Notes
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[1]
Je remercie Dominique Worsmser de l’UFR de psychologie, sociologie, sciences de l’éducation de l’université de Rouen pour son appui informatique, Corinne Morue, ainsi que Marie Christine Bonte, Nathalie Scala et Stéphanie Queval pour leurs observations de cours. Un grand merci aussi à Yannick Lelong de l’OVE de Rouen, dont les travaux se sont révélés forts utiles, ainsi qu’à Régine Boyer, Charles Coridian, Sophie Divay, Yankel Fijalkow, Isabelle Kalinowski, Jean-Luc Primon. De même, je remercie les étudiants ayant participé à ce travail qui, je l’espère, pourra à terme leur être utile.
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[2]
Il s’agit d’une recherche comparative portant sur les pratiques d’enseignement magistral en deug 1 d’histoire et de sociologie conduite en collaboration avec l’I.N.R.P. (Boyer R., Coridian C.), l’université de Nice (Erlich V., Primon J.-L.) et celle de Rouen (Bonte M.-C., Fijalkow Y., Soulié C.).
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[3]
En 1999, la dépense moyenne par élève s’élevait à 41,2 mille francs pour un étudiant d’université (hors IUT et ingénieurs), 55,9 mille francs pour les IUT et 68,9 mille francs pour les S.T.S.-C.P.G.E., les formations d’ingénieur culminant à 77,8 mille francs. Globalement, cette dépense est inversement proportionnelle aux effectifs de chacun des ordres d’enseignement (1 250 mille étudiants à l’université, 290 mille en S.T.S., C.P.G.E., 115 mille en IUT et 28 mille en formations d’ingénieurs). (Source : M.E.N, 2000, p. 257)
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[4]
Néanmoins, si la différence est significative statistiquement selon le sexe, elle ne l’est pas selon la bourse. Des observateurs nous ont d’ailleurs signalé le cas de boursiers se déplaçant uniquement pour l’examen et rendant copie blanche afin de continuer à percevoir leur bourse. Sur le rapport ambigu, et problématique, à la bourse universitaire de certains « enfants de la démocratisation scolaire », cf. Beaud (2002).
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[5]
Sont considérés comme salariés par l’administration universitaire les étudiants disposant d’un contrat couvrant l’année scolaire de 120 heures par trimestre, ou 60 heures par mois. Etre mère de trois enfants permet aussi de bénéficier du statut de salarié au plan pédagogique (dispense de TD notamment). À l’instar de ce qu’on observe habituellement, le salariat croît avec l’âge des étudiants (aucun étudiant ayant 17/18 ans n’est salarié, mais c’est le cas de 5,8 % des 19/20 ans et de 17,7 % des 21 et plus). Pour approfondir cette question, il faudrait disposer d’autres données, la définition du salariat retenue par l’administration étant particulièrement restrictive, isolant sans doute le noyau le plus stable de cette population, mais excluant de fait les emplois précaires, fréquents chez les étudiants, et qui interfèrent souvent fortement avec leurs études.
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[6]
Par contre, la mention au Baccalauréat agit peu. En fait, le taux de mention est plus élevé chez les Baccalauréats technologiques, et surtout professionnels (près d’un tiers dans ce dernier cas). Tout se passe donc comme si la mention n’avait pas le même sens selon le Baccalauréat. Ainsi, on sait que la mention est décernée de façon beaucoup plus libérale au niveau du Baccalauréat professionnel, ce qui n’est pas sans illusionner parfois ces élèves sur leur valeur scolaire, la remise au niveau des espérances académiques, professionnelles, etc., se faisant alors souvent dans la douleur. Pour une description fine des effets sociaux, et humains, de l’accès au Baccalauréat, puis à l’enseignement supérieur dans les filières les moins encadrées, de nouvelles franges de la jeunesse populaire, et notamment de celles issues de l’immigration cf. Beaud (2002).
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[7]
On peut se demander si le passage à l’Université ne s’accompagne pas d’une forme de « déscolarisation » des étudiants. Nous pensons notamment à l’évolution de leurs compétences rédactionnelles qui, étant assez peu entretenues et cultivées dans une discipline relativement plus anomique comme la sociologie (par comparaison avec l’histoire notamment), et où le travail de « terrain » occupe aussi une place plus importante et permet parfois aux étudiants de compenser leurs insuffisances scolaires, décroissent parfois du premier au second cycle. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans leur poser problème, notamment quand ils se présentent aux épreuves écrites des concours de recrutement de la fonction publique (IUFM, CAPES, etc.), et occasionne alors de grandes souffrances (Soulié, 2000). À l’inverse ces dispositions, compétences, sont entretenues, voire même approfondies, dans le secteur fermé, et notamment celui des classes préparatoires, qui se distinguent par un rythme d’épreuves scolaires, écrites notamment, particulièrement soutenu (Bourdieu, 1989). Ce double système d’exigences entre secteur ouvert et secteur fermé, reflet du dualisme de l’enseignement supérieur, n’est pas sans rappeler les différences observables en amont, quand on compare l’intensité et le rythme des exigences scolaires dans les différentes filières du Baccalauréat (de la Terminale S à la Terminale Professionnelle). Coexistent alors deux modes de gestion pédagogique, et temporelle, des populations scolarisées.
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[8]
Certains de ces bacheliers S sont peut être aussi en double cursus, ce qui expliquerait leur absentéisme.
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[9]
Concernant la différence homme/femme, signalons que les femmes sont majoritaires (elles forment 75 % de la population des inscrits), et qu’elles disposent d’un capital scolaire plus élevé que les hommes. Ainsi, 61,3 % des femmes ont un Baccalauréat général (contre 53,9 % des hommes) et 37,9 % sont « à l’heure » à ce diplôme (contre 21,4 % des hommes). Lors de cours de second cycle en sociologie, nous avons d’ailleurs remarqué que les différences d’âge entre étudiants et étudiantes faisaient souvent rire ces dernières…
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[10]
Cf. Blöss, Erlich , 2000.
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[11]
Cf. Atelier Licence de sociologie, 1998.
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[12]
Un secrétaire de premier cycle de Paris 8 explique qu’arrivant à l’université de St Denis, située dans le 93, les nouveaux bacheliers sont souvent déroutés par l’organisation des études universitaires et que nombre d’entre eux ont le réflexe de chercher le « CPE » (conseiller principal d’éducation) afin de les orienter dans leurs études.
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[13]
Pour une étude plus approfondie de ce phénomène : Gadéa, 2001.
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[14]
Source : Observatoire de la Vie Etudiante, Université de Rouen, 2000.
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[15]
Ce taux s’élève à 36,2 % chez notre collègue Olivier Godechot.
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[16]
Les notes sont systématiquement arrondies au point inférieur ou supérieur.
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[17]
De même, ils peuvent ne pas connaître le nom de l’enseignant, ou l’orthographier de manière fantaisiste. Toujours concernant l’orthographe, on note aussi que dans les questionnaires nombre d’étudiants orthographient mal la profession de leurs parents.
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[18]
Chez certains garçons, le sentiment de cette distance se retourne parfois en agressivité vis à vis de l’enseignant, de l’université, comme de la culture légitime en général. Ainsi, il nous est arrivé de corriger la copie d’un étudiant qui au début essayait de répondre à la question posée, puis se rendant compte qu’il n’en avait pas les moyens, finissait sa copie, dans une sorte d’escalade dans la logique du point d’honneur, en insultant à demi l’enseignant et en rapprochant – fort symptomatiquement – la sociologie et la mécanique automobile.
-
[19]
Lorsque nous reproduisons les écrits étudiants, nous respectons leur orthographe, mais pas leur mise en page.
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[20]
L’étude de la proportion entre enseignants titulaires et enseignants vacataires en premier cycle selon les disciplines en dirait sans doute beaucoup sur la manière dont chacune a réagi au processus de « massification » de l’enseignement supérieur. Selon les observations de Boyer et Coridian, il semble que, fidèles aux usages académiques traditionnels, les historiens aient persisté à confier les enseignements magistraux de première année aux titulaires, et notamment aux professeurs, tandis que la proportion de maîtres de conférences et de non titulaires est plus importante en sociologie. Cela dit, on observe aussi que la proportion de professeurs est plus importante dans le corps enseignant en histoire qu’en sociologie.
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[21]
Qui rejoignent notamment ceux de Boyer et Coridian (2002) dans une enquête conduite auprès d’étudiants de première année de DEUG de droit, histoire et science.
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[22]
Néanmoins, il est vrai aussi que l’organisation temporelle des études universitaires rend possible l’activité salariée des étudiants et permet à l’Université d’accueillir un public nettement plus diversifié, tant socialement que scolairement, que celui des classes préparatoires ou des I.U.T., en reprise d’études, en formation post-initiale, etc., ce qui renvoie notamment aux fonctions sociales de ces différents établissements.
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[23]
Entretien reproduit dans : Fijalkow, Soulié, 1998, a, p. 2.
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[24]
Le désaccord, souvent remarqué, entre le point de vue de l’enseignant, qui dira que son cours est « calme », que finalement tout « se passe bien » dans son amphi, etc., et le point de vue d’observateurs étrangers immergés dans l’amphithéâtre est à souligner, et doit sans doute être rapporté au consensus de travail que tout enseignant doit s’efforcer de trouver avec ses étudiants (ainsi qu’avec lui-même) pour « sauver les apparences » et continuer à « assurer son cours », comme si de rien n’était.
-
[25]
Cela dit, il faudrait distinguer les étudiants assis au fond de l’amphithéâtre de ceux assis devant, etc. (cf. Fijalkow, Soulié, 1998, b).
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[26]
Sur l’histoire de cette université : Soulié (1998).
-
[27]
Concernant le rapport différentiel au temps des différentes classes sociales : Pronovost, 1996, p. 108 et 109.
