Notes
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[1]
Je tiens à remercier les membres du comité de rédaction de Sociétés Contemporaines pour leurs lectures attentives et leurs critiques constructives.
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[2]
La pêche à pied dite « récréative » ou de « loisir » contemporaine en Finistère sera entendue ici comme l’ensemble des pratiques de collecte, sans le recours à une embarcation, de produits halieutiques, poissons, coquillages, crustacés, sur la portion du littoral qui découvre à marée basse.
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[3]
Le travail présenté ici est une analyse en cours d’une recherche personnelle et d’une série de travaux réalisés sous ma direction dans le cadre de travaux dirigés au département de sociologie de l’université de Bretagne occidentale à Brest. La démarche d’enquête a articulé méthode qualitative et quantitative. Un questionnaire a notamment été passé auprès de 300 personnes ayant déclaré pratiquer au moins une fois dans l’année la pêche à pied sur le littoral finistérien en avril 1997, complété ensuite par une centaine d’entretiens.
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[4]
Le terme « bassiers » désigne les pêcheurs à pied (pratique effectuée à marée basse).
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[5]
« Une identité collective n’est jamais réductible à la possession d’un héritage culturel, fut-il réduit à un “noyau dur”, mais se construit comme un système d’écarts et de différences par rapport à des “autres” significatifs dans un contexte historique et social déterminé » (Barth F. in Poutignat P. et Streiff-Fenart J., 1995 : 192)
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[6]
Un quart des outils sont déclarés auto-produits dans l’enquête.
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[7]
Cf. extrait d’entretien plus haut où la femme interviewée s’excuse presque de sa pratique de pêche à pied en soulignant son appartenance à une famille pauvre.
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[8]
L’autre raison tient bien sûr aux produits convoités et à la saisonalité des captures. Pour les ormeaux, par exemple, « les meilleures pêches se font en hiver. Quand il fait froid, ils remontent. Et plus la mer se retire, plus la pêche est bonne « (éducateur technique spécialisé de 43 ans, Morlaix, pêche à vingt kilomètres de chez lui).
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[9]
D’après O. Levasseur, la collecte du goémon apparaît au XVIIIe siècle comme une activité complémentaire pratiquée par des agriculteurs ou des gens de mer. Le goémon est divisé en trois catégories : « la première est le goémon-épave, ou goémon de jet est constituée par les algues arrachées par la mer et rejetées sur le rivage. Il appartient au premier occupant. La seconde catégorie est le goémon de coupe (ou de rive), c’est-à-dire celui qu’on va couper sur les rochers, qui ne peut être récolté que par les habitants des paroisses sur le territoire desquelles se trouvent les rochers. Enfin, la dernière catégorie est celle du goémon de fond, qui n’était que très peu exploité au XVIIIe siècle ». L’ordonnance de la Marine spécifique aux côtes bretonnes, enregistrée par le parlement de Bretagne en 1685 et réglementant la collecte du goémon, stipule que « les habitants des paroisses situées sur les côtes de la mer, s’assembleront le premier dimanche du mois de janvier de chaque année, à l’issue de la messe paroissiale, pour régler les jours auxquels devra commencer ou finir la coupe de l’herbe appelée varech ou vraicq, sart ou gouesmon, croissant en mer, à l’endroit de leur territoire ». L’article 4 garantit explicitement une prérogative populaire contre la puissance tutélaire : « faisons défense à tous seigneurs des fiefs voisins de la mer de s’approprier aucune portion des rochers ou croît le varech, d’empêcher leurs vassaux de l’enlever dans le temps que la coupe est ouverte, d’exiger aucune chose pour leur en accorder la liberté et d’en donner la permission à d’autres sous peine de concussion » (Levasseur O., 2000).
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[10]
À une quinzaine de kilomètres à l’intérieur des terres.
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[11]
Originaire du « pays » léonard (côte Nord). La côte des légendes, sur le littoral nord, fut longtemps considérée comme un cimetière de bateaux (les courants de marée y sont violents) et le royaume des pilleurs d’épaves.
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[12]
Pendant la période de passation du questionnaire, la nouvelle réglementation était très présente à l’esprit des bassiers contactés. Si toute pratique d’observation de la réalité sociale présente toujours un caractère plus ou moins inquisiteur, la méfiance culmine manifestement avec la technique d’enquête par questionnaires qui présente le caractère formalisé d’une démarche plus « officielle ». Ainsi, au cours des passations, certaines personnes exprimèrent des craintes qui étaient sans doute assez présentes dans la population questionnée : cette enquête n’allait-elle pas contribuer à restreindre davantage un « espace de liberté » perçu comme menacé ?
1À quelques semaines des élections municipales de 2001, le quotidien régional Ouest-France titrait sur sa dernière page « Le maire maintient sa pêche aux coques » et introduisait son article ainsi : « refusant de croire que ses ‘coques sont folles’, le maire de L. (commune du Nord Finistère) invite ses administrés à une partie de pêche (à pied) ce dimanche ». Le lundi suivant, le même journal faisait état du succès de l’invitation en précisant : « Cinq cents pêcheurs à pied sont venus dimanche sur les grèves de sa commune réclamer le droit de gratter en paix. Avec un mot d’ordre défiant l’administration : ‘Libérez les coques !’».
2Cette « manifestation d’estran », organisée par un élu, représente l’une des nombreuses mobilisations et réactions politiques suscitées en Bretagne depuis un décret du gouvernement français de 1996. Ce décret, destiné à répondre aux nouvelles normes sanitaires définies par le parlement européen, divise le littoral en différentes zones de salubrité en fonction des niveaux de contamination fécale et chimique par le mercure, le plomb et le cadmium. Il s’applique essentiellement aux zones de production conchylicole, mais dans un souci de santé publique, le principe en a été étendu à la pêche « de loisir » [2]. Celle-ci est uniquement autorisée en zone A et interdite en zones B et C où les professionnels peuvent continuer à exercer leur activité à condition que les coquillages fassent l’objet d’un reparcage ou de traitement de purification. Elle est interdite pour tous en zone classée D. 15% du littoral finistérien était ainsi classé en zones insalubres.
3En 1996, l’annonce de ces dispositions légales réglementant l’accès à l’estran a suscité une mobilisation importante (manifestation de Crozon de février 1996, pétition de 30 000 signatures...) qui a donné lieu à une intervention du préfet s’engageant à ne pas mettre en application localement les consignes nationales...
4Cette recherche [3], initiée l’année suivante, a été en partie suscitée par ces formes de mobilisation politique a priori surprenantes au vu des enjeux apparents, si on ne pose pas bien entendu l’hypothèse d’une dissociation entre enjeu économique et potentiel symbolique de l’activité.
5Cette requalification-délimitation du littoral en fonction de degrés de pollution des eaux s’inscrit dans un mouvement de fond de codification et de normalisation des usages de l’espace naturel (Chamboredon J.C., 1982 : 249), de rétractation des communaux dans l’espace rural et d’imposition générale d’une problématique environnementale instituant en particulier une nouvelle conception patrimoniale de la nature (Cloarec J. et Kalaora B., 1994 : 9) légitimée par « la production savante des fondements rationnels de l’aménagement du territoire » (Fabiani J.L., 1985 : 87). Cette réglementation impose en effet, selon des normes scientifiques (26 prélèvements effectués par Ifremer sur 12 mois), de délimiter et de requalifier l’espace littoral en fonction de degrés de pollution et oblige à penser l’estran comme un environnement, « c’est-à-dire comme un espace naturel susceptible d’être affecté par les effets négatifs de la croissance et à ce titre d’entrer dans le champ du politique » (Kalaora B., 1997 : 179).
