Sociologie 2016/3 Vol. 7

Couverture de SOCIO_073

Article de revue

Temporalités des services d’aide et des sans‑abri dans la relation d’urgence sociale

Une étude du fractionnement social

Pages 243 à 260

Notes

  • [1]
    Je tiens à remercier les relecteurs anonymes de la revue Sociologie pour leurs commentaires qui m’ont aidé à améliorer cet article, ainsi que toute l’équipe de l’Observatoire du Samusocial de Paris, en particulier Emmanuelle Guyavarch et Erwan Le Mener, pour les échanges que j’ai eus avec eux au cours de l’écriture de cet article.
  • [2]
    Appelée officiellement « maison relais » ou « pension de famille ».
  • [3]
    L’entretien a lieu dans son studio, le 27 janvier 2009, pendant une heure trente.
  • [4]
    Dans mon travail de thèse (Gardella, 2014b), j’ai déconstruit la catégorie d’urgence sociale en la déclinant selon trois pratiques régulières, qui sont aussi des enjeux de disputes publiques : l’exigence de réactivité ; la fixation de faibles conditions de l’aide ; l’organisation de durées courtes de séjour en hébergement. Cet article repose sur une partie de cette enquête. Les données proviennent d’un terrain réalisé de façon discontinue dans plusieurs services d’urgence sociale parisienne entre 2005 et 2015. Concernant les personnes sans-abri, 18 entretiens ont été analysés pour appuyer ce qui est avancé. Concernant les intervenants sociaux, observations et entretiens ont été utilisés : 3 journées et 1 nuit d’observation au 115 de Paris entre 2008 et 2009, et 27 entretiens avec des intervenants sociaux et des cadres associatifs. Les caractéristiques principales des personnes interrogées sont précisées en annexe électronique : https://sociologie.revues.org/2785. Tous les noms des acteurs ont été anonymisés.
  • [5]
    Il existe plusieurs canaux de distribution institutionnelle des places d’hébergement. Depuis la dernière refonte de l’organisation des aides aux sans domicile (avril 2010), les services se distinguent en fonction des durées de séjour : les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), auxquels ont accès les professionnels (mais pas les usagers demandeurs), délivrent des places de moyenne et longue durées (entre quelques semaines et des durées indéterminées) ; le 115, numéro d’appel gratuit réservé aux usagers demandeurs, distribue principalement des places de courte durée (entre une nuit et quelques semaines). Pour les familles, un pôle spécial a été créé, en lien avec la réservation hôtelière. Enfin des places sont aussi parfois accessibles via d’autres services d’urgence (accueil de jour, équipes mobiles). L’article se focalise sur le fonctionnement du 115, puisque ce service, à Paris, est le plus important distributeur de places de courte durée. Il est cependant en cours de fusion avec le SIAO, comme dans la plupart des autres départements.
  • [6]
    Déjà analysés dans leur restriction de l’intimité (Laé, 2000 ; Thalineau, 2002), dans leur fonctionnement arbitraire (Bruneteaux, 2006) ou décrits dans leur hospitalité ambivalente (Cefaï & Gardella, 2011, pp. 412-435), les hébergements d’urgence sont ici abordés à partir des pratiques temporelles qui les font fonctionner au quotidien et les conséquences que celles-ci peuvent avoir sur les individus qui y recourent.
  • [7]
    Cette démarche relationnelle s’inscrit dans la démarche de Serge Paugam (1991, 1998) qui a donné une consistance empirico-conceptuelle à la sociologie de la pauvreté esquissée par Georg Simmel (1998), se démarquant ainsi des travaux se focalisant sur un seul de ces deux côtés de la relation d’assistance.
    Mais la démarche suivie dans cet article s’en distingue en traitant des « formes institutionnelles » (Paugam, 1998, p. 144) prises par la pauvreté non pas à partir des représentations collectives mais à partir des pratiques des intervenants sociaux qui accomplissent au quotidien ces formes institutionnelles.
  • [8]
    La durée de séjour en hébergement d’urgence a été au cœur d’un mouvement contestataire pendant l’hiver 2006-2007 (Gardella, 2014a), donnant lieu au vote de la loi DALO (droit au logement opposable) en mars 2007. Faisant suite à la mobilisation des Enfants de Don Quichotte (Bruneteaux, 2014), l’article 4 de la loi établit le « principe de continuité », selon lequel une personne accédant à un hébergement d’urgence peut y rester tant qu’une proposition adaptée d’hébergement de longue durée ou de logement ne lui a pas été faite. Cette loi a eu des effets observables en termes
    d’augmentation du nombre de places de type résidences sociales. La part des maisons-relais dans l’ensemble du parc d’hébergements sociaux est passée de 3,7 % en 2004 (Cour des comptes, 2011) à 14 % en 2013 (PLR 2013, http://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2013/rap/pdf/DRGPGMPGM177.pdf). Il existe donc des centres où la continuité est appliquée (mais aussi d’autres où elle n’est pas appliquée). Dans cet article, je me focalise uniquement sur les durées de séjour très courtes.
  • [9]
    Fédération nationale des associations de réinsertion sociale.
  • [10]
    La durée d’attribution signifie que la personne a obtenu une place en hébergement pour x nuits. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’a pas eu de place en hébergement institutionnel à la fin de cette durée : comme il n’existe pas de quota de nuits par semaine ou par mois, elle peut renouveler sa demande. En revanche, l’individu n’a pas la garantie d’obtenir une nouvelle place. Les places attribuées pour une durée inférieure ou égale à une semaine ne produisent donc pas de stabilité de l’habitat.
  • [11]
    D’après l’enquête « Établissements sociaux – personnes en difficulté sociale » (ES) conduite tous les quatre ans par la DREES auprès des administrations, la durée moyenne de séjour en hébergement de réinsertion était
    de dix mois en 2004 (Vanovermeir, 2006) et de huit mois en 2008 (Mainaud, 2011). Les premiers résultats de l’enquête ES de 2012 ne donnent pas encore ces durées moyennes.
  • [12]
    N’ayant pas encore conduit d’observation ethnographique de départs de centre le matin, je vais ici privilégier le premier moment du processus du turnover, que j’ai observé directement : l’attribution des durées de séjour.
  • [13]
    Observation réalisée à un poste de permanencier du 115 de Paris le 12 février 2008. Je suis situé sur le côté, légèrement en retrait vis-à-vis du poste de travail. Un permanencier est un salarié du Samusocial qui traite les appels arrivant au 115.
  • [14]
    Caractérisation donnée par les tutrices lors de la formation des nouveaux arrivants au 115 (formation que j’ai suivie en janvier 2006 et en décembre 2009).
  • [15]
    Ce type d’épreuve du jugement, ou de justice locale, est récurrent dans les pratiques de travail social confrontées à des ressources rares. Les intervenants sociaux expriment ainsi leur souci de ne pas traiter de façon injuste
    les diverses situations auxquelles ils font face. Peuvent donc se comprendre les multiples barèmes, scores ou critères pondérés visant à classer et hiérarchiser l’extrême diversité des situations singulières auxquelles ils doivent apporter des réponses.
  • [16]
    La rareté des places d’hébergement est soulignée depuis des années par l’ensemble des rapports d’activité du 115 de Paris.
  • [17]
    Celle-ci, inscrite dans le droit depuis 1998 (art. L. 345-2 du Code d’action sociale et des familles), est un critère de justice original en regard de la conditionnalité diagnostiquée dans d’autres politiques sociales (Chelle, 2012). Elle ne définit aucune population cible si ce n’est des personnes qui se déclarent sans-abri et expriment le besoin d’une aide d’urgence, en particulier un hébergement. Elle introduit une rupture dans la distinction, émergée au xii e siècle chez certains théologiens (Geremek, 1987, pp. 36-39), et sur laquelle s’est construite la « norme travail » (Castel, 1995), entre les bons pauvres, qui méritent assistance en raison de leur invalidité au travail, et
    les mauvais pauvres, qui doivent subvenir à leurs besoins par leur travail. Ce principe n’évite cependant pas l’existence au quotidien de pratiques de sélection (Cefaï & Gardella, 2011).
  • [18]
    L’inconditionnalité est un principe fédérateur du Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement des personnes sans abri et mal logées. Elle a aussi été défendue dans les couloirs des administrations d’État par des fonctionnaires (Pascal Noblet, Michel Thierry, Philippe Coste, Alain Régnier) ou des ministres (Xavier Emmanuelli).
  • [19]
    Même si les durées peuvent être plus longues que dans les territoires où la pression de la rareté est forte.
  • [20]
    Contraintes particulièrement observables quand se pose la question du loyer ou de la participation financière pour les occupants, ce qui correspond pour les gestionnaires d’habitats d’assistance à celle du retour sur investissement demandé par les constructeurs.
  • [21]
    Dans tous les entretiens semi-directifs que j’ai exploités, et lors des discussions informelles que j’ai pu avoir avec d’autres personnes sans-abri, à chaque évocation du fonctionnement des hébergements d’urgence, la durée de séjour trop courte a été critiquée.
  • [22]
    La mobilité résidentielle est mesurée à partir de deux enquêtes INSEE : l’enquête Logement et l’enquête Emploi (Donzeau & Pan Ké Shon, 2009). Les questions de l’enquête Logement (2006, module XV intitulé « Logements précédents et mobilité ») utilisées pour mesurer la mobilité résidentielle désignent les changements de logement. Dans l’enquête Emploi (2011), le changement de résidence (abordé dans le module « i » intitulé « Situation un an avant ») désigne aussi principalement le logement. On peut toutefois relever que la catégorie de « logement ordinaire » permet de questionner sur la trajectoire depuis « une autre catégorie de logement » ; catégorie où sont toutefois mêlés foyer, cité universitaire, maison de retraite.
  • [23]
    Dans le cadre d’une enquête pour le programme « mal-logement » de l’ONPES, réalisée à l’Observatoire du Samusocial de Paris, auprès de personnes installées durablement dans les espaces publics.
  • [24]
    Entretien réalisé dans un accueil de jour parisien le 25 avril 2006.
  • [25]
    Entretien réalisé dans un accueil de jour parisien le 10 mai 2006.
  • [26]
    Selon l’enquête Logement de l’INSEE (2006), 8 % des ménages ont déménagé plus de deux fois en quatre ans. À ma connaissance, l’enquête Logement de 2013 n’a pas encore été exploitée sur cette question.
  • [27]
    Entretien réalisé le 23 juin 2006 dans un accueil de jour parisien.
  • [28]
    Comme ce fut le cas pour les ménages placés en « cités promotionnelles », de « relogement » ou de « transit » entre les années 1950 et les années 1980.
    Pour une approche compréhensive de l’expérience de familles habitant dans une de ces cités, voir Jean-François Laé & Numa Murard (1985).
  • [29]
    Entretien réalisé dans un centre d’hébergement d’urgence parisien le 25 mars 2006.
  • [30]
    L’antijeu est une tactique, au sens de Michel de Certeau (1990, pp. 60-61). Une tactique, à la différence de la stratégie, se définit en référence à l’action de l’autre, ici des règles institutionnelles accomplies par
    des intervenants sociaux : « la tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. Aussi doit-elle jouer avec le terrain qui lui est imposé par la loi d’une force étrangère ».
  • [31]
    Entretien réalisé dans un hébergement d’urgence parisien le 25 mars 2006.
  • [32]
    Entretien réalisé dans son bureau de l’hébergement d’urgence, à Paris, le 17 mars 2009.

