Couverture de SOCO_041

Article de revue

L'échangisme : une multisexualité commerciale à forte domination masculine

Pages 111 à 131

Notes

  • [1]
    En particulier les travaux sociologiques qui ont accompagné la prévention du sida (Welzer-Lang et al., 1994, Pryen, 1999, Mathieu 2000) et les analyses socio-juridiques autour de la commercialisation du corps des femmes (Louis, 1992,1997).
  • [2]
    En 1973, le docteur Valensin publia un ouvrage intitulé Pratique des amours de groupe, reflet de 15 années d’échangisme vécu par l’auteur dans la région parisienne. À l’époque, l’« échangisme » concernait surtout les classes supérieures de la société et recourait massivement à l’utilisation de femmes prostituées.
  • [3]
    Depuis 1999, pour se démarquer de l’échange des femmes que connote échangisme, donner une image plus progressiste du milieu, plusieurs revues et adeptes utilisent le terme « mélangisme ».
  • (1)
    Très souvent, à la différence des lieux gays, quand les adeptes de l’échangisme repèrent des novices, ils/elles leur expliquent verbalement les codes d’interaction et de présentation de soi dans ces lieux.
  • (2)
    Pendant toute une période de l’étude nous avons signé, sous pseudonyme, des articles dans les revues échangistes où nous commentions nos découvertes du milieu et les résistances à la prévention du Vih.
  • [4]
    Aujourd’hui, en France, la plupart des saunas sont des lieux de rencontres sexuelles, que celles-ci concernent les populations homo ou hétérosexuelle.
  • [5]
    Dans les faits, dans la plupart des soirées, même réservées aux couples, un homme seul connu et/ou prêt à payer cher peut accéder à l’établissement.
  • [6]
    Mise à disposition sexuelle d’une femme à un nombre important d’hommes de manière simultanée ou consécutive.
  • [7]
    Par exemple un lieu S-M (sado-masochiste) du sud-ouest de la France, répertorié comme commerce libertin par les revues échangistes, propose des prestations de Maîtresse S. à 1 500 F la séance.
  • [8]
    Une revue échangiste en publie la liste et les plans d’accès chaque année.
  • [9]
    Voir les descriptions assez réalistes qu’en donne Houellebecq (1998).
  • [10]
    Autre indice d’extension de ces pratiques : la principale revue échangiste publiait mensuellement 800 annonces en 1993,2 500 en 2001. Et le nombre de revues à large diffusion qui proposent des annonces ne cessent de croître passant de deux en 1993 à quatre en 2001 ; sans compter un nombre important (mais impossible à chiffrer au vu de l’instabilité de ces publications) de petits journaux locaux proposant publicité pour les lieux de rencontres et annonces de rencontres.
  • [11]
    Ce terme est aujourd’hui utilisé de manière générique pour décrire les lieux, obscurs ou non – ils sont obscurs dans les lieux gays, mais pour ainsi dire jamais dans le milieu échangiste – où se déroulent des interactions sexuelles.
  • [12]
    En sachant que la fréquentation varie considérablement entre ceux, celles, qui pratiquent plusieurs fois par semaine, et ceux, celles qui ne s’adonnent à ces jeux qu’exceptionnellement.
  • [13]
    En septembre 2000, un texte d’appel à la création d’une association nationale échangiste, regroupant clubs, restaurants, boîtes de nuit, éditeurs, et sympathisants commençait ainsi : « Tout d’abord, peu de gens nous contrediront, en France, nous ne sommes plus très gaulois depuis longtemps. Les gènes des concitoyens de Vercingétorix se sont bien dilués depuis deux mille ans d’invasions. D’ailleurs, notre malheureux et valeureux Vercingétorix lui-même, a payé cher de sa vie l’esprit gaulois. Jules César nous le décrit fort bien dans la Guerre des Gaules. Il nous montre comment il a brillamment maté une à une les tribus gauloises, en fin psychologue, exploitant l’égocentrisme et le désunion régnant chez ses adversaires. Tout en conservant de nos ancêtres l’esprit critique et d’indépendance, éliminons tout comportement pouvant nous mener tout droit à la défaite de nos idéaux et projets. Car n’en doutons pas, notre philosophie, lorsqu’elle sera bien affirmée et structurée, subira de terribles attaques de toutes parts, tel un raz de marée. Seule la cohésion de tous, autour d’idées fortes et une puissante structure, nous permettra de résister contre les coups de boutoir qui nous attendent ». Loisirs 2000, septembre 2000, n° 126, p. 89.
  • [14]
    Les libertin(e)s qui prônaient la Révolution sexuelle et le communisme sexuel comme formes de libération politique et sociale au sein de réseaux particuliers ont, d’après plusieurs témoignages, arrêté ces pratiques collectives avec l’arrivée du Sida dans les années 85-90. Seul(e)s quelques rares sexologues, souvent parisien(ne)s, défendent encore les pratiques de sexualités collectives comme thérapie.
  • [15]
    En général non déclarées, elles sont payées au smic plus les pourboires. Ceux-ci dépendent naturellement des services qu’elles offrent, ou, dit plus pudiquement, « de la manière dont elles s’intègrent à l’ambiance » (un patron de club).
  • [16]
    En juin 2000, les services de Police de Lyon évaluaient à 10 % le nombre de prostitué(e)s contrôlé(e)s par un souteneur.
  • [17]
    Au Cap d’Agde Naturiste, depuis très longtemps, toutes les discothèques sont libertines. Sont apparus depuis 1998, parallèlement aux actions policières contre les exhibitions publiques, un sauna (ouvert toute la journée), l’ouverture des clubs l’après-midi et la création d’un « multiplexe du sexe » avec restaurant, bar, boutiques et backroms. D’autres projets de cette envergure, sous-tendus par des capitaux importants, seraient à l’étude.
  • [18]
    Certains responsables d’établissements essayant d’imposer ces tenues y compris aux animatrices de prévention sida, alors qu’ils acceptent sans problème des hommes bénévoles travestis. La « butch » – femme (lesbienne) n’affichant ni les critères esthétiques, vestimentaires et corporels, ni les attitudes traditionnellement associées au genre féminin – semble être la figure repoussoir de l’hétéronormativité contrôlée par les hommes.
  • [19]
    Témoin, cette femme, qui arrive avec son mari dans un hôtel échangiste. Il/elle saluent tout le monde, et le mari s’adressant à sa compagne, d’une voix assurée et forte pour que tout le monde entende, dit : « Chérie, j’espère que tu seras moins coincée que l’année dernière ». D’une manière générale, alors que l’esthétisme des hommes présents n’est jamais mis en cause ni par les hommes, ni par les femmes, celui des femmes est en permanence débattu par les hommes pour les comparer avec les modèles stéréotypaux de féminité ; notamment celui qu’affichent les jeunes femmes présentes dans les clubs et/ou les actrices de films pornographiques. Il s’agit là d’une forme permanente de violence insidieuse qui permet à de nombreux hommes interviewés de justifier la disponibilité qu’ils requièrent de leur compagne. Comme si le « déficit en capital esthétique » devait être compensé en soumission et en disponibilité sexuelle.
  • [20]
    Le milieu libertin parle lui de protection de la femme par son conjoint pour lui éviter les hommes incorrects. Sont qualifiés ainsi les hommes qui approchent les femmes, seuls ou en groupe, sans l’accord de ces dernières et/ou de leurs conjoints. Ces hommes, souvent des hommes seuls ayant payé plus cher l’entrée que les couples, justifient ces pratiques par la disponibilité que sont censées offrir les femmes présentes.
  • [21]
    Dans certains lieux, il faut même parler d’envahissement de la pornographie à travers les écrans géants, la puissance sonore…
  • [22]
    Ce qui prouverait, aux dires des échangistes, hommes et femmes, que ce sont les femmes qui ont le pouvoir puisqu’elles peuvent… refuser un rapport. Ce qui n’est pas toujours vérifié. Dans certains lieux, la liberté de mouvement des femmes est conditionnée à une présence masculine.
  • [23]
    Plusieurs de ces témoignages font aussi valoir des formes importantes et visibles de somatisation : vaginites à répétition, prise de poids, insomnies…
Tout se passe comme si la sexualité était constamment appelée à occuper tous les lieux de la société, à servir de langage pour exprimer, de raison pour légitimer des réalités dont les fondements ne relèvent pas, ou pas principalement, de son ordre.
(GODELIER, 1995 : 13).

1Le commerce du sexe se développe et se diversifie. Pourtant, suite aux luttes féministes menées contre la domination masculine, seule la prostitution de rue semble être aujourd’hui un sujet controversé, tant dans le mouvement féministe qu’au sein des instances européennes chargées de légiférer. Dans ces débats, tout se passe comme si les réalités du commerce du sexe et du travail sexuel étaient restées les mêmes depuis une cinquantaine d’années. Or le libéralisme a renforcé, à travers ses modes de diffusion massive et la concentration de capitaux, l’exploitation masculine du capital symbolique, esthétique et sexuel des femmes. Certains discours de sens commun aimeraient nous opposer une sexualité tarifée et prostitutionnelle, un isolat du social, survivance d’une époque dépassée, à un regain de liberté des mœurs où, dans des établissements adaptés qui s’autoproclament « libertins », « non-conformistes », hommes et femmes, en couples, pourraient s’adonner à un nouveau libertinage dénué de contraintes.