6Il n’y a pas d’espace en soi. Tout espace est socialement produit. L’avènement, récent parfois, de quelques « hauts-lieux » et « paysages » vient nous rappeler que la qualification, la délimitation, la définition d’un espace relève d’abord et avant tout de schèmes conceptuels (Lenclud G., 1995 : 3-17.). Le zonage du littoral pensé et produit par l’administration ne recouvre pas les définitions et délimitations empiriques des bassiers [4]. Si la pêche à pied s’appréhende de l’extérieur comme une activité de prélèvement de ressources halieutiques, son rapport à l’espace est fondamentalement déterminant. Elle se déroule sur le domaine public, espace ouvert aux conflits d’usage des différentes catégories d’acteurs sociaux qui s’y côtoient et/ou entendent le définir selon leurs logiques respectives, et s’apparente aux pratiques de cueillette, dans le sens où elle ne résulte pas d’un processus productif préalable. Le propre de tout processus de production est, dès lors qu’il est constitué, d’instituer la possession de la production ou de la récolte future. Or lorsqu’il n’y a pas production, rappelle J.L. Coujard (1982 : 262), la possession peut être incertaine, et c’est la cueillette qui constitue une prise de possession et transforme l’espace naturel en territoire, c’est-à-dire en portion d’espace approprié et revendiqué socialement.
7On se propose ici de s’interroger sur les fondements de ces réactions politiques en analysant les enjeux symboliques des modes d’appropriation d’un espace naturel au statut singulier, dans le contexte conflictuel de ce nouveau cadre législatif d’origine européenne. Ce faisant, on analysera cette pratique sociale comme révélateur d’une sociologie des appartenances locales (Chamboredon J.C., 1982).
8En prenant appui sur une conception relationnelle de l’identité collective [5], on posera l’hypothèse que la pêche à pied contribue à construire de l’autochtonie ; celle-ci étant envisagée avant tout comme un rapport social où le fait d’être reconnu comme étant « vraiment » d’« ici » compose une ressource mobilisable, voire contribue à produire du « capital d’autochtonie », « soit, un capital social dont la valeur deviendrait obsolète à l’extérieur du ‘marché franc’ que constitue la commune » (Retière J. N., 1997 : 25).
9Sans pouvoir complètement relever dans le cadre de cet article les différents déterminants de l’autochtonie et sans faire de la pêche à pied l’unique ressort de celle-ci, on peut cependant interroger les présupposés d’une autochtonie « naturellement » consubstantielle à la résidence locale et d’un lien mécanique et directement proportionnel entre ancienneté résidentielle et « degré d’autochtonie » et poser l’hypothèse que cette autochtonie puisse se construire, se consolider ou s’entretenir, par la mise en œuvre de pratiques sociales faisant aujourd’hui l’objet de forte reconnaissance au niveau local.
10Toutes les pratiques sociales ne génèrent pas le même potentiel d’identification locale et en ce sens, dans les collectivités littorales finistériennes, on pose l’hypothèse que la pêche à pied, parce qu’elle est érigée maintenant en patrimoine culturel, se présente comme une activité productrice d’autochtonie susceptible de contribuer à entretenir, exacerber, réactiver, voire susciter les modes d’appartenance à la collectivité de référence.
1. DU MOYEN DE SUBSISTANCE A LA PATRIMONIALISATION DE LA PECHE A PIED
11La pêche à pied est pratiquée depuis des temps immémoriaux sur le littoral. Pourtant telle qu’elle est exercée aujourd’hui, elle n’est pas la survivance pure et simple d’un style de vie littoral immémorial. Elle est investie de significations différentes en fonction des époques.
12La pêche à pied apparaît d’abord et avant tout dans l’histoire comme un moyen de subsistance important destiné à faire face à l’indigence du « petit peuple des grèves » selon l’expression d’Alain Corbin, comme un prolongement des activités domestiques. L’estran compose une manne qui a permis la subsistance des populations côtières.
13La réglementation du domaine public maritime relève d’une législation ancienne. L’ordonnance de Moulins de février 1566 fait du domaine maritime un espace inaliénable et imprescriptible. Ce droit affirme la liberté de pêche et interdit en particulier « aux seigneurs des fiefs voisins de la mer et à tous autres de lever aucun droit en denier ou en espèces sur les parcs et pêcheries ou sur les pêches qui se font en mer » (Legué-Dupont P., 1994 : 137). L’ordonnance de Colbert d’août 1681 vient réaffirmer ce droit et délimiter cet espace à « tout ce que la mer couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes et jusqu’où le plus grand flot de Mars peut s’étendre sur les grèves » (Legué-Dupont P., 1994 : 137). Cette ordonnance de la marine vient garantir l’accès libre et le droit de prélèvement sur l’estran.
14« L’éclatement aux temps modernes des solidarités villageoises et le développement de la propriété privée conduisent à une régression des pratiques collectives et en particulier la cueillette, que seuls les plus pauvres continuent à perpétuer aux marges de l’espace villageois, les constituant ainsi en ‘activités de pauvres’» (Coujard J.-L., 1982 : 263). La pêche à pied mobilisait principalement une force de travail qui n’était pas censée ou plus censée avoir une activité principale. Une sorte d’assignation statutaire vouait préférentiellement les femmes et les vieux à s’investir dans cette pratique peu valorisée et faisant l’objet d’une certaine relégation sociale (Retière J.-N., 1998 : 235). La nécessité économique du ramassage des produits halieutiques est encore présente dans les mémoires familiales en particulier en milieu populaire : « On est issus d’une famille nombreuse, donc mes grands-parents faisaient la pêche à pied, et ma grand-mère revendait la pêche sur les marchés » (femme au foyer de 40 ans, mariée à un artisan maçon). Celle-ci a parfois accompagné les débuts de pratique de quelques interviewés âgés où elle est évoquée comme une conséquence de l’indigence : « Oh, ben j’ai commencé je devais avoir... 6 ans à peu près, j’allais donner un coup de main à ma mère à la vasière... Vous savez hein, quand on vient d’un milieu pauvre » (veuve de marin-pêcheur de 71 ans).
15Puis à partir des années cinquante, d’après Jean-Noël Retière, on assiste au glissement progressif d’une logique de moyen de subsistance essentiellement à une logique mixte de moyen de subsistance et de distraction ; l’ère de tourisme littoral de masse favorisant l’émergence d’une sorte de « pêche-jeu » qui est le fait d’amateurs riverains ou touristes.
16En parallèle de cette déprise de la nécessité économique, on assiste plus récemment à un mouvement de patrimonialisation de l’activité avec par exemple l’émergence d’expositions qui y sont consacrées ou bien le développement de l’activité « pêche à pied » comme produit touristique. La pêche à pied désormais s’expose. C’est par exemple le musée d’Art et d’Histoire de St Brieuc qui accueillit l’exposition « Pêche à pied et usages de l’estran » de juin à octobre 1999 ; c’est encore le musée du bateau de Douarnenez qui en conçut une intitulée « petite histoire de la pêche à pied – ou comment les palourdes en vinrent à manifester contre le râteau » de juillet à octobre 2000. La pêche à pied devient muséographiquement « à la mode ». On souligne des éléments d’un savoir populaire, on y met en scène des postures, des objets, des expressions d’une culture fortement territorialisée. Les outils bricolés du pêcheur à pied sont sous les projecteurs [6]. Si l’activité pêche à pied compose désormais un produit d’appel touristique à mettre en avant dans la promotion de la région, un degré supplémentaire semble franchi par l’initiative de l’office du tourisme de Perros-Guirrec qui proposait, par exemple, en mars 1997, le premier week-end dit de « découverte du monde inconnu des bigorneaux ». D’emblée mis sous le signe d’un « besoin d’authentique » – la tradition étant un bon produit économique (Gossiaux J.-F., 1995 : 248-255) –, ce « produit grande marée » coûtait entre 708 francs et 1 158 francs suivant l’hôtel pour une demi-pension, deux nuitées et un repas gastronomique fruits de mer. Un guide était mis à disposition des clients moyennant 300 francs supplémentaires.