1 G

2 érard [1] ouvre la porte de son studio de neuf mètres carrés, situé au premier étage d’une résidence sociale [2], dans le vingtième arrondissement de Paris : il a accepté de faire un entretien [3]. Tout en s’asseyant, il se présente d’une voix rocailleuse comme un « routard » qui a « beaucoup voyagé » et qui « parle cinq langues ». Fils d’une mère au foyer et d’un ouvrier allemand ayant travaillé dans les mines en Belgique, il a d’abord passé sa vie entre la France, l’Allemagne et l’Espagne, puis dans le bois de Vincennes pendant quatre ans. Quand, en 2005, à 50 ans, il recourt à un hébergement social, il le vit comme une véritable résignation : l’humidité de la vie sous tente a fini par trop attiser la douleur causée par la polynévrite. Il passe alors par un hébergement d’urgence, puis par un hébergement de longue durée, jusqu’à cette résidence où il se sent chez lui, entrant et sortant quand il veut (il a les clés de sa chambre) et pouvant fièrement empiler les CD et DVD qu’il s’achète régulièrement grâce à l’allocation pour adulte handicapé qu’il a obtenue de haute lutte (AAH de 659 euros mensuels). Je rebondis sur ce sentiment de chez-soi et son expérience du sans-abrisme : [4]

3

Enquêteur : Et ça vous manquait pas, quand vous étiez dehors puis dans les bois, d’avoir un chez vous ?
Gérard : Non. Moi j’avais mon chez moi, j’avais ma tente. Parce que tout le monde dit SDF, mais c’est pas SDF. SDF, c’est une étiquette qu’ils mettent. Mais le mec qui est dans une tente, il est pas SDF. Il a un chez lui. Celui qui est SDF, c’est celui qui change tous les jours de place, comme dans les foyers.

4 Depuis le point de vue construit par ses diverses expériences de routard, d’habitant du bois de Vincennes et de résident, le fonctionnement des « foyers », autrement dit les centres d’hébergement d’urgence (CHU), apparaît à Gérard moins comme une solution que comme une cause de la situation de « SDF ». Comment comprendre ce paradoxe selon lequel l’aide aux sans-abri peut en arriver à produire des « SDF » ?

5 Répondre à cette question nécessite d’analyser un aspect incontournable de l’assistance aux personnes sans-abri : la durée de séjour en hébergement d’urgence4. Depuis les années 1980 et les premiers plans hivernaux d’urgence, s’est institutionnalisé, sur le modèle des services d’urgence médicale (Rhodes, 1995 ; Belorgey, 2011), un système d’attributions de places d’hébergement gratuites pour une durée de quelques nuits (entre une et sept nuits principalement) [5] ; durée au terme de laquelle les personnes, en l’absence d’autres habitats accessibles, doivent renouveler leur demande. Elles sont ainsi amenées à changer « tous les jours de place », contraintes de tourner dans le « circuit de l’assistance » (Pichon, 1996).

6 Ce fonctionnement d’un habitat d’assistance par rotation a les allures d’un fait social, tant sa récurrence dans le temps et dans l’espace est frappante (voir encadré). L’objectif de cet article n’est pas de traiter prioritairement des déterminants macrosociaux de cette durée limitée ; il s’agit d’enquêter sur les actions quotidiennes qui l’alimentent et sur les conséquences que ce fonctionnement a sur les personnes sans-abri qui s’y adaptent [6]. Il s’agit alors d’interroger cette durée d’assistance comme une convention temporelle en reprenant la problématique développée par l’historien Edward P. Thompson concernant la durée du travail (2004, p. 37) : cette durée est-elle « orientée par la tâche », ou est-elle une « activité mesurée par unité de temps » ? Dans le premier cas, la durée du séjour est adaptée aux besoins des personnes sans-abri (autrement dit, elle dure le temps nécessaire à la satisfaction des besoins des individus vulnérables) ; dans le second, sa quantification a priori est indexée aux impératifs des dispositifs d’assistance. Pour y répondre, il faut appréhender les éventuels décalages entre la durée instituée et la durée souhaitée par les personnes sans-abri ; il faut aussi comprendre les interdépendances dans lesquelles sont pris les intervenants sociaux qui attribuent ces places. Il est donc nécessaire d’analyser l’hébergement d’urgence comme une relation d’assistance (Simmel, 1998), et dans un sens bien spécifique : enquêter du côté des pauvres mais également du côté des intervenants sociaux. Autrement dit, il s’agit de tenir ensemble aidés et aidants7.

7 Caractériser cette relation d’assistance en urgence conduit à proposer le concept de fractionnement social. Le fractionnement se définit globalement comme un morcellement qui peine à retrouver une continuité. Comme forme sociale devant caractériser une relation, elle a pour avantage de désigner à la fois une activité (le fait de fractionner) et une passivité (le fait d’être fractionné). Le fractionnement pointe ainsi deux caractéristiques de la relation d’urgence sociale.  [7]Du côté de l’institution aidante, le concept désigne la division du travail d’aide en plusieurs services dont l’interdépendance repose sur le turnover dans les hébergements d’urgence. Du côté des personnes sans-abri, le fractionnement désigne l’expérience d’une mobilité d’habitats institutionnellement organisée et sans signification apparente.

8 Une telle organisation de la prise en charge d’individus se démarque de l’idéal-type de l’institution totale (Goffman, 1968). Celle-ci était caractérisée par un pouvoir densifié : unité de lieu, durée longue et indéterminée à l’avance, rythme continu, forte emprise du contrôle social sur l’ensemble des besoins des individus. L’observation de la relation d’hébergement d’urgence conduit à identifier une autre figure du pouvoir institutionnel : le pouvoir fractionné, caractérisé par une dispersion des lieux, une durée courte et déterminée à l’avance, un rythme discontinu et une focalisation sur certains besoins seulement des individus. L’attention aux pratiques et expériences des aidants comme des aidés conduit cependant à souligner les possibilités, même minces, de cantonnement de ce pouvoir, évitant ainsi de le réduire à une relation déterministe.

Le provisoire comme norme temporelle de régulation de la pauvreté

L’enquête sur les hébergements d’urgence proposée dans cet article s’inscrit dans la perspective d’un programme de recherches plus large sur
les habitats d’assistance, dont l’objet est le provisoire comme norme temporelle de régulation de la pauvreté. Cette perspective implique ainsi
de rapprocher une diversité d’expérimentations locales et de politiques publiques d’habitats temporaires depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale : cités d’urgence, cités de relogement, cités de transit (Tricart, 1977 ; Cohen & David, 2012), foyers Sonacotra (Hmed, 2006), hébergements
sociaux, logements d’insertion (Ballain & Maurel, 2002), « villages d’insertion » (Legros, 2011), hôtels meublés (Barrère & Levy-Vroelant,
2012), hôtels sociaux (Le Mener, 2013), centres d’accueil pour demandeurs d’asile (D’Halluin-Mabillot, 2012). Dans le cas du sans-abrisme
(Choppin & Gardella, 2013), l’histoire de cette norme du provisoire commence à être documentée (Katz, 2015 ; Brodiez, 2013). Le fait de la
retrouver dans divers pays occidentaux (Snow & Anderson, 1993, pp. 77-87 ; Gounis, 1992 ; Cloke et al., 2010 ; Grimard, 2011) conduit, dans
une visée explicative, à émettre l’hypothèse, à côté de structures sociales semblables posant des problèmes d’inégalités analogues (droit de
propriété privée, allocation marchande des logements), d’une circulation internationale des types de réponses d’assistance, via notamment
l’émergence d’acteurs associatifs internationaux. L’histoire de l’assistance provisoire comme mode de régulation de la pauvreté a sans doute une
part internationale incontournable.

9 La première partie, intitulée « Le fractionnement social institué : le rationnement temporel de l’assistance », analyse le fonctionnement institutionnel de la rotation des places d’urgence. Malgré les changements inscrits dans le droit depuis la loi du Droit au logement opposable (DALO, mars 2007) concernant l’allongement des durées de séjour en hébergement d’urgence, certaines statistiques montrent la persistance diffuse en France d’une logique du turnover dans les hébergements d’urgence. Il s’agit alors d’en décrire les pratiques quotidiennes, puis d’en proposer certaines des conditions explicatives, du moins dans le cas parisien.

10 La deuxième partie, intitulée « Le fractionnement social éprouvé : une mobilité contradictoire », montre comment les temporalités de l’institution d’assistance conditionnent les temporalités quotidiennes des individus s’efforçant de s’adapter à ce mode de fonctionnement et comment elles introduisent une série de désynchronisations entre les attentes de ces individus et leurs pratiques quotidiennes.

11 Le fractionnement social est donc une figure incontournable de la relation d’hébergement d’urgence. Mais elle n’est pas la seule possible. Dans une troisième et dernière partie, intitulée « Réactions : cantonner le fractionnement social », la diversité des réactions au turnover général est documentée du point de vue aussi bien des aidants que des aidés. [8]

Le fractionnement social institué : le rationnement temporel de l’assistance

12 Le fractionnement social prend des aspects spatiaux et temporels dans l’organisation de l’aide d’urgence aux sans-abri. D’une part, elle s’observe par la dispersion des services d’aide, entre le 115 (accessible par téléphone), les hébergements d’urgence, les lieux d’accès aux droits sociaux et les accueils de jour (servant à se poser, nouer une sociabilité autour de jeux ou d’ateliers, prendre un café, prendre une douche, laver son linge). Les individus sont ainsi contraints de naviguer d’un lieu à un autre pour que la relation d’assistance puisse s’accomplir. D’autre part, le fractionnement social se comprend comme la répartition entre une aide de jour et une aide de nuit, distinction structurelle dans le secours aux vagabonds et aux sans-abri (Pichon, 1996) : les hébergements pour la nuit, les accueils de jour… pour le jour. Cette dimension spatio-temporelle du fractionnement social repose sur l’existence d’habitats d’assistance de courte durée, institutionnalisée dans un secteur désormais largement autonome : l’hébergement social.