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[28]
Dans son étude sur les facteurs de la réussite dans les deux premières années d’enseignement supérieur, Sylvie Lemaire (2000) souligne l’importance de la « motivation » exprimée à l’entrée de la filière. Ainsi, neuf bacheliers sur dix ayant obtenu leur DEUG en deux ans disent avoir fait un choix positif pour cette filière. « L’attrait pour la discipline » apparaît ainsi comme un facteur important de réussite. « Le projet professionnel joue également un rôle certain, puisque la moitié de ceux qui obtiennent leur diplôme l’ont placé parmi les principales raisons de leur choix : une majorité souhaitant devenir enseignant (55 %, contre 38 % de l’ensemble des inscrits » (p 2). On ne saurait trop souligner le rôle cardinal jouée par la reproduction du corps enseignant (du primaire, du secondaire, comme du supérieur) dans la construction d’une norme de travail et d’évaluation universitaire implicite (notamment pour tout ce qui touche à la maîtrise de la langue écrite), ce rôle étant sans doute encore plus vif dans les disciplines dites d’enseignement, dont les débouchés sont essentiellement orientés vers le professorat.
-
[29]
Sur la question de l’adaptation à ce nouveau public en sociologie : Garcia et Pélage, 1999.
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[30]
Concernant l’évolution du recrutement social des grandes écoles : Euriat et Thélot, 1995.
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[31]
Dans le cas du cours étudié, il semble que dans la production du « consensus de travail », nous nous soyons plus particulièrement « calés » sur le groupe des bacheliers E.S, majoritaires parmi les présents. Virginie, une fille de cadre de 20 ans, titulaire d’un Baccalauréat E.S, assidue au cours, assise au 9ème rang et ayant obtenu 11/20 à l’examen, parle ainsi de la formation : « Quand on vient d’une terminale E.S, on a déjà les bases en ce qui concerne les auteurs, les théories… La formation me paraît satisfaisante car je trouve le contenu des cours intéressants. Je ne suis pas vraiment « perdue ». Il suffit de travailler régulièrement, lire les cours. »
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[32]
Au niveau national, on sait que le Baccalauréat S, qui est aussi le plus prestigieux, est le plus masculin des Baccalauréats généraux.
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[33]
Ainsi le pourcentage d’hommes, comme d’anciens élèves de classes préparatoires, est particulièrement élevé dans cette discipline, enseignée exclusivement en Terminale, et à ce titre qualifiée autrefois de « discipline du couronnement » (Soulié, 1997).
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[34]
Sur la notion de « marché linguistique » : Bourdieu, 1982.
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[35]
La comparaison du comportement en cours d’étudiants de 1ère année de médecine, qui par exemple viennent une heure avant le début du cours afin d’avoir une place au premier rang, avec celui d’étudiants de 1ère année de sociologie dont le rapport au temps est nettement plus « détendu », est instructive. ( Cf. Atelier Licence de sociologie, 2001). L’opposition du « tendu » et du « relâché » nous paraît d’ailleurs structurante de l’espace des études supérieures et se donne notamment à voir dans le rapport différentiel au temps des étudiants, comme de leurs enseignants.
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[36]
Je remercie ici Franck Poupeau pour ses remarques.
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[37]
Ce caractère passager est très important, car la relation pédagogique est une relation de face à face, bien différente de la situation de correction de centaines de copies anonymes. Ainsi, des enseignants apparaissant comme « sympas » aux yeux des étudiants, peuvent s’avérer « sélectifs » au moment de la notation. De ce point de vue, il faut souligner le caractère nettement plus sélectif, et objectivant, des épreuves écrites par rapport aux épreuves orales, « l’individualisation » et la « personnalisation » de la relation pédagogique (telle qu’elle s’observe par exemple dans les TD d’enquête ou ailleurs, et telle que le ministère souhaiterait la voir se développer) s’accompagnant souvent d’une sélectivité moindre, ce qui la rend parfois suspecte de démagogie.
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[38]
Cela a souvent été remarqué avec l’âge. Mais d’autres facteurs contribuent à la construction de ce consensus de travail. Par exemple, le fait pour un enseignant d’arriver à l’heure ou non, de s’habiller de manière plus ou moins stricte, de faire l’appel, d’aller plus au moins « au contact » de son public en le regardant, en se levant ou autre, tout cela est riche d’enseignements. Et ce tant sur la situation pédagogique elle même, que sur la définition que chacun se fait de son rôle, de sa discipline, laquelle est bien évidemment susceptible d’évoluer selon le cycle d’études, la carrière, etc. Lors d’une expérience avec des étudiants de Licence, il est apparu aussi que le fait d’être un homme ou une femme, un professeur ou un maître de conférences (ou un non-titulaire), d’enseigner une matière jugée plus ou moins « importante », était susceptible d’agir sur le comportement des étudiants, et notamment le niveau de bavardage. Et à son tour, le statut intervient sur la prestation pédagogique, l’enseignant ayant alors tendance à parler plus ou moins vite, répéter, dicter plus ou moins, et finalement à être perçu comme plus ou moins « pédagogue » et « sélectif ». Un professeur portant cravate, connu pour la rigueur de sa notation, expliquera ainsi que pour lui : « Pédagogie rime avec démagogie ».
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[39]
Ce qui montre bien le rôle central joué par l’enseignement secondaire en France. Durkheim (1990, p. 25) fait d’ailleurs de ce trait le principal caractère distinctif du système scolaire français et va jusqu’à parler du : « rôle exorbitant de l’enseignement secondaire qui est propre à notre pays, et qui ne se retrouve nulle part ailleurs au même degré. »
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[40]
Que la sociologie soit une discipline empirique n’est guère discutable. Mais faire de la sociologie, c’est aussi savoir rendre compte par écrit de son travail…
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[41]
Lui-même fruit, entre autres choses, de la faiblesse des taux d’encadrement à l’Université ( cf. note n°3), et constituant par là même « une réponse adaptée à la situation objective » faite aux enseignants du supérieur, normalement évalués sur la base de leur production scientifique (Bourdieu, 1989, p. 136).
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[42]
Cf. Blöss, Erlich, 2000, p. 757.
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[43]
Cf. « Formes d’introduction aux savoirs disciplinaires dans l’enseignement universitaire : une comparaison Histoire/Sociologie ».
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[44]
Pour une étude comparée du public des disciplines de lettres et sciences humaines : Mauger, Soulié, 2001.
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[45]
Cité par Bourdieu, Chamboredon, Passeron (1973, p. 24).
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible, Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souvienstoi ! »
1La question pratique du « comment faire pédagogiquement », avec notamment ce qu’il est convenu d’appeler les « nouveaux publics » de l’enseignement supérieur, qui sont particulièrement représentés dans une discipline comme la sociologie, est donc à l’origine de ce travail et nous a conduit, dans le cadre d’une procédure d’évaluation de la formation, à les interroger sur leurs attentes pédagogiques éventuelles. En effet, nous faisions l’hypothèse que ces « nouveaux étudiants » se distinguent des autres non seulement par leur assiduité et leurs résultats académiques, mais aussi par leur perception de la formation universitaire et leurs attentes pédagogiques. Notre expérience d’enseignant nous ayant sensibilisé à la question du rythme du cours (faut-il aller plus ou moins vite, dicter et répéter plus ou moins, etc.), et des travaux de recherche antérieurs nous ayant fait réfléchir aux différences de temporalité entre les divers secteurs de l’enseignement supérieur, nous les avons notamment interrogés sur ce point, ce qui en fin d’article nous a amené à décrire quelques unes de nos techniques d’adaptation en « cours d’amphi ». Ce travail, qui est à considérer comme une esquisse, est donc intimement lié aux problèmes rencontrés en tant qu’enseignant, ce qui explique son caractère double. En effet, il s’agit à la fois d’une tentative d’objectivation du fonctionnement ordinaire du monde académique, mais aussi d’une recherche de solutions pratiques visant déjà, en un premier temps, à améliorer la communication pédagogique en situation d’enseignement magistral.
2La présence aux cours magistraux n’est pas obligatoire à l’Université. Les contraintes moindres pesant sur l’assiduité, comme sur les pratiques scolaires des étudiants, distinguent fortement le secteur « ouvert » des universités, à la pédagogie à la fois plus « libérale » et plus économique (taux d’encadrement plus faible, recours massif aux cours d’amphithéâtre, etc.), du secteur « fermé » constitué par les I.U.T., S.T.S., classes préparatoires, etc., dont les pratiques sont nettement plus en continuité avec celles de l’enseignement secondaire (enseignement par petits groupes, encadrement et « enveloppement » continu des « élèves », horaires chargés, etc.) [3]. Le paradoxe étant que le secteur ouvert, qui assume aussi traditionnellement les fonctions de recherche (en effet, ses enseignants sont aussi qualifiés « d’enseignants-chercheurs » et pour beaucoup sont passés par le « secteur fermé ») accueille en 1er cycle les étudiants les moins sélectionnés, tant scolairement que socialement, avec des moyens pédagogiques réduits, et ce dans un contexte institutionnel nettement plus anomique.
3Il nous a donc semblé intéressant de comparer la population présente en cours avec celle des présents à l’examen, comme celle des inscrits administratifs, et leur réussite respective aux examens. C’est ainsi que dans le cadre d’un cours de première année de DEUG de sociologie portant sur l’histoire des sciences sociales donné à l’université de Rouen lors du premier semestre de l’année 2001/2002, et faisant partie du bloc des enseignements dits « fondamentaux » dont le coefficient est réglementairement fixé à deux, nous avons relevé, après un mois d’enseignement, les notes de cours des étudiants encore présents dans l’amphithéâtre – notes que nous leur avions demandé de prendre sur un document standardisé – tout en les invitant à évaluer la formation et à formuler leurs attentes pédagogiques (le questionnaire mobilisé est reproduit en annexe). Deux observatrices assises dans l’amphithéâtre ont observé leur comportement, ainsi que celui de l’enseignant, lors de ce cours, puis rédigé un compte rendu d’observation. Puis nous avons raccordé le fichier des étudiants présents à ce cours à celui des inscrits administratifs, en l’enrichissant notamment avec la note obtenue lors du contrôle terminal (cet enseignement ne comprenait qu’un examen écrit sur table en fin de semestre, qui consistait en questions de cours, et une session de rattrapage en septembre), ainsi qu’avec les notes obtenues par ces mêmes étudiants dans le cadre d’un autre cours magistral, portant cette fois sur la stratification sociale et délivré par Olivier Godechot, que je remercie pour sa collaboration, ce qui nous a notamment permis de comparer nos modes de notation. Enfin, nous avons photocopié les copies qui nous paraissaient les plus intéressantes au moment de la correction.