17Aussi progressivement l’activité acquiert ses lettres de noblesse, devient objet muséographiable, produit culturel. On assiste alors en l’espace de quelques décennies à un renversement de valeur radical. Elle n’est plus synonyme d’indigence [7], stigmatisée comme indice de relégation sociale. Ses objets, sa gestuelle, ses pratiques, ses expressions ne sont plus choses triviales, dérisoires, mais objets de consécration, de reconnaissance publique – biens matériels et immatériels hissés au rang de patrimoine culturel. Comme pour les pratiques de cueillette, elle « fait figure de survivance et semble rester porteuse de valeurs issues des sociétés rurales traditionnelles » (Coujard J.-L., 1982 : 263). Elle est mise en scène comme « don gracieux » d’une nature qui ne peut être que bienveillante. Aussi par contiguïté, l’estran va accéder petit à petit au rang de « nature exemplaire », territoire « culturel » référé à un imaginaire social et à une mémoire collective.
18En devenant pratique légitime, noble parce que muséographiable, elle va accéder au statut de tradition clairement établie et ouvertement revendiquée et donc être d’autant plus mobilisable dans la production de l’identité autochtone : « L’utilité en général d’une tradition est de fournir au présent une caution pour ce qu’il est... L’utilité en particulier d’une tradition est d’offrir à tous ceux qui l’énoncent et la reproduisent au jour le jour le moyen d’affirmer leur différence et d’asseoir leur autorité » (Lenclud G., 1987 : 119).
2. QUI SONT LES PECHEURS A PIED ?
19La population des pêcheurs à pied est loin de composer une population homogène. Elle est parcourue de nombreuses lignes de différenciation en fonction, par exemple, du choix ou non d’un lieu de pêche habituel, des périodes et de la fréquence de pratique, des produits collectés, de l’instrumentation utilisée,...
20Les bassiers confirmés, dont il sera essentiellement question ici, descendent sur les mêmes grèves à chaque grande marée. La pratique hivernale « par tous les temps » s’avère particulièrement discriminante. Elle est bien souvent redoublée d’un renoncement volontaire en période estivale (un sixième affirme ne pêcher que l’hiver ou toute l’année sauf l’été), justifié pour une bonne part [8] par l’évitement des touristes : « L’été, il y a trop de touristes... Il y en a un sur chaque rocher, c’est pas intéressant ! C’est avant que j’y vais, c’est au mois de juin, mai-juin, et puis après quand ils sont partis en septembre-octobre, là comme ça on fait ce qu’on veut, on va où on veut... » (directeur d’agence bancaire, 53 ans, habite et pêche à Portsall, Nord Finistère).
21Tous les produits collectés sur l’estran ne se valent pas. Les bassiers confirmés sont « spécialisés » dans la recherche des produits les plus « nobles » et les plus rares (ormeaux, étrilles, tourteaux, crevettes, et pour les bivalves, palourdes et praires...) par opposition aux bigorneaux par exemple nettement répertoriés comme produits de substitution, en cas de prise infructueuse ou insuffisante (« je me rattrape toujours sur quelque chose... un bol de bigorneaux pour l’apéro, pour justifier la sortie quoi ! »), ou d’initiation dans le cadre d’une socialisation familiale (« On commence souvent par la coque ou la bigorne et après on se perfectionne avec la palourde par exemple. C’est déjà la qualité au-dessus »).
22Cette spécialisation dessine en outre une ligne de clivage sexué « chasseurs/ cueilleuses », avec pour les hommes un intérêt marqué pour des « captures » (ormeaux, étrilles, tourteaux...) qui impliquent engagement physique, morale de l’effort (« on en a bavé ».. ; « il faut mouiller son maillot ! ».. « si c’est trop facile, c’est pas marrant ! ») et disposition agonistique (« mon truc, c’est plutôt l’étrille.... C’est un crabe qui offre vraiment une résistance féroce »). Cet ouvrier d’une conserverie de poissons de Douarnenez de 35 ans exprime clairement par exemple cet ethos de dévouement à l’effort et aux difficultés de la prise : « (Est-ce que ça t’arrive de revenir bredouille de la pêche ?) C’est rare parce que je persévère. Des fois quand je ne trouve pas d’étrilles je ramasse quelques moules ou quelques bigorneaux mais j’aime pas trop parce que ça on peut en avoir tout le temps, c’est comme cueillir des fleurs dans un champ, c’est pas difficile, il n’y a qu’à les prendre sur les rochers... Moi j’aime bien quand la pêche est un peu difficile, quand il faut persévérer sinon la récompense, les produits pêchés, ne sont pas mérités. »
23Les normes et valeurs implicites des bassiers confirmés mettent en exergue un respect de l’écosystème (remettre en place le goémon et les rochers soulevés...) et un dépouillement ascétique dans l’instrumentation, manifestant une maîtrise des « règles de l’art » et justifié au nom de la protection de la ressource : « les coques on ne doit pas les pêcher avec un râteau »... « puisque tu esquintes tout, tu abîmes tout en pêchant avec un râteau. Tu abîmes les autres... Normalement, ça se pêche comme ça avec le doigt » (femme, agent de service, 50 ans, a commencé à pêcher avec ses parents, pêche toujours dans le même coin).
24Les bassiers confirmés sont à plus de 80% natifs du Finistère. Ils sont près des trois-quarts également à déclarer pratiquer la pêche à pied depuis l’enfance. C’est une population masculine pour plus des deux tiers (et d’autant plus masculine que la pratique est fréquente), âgée de plus de 50 ans dans les mêmes proportions (l’assiduité augmentant avec l’âge), retraitée enfin à plus de 40%. Si la pêche à pied est pratiquée par toutes les catégories socioprofessionnelles, on note cependant une surreprésentation ouvrière d’autant plus affirmée que la fréquence de pratique est élevée (40% de ceux qui déclarent pratiquer plusieurs fois par mois sont ouvriers).
25L’enquête est venue enfin déconstruire quelques présupposés. Ainsi, l’activité de la pêche à pied se pense spontanément comme une pratique d’approvisionnement alimentaire, or une proportion non négligeable des bassiers déclare ne jamais consommer les fruits de leur pêche et les distribuer dans leurs réseaux de sociabilité. De même, la pratique de la pêche à pied se présente comme une activité de proximité littorale. Que la faible distance géographique soit une condition favorable à sa mise en œuvre paraît une proposition pour le moins logique. Or, on sait depuis les travaux inauguraux de M. Mauss (1950 (1904) : 389-477) qu’il convient de se garder de tout raisonnement mécanique en la matière. Toute proposition de stricte corrélation entre intensité de la pratique et proximité littorale se voit vite démentie dans les faits. En l’occurrence, l’enquête quantitative n’a révélé aucune corrélation significative entre la taille de la commune de résidence et la fréquence de la pratique et près d’un tiers de la population d’enquête fait plus de vingt kilomètres pour se rendre sur « sa » grève.