2Notre article aborde l’« échangisme », une sphère particulièrement florissante et lucrative du commerce du sexe, concurrentielle à la prostitution, dans le contexte de l’autonomie récemment acquise d’une partie importante des travailleuses et travailleurs du sexe. Nous abordons successivement quelques données objectives sur ce commerce, puis nous discutons de cette pratique qui se présente comme conjugale, égalitaire et novatrice dans les formes de sexualité qu’elle intègre.

3Une réelle difficulté de cette recherche tient au peu de travaux centrés en France sur l’étude des lieux et pratiques du commerce du sexe et à la volonté de discrétion de ces commerces. Hormis les études et les analyses sur la prostitution de rue [1], les observations du docteur Valensin [2] qui décrit l’échangisme de manière quasi entomologique (ce qui n’exclut pas – loin de là – le prosélytisme), ceux de Bartell qui questionnent les cadres sociaux de l’échange chez les bourgeois américains en 1971, quelques mentions dans la littérature ethnologique américaine sur des pratiques ethniques d’échange de femmes (Wallace, 1969), des travaux sur le multipartenariat entre hommes (Bolton, 1992,1995 ; Mendes-Leite, 1997), rares sont les tentatives de déconstruction du phénomène. La multisexualité, le fait d’avoir des pratiques sexuelles avec plusieurs personnes dans le même lieu, en même temps ou de manière successive, ici étudiée à travers ce qui se nomme l’échangisme, semble n’avoir jamais été un objet légitime dans les sciences sociales.

LA « PLANETE ECHANGISTE » : UNE COMBINATOIRE D’ESPACES ET DE TEMPS DIFFERENTS

4Pour comprendre les pratiques des adeptes de « l’échangisme », le sens que recouvrent ces pratiques dans leurs vies personnelles, nous avons multiplié les sources d’investigation (voir encadré). Il apparaît rapidement que le terme d’« échangisme » est un terme générique, voire même, en regard avec le nombre d’hommes seuls qui composent la population échangiste, un « leurre », désignant des pratiques multiples. L’échangisme, ou tout autre terme utilisé de manière analogique (« non-confor-misme », « pratiques libertines », « libertinage » [3] ) va des frontières (et parfois audelà) du travail sexuel aux rêves dits conjugaux d’une sexualité « autre ».

La recherche et sa méthode

Cet article synthétise quatre années de recherches ethnographiques menées sur un ensemble d’espaces différenciés que nous avons qualifié de « planète échangiste » pour traduire la singularité de ces pratiques et le fort sentiment d’étrangeté qui envahit tout(e) novice qui pénètre ces espaces. Notre étude s’est prolongée jusqu’à ce jour à travers l’accompagnement des actions de prévention du Vih menées par l’association Couples Contre le Sida..
Notre méthode sur les lieux de consommation sexuelle, que nous qualifions d’« observation participante », a déjà été présentée (Welzer-Lang, Barbosa, Mathieu,1994 ; Welzer-Lang, 1999) et débattue lors de rencontres scientifiques (Bozon, 1995). La discussion a été reprise par d’autres collègues. Ainsi, Rommel Mendes Leite parle de « participation observante » (1992), puis devant les incompréhensions qu’a provoquées cette appellation, avec Pierre-Olivier de Busscher, après avoir présenté un large éventail de terminologies utilisées à l’étranger, ils utilisent les termes de « participation modérée » pour leurs travaux (1997). Cette méthode a aussi fait l’objet de réflexions au niveau international, en particulier sur les problèmes éthiques qu’elle pose appliquée dans les lieux de consommation sexuelle (Bolton, 1995) et les difficultés d’interprétation qu’elle engendre (Kulick, Wilson, 1995). Bozon en signale aussi les limites qui tiennent pour lui à l’obligation d’invisibilité de l’activité sexuelle (Bozon, 1999).
Pour notre part, nous avons observé les interactions dans les lieux échangistes avec, dans un premier temps, un statut de voyeur/voyeuse, une place tout à fait légitime dans ces lieux où de nombreuses personnes « ne font rien », comme on dit dans le milieu libertin. Ce statut de novice, que nous avons volontairement entretenu  (1), s’est progressivement dissipé au fur et à mesure que notre étude et nos actions de prévention de lutte contre le sida ont été connues et discutées  (2). Notre étude prit plus alors la forme d’une rechercheaction, et notre présence fut soutenue par ceux et celles qui voulaient que le milieu échangiste se mobilise contre le VIH. Nous devînmes alors des dignitaires, statut réservé à ceux, et dans une moindre mesure celles, souvent commerçant(e)s, qui quittent pour une raison ou une autre l’anonymat et à qui l’on prête une bonne connaissance des codes et de la structuration de ce milieu.
LES TERRAINS
Outre les matériaux de terrain récoltés pendant quatre années d’observation dans l’ensemble des espaces qui se présentent comme non-conformistes et échangistes (d’abord dans la région Rhône-Alpes, puis sur l’ensemble de la France), nous avons analysé les petites annonces à travers l’étude qualitative de deux numéros d’une revue nationale qui s’adresse spécifiquement aux échangistes. Nous avons soumis deux numéros du magazine Swing (n° 24 et 38) à une étude sémio-lexicographique pour l’un, et une étude empirique de 1 000 annonces pour l’autre (Welzer-Lang, 1998). Par la suite, nous avons étudié 230 lettres de réponse à des petites annonces fournies par un informateur dont 189 émanaient de particulier(e)s, les autres représentant des offres commerciales (photo, vidéo, lingerie…). Au cours de cette étude, nous avons aussi réalisé 51 entretiens semi-directifs avec les hommes et les femmes seul(e)s ou en couples, des « dignitaires » de la planète (responsables ou personnel de commerces : clubs, saunas, revues, services de voyages…).
Les entretiens d’une durée moyenne de 90 minutes ont porté sur les carrières sexuelles et affectives des personnes interrogées, leur entrée puis leurs pratiques socio-sexuelles dans l’échangisme, la place de ces pratiques dans leur vie personnelle et conjugale, les perceptions et pratiques face au sida, etc. Dans le même temps, nous avons ethnographié le Cap d’Agde Naturiste deux mois durant et pendant trois années successives, en vivant sur le site pour y mettre en place la prévention du Sida. Dans un second temps, nous avons bénéficié d’un contrat européen et pu comparer les situations françaises, italiennes et espagnoles.
Cette étude a reçu successivement le soutien financier de l’AFLS (Agence Française de Lutte contre le Sida), de la Division Sida de la Direction Générale de la Santé, et de l’ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le Sida). Elle a été complétée par une comparaison européenne financée par le Programme communautaire de prévention du Sida et de certaines autres maladies transmissibles (DGV).
De nombreuses personnes sont intervenues dans cette étude. Isabelle Million, vidéaste, a participé à une grande partie des observations de terrain, Yura Petrova a réalisé l’étude lexicographique des petites annonces, Jacques Laris a effectué le traitement manuel des petites annonces et Sylvie Tomolillo a participé à l’analyse des entretiens.

5L’échangisme, commercial ou non, donne à voir un ensemble de lieux, et de temps qui s’articulent les uns aux autres. D’une part, le commerce libertin propose des lieux de rencontres clos, qui se présentent comme privés et sélectionnent leur clientèle : clubs, saunas [4], restaurants. Ceux-ci organisent des soirées « pour couples » [5], des soirées « trios » (où l’on limite – en théorie – le nombre d’hommes seuls) et des soirées mixtes (où tout le monde peut entrer, ce qui signifie beaucoup d’hommes seuls). Dans les grandes villes, la quasi totalité des saunas et de nombreux clubs sont aussi ouverts l’après-midi, sans sélection à l’entrée. Parallèlement à ces lieux commerciaux, des soirées « très privées » sont organisées à travers des réseaux de particuliers. À côté de ces lieux clos, se trouvent des espaces de drague publics. Jouxtant souvent les lieux de drague gays (avec quelques interactions entre ces deux populations), ces zones sont nocturnes. Elles servent d’espaces de rencontre, entre couples, entre couples et hommes seuls, et/ou d’exhibition des femmes. Parfois aussi, des rencontres sexuelles (en particulier des « gang bangs [6] ») sont mises en scène dans ces lieux.

6En dehors de ces espaces semi-publics, plus confidentielles et plus contractuelles sont les rencontres à travers les « petites annonces » publiées dans des revues spécialisées, comme à travers les minitels et serveurs Internet (souvent liés aux revues échangistes). Là, dans l’anonymat, les couples (en général l’homme du couple) et les hommes seuls négocient au préalable les conditions d’accès aux femmes. À cela se superposent quelques associations de loisirs où l’échange sexuel se combine à des randonnées en montagne, des soirées festives.

7Les revues échangistes donnent aussi les adresses de lieux frontières entre échangisme et travail sexuel : les sex-shops où des exhibitions de femmes sont organisées dans les cabines. Dans certaines villes moyennes, des établissements sont, tour à tour, bar à hôtesses la semaine, et « pour couples » le samedi soir. Parfois aussi, ce sont maintenant des lieux gays qui s’ouvrent à la population échangiste quelques soirs par semaine ou des clubs spécialisés qui proposent des prestations payantes [7]. Bien évidemment, une lutte de légitimité oppose certains établissements qui se présentent comme de « vrais » lieux libertins ou échangistes et les autres qui, par manque de femmes libertines, sont obligés de faire appel à du personnel payé.