1. ÊTRE OU NE PAS ÊTRE ASSIDU…
4Pour mener à bien cette comparaison, nous avons distingué trois populations exclusives les unes des autres, en fonction de leur degré de présence à l’université : les étudiants assidus (c’est-à-dire présents en cours lorsque nous avons ramassé les notes de cours) et qui se sont présentés à l’examen (Étudiants assidus et évalués), les étudiants simplement évalués (Étudiants évalués seulement) et enfin les étudiants non évalués, auxquels s’ajoutent six étudiants assidus, mais non présents à l’examen (Étudiants non évalués et autres). La population des assidus et évalués forme 27,6 % de la population inscrite, elle est plus féminine et moins boursière que la moyenne. Les étudiants simplement évalués sont plus nombreux que les assidus, ils forment 42 % de l’ensemble. Enfin, on note que les absents à l’examen sont plus souvent des hommes, des boursiers et des salariés [4]. De même l’activité salariée, qui ne concerne que 8,5 % des inscrits, semble antithétique avec l’assiduité, comme avec la présence aux examens [5].
5fessions libérales, professions intermédiaires sont un peu moins assidus que la moyenne, mais qu’ils se présentent un peu plus à l’examen. Le groupe des étudiants d’origine populaire se scinde en deux avec d’un côté une assiduité nettement plus importante des enfants d’employés et d’ouvriers qualifiés, qui sont aussi moins souvent absents à l’examen que la moyenne, et de l’autre les enfants d’ouvriers non qualifiés et de parents sans profession, qui sont nettement moins présents en cours. De même, on note que plus de la moitié des enfants de parents sans profession (contre 30,3 % à l’ensemble) sont absents à l’examen. En fait, tout se passe comme si chez les étudiants d’origine populaire, c’étaient les enfants d’immigrés originaires du Maghreb ou d’Afrique, dont les parents sont deux fois plus souvent ouvriers non qualifiés ou sans profession que la moyenne, et quasiment jamais cadres ou professions intermédiaires, qui étaient les moins assidus et présents à l’examen.
6Mais plus important à ce niveau que l’origine sociale, le capital scolaire joue un rôle déterminant dans le comportement des étudiants. Ainsi, les étudiants les plus jeunes sont deux fois plus assidus que les plus âgés, tandis que ces derniers sont quatre fois plus souvent absents à l’examen. De même, les bacheliers généraux sont plus assidus, tandis que les bacheliers technologiques et professionnels sont deux fois plus souvent absents à l’examen, l’âge au Baccalauréat évoluant dans le même sens [6]. En fait, tout se passe comme si la rupture avec les cadres temporels hérités de l’enseignement secondaire, et peut-être aussi plus largement avec les formes de « scolarisation » secondaire, croissait avec l’âge des étudiants [7].
7On s’étonnera peut être de la faible assiduité des bacheliers S. Et de fait ces bacheliers, peu nombreux au demeurant, malgré un recrutement social plus élevé que la moyenne, et qui comptent aussi une majorité d’hommes, ne semblent pas avoir connu une scolarité brillante dans l’enseignement secondaire, ce qui explique sans doute leur reconversion dans une discipline plus « littéraire » comme la sociologie [8]. En effet, 37 % d’entre eux seulement sont « à l’heure » au Baccalauréat, alors que ce taux culmine à 52,4 % chez les bacheliers E.S Ces derniers constituent le groupe numériquement dominant parmi les assidus (ils précèdent de peu le groupe des bacheliers technologiques) et présentent aussi la particularité d’avoir déjà reçu une première initiation à la sociologie dans l’enseignement secondaire. Des études de sociologie dans le supérieur sont donc plus en continuité avec leur cursus antérieur, d’où un absentéisme plus faible à l’examen (18 % seulement d’étudiants non évalués) et sans doute de moindres problèmes d’affiliation intellectuelle à la discipline, alors que près de la moitié des bacheliers technologiques et professionnels n’ont pas « osé » se présenter à l’examen.
8Synthétisant ces différents résultats, il apparaît que ce sont les femmes [9], les bacheliers généraux, – et plus spécialement les bacheliers E.S –, ainsi que les étudiants « à l’heure » au Baccalauréat, qui assistent le plus aux cours et se présentent le plus à l’examen. Il s’agit là du profil scolaire dominant. Néanmoins une des limites de l’analyse développée ici, limite liée au type de source mobilisée, est qu’elle ne permet guère d’étudier de manière fine les stratégies différenciées des étudiants. En effet, certains peuvent être en double inscription, sont en position d’attente professionnelle, auraient voulu s’inscrire ailleurs ou faire une formation par alternance, etc. Des étudiants parlent ainsi de l’université comme ultime « roue de secours », avec l’idée qu’au sortir du Baccalauréat, « faute de mieux », il leur restera « la fac » [10]. Ainsi, nombre de bacheliers technologiques auraient souhaité entrer en I.U.T. et n’ont pu y accéder en raison de la faiblesse de leur capital scolaire. Ce genre d’inscription par défaut n’est pas sans effet sur leur degré d’investissement dans les études universitaires, leur absentéisme, comportement en cours, etc. Au travers d’entretiens réalisés auprès d’étudiants de 1er comme de 2ème cycle, nous avons d’ailleurs remarqué que le « dynamisme » des étudiants, leur capacité à se « projeter » dans l’avenir, etc., étaient assez étroitement corrélés avec leur âge (lequel offre comme un condensé de leur trajectoire scolaire antérieure), les étudiants « jeunes » et « pleins d’avenir » comme on dit, s’opposant alors aux étudiants en retard, et déjà « vieux », c’est-à-dire au « casier scolaire » chargé, et aux « ambitions » nettement plus limitées (obtenir un « bac plus deux », « travailler dans le social », etc.) [11].
9À ce moment, on voit aussi comment les effets proprement structuraux, liés à la position dominée des premiers cycles de lettres et sciences humaines dans l’espace des études supérieures, et plus particulièrement, à l’intérieur de ceux-ci, d’une discipline comme la sociologie dont le recrutement est plus populaire, ne sont pas sans rejaillir sur le « micro », c’est-à-dire la « psychologie », le degré de « motivation », etc., des étudiants concernés, qui entrent à reculons dans la carrière étudiante, l’encadrement pédagogique réduit des universités et l’anomie institutionnelle ne favorisant guère leur intégration à ce nouvel écosystème pédagogique [12]. De même, il est probable que la scolarité antérieure plutôt faible de la majorité d’entre eux ne favorise guère leur identification au modèle de l’étudiant, « apprenti intellectuel en voie de formation », auquel certains enseignants, par un effet de miroir bien compréhensible mais pédagogiquement assez peu fonctionnel, car susceptible de ne fonctionner efficacement qu’avec une frange limitée de la population étudiante, souhaiteraient qu’ils s’identifient, afin notamment d’entrer dans un processus vertueux d’autoformation, et de développement de l’ensemble de leurs « facultés » intellectuelles. On voit ici les quiproquos pédagogiques auxquels s’exposent ces enseignants qui, au terme d’une prise de conscience parfois douloureuse, finissent par critiquer en bloc « l’utilitarisme » de ces étudiants, peu sensibles aux charmes de la « science pure » et aux goûts fortement marqués par la nécessité (mais comme disaient les anciens : « La vertu veut l’aisance. »), et qui, en l’absence de vocation pour cette discipline, sont généralement plutôt adeptes du travail « pour l’institution », que « pour soi ».
2. À CHACUN SELON SON CAPITAL ?
10Avant d’aborder la question des résultats à l’examen, il est nécessaire de fournir quelques éléments de contextualisation. En effet, la « réforme Bayrou » (arrêté du 9 avril 1997), qui a notamment instauré la compensation entre unités d’enseignement, a augmenté fortement la réussite des étudiants à l’examen (c’était son objectif), et ce dès le DEUG 1. Mais ses effets se font aussi ressentir dans les autres années d’étude.
11Ainsi à Rouen, le taux de réussite au DEUG 1 de sociologie pour les étudiants présents aux examens a plus que doublé de 1998 à 1999 (la réforme ayant commencé à être appliquée à partir de la rentrée 1998/1999). L’écart est net aussi en second cycle, le taux de réussite culminant alors parfois à 100 %. L’augmentation est beaucoup moins forte quand on examine les résultats sur la base des inscrits [13]. Manifestement, l’effet de cette réforme s’est très inégalement fait ressentir selon les facultés et disciplines qui chacune, et en fonction notamment de leur habitus disciplinaire, ont réagi de manière plus ou moins malthusienne. Ainsi en 1999/2000, le taux de réussite à la première année (reçus/présents) à l’université de Rouen passait de 18,28 % en médecine, à 25,9 % en pharmacie, 43,1 % en Droit, 55,9 % en M.I.A.S, 59,1 % en économie, 62,7 % en sciences de la vie, 63,7 % en lettres (dont 68,6 % en histoire), 72,6 %, en psychologie, 75,5 % en S.T.A.P.S., 79,1 % en A.E.S, pour culminer finalement à 80,5 % en sociologie [14]. Nous reviendrons plus loin sur ces écarts entre disciplines.
12Après avoir fourni ces éléments de contextualisation, revenons à l’étude de notre corpus. Rapportant la note obtenue par les étudiants à leur assiduité, il apparaît que les résultats sont nettement meilleurs pour les assidus au cours. Si 34,2 % de l’ensemble des étudiants ont obtenu une note égale ou supérieure à la moyenne [15], c’est le cas de 53,2 % des assidus contre 21,7 % des autres.