3. ACCES A L’ESTRAN ET MODES D’APPROPRIATION TERRITORIALE
26Comme chez les paludiers ou les marins pêcheurs étudiés par G. Delbos et P. Jorion (1990 : 9-44), de nombreux bassiers affirment que la pêche à pied « ça ne s’apprend pas ! » (agent de la DDE ouessantin d’une quarantaine d’années). Il est plutôt question d’« imprégnation » lente et progressive, d’acquisition des savoirfaire par « frayage » (Delbos G. et Jorion P., 1990 : 10) : « Tu vas dans la grève, c’est inné ! Tu soulèves un caillou, tu sais lequel soulever, à peu près » (contremaître dans une entreprise d’expédition de légumes, 56 ans). Les débuts de l’activité sont parfois alors évoqués sous l’angle d’une « immersion » dans un milieu : « je suis tombé dedans quand j’étais petit » (enseignant de 48 ans, habite à Quimper, pêche à 35 km dans sa commune d’origine).
27Si la connaissance des savoir-faire ne semble pas présenter d’enjeux majeurs et peut donner lieu à échange de « trucs » et conseils, celle des lieux suscite en revanche toute une rhétorique du secret (« où est-ce que je vais pêcher ? Mais c’est une question indiscrète ça ! »). La pratique de la pêche à pied repose sur une culture pratique fortement territorialisée où plus que la maîtrise des techniques de collecte, c’est la connaissance du « coin » qui compose un facteur déterminant : « Mon grand-père avait commencé probablement au même âge que moi, alors quand il est mort, il avait plus de soixante-dix ans, il avait une connaissance de la grève quasi-ment parfaite... » (professeur agrégé de Brest, 57 ans, résidence secondaire à Crozon d’où il est originaire). À ce titre la grève arpentée depuis l’enfance bénéficie alors manifestement d’une plus-value : « On connaît tous les cailloux de toute façon, dès qu’on descend sur la grève, on sait lesquels on va faire... On sait déjà rien que d’après le caillou, rien que comment il est placé » (contremaître dans une entreprise d’expédition de légumes, 56 ans, côte Nord du Finistère).
28La transmission du savoir se fait avec parcimonie et se trouve quasiment investie dans les discours d’une dimension initiatique : « Je connaissais de vieux pêcheurs qui sont partis avec leurs secrets » (brancardier de 52 ans, Roscoff, Nord Finistère). Questionné sur la connaissance des lieux de pêche aux ormeaux sur Ouessant, un agent de la DDE relie nécessairement celle-ci à une transmission intergénérationnelle : « ça peut être entendu par un ancien qui a redit à un ancien... Ca a été montré par un ancien. Qu’il soit tombé par hasard dessus, ça m’étonnerait. Tous les coins de pêche, c’est les anciens qui donnent. Ils connaissent ça par cœur ». Si la connaissance de l’estran se décline en degrés variables en fonction de l’ancienneté d’usage, et si les « anciens » sont régulièrement investis comme étant les dépositaires patentés du Savoir, on devine à demi-mot dans la formule « c’est les anciens qui donnent » que la transmission de connaissance du lieu vaut autorisation de le parcourir. Le verbe « donner » sera ainsi entendu à plusieurs reprises pour évoquer cette transmission de connaissance des lieux. Un contremaître de 44 ans habitant et pêchant en presqu’île de Crozon depuis 20 ans, évoquant ses difficultés à trouver de bons « trous » à crevettes, dira par exemple d’un de ses collègues : « lui, ses trous à crabes, c’est sa mère qui lui a donné ».
29Les modalités d’accès à la connaissance des lieux évoqués en entretiens soulignent ainsi fréquemment l’idée d’une transmission patrimoniale du coin par un « ancien », instituant une cooptation élective à l’endroit de la famille ou de proches. Pour les trois quarts de la population d’enquête, un de leurs parents au moins pratiqu(ai)ent la pêche à pied et pour ce qui concerne la génération antérieure, la moitié ont ou avaient au moins un de leurs grands-parents qui arpent(ai)ent l’estran. On lègue ses biens matériels et symboliques à ses héritiers, on léguerait de même ses territoires de pêche : « mon grand-père pêchait à pied, mon arrière grand-père pêchait à pied et après je ne sais pas mais c’est quelque chose qui est instauré depuis longtemps... ça c’est vraiment l’endroit de la famille... c’est mon arrière grand-père, mon grand-père et mon père qui nous ont légué le lieu de pêche. Mais c’est vraiment quelque chose de très très secret » (mécanicien auto de 22 ans,, habite chez ses parents à Lesconil, Sud Finistère).
30La continuité d’usage de l’estran familier s’exprime même avec une récurrence non négligeable sous l’angle du destin familial – sans qu’on puisse clairement établir d’ailleurs s’il s’agit de l’affirmation d’un droit d’usage familial ou si la mention d’une continuité familiale vient apporter une caution de légitimité à une pratique d’autant plus soulignée comme « traditionnelle » qu’elle est aujourd’hui menacée : « Ben moi, j’ai continué à aller où allait mon père. Tu vas directement, c’est instinctif si tu veux. Tu descends la grève ben c’est là le coin. C’est là que tu dois aller, c’est automatique : tu descends, tu vas pas l’autre côté, c’est toujours là que tu iras » (contremaître dans une entreprise d’expédition de légumes, 56 ans, côte Nord du Finistère). « J’ai toujours eu l’habitude d’aller aux mêmes endroits avec mon père. On descendait à la grève là en bas quoi ! Moi j’ai suivi à peu près les mêmes pas que mon père et maintenant la grève je la connais par cœur, je connais tous les rochers.... » (agriculteur en retraite de 74 ans, Nord Finistère).
31Aussi le coin ne peut pas se « donner à n’importe qui ». Une femme de militaire de 53 ans, pêchant occasionnellement des huîtres dans la rade de Brest, précise à cet égard : « pas à cause des huîtres, parce que je n’hésite pas à en ramener à ceux qui me le demande, mais c’est que je ne veux pas polluer le coin, parce que je ne veux pas voir arriver des bandes de dix-douze copains, braillant... Non je n’ai pas envie qu’on trouble cette tranquillité... Je n’ai pas très envie pas tellement pour moi, parce que je n’y suis pas si souvent, mais pour les gens qui habitent à côté, je trouve que ce serait dommage. Ce serait gâcher le plaisir qu’ils ont d’être isolés ». On notera au passage le détournement de sens du terme de pollution qui se trouve requalifié ici en un usage débridé et inconsidéré de l’estran par des personnes non autorisées...
32Si l’estran ne porte pas les marques habituelles de la domestication terrestre, il ne s’offre pas aux bassiers comme une étendue neutre et indifférenciée. Ses modes de connaissance et d’appropriation attestent qu’il est ordonné et maîtrisé, aménagé même.
33« On a des grèves un peu à nous » dit par exemple un instituteur de 36 ans pour parler des lieux où il pêche l’étrille sur la grève de sa commune d’origine (Nord Finistère). Cependant cette appropriation collective du littoral se heurte assez vite aux modalités d’appropriation individuelle qui caractérisent une pratique assez solitaire. C’est « Ma grève », « Mon coin » entend-on en entretiens et, comme le dit cet agriculteur en retraite, si « généralement avant d’y aller on sait déjà qui on va rencontrer, si on se retrouve tous, “c’est chacun son panier” » (agriculteur en retraite de 74 ans, Roscoff, Nord Finistère).