13 Deux types d’habitats ont été inventés pour répondre aux problèmes sociaux posés par l’exclusion de certains groupes et individus du marché du logement : le logement social et l’hébergement. Ces deux types d’habitats sont institutionnellement définis l’un par rapport à l’autre, la distinction légale reposant sur deux critères (Alfandari & Tourette, 2011, p. 742). Le premier critère est le statut de l’occupant et les droits qui y sont associés, l’occupant d’un logement ayant globalement plus de droits (en termes d’espace minimum, d’aides financières, de protection vis-à-vis du propriétaire) qu’un hébergé. Le second critère concerne la durée d’occupation de l’habitat : à la différence du logement, l’hébergement est défini comme temporaire. Dans ce vaste continent d’habitats à durée limitée, les hébergements d’urgence se situent à un pôle, l’autre étant représenté par les résidences sociales. Ces dernières peuvent attribuer à leurs occupants des durées indéterminées de séjour, pouvant s’étendre sur plusieurs années garanties. Dans le cas des hébergements d’urgence, la durée de séjour est globalement beaucoup plus courte que dans les autres hébergements sociaux, y compris après la loi DALO8. Le fractionnement social désigne une situation extrême dans l’ensemble des habitats d’assistance à durée limitée.

Pratiquer le turnover au quotidien

14 Malgré les changements induits dans le droit par la loi DALO, le turnover est observable non seulement à Paris mais aussi dans d’autres départements français. Les travaux de l’Observatoire du Samusocial de Paris (Guyarvarch, 2011) permettent de calculer un taux de rotation. Sur l’année 2011 (seule année où la mesure a été accomplie), ce taux s’élève en moyenne à 8,5 % : chaque nuit, plus de 8 % en moyenne des individus hébergés n’étaient pas accueillis dans le même établissement la veille. Les pratiques de rotation à la nuitée se poursuivent aussi dans plusieurs départements. Dans ses rapports annuels, l’Observatoire national des 115, financé par la FNARS [9], mesure des « durées d’attribution en hébergement [10] ». Les données qu’il accumule objectivent la persistance du rationnement temporel (voir tableau 1).

Tableau 1. Durée des attributions en hébergement (en pourcentages) entre 2010 et 2014

Figure 1

Tableau 1. Durée des attributions en hébergement (en pourcentages) entre 2010 et 2014

15 L’évolution est contrastée. D’un côté, la part des attributions d’une nuit diminue de six points de pourcentage, tandis que la part des attributions pour une durée supérieure à une nuit et inférieure à une semaine augmente continûment. Cette évolution peut être l’effet d’une perte de légitimité du turnover à la nuitée et d’une hausse des capacités d’hébergement de plus longue durée. Mais, de l’autre côté, ces effets sont limités, la part des attributions pour une durée supérieure à quinze nuits a même diminué (passant de 7,7 % en 2012 à 5 % en 2014). En regard des autres pratiques dans le secteur, les durées d’attribution restent plus faibles que dans les autres types d’hébergements sociaux (stabilisation, réinsertion), où des contrats de séjour sont signés pour six mois, en principe renouvelables une fois [11].

16 Le turnover se produit et se reproduit tous les jours à deux moments cruciaux dans la relation d’hébergement : l’attribution des places et le départ du centre le matin [12]. La description de ces phases cruciales dans la répétition du turnover met en lumière les dispositifs matériels et réglementaires sur lesquels prennent appui les intervenants sociaux et donne à voir les incertitudes et hésitations des professionnels, évitant de faire de ce processus incertain un mécanisme automatique.

17 Le 115, plateforme téléphonique institutionnalisée en 1998, est une des scènes sur laquelle sont attribuées des places d’urgence. Un samedi du début du mois de février ; il est 12 h 30. Sophie, permanencière, décroche et répond à un homme qui justifie immédiatement son appel [13] :

18

M. Oniel : Bonjour, j’ai déjà appelé tout à l’heure et ils m’ont dit de rappeler vers midi, là.
Sophie, permanencière : Quel est votre nom, monsieur ?
M. Oniel : C’est Oniel.
Sophie : Quelle est votre date de naissance, s’il vous plaît, monsieur Oniel ?
M. Oniel : C’est le 30/06/1967.
Sophie [elle regarde sa fiche sur Aloha, logiciel de gestion des appels du 115 de Paris, puis les disponibilités d’hébergement, où apparaissent deux places libres] : Je sais pas si on va avoir de la place, monsieur.
M. Oniel : Oh, mais moi ça fait huit jours que je suis dehors et à chaque fois que j’appelle, c’est complet ! Ils sont complets. Et là, j’ai un problème d’amaigrissement, j’ai d’ailleurs un suivi avec… Je suis suivi à Gare du Nord à partir du premier mars [on est début février], par votre assistant, là [pendant qu’il parle, la permanencière lit silencieusement sa note biographique sur laquelle les permanenciers qui l’ont déjà eu au téléphone ont inscrit les informations sur sa situation sociale, sanitaire et d’hébergement]. Là, je suis vraiment fatigué, je suis allé voir à Saint-Martin ce matin, ils m’ont envoyé à la Bastille, à la Bastille ils m’ont dit d’aller à Gare du Nord, là, chez votre assistant, je me rappelle plus l’adresse exactement… [La permanencière surligne une partie de la note, se recule, croise les bras, comme pour prendre une décision].

Sophie : Ok. Et vous dîtes que ça fait une semaine que vous êtes dehors ?
M. Oniel : Ouais, avant j’étais à la Péniche… Parce que là, ouais, je suis en galère… Je suis allé voir l’assistant social, mais il a pas de solution, ça va pas avec lui, là. Et à Saint-Martin, j’ai vu avec eux pour la Péniche du cœur, là. Donc, c’était complet, et il m’a dit « on est samedi, donc il faut attendre lundi matin ».
Sophie : Je vais regarder ce qu’on peut faire au niveau hébergement.

19 La permanencière du 115 met en attente monsieur Oniel et regarde à nouveau sur son écran les disponibilités auxquelles elle a accès. Elle a de la place à Montrouge, un centre géré par le Samusocial dans la ville du même nom (située en proche banlieue sud de Paris), et à Cantagrel, un centre géré par l’Armée du Salut localisé dans le treizième arrondissement. Elle hésite. D’une part, doit-elle attribuer une place à cette personne ? Dans un univers où les ressources sont rares, elle doit prioriser. Elle a certes deux places disponibles sous les yeux, mais il est midi, et elle anticipe que dans l’après-midi, elle aura plus de personnes qui lui formuleront une demande que de places accessibles. Elle doit donc parvenir à évaluer le degré d’urgence de la situation, tout en ne pouvant pas exactement savoir quelles seront les prochaines situations auxquelles elle devra répondre. D’autre part, si l’accès aux centres d’urgence est en principe inconditionnel, la pratique conduit à catégoriser les personnes qui appellent et à les orienter vers des centres officieusement spécialisés sur certains types de publics. Ainsi le centre de Montrouge est censé accueillir les « grands exclus », qui sont définis comme des personnes fréquentant depuis longtemps les dispositifs d’urgence sociale, connues pour être fortement alcoolisées et/ou atteintes de troubles psychiques et ayant peu de chances d’être acceptées ailleurs [14]. Cantagrel est un grand centre de l’Armée du Salut où sont intégrés un hébergement d’urgence et un hébergement d’insertion.

20 Pour surmonter cette épreuve du jugement [15], elle demande conseil à la coordinatrice du 115, sa responsable hiérarchique qui a une plus grande expérience qu’elle de ce genre de situations problématiques, en insistant sur le fait que « ce monsieur » est fatigué et qu’il dit dormir depuis huit jours dehors ; argument rendu crédible par sa convergence avec ce qui apparaît sur sa fiche hébergement. Il pourrait peut-être avoir une place à la Péniche du cœur lundi, mais ce n’est pas sûr non plus. La coordinatrice lui indique Cantagrel, la personne ne semblant pas faire partie des « grands exclus ». Ce qui conforte la permanencière dans son intuition.

21

Sophie : Monsieur Oniel ? Alors, moi, j’ai plus qu’une nuit, mais j’ai au moins une nuit, je vous inscris pour Cantagrel, vous connaissez ?
M. Oniel : Non, je suis jamais allé.
Sophie : Ça se situe 12 rue de Cantagrel, métro Bibliothèque François Mitterrand.
M. Oniel : C’est pas vers Tolbiac, ça ?
Sophie : Oui, oui, c’est dans le quartier, derrière la place d’Italie, mais le métro le plus proche, c’est quand même Bibliothèque François Mitterrand. Vous pouvez y aller à partir de 17 h 30 [elle lit la fiche de présentation de l’hébergement sur le logiciel], et le repas est servi entre 18 h 30 et 20 h 30. Mais c’est ouvert à partir de cinq heures et demie, donc si vous êtes fatigué et que vous avez froid, vous pouvez aller vous reposer et vous réchauffer là-bas. Mais donc, c’est que pour une nuit, donc vous essayez de nous rappeler demain… Si vous n’avez pas d’autres solutions.
M. Oniel : Merci beaucoup, merci beaucoup.
Sophie : Au revoir, monsieur.

22 L’attribution d’un hébergement pour une durée de séjour n’est pas automatique ; elle est le résultat d’un processus de jugement dans un univers d’interdépendance dans lequel les professionnels du 115 n’ont pas la main, étant confrontés à une contrainte majeure : la pénurie de places [16]. Faire face à cette contrainte suscite des pratiques qui alimentent le turnover au quotidien.

Alimenter au quotidien le fractionnement social : le turnover comme ressource

23 Les acteurs institutionnels produisent quotidiennement le turnover comme ordre social légitime et naturalisé, entravant ainsi d’éventuels processus critiques de ce fonctionnement. Une cause du turnover est l’interdépendance entre le 115 et les hébergements d’urgence. Dans le cas observé plus haut, les deux professionnelles du 115 trouvent une solution parmi les contraintes qui leur sont imposées. On pourrait imaginer qu’elles appellent plusieurs centres d’hébergement pour demander des places de plus longue durée. Cette possibilité n’a même pas été envisagée, ni sur le moment, ni ensuite, manifestant la naturalisation de l’existence de places de courte durée et de la rareté comme contrainte, conduisant à se satisfaire de pouvoir ne serait-ce qu’attribuer une place (« alors, moi, j'ai plus d'une nuit, mais j'ai au moins une nuit »). L’informatisation du système de réservation des places, « investissement de forme » (Thévenot, 1986) ancrant la coordination quotidienne dans un dispositif difficilement réversible, contribue à ne pas remettre en cause les règles organisant l’interdépendance entre l’acteur qui attribue les places (le 115) et l’acteur qui les gère (les centres d’hébergement).