ASSIDUITE ET REUSSITE AUX EXAMENS [16]
ASSIDUITE ET REUSSITE AUX EXAMENS [16]
13De manière générale, plus les étudiants sont présents en cours et plus leur note a des chances d’être élevée. Et inversement. Ainsi, 4,3 % des assidus ont obtenu une note comprise entre 0 et 3, alors que ce taux est six fois supérieur chez les évalués seulement. Parmi ces derniers, nombreux sont ceux que les enseignants appellent les « touristes ». Les « touristes » sont les étudiants qui n’assistent pas, ou peu, au cours, et ne se le procurent manifestement pas non plus auprès de leurs camarades assidus (qu’au demeurant ils ne connaissent peut-être pas) [17], mais qui se présentent néanmoins à l’examen, en usant parfois de stratégies de bluff ou de remplissage plus ou moins fantaisistes, dont nous donnons ici quelques exemples, et qui traduisent bien, tant dans le fond que dans la forme, leur distance aux normes académiques ordinaires, distance que n’arrivent guère à compenser leurs tentatives, plus ou moins maladroites et pathétiques, de retraduction et d’appropriation des questions posées [18].
Les Lumières…
Une autre étudiante, elle aussi non assidue et titulaire d’un Baccalauréat professionnel obtenu à 22 ans, a eu pour sa part la réponse suivante : « Les idées lumières ont joué un rôle révolutionnaire par apport à la modernisation dans le monde. On peut remarquer que la lumière qui s’illumine dans le grand noir et quelque chose de magic extraordinaire. Par exemple donner la vie à un nouveau née pour moi, c’est quelque chose de magic et tellement formidable, ce qui illumine la vie d’un couple. C’est comme si rien n’existait et soudain des idées remarquables qui révolutionnant le monde, c’est pour cela que c’est inscrit dans l’histoire, mes enfants en entendront parler, ainsi que leurs enfants et ainsi de suite ce sont de des choses que l’on ne peut pas oublier et surtout a faire transmettre. »
Quand à ce jeune d’origine populaire non assidu au cours, il écrira : « Les idées lumières se manifeste au long de l’histoire de la vie humaine. Ces le résultat en faite de découverte scientifique et religieuse qui ont ramené l’homme a réagir d’une maniere et n’ait pas de l’autre. Ce rôle que joue les idées des lumières dans la conscience de chacun sous l’état d’une croyance metaphysique, trouve systématiquement un rôle sur les révolutions. Les idées lumières sont les piliers de l’humanisme qui explique la nature de l’homme. »
14Au delà des problèmes d’orthographe et de connaissance du cours, nombre de copies manifestent aussi des problèmes de syntaxe, les « compétences rédactionnelles » des étudiants étant étroitement corrélées avec le type de Baccalauréat possédé. C’est ainsi que les épreuves écrites qui, fort économiquement, clôturent généralement les cours magistraux, sont particulièrement redoutables pour les bacheliers technologiques et professionnels, que leur formation antérieure ne prédispose guère à réussir ce genre d’exercice.
« On ne sait pas ce qu’ils veulent dire »
15On a vu plus haut que la présence au cours était corrélée avec une meilleure réussite aux examens. Mais, sauf à croire à l’efficacité proprement magique de la parole professorale, croyance au demeurant fort agréable, il ne faudrait pas en déduire automatiquement que la simple assistance au cours permet d’augmenter substantiellement sa note. En effet, l’assiduité distingue les étudiants les plus dotés scolairement. D’où par exemple la meilleure réussite des étudiants n’ayant pas redoublé dans l’enseignement secondaire. 44,2 % des étudiants « à l’heure » au Baccalauréat ont eu la moyenne, contre 36,2 % de ceux ayant 19 ans, 22,4 % de ceux ayant 20 ans, et 12,5 % des 21 ans et plus… Connaître ne serait-ce que l’âge au Baccalauréat d’un étudiant de DEUG 1, permet donc de prévoir, avec une probabilité assez forte, son devenir dans le supérieur.
16Quand à la répartition par Baccalauréats, elle confirme l’avantage global des bacheliers ES (46 % ont eu la moyenne, contre 42,5 % des bacheliers L, 40 % des bacheliers S, 11,9 % des bacheliers technologiques et 12,5 % des bacheliers professionnels). Néanmoins aux niveaux les plus élevés (notes comprises entre 13 et 16), ils sont rattrapés, voire même dépassés, par les bacheliers L et S, qui n’ont pourtant pas été initiés à la sociologie au lycée. En fait, il faudrait pour approfondir le cas des bacheliers ES savoir ce qu’il en est de leur orientation entre économie, AES, socio-logie, droit, etc., au sortir du Baccalauréat. En effet, la formation délivrée en ES est un mixte de sociologie et d’économie. Mais les études d’économie comportant généralement un enseignement de mathématiques important, il est possible que ce soient les bacheliers ES les plus dotés qui s’orientent vers l’économie. Des enquêtes complémentaires, notamment auprès des professeurs de SES, dont l’écrasante majorité est économiste de formation, et qui pour certains agissent comme prescripteurs d’orientation (ainsi, nombre d’étudiants en sociologie disent avoir eu la vocation pour cette discipline au travers de l’enseignement reçu en SES), seraient nécessaires, afin d’approfondir de manière fine la question des déterminants sociaux, sexuels, scolaires des orientations disciplinaires des bacheliers au sortir des différents Baccalauréats.
17Quand il corrige des copies, l’enseignant a donc souvent l’impression (déprimante) d’enregistrer, puis d’entériner à nouveau par son évaluation, des différences de réussite préalable dans l’enseignement secondaire, elles-mêmes déterminées par des différences d’origine sociale, ainsi que dans les capacités rédactionnelles auxquelles, dans l’état actuel des ressources pédagogiques, il ne peut d’ailleurs pas grand chose, renvoyant aux Baccalauréats possédés par les étudiants. On pourra certes dire que ces propos sur la forme des copies, le « bien écrire », sont aussi vieux que le système scolaire. Mais ils peuvent aussi être reliés aux transformations contemporaines du recrutement étudiant, comme des fonctions intellectuelles, professionnelles, et pour finir sociales de l’Université et de ses différentes composantes disciplinaires.
18Les mécanismes de sélection, comme d’auto-sélection, conduisent ainsi à une forte réduction numérique du public étudiant du premier au second cycle, ainsi qu’à son homogénéisation. La proportion de bacheliers ES fait plus que doubler parmi les inscrits quand on passe du DEUG 1 à la Licence. Inversement, celle des bacheliers technologiques, qui en première année sont nettement plus nombreux chez les inscrits que les bacheliers ES (38,5 % contre 26,8 %), est divisée par plus de quatre du DEUG 1 à la Maîtrise. Quand aux bacheliers professionnels, pratiquement aucun ne réussit à passer de la première à la seconde année.
19Afin d’essayer d’isoler l’effet de l’assiduité au cours, nous avons comparé, à capital scolaire égal, la réussite à l’examen des assidus avec celle des étudiants simplement évalués. Si la présence au cours est systématiquement associée à une meilleure réussite aux examens, les écarts sont particulièrement nets pour les bacheliers S et surtout les bacheliers technologiques, tandis que cet effet semble nettement plus faible pour les Baccalauréats professionnels, ces deux derniers Baccalauréats étant particulièrement représentatifs de la population des « nouveaux étudiants ».
20Enfin, et concernant l’âge au Baccalauréat, il semble que l’assiduité ait un effet favorable à tout âge, et plus particulièrement chez les étudiants ayant 20 ans au Baccalauréat. La liste des variables intervenant dans l’assistance au cours excède sans doute largement celle dont nous disposons. Mais au vu de ces résultats [21], et en tant qu’enseignant, il semble pédagogiquement tout à fait opportun d’insister sur la présence au cours des étudiants, l’instauration de cadres temporels plus contraignants, etc., le libéralisme pédagogique universitaire, attendu qu’il laisse jouer à plein les mécanismes d’auto-sélection, s’avérant au final particulièrement « mortel » pour la frange la plus dominée de la population étudiante, dont les structures temporelles notamment peinent à s’ajuster à ce qui, par rapport au « temps plein et dense du lycée », leur apparaît comme le « temps vide de la faculté, temps si étiré qu’il en devient presque abstrait » (Beaud, 1997, p. 48) [22].
« Je suis quelqu’un de moyen, je suis pas douée. »
« Jusqu’où comptes-tu poursuivre tes études de sociologie ?
« Bah là, c’est le gros dilemme. Je ne sais pas si je dois faire une Licence de sciences de l’éducation ou une Licence de sociologie, parce que je ne sais pas exactement ce que je veux faire, ce qui est vraiment un handicap et qui m’énerve énormément. Je sais pas… Si, j’aimerais travailler à l’I.N.S.E.E, faire des recherches, des études… Mais bon, ils en prennent dix par an sur toute la France, bon il faut déjà être super doué, je ne le suis pas. Je suis quelqu’un de moyen, je suis pas douée. Je travaille, mais je suis quelqu’un de moyen, je n’ai pas de grandes possibilités et tout. C’est dur… » [23].
21Tendanciellement, sont plus assidus, se présentent plus à l’examen, et pour finir obtiennent de meilleurs résultats les étudiants disposant du capital scolaire le plus important. Quant aux autres, et selon la logique du : « C’est pas pour moi », « C’est trop théorique », ils préfèrent pour beaucoup s’auto-sélectionner, plutôt que de s’exposer à de nouvelles déconvenues entérinant la longue série des jugements académiques déjà portés sur eux dans l’enseignement secondaire. Dans ces conditions, on comprend qu’ils préfèrent s’économiser ce genre d’épreuve. Ces résultats montrent aussi que la population des « cours d’amphi » représente sans doute la fraction la plus dotée de l’ensemble des inscrits, qui se révèle être aussi la plus « motivée », pour employer le vocabulaire quelque peu fétichisant des ressources humaines. Ce qui pose question quand on observe, de l’extérieur [24], le comportement déjà particulièrement agité des présents [25]. En effet, on peut alors se demander ce qu’il en serait si l’ensemble des étudiants inscrits était présent physiquement. Le rapport enseignant/ enseigné, ainsi que le « consensus de travail » pour parler comme Goffman, seraient sans doute profondément transformés.