8L’été, en France, à côté de quelques campings ou hôtels « pour couples » qui mélangent dans leur présentation naturisme et non-conformisme, des plages naturistes sont utilisées comme lieux de rencontre [8]. Le Cap d’Agde Naturiste constitue le plus grand lieu de rencontre échangiste d’Europe. Jusqu’à 1998, en juillet et août, chaque jour après 18 heures (moment de départ de la police des plages), sur la « plage co-quine » et dans les dunes qui la jouxtent, à côté de la « plage gay », des centaines, voir des milliers de personnes (des couples et des hommes seuls appelés « mateurs », « branleurs » par les couples) s’ébattaient à la vue de tous et toutes [9]. Depuis, la municipalité et les pouvoirs publics ont renforcé la présence policière, interdit l’accès aux dunes et laissé s’ouvrir les clubs et autres commerces du sexe les après-midi. Il n’y a plus d’exhibitions ou de sexualité dans les espaces externes.

UN PUBLIC DIVERS, EN EXTENSION, COMPOSE MAJORITAIREMENT D’HOMMES

9Le nombre de lieux commerciaux échangistes a fortement augmenté à Lyon au cours de notre étude, puisqu’ils étaient neuf en 1993 et dépassaient la vingtaine dès 1996 [10]. Parallèlement une clientèle de couples relativement jeunes se développait. En comparant l’étude que nous avions effectuée sur les établissements gays (Welzer-Lang Daniel, Dutey Pierre 1994) et celle-ci, on peut déduire qu’aujourd’hui, en France, un backroom[11] sur trois est échangiste. En recoupant des données liées aux fichiers de certains clubs, certaines revues de petites annonces, et à la population fréquentant le Cap d’Agde, on peut estimer à plusieurs centaines de milliers [12] le nombre de ceux et celles qui fréquentent la « planète échangiste ».

10Face à un phénomène qui apparaît atomisé, caché, qui se laisse peu circonscrire, avec tous les risques de généralisation abusive que cela implique, nous avons tenu à quantifier les données objectives que donnent à voir le milieu. C’est ainsi que nous avons analysé de manière quantitative les types d’auteurs de petites annonces de rencontre.

11Outre ce que nous apprend l’analyse de contenu, nous avons pu dégager une répartition de la population : les hommes seuls en représentent plus de la moitié (51 %), loin devant les couples (41 % dont 2 % se présentent sans lien conjugal) et les autres composantes non-conformistes (femmes seules : 3,5 % ; travestis : 2 à 3 % ; groupes divers : 2 à 3 %) – voir tableau 1. Les hommes (seuls ou en couple) représentent donc près de 75 % de la population qui se réclame de ces pratiques à travers les petites annonces. Nos observations empiriques dans les clubs, sauna et autres lieux de drague, sont congruentes avec ces données.

TABLEAU 1

DISTRIBUTION DES AUTEURS DE PETITES ANNONCES

TABLEAU 1
TABLEAU 1 : DISTRIBUTION DES AUTEURS DE PETITES ANNONCES DANS UN NUMERO DE REVUE ECHANGISTE Types de petites annonces ( Swing n° 38,1995) Nombre de Pourcentage petites annonces Couple H/F 388 38,8 % Hommes seuls 512 51,2 % Femmes seules 35 3,5 % Hommes Travestis 19 (3) 1,9 % Duos ou Groupe d’hommes 7 0,7 % Duos ou groupe de femmes 1 0,1 % Groupes mixtes (1) 16 1,6 % Duos Mixtes (2) 22 2,2 % Total 1000 100,0 % (1) Groupe d’hommes et de femmes sans précision de liens érotiques ou conjugaux (2) Couple H-F se présentant sans lien conjugal ou érotique (3) Ce chiffre passe à 27 si on intègre les travestis occasionnels

DISTRIBUTION DES AUTEURS DE PETITES ANNONCES

12On est loin des connotations de sens commun qu’évoque le terme échangiste. Nous avons aussi constaté que l’échangisme est une pratique à forte mobilité géographique dans laquelle des couples, des hommes seuls, n’hésitent pas à parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour des rencontres ou des soirées en club, ce qui favorise l’anonymat. La cartographie des établissements, comme l’origine géographique de ceux et celles qui font publier des annonces de rencontre, montrent des densités de population plus importantes en Ile de France, dans la vallée du Rhône et dans le sud de la France. Les incursions transnationales (avec l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Espagne) ne sont pas exceptionnelles non plus, ce que nous ont confirmé nos dernières observations effectuées pour la Commission Européenne. Le développement de ces pratiques est un phénomène européen.

13Le public échangiste visible dans les établissements est très divers ; en fonction des lieux, des horaires, des soirées à thèmes (soirées femmes-bi, S-M, etc.), se superposent différentes populations. Une grande partie des lieux de rencontre accueille une population de 40 ans et plus, et dans certains lieux l’âge médian est plus important. Toutefois, on voit parallèlement émerger une minorité significative de jeunes entre 20 et 35 ans qui se sont d’ailleurs approprié certains clubs. L’après midi, le droit d’entrée des clubs, réduit à une consommation au bar, permet l’accès à des client(e)s aux revenus modestes, même si la présence d’ouvrier(e)s demeure rare ; les soirées pour couples, aux tarifs nettement plus élevés, sont essentiellement fréquentées par les classes moyennes et supérieures ; quant aux « parties privées » elles sont généralement réservées aux classes supérieures. Les orientations politiques sont elles aussi variées. Toutefois, une part non négligeable de la population et des responsables d’établissements affiche des sympathies liées à l’extrême droite [13]. Et s’il y a encore quelques rares discours influencés par les théories de Wilhem Reich sur la « révolution sexuelle » [14], la majorité des adeptes défendent avec ferveur la notion de famille nucléaire, affichant socialement l’image de couples traditionnels.

L’ECHANGISME, UN SEGMENT DU COMMERCE DU SEXE FLORISSANT, CONCURRENTIEL A LA PROSTITUTION DE RUE

14Au delà de ce qu’en disent les adeptes, l’échangisme est aussi une forme de commerce du sexe. En effet, en dehors de l’échange « gratuit » des conjointes, le budget échangiste doit intégrer l’entrée des clubs et saunas, le minitel, les revues, les sex-shops, les vêtements sexy (pour les femmes)… Le lien avec la pornographie est direct. Non seulement celle-ci est diffusée dans les clubs, mais les revues échangistes produisent et vendent de la pornographie. Une de ces revues, emblématisée par le prénom de sa responsable, qui se présente comme la « reine du porno », propose même au couple de venir filmer leurs ébats. Une autre revue, d’abord liée aux films pornographiques, est maintenant devenue spécialiste des annonces échangistes.

15Mais en dehors de la pornographie, l’élément central du commerce du sexe reste la prostitution. Notre hypothèse est que l’échangisme résulte de la recomposition de la prostitution et de la concurrence entre différents modes de gestion de la multisexualité masculine. La concurrence avec la prostitution traditionnelle s’explique aisément. D’une part, comme le souligne Lilian Mathieu (1998), l’actuelle perte d’attrait d’un grand nombre d’hommes pour la prostitution de rue correspond à une modification des conduites érotiques masculines, désormais soumises à « une injonction de séduction ». Il est alors nettement plus valorisant pour un homme de se présenter comme « libertin » que comme client de prostitué(e). D’autre part, on imagine mal une travailleuse ou un travailleur du sexe offrir pour 300 à 500F (le prix d’entrée dans une soirée trio pour un homme seul) l’ensemble des services que celui-ci seul peut obtenir « gratuitement » lors des rencontres avec les couples, sans même compter le buffet avec vin à volonté. Ces hommes seuls, appartenant en général à des milieux aisés, expliquent volontiers en quoi les lieux libertins, accueillants, chauffés et conviviaux, sont nettement préférables aux anciennes rencontres, pas toujours sûres, dans le cadre de la prostitution traditionnelle.

16Mais le parallèle ne s’arrête pas là. Certains gérants de clubs en manque de clientes pour satisfaire les consommateurs masculins ont ainsi recours à ce qu’ils qualifient pudiquement d’« hôtesses », d’« animatrices », c’est-à-dire des travailleuses du sexe qui n’en ont ni le nom, ni la rétribution [15]. De plus, certains hommes proposent directement services et/ou rétribution monétaire contre disponibilité sexuelle. Les témoignages de telles requêtes, émanant tant du personnel féminin que des usagères ordinaires de ces lieux, sont multiples. Ainsi, pour une partie des clients, il semble évident que toute femme (ou tout jeune homme) est susceptible d’accepter des rétributions. Il arrive cependant que le glissement vers le travail sexuel soit plus subtil. Nous avons ainsi rencontré une jeune étudiante en sociologie, à peine majeure et vivant encore chez ses parents, qui à travers les clubs échangistes, par amour et par « jeu », est passée sans même s’en rendre compte du statut de « jeune fille mignonne » à celui de prostituée pilotée par son « ami » initiateur, puis au rôle d’entremetteuse faisant tomber ses amies dans le travail sexuel tout juste indemnisé.

17En tous cas, au moment même où, suite à l’action des services de Police dans le cadre de la lutte contre le proxénétisme et à la diffusion du féminisme dans le milieu prostitutionnel (Welzer-Lang et al, 1994), les prostitué(e)s de rue s’affranchissent du contrôle et du racket des maquereaux[16], les entrepreneurs du sexe (en général des hommes) trouvent des formes pour récupérer la manne que représente la mise en commerce de la sexualité féminine. Là-aussi, la domination masculine, contestée par des femmes, se réorganise.

L’ERADICATION DU SEXE GRATUIT !