24 Il arrive cependant que les cadres coordinateurs du 115 contournent l’informatisation des réservations de places en appelant directement par téléphone les responsables de centres. Mais ces appels ne se font pas pour obtenir des places de plus longue durée, ils se font pour obtenir un plus grand nombre de places. Les permanenciers et cadres du 115 nomment cette pratique la « pêche aux places » : ils mettent un « coup de pression » aux centres d’hébergement qui ne « libèrent » pas suffisamment rapidement leurs places, afin de renflouer le stock à attribuer aux personnes qui appellent. Ces incitations à « libérer » des places n’expliquent pas en elles-mêmes le fonctionnement en turnover, mais elles sont des façons de « gérer la pénurie », comme le disent les cadres du 115. Dans ce contexte de rareté, le turnover devient une ressource souhaitable pour l’acteur qui distribue les places d’hébergement et qui vise à éviter de devoir opposer des refus, toujours délicats à formuler à des personnes en demande d’habitat. [17]

25 Cette pratique de la « pêche aux places », incitant les centres à faire tourner les individus, a assurément des conséquences peu souhaitables sur les personnes, ce dont ont conscience les permanenciers avec qui j’ai pu avoir des échanges, formels comme informels. Mais, dans un contexte caractérisé par la rareté des ressources, cette pratique est en même temps considérée comme légitime, notamment par les cadres dirigeants, dans la mesure où elle est justifiée en mobilisant une valeur centrale dans l’histoire et les discours publics de l’urgence sociale : l’inconditionnalité de l’aide (Gardella, 2014c)17. L’inconditionnalité est un principe mobilisé par les acteurs du 115, et aussi par certaines élites de l’urgence sociale [18], pour justifier le turnover. Une des raisons avancées par ces responsables est une méfiance vis-à-vis du fonctionnement des hébergements. Les centres sont soupçonnés de privilégier certains hébergés au détriment des éventuels « mauvais clients » (personnes les plus dégradées, ou personnes non connues par les animateurs du centre). Les hébergements sont ainsi vus comme cherchant à garder leurs pauvres ; cette méfiance pouvant être nourrie par la distance inter-organisationnelle existant entre des dispositifs appartenant à des associations différentes. Les acteurs du 115 se posent alors en garants de l’inconditionnalité : en situation de pénurie, il est juste de partager temporellement le bien rare, c’est-à-dire de « donner sa chance à chacun » en faisant tourner les individus, sans engager de critères d’interconnaissance, vus comme un potentiel clientélisme. Ce registre de justification est également invoqué par les responsables d’hébergements confrontés à des critiques pointant le turnover trop important.

26 Dans un contexte de rareté, le turnover constitue donc à la fois une ressource pour répondre à l’urgence quotidienne et un appui pour promouvoir le principe de justice central du secteur, l’inconditionnalité du secours. Mais les causes qui alimentent le turnover ne se situent pas uniquement au niveau des pratiques quotidiennes. Elles relèvent aussi d’interdépendances macrosociales et de structures durables, qu’il convient d’aborder quelque peu.

La faible légitimité d’habitats d’assistance à durée indéterminée

27 La forte interdépendance entre la rareté des ressources d’hébergements et le fonctionnement par rotation semble pouvoir s’expliquer par l’hypothèse suivante : la faible légitimité d’habitats d’assistance à durée indéterminée. Que ce soit pour les acteurs publics ou privés, que ce soit à l’époque récente ou à la fin du xix e siècle, proposer aux plus pauvres un habitat d’assistance sur une durée indéterminée apparaît faiblement légitime.

28 Le recours à l’histoire est un outil fécond pour repérer de telles explications. La rareté des habitats accessibles aux plus pauvres est déplorée de façon récurrente par les acteurs associatifs depuis les années 1950, que ce soit d’abord par le mouvement Emmaüs, relayé par le mouvement ATD Quart-Monde entre les années 1960 et les années 1980, poursuivi depuis par un grand nombre d’associations. Cette rareté n’est pas qu’une question de nombre de logements produits, puisque dans certains territoires où la rareté n’est pas présente, existe pourtant la règle d’un hébergement à durée limitée [19]. C’est donc aussi, et peut-être surtout, une question de conditions nécessaires pour accéder à un habitat durable.

29 Ces conditions sont économiques : qui peut payer un loyer ou même devenir propriétaire d’un espace a accès à un habitat durable, garanti par le droit. Ce type d’explications oriente les recherches vers les hypothèses structurelles de la marchandisation de la ressource spatiale et de l’institutionnalisation de la propriété privée (Polanyi, 2008), liées au développement historiquement sans précédent de l’économie de marché [20].  [21]Mais l’enquête sur les causes de cette politique temporelle des habitats institutionnels, qui n’est ici qu’esquissée, peut aussi se diriger du côté de la fabrique des valeurs associées à la possibilité d’habiter durablement quelque part. La durée limitée des habitats d’assistance semble généralement associée à une perspective à la fois morale et temporelle : les pauvres semblant devoir être éduqués, ils sont susceptibles d’accéder à un habitat autonome et durable au prix de multiples étapes. C’était jadis le modèle des « cités promotionnelles » ou « la politique du transit » (rapport Trintignac de 1967), c’est aujourd’hui le « modèle en escaliers ». Dans tous les cas, une hypothèse peut être mise au travail dans cette perspective d’analyse macrosociale : les règles institutionnelles encadrent l’accès à un habitat durable comme une succession d’étapes, à chacune desquelles sont évaluées des capacités, économiques, spatiales, morales, à habiter. Pour formuler cette hypothèse de façon plus tranchante encore, on peut supposer qu'en passant par l'assistance, pouvoir habiter dans la durée relève moins de la sphère de justice du besoin que de celle du mérite (Walzer, 1997).

Le fractionnement social éprouvé : une mobilité contradictoire

30 Contrairement à certaines représentations héritées du xix e siècle qui figurent les sans-abri comme des personnes sans attache, nombre de personnes sans-abri sont ancrées dans des territoires (Girola, 1996 ; Zeneidi-Henry & Fleuret, 2007). Celles-ci vivent donc les changements d’hébergement comme des épreuves de stabilité. Les conséquences déstabilisantes du turnover sont soulignées par toutes les personnes sans-abri que j’ai rencontrées21. Certes, elles l’abordent de façon plus ou moins insistante, mais toutes ont exercé un sens critique vis-à-vis de ce fonctionnement institutionnel. Pour rendre compte de ces expériences éprouvantes du turnover, j’avance la notion de mobilité contradictoire. La notion de mobilité résidentielle contradictoire pourrait être envisagée, afin de souligner l’expérience subjective que font les individus sans-abri : ceux-ci ont bien le sentiment de devoir déménager d’un lieu à un autre. Mais d’après la construction des enquêtes INSEE [22], la mobilité résidentielle désigne un changement de résidence au sens de logement. Elle n’est donc pas applicable aux mobilités impliquant un changement d’hébergement. Pour éviter des confusions, il est donc choisi d’utiliser la notion de mobilité, sous-entendue ici, en termes d’habitats. La notion de mobilité permet de comparer cette situation d’assistance au reste de la structure sociale et ainsi de souligner que les inégalités de logement sont aussi des inégalités temporelles, rendues invisibles par les catégories du droit et de la statistique publique.

31 La mobilité d’habitats est vécue comme contradictoire : le fait de se déplacer d’un hébergement à l’autre n’a pas de sens aux yeux de certaines personnes sans-abri. On peut aussi interpréter cette mobilité comme « imposée », opposée à une mobilité « choisie », selon la distinction proposée par Luc Boltanski et Ève Chiapello (1999, p. 456). Mais ce serait négliger les choix opérés par certaines personnes qui préfèrent certains hébergements à d’autres. Le point commun entre celles qui changent d’hébergement par préférence d’un centre à un autre et celles qui suivent les attributions imposées par l’institution est une perception de la mobilité d’un centre à un autre comme l’entretien, tout à fait paradoxal, de leur précarité par l’assistance censée les en sortir.

Tempo et rythme d’habitats désynchronisés

32 Toutes les personnes sans-abri que j’ai rencontrées ont, à un moment ou à un autre, critiqué le fonctionnement temporel des hébergements d’urgence. Ce fonctionnement concerne non seulement la durée de séjour mais aussi le rythme à suivre pour renouveler sa demande. La socialisation dans l’urgence correspond notamment à cet apprentissage, qui révèle tout de suite le degré d’intégration au fonctionnement du turnover : appeler le 115 pour obtenir une place doit se faire prioritairement le matin, entre 7 h et 8 h, au moment où les places sont « libérées » par les centres au 115. David, comme les autres personnes que j’ai interrogées à l’automne 2015 [23], décrit la course au 115 qu’il doit faire tous les matins24 :

33

Enquêteur : Vous êtes hébergé dans quels centres ?
Dominique : Ben surtout Montrouge et Garel [deux centres du Samusocial]… Enfin le circuit habituel, quoi. On n’est jamais assuré d’être en continu sur le même foyer. J’appelle au 115, mais ça dépend des disponibilités de place.
Enquêteur : Vous faîtes régulièrement le 115 ?
Dominique : Ouais, presque tous les jours. Le 115, c’est ça, c’est de l’urgence, donc c’est en général une nuit, des fois une petite semaine. Mais en général c’est chaque matin la course au premier téléphone pour pouvoir contacter le 115 et se voir, peut-être, attribuer une place en hébergement.

34 La durée passée entre deux séjours en hébergements s’inscrit dans une expérience temporelle paradoxale. D’un côté, elle est faite de files d’attentes et de lenteurs sur des choses qui vont vite dans la « vie normale » : accéder à de la nourriture, à une douche, à des toilettes. De l’autre, elle est prise dans un tempo extrêmement rapide sur des choses qui sont stables pour les gens « insérés » : jouir d’un habitat. L’« immobilité fulgurante » de Paul Virilio (1977) colle pleinement à ce type d’expérience de la vie entre rue et assistance. L’emploi du temps se retrouve englouti par la recherche d’un lieu pour dormir, se reposer, manger, se laver ; actions qui renvoient autant à des besoins élémentaires qu’à des activités essentielles pour ne pas se sentir « déshumanisés », comme le disent certains sans-abri présents dans l’urgence depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Et malgré ces « démarches », la situation sociale, professionnelle et économique ne change (presque) pas.

35 La récurrence de la mobilité, de la demande et de l’attente contribue à épuiser les personnes, comme le formule  [24]Albert [25] :

36

Enquêteur : Depuis que tu es à Paris, tu as fait…
Albert : Un petit peu le tour des structures d’hébergement d’urgence puisque c’est au quotidien qu’il faut renouveler la demande pour le lendemain.
Enquêteur : Tu appelles tous les jours le 115 ?
Albert : Tous les matins, tous les matins. Alors bon, c’est ce fonctionnement-là aussi qu’il faudrait casser parce que c’est usant, c’est usant. C’est usant, complètement démoralisant.