34Un degré supplémentaire dans l’appropriation consiste à « domestiquer l’espace collectif et sauvage » en qualifiant l’estran de « jardin » (agent de l’équipement de 47 ans, Ouessant), voire en « aménageant » l’espace de façon à optimiser les prises. Il est question alors pour certains de « faire ses trous à crevettes ou à crabes » (chômeur d’une vingtaine d’années) et pour d’autres d’intervenir dans la disposition des blocs rocheux pour attirer les espèces convoitées dans les coins habituels : « des fois on fait en sorte de laisser même un petit caillou pour qu’il y ait un peu plus de courant qui passe et les crabes et les loches se mettent là » (contremaître dans une entreprise d’expédition de légumes, 56 ans, Nord Finistère).
35L’intervention sur l’espace révèle le statut intermédiaire, hybride de l’estran : ni sauvage, ni domestique, mi-sauvage, mi-domestique. Si un consensus traverse les représentations autour de l’attrait pour une Nature sauvage comme « antidote » au monde habituel (« ça permet d’être seul dans un monde complètement différent, quand on est à la pêche. On n’est plus dans le monde habituel. C’est vraiment autre chose quoi. Vraiment y a une communion entre la nature et le pêcheur quoi »), la maîtrise cognitive des lieux et les modifications qui peuvent y être apportés en font un univers familier, un « espace sauvage socialisé » pour reprendre l’expression de P. Descola (1986).
36Cette appropriation de la grève se trouvera justifiée spontanément par un des bassiers interviewés (résidant et pêchant sur la côte Nord, mais non originaire) comme s’inscrivant dans la filiation des droits ancestraux de coupe du goémon sur la côte Nord [9] : « dans le temps, chaque famille avait des parts de goémons. Tu avais donc des endroits délimités : ‘famille Untel’, ça allait de tel endroit à tel endroit. C’était délimité par les rochers, là il y avait des carrés. Donc chaque famille avait son goémon, c’est-à-dire sa part de goémon, et ça c’est pas si vieux que ça. Il y a toujours des anciens qui appliquent toujours ce principe. Moi j’ai vu il y a longtemps à Kerlouan, il y avait un touriste – enfin un touriste ! –, un gars de l’extérieur, de Lesneven [10], qui arrivait en voiture avec sa petite remorque pour charger un peu de goémon pour mettre dans son jardin. Il y a un paysan qui est arrivé avec son tracteur. Et bien dis donc, il lui a fait un foin au mec. Ah comme si on lui volait son goémon ! Il se croyait toujours avec les histoires de parts ! » (vendeur de matériel agricole au chômage de 53 ans).
4. LA PECHE A PIED PRODUCTRICE D’AUTOCHTONIE
37Parce qu’elle est pensée de plus en plus légitimement aujourd’hui comme étant constitutive d’un mode de vie littoral, la pêche à pied va permettre d’entretenir, d’exacerber, de réactiver, voire de susciter les modes d’appartenance à la collectivité de référence. Elle va prendre valeur de signe d’appartenance locale (et par extrapolation vis-à-vis des instances nationales et européennes, d’appartenance bretonne). Cette patrimonialisation de la pêche à pied, en lui donnant ses titres de légitimité culturelle, va en quelque sorte exacerber son instrumentalisation dans des procès d’intégration locale. On a pu identifier ainsi trois modes d’instrumentalisation de celle-ci : le soulignement de l’appartenance au lieu pour les natifs résidents, la réactivation de l’appartenance d’origine pour les natifs « expatriés » (résidents urbains en particulier) et la revendication d’appartenance pour les non natifs du lieu.
38Pour les bassiers résidents et natifs de la commune, la pratique de la pêche à pied est ainsi fréquemment justifiée en entretien comme expression « logique » d’une appartenance pleine et entière à la collectivité littorale : « Tout le monde allait à la pêche chez nous, en fait quoi. C’est un truc naturel quoi... C’est une tradition dans les côtes, si on veut quoi.... Le fait d’habiter sur la côte, sur le littoral déjà, c’est une tradition de pêche. On va à la pêche naturellement, et pêcher d’abord évidemment dans la baie de K., parce que c’est là où j’habite » (artisan du bâtiment de 57 ans, habitant dans sa commune rurale d’origine du Nord Finistère).
39Ce qui se joue dans la maîtrise des savoir-faire requis par l’activité, c’est moins une capacité à trouver des crustacés ou coquillages que, par cette compétence acquise, de manifester son appartenance locale, de pouvoir dire « j’en fais partie », « j’appartiens à », comme l’exprime très clairement cette même personne : « C’est pas tellement le fait d’aller prendre quelque chose, d’être viandard si on veut. C’est une question de pouvoir se dire : ‘ben, voilà je sais pêcher’». Tout se passe alors comme si le savoir-faire bassier réalisait en quelque sorte l’intégration sociale accomplie.
40Si cette pratique est très ancrée dans un « coin » singulier, on pense spontanément à une question de proximité résidentielle. Or, pour une bonne part des bassiers assidus, ce qui semble particulièrement faire point d’ancrage c’est moins la localité de résidence que celle d’origine. Ainsi, un enseignant d’une cinquantaine d’années, par exemple, qui pratique la pêche à pied sur les grèves de sa commune de naissance à trente-cinq kilomètres de son domicile, justifie son choix en disant : « c’est parce que j’y suis né, parce que j’ai une meilleure connaissance des terrains que dans d’autres coins ». D’autres justifient le choix de leur lieu de pêche en indiquant qu’il s’agit de leur commune d’origine, et cette mention est quasiment suffisante à elle-même : « mes parents sont originaires de G. Étant jeune, j’allais souvent à la pêche avec mon père... On va toujours à G... » (Coiffeuse brestoise d’une trentaine d’années, pêchant sur la côte Nord, à une trentaine de kilomètres). Pour cet autre bassier, militaire de carrière originaire des Côtes d’Armor et résidant à Brest depuis 1967, la pratique de la pêche à pied ne peut se faire que pendant les congés d’été lorsqu’il retourne dans sa région d’origine : « (Où allez-vous à la pêche ?) C’est une question indiscrète ça ! ! (...) Dans les côtes d’Armor...pendant les vacances pratiquement tous les jours (...) Je ne pratique pas la pêche à pied sur Brest, parce que je ne vais pas pêcher dans un endroit que je ne connais pas » (maître principal dans la Marine nationale, 47 ans, pratique depuis l’enfance).
41L’attachement à cette pratique fortement localisée peut même être présentée par certains comme étant constitutif de leur identité personnelle : «« quand je venais en permission, c’était ça hein. Y avait toujours ça dans le bonhomme ! »« (retraité de la marine, 60 ans), voire se décliner en un « besoin » du rivage supposé constitutif d’une « communauté littorale » : « Comme on dit ici ‘on pourrait pas se passez de la mer’ et je pense que je fais partie de ces gens » (Coiffeuse brestoise d’une trentaine d’années, pêchant sur la côte Nord, à une trentaine de kilomètres).