« Étudiants fantômes » en liberté
3. UNE EVALUATION ET DES DEMANDES SCOLAIREMENT SURDETERMINEES
22Le devenir, comme les pratiques d’étude, des étudiants étant fortement déterminés par leur scolarité antérieure, il a semblé intéressant d’examiner si celle-ci intervenait aussi dans leur évaluation de la formation, comme dans leurs attentes pédagogiques. Mais avant d’aborder cette question, il semble opportun de fournir à nouveau quelques éléments de contextualisation. En effet, c’est la « Réforme Bayrou » qui a instauré juridiquement le principe de cette évaluation. Elle fait notamment obligation aux universitaires de procéder régulièrement à l’évaluation des enseignements de toutes les filières, comme de tous les enseignements. Actuellement, une trentaine d’universités sur cent procèdent systématiquement à cette évaluation. C’est cette même réforme qui a instauré le principe de la compensation entre unités d’enseignement, ces deux dispositions nous semblant être en continuité avec la politique déjà initiée en amont dans l’enseignement secondaire (politique des 80 % d’une classe d’âge au Baccalauréat).
23Dans le cadre de notre évaluation, nous posions la question suivante aux étudiants : « De manière générale, la formation dispensée dans le cadre du DEUG de sociologie de Rouen vous paraît-elle satisfaisante (contenu, pédagogie, déroulement) ? OUI / NON. Pourquoi ? » Rappelons que nous ne connaissons que l’opinion des présents (et de fait, il est difficile de recueillir l’opinion des absents, qui en quelque sorte votent avec les pieds, ou faute d’expérience ne sauraient de quoi il retourne). Ce qui explique sans doute que les satisfaits soient majoritaires (77,7 %), les insatisfaits et ceux dont l’appréciation était mitigée formant 18,1 % des répondants et le taux de sans réponse s’élevant à 4,3 %. Mais plus important est le profil des mécontents. En effet, tout se passe comme si l’insatisfaction des étudiants était proportionnelle à leur distance à la figure de l’étudiant canonique, celui qui assiste aux cours, obtient de bonnes notes aux examens, etc., les plus dominés – c’est-à-dire les étudiants s’approchant le plus de la figure des « nouveaux étudiants » – s’avérant alors les plus mécontents. Ce qui, en soi, paraît assez socio-logique.
« J’ai l’impression qu’on nous prend pour des sociologue »
24Ainsi, le degré d’insatisfaction croît avec l’âge au Baccalauréat des étudiants. Les bacheliers généraux sont plus satisfaits que les bacheliers technologiques, et surtout professionnels. Chez les étudiants d’origine populaire, les enfants de parents immigrés originaires du Maghreb ou d’Afrique (dont on a vu plus haut qu’ils étaient moins assidus et se présentaient moins à l’examen) sont nettement plus mécontents que les autres. Enfin, ce degré de satisfaction varie significativement en fonction de la note obtenue à l’examen (celle-ci n’ayant pourtant été connue qu’en fin de semestre), comme de la place occupée dans l’amphithéâtre, les étudiants assis aux derniers rangs étant près de deux fois plus insatisfaits que ceux assis aux premiers rangs. Ces résultats recoupent ce qu’on observe généralement dans le cadre des enquêtes de suivi professionnel auprès d’anciens étudiants, et qui montrent notamment que le jugement vis à vis de la formation dépend au final de la qualité de l’insertion professionnelle. Ainsi, les étudiants auront tendance à créditer positivement la formation enquêtée dans la mesure où celle-ci, – de leur point vue –, a contribué, contribue, ou contribuera à leur réussite académique, puis professionnelle. Ce qui, somme toute, rejoint une expérience relativement ordinaire dans le monde social.
25De même, on observe que ce degré de satisfaction est assez étroitement lié à leurs perspectives académiques et professionnelles, comme à l’amplitude de leurs projections temporelles, lesquelles varient notamment en fonction de leur origine sociale, les étudiants d’origine favorisée envisageant de poursuivre plus loin leurs études de sociologie [27]. Ainsi, le taux de satisfaits passe de 68,7 % chez ceux ne sachant pas jusqu’où ils souhaitent poursuivre leurs études, à 75 % chez les étudiants souhaitant simplement obtenir un DEUG, 80,8 % chez ceux visant la Licence, pour culminer à 91,7 % dans la minorité souhaitant faire une Maîtrise, ou un 3ème cycle. Ce qui est d’autant plus intéressant dans une discipline comme la sociologie, où la déperdition du premier au second cycle est beaucoup plus importante qu’en histoire par exemple, alors que paradoxalement la réussite aux examens y est meilleure. Ce sont aussi les étudiants souhaitant devenir professeurs, chercheurs, instituteurs, soit ceux désirant travailler dans le monde de l’enseignement et de la recherche, qui sont les plus satisfaits, et dont on peut penser qu’ils sont parmi les plus nombreux à s’identifier à la figure de l’enseignant, et donc à entrer dans le jeu de la vocation et de l’illusio de l’intérêt purement intellectuel pour la discipline [28]. C’est sans doute avec cette frange là de son public, qui osera peut être davantage intervenir en cours pour poser une question par exemple, ou qui se manifestera auprès de l’enseignant après le cours, que des transferts en tous genres sont possibles, et que l’enseignant peut bâtir un consensus de travail lui permettant de jouer son rôle d’enseignant, du « supérieur », de manière gratifiante.
« Prise de conscience et tout… »
26Ces résultats rejoignent aussi ceux de Jean-Bruno Bayette (2000). Dans sa thèse sur les étudiants en sociologie de l’université d’Amiens, celui-ci souligne le lien statistique existant entre « l’intérêt intellectuel » déclaré pour la discipline et la mention obtenue au Baccalauréat (p. 374). Bayette remarque aussi que les étudiants ne manifestant pas cet intérêt intellectuel sont plus critiques que les autres. Ils estiment qu’il y a trop de travail, que les enseignements manquent de cohérence, que l’emploi du temps est mal organisé, etc. En fait, écrit Bayette, ces étudiants « étudient d’abord pour ne pas entamer une recherche d’emploi sans autre diplôme que le Baccalauréat, pour pouvoir se réorienter dans de bonnes conditions. Ils travaillent essentiellement “pour l’institution” et sont moins touchés par la séparation du travail, puisque le travail “pour soi” ne correspond à rien de concret pour eux. » (p 385) Ce qui conduit alors à s’interroger sur l’usage, proprement politique, qui peut être fait des enquêtes d’évaluation, les différents gouvernements ayant eu tendance à multiplier ce genre d’enquête, avec l’idée notamment de diffuser la « culture de l’évaluation », et plus généralement d’importer dans l’univers académique des modèles de management propres au secteur privé. La réforme Bayrou en est un exemple et l’on peut penser qu’elle est sans doute, avec la compensation entre unités d’enseignement, un des outils pédagogico-bureaucratiques de la « nécessaire adaptation » de l’Université aux nouveaux publics de l’enseignement supérieur [29]. Sachant que les différents établissements, disciplines sont inégalement concernés par l’arrivée de ces nouveaux publics, assurément plus visibles en sociologie, qu’en médecine ou à l’Ecole Polytechnique [30] …
27Ces dispositions critiques se retrouvent aussi au niveau des attentes pédagogiques des étudiants. Ainsi, nous leurs avons demandé s’ils souhaitaient que nous allions plus ou moins vite, s’il fallait plus ou moins répéter et dicter le cours. Fort logiquement, les étudiants mécontents vis-à-vis de la formation ont deux fois plus souvent réclamé un changement de pratique pédagogique, et ce plus spécialement en ralentissant, répétant et dictant plus notre cours. De même, des différences nettes apparaissent en fonction du Baccalauréat possédé.
2835,1 % des étudiants préfèrent ne rien changer. Mais c’est plus souvent le cas des bacheliers généraux que des autres, et notamment des bacheliers E.S qui paraissent ainsi les plus satisfaits de la manière dont l’enseignant délivre son cours. On retrouve alors les signes de cet ajustement réciproque, tant intellectuel que temporel, déjà observé plus haut [31]. Ce qui d’ailleurs ne manque pas de sel, quand on sait que l’enseignant lui-même a eu un Baccalauréat B… Inversement, les bacheliers technologiques et professionnels sont plus nombreux à vouloir modifier un, ou deux ou trois, paramètres dans le sens d’un ralentissement du rythme du cours, d’une augmentation des répétitions et de la dictée du cours. L’option n° 4 (Modifier en accélérant) concerne les étudiants souhaitant à l’inverse que l’enseignant aille plus vite, répète moins et dicte moins. Cette option est très minoritaire, mais ne concerne que les bacheliers généraux, et plus spécialement les bacheliers S, qui sont aussi plus souvent des hommes [32]. Manifestement, ces derniers sont mieux préparés que les autres par leur socialisation et leur formation antérieures à affronter un rythme de cours, mais aussi sans doute d’épreuves, plus soutenu, rythme qu’on retrouve d’ailleurs au niveau du secteur compétitif des classes préparatoires aux grandes écoles, ou encore des concours d’entrée en médecine, qui représentent un débouché important pour les « meilleurs » des bacheliers S. Ce qui souligne à nouveau l’accord préalable existant entre les structures temporelles incorporées des bacheliers et celles des institutions d’accueil, lesquelles structures varient notamment en fonction de la hiérarchie des publics, comme des institutions d’enseignement. Enfin, la dernière modalité : 5 (Demandes contradictoires), concerne les étudiants dont les demandes nous ont semblé relativement contradictoires (aller plus vite mais répéter plus : aller moins vite mais répéter moins, etc.).