37 Ces critiques sont le fait autant des personnes qui fréquentent les centres que des personnes qui sont installées depuis plusieurs années dans des habitats de fortune (dans les bois autour de Paris, des souterrains, des bouches de chaleur en pleine rue, dans des locaux techniques sur les quais de Seine ou dans des tentes). Ces épreuves de stabilité peuvent ainsi conduire certaines personnes à investir d’autres espaces comme habitats. Robert est installé dans un camion depuis six mois environ, dans une ville de la proche banlieue est de Paris. Il ne va plus en héber­gement d’urgence, mais il raconte l’expérience qu’il en a eue :

38

Robert : Bah mon expérience, c’est dans les foyers que par rapport […], on te voyage, à droite à gauche, dans tout le centre de Paris, y’a plus de centre d’hébergement à droite à gauche, on te voyage au nord, à l’est à l’ouest, dans tout le centre de Paris, dans l’Île de France. Moi j’aimerais bien trouver […]. J’ai fait exactement les centres d’hébergement en urgence, comme… Baudricourt… voilà j’ai vécu à droite à gauche dans tous les centres… chaque fois il fallait faire le 115. Et ça tous les huit jours il fallait faire le 115. Tu restes exactement quatre heures, cinq heures au téléphone… ben hein…au bout de cinq heures… « ben non il faut retéléphoner à 8 h, 9 h le soir, pour avoir une place ». J’téléphone à 8 h du matin : y’a pas de place.

39 Si les personnes sans-abri que j’ai interrogées ne mobilisent pas les concepts différenciés de tempo et de rythme, il me semble possible et même utile, en vue de dialoguer avec des analyses d’autres terrains, de traduire leur propos dans ces termes. La durée d’hébergement étant très courte et l’accès aux hébergements de plus longue durée n’étant pas facile, les personnes suivent un rythme de mobilité discontinu : tantôt elles ont accès à un hébergement, tantôt elles n’y ont plus accès. Ce rythme contraint se répète souvent au cours d’une semaine, et cette fréquence élevée peut être désignée comme la vitesse (ou tempo) de leur mobilité : le nombre de changements d’habitat par unité de temps (semaine ou mois) est bien plus élevé que la moyenne déclarée de déménagement pour les ménages occupant un logement [26]. Or, qu’il s’agisse du rythme discontinu ou de la fréquence des changements d’hébergements, ces conséquences d’une durée de séjour très courte sont désynchronisées avec les attentes et les besoins déclarés des personnes sans-abri rencontrées.

Projections amputées

40 Les personnes sans-abri qui vivent mal ces temporalités induites par le fonctionnement des dispositifs d’urgence sociale se plaignent des conditions épuisantes qui y règnent et justifient ainsi le fait de ne pas parvenir à accomplir les projets d’insertion demandés. Leur « corps fragmenté » par la dispersion des dispositifs d’assistance rend en effet plus difficile la reconstitution d’une linéarité biographique (Girola, 2007, partie 2).

41 La mobilité d’habitats fréquente et discontinue entrave la projection de soi dans l’avenir, même quand les conditions d’habitat paraissent à peu près tenir. Après avoir fréquenté « à droite, à gauche » des hébergements d’urgence dans « tout Paris », Robert a réussi à se constituer un environnement stabilisé entre la rue et l’hébergement d’urgence, mais ses conditions d’habitat restent précaires et surtout, il est sans logement depuis juillet 1990. Il fréquente très régulièrement un accueil de jour où je l’ai croisé à plusieurs reprises. La plupart du temps, il dort dans un camion installé dans le quartier de la Porte de Vincennes et aide un commerçant, propriétaire d’un magasin de fruits et légumes, à transporter et vendre ses aliments au marché de Rungis. L’après-midi, il va dans un accueil de jour, dort sur le banc à côté d’une boulangerie et s’arrange avec la pharmacie du quartier, non loin, où il pose les clés du camion. La précarité durable de sa situation a des effets sur son horizon d’attentes [27] :

42

Enquêteur : Comment tu t’vois dans un an, tu sais un p’tit peu ?
Robert : (sifflement).
Enquêteur : Tu sais pas ?
Robert : C’est comme… une poubelle… pour l’instant.
Enquêteur : Qu’est-ce que tu aimerais ?
Robert : Ah bah quelqu’un de sérieux, qui est sérieux avec moi et que je suis sérieux avec elle. Voilà. Mes solutions c’est ça. C’est pas se démentir, mais réfléchir qu’est-ce qu’on fait, voilà, comme j’ai fait, d’avoir un pour soi et un pour tous. Voilà. Qu’est-ce qu’veut dire, ça veut tout dire ça.
Enquêteur : Oui.
Robert : Tout ce que je veux c’est ça, être au calme, avoir l’intelligence derrière, plus avoir de problème, de tout plaquer, de remettre mon niveau au clair.
Enquêteur : Tout plaquer, c’est-à-dire ?
Robert : Tout qu’est-ce que j’ai derrière, dans la tête… de tout vider quoi… avoir exactement un subconscient tranquille… voilà, c’est tout simple. J’demande pas grand’chose. De l’amitié, de la sincérité, de l’amour et pas de bagarre. Là c’est fatigué.

43 Un an, c’est un horizon temporel sur lequel Robert n’a pas de prise. Dans l’immédiat, il dit souhaiter une stabilité affective. Ce thème apparaît dans la continuité du déroulement de l’entretien, puisqu’il vient d’aborder sa relation avec sa copine, elle aussi sans-abri. Cette rencontre est associée à son souhait de se tranquilliser, de se débarrasser de ce qui le trouble, de sortir d’une confusion.

44 La stabilité dans un hébergement est associée à des possibilités de rencontres, notamment avec les acteurs institutionnels donnant accès aux ressources des politiques sociales. L’instabilité est en revanche source de frustrations : les individus éprouvent une désynchronisation entre la durée pendant laquelle ils peuvent fréquenter sur un rythme continu un établissement, et les projections vers l’avenir qu’ils investissent en envisageant des relations avec des intervenants sociaux. Albert, qui se présente comme un « précaire » pour se distinguer explicitement des « exclus » et des « clochards » « désocialisés », raconte cette désynchronisation vécue sur le mode de la frustration :

45

Enquêteur : Est-ce qu’aller en hébergement, ça remédie à ton isolement ?
Albert : Pas vraiment, non. Pas vraiment parce que le paradoxe de l’hébergement d’urgence aussi, c’est que quand il y a vraiment de l’extrême urgence, je prends par exemple le centre de Montrouge, ça peut pas être une réponse à l’isolement. Parce que l’image que renvoient les personnes qui sont hébergées à Montrouge, qui sont très désocialisées, vous incitent pas, vous en tant que SDF, à rentrer en contact avec elles, à dialoguer avec elles […].
Enquêteur : Et avec les animateurs ?
Albert : Non, parce que c’est trop transitoire comme truc. La durée de séjour, on passe une nuit, on passe une nuit et le lendemain c’est : casse-toi. C’est de la mise à l’abri. Donc essayer de nouer une relation avec le public, c’est pas trop facile parce que c’est des personnes en grande exclusion. Avec les personnes de l’encadrement, cette relation peut éventuellement se tisser parfois parce qu’on est amené à revenir plusieurs fois sur la structure. Moi je doute, je doute quand même. J’ai l’impression un petit peu que quand il y a une relation qui se crée entre un résident de Montrouge et l’équipe d’encadrement, c’est une relation, une approche un petit peu de sauvetage de la part de l’équipe d’encadrement. C’est vrai qu’ils tutoient facilement les personnes très désocialisées, ils essaient de… Derrière tout ça, moi je dis : la réelle communication, y a pas de réelle communication. Ils voient en fait, dans la personne, que sa problématique. Ils rentrent en contact avec cette personne pour lui dire : « voilà, par rapport à ton alcoolisme, y a des médecins alcoologues ». Ils vont pas au-delà de ça. Ils ne cherchent pas à savoir ce qui a entraîné cette déchéance de la personne.

46 Albert exprime une frustration : le turnover entrave la possibilité d’une projection dans un suivi continu avec certains intervenants sociaux, qui se limitent à ses yeux à une orientation, sans engager une relation d’aide.

47 Le fractionnement social prend ainsi la forme idéale-typique suivante : un turnover intense qui impose un rythme discontinu et un tempo élevé d’habitat à des individus qui en viennent à ne plus pouvoir se projeter dans l’avenir. Les personnes sans-abri expérimentent non pas un « provisoire qui dure [28] » mais un temporaire qui se répète, et dont la fréquence élevée de répétition est épuisante. Dans cet idéal-type, le fractionnement institué produit des individus fractionnés. La durée de séjour en hébergement d’urgence suit donc la mesure des activités de l’institution, bien plus que l’évolution des besoins singuliers des individus. Le déséquilibre pressenti par Georg Simmel (1998 [1907]) entre le devoir des aidants et le droit des aidés prend ici une forme temporelle prégnante.

48 Mais tout l’apport d’une enquête de terrain relationnelle est précisément de ne pas s’en tenir à cette seule relation d’assistance et de voir comment les acteurs, aidants comme aidés, s’efforcent, avec plus ou moins de succès, de sortir de cette logique dominante.

Réactions : cantonner le fractionnement social

49 Le fractionnement social est assurément un processus et une expérience incontournables dans la relation d’urgence sociale, mais elle n’en constitue pas la seule possibilité. Il n’y a ainsi pas de déterminisme entre le fonctionnement en turnover et l’expérience d’une mobilité contradictoire. Des pratiques de cantonnement sont observables. La notion de cantonnement désigne un ensemble de réponses à un pouvoir qui n’en modifient pas la logique dominante mais qui en limitent les effets au quotidien. Ces réponses s’efforcent de réintroduire de la symétrie entre acteurs dans des situations où le pouvoir ne s’exerce ni de façon légitime ni de façon tyrannique, mais sous forme d’« emprise » (Chateauraynaud, 2015).

50 Les personnes sans-abri, loin d’être réductibles à des êtres désocialisés en perte de repères spatio-temporels, comme les étiquettent certains travaux médicalisant leur condition (Declerck, 2001 ; Emmanuelli & Malabou, 2009), parviennent à mobiliser des tactiques de résistance à ces temporalités institutionnellement contraintes. Mais ces pratiques des personnes sans-abri ne seraient pas possibles sans la participation à ce cantonnement de certains intervenants sociaux s’efforçant de limiter du mieux qu’ils l’estiment les effets du turnover.

Pratiques conformistes, tactiques de résistance, habituation

51 Face à ces pratiques d’arrêt répété des séjours en hébergement, il existe des réponses qui s’efforcent d’allonger ces durées. Que ce soit par l’engagement dans le suivi social exigé par les intervenants sociaux, les tactiques de résistance ou le détournement à son compte du fonctionnement institutionnel, les personnes sans-abri parviennent, au prix parfois d’efforts importants, à cantonner le pouvoir temporel exercé par le turnover. Le fractionnement social caractérise assurément le cœur de l’urgence, mais il n’est pas suffisant pour décrire de façon nuancée ce qui se passe dans cette relation d’assistance.