18Mais les connexions entre échangisme et commerce du sexe, en fonction de l’évolution de la marchandisation du sexe (et du sexe des femmes en particulier), ne s’arrêtent pas là. D’autres exemples sont significatifs, comme l’évolution des pratiques au Cap d’Agde Naturiste où l’on peut d’ailleurs voir le soir, dans les rues, au milieu des défilés de lingeries sexy (en grande partie féminines), les stars européennes de la pornographie en vacances. Devant le scandale que représentait l’exhibition des libertin(e)s sur la plage « coquine », s’est développée une conjonction d’intérêts entre les commerçants et les responsables municipaux visant à invisibiliser des pratiques que la morale réprouve, tout en maintenant la manne financière qu’elles sous-tendent. S’est mise en place une politique de gestion des espaces semi-publics entre Mairie, syndicat des copropriétaires et commerçants échangistes. Les élu(e)s ont fait la chasse aux pratiques publiques et gratuites, tout en favorisant l’implantation d’immenses complexes commerciaux non-conformistes [17] où hommes et femmes peuvent se livrer à leurs jeux sexuels à la seule condition de payer l’entrée. Et cette tendance est confirmée dans le débat sur l’insécurité des lieux de drague publics (et aussi gratuits) situés en périphérie des villes. Une revue donnait dernièrement ce conseil : « Allez dans les boîtes échangistes, c’est plus sûr ! ».

19Alternatif aux sexualités récréatives gratuites mais insécures, ou à la prostitution de rue, le commerce échangiste, la plupart du temps dirigé par des hommes, centralise les échanges sexuels dans des lieux connus et balisés. Comme les back-rooms gays, étudiés par de Busscher, Mendes-Leite et Proth (1999), qui « normalisent » la drague homosexuelle de rue, le commerce échangiste participe ainsi à de nouvelles formes de normalisation et au contrôle masculin de la sexualité, aux dépens des personnes prostitué(e)s.

20En dehors de ces aspects commerciaux volontairement invisibilisés, les lieux échangistes sont d’abord pour les adeptes des espaces de rencontres sexuelles. Nous avons cherché à en comprendre la dynamique, et le sens de ces pratiques, pour les hommes et pour les femmes.

L’ECHANGISME : UNE PROPOSITION PRINCIPALEMENT MASCULINE

21D’abord, à n’en point douter, excepté pour quelques femmes dont nous aborderons le discours infra, l’initiative pour « entrer » dans l’échangisme est masculine. Les pratiques dites non conformistes (par le milieu) correspondent d’abord au désir des hommes de vivre des relations sexuelles avec plusieurs femmes de manière successive et/ou simultanée. Dans un nombre non négligeable d’interviews de couples, les pressions, parfois même le chantage de la part du conjoint, sont manifestes face aux hésitations, aux pleurs et aux peurs de la compagne qui, en définitive, cède pour ne pas le perdre et/ou « pour lui faire plaisir ». Toutefois, les paroles des femmes ne peuvent se réduire à des descriptions de ces formes de violences, dont certaines constituent de véritables injonctions à la disponibilité sexuelle. Certaines expliquent qu’elles aussi ont, ou désirent avoir, des relations extra conjugales et que l’échangisme a été un moyen de « vivre ensemble » ces autres désirs. Sans doute, les femmes qui aiment ces sexualités plurielles ne les désirent pas toujours dans les termes et les formes que souhaitent leurs compagnons et les négociations ne vont pas sans difficultés. Elles veulent du sexe, mais pour elles le sexe, c’est aussi du temps, des mots, des attentions, un avant et un après ; eux, tout en disant faire attention à elles (notamment dans les couples légitimes), veulent du sexe, des mots de sexe et encore du sexe. Hommes et femmes décrivent des évolutions dans l’échangisme qui, parfois, peuvent durer plusieurs années.

22Les hommes seuls qui pratiquent l’échangisme ont bien souvent une vision dichotomique des femmes. Devant l’insuccès à persuader leurs conjointes ou par conviction, ils ont adopté le schème mental masculin traditionnel : la réduction de l’ensemble des femmes en deux catégories bien distinctes, celles qui sont leurs compagnes de vie et celles sur lesquelles ils peuvent fantasmer librement ; vision dichotomique qui est aussi celle du client de prostituées. Beaucoup ont été, ou sont encore clients de prostitué(e)s et consommateurs de pornographie. Pour eux, les femmes qui fréquentent les clubs sont des « salopes », et en tous cas des femmes disponibles à leurs désirs.

23La valence différentielle des sexes, qu’analyse Françoise Héritier (1996), se présente ici de manière particulière. Dans la plupart des commerces qui se réclament de l’échangisme, les femmes seules ne paient pas l’entrée des établissements. La seule condition (valable pour toute femme, seule ou en couple) est qu’elle donne à voir une vêture de femme, en particulier qu’elle ne porte pas de pantalon [18]. Les couples payent une entrée dont le prix, dépendant des villes, se situe entre une à deux fois le prix ordinaire d’une discothèque ordinaire. Les hommes seuls payent souvent le double d’un couple. Ils veulent alors rentabiliser leur mise, et accroissent les pressions sur les femmes pour qu’elles cèdent à leurs désirs.

24Les femmes – en nombre réduit – qui fréquentent seules ce type de commerce expriment différentes motivations. Plusieurs d’entre elles, homosexuelles, viennent draguer des femmes, et acceptent de le faire sous le regard du conjoint ; quelques unes, sans être travailleuses du sexe, cherchent un homme, un conjoint, qu’elles aimeraient trouver parmi les clients fortunés qui fréquentent ces établissements. Elles disent apprécier la gratuité d’entrée, parfois, la « générosité » de leurs amants et se déclarent moins harcelées dans ces commerces que dans les discothèques ordinaires. Une fois leur conjoint trouvé, il est fréquent de les retrouver en couple dans les mêmes lieux. Enfin, quelques unes déclarent aimer la sexualité anonyme et plurielle, avec des hommes et des femmes.

L’ECHANGISME EN COUPLE

25Non exclusifs, mais emblématiques de la population échangiste, les couples qui fréquentent établissements et lieux de drague introduisent, à travers leur discours, aux difficultés qu’ont hommes et femmes à négocier des scripts sexuels communs (Simon et Gagnon, 1986), d’autant plus quand ces imaginaires font intervenir d’autres personnes, des deux sexes. Les parties d’interviews qui traitent des attentes des hommes et des femmes en couples illustrent ce qu’écrit Michel Bozon suite aux études quantitatives sur les sexualités : « Il existerait une double dépendance asymétrique des hommes et des femmes à l’activité sexuelle. Chacun attend beaucoup pour lui-même, mais ces attentes ne sont pas ajustées. Dans le couple stabilisé, l’attente masculine valorise l’activité sexuelle comme renouvellement perpétuel du désir (et donc comme moment de restauration de l’identité individuelle) ; l’attente féminine privilégie l’activité sexuelle comme expression de la permanence de la relation de couple (avec le pouvoir éventuel de résoudre les conflits conjugaux). Il existe donc une tension, toujours renaissante, entre l’interprétation individuelle (la sexualité dans la construction de l’individu) et l’interprétation conjugale (la sexualité au service de la relation) » (Bozon, 1998 : 231). Dans le même registre, Albéroni montre que deux « genres littéraires », la pornographie et le roman sentimental, mettent particulièrement bien en relief les imaginaires distincts qui structurent l’érotisme des hommes et des femmes et les « danses nuptiales » qui les ritualisent : « L’érotisme féminin a besoin d’étapes en douceur, par paliers presque insensibles. L’homme veut tout, et tout de suite. Tel qu’il se présente spontanément, le désir de l’homme est toujours invasion, intrusion brutale et violente » (1987 : 94). L’érotisme se présente alors pour ce sociologue comme un « processus dialectique qui va du continu au discontinu », qui sous-tend « l’axe porteur de la différence fémininmasculin ». Au lieu de lisser une définition de l’érotisme en l’asexuant, il nous est apparu plus heuristique de privilégier une analyse du « double standard asymétrique » qui s’applique à l’ensemble des pratiques masculines et féminines, déjà repérés dans nos travaux sur la violence domestique (1991), les conceptions du propre et du rangé (Welzer-Lang, Filiod, 1993) et de l’amour. Effets des rapports sociaux de sexe qui les construisent comme êtres sexués (ou genrés), hommes et femmes, même s’ils/elles utilisent les mêmes mots ne parlent pas toujours la même langue, pourrait-on dire.

26Nos résultats confirment largement ce « paradigme asymétrique » lié aux rapports sociaux de sexe et à la domination masculine déjà suggéré par Nicole-Claude Mathieu (1985).

DES NEGOCIATIONS DIFFICILES, ET PRINCIPALEMENT SOUS CONTROLE MASCULIN

27La multirelationalité sexuelle en couple pose problème dans les relations conjugales. Les interviews montrent des négociations au cours desquelles, suite aux demandes masculines pour fréquenter ces lieux, la compagne doit adapter sa réponse en fonction de critères qui, bien souvent, ne relèvent pas de la sphère sexuelle.

