vue culturel, dans la mesure où leur est déniée la capacité à comprendre la réalité est-allemande.
  • [14]
    Voir également sur ce point Berg, et al. (1996) ; Rogas et al. (1997).
  • [15]
    De ce fait, « le collectif a, dans sa dimension communautaire, incontestablement assuré la stabilité du système socialiste » (Kott, 2001, p. 147).
  • [16]
    L’étude des situations et des configurations dans lesquelles ces différentes pratiques administratives sont produites mériterait une analyse plus fouillée qui dépasse le cadre du présent article.

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