Pratiques conformistes : jouer le jeu du suivi social

52 Allonger sa durée de séjour en hébergement d’urgence peut s’obtenir en adoptant des pratiques conformistes. Le suivi social est souvent interprété comme un ensemble de conditionnalités imposées à des individus dépossédés de leurs droits. Mais le suivi social est aussi le bienvenu pour certaines personnes, à certains moments de leur trajectoire. Bertrand raconte son parcours familial antérieur comme une succession de pertes [29] : départ de sa compagne avec leur fille ; décès de sa mère et de son beau-père l’année suivante ; « Donc j’ai tout perdu. C’est raide ». Comme la pente qu’il dit avoir dévalée, mais qu’il souhaite aujourd’hui grimper à nouveau. Au moment de l’entretien, il est « remonté à bloc pour remonter la pente », et il l’explique non pas par la force de sa volonté mais par les attaches qui lui ont redonné de l’espoir. Céline, une travailleuse sociale d’un hébergement d’urgence parisien, par ses exigences et sa capacité de compréhension, soutient son engagement :

53

Bertrand : Avec Céline [travailleuse sociale dans un CHU], elle booste, si y a pas de preuves… Chaque déplacement, elle veut une preuve, même si j’ai pas, même si je ramène pas un papier, si j’ai pas eu de papier… Il lui faut une preuve comme quoi je suis passé dans le bureau.
Enquêteur : Ça se passe comment ta relation avec elle ?
Bertrand : Super, super. Elle est super cool. Rien à dire.
Enquêteur : Concrètement comment…
Bertrand : Ben parce qu’elle me suit. En fait, si on le suit pas, ils disent : « oui, allez là, allez là », mais ils te demandent pas de preuves concrètes, tandis que Céline, elle en demande et si tu lui ramènes pas, c’est pas bon. Elle, elle demande des preuves concrètes, même si j’ai été et que j’ai pas eu de certificat, machin, un papier de leur part, un papier d’ANPE, un papier de machin. Elle me suit, donc je suis obligé de bouger.
Enquêteur : Ça te fait quoi qu’elle te suive comme ça ?
Bertrand : Ça me fait plaisir que quelqu’un soit derrière moi pour me pousser, pour remonter la pente, parce qu’elle est vite à descendre, mais à remonter elle est très dure. Quand y a quelqu’un derrière qui te pousse, ça va un peu plus vite […].

54 Au-delà du cadre « hébergement d’urgence », Bertrand trouve dans sa relation à Céline un étayage (« elle est super cool », « ça me fait plaisir »), un lien significatif le faisant redoubler d’énergie pour mener ses démarches. Le CHU devient une étape temporaire dotée de ressorts, un vrai tremplin :

55

Enquêteur : Tu l’as connue comment Céline ?
Bertrand : Céline ? Par ma tante, ma tante de la rue. Pas ma tante-tante, c’est ma tante de la rue, Marie-Thérèse. C’est un petit bout de bonne femme avec une petite chienne. C’est elle qui me l’a fait connaître. On est arrivé à l’improviste, elle a dit : « je suis avec mon neveu, ça fait trois jours qu’il dort dehors, il dort dans la cabine téléphonique en face – je dormais dans la cabine en face – il aimerait bien vous rencontrer ». Et puis voilà, ça s’est enclenché comme ça. D’un coup, elle m’a dit : « je vous mets trois jours, faut faire ça, ça, ça ». J’ai fait. Après elle m’a dit de faire tous les papiers, elle dit : « maintenant je veux ça, ça, ça ». Et je l’ai fait parce que, voilà, ça me booste, je sais que j’ai un toit pour dormir et je sais que je vais reprendre le boulot.
Enquêteur : Et depuis, tu es dans l’alcool toujours ?
Bertrand : Moins, depuis que Céline, elle me suit, ça va, je me calme. Je dis pas que je bois pas un petit coup tous les jours, j’en bois mais moins parce que je suis suivi et comme elle pousse au cul… J’avais pété un plomb carrément.
Enquêteur : Là, tu as espoir de…
Bertrand : Ouais. Là, maintenant ? Je suis prêt à repartir… Je vais faire mon opération, enfin mes deux opérations, faire les dents déjà, le cœur peut-être, on va voir comment ça va se passer à l’échographie et après je repars, 100 %.

56 Marie-Thérèse, une compagne de la rue avec qui il s’entend bien, lui fait rencontrer Céline, qui le pousse à rester en CHU moyennant contreparties. Il envisage à nouveau un emploi après la déconvenue qu’il a eue quelques mois plus tôt, en formulant le projet de se faire opérer les dents, outil indispensable selon lui pour son travail : « je suis commercial, je suis caissier ; donc je suis avec les gens quand même, donc il faut que… ». Le rapport à l’emploi passe par un rapport retrouvé au corps, à ses soins et à son image publique, et comme un projet n’arrive jamais seul, il est également en disposition pour faire en sorte de renouer contact avec sa fille et ainsi, comme il le dit, « reprendre bien la vie normale ». Ce qui peut ici s’interpréter comme une reprise à son compte des normes dominantes de l’insertion n’est pas un projet abstrait, rédigé et signé (uniquement) pour faire plaisir au travailleur social et jouer le jeu de la responsabilisation. Ce projet prend racine dans l’expérience, appropriée, de (re)tisser un lien avec un « autrui significatif » (Mead, 2006), qui est ici sa fille, mais qui peut être un parent ou un ami. [30]

57 Se maintenir et développer des projets ne résultent pas d’une improbable volonté individuelle, isolée, située à l’intérieur de la tête. La possibilité de se projeter sur un horizon d’attentes et de le réaliser progressivement prend appui sur des dispositifs et des personnes gages de promesses et du rythme continu de l’expérience. Pour Bertrand, sa projection de soi est rendue possible par la garantie d’un toit, ne serait-ce que pour quelques jours.

Tactiques de résistance : conflits et antijeu

58 Allonger sa durée de séjour en hébergement d’urgence passe aussi par diverses pratiques de résistance. Après avoir vu les pratiques de conformisme, on peut s’orienter vers les pratiques de conflits, suivant en cela la typologie classique de Albert Hirschman. De ce côté-là, il existe l’exemple récent de la mobilisation nationale initiée par les associations Médecins du monde (automne 2005), puis les Enfants de Don Quichotte (automne 2006), mettant au cœur de l’arène la durée de séjour trop courte en hébergement d’urgence. Ces mobilisations ne sont pas à l’initiative des personnes sans-abri elles-mêmes. Celles qui le sont, sont plus difficiles à débusquer, observables plutôt dans des résistances locales. Ainsi, la presse garde la trace de deux mobilisations d’hébergés, ayant lieu coup sur coup à l’été 1995, refusant de quitter leurs chambres au terme prévu de leur hébergement (Gardella, 2014a).

59 Les conflits collectifs sont cependant plus rares que les possibilités d’allonger sa durée de séjour. Ces allongements s’expliquent surtout par des pratiques moins visibles de négociation quotidienne. Certains sans-abri connaissent très bien les règles du jeu et négocient une stabilisation de leur habitat, ne serait-ce que pour un temps, par des tactiques d’antijeu qui permettent de jouer la montre30. Les tactiques d’antijeu sont des pratiques qui tentent de retirer plus de bénéfices de la part de l’institution en allant paradoxalement dans le sens inverse de ses attentes.

60 Un exemple typique dans l’urgence sociale est celui de la perte des papiers d’identité, récurrente pour les personnes sans-abri. Cette perte est interprétée parfois comme un signe de leur irresponsabilité, parfois comme l’un des symptômes de leur désocialisation et de la perte de leurs repères spatio- temporels (Declerck, 2001, p. 294). Elle est aussi une tactique pour négocier une prolongation, pour gagner du temps. Certains intervenants sociaux interprètent la récurrence de ces pertes comme des négociations implicites. Les conseillers sociaux officiant dans les centres d’urgence accordent une « prolongation », afin que la personne puisse se stabiliser et éviter de devoir faire le 115 le temps de sa « reconstruction administrative ». La dérogation à la durée limitée et à la file d’attente du 115 est censée aider la personne à la réfection de ses papiers d’identité. Cette aide peut cependant être vue comme une aubaine pour avoir une place à durée allongée : plus les démarches mettent du temps, plus le repos sera possible. « Perdre » ses papiers, au sens de ne pas tout le temps les apporter à chaque rendez-vous, de les « oublier » ou de devoir les refaire, peut se comprendre comme un moyen de contourner la règle de durée limitée d’hébergement et de s’aménager un temps de repos. Un processus de négociation s’enclenche alors, personne n’étant vraiment dupe. Les intervenants sociaux s’en rendent compte et réagissent au cas par cas. Ils peuvent « fermer les yeux », faire semblant de ne rien voir de la manœuvre ; ils peuvent aussi transformer en une contrepartie ce qui était présenté au départ comme une aide : si la personne ne fait pas refaire ses papiers, elle perd le bénéfice de la prolongation. Ce qui correspond à une pratique éducative courante : ce qui était présenté comme un soutien pour une démarche devient, au bout d’un certain temps, une condition en contrepartie de la démarche.

L’habituation comme adaptation secondaire au turnover

61 Allonger sa durée de séjour en hébergement d’urgence passe par la loyauté, le conflit, l’antijeu mais aussi par ce qu’Erving Goffman (1968) nomme des « adaptations secondaires » : quand les individus détournent à leur compte le fonctionnement des institutions. Certaines personnes font ainsi d’un centre d’hébergement singulier un point de repère pour développer des habitudes de vie dans un quartier. La socialisation s’accomplit au sein du groupe de personnes qu’on fréquente régulièrement dehors la journée et régulièrement dans le même centre, que ce soit pour consommer les mêmes produits, pour s’épauler, pour se rassurer. Le centre devient le prolongement de la vie à la rue, un lieu de sociabilité, un « repère » comme l’appelle Amaria [31] :

62

Amaria : Mon repère c’est ici parce que je connais tout le monde ici, c’est mon repère. C’est là que je me sens… C’est vrai que j’aime pas être ici, mais je me sens bien parce que j’ai mes repères, j’ai mes amis que je fréquente la journée, d’autres amis que je fréquente le soir.
Enquêteur : Quand tu dis ici, tu penses à Garel ? Où tu es dans la journée ?
Amaria : Je pense où c’est que je suis dans la journée et le soir ici. Parce que la plupart des gens qui sont ici, on est ensemble la journée, donc on se sépare pas. On se voit la journée et le soir, on se voit ici.
Enquêteur : La journée, tu es où ?
Amaria : Là, sur le banc ou dans le métro à Richard Lenoir [station de métro la plus proche du centre Garel, situé au 66 boulevard Richard Lenoir].
Enquêteur : Tu es avec qui ?
Amaria : Avec des personnes […].
Enquêteur : Ça fait longtemps que tu es à Garel ?
Amaria : Ça va faire trois mois […].
Enquêteur : Tu peux me dire pourquoi c’est ton repère ici ?
Amaria : Mon repère ? Mon repère, pour moi, c’est comme une famille, c’est comme un orphelinat, comme un…, où qu’on accueille des gens, ou des enfants qui sont paumés, des enfants qui sont adoptés. Pour moi, c’est une famille quoi. Pour moi c’est une famille, un foyer quoi. C’est vrai que ça fait du bien d’être entourée par des gens qui travaillent, mais d’un autre côté, c’est bien aussi d’être toute seule, d’être avec ses amis. Donc voilà quoi.
Enquêteur : Quand tu dis « c’est une famille », tu penses à tout le monde dans le centre ?
Amaria : Pas à tout le monde, mais je pense aux personnes qui travaillent ici. Et puis bon, par des gens que je connais bien, que j’estime bien, ils sont plus âgés que moi. Ils sont plus âgés que moi, ils m’apprennent qu’est-ce que c’est la vie le matin, qu’est-ce que c’est la rue. Ils m’apprennent… C’est une solidarité, quoi. On me dit : « Faut faire gaffe dans la rue, faut fréquenter ça ». Tu vois, c’est bien pour moi.