42Pour les natifs du lieu non résidents, la pratique de l’activité vaut ainsi manifestement réactivation/entretien de l’appartenance au milieu d’origine. Un professeur des écoles d’une trentaine d’années mentionne par exemple qu’il s’agit pour lui de retrouver un entre-soi des habitants de sa commune rurale d’origine du Nord Finistère où son grand-père était goémonier : « on va à ma grève... C’est un coin où l’on est des gens du quartier pratiquement... du quartier où j’habitais avant.... Nous, ce n’est pas très fréquenté... C’est plus local, quoi ! ».
43Si elle atteste et entretient l’appartenance locale, la pêche à pied est aussi mobilisable comme stratégie d’intégration. Elle passe alors par des intermédiaires et des formes de cooptation. Le truchement de la famille d’alliance permet par exemple de conjuguer intégration familiale et intégration territoriale : « Moi j’ai commencé en fait la pêche, je connaissais rien en pêche avant quand j’étais à B. ( commune littorale du Nord Finistère), parce que je suis de B. là j’allais jamais pêcher. C’est quand je suis arrivé à P. (rade de Brest) bon ben, on a profité un peu du fait qu’on était tout près de la grève. Au départ, celui qui m’a appris à pêcher c’était mon beau-père. Là j’allais si possible tous les dimanches matin. Donc on y allait faire un tour et on remontait après pour prendre un petit coup de blanc. C’était sympa quoi, et c’est ça qui m’a donné le goût de la pêche. Le beau-père était marin-pêcheur. C’est lui qui m’a dit où se trouvaient les palourdes » (conseiller d’assurance, 51 ans, habite en rade de Brest depuis une vingtaine d’années). Le partage de l’expérience, des normes, des valeurs et des rituels mis en oeuvre – le « boire ensemble » par exemple ici – participe alors au processus d’intégration locale.
44Ainsi, à défaut d’être un « enfant du pays », l’alliance ouvre des « droits » à l’usage du littoral. Un vendeur de matériel agricole au chômage de 53 ans rend compte des ressorts de son intégration locale, il y a une trentaine d’années, sur la côte nord, et puis tout aussitôt comment il s’est ensuite érigé en « gardien » du territoire : « des fois on te fait un peu la gueule, je sais ici aux ormeaux au moins, je me souviens toujours quand j’ai commencé à pêcher les ormeaux avec les gars de K., les gars de la grève là-bas. Ben ! j’étais regardé en chien de faïence. Tu peux être sûr, ils ne me connaissaient pas, ils me voyaient dans les mêmes trous qu’eux en train de remuer les cailloux pour trouver des ormeaux, ils se posaient des questions. Quand ils ont su qui j’étais, que j’étais marié avec une fille de P. ça allait déjà un peu mieux et puis je me suis intégré comme ça petit à petit.... Moi je ne suis pas un vrai “ pagan” [11], moi, je suis un transplanté (rire), c’est pourquoi au départ les gars me faisaient la gueule, enfin je voyais à leurs têtes qu’ils n’étaient pas contents de me voir dans leur coin parce que je n’étais pas originaire du coin ».
45En écoutant la suite de son propos, on peut légitimement se demander si ce ne sont pas justement ces « transplantés » qui sont les plus ardents défenseurs d’un territoire auquel ils n’ont pas eu accès de plein droit auparavant : « Mais maintenant c’est moi qui ai les mêmes réactions quand je vois des gars d’ailleurs qui viennent pêcher dans le même coin que moi ».
46On mesure alors combien dans les représentations la culture pratique caractéristique de l’activité est fortement territorialisée, combien la compétence requise est faiblement transposable d’une grève à l’autre, combien l’estran familier n’est en rien substituable à un autre.
47« Ne pas quitter les limites de (son) territoire » permet à l’instituteur cité plus haut d’« être sûr de (son) coup » par rapport à sa « godaille » d’étrilles. Du coup, « assurer la marée », selon une expression récurrente, est davantage affaire de reconnaissance sociale que de préoccupation alimentaire. L’habileté mise en œuvre dans la pratique de la pêche construit et entretient les réputations et contribue au positionnement social : « Il y avait des gens qui étaient renommés pour ramasser des palourdes : ‘celui-là c’est le meilleur pour ramasser des palourdes, lui aux huîtres, il est imbattable’, et ça, ça reste encore aujourd’hui » (professeur agrégé de Brest, 57 ans, résidence secondaire à Crozon d’où il est originaire).
48La figure repoussoir du touriste accusé de tous les manquements au mode d’usage de l’estran est quasi unanime dans le discours des bassiers locaux et réalise manifestement ce « plus petit commun dénominateur » servant de socle à cette identification à une collectivité littorale. Les comportements les plus répréhensibles leur sont fréquemment attribués, comme par exemple le fait de prendre des produits qui ne sont pas arrivés à maturité : « L’été c’est encore pire, quand les Parisiens sont là, ils ramassent... Tu as des coques qui ne font même pas la taille d’un ongle de petit doigt... C’est dingue quoi ! » (femme au foyer de 40 ans, mariée à un artisan maçon, Brest, pêche dans le même coin que ses grands-parents) ou le fait de ne pas remettre les rochers en place après les avoir retournés : « je vois par exemple pendant l’été, bon je ne vais pas casser les estivants hein... Mais ils tournent des pierres, ils tournent des pierres, mais ils ne remettent pas alors comme il y a du goémon sur le dos de la pierre, si ils la retournent et la laissent comme ça, il faudra un an et demi ou deux ans avant que le goémon ait pourri et que la pierre redevienne lisse au dessus. de là aucun coquillage ne se collera dessus » (maître principal dans la marine nationale, 47 ans, pratique dans les Côtes d’Armor dont il est originaire, habite à Brest depuis 1967).
49Mais le « touriste », si fréquemment fustigé par les bassiers locaux, est moins l’estivant (« le Parisien ») que celui qui ne maîtrise pas les savoir-faire nécessaires ou la connaissance pratique des lieux. Ainsi par exemple un enseignant d’une cinquantaine d’années estime être un « touriste » lorsqu’il pratique la pêche à pied sur d’autres grèves que celles auxquelles il est habitué. Parcourir les grèves du Croisic, par exemple, se fait alors pour lui dans un « autre état d’esprit » – celui d’une découverte sans enjeu – puisqu’il n’a pas à « tenir son rang » en terme de produits à ramener.
50Lorsqu’il est « chez lui », les touristes sont désignés comme n’étant pas du « métier entre guillemets ». Même s’il indique lui-même la présence des guillemets, cette mention du terme de métier survalorise les compétences requises et érige le savoirfaire en frontières de l’entre-soi. Même sur un mode euphémisé, cette référence au « métier » contribue à dessiner une frontière radicale entre « nous » et « eux ».
51De même la référence à l’innéité dans la maîtrise de la pratique, invoquée à plusieurs reprises, institue cette frontière symbolique radicale entre « autochtones » et « étrangers ». Puisqu’il faut en être pour savoir faire, ceux qui en sont s’érigent en gardiens du territoire et se défendent de ceux qui n’en sont pas en leur signifiant que l’accès est impossible car « ça ne s’apprend pas ».
52La maîtrise de la culture pratique contribue à délimiter et souligner les frontières du groupe. La valorisation du groupe d’appartenance passe aussi par des pratiques distinctives, réelles ou supposées : « Moi, je fais partie de la Presqu’île de Crozon-R., on est réputés pour être des durs. On ne montre jamais notre coin de pêche, on ne montre jamais notre pêche... Il y a toujours du goémon dessus ! C’est R., ça, c’est typique ! » (chauffeur routier d’une quarantaine d’années, originaire de R. en presqu’île de Crozon, réside à une cinquantaine de kilomètres). Ce n’est évidemment pas spécifique à la presqu’île de Crozon. Ce qui est intéressant ici, c’est le fait de se saisir d’un fait comme celui-là pour exacerber l’appartenance autochtone. La valorisation du groupe d’appartenance peut aussi se décliner en valorisation des produits qu’on y trouve. Nombreuses sont les formules comparatives du genre « les huîtres de R. sont bien meilleures que celles de L. » (sous-entendu parce que... précisément elles sont de R.).