29De toutes ces modalités, la plus réactive est celle portant sur le rythme du cours (« Faut-il aller : plus vite / pareil / moins vite), qui nous semble constituer un enjeu tout à fait essentiel dans la relation de face à face que représente le rapport pédagogique, qui peut aussi être analysé comme un rapport de domination. Et de fait, quel enseignant n’a pas entendu son « amphi » s’impatienter, s’agiter, quand le rythme du cours est trop rapide, ou que les citations sont trop longues ou trop compliquées ? C’est au travers de ce genre d’interactions que l’enseignant est conduit à ajuster le rythme du cours et donc à s’adapter, ou non, à la rapidité de la prise de notes des étudiants présents, dont l’« entraînement » varie notamment en fonction de la formation antérieure.
De la « suggestion » opérée par le professeur en chaire au travail de domination
4. QUELQUES TECHNIQUES D’ADAPTATION
30Malgré l’intensité du processus d’auto-sélection, l’hétérogénéité reste forte parmi les étudiants présents en cours d’amphithéâtre de 1ère année de sociologie, qui sont manifestement dotés d’habitus et d’attentes pédagogiques différenciés. Elle pose notamment la question de l’ajustement, ou de l’adaptation de son cours à ces différents publics par l’enseignant qui, tel les aèdes de la Grèce antique, devrait pouvoir tenir plusieurs niveaux de discours simultanément afin de satisfaire aux différents types d’écoutes possibles. Si dans l’enseignement secondaire les élèves des différentes séries sont regroupés dans des classes différentes, et bénéficient de programmes, d’épreuves et de prestations pédagogiques distincts selon leur « niveau », ce n’est plus le cas en première année de sociologie. Il serait intéressant d’ailleurs d’interroger les enseignants du secondaire sur leurs techniques d’adaptation à ces différents publics. Par exemple, comment un enseignant en philosophie (discipline « théorique » dont on sait qu’elle a tendance aussi à être plus « élitiste » que les autres, ce qui apparaît notamment au niveau de la note moyenne obtenue au Baccalauréat par l’ensemble des candidats, et doit sans doute être rapporté aux caractéristiques scolaires et sexuelles du corps enseignant de la discipline [33] ) ajuste-t-il son discours en fonction des séries du Baccalauréat ? Il est clair que la pédagogie déployée résulte notamment d’une « transaction » entre enseignants et enseignés, la « définition de la situation » pédagogique, comme du « marché linguistique » [34], évoluant notamment en fonction du type de public, d’enseignant (âge, sexe, grade, formation, tenue vestimentaire, etc.), du coefficient de la matière enseignée, comme du degré de sélectivité globale de la formation [35]. Un jeune enseignant en philosophie du secondaire officiant dans un lycée de banlieue au recrutement populaire nous expliquera ainsi que parler d’étymologie, ou prononcer un mot grec ou latin, n’est guère possible dans les filières technologiques et suscite immédiatement des réactions dans son public (étonnement, sifflements, remarques ironiques), alors que les bacheliers généraux réagissent de manière plus « scolaire », c’est-à-dire « sans broncher » [36].
31Nous avons rencontré les mêmes réactions en DEUG 1 de sociologie, mais avec des mots en anglais... Les enseignants de cette discipline souhaitant conserver un consensus de travail à peu près supportable avec leur public sont donc implicitement conduits à censurer de leur vocabulaire certains marqueurs linguistiques par trop distinctifs (le vocabulaire statistique, mathématique, ou encore un discours comportant une densité trop élevée de termes techniques, ou d’origine bureaucratique, suscitant aussi un certain émoi). Ou, s’ils veulent pouvoir les utiliser, ils doivent le faire avec humour et précaution, notamment en manifestant une distance au rôle, voire une certaine ironie vis-à-vis des canons de la culture légitime (« Avec ça, vous brillerez en société. »). De même, leur position d’enseignant du supérieur, comme de chercheur, peut les conduire à marquer leurs distances vis-à-vis des exigences les plus formelles de l’école (orthographe, grammaire, style, etc.), tout en « externalisant » plus ou moins la contrainte sociale ainsi que le « sale boulot » de sélection (« Vous aurez beau être génial, si c’est plein de fautes d’orthographe, au concours ça ne passera pas. », « Un C.V avec des fautes… », « Même en entreprise, il faut savoir écrire, exposer clairement ses idées. »). Ce qui les distingue alors de leurs collègues, plus soucieux des formes académiques.
32Afin de mieux « faire passer son cours », l’enseignant peut aussi adopter une position particulièrement « pédagogique », en veillant notamment à la question des pré-requis implicites, ce qui entre autres conduit à « simplifier », expliquer son vocabulaire, et à « exemplifier » son discours, d’une manière qui peut parfois paraître simpliste, voire « outrageuse », pour un enseignant se faisant une idée plus haute de sa discipline, de son rang, ou de sa fonction. D’où l’abandon paradoxal, mais fréquent, du premier cycle, ou de la première année d’étude ainsi que des amphithéâtres aux nombreuses copies, aux maîtres de conférences les plus jeunes, voire aux non-titulaires. Pour « illustrer » son propos, et plutôt que de mobiliser des références cultivées ayant une forte probabilité de « tomber à plat » (Proust étant par exemple d’un faible rendement ici), l’enseignant peut faire appel à la culture profane des étudiants (actualité, émissions télévisées relatives aux « problèmes sociaux »), ce qui n’est d’ailleurs possible que s’il y participe un peu lui-même. Il peut aussi manifester sa bonne volonté pédagogique et son « empathie », et par là descendre de sa position ex cathedra, en épelant ou en écrivant (en grosses lettres de préférence, de façon à ce que cela soit lisible du fond de « l’amphi ») les mots « compliqués » et les noms propres au tableau (mais en « faire trop » conduit aussi à des réactions étudiantes), en multipliant les exemples tirés de la vie quotidienne, en parlant de son vécu et donc en s’impliquant « personnellement » (qui n’a pas remarqué l’augmentation très nette de la qualité d’écoute d’un amphithéâtre, quand l’enseignant commence à parler de lui ?), en sacrifiant le « programme », – véritable impératif catégorique temporel pour les enseignants d’histoire si l’on en croit les observations de Boyer et Coridian –, aux exigences (plus ou moins illusoires) d’une compréhension immédiate du cours, tendant de fait à ralentir considérablement son rythme (voire à l’arrêter…), comme à augmenter le niveau de bavardage (effet pervers souvent remarqué), en déniant le rapport hiérarchique existant, en interpellant régulièrement (fut-ce de manière très rituelle) les étudiants, en les encourageant lors de la copie de citations particulièrement longues, en ménageant régulièrement des pauses et des blagues, en proposant des plans de cours détaillés ou des polycopiés (la mise sur internet des cours étant plébiscitée, attendu qu’elle permet notamment d’économiser le travail de prise de notes et d’assistance au cours), en commentant sa bibliographie et en signalant les manuels les plus accessibles, et surtout les plus « utiles » pour l’examen, en donnant à son cours la forme de « grands récits » captivants, usant alors d’effets plus ou moins théâtraux, etc., ces différentes options étant bien évidemment plus ou moins accessibles en fonction des dispositions, socialement constituées, de chaque enseignant.
33Les étudiants sont d’ailleurs généralement reconnaissants vis-à-vis des enseignants qui consentent à faire ces efforts d’adaptation, comme de « traduction », mais peuvent aussi s’avérer très critiques quand ceux-ci « en font trop » et sont perçus alors comme des « démagos », les prenant pour des « moins que rien ». C’est-à-dire déniant leur faculté d’êtres pensants capables, eux aussi, d’entrer dans un échange intellectuel, sans nécessairement succomber aux artifices de la séduction. Une connivence momentanée [37] (susceptible de nombre de malentendus, quiproquos) peut alors s’établir, sur la base notamment d’un consensus socialement construit. En effet, on peut penser que les effets d’homologie de trajectoire (comme d’identification) entre enseignants et enseignés jouent dans la fabrication de ce consensus [38], du degré de sélectivité global de la discipline, comme d’un certain type de rapport au savoir académique, voire au monde social et politique en général.
5. POUR NE PAS CONCLURE…
34Nous venons de décrire quelques techniques d’adaptation contribuant à un meilleur déroulement de l’interaction pédagogique en situation de « cours d’amphi ». Mais leur efficacité reste sans doute très limitée avec les « nouveaux publics » de l’enseignement supérieur, et plus spécialement ses franges les plus dominées constituées notamment par les bacheliers technologiques et professionnels. En effet, l’étude préalable des mécanismes de sélection et d’auto-sélection souligne l’importance du passage antérieur dans l’enseignement secondaire, et notamment de son opération de catégorisation/ hiérarchisation des populations scolaires, dans la réussite académique des étudiants [39]. Survivent d’abord les étudiants disposant d’un niveau de « compétence rédactionnelle » suffisant, capables de s’imposer à eux-mêmes des contraintes de travail régulières, comme de s’adapter à la temporalité des études universitaires. On peut alors s’interroger sur ce que signifierait une réelle adaptation à ces « nouveaux publics ». Par exemple, consisterait-elle à abattre la continuité des critères d’évaluation entre enseignement secondaire et enseignement supérieur, critères notamment incorporés par chaque enseignant, et ce en relativisant considérablement la place accordée à la maîtrise de la langue écrite et théorique, et en valorisant plus des « savoirs-faire », « savoirs-être », censés être plus « professionnalisants » ? Il est peu probable que la majorité des enseignants souhaite aller dans cette voie, qui au demeurant mécontenterait sans doute une fraction non négligeable des étudiants, même si elle peut éventuellement arguer du caractère de discipline empirique, ou de « terrain », de la sociologie pour tenter de se légitimer [40]. Il est manifeste aussi que le libéralisme pédagogique universitaire [41] et l’anomie institutionnelle désavantagent particulièrement les étudiants les plus dominés. Une certaine « rescolarisation » des cursus, et l’instauration de cadres temporels à la fois plus enveloppants et plus contraignants, leurs seraient sans doute bénéfiques. Mais celles-ci paraissent bien contradictoires avec les évolutions récentes de l’Université, qui tendent plutôt à « l’individualisation des cursus », ainsi qu’à l’émiettement des formations en « unités capitalisables », voire même à la dissolution des disciplines, notamment pour les moins canoniques d’entre elles.