63 Amaria n’aime pas être dans ce centre. D’ailleurs, les animateurs qui la connaissent ne tarissent pas de critiques sur elle : elle n’est pas la dernière à « gueuler » contre les agents qui servent à manger ou qui nettoient les tables, à s’énerver contre des travailleurs sociaux qui « la saoulent » à lui faire des remontrances sur ce qu’elle dit ou fait, à poser des problèmes quand elle est trop alcoolisée ou qu’elle « pète un câble ». Et pourtant, ils la protègent, en la renouvelant depuis plusieurs mois : elle aurait subi un viol et aurait porté plainte contre ses agresseurs. Le responsable du centre préfère ainsi la renouveler systématiquement, à des fins de protection. C’est ainsi qu’à mesure de ses retours fréquents, Amaria fait de ce centre, qu’elle n’aime pas, son « repère », sa « famille » ; elle connaît tout le monde, elle y voit certains de ses « potes » de rue, elle contourne les règles en y introduisant de l’alcool et de la drogue, pour consommer dans « dehors, là derrière, derrière la cour où il y a le réfectoire », « là où on nous voit pas ». Garel devient ainsi le support d’une possibilité d’habiter autour du 66 boulevard Richard Lenoir – d’entretenir des liens réguliers avec ce bout d’espace public, investi comme environnement familier.

La bienveillance contrainte des intervenants sociaux

64 L’allongement des durées de séjour est possible grâce à la coopération des intervenants sociaux. Ceux-ci manifestent une bienveillance contrainte, au double sens du terme : par sympathie avec la situation éprouvée par les usagers, ils se sentent obligés d’introduire un peu de souplesse dans le fonctionnement des règles instituées ; ils n’ont cependant qu’une marge de manœuvre limitée pour aider autant qu’ils le souhaiteraient certains usagers.

65 Quand les intervenants se mettent à la place des hébergés, des négociations sont possibles entre aidants et aidés, comme en témoigne une assistante sociale travaillant dans un hébergement d’urgence. Après avoir souligné qu’elle n’a que peu de temps pour faire un entretien social avec chaque hébergé, elle précise [32] :

66

Assistante sociale : On ne s’attarde pas parce que de toute façon, la situation ne nécessite pas une prise en charge sur la structure. Donc la personne sera amenée forcément à refaire le 115 après. Vous voyez ce que je veux dire ?
Enquêteur : Non, pas exactement… quand vous dîtes… enfin, ça veut dire quoi, « pas de prise en charge sur la structure » ?
Assistante sociale : Ben il y a des personnes qu’on rencontre et qui sont déjà à jour administrativement, qui ont un suivi social déjà avec un travailleur, avec une assistante sociale, heu, tout est enclenché, y a rien à faire au niveau administratif. Donc ces personnes-là, forcément, on ne va pas leur proposer un hébergement, on va pas les prolonger sur notre quota, nous [les AS de CHU n’ont que quelques places à attribuer pour les prolongations]. Mais ils peuvent malgré tout faire le 115.
Enquêteur : Ok. D’accord… [Silence]. Mais alors si elles ont déjà un suivi administratif, pourquoi les personnes viennent vous voir, alors ?
Assistante sociale : Ben… C’est que… les gens voient l’assistante sociale en centre d’hébergement d’urgence comme une personne qui est là pour prolonger. [Silence]. Vous voyez ? Mais le souci, c’est qu’on n’est pas là pour ça. On le fait, à titre exceptionnel ou cela dépend des cas, oui ! Lorsqu’on voit que la situation nécessite une prise en charge parce qu’il y a pas mal de choses à faire au niveau administratif, oui, on prolonge. Mais on le fait pas dans d’autres cas… Mais il y a beaucoup de personnes qui viennent avec cette demande.
Enquêteur : Et à votre avis, pourquoi elles ont cette vision-là des assistantes sociales en CHU ?
Assistante sociale : Parce que déjà [elle baisse la voix] les difficultés du 115. [Elle poursuit à mi-voix]. Parce que la difficulté à les avoir, parce qu’ils restent forcément un certain nombre de temps au téléphone, et il y a la messagerie qui s’enclenche, et ils doivent rappeler de façon continue. [Elle parle à nouveau normalement]. Donc ils préfèrent voir l’assistante sociale en demandant un hébergement, si c’est possible, que de partir faire le 115. Alors après on peut comprendre, hein. Après c’est vrai que des fois, on est amené, lorsqu’on a quand même des places disponibles, à… de prolonger les gens pour leur éviter de faire le 115. Mais… Mais on ne le fait pas naturellement. On ne le fait pas… On le fait… Excusez-moi… [Elle cherche ses mots]. Bon, en gros, on le fait quand il y a possibilité de le faire !

67 « On peut comprendre, hein », mais « on le fait quand il y a possibilité de le faire ! » : la bienveillance de cette assistante sociale est assurément contrainte par la rareté des places et par les règles qui organisent la prise en charge, mais elle est possible et se justifie par une capacité à se décentrer pour adopter le point de vue des personnes qu’elle est censée « prendre en charge ». C’est à condition de tenir compte de cette réciprocité possible des perspectives entre aidants et aidés que la réduction de l’assistance à des machineries ou à des mécanismes uniformes de contrôle perd de sa pertinence. Le contrôle est assurément puissant dans le traitement institutionnel en urgence du sans-abrisme, mais il ne peut être caractérisé sans ses autres versants, constitués des moments de résistance et de bienveillance des aidés et des aidants se fréquentant au quotidien.

Conclusion

68 Le fractionnement social a été observé sur une politique sociale spécifique, l’urgence sociale, visant la partie sans-abri des individus précarisés. Il caractérise une expérience dominée dans l’accès à un habitat stable et un tant soit peu appropriable, dont le cœur peut se décrire comme une série de désynchronisations en termes de durées, de rythmes et de tempos d’habitat, produisant elles-mêmes un désajustement des projections dans l’avenir.

69 Cette enquête propose donc un concept qui entre dans une cumulativité scientifique avec les autres enquêtes sur le « précariat » (Castel, 2009). Elle pointe notamment les effets en termes d’incertitude dans l’existence des individus dominés d’un rationnement temporel des aides proposées par les institutions de la protection sociale et de santé. Elle documente des processus qu’on peut retrouver sur d’autres terrains, comme les urgences médicales ou la durée des allocations chômage sur laquelle jouent les politiques dites d’« activation ».

70 Le pouvoir induit par le fractionnement social soulève plus généralement le problème de la synchronisation : d’une part, entre les acteurs de l’aide, d’autre part, entre les actions d’aide et les personnes qu’elles visent. La trop grande discontinuité des aides est en effet devenue un motif d’inquiétude central dans plusieurs politiques sociales. Plusieurs travaux ont montré que les transformations morphologiques de la relation d’aide alimentent, plus qu’elles ne la réduisent, cette discontinuité. La relation d’aide est passée d’institutions bien délimitées encadrant des individus (dont l’institution totale était une modélisation), à des dispositifs disséminés, en proie à l’incertitude sur leurs effets réels (Ion & Ravon, 2005 ; Ravon & Laval, 2015), dont le fractionnement social pourrait constituer l’horizon idéal-typique. La désynchronisation menace alors tous les acteurs impliqués. Du côté des aidants, elle se manifeste par le manque de coordination et les nombreux efforts accomplis pour se re-synchroniser, que ce soit par des réunions, des partenariats ou des partages de dossiers. Le « suivi » dans la durée devient alors un enjeu majeur des pratiques professionnelles. Du côté des personnes « prises en charge », pointe à l’horizon le risque d’une discontinuité de l’expérience induite par les renvois répétés d’un dispositif à un autre.

71 Les politiques sociales peuvent plus généralement servir de sites privilégiés pour documenter des processus précis de production, réception et cantonnement de temporalités contraintes et ainsi mettre à l’épreuve d’enquêtes empirico-conceptuelles des transformations analysées à une échelle macrosociale. Il est en effet possible de diagnostiquer une évolution générale des formes prises par l’expérience individuelle de l’aliénation dans le sens non pas d’une perte de son quant-à-soi, menacé par une institution totale encadrant l’intégralité de l’existence (Goffman, 1968), mais dans celui d’une désynchronisation (Lash & Urry, 1994 ; Rosa, 2010), c’est-à-dire des expériences de la dispersion, du morcellement, ou encore de la discontinuité. Une des formes individuelles de l’expérience de l’emprise pourrait ainsi se caractériser, de façon idéal-typique, comme la perte d’une continuité entre ses divers engagements. Comment les réglages institutionnels, les coordinations organisationnelles et les accomplissements locaux des politiques sociales réduisent ou augmentent l’incertitude et le fractionnement des existences précaires pourrait servir de pistes d’enquêtes sur les chronopolitiques (Gardella, 2014a) de la protection sociale ; autrement dit, sur les formes temporelles du pouvoir et, symétriquement, des prises émancipatrices, induits par le fonctionnement des institutions d’assistance.