5. LA COUTUME CONTRE LE DECRET
53La pêche à pied ne peut donc être réduite à une simple activité de loisir ou à une activité parmi d’autres de fréquentation de l’espace littoral. C’est une pratique sociale à forte valeur symbolique par sa capacité d’affirmation et de revendication du territoire où elle est exercée. « Tout semble se passer comme si la cueillette constituait à la fois l’affirmation d’un droit acquis sur l’espace (droit acquis que seule sa perpétuelle réaffirmation maintient comme droit d’usage) et la revendication d’un droit à l’espace, fondé sur l’appartenance à une communauté dont l’espace ainsi revendiqué constitue le territoire » (Coujard J.L., 1982 : 266).
54Or ces nouvelles règles d’usage du littoral, dites d’harmonisation européenne, à visée homogénéisantes, parce qu’elles ne s’appliquent pas sur des espaces neutres et indifférenciés mais sur des territoires appropriés socialement, suscitent diverses modalités de réactions qui sont sous-tendues par des logiques identitaires et contribuent très nettement à les exacerber.
55À une question ouverte du questionnaire invitant les bassiers interrogés à dire ce qu’ils pensaient de la réglementation actuelle (en général), un bon tiers se sont retranchés derrière des modalités de non engagement ou de non réponse manifestant peut-être ainsi une distance avec la légitimité de la question [12], et/ou à travers elle la légitimité de la réglementation en question...
56Dans les appréciations plutôt positives (un tiers environ), on trouve lorsque la réponse est argumentée (très faible proportion) l’idée principale qu’il est bon de veiller à limiter les abus, respecter l’environnement et préserver les ressources pour éviter qu’elles ne disparaissent.
57Dans les appréciation négatives (un tiers), les propos étaient d’une part beaucoup plus incisifs (« nulle ! ; absurde et inapplicable ! ; contre. Hostile à toute réglementation visant à interdire les pêcheurs à pied amateurs ; injuste ; une connerie ! »..) et lorsque les réponses étaient argumentées, elles portaient essentiellement sur la classification du littoral en différentes zones de salubrité.
58En analysant les réponses à la question ouverte du questionnaire et les entretiens sur ce thème du zonage du littoral, on relève deux registres de contestation portant l’un sur les fondement de la classification et du jugement d’insalubrité, l’autre sur l’origine de la législation.
59Ainsi un thème récurrent dans les entretiens fait valoir le contre-exemple de co-quillages mangés de longue date sans jamais avoir eu de problèmes de santé. Cet argument débouche soit sur une invalidation de la qualification d’insalubre, soit de façon plus marginale sur une réponse en termes d’« adaptation personnelle » à la pollution, tel par exemple ce chauffeur routier de Crozon qui indique qu’il n’a jamais été malade avec sa pêche et fait remarquer aussitôt que sans doute depuis le temps « il est blindé »... Plus sérieusement et de manière évidente, la longue expérience pratique du lieu suscite une confiance dans les produits qu’on y trouve : « Je suis habitué d’aller là et puis je connais mon coin et je sais ce qu’on attrape. Des fois on entend “moi j’ai été là, j’ai été malade avec les étrilles”. Non moi je préfère aller à côté, j’ai confiance en ce coin » (ouvrier dans une conserverie de poissons de Douarnenez, 35 ans). Tout se passe comme si savoir d’où çà vient et en avoir consommé de longue date représentait une garantie suffisante. À cet égard on a pu remarquer que la pollution des coquillages évaluée à l’œil est un argument non marginal : « mes coques je sais bien si la coque est saine ou pas. D’ailleurs la couleur des fois c’est un signe. Moi je sais. La palourde c’est pareil. À la couleur on sait... » (retraité de la Marine Nationale d’une soixantaine d’années).
60Le point d’achoppement ici repose sur ce savoir-ci qui est confronté dans la classification des zones au savoir scientifique, et au-delà fait se confronter deux registres de légitimité opposant un savoir autochtone empirique au savoir scientifique allochtone.
61Ce système de normes scientifiques remet en cause une définition classique et constituée des usages, impose une transformation des catégories de perception de la nature. Il vient bousculer un système de représentations de l’espace littoral fondé sur un rapport affectif avec un espace de proximité approprié par l’usage. En particulier, la classification scientifique du littoral remet en cause des représentations spontanées sur le caractère a priori « naturel » des produits de collecte, sur la confiance spontanée dans une nature de proximité, pensée comme nécessairement bienveillante.
62L’analyse de la pollution des eaux est parfois même identifiée comme un prétexte sans fondement pour interdire ; l’insalubrité étant analysée comme pur arbitraire politique ou comme épouvantail pour interdire la pratique :
« en plus maintenant, ils veulent interdire certains endroits à cause des maladies plus ou moins, quand ils décident que l’eau est insalubre. C’est du n’importe quoi ! T’as plein de pêcheurs aux coques qui vont pêcher sur des lieux interdits, ce n’est pas pour cela qu’ils sont malades. C’est un peu ridicule... Il y a trop de réglementations, ça enlève tous les plaisirs aux gens... Bientôt il faudra mettre un flic derrière chaque pêcheur sur la plage. Ca devient ridicule ! » (marin pêcheur de 38 ans).
« Il paraît que la baie de M. est polluée, c’est ce que disent les journaux. Moi, personnellement, j’ai toujours pêché dans cette baie, et je n’ai jamais rien remarqué de spécial. Je ne sais pas si c’est vrai, mais nous on a jamais été malade avec les fruits de mer que j’ai pris. Moi je pense qu’ils veulent limiter les pêcheurs, peut-être en leur faisant peur ! » (agriculteur en retraite de 74 ans, Côte Nord du Finistère)
64L’autre thème majeur qui émerge de l’ensemble des arguments de contestation de cette réglementation, c’est l’origine de la législation corrélée à l’idée que les principaux intéressés ne sont pas consultés, qu’elle est « faite par des technocrates qui ne consultent jamais les gens concernés » (inspecteur comptable SNCF retraité de plus de 70 ans). « Bruxelles ne connaît rien au littoral breton », « c’est aux gens du coin de la faire » (infirmier psychiatrique d’une cinquantaine d’années). C’est l’origine allochtone de l’autorité qui légifère – la non appartenance au territoire local – qui justifie alors la contestation du décret.
65Ceci exacerbe le sentiment, pour ses plus ardents défenseurs, que la pêche se doit de continuer à être régie par la coutume plutôt que par le décret émanant d’une autorité présentée comme « extérieure » – la distance revendiquée avec la réglementation fonctionnant alors manifestement comme mode d’exacerbation de l’autochtonie. Le processus de patrimonialisation de la pêche à pied n’est pas sans incidence sur les modes de résolution de ces conflits d’usage du littoral. Il va venir cautionner une légitime « conservation » de la pratique au nom de la tradition, une continuité d’usage du littoral des générations antérieures. On va pointer alors que cette législation « fait fi du patrimoine culturel » (femme au foyer, mariée à un musicien classique de la Flotte d’une cinquantaine d’années), qu’elle passe outre les traditions locales, etc. Ces revendications apparaissent d’autant plus légitimes que la pêche à pied est érigée en tradition labellisée.