35Si l’on adopte un point de vue comparatif, il apparaît aussi que la question de l’adaptation aux « nouveaux publics » se pose très différemment selon les facultés, qui s’avèrent alors plus ou moins sélectives. Ce qui est notamment apparu lorsque nous avons étudié l’effet de la réforme Bayrou sur le taux de réussite en première année d’étude. Le paradoxe étant que ce taux est globalement plus élevé dans les facultés accueillant un fort pourcentage de ces « nouveaux étudiants » (A.E.S, sciences humaines, S.T.A.P.S, etc.) [42], alors qu’il est nettement plus faible dans des facultés plus « bourgeoises », et à l’identité disciplinaire forte, telles que le droit, la médecine, les sciences, etc. De fait, ces facultés occupent des positions différentes sur le marché des disciplines universitaires, ce qui peut à la fois être rapporté aux caractéristiques sociales et scolaires de leur public, des enseignants, à leurs débouchés professionnels, comme aux stratégies développées par chacune.
36De même, et à un niveau plus fin, ce degré d’adaptation varie manifestement selon les disciplines, chacune réagissant notamment en fonction de son habitus disciplinaire. Ainsi, comme le montre l’article de Boyer et Coridian reproduit dans ce numéro [43], les variations dans les pratiques pédagogiques des enseignants d’histoire et de sociologie, dont les objets sont pourtant épistémologiquement très proches, sont déjà considérables. En fait, et en raison de la position qu’elle occupe sur le marché des disciplines universitaires [44], les marges de manœuvre de la sociologie semblent particulièrement réduites. Et ce d’autant plus dans un contexte de baisse des effectifs étudiants et de concurrence accrue entre disciplines/ établissements pour alimenter leur formation, – voire sauver leurs emplois – , le public des bacheliers technologiques et professionnels tendant alors à devenir un enjeu économique, politique, etc., de plus en plus important.
37La question de l’adaptation à ces « nouveaux publics » ne se pose donc pas avec la même intensité, ni de la même manière, selon les facultés, disciplines, mais aussi universités, dont les recrutements sont très différenciés tant scolairement que socialement (Merle, 1996). Le paradoxe étant que cette adaptation serait destinée à venir prioritairement en aide aux étudiants possesseurs de Baccalauréats, à l’origine professionnalisant, et censés déboucher directement sur la « vie active ». À un niveau institutionnel, il serait possible de remédier à l’orientation par défaut de ces bacheliers vers l’Université, – source d’un gâchis humain et pédagogique considérable-, en leur ouvrant plus largement les portes des I.U.T, S.T.S, qui à l’origine leurs étaient d’ailleurs destinées et dont les modalités d’encadrement et les temporalités pédagogiques sont manifestement mieux adaptées. Le ministre actuel de l’éducation (Luc Ferry) y songe, mais il n’est pas certain qu’il ait vraiment la volonté et les moyens d’une telle politique.
38En conclusion, nous espérons que les premiers éléments d’analyse, et d’autoanalyse, rassemblés ici contribueront à alimenter la réflexion sur les mutations récentes de l’université française, et plus particulièrement sur l’enseignement magistral en premier cycle. Pour notre part, ce travail nous a permis d’expliciter un peu plus notre propre pratique, et donc de commencer à mieux savoir ce que nous faisons, notamment quand nous évaluons des copies d’examen ou que nous faisons des efforts de « pédagogie ». C’était Saussure qui voulait « montrer au linguiste ce qu’il fait » [45]. De fait, mieux savoir ce que l’on fait offre sans doute les moyens de mieux faire son travail et d’agir en citoyen plus éclairé.
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Notes
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[1]
Je remercie Dominique Worsmser de l’UFR de psychologie, sociologie, sciences de l’éducation de l’université de Rouen pour son appui informatique, Corinne Morue, ainsi que Marie Christine Bonte, Nathalie Scala et Stéphanie Queval pour leurs observations de cours. Un grand merci aussi à Yannick Lelong de l’OVE de Rouen, dont les travaux se sont révélés forts utiles, ainsi qu’à Régine Boyer, Charles Coridian, Sophie Divay, Yankel Fijalkow, Isabelle Kalinowski, Jean-Luc Primon. De même, je remercie les étudiants ayant participé à ce travail qui, je l’espère, pourra à terme leur être utile.
-
[2]
Il s’agit d’une recherche comparative portant sur les pratiques d’enseignement magistral en deug 1 d’histoire et de sociologie conduite en collaboration avec l’I.N.R.P. (Boyer R., Coridian C.), l’université de Nice (Erlich V., Primon J.-L.) et celle de Rouen (Bonte M.-C., Fijalkow Y., Soulié C.).
-
[3]
En 1999, la dépense moyenne par élève s’élevait à 41,2 mille francs pour un étudiant d’université (hors IUT et ingénieurs), 55,9 mille francs pour les IUT et 68,9 mille francs pour les S.T.S.-C.P.G.E., les formations d’ingénieur culminant à 77,8 mille francs. Globalement, cette dépense est inversement proportionnelle aux effectifs de chacun des ordres d’enseignement (1 250 mille étudiants à l’université, 290 mille en S.T.S., C.P.G.E., 115 mille en IUT et 28 mille en formations d’ingénieurs). (Source : M.E.N, 2000, p. 257)
-
[4]
Néanmoins, si la différence est significative statistiquement selon le sexe, elle ne l’est pas selon la bourse. Des observateurs nous ont d’ailleurs signalé le cas de boursiers se déplaçant uniquement pour l’examen et rendant copie blanche afin de continuer à percevoir leur bourse. Sur le rapport ambigu, et problématique, à la bourse universitaire de certains « enfants de la démocratisation scolaire », cf. Beaud (2002).
-
[5]
Sont considérés comme salariés par l’administration universitaire les étudiants disposant d’un contrat couvrant l’année scolaire de 120 heures par trimestre, ou 60 heures par mois. Etre mère de trois enfants permet aussi de bénéficier du statut de salarié au plan pédagogique (dispense de TD notamment). À l’instar de ce qu’on observe habituellement, le salariat croît avec l’âge des étudiants (aucun étudiant ayant 17/18 ans n’est salarié, mais c’est le cas de 5,8 % des 19/20 ans et de 17,7 % des 21 et plus). Pour approfondir cette question, il faudrait disposer d’autres données, la définition du salariat retenue par l’administration étant particulièrement restrictive, isolant sans doute le noyau le plus stable de cette population, mais excluant de fait les emplois précaires, fréquents chez les étudiants, et qui interfèrent souvent fortement avec leurs études.
-
[6]
Par contre, la mention au Baccalauréat agit peu. En fait, le taux de mention est plus élevé chez les Baccalauréats technologiques, et surtout professionnels (près d’un tiers dans ce dernier cas). Tout se passe donc comme si la mention n’avait pas le même sens selon le Baccalauréat. Ainsi, on sait que la mention est décernée de façon beaucoup plus libérale au niveau du Baccalauréat professionnel, ce qui n’est pas sans illusionner parfois ces élèves sur leur valeur scolaire, la remise au niveau des espérances académiques, professionnelles, etc., se faisant alors souvent dans la douleur. Pour une description fine des effets sociaux, et humains, de l’accès au Baccalauréat, puis à l’enseignement supérieur dans les filières les moins encadrées, de nouvelles franges de la jeunesse populaire, et notamment de celles issues de l’immigration cf. Beaud (2002).
-
[7]
On peut se demander si le passage à l’Université ne s’accompagne pas d’une forme de « déscolarisation » des étudiants. Nous pensons notamment à l’évolution de leurs compétences rédactionnelles qui, étant assez peu entretenues et cultivées dans une discipline relativement plus anomique comme la sociologie (par comparaison avec l’histoire notamment), et où le travail de « terrain » occupe aussi une place plus importante et permet parfois aux étudiants de compenser leurs insuffisances scolaires, décroissent parfois du premier au second cycle. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans leur poser problème, notamment quand ils se présentent aux épreuves écrites des concours de recrutement de la fonction publique (IUFM, CAPES, etc.), et occasionne alors de grandes souffrances (Soulié, 2000). À l’inverse ces dispositions, compétences, sont entretenues, voire même approfondies, dans le secteur fermé, et notamment celui des classes préparatoires, qui se distinguent par un rythme d’épreuves scolaires, écrites notamment, particulièrement soutenu (Bourdieu, 1989). Ce double système d’exigences entre secteur ouvert et secteur fermé, reflet du dualisme de l’enseignement supérieur, n’est pas sans rappeler les différences observables en amont, quand on compare l’intensité et le rythme des exigences scolaires dans les différentes filières du Baccalauréat (de la Terminale S à la Terminale Professionnelle). Coexistent alors deux modes de gestion pédagogique, et temporelle, des populations scolarisées.
-
[8]
Certains de ces bacheliers S sont peut être aussi en double cursus, ce qui expliquerait leur absentéisme.
-
[9]
Concernant la différence homme/femme, signalons que les femmes sont majoritaires (elles forment 75 % de la population des inscrits), et qu’elles disposent d’un capital scolaire plus élevé que les hommes. Ainsi, 61,3 % des femmes ont un Baccalauréat général (contre 53,9 % des hommes) et 37,9 % sont « à l’heure » à ce diplôme (contre 21,4 % des hommes). Lors de cours de second cycle en sociologie, nous avons d’ailleurs remarqué que les différences d’âge entre étudiants et étudiantes faisaient souvent rire ces dernières…
-
[10]
Cf. Blöss, Erlich , 2000.
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[11]
Cf. Atelier Licence de sociologie, 1998.
-
[12]
Un secrétaire de premier cycle de Paris 8 explique qu’arrivant à l’université de St Denis, située dans le 93, les nouveaux bacheliers sont souvent déroutés par l’organisation des études universitaires et que nombre d’entre eux ont le réflexe de chercher le « CPE » (conseiller principal d’éducation) afin de les orienter dans leurs études.