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Mots-clés éditeurs : durée d’hébergement, relation d’assistance, temporalités, rotation, urgence

Mise en ligne 05/10/2016

https://doi.org/10.3917/socio.073.0243

Notes

  • [1]
    Je tiens à remercier les relecteurs anonymes de la revue Sociologie pour leurs commentaires qui m’ont aidé à améliorer cet article, ainsi que toute l’équipe de l’Observatoire du Samusocial de Paris, en particulier Emmanuelle Guyavarch et Erwan Le Mener, pour les échanges que j’ai eus avec eux au cours de l’écriture de cet article.
  • [2]
    Appelée officiellement « maison relais » ou « pension de famille ».
  • [3]
    L’entretien a lieu dans son studio, le 27 janvier 2009, pendant une heure trente.
  • [4]
    Dans mon travail de thèse (Gardella, 2014b), j’ai déconstruit la catégorie d’urgence sociale en la déclinant selon trois pratiques régulières, qui sont aussi des enjeux de disputes publiques : l’exigence de réactivité ; la fixation de faibles conditions de l’aide ; l’organisation de durées courtes de séjour en hébergement. Cet article repose sur une partie de cette enquête. Les données proviennent d’un terrain réalisé de façon discontinue dans plusieurs services d’urgence sociale parisienne entre 2005 et 2015. Concernant les personnes sans-abri, 18 entretiens ont été analysés pour appuyer ce qui est avancé. Concernant les intervenants sociaux, observations et entretiens ont été utilisés : 3 journées et 1 nuit d’observation au 115 de Paris entre 2008 et 2009, et 27 entretiens avec des intervenants sociaux et des cadres associatifs. Les caractéristiques principales des personnes interrogées sont précisées en annexe électronique : https://sociologie.revues.org/2785. Tous les noms des acteurs ont été anonymisés.
  • [5]
    Il existe plusieurs canaux de distribution institutionnelle des places d’hébergement. Depuis la dernière refonte de l’organisation des aides aux sans domicile (avril 2010), les services se distinguent en fonction des durées de séjour : les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), auxquels ont accès les professionnels (mais pas les usagers demandeurs), délivrent des places de moyenne et longue durées (entre quelques semaines et des durées indéterminées) ; le 115, numéro d’appel gratuit réservé aux usagers demandeurs, distribue principalement des places de courte durée (entre une nuit et quelques semaines). Pour les familles, un pôle spécial a été créé, en lien avec la réservation hôtelière. Enfin des places sont aussi parfois accessibles via d’autres services d’urgence (accueil de jour, équipes mobiles). L’article se focalise sur le fonctionnement du 115, puisque ce service, à Paris, est le plus important distributeur de places de courte durée. Il est cependant en cours de fusion avec le SIAO, comme dans la plupart des autres départements.
  • [6]
    Déjà analysés dans leur restriction de l’intimité (Laé, 2000 ; Thalineau, 2002), dans leur fonctionnement arbitraire (Bruneteaux, 2006) ou décrits dans leur hospitalité ambivalente (Cefaï & Gardella, 2011, pp. 412-435), les hébergements d’urgence sont ici abordés à partir des pratiques temporelles qui les font fonctionner au quotidien et les conséquences que celles-ci peuvent avoir sur les individus qui y recourent.
  • [7]
    Cette démarche relationnelle s’inscrit dans la démarche de Serge Paugam (1991, 1998) qui a donné une consistance empirico-conceptuelle à la sociologie de la pauvreté esquissée par Georg Simmel (1998), se démarquant ainsi des travaux se focalisant sur un seul de ces deux côtés de la relation d’assistance.
    Mais la démarche suivie dans cet article s’en distingue en traitant des « formes institutionnelles » (Paugam, 1998, p. 144) prises par la pauvreté non pas à partir des représentations collectives mais à partir des pratiques des intervenants sociaux qui accomplissent au quotidien ces formes institutionnelles.
  • [8]
    La durée de séjour en hébergement d’urgence a été au cœur d’un mouvement contestataire pendant l’hiver 2006-2007 (Gardella, 2014a), donnant lieu au vote de la loi DALO (droit au logement opposable) en mars 2007. Faisant suite à la mobilisation des Enfants de Don Quichotte (Bruneteaux, 2014), l’article 4 de la loi établit le « principe de continuité », selon lequel une personne accédant à un hébergement d’urgence peut y rester tant qu’une proposition adaptée d’hébergement de longue durée ou de logement ne lui a pas été faite. Cette loi a eu des effets observables en termes
    d’augmentation du nombre de places de type résidences sociales. La part des maisons-relais dans l’ensemble du parc d’hébergements sociaux est passée de 3,7 % en 2004 (Cour des comptes, 2011) à 14 % en 2013 (PLR 2013, http://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2013/rap/pdf/DRGPGMPGM177.pdf). Il existe donc des centres où la continuité est appliquée (mais aussi d’autres où elle n’est pas appliquée). Dans cet article, je me focalise uniquement sur les durées de séjour très courtes.
  • [9]
    Fédération nationale des associations de réinsertion sociale.
  • [10]
    La durée d’attribution signifie que la personne a obtenu une place en hébergement pour x nuits. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’a pas eu de place en hébergement institutionnel à la fin de cette durée : comme il n’existe pas de quota de nuits par semaine ou par mois, elle peut renouveler sa demande. En revanche, l’individu n’a pas la garantie d’obtenir une nouvelle place. Les places attribuées pour une durée inférieure ou égale à une semaine ne produisent donc pas de stabilité de l’habitat.
  • [11]
    D’après l’enquête « Établissements sociaux – personnes en difficulté sociale » (ES) conduite tous les quatre ans par la DREES auprès des administrations, la durée moyenne de séjour en hébergement de réinsertion était
    de dix mois en 2004 (Vanovermeir, 2006) et de huit mois en 2008 (Mainaud, 2011). Les premiers résultats de l’enquête ES de 2012 ne donnent pas encore ces durées moyennes.
  • [12]
    N’ayant pas encore conduit d’observation ethnographique de départs de centre le matin, je vais ici privilégier le premier moment du processus du turnover, que j’ai observé directement : l’attribution des durées de séjour.
  • [13]
    Observation réalisée à un poste de permanencier du 115 de Paris le 12 février 2008. Je suis situé sur le côté, légèrement en retrait vis-à-vis du poste de travail. Un permanencier est un salarié du Samusocial qui traite les appels arrivant au 115.
  • [14]
    Caractérisation donnée par les tutrices lors de la formation des nouveaux arrivants au 115 (formation que j’ai suivie en janvier 2006 et en décembre 2009).
  • [15]
    Ce type d’épreuve du jugement, ou de justice locale, est récurrent dans les pratiques de travail social confrontées à des ressources rares. Les intervenants sociaux expriment ainsi leur souci de ne pas traiter de façon injuste
    les diverses situations auxquelles ils font face. Peuvent donc se comprendre les multiples barèmes, scores ou critères pondérés visant à classer et hiérarchiser l’extrême diversité des situations singulières auxquelles ils doivent apporter des réponses.
  • [16]
    La rareté des places d’hébergement est soulignée depuis des années par l’ensemble des rapports d’activité du 115 de Paris.
  • [17]
    Celle-ci, inscrite dans le droit depuis 1998 (art. L. 345-2 du Code d’action sociale et des familles), est un critère de justice original en regard de la conditionnalité diagnostiquée dans d’autres politiques sociales (Chelle, 2012). Elle ne définit aucune population cible si ce n’est des personnes qui se déclarent sans-abri et expriment le besoin d’une aide d’urgence, en particulier un hébergement. Elle introduit une rupture dans la distinction, émergée au xii e siècle chez certains théologiens (Geremek, 1987, pp. 36-39), et sur laquelle s’est construite la « norme travail » (Castel, 1995), entre les bons pauvres, qui méritent assistance en raison de leur invalidité au travail, et
    les mauvais pauvres, qui doivent subvenir à leurs besoins par leur travail. Ce principe n’évite cependant pas l’existence au quotidien de pratiques de sélection (Cefaï & Gardella, 2011).
  • [18]
    L’inconditionnalité est un principe fédérateur du Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement des personnes sans abri et mal logées. Elle a aussi été défendue dans les couloirs des administrations d’État par des fonctionnaires (Pascal Noblet, Michel Thierry, Philippe Coste, Alain Régnier) ou des ministres (Xavier Emmanuelli).
  • [19]
    Même si les durées peuvent être plus longues que dans les territoires où la pression de la rareté est forte.
  • [20]
    Contraintes particulièrement observables quand se pose la question du loyer ou de la participation financière pour les occupants, ce qui correspond pour les gestionnaires d’habitats d’assistance à celle du retour sur investissement demandé par les constructeurs.
  • [21]
    Dans tous les entretiens semi-directifs que j’ai exploités, et lors des discussions informelles que j’ai pu avoir avec d’autres personnes sans-abri, à chaque évocation du fonctionnement des hébergements d’urgence, la durée de séjour trop courte a été critiquée.
  • [22]
    La mobilité résidentielle est mesurée à partir de deux enquêtes INSEE : l’enquête Logement et l’enquête Emploi (Donzeau & Pan Ké Shon, 2009). Les questions de l’enquête Logement (2006, module XV intitulé « Logements précédents et mobilité ») utilisées pour mesurer la mobilité résidentielle désignent les changements de logement. Dans l’enquête Emploi (2011), le changement de résidence (abordé dans le module « i » intitulé « Situation un an avant ») désigne aussi principalement le logement. On peut toutefois relever que la catégorie de « logement ordinaire » permet de questionner sur la trajectoire depuis « une autre catégorie de logement » ; catégorie où sont toutefois mêlés foyer, cité universitaire, maison de retraite.
  • [23]
    Dans le cadre d’une enquête pour le programme « mal-logement » de l’ONPES, réalisée à l’Observatoire du Samusocial de Paris, auprès de personnes installées durablement dans les espaces publics.
  • [24]
    Entretien réalisé dans un accueil de jour parisien le 25 avril 2006.
  • [25]
    Entretien réalisé dans un accueil de jour parisien le 10 mai 2006.
  • [26]
    Selon l’enquête Logement de l’INSEE (2006), 8 % des ménages ont déménagé plus de deux fois en quatre ans. À ma connaissance, l’enquête Logement de 2013 n’a pas encore été exploitée sur cette question.
  • [27]
    Entretien réalisé le 23 juin 2006 dans un accueil de jour parisien.
  • [28]
    Comme ce fut le cas pour les ménages placés en « cités promotionnelles », de « relogement » ou de « transit » entre les années 1950 et les années 1980.
    Pour une approche compréhensive de l’expérience de familles habitant dans une de ces cités, voir Jean-François Laé & Numa Murard (1985).
  • [29]
    Entretien réalisé dans un centre d’hébergement d’urgence parisien le 25 mars 2006.
  • [30]
    L’antijeu est une tactique, au sens de Michel de Certeau (1990, pp. 60-61). Une tactique, à la différence de la stratégie, se définit en référence à l’action de l’autre, ici des règles institutionnelles accomplies par
    des intervenants sociaux : « la tactique n’a pour lieu que celui de l’autre. Aussi doit-elle jouer avec le terrain qui lui est imposé par la loi d’une force étrangère ».
  • [31]
    Entretien réalisé dans un hébergement d’urgence parisien le 25 mars 2006.
  • [32]
    Entretien réalisé dans son bureau de l’hébergement d’urgence, à Paris, le 17 mars 2009.
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