28Nous avons déjà signalé les pressions et le chantage du conjoint qui aboutissent au fait que la compagne cède. Autrement dit, la « négociation » ne semble pas une évidence pour certains conjoints particulièrement dominants : leur femme est censée s’adapter à leurs fantasmes. Quant à ceux et celles qui veulent, ou peuvent « négocier », ils/elles se heurtent aux effets des constructions différenciées et asymétriques de genre et aux rapports sociaux de sexe qui construisent ces différences. Les termes de la négociation conjugale sont divers. Dans les entretiens ou dans nos observations, interviennent le capital esthétique de l’épouse, l’âge de la femme, sa capacité d’autonomie économique ou culturelle qui influent sur ses possibilités de refus, le modèle d’union du couple…. De plus, il est souvent invoqué une « libération » du corps et de la sexualité auxquelles devraient aspirer les femmes [19].

29La négociation s’effectue parfois de façon rapide, certains jeunes couples fréquentant les lieux dits libertins après quelques mois d’union ; dans d’autres cas, elle s’étale sur plusieurs années. De nombreuses femmes font remonter leur acceptation de ces pratiques au départ de leurs enfants du domicile familial.

30D’une manière générale, on a pu constater que la recherche affichée comme commune par les couples échangistes allait d’un désir de sexe le plus anonyme possible à la volonté de créer du lien social, à érotiser une quête de couples qui leur ressemblent avec lesquels ils/elles pourront lier des liens d’amitié. Interviewés seuls, les hommes parlent d’abord et surtout d’activité sexuelle. Et comme le notait déjà Colette Guillaumin (1978 : 7), ils assimilent les femmes au sexe, quand ils ne les réduisent pas à leur seul sexe. Quant aux femmes, elles décrivent un mélange plus complexe de quête érotique (et sentimentale) et de recherche de lien social. De même, les femmes sont beaucoup plus loquaces que les hommes quant aux critères et conditions de rencontre. Toutefois, les négociations se réduisent bien souvent pour elles à poser des limites dans un cadre imposé, limites que certains hommes se réservent le droit ou non de respecter.

31Pour les couples, une fois la femme convaincue, tout se passe comme si chaque couple utilisait le même cadre, la planète échangiste, et le reformulait en fonction des préoccupations particulières liées à chaque histoire conjugale. D’une manière générale, la gestion multisexuelle des désirs auparavant strictement masculine devient sinon commune, du moins « acceptée » et discutée en couple. Ce qui signifie, de fait, que la femme accepte de se conformer aux codes érotiques masculins. Ainsi, dans la plupart des clubs, le soir, il leur est interdit d’entrer en pantalons ou collants, tenues jugées non sexy par les (hommes) responsables des clubs. Il faut qu’elles soient disponibles, comme nous l’a signifié un responsable de club. Beaucoup d’hommes se présentent, eux, en costume et cravate. Au cours de la soirée, souvent les femmes sont appelées à se dévêtir rapidement pour déambuler dans une quasi-nudité, alors que les hommes, sauf exception (lors d’un strip-tease après lequel ils se rhabillent immédiatement), ne se déshabillent (et pas toujours entièrement) que pour avoir des rapports sexuels. « Imaginez-vous presque nu(e) au milieu d’hommes en costumes et vous aurez une image (et une idée des sensations) de l’égalité vécue dans l’échangisme », a déclaré une membre de l’équipe de recherche.

32De même, préparatifs des rencontres et négociations des formes qu’elles doivent prendre restent sous le contrôle masculin. C’est ce que révèle l’étude du « courrier des lecteurs et des lectrices » que publient les revues, et où prédominent les écrits masculins, et l’analyse des 189 lettres reçues par notre informateur (qui se présentait comme vivant en couple dans son annonce). Sur les 189 lettres reçues, 92 % sont écrites par des hommes (voir encadré). Nos observations empiriques confirment ces témoignages. Derrière l’anonymat des écrans de minitels, des échanges internet, ou à l’écoute des échanges téléphoniques qui font suite aux dragues télématiques, le projet érotique « commun » paraît déjà moins évident. Quand deux hommes négocient une soirée entre couples, une partie importante des débats consiste à exprimer les limites des femmes : « La mienne, elle n’aime pas… », ou au contraire « Elle fait tout… ». Tout se passe comme si les scripts sexuels des hommes n’avaient pas, ou très peu, de limites dans l’échange des femmes (on examinera plus loin les bisexualités masculines), que les seules limites émanaient des compagnes dont l’indice de « libération » serait alors proportionnel à leur capacité d’accepter tout ou partie des propositions masculines. Le même contrôle masculin s’exerce quand dans les clubs ou saunas les hommes discutent entre eux ou guident les rapprochements des corps de leurs compagnes en dansant. Très vite, cette donnée a dû être intégrée dans nos méthodes de recherche.

33Dans les pratiques échangistes qui se présentent comme émanations et désirs d’un couple, les hommes organisent et contrôlent échanges et accès aux conjointes. Loin d’être une pratique en rupture avec la domination masculine, l’échangisme est une forme de recomposition de cette domination qui, une fois intégrée par les conjointes, influence la vie conjugale.

34Des couples ont expliqué et décrit comment les pratiques non-conformistes participent de la création et/ou de l’alimentation d’un érotisme « conjugal » en multipliant les nouvelles rencontres ou en permettant des jeux impossibles à deux ; comment le fait d’en parler avant, après, de se préparer, de jouer avec les scenarii… contribue à l’élaboration d’un « moi sexuel conjugal », un espace où ensemble, homme et femme fusionneraient leurs désirs qui se présenteraient alors comme communs. Et dans ces quêtes d’érotisme et de sexualités plurielles proposées par les hommes, les formes recherchées par les couples (exhibition, pluralité masculine…), varient d’un couple à l’autre, voire d’une soirée à l’autre. Mais des régularités observables apparaissent dans la plupart des discours recueillis, qui traduisent ce que l’on peut qualifier d’arrangement conjugal. L’arrangement conjugal des couples dans l’échangisme est une forme de négociation sous contrainte par laquelle la femme, en dernière analyse, cède. Mais, même en cédant aux pressions de leur conjoint, leur discours donne à voir des points où elles vont essayer d’une part de limiter leur exposition aux désirs masculins, et d’autre part d’obtenir des bénéfices secondaires, parfois – mais rarement – sexuels. Bref, comprendre les couples échangistes impose de se décentrer de la sexualité pour en examiner les cadres d’effectuation et le sens que revêt cette pratique pour les hommes et les femmes.

35Au delà des couples qui débutent et dans lesquels l’homme espère souvent que l’ambiance non-conformiste « aidera » la femme à mieux vivre ses désirs (et à satisfaire les siens), nous trouvons une large proportion de couples venus réintroduire de l’érotisme dans une relation devenue routinière. Ils/elles ont plusieurs années de vie commune et la fréquentation des lieux libertins permet de consolider le lien conjugal en utilisant cette nouvelle pratique comme terrain d’aventure commun. Pour beaucoup de femmes, le fait d’avoir ici accès à un domaine, les lieux de sexe, ressenti comme masculin, favorise l’impression de transgression, le sentiment d’appartenir à une élite « libérée ». Les hommes, eux, outre cette distinction, sont fiers de montrer comment leur compagne cumule dans la même personne une mère de famille, une épouse et une « salope » dont plusieurs d’entre-eux se plaisent souvent à détailler la tenue (et son prix). Certains hommes font aussi valoir, devant elle ou non, la beauté de leur compagne, réaffirmée par les désirs sexuels qu’elle provoque, pour se valoriser eux-mêmes. Femmes et hommes expriment alors une satisfaction commune d’être différent(e)s des « autres » couples (i.e. non libertins). Et ce n’est pas un hasard si une partie importante des échanges verbaux entre couples échangistes consiste à imaginer les réactions de leurs proches « s’ils savaient… ». Ce sentiment de distinction avec la morale sexuelle est un consolidateur de couple. La quête sexuelle n’explique donc pas tout, mais la négociation traite aussi de la sexualité elle-même.

36La « négociation » concerne d’abord le contenu et les formes de sexualité dites communes vécues dans l’échangisme. Dans chaque couple va premièrement se discuter l’accès à la femme par les autres. Veut-elle, ou acceptera-t-elle d’être pénétrée par d’autres hommes ? Le couple se rangera t-il dans ceux et celles qui cherchent « l’amour côte à côte », des excitations communes sans échange de femmes ? Plusieurs femmes expriment leur satisfaction d’avoir abouti à ce compromis, quitte à ce que le conjoint puisse lui, mais sans elle, pénétrer d’autres femmes. Et si le couple se définit comme échangiste, quels vont être les termes de l’échange ? Participera-t-il à ce que le milieu libertin qualifie de « parties belges », des rencontres entre couples stricto sensu où les femmes sont échangées tout en devenant, par leurs caresses entre elles, les vectrices de l’échange, celles par qui les couples commencent leurs rapprochements ? Dans d’autres cas de figure, le couple qui se qualifie alors parfois de « mélangiste » s’intègre dans les sexualités collectives qui se déroulent sur les grands matelas disponibles dans les clubs ou les soirées privées (communément dénommées « partouze »). D’autres options existent à travers les pratiques de « trio ». La femme devient alors objet central des désirs masculins qui s’affichent autour d’elle. Contrôlée par son conjoint [20], elle est suivant le cas, offerte à un homme ou à plusieurs hommes différents.