-
[13]
Pour une étude plus approfondie de ce phénomène : Gadéa, 2001.
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[14]
Source : Observatoire de la Vie Etudiante, Université de Rouen, 2000.
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[15]
Ce taux s’élève à 36,2 % chez notre collègue Olivier Godechot.
-
[16]
Les notes sont systématiquement arrondies au point inférieur ou supérieur.
-
[17]
De même, ils peuvent ne pas connaître le nom de l’enseignant, ou l’orthographier de manière fantaisiste. Toujours concernant l’orthographe, on note aussi que dans les questionnaires nombre d’étudiants orthographient mal la profession de leurs parents.
-
[18]
Chez certains garçons, le sentiment de cette distance se retourne parfois en agressivité vis à vis de l’enseignant, de l’université, comme de la culture légitime en général. Ainsi, il nous est arrivé de corriger la copie d’un étudiant qui au début essayait de répondre à la question posée, puis se rendant compte qu’il n’en avait pas les moyens, finissait sa copie, dans une sorte d’escalade dans la logique du point d’honneur, en insultant à demi l’enseignant et en rapprochant – fort symptomatiquement – la sociologie et la mécanique automobile.
-
[19]
Lorsque nous reproduisons les écrits étudiants, nous respectons leur orthographe, mais pas leur mise en page.
-
[20]
L’étude de la proportion entre enseignants titulaires et enseignants vacataires en premier cycle selon les disciplines en dirait sans doute beaucoup sur la manière dont chacune a réagi au processus de « massification » de l’enseignement supérieur. Selon les observations de Boyer et Coridian, il semble que, fidèles aux usages académiques traditionnels, les historiens aient persisté à confier les enseignements magistraux de première année aux titulaires, et notamment aux professeurs, tandis que la proportion de maîtres de conférences et de non titulaires est plus importante en sociologie. Cela dit, on observe aussi que la proportion de professeurs est plus importante dans le corps enseignant en histoire qu’en sociologie.
-
[21]
Qui rejoignent notamment ceux de Boyer et Coridian (2002) dans une enquête conduite auprès d’étudiants de première année de DEUG de droit, histoire et science.
-
[22]
Néanmoins, il est vrai aussi que l’organisation temporelle des études universitaires rend possible l’activité salariée des étudiants et permet à l’Université d’accueillir un public nettement plus diversifié, tant socialement que scolairement, que celui des classes préparatoires ou des I.U.T., en reprise d’études, en formation post-initiale, etc., ce qui renvoie notamment aux fonctions sociales de ces différents établissements.
-
[23]
Entretien reproduit dans : Fijalkow, Soulié, 1998, a, p. 2.
-
[24]
Le désaccord, souvent remarqué, entre le point de vue de l’enseignant, qui dira que son cours est « calme », que finalement tout « se passe bien » dans son amphi, etc., et le point de vue d’observateurs étrangers immergés dans l’amphithéâtre est à souligner, et doit sans doute être rapporté au consensus de travail que tout enseignant doit s’efforcer de trouver avec ses étudiants (ainsi qu’avec lui-même) pour « sauver les apparences » et continuer à « assurer son cours », comme si de rien n’était.
-
[25]
Cela dit, il faudrait distinguer les étudiants assis au fond de l’amphithéâtre de ceux assis devant, etc. (cf. Fijalkow, Soulié, 1998, b).
-
[26]
Sur l’histoire de cette université : Soulié (1998).
-
[27]
Concernant le rapport différentiel au temps des différentes classes sociales : Pronovost, 1996, p. 108 et 109.
-
[28]
Dans son étude sur les facteurs de la réussite dans les deux premières années d’enseignement supérieur, Sylvie Lemaire (2000) souligne l’importance de la « motivation » exprimée à l’entrée de la filière. Ainsi, neuf bacheliers sur dix ayant obtenu leur DEUG en deux ans disent avoir fait un choix positif pour cette filière. « L’attrait pour la discipline » apparaît ainsi comme un facteur important de réussite. « Le projet professionnel joue également un rôle certain, puisque la moitié de ceux qui obtiennent leur diplôme l’ont placé parmi les principales raisons de leur choix : une majorité souhaitant devenir enseignant (55 %, contre 38 % de l’ensemble des inscrits » (p 2). On ne saurait trop souligner le rôle cardinal jouée par la reproduction du corps enseignant (du primaire, du secondaire, comme du supérieur) dans la construction d’une norme de travail et d’évaluation universitaire implicite (notamment pour tout ce qui touche à la maîtrise de la langue écrite), ce rôle étant sans doute encore plus vif dans les disciplines dites d’enseignement, dont les débouchés sont essentiellement orientés vers le professorat.
-
[29]
Sur la question de l’adaptation à ce nouveau public en sociologie : Garcia et Pélage, 1999.
-
[30]
Concernant l’évolution du recrutement social des grandes écoles : Euriat et Thélot, 1995.
-
[31]
Dans le cas du cours étudié, il semble que dans la production du « consensus de travail », nous nous soyons plus particulièrement « calés » sur le groupe des bacheliers E.S, majoritaires parmi les présents. Virginie, une fille de cadre de 20 ans, titulaire d’un Baccalauréat E.S, assidue au cours, assise au 9ème rang et ayant obtenu 11/20 à l’examen, parle ainsi de la formation : « Quand on vient d’une terminale E.S, on a déjà les bases en ce qui concerne les auteurs, les théories… La formation me paraît satisfaisante car je trouve le contenu des cours intéressants. Je ne suis pas vraiment « perdue ». Il suffit de travailler régulièrement, lire les cours. »
-
[32]
Au niveau national, on sait que le Baccalauréat S, qui est aussi le plus prestigieux, est le plus masculin des Baccalauréats généraux.
-
[33]
Ainsi le pourcentage d’hommes, comme d’anciens élèves de classes préparatoires, est particulièrement élevé dans cette discipline, enseignée exclusivement en Terminale, et à ce titre qualifiée autrefois de « discipline du couronnement » (Soulié, 1997).
-
[34]
Sur la notion de « marché linguistique » : Bourdieu, 1982.
-
[35]
La comparaison du comportement en cours d’étudiants de 1ère année de médecine, qui par exemple viennent une heure avant le début du cours afin d’avoir une place au premier rang, avec celui d’étudiants de 1ère année de sociologie dont le rapport au temps est nettement plus « détendu », est instructive. ( Cf. Atelier Licence de sociologie, 2001). L’opposition du « tendu » et du « relâché » nous paraît d’ailleurs structurante de l’espace des études supérieures et se donne notamment à voir dans le rapport différentiel au temps des étudiants, comme de leurs enseignants.
-
[36]
Je remercie ici Franck Poupeau pour ses remarques.
-
[37]
Ce caractère passager est très important, car la relation pédagogique est une relation de face à face, bien différente de la situation de correction de centaines de copies anonymes. Ainsi, des enseignants apparaissant comme « sympas » aux yeux des étudiants, peuvent s’avérer « sélectifs » au moment de la notation. De ce point de vue, il faut souligner le caractère nettement plus sélectif, et objectivant, des épreuves écrites par rapport aux épreuves orales, « l’individualisation » et la « personnalisation » de la relation pédagogique (telle qu’elle s’observe par exemple dans les TD d’enquête ou ailleurs, et telle que le ministère souhaiterait la voir se développer) s’accompagnant souvent d’une sélectivité moindre, ce qui la rend parfois suspecte de démagogie.
-
[38]
Cela a souvent été remarqué avec l’âge. Mais d’autres facteurs contribuent à la construction de ce consensus de travail. Par exemple, le fait pour un enseignant d’arriver à l’heure ou non, de s’habiller de manière plus ou moins stricte, de faire l’appel, d’aller plus au moins « au contact » de son public en le regardant, en se levant ou autre, tout cela est riche d’enseignements. Et ce tant sur la situation pédagogique elle même, que sur la définition que chacun se fait de son rôle, de sa discipline, laquelle est bien évidemment susceptible d’évoluer selon le cycle d’études, la carrière, etc. Lors d’une expérience avec des étudiants de Licence, il est apparu aussi que le fait d’être un homme ou une femme, un professeur ou un maître de conférences (ou un non-titulaire), d’enseigner une matière jugée plus ou moins « importante », était susceptible d’agir sur le comportement des étudiants, et notamment le niveau de bavardage. Et à son tour, le statut intervient sur la prestation pédagogique, l’enseignant ayant alors tendance à parler plus ou moins vite, répéter, dicter plus ou moins, et finalement à être perçu comme plus ou moins « pédagogue » et « sélectif ». Un professeur portant cravate, connu pour la rigueur de sa notation, expliquera ainsi que pour lui : « Pédagogie rime avec démagogie ».
-
[39]
Ce qui montre bien le rôle central joué par l’enseignement secondaire en France. Durkheim (1990, p. 25) fait d’ailleurs de ce trait le principal caractère distinctif du système scolaire français et va jusqu’à parler du : « rôle exorbitant de l’enseignement secondaire qui est propre à notre pays, et qui ne se retrouve nulle part ailleurs au même degré. »
-
[40]
Que la sociologie soit une discipline empirique n’est guère discutable. Mais faire de la sociologie, c’est aussi savoir rendre compte par écrit de son travail…
-
[41]
Lui-même fruit, entre autres choses, de la faiblesse des taux d’encadrement à l’Université ( cf. note n°3), et constituant par là même « une réponse adaptée à la situation objective » faite aux enseignants du supérieur, normalement évalués sur la base de leur production scientifique (Bourdieu, 1989, p. 136).
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[42]
Cf. Blöss, Erlich, 2000, p. 757.
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[43]
Cf. « Formes d’introduction aux savoirs disciplinaires dans l’enseignement universitaire : une comparaison Histoire/Sociologie ».
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[44]
Pour une étude comparée du public des disciplines de lettres et sciences humaines : Mauger, Soulié, 2001.
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[45]
Cité par Bourdieu, Chamboredon, Passeron (1973, p. 24).