66Sans que cela atteigne le rang d’emblème régional comme c’est le cas pour le braconnage à la chasse en Basse-Provence (Bromberger C. et Dufour A.H., 1982 : 191-208), on voit cependant s’exprimer de manière non marginale des attitudes de défis à la loi : « donc ici presque toute la rade était consignée mais j’allais à la pêche quand même. Je trouve que ça..., ça nous appartenait » (retraité de la Marine Nationale d’une soixantaine d’années), voire surgir des figures de braconnier comme résistant local aux consignes européennes – y compris chez d’anciens militaires : « s’ils interdisent un jour, je serai le premier braconnier, c’est certain et j’en ferai deux fois plus » (retraité de la marine nationale d’une cinquantaine d’années). À tout le moins la formule « De toute façon, tout le monde s’assoit dessus (la réglementation) », employée par un ouvrier d’une cinquantaine d’années, se présente comme une formule assez récurrente.
67Si l’on peut penser que la culture territorialisée mise en œuvre dans le cadre de la pêche à pied est de longue date constitutive d’un mode de vie littoral, en revanche ce qui semble plus récent c’est l’affirmation ou la revendication d’une identité sociale locale en partie fondée sur l’exercice de cette activité. Parce qu’elle est une activité ancienne, rustique, consubstantielle à un espace naturel local, la pêche à pied rassemble tous les ingrédients susceptibles de servir de « nouveau » support identitaire. L’appartenance pleine et entière à la commune, le droit d’être et de se dire d’ici se construisent aussi par l’appropriation de l’estran et l’expérience partagée de normes et valeurs communes engagées dans l’activité.
68Comme le dit Jean-Noël Retière, à propos de la construction de l’autochtonie à Lanester, il s’agit de « se défier de l’objectivisme naïf qui laisserait déduire de la seule présence dans la commune la possession d’un tel titre de dignité localement constituée » (Retière J.-N., 1997 : 26). Dans les collectivités littorales finistériennes, la pêche à pied contribue à construire et légitimer de l’autochtonie et en ce sens est indissociable des modes de production identitaire.
69Si elle ne constitue évidemment pas le seul vecteur d’appartenance sociale locale, l’appropriation de l’estran par l’usage, les normes et les valeurs engagées dans la pratique contribuent à légitimer et construire de l’autochtonie ; et ceci d’autant plus qu’elle est mobilisée contre cette menace « extérieure » sur le droit « coutumier » d’accès à la grève – territoire que les collectivités littorales particularisent et qui les particularise.
70Voilà pourquoi sans doute il est intéressant pour un maire qui sollicite un nouveau mandat de ses administrés d’organiser une manifestation d’estran à quelques mois de l’échéance électorale...
Bibliographie
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Notes
-
[1]
Je tiens à remercier les membres du comité de rédaction de Sociétés Contemporaines pour leurs lectures attentives et leurs critiques constructives.
-
[2]
La pêche à pied dite « récréative » ou de « loisir » contemporaine en Finistère sera entendue ici comme l’ensemble des pratiques de collecte, sans le recours à une embarcation, de produits halieutiques, poissons, coquillages, crustacés, sur la portion du littoral qui découvre à marée basse.
-
[3]
Le travail présenté ici est une analyse en cours d’une recherche personnelle et d’une série de travaux réalisés sous ma direction dans le cadre de travaux dirigés au département de sociologie de l’université de Bretagne occidentale à Brest. La démarche d’enquête a articulé méthode qualitative et quantitative. Un questionnaire a notamment été passé auprès de 300 personnes ayant déclaré pratiquer au moins une fois dans l’année la pêche à pied sur le littoral finistérien en avril 1997, complété ensuite par une centaine d’entretiens.
-
[4]
Le terme « bassiers » désigne les pêcheurs à pied (pratique effectuée à marée basse).
-
[5]
« Une identité collective n’est jamais réductible à la possession d’un héritage culturel, fut-il réduit à un “noyau dur”, mais se construit comme un système d’écarts et de différences par rapport à des “autres” significatifs dans un contexte historique et social déterminé » (Barth F. in Poutignat P. et Streiff-Fenart J., 1995 : 192)
-
[6]
Un quart des outils sont déclarés auto-produits dans l’enquête.
-
[7]
Cf. extrait d’entretien plus haut où la femme interviewée s’excuse presque de sa pratique de pêche à pied en soulignant son appartenance à une famille pauvre.
-
[8]
L’autre raison tient bien sûr aux produits convoités et à la saisonalité des captures. Pour les ormeaux, par exemple, « les meilleures pêches se font en hiver. Quand il fait froid, ils remontent. Et plus la mer se retire, plus la pêche est bonne « (éducateur technique spécialisé de 43 ans, Morlaix, pêche à vingt kilomètres de chez lui).
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[9]
D’après O. Levasseur, la collecte du goémon apparaît au XVIIIe siècle comme une activité complémentaire pratiquée par des agriculteurs ou des gens de mer. Le goémon est divisé en trois catégories : « la première est le goémon-épave, ou goémon de jet est constituée par les algues arrachées par la mer et rejetées sur le rivage. Il appartient au premier occupant. La seconde catégorie est le goémon de coupe (ou de rive), c’est-à-dire celui qu’on va couper sur les rochers, qui ne peut être récolté que par les habitants des paroisses sur le territoire desquelles se trouvent les rochers. Enfin, la dernière catégorie est celle du goémon de fond, qui n’était que très peu exploité au XVIIIe siècle ». L’ordonnance de la Marine spécifique aux côtes bretonnes, enregistrée par le parlement de Bretagne en 1685 et réglementant la collecte du goémon, stipule que « les habitants des paroisses situées sur les côtes de la mer, s’assembleront le premier dimanche du mois de janvier de chaque année, à l’issue de la messe paroissiale, pour régler les jours auxquels devra commencer ou finir la coupe de l’herbe appelée varech ou vraicq, sart ou gouesmon, croissant en mer, à l’endroit de leur territoire ». L’article 4 garantit explicitement une prérogative populaire contre la puissance tutélaire : « faisons défense à tous seigneurs des fiefs voisins de la mer de s’approprier aucune portion des rochers ou croît le varech, d’empêcher leurs vassaux de l’enlever dans le temps que la coupe est ouverte, d’exiger aucune chose pour leur en accorder la liberté et d’en donner la permission à d’autres sous peine de concussion » (Levasseur O., 2000).
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À une quinzaine de kilomètres à l’intérieur des terres.
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Originaire du « pays » léonard (côte Nord). La côte des légendes, sur le littoral nord, fut longtemps considérée comme un cimetière de bateaux (les courants de marée y sont violents) et le royaume des pilleurs d’épaves.
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Pendant la période de passation du questionnaire, la nouvelle réglementation était très présente à l’esprit des bassiers contactés. Si toute pratique d’observation de la réalité sociale présente toujours un caractère plus ou moins inquisiteur, la méfiance culmine manifestement avec la technique d’enquête par questionnaires qui présente le caractère formalisé d’une démarche plus « officielle ». Ainsi, au cours des passations, certaines personnes exprimèrent des craintes qui étaient sans doute assez présentes dans la population questionnée : cette enquête n’allait-elle pas contribuer à restreindre davantage un « espace de liberté » perçu comme menacé ?