37Mais la forme de sexualité pratiquée n’est pas le seul objet de négociation. Une partie importante de l’arrangement dans les couples concerne les représentations que sous-tendent ces pratiques. Clubs, saunas, revues montrent de manière redondante des images pornographiques dont la grammaire, comme l’explique avec justesse Richard Poulin (Poulin, Coderre, 1986 ; Poulin 2000) est mise au service d’un commerce du fantasme, non de sexe, mais de la domination sexuelle. Nos observations mettent en évidence une corrélation très nette entre l’importance de la visibilité pornographique dans les lieux libertins [21] et le seuil de violences faites aux femmes que s’autorisent les hommes. La pornographie met en scène des figures de « salopes », c’est-à-dire des femmes disponibles à tous les fantasmes masculins, qui ne sont pas payées pour un quelconque service sexuel. Certaines des femmes rencontrées critiquent le réductionnisme érotique que provoquent ces représentations masculines de la sexualité : « Être traitée de salope une fois, ça va, mais quand c’est tout le temps… non ! » dit l’une d’elles. D’autres contestent la disponibilité permanente qu’elles devraient afficher (et assumer concrètement) pour se conformer aux messages pornographiques. La plupart des femmes présentes, sans toujours faire le lien avec la pornographie, décrivent des désirs masculins qu’elles doivent contrôler, freiner, voire éviter. Même les femmes qui disent vouloir « s’amuser » dans ces lieux vivent la confrontation entre leurs désirs et ceux des hommes comme problématique.

38Cela provoque aussi dans les couples des débats sur les rythmes des pratiques libertines. Beaucoup de femmes sont d’accord pour accompagner leur conjoint de temps en temps, mais veulent maintenir la fréquentation de ces espaces de transgression comme des formes extra-ordinaires de sexualité, un plaisir que le couple s’accorde parcimonieusement.

39Bref, la fréquentation en couple des espaces échangistes provoque des réajustements permanents de l’arrangement conjugal. Dans les interviews, des femmes décrivent comment elles cèdent sur une partie ou sur la totalité des requêtes de leur conjoint. L’arrangement dépend alors des rapports de force conjugaux et des capitaux symboliques, culturels, et bien sûr économiques que chaque femme peut mobiliser pour faire face aux désirs masculins de la voir se soumettre. Quand, après la « première fois », elle accepte de s’adonner aux pratiques non-conformistes, tout semble indiquer que l’arrangement conjugal se modifie, et que le conjoint, lui aussi imprégné de la division du groupe des femmes qui structure la pornographie, considère alors comme un acquis la participation de sa compagne ; que son refus de participer est plus difficile à négocier sans rompre définitivement le cadre conjugal lui-même. Des conflits, souvent violents, peuvent se produire quand la femme refuse les propositions maritales. Mais en général les femmes font valoir qu’elles sont libres d’accepter ou non les désirs d’autres hommes [22]. Elles essaient, en tous cas, d’adapter les demandes masculines à leurs propre scripts sexuels en négociant les lieux de fréquentation. Parfois, la quête sexuelle est minorée dans le propos, au profit d’un discours sur l’ambiance, le « voyage ». La sexualité, sa pratique, son spectacle… sont perçus comme un loisir et une quête récréative parmi d’autres. On assiste à une désacralisation de la sexualité qui quitte, pour les femmes, le domicile conjugal pour s’intégrer aux loisirs du couple, une sexualité où les partenaires du couple deviennent impersonnels, interchangeables.

40Le discours du couple change alors de manière concomittante ; en particulier celui sur la fidélité et l’amour que renforceraient les pratiques échangistes. La fidélité est reproblématisée par rapport à la structure conjugale au détriment de l’exclusivité sexuelle, et l’amour chargé de tous les drapeaux de la modernité et de la libération des mœurs. Toutefois, même transformé, le contrat conjugal n’est jamais stabilisé totalement. Ainsi, des femmes expliquent leur lassitude après plusieurs années de pratiques échangistes en couple, et devant l’incompréhension, ou le refus, de leur conjoint d’entendre leur désir d’arrêter ou d’espacer ces pratiques, la seule solution qu’elles ont pu choisir a été le divorce et la séparation [23].

41Le sentiment d’appartenir à une élite « libérée », l’amour et l’obligation des femmes de faire plaisir à leur conjoint, les contraintes masculines pour qu’elles cèdent, ne résument pas l’ensemble des propos recueillis par les femmes en couple. Certaines femmes expliquent les plaisirs narcissiques et érotiques à être valorisées dans le regard des hommes, parfois aussi – dans des proportions moindres – à prendre du plaisir sexuel dans les interactions avec eux, y compris d’ailleurs en reprenant à leur compte les schèmes masculins de la performance. Mais une partie importante des femmes en couple, comme des femmes seules, parlent surtout de bénéfices secondaires liés à la découverte des autres femmes, aux caresses entre femmes, bref à la bisexualité féminine.

42Il importe donc d’aborder cette recherche de plaisir sexuel, présentée par les acteurs comme centrale et commune, pour en percevoir le contenu.

LES ASPECTS SEXOLOGIQUES : LE « MAL(E)NTENDU »

43

« On notera déjà que les gémissements amoureux proviennent uniquement de voix de femmes – ce qui reproduit une caractéristique de l’état actuel des rapports hétérosexuels (il est souvent impossible de distinguer si votre voisine crie de plaisirs ou de souffrance, ce qui rend d’autant plus impressionnant le silence de l’homme ; d’autant que l’on sait que pour la plupart des hommes, forcer une femme est érotique) ».
N-C MATHIEU, 1994 : 58

44Y a-t-il une excitation sexuelle particulière liée à ces lieux ? Pour les hommes et pour les femmes ? Qu’en est-il de ces orgasmes féminins criés à pleine gorge, en public ? Décalage, dissymétrie dans les jouissances, les orgasmes illustrent ce que l’on peut appeler le « malentendu sexologique ». En dehors du discours des hommes qui vantent l’échangisme, et parlent de leur jouissance (qu’ils limitent souvent à l’éjaculation), de nombreuses femmes en entretien, ou sous forme de confidences, expliquent qu’elles n’arrivent pas à jouir ou jouissent peu dans ce type de sexualité. Beaucoup décrivent un érotisme de situation, mais peu de désirs et encore moins de plaisirs sexuels avec les hommes. Elles critiquent la trop grande précipitation masculine et disent leurs difficultés, dans les clubs, à vivre une sexualité de manière satisfaisante. Les hommes font souvent part de leurs doutes sur certaines démonstrations de plaisir féminines. Ils ont raison de douter !

LES BISEXUALITES

45Les pratiques bisexuelles, au masculin comme au féminin, sont relativement répandues. Ces pratiques se donnent à voir bien différemment. Les femmes et leur bisexualité servent d’intermédiaires entre hommes pour favoriser les contacts entre couples tout en excitant les conjoints. Les bisexualités féminines, réelles ou formelles, se doivent d’être démonstratives. « Toutes les femmes sont bi par nature, sauf avis contraire », telle semble être la doxa échangiste véhiculée par les hommes et par les femmes. Et ce ne sont pas les scènes de lesbianisme, présentes dans la quasi totalité de la pornographie hétérosexuelle, qui viennent contredire cette représentation. Si quelques femmes lesbiennes viennent draguer en club, la plupart des femmes expliquent avoir découvert ces pratiques dans le milieu libertin. Pressées par leur conjoint, guidées par les autres femmes qui fréquentent ces lieux depuis plus longtemps qu’elles, elles semblent investir ce type de sexualité comme une forme de sexualité où elles ne sont pas directement exposées aux désirs masculins, où elles peuvent vivre « autre chose ». Et beaucoup disent y prendre goût.

46Les bisexualités masculines sont elles, invisibilisées : attouchements furtifs lors de pratiques de groupe ou en « trio » entre couples et hommes seuls. Beaucoup d’hommes seuls décrivent comment l’accès à la femme d’un couple dans un trio passe par des attouchements obligatoires, et préalables, avec l’homme. À travers l’analyse des petites annonces, les taux de fréquentation des soirées « trios » et nos observations ethnographiques, nous avons estimé qu’un homme échangiste sur trois avait des pratiques bisexuelles. On imagine facilement les réactions de déni d’un milieu où l’homophobie est très présente. Une revue échangiste a alors mis au point son propre questionnaire pour « remettre les choses au clair… ». Le numéro 114 de Loisirs 2000 donne les premiers résultats de l’enquête, à laquelle 87 couples ont répondu. Résultats : « 25 % des hommes avouent leur bisexualité, 8,3 % l’envisagent et 27,8 % des hommes en ont le fantasme ». Le rédacteur ajoute : « Cela donne à réfléchir car nous sommes dans un milieu où les jeux entre dames sont encouragés, mais où l’homosexualité masculine est plutôt mal vue et ne s’avoue pas facilement ». La bisexualité masculine des hommes qui s’affirment hétérosexuels exclusifs, déjà aperçue dans les backrooms gays et avec les clients des prostitué(e)s transgenres, interroge les constructions des catégories de sexualités établies à partir des déclarations des individus sur eux-mêmes, sans lien avec les pratiques réelles.

47En tous cas, l’échangisme est une pratique sociale qui permet d’ouvrir les scripts sexuels des hommes et des femmes, en couple ou non, à une variation de pratiques sexuelles. Ceci peut sans doute expliquer pour partie son développement récent. Mais ces nouvelles pratiques en couple, ici proposées par le commerce libertin, n’ont de sens que si l’on aborde aussi le cadre où elles s’inscrivent, en particulier, pour les couples, l’évolution des structures familiales.

L’UTOPIE DITE CONJUGALE D’UNE AUTRE SEXUALITE

48L’échangisme, vu du côté des couples légitimes, questionne les transformations familiales. La famille, devenue plus relationnelle (Durkheim, 1921), est en perpétuelle évolution. Confrontée ces dernières décennies aux récusations féministes de la domination masculine, à la remise en cause des rapports sociaux de sexe qui construisent les couples, elle a même vu récemment contestées ses bases hétérosexistes et homophobes à travers les mouvements gays et lesbiens. La lente émergence de l’individu(e), qui constitue le grand tournant des années 60, est consubstantielle avec l’entrée du désir sexuel dans la famille ; pour les hommes et pour les femmes. Poursuivant la diffusion du dispositif de sexualité dans la famille (Foucault, 1984 : 140-142), sont apparus une multiplicité de modèles dont l’échangisme n’est qu’un pôle émergent. Comme le sont d’ailleurs aujourd’hui au Japon les « sans sexe » qu’évoque Chizuko Ueno (1995). Multirelationnalité sexuelle et non-sexualité sont deux extrêmes d’une pratique qui s’étend et se diversifie.

49Parallèlement, le libéralisme économique a généralisé les possibilités de services payants. Le commerce du sexe, pour les hommes gays (de Busscher, Mendes-Leite et Proth, 1999), puis pour les autres – hommes ou femmes hétéros ou bisexuel-le-s, et couples hommes/femmes –, a offert un cadre normatif alternatif tant à la prostitution de rue qu’aux rencontres informelles et gratuites dans l’espace public (ou privé). Aux services tarifés d’une personne, au hasard et aux éventuels dangers se substitue alors l’accès à une sexualité négociable, plurale, mais sécurisée, contrôlée, bref normalisée. Toutefois, les lieux de rencontres et les backrooms décrits par de Busscher et ses collègues, qu’ils concernent des homosexuels identitaires (qui se revendiquent comme tels) ou non, donnent à voir des sexualités entre hommes, entre égaux. Ce qui n’est pas le cas des rapports entre hommes et femmes.

50Construit sur les mêmes modèles de domestication de la sexualité que les établissements pour hommes, le commerce échangiste montre une lutte sous-jacente, mais permanente, pour que les femmes, les compagnes, adoptent un modèle de sexualité récréative hérité des modèles sexuels masculins. Dans le milieu libertin, nous serions donc en présence d’une nouvelle tentative, initiée par les hommes, de dépasser la dichotomie traditionnelle qui organisait la gestion multisexuelle des désirs masculins entre sexualité conjugale reproductrice et sexualité libidinale extraconjugale – avec l’aide de prostitué(e)s, de maîtresses ou d’amant(e)s. Ceci est d’autant facilité par le leurre, l’effet d’annonce, que constitue l’appellation échangiste elle-même. Mais cette utopie « conjugale » de dépasser les territorialisations masculines et féminines des sexualités (le fait de s’amuser ensemble) se heurte aux formes masculines de gestion et de contrôle du commerce du sexe qui instrumentalisent ce que la pornographie décrète être le désir féminin, et à la définition fondamentalement masculine de cette forme d’utopie elle-même.

51En état, même ouvrant sur des formes de sexualités moins hétéronormatives, en particulier les bisexualités ou la multisexualité conjugale (le dépassement du « deux »), l’échangisme n’a rien d’une sexualité libérée des stéréotypes sexistes. Au contraire, intégrant l’émergence (récente) du désir féminin dans le couple, et sous couvert d’un discours libéral, l’échangisme apparaît comme une énième tentative pour perpétuer le pouvoir masculin, mis à mal ces dernières années par les luttes de femmes.

Bibliographie

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  • ALBERONI F., 1987, L’érotisme ? Ramsay.
  • BARTELL G.D., 1971, Group Sex : A Scientist’s Eyewitness Report on the American Way of Swinging, New-York, Peter H. Wyden.
  • BOLTON R., VINCKE J., MAK R., 1992, Gay saunas : venues on HIV transmission or aids prevention ?, Pomona College (anthropology), (ronéoté).
  • BOLTON R., 1995, Tricks, friends and lovers, Erotic encounters in the filed, in D. KULICK, M. WILSON, (dir.), Taboo, sex, identity and erotic subjectivity in anthropological fieldwork, London, New-York, Routledge, p. 140-167.
  • BOZON M., 1995, Observer l’inobservable : la description et l’analyse de l’activité sexuelle, in BAJOS, BOZON, GIAMI, DORE, SOUTEYRAND, (dir.), Sexualité et sida, Recherches en sciences sociales, Paris, ANRS, collection « Sciences sociales et sida », p. 323-332.
  • BOZON M., 1998, Amour, désir et durée. Cycle de la sexualité conjugale et rapports entre hommes et femmes, in BAJOS, BOZON, FERRAND, GIAMI, SPIRA et le groupe ACSF, La sexualité aux temps du sida, Paris, PUF, p. 175-252.
  • BOZON, M., 1999, Les significations sociales des actes sexuels, Actes de la recherche en Sciences Sociales, n° 128, p 3-23.
  • DEJOURS C., 1998, Souffrance en France, la banalisation des l’injustice sociale, Paris, Seuil.
  • DURKHEIM E., 1921, La famille conjugale, cours de 1892, Revue philosophique en 1921, reproduit in DURKHEIM E., Textes III, éd. de Minuit, 1975, p. 35-49.
  • FOUCAULT M., 1984, Histoire de la sexualité, Paris, Gallimard.
  • GODELIER M., 1995, Qu’est-ce qu’un acte sexuel ?, Revue Internationale de psycho-pathalogie, n° 19, p. 351-382.
  • GUILLAUMIN C., 1978, Pratiques de pouvoir et idée de nature : 1 : L’appropriation des femmes ; 2 : le discours de la nature in Questions féministes n° 2 et 3, février et mai, p. 3-30 ; 5.30
  • HERITIER F., 1996, Féminin/Masculin. La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob.
  • HOUELLEBECQ M., 1998, Les Particules Élémentaires, Paris, Flammarion.
  • KULICK D., WILSON M., 1995, (dir.), Taboo, sex, identity and erotic subjectivity in anthropological fieldwork, London, New-York, Routledge.
  • MATHIEU N.-C, 1985, Quand céder n’est pas consentir, des déterminants matériels et psychiques de la conscience dominée des femmes, et de quelques-unes de leurs interprétations en ethnologie, in L’Arraisonnement des Femmes, essais en anthropologie des sexes, Paris, E.H.E.S.S, p. 169-245.
  • MATHIEU N.-C., 1994, Dérive du genre, stabilité des sexes, in DION M., (dir.), Madonna, érotisme et pouvoir, Paris, p. 54-70.
  • MATHIEU L., 1998, Le fantasme de la prostituée dans le désir masculin, in NEYRAND G., (dir.), Panoramiques, Le cœur, le sexe et toi et moi…, p. 72-79.
  • MATHIEU L., 2000, L’espace de la prostitution, Sociétés Contemporaines, n° 38, p. 99-117.
  • MENDES-LEITE R., 1992, Participation Observante, Le Journal du Sida, n° 43-44, MENDES-LEITE R., DE BUSSCHER P.-O., 1997, Back-rooms, microgéographie « sexologique » de deux back-rooms parisiennes, Lille, GKC.
  • MENDES-LEITE R., 1999, Lieux de rencontres et back-rooms, Actes de la recherche en Sciences Sociales, n° 128, p. 24-28.
  • POULIN R., CODERRE C., 1986, La Violence Pornographique : La Virilité Démasquée, Hull, Québec, éd Asticou.
  • POULIN R., 2000, La pornographie comme faire-valoir sexuel masculin, in D. WELZER-LANG (dir) Nouvelles Approches des hommes et du masculin, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, p. 51-77.
  • PRYENS S., 1999, Stigmate et métier, une approche sociologique de la prostitution de rue, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
  • ROTH B., DE BUSSCHER P.-O., MENDES-LEITE R., 1999, Lieux de rencontre et backrooms, in BOZON, M., (dir) Actes de la recherche en Sciences Sociales, n° 128, p. 24-28.
  • SIMMEL G. (1923), Probleme der Geschichtsphilosophie, 5e édit.
  • SIMON J., GAGNON W., 1986, Sexual scripts : permanence and change, Archives of sexual Behavior, n° 15, p. 97-120.
  • SPENCER R.F., Spouse-exchange among the north Alaskan Eskimo, in BOHANNAN P. et MIDDELTON J. (eds) Marriage, Family and Residence, New York, The Natural History Press, Garden City, p. 130-144.
  • UENO C., 1995, Désexualisation de la famille : au delà de la modernité sexuelle, in EPHESIA, La place des femmes, les enjeux de l’identité et de l’égalité au regard des sciences sociales, Paris, La Découverte, p. 100-110.
  • VALENSIN G., 1973, Pratique des amours de groupe, Paris, La Table Ronde.
  • WALLACE B.J., 1969, Pagan Gaddang Spouse Exchange, Ethnology, n° 8,183-88.
  • WELZER-LANG D., 1991, Les hommes violents, Paris, Lierre et Coudrier. Réédition en 1996 par les éditions Côté femmes, Paris.
  • WELZER-LANG D. 1992, Le double standard asymétrique, in WELZER-LANG D., FILLIOD J.P. (dir), Bulletin d’Informations et d’Études Féminines (BIEF), Des hommes et du masculin, CEFUP-CREA, Presses Universitaires de Lyon, p. 127-146.
  • WELZER-LANG D., 1997, La gestion polygame du désir : l’échangisme, entre commerce du sexe et utopies, Rapport à l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida, Équipe Simone, Université Toulouse Le Mirail.
  • WELZER-LANG D., 1998 b (dir.), Entre commerce du sexe et utopies : l’échangisme, Actes du premier séminaire européen sur l’échangisme, Toulouse, Mars 1998, Université Toulouse Le Mirail, Département de Sociologie (Université de Barcelone), Département d’Anthropologie Sociale et Philosophie, Universitat Rovira i Virgili (Tarragone).
  • WELZER-LANG D., 1998a, La « planète échangiste » à travers ses petites annonces, in Panoramique, Le cœur, le sexe et toi et moi…, p. 111-123.
  • WELZER-LANG D., 1999, Travailler ensemble entre hommes et femmes : émergence de la question et questions de méthodes, in DAGENAIS H., DEVREUX A.-M. (dir) Ils changent disent-ils, numéro commun, Nouvelles Questions Féministes (France) et Recherche féministe (Québec), vol. 19, numéro 2-3-4, vol. 11, n° 2, p. 71-100.
  • WELZER-LANG D., BARBOSA O. et MATHIEU L., 1994, Prostitution, les uns, les unes et les autres, Paris, Anne-Marie Métaillé.
  • WELZER-LANG D., DUTEY P. 1994, Rites de rencontres des gays au temps du sida, sociologie des établissements gays, CREA, Université Lyon 2, Agence Française de Lutte contre le Sida (AFLS), Décembre 1994, (ronéoté).
  • WELZER-LANG D., FILIOD J.-P., 1993, Les hommes à la conquête de l’espace domestique, Montréal, Paris, Le Jour, V.L.B.

Notes

  • [1]
    En particulier les travaux sociologiques qui ont accompagné la prévention du sida (Welzer-Lang et al., 1994, Pryen, 1999, Mathieu 2000) et les analyses socio-juridiques autour de la commercialisation du corps des femmes (Louis, 1992,1997).
  • [2]
    En 1973, le docteur Valensin publia un ouvrage intitulé Pratique des amours de groupe, reflet de 15 années d’échangisme vécu par l’auteur dans la région parisienne. À l’époque, l’« échangisme » concernait surtout les classes supérieures de la société et recourait massivement à l’utilisation de femmes prostituées.
  • [3]
    Depuis 1999, pour se démarquer de l’échange des femmes que connote échangisme, donner une image plus progressiste du milieu, plusieurs revues et adeptes utilisent le terme « mélangisme ».
  • (1)
    Très souvent, à la différence des lieux gays, quand les adeptes de l’échangisme repèrent des novices, ils/elles leur expliquent verbalement les codes d’interaction et de présentation de soi dans ces lieux.
  • (2)
    Pendant toute une période de l’étude nous avons signé, sous pseudonyme, des articles dans les revues échangistes où nous commentions nos découvertes du milieu et les résistances à la prévention du Vih.
  • [4]
    Aujourd’hui, en France, la plupart des saunas sont des lieux de rencontres sexuelles, que celles-ci concernent les populations homo ou hétérosexuelle.
  • [5]
    Dans les faits, dans la plupart des soirées, même réservées aux couples, un homme seul connu et/ou prêt à payer cher peut accéder à l’établissement.
  • [6]
    Mise à disposition sexuelle d’une femme à un nombre important d’hommes de manière simultanée ou consécutive.
  • [7]
    Par exemple un lieu S-M (sado-masochiste) du sud-ouest de la France, répertorié comme commerce libertin par les revues échangistes, propose des prestations de Maîtresse S. à 1 500 F la séance.
  • [8]
    Une revue échangiste en publie la liste et les plans d’accès chaque année.
  • [9]
    Voir les descriptions assez réalistes qu’en donne Houellebecq (1998).
  • [10]
    Autre indice d’extension de ces pratiques : la principale revue échangiste publiait mensuellement 800 annonces en 1993,2 500 en 2001. Et le nombre de revues à large diffusion qui proposent des annonces ne cessent de croître passant de deux en 1993 à quatre en 2001 ; sans compter un nombre important (mais impossible à chiffrer au vu de l’instabilité de ces publications) de petits journaux locaux proposant publicité pour les lieux de rencontres et annonces de rencontres.
  • [11]
    Ce terme est aujourd’hui utilisé de manière générique pour décrire les lieux, obscurs ou non – ils sont obscurs dans les lieux gays, mais pour ainsi dire jamais dans le milieu échangiste – où se déroulent des interactions sexuelles.
  • [12]
    En sachant que la fréquentation varie considérablement entre ceux, celles, qui pratiquent plusieurs fois par semaine, et ceux, celles qui ne s’adonnent à ces jeux qu’exceptionnellement.
  • [13]
    En septembre 2000, un texte d’appel à la création d’une association nationale échangiste, regroupant clubs, restaurants, boîtes de nuit, éditeurs, et sympathisants commençait ainsi : « Tout d’abord, peu de gens nous contrediront, en France, nous ne sommes plus très gaulois depuis longtemps. Les gènes des concitoyens de Vercingétorix se sont bien dilués depuis deux mille ans d’invasions. D’ailleurs, notre malheureux et valeureux Vercingétorix lui-même, a payé cher de sa vie l’esprit gaulois. Jules César nous le décrit fort bien dans la Guerre des Gaules. Il nous montre comment il a brillamment maté une à une les tribus gauloises, en fin psychologue, exploitant l’égocentrisme et le désunion régnant chez ses adversaires. Tout en conservant de nos ancêtres l’esprit critique et d’indépendance, éliminons tout comportement pouvant nous mener tout droit à la défaite de nos idéaux et projets. Car n’en doutons pas, notre philosophie, lorsqu’elle sera bien affirmée et structurée, subira de terribles attaques de toutes parts, tel un raz de marée. Seule la cohésion de tous, autour d’idées fortes et une puissante structure, nous permettra de résister contre les coups de boutoir qui nous attendent ». Loisirs 2000, septembre 2000, n° 126, p. 89.
  • [14]
    Les libertin(e)s qui prônaient la Révolution sexuelle et le communisme sexuel comme formes de libération politique et sociale au sein de réseaux particuliers ont, d’après plusieurs témoignages, arrêté ces pratiques collectives avec l’arrivée du Sida dans les années 85-90. Seul(e)s quelques rares sexologues, souvent parisien(ne)s, défendent encore les pratiques de sexualités collectives comme thérapie.
  • [15]
    En général non déclarées, elles sont payées au smic plus les pourboires. Ceux-ci dépendent naturellement des services qu’elles offrent, ou, dit plus pudiquement, « de la manière dont elles s’intègrent à l’ambiance » (un patron de club).
  • [16]
    En juin 2000, les services de Police de Lyon évaluaient à 10 % le nombre de prostitué(e)s contrôlé(e)s par un souteneur.
  • [17]
    Au Cap d’Agde Naturiste, depuis très longtemps, toutes les discothèques sont libertines. Sont apparus depuis 1998, parallèlement aux actions policières contre les exhibitions publiques, un sauna (ouvert toute la journée), l’ouverture des clubs l’après-midi et la création d’un « multiplexe du sexe » avec restaurant, bar, boutiques et backroms. D’autres projets de cette envergure, sous-tendus par des capitaux importants, seraient à l’étude.
  • [18]
    Certains responsables d’établissements essayant d’imposer ces tenues y compris aux animatrices de prévention sida, alors qu’ils acceptent sans problème des hommes bénévoles travestis. La « butch » – femme (lesbienne) n’affichant ni les critères esthétiques, vestimentaires et corporels, ni les attitudes traditionnellement associées au genre féminin – semble être la figure repoussoir de l’hétéronormativité contrôlée par les hommes.
  • [19]
    Témoin, cette femme, qui arrive avec son mari dans un hôtel échangiste. Il/elle saluent tout le monde, et le mari s’adressant à sa compagne, d’une voix assurée et forte pour que tout le monde entende, dit : « Chérie, j’espère que tu seras moins coincée que l’année dernière ». D’une manière générale, alors que l’esthétisme des hommes présents n’est jamais mis en cause ni par les hommes, ni par les femmes, celui des femmes est en permanence débattu par les hommes pour les comparer avec les modèles stéréotypaux de féminité ; notamment celui qu’affichent les jeunes femmes présentes dans les clubs et/ou les actrices de films pornographiques. Il s’agit là d’une forme permanente de violence insidieuse qui permet à de nombreux hommes interviewés de justifier la disponibilité qu’ils requièrent de leur compagne. Comme si le « déficit en capital esthétique » devait être compensé en soumission et en disponibilité sexuelle.
  • [20]
    Le milieu libertin parle lui de protection de la femme par son conjoint pour lui éviter les hommes incorrects. Sont qualifiés ainsi les hommes qui approchent les femmes, seuls ou en groupe, sans l’accord de ces dernières et/ou de leurs conjoints. Ces hommes, souvent des hommes seuls ayant payé plus cher l’entrée que les couples, justifient ces pratiques par la disponibilité que sont censées offrir les femmes présentes.
  • [21]
    Dans certains lieux, il faut même parler d’envahissement de la pornographie à travers les écrans géants, la puissance sonore…
  • [22]
    Ce qui prouverait, aux dires des échangistes, hommes et femmes, que ce sont les femmes qui ont le pouvoir puisqu’elles peuvent… refuser un rapport. Ce qui n’est pas toujours vérifié. Dans certains lieux, la liberté de mouvement des femmes est conditionnée à une présence masculine.
  • [23]
    Plusieurs de ces témoignages font aussi valoir des formes importantes et visibles de somatisation : vaginites à répétition, prise de poids, insomnies…
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions