Notes
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[1]
Cette recherche a été réalisée avec le soutien de la Fondation des Sciences sociales (2013). L’auteure remercie tout particulièrement François Héran ainsi que Vanessa Barbé, Marie-Laure Basilien Guinche, Géraldine Bozec, Speranta Dumitru, Stéphane Dufoix, Angéline Escafré-Dublet, Jérémie Gauthier, Catherine Le Bris, Virginie Silhouette-Dercourt, Daniel Sabbagh, Patrick Simon pour leurs commentaires d’une première version orale de ce travail, ainsi que les quatre évaluateurs anonymes de la revue pour leurs suggestions stimulantes.
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[2]
Voir aussi Thomas Deltombe (2005) qui retrace la construction d’un « islam imaginaire » dangereux et homogène dans les médias français entre 1979 et 2005, et pour une perspective européenne, Nilufer Göle (2011) et Valérie Amiraux (2005, 2013).
-
[3]
Observations répétées de l’auteure (Lamine, 2012). Voir Bowen (2009, p. 186) et Amghar (2003).
-
[4]
Par exemple, dans un tout autre domaine, la constitution d’un « public » qui enclenche le processus de sauvegarde et de patrimonialisation d’un quartier menacé du vieux Lyon (Stavo-Debauge & Trom, 2004).
-
[5]
Les trois autres sont Oumma.com, Al-kanz.org et Islametinfo.fr. Selon l’estimation fournie par Website.informer.com [consulté le 11 février 2014] ces quatre sites sont 2 à 3 fois plus visités que ceux qui arrivent ensuite ; la fiabilité des chiffres est discutable, néanmoins ils concordent avec ce qu’estiment plusieurs acteurs musulmans : Oumma.com et Saphirnews.com en tête depuis longtemps et percée récente des deux autres.
-
[6]
Sondage IPSOS — Le Monde — Fondation Jean-Jaurès — Cévipof, « Les nouvelles fractures », réalisé auprès de 1016 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française, âgée de 18 ans et plus, entre le 9 et le 15 janvier 2013.
-
[7]
Les réponses à ces deux questions étaient pour la première, 11 % pour le catholicisme (8 % / 3 %) et 25 % pour le judaïsme (18 % / 7 %) ; pour la seconde, 21 % pour le catholicisme et 26 % pour le judaïsme.
-
[8]
Son appellation initiale Saphirnet.info, il sera renommé SaphirNews.com en 2005. La fondation du site Oumma.com, en 2000, lui est antérieure de 2 ans, ainsi que d’autres sites de littérature coranique, comme Islamophile.org, fondé aussi en 2000 (avis de savants musulmans, textes et récitations du Coran).
-
[9]
Mouvement piétiste transnational de prédication et de retour à une pratique rigoriste (Khedimellah, 2004).
-
[10]
Muhammad Hamidullah (1908-2002) d’origine indo-pakistanaise, jurisconsulte, est connu pour sa traduction française du Coran (1959). Il est chercheur au CNRS (1954-1978). Il vit en France de 1948 à 1996. L’AEIF s’appelle en 1962 l’Amitié Islamo-Française et prend son appellation définitive l’année suivante.
-
[11]
Cette revue cesse de paraître au moment de la crise qui survient au sein de l’association, qui mènera à une scission en 1978-1979 entre « ceux
qui voulaient faire un travail plus social, construire des mosquées, etc. » ([H.], Ibid.) qui sont partis pour former le GIF (Groupement islamique de France) en 1979. « Ceux qui voulaient continuer le travail intellectuel comme Hamidullah » (Ibid.) sont resté à l’AEIF. Le GIF (avec quelques associations locales) deviendra ensuite l’UOIF en 1983 (sur la naissance de l’UOIF, Amghar, 2009, p. 380-381). -
[12]
Larbi Kechat s’est impliqué dans l’AEIF au moment où il était étudiant (en linguistique et en sociologie) à la Sorbonne dans les années 1970 (Amiraux, 2011) ; il reste dans la partie AEIF après la scission de 1979 (entretien avec H.). Il sera ensuite un des premiers imams à utiliser le français pour ses prêches. Il devient le recteur de la mosquée Addawa de la rue de Tanger dans le 19e arrondissement de Paris (dans d’anciens entrepôts) où M. Hamidullah donne des conférences. Il organisera ensuite des tables rondes sur des sujets sociaux avec des intervenants musulmans et non musulmans (depuis 2006, suite à un projet de reconstruction, la mosquée est délocalisée Porte de la Villette).
-
[13]
Il se différencie des autres médias, portant presque tous des noms purement arabes (sans signification en français) ou faisant explicitement référence à l’islam et aux musulmans : Islam de France, Islam et Info, Regards d’islam, Pageshallal, Oumma [communauté], Al-Kanz [trésor], Sajidine [prosternés], etc.
-
[14]
Franck Frégosi distingue cinq idéaux types au sein du champ intellectuel musulman : les médiateurs, les vulgarisateurs, les outsiders, les nouveaux talents et les alarmistes (Frégosi, 2008). Les animateurs du site relèvent principalement du premier groupe, les médiateurs, mais ils sont aussi, par leur acte d’information journalistique, des vulgarisateurs.
-
[15]
Leurs aînés ont vécu cette méfiance des collègues au moment de la première guerre du Golfe (1990-1991).
-
[16]
Ce responsable les encourage à soumettre à son ONG une demande de subvention qu’ils obtiendront.
-
[17]
Titulaire d’un master d’études européennes, l’un travaille comme chargé de communication chez France Télécom alors que l’autre, ingénieur, exerce comme responsable informatique au sein du groupe Vinci.
-
[18]
Des stagiaires sont occasionnellement employés (mais pas au moment de l’enquête).
-
[19]
L’une est formée au CELSA, titulaire d’un DESS de gestion de l’emploi et développement social de l’entreprise, l’autre d’un master en communication et multimédia et la troisième d’un master en études européennes.
-
[20]
Les revenus publicitaires sont plus importants sur les médias papier qu’en ligne. Le mensuel gratuit papier Salamnews vise un public musulman et « musulman culturel » large. Les autres journalistes de ce second titre sont tous pigistes (une dizaine), travaillant dans d’autres médias comme Afrik.com. Le directeur de publication (des deux titres) y assure aussi un éditorial (alors que Saphirnews.com n’en a pas).
-
[21]
Chiffres fournis par son responsable en octobre 2013. Ce chiffre est du même ordre de grandeur que celui du site Website.informer (dont l’estimation est de 679 000 visites par mois [consulté le 14 mars 2014]).
-
[22]
http://www.saphirnews.com/pages/Qui-sommes-nous_ap2193219.html [consulté le 14 mars 2014].
-
[23]
Selon trois méthodes, le concurrent direct Oumma.com, plus international, en propose huit, mais Al-kanz.org une seule.
-
[24]
Cette rubrique, mensuelle, est une reprise des articles publiés dans la rubrique éponyme du mensuel papier Salamnews.
-
[25]
Islam turc en France, hebdomadaire d’actualité (papier et internet), lié au mouvement Gülen.
-
[26]
La rubrique « Livres » permet aussi de diversifier les pensées présentées, elle inclut des ouvrages de penseurs musulmans « libéraux » comme Mohammed Arkoun ou Rachid Benzine et d’auteurs non musulmans.
-
[27]
Sont donc écartés les brèves, les communiqués, les points de vue et presque tout le contenu « froid » : livres, films, annonces, articles repris du mensuel papier Salamnews.
-
[28]
« Juifs et musulmans, frères amis ou ennemis ? 1400 ans d’Histoire commune », H. T. Nguyên, 22/10/2013.
-
[29]
Les enquêtes sur le fait religieux du Pew Research Center font, par exemple, l’objet de longs articles.
-
[30]
Par exemple : « François : un Pape 2.0, nouvelle star du web », M. Magassa-Konaté, 31/01/2014.
-
[31]
Par exemple : « YUMP [Young Urban Movement Project] : une académie pour les entrepreneurs de banlieue », M. Magassa-Konaté, 3/10/2013, « Les expulsions de Roms explosent en 2013, “la voie au racisme anti-Roms” », La Rédaction, 14/01/2014 (7 articles au sujet des Roms au cours de l’année analysée).
-
[32]
« Une mosquée pour gays et transsexuels musulmans en France », M. Magassa-Konaté, 6/11/2012 ; « Les associations de croyants gays condamnent les exorcismes et traitements destinés à “guérir” de l’homosexualité », M. Magassa-Konaté, 17/05/2012 ; « Islam, homosexualité et homophobie, Interview de Tareq Oubrou », H. Ben Rhouma, 29/05/2010.
-
[33]
« Mariage pour tous : les cultes auditionnés au Sénat, le CFCM catégorique », H. Ben Rhouma, 13 /02/2013 ; « Mariage pour tous : la mobilisation continue, les musulmans à l’offensive », M. Magassa-Konaté, 14/03/2013, malgré son titre l’article est consacré à la démarche du fondateur de l’association Homosexuels musulmans de France (HM2F) qui fait partie des personnalités auditionnées.
-
[34]
Par exemple : « Malek, Alice, Malika : les 50 prénoms interdits en Arabie Saoudite », La Rédaction, 17/03/2014.
-
[35]
« Théorie du genre : est-on conscient de la mainmise de l’extrême droite ? », M. Baker, 3/02/2014.
-
[36]
« “Théorie du genre”, homophobie, islamophobie... Lettre à Nabil Ennasri », J. Salingue, 12/02/2014.
-
[37]
Fatima Adamou, 24/02/2014.
-
[38]
Du 15/03/2013 au 14/03/2014.
-
[39]
Dont 13 % du Conseil français du culte musulman (CFCM), 15 % de l’Union des organisations Islamiques de France (UOIF), 5 % de la Grande Mosquée de Paris (GMP) et 1,5 % du Rassemblement des Musulmans de France (RMF), aucun de Foi et pratique (Tabligh) ni des Musulmans turcs (sauf une association locale), Africains ou encore chiites.
-
[40]
Principalement, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) (4,5 %), la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI) fondée par des membres du Collectif des musulmans de France (CMF), mouvance de T. Ramadan (5,3 %) et le Comité 15 mars et Libertés (émanation de l’UOIF) (6,8 %). Sur le CMF, voir Pingaud (2012).
-
[41]
Le Collectif 8 mars pour ToutEs, Collectif des Féministes pour l’Égalité, Commission Islam et Laïcité et Mamans Toutes Égales. Sur la « cause du voile » et les diverses associations, voir De Galembert (2009).
-
[42]
Principalement le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et la Ligue des droits de l’homme ; aussi La ligue de l’enseignement, La voix des Rroms, Sortir du colonialisme, Les indivisibles.
-
[43]
Notamment, Ligue française de la femme musulmane, Étudiants musulmans de France et Secours islamique de France.
-
[44]
Défendant une mosquée inclusive.
-
[45]
Dont trois de l’Union juive française pour la paix.
-
[46]
Service (catholique) des Relations avec l’Islam, Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne.
-
[47]
Autant pour Oumma.com, un seul vers Al-kanz.org et aucun vers Ajib.fr ou Islametinfo.fr.
-
[48]
http://temoignagechretien.fr/articles/le-supermarche-et-lagora. Ces assises ont accueilli 400 personnes et sont selon le journal catholique « un partenariat inédit dans l’histoire de la presse française entre un organe de presse chrétien et un autre musulman » ; Saphirnews et Salamnews apparaissent en effet sur le site de TC, aux côtés de cinq autres partenaires média : Youphil, Radio-Orient, J’aime l’info, Mediapart et Semaines sociales de France.
-
[49]
Une trentaine entre 2009 et 2013.
-
[50]
Qui mentionnne Saphirnews et Salamnews parmi sa vingtaine de revues partenaires.
-
[51]
Comme le souligne aussi Saïd Branine, directeur de publication de Oumma.com (Place de la toile, « Internet est-il un don de Dieu », 1/2/2014, France Culture).
-
[52]
Autres pays : Allemagne, Côte d’Ivoire, Espagne, États-Unis, Maroc, Palestine, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse, Tunisie.
-
[53]
Par exemple, l’ensemble des professions libérales 8 % [1 %], des enseignants 9 % [2,5 %] et des cadres 25 %, forment 42 % de l’échantillon, soit presque le double de la proportion de référence [22,9 %] [référence % national, INSEE 2012, http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF02135%C2].
-
[54]
Le manque de ressources humaines apportées par le bénévolat des retraités semble une caractéristique commune aux associations ou entreprises musulmanes culturelles et intellectuelles. Les retraités étant majoritairement des primo-migrants, ils ne sont pas (encore) concernés par ces problématiques. On peut supposer que l’arrivée à la retraite d’une classe d’âge née en France transformera significativement l’espace culturel de sensibilité musulmane (observation de l’auteure, corroborée par des propos d’acteurs de terrain).
-
[55]
Choix de l’item « souvent » (les autres étant : « parfois », « rarement », « jamais »).
-
[56]
L’appréciation positive du site (« me plaît beaucoup » / « me plaît plutôt ») est renforcée par le mode de prescription, touchant les lecteurs les plus motivés : choix des sujets (47/47 %), qualité des articles (39/55 %), présentation (32/59 %), diversité des points de vue (32/50 %).
-
[57]
Qui a fait l’objet de plusieurs articles critiques dans le média étudié.
-
[58]
Terme choisi pour englober médias « musulmans », « maghrébins », « africains »…
-
[59]
On y trouve aussi bien de longs articles sur le soufisme (avec notamment 22 contributions du spécialiste universitaire E. Geoffroy), que sur la théologie musulmane de la libération.
-
[60]
Voir note 5.
-
[61]
Deux tiers des répondants (142) ont répondu aux questions ouvertes. Cependant, ils n’ont pas abordé tous les thèmes (et certains n’ont pas répondu aux quatre questions) donc un pourcentage bas s’avère ici plus significatif que dans des questions fermées.
-
[62]
Pour caractériser ces acteurs musulmans, on peut à profit se référer à la typologie de Jacques Lagroye sur les configurations du rapport à la vérité et à l’orthodoxie au sein du catholicisme, d’autant plus que le sentiment de crise est aussi très présent en contexte musulman. Il distingue deux voies. L’une se recentre sur l’affirmation de certitudes religieuses (régime de vérité). La seconde fait place à l’expérience (régime de témoignage) et à la diversité qui en découle.
-
[63]
Deux ont été salariés pendant un an et demi à deux ans, et au moins trois stagiaires pendant un à trois mois. Ces informations m’ont été communiquées par un des responsables et recoupées avec les autres interviews.
-
[64]
« On n’est pas dawatique », souligne une journaliste, ce qui signifie « on ne dit pas ce qu’est le “bon” islam ».
-
[65]
Outre les liens réciproques avec les médias partenaires, déjà évoqués plus haut. J’ai effectué des comptages sur les sites de plusieurs médias : en 2013, sur France-Culture.fr, 4 liens vers Saphirnews (à côté de médias généralistes ; 2 pour Oumma). Entre 2010 et 2013, La Croix le mentionne 23 fois dans des articles, plus 6 sur Urbi et Orbi (5 : Oumma ; 3 : Al-Kanz) ; Libération, 8 fois (idem : Oumma) ; Le Monde, 9 fois. Par rapport aux autres
médias « musulmans » (principalement les trois mentionnés), Saphirnews est en général repris comme une source d’information et non comme une position engagée. Une comparaison plus systématique des sites et de leur perception reste à réaliser. -
[66]
Par exemple, en un an (octobre 2012-septembre 2013), la journaliste spécialiste du fait religieux du Monde a retwitté 17 fois Saphirnews (il s’agit de liens vers des articles justes parus), 3 fois Oumma, 2 fois Al-kanz et 1 fois l’UOIF.
-
[67]
Göle (1997), Kissau & Hunger (2010), Rigoni (2005, 2010, 2012), Salvatore (2007).
-
[68]
« Le public consiste en l’ensemble de tous ceux qui sont tellement affectés par les conséquences indirectes de transactions qu’il est jugé nécessaire
de veiller systématiquement à ces conséquences » (Dewey, 2010, p. 95). Un individu peut appartenir à plusieurs publics. -
[69]
Il s’inscrit dans une série d’évènements débutant avec la révolution islamique d’Iran, contribuant à la mise en altérité de l’islam.
-
[70]
Pour une discussion de ce concept, voir A.-S. Lamine (2013, p. 159-160). Cette attitude n’est évidemment pas propre aux musulmans, C. Béraud (2007, p. 226-232) montre des phénomènes similaires en contexte catholique.
1 Si les travaux sur la pluralité ethnique et religieuse se multiplient en France et en Europe, ceux sur la pluralité interne des groupes religieux restent encore peu nombreux, notamment concernant l’islam. À cet égard, les médias musulmans en ligne peuvent s’avérer de précieux terrains d’investigation. En effet, outre les divers types de rapport à la religion, ils expriment des manières très différentes de se rapporter à la société française et de réagir à une mésestime sociale (Honneth, 2007, p. 164) dont la prévalence et l’intensité justifient le qualificatif d’islamophobie [2] (Hajjat & Mohammed, 2013, 2014). C’est pourtant une autre observation qui m’a conduite à choisir le média dont l’analyse est présentée ici, alors que mes recherches portaient sur la pluralité religieuse en France. La « Rencontre annuelle des musulmans de France » organisée par l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) au Bourget et accueillant plus de 150 000 visiteurs (selon ses organisateurs) s’avérait éclairante pour repérer des éléments de cette diversité. L’évènement tient à la fois de la foire ethnique, du rassemblement militant et même – du moins dans l’expérience vécue par nombre de jeunes qui convergent en bus de diverses villes de France – du « mini-pèlerinage [3] ». J’ai cependant été intriguée de constater que Saphirnews en était le partenaire média, alors que ma lecture des principaux sites musulmans d’information me menait à considérer sa ligne éditoriale comme nettement plus pluraliste que l’orientation générale de l’UOIF. Il y distribuait son mensuel papier Salamnews dans lequel les femmes photographiées sont rarement voilées et dont la lecture de dossiers tels que « Tout est bon dans le cochon », avec un focus sur le réfrigérateur des couples mixtes, agrémentait les temps indéterminés d’attente à l’entrée du hall de conférences. Une investigation plus poussée a confirmé la pertinence de ce choix comme révélateur de la diversité intra-musulmane et comme analyseur d’un mode de fabrication du commun à partir du particulier. [4]
2 Apparus au début des années 2000, les médias musulmans en ligne sont encore très peu analysés. Dans le contexte français, les travaux sur l’usage d’internet par des acteurs religieux ont principalement porté sur le catholicisme (Jonveaux, 2007, 2013) et sur le protestantisme (Kirschleger, 2011). Des recherches ont aussi été menées sur les médias de minorités, en perspective européenne comparée (Rigoni, 2005, 2010 ; Rigoni & Saitta, 2012). En ce qui concerne la référence musulmane, on connaît certes la dynamique transnationale d’internet (Roy, 2002, p. 165-183), son rôle dans les réseaux prosélytes et notamment salafistes (Thomas, 2008), mais la présence de l’islam « ordinaire » sur internet demeure quasiment inexplorée. Dans une perspective internationale, les médias religieux en ligne font l’objet d’une attention grandissante (Dawson & Cowan, 2013 ; Bunt, 2009 ; El-Nawawy & Khamis, 2009 ; Campbell, 2012). Par ailleurs, les sociologues des médias ont analysé le développement de la presse en ligne (Dagiral & Parasie, 2010 ; Estienne, 2007), son pluralisme (Rebillard, 2012), sans cependant inclure la dimension ethnico-religieuse.
3 Analyser un « média de minorité » pose la question du rapport entre identité particulière et espace public ou, plus largement, entre « groupes minoritaires » et monde commun. Dans les travaux sur l’espace public et la reconnaissance, les publics alternatifs sont souvent considérés comme des « contre-publics subalternes » (Fraser, 2005) ou des « mouvements culturels contre-hégémoniques » (Macé, 2005), en s’appuyant sur une relecture critique de l’approche habermassienne de l’espace public. Une autre perspective, pragmatiste et inspirée de John Dewey (2010), se réfère à la formation de « publics » affectés par un ensemble de transactions sociales effectuées par d’autres4. Cette approche peut compléter la première, notamment parce qu’elle rend attentif à la possibilité de participations à la résolution des problèmes communs par des formes d’association « pré-politique » (Honneth, 1999).
4 Cet article propose de contribuer à l’investigation des rapports entre groupes minoritaires et espace public, à travers l’analyse de SaphirNews.com, né en 2002, qui, avec ses 700 000 visites mensuelles, se place parmi les quatre sites de référence musulmane les plus fréquentés en France, au moment de l’enquête [5]. Pour cela, je présenterai d’abord le contexte français et son « problème musulman » (Hajjat & Mohammed, 2013). Je montrerai ensuite, en décrivant la naissance de ce média et en analysant son contenu et son public, qu’il s’avère un analyseur pertinent de la diversité intra-musulmane, en le situant au sein du paysage musulman français. Enfin, l’examen de l’effort de normalisation médiatique entrepris par les acteurs du site me permettra de discuter de la place d’un média minoritaire dans l’espace public français et du type de « public » qu’il révèle.
Un contexte de mésestime sociale
5 L’analyse d’un média musulman nécessite de le situer dans le contexte de mésestime sociale vécue par le groupe auquel il s’adresse. Les représentations sociales de l’islam et des musulmans en France sont à la fois attestées et renforcées par des sondages réguliers et largement médiatisés. Dans l’un d’eux, intitulé « France 2013, les nouvelles fractures » [6], deux questions portent sur les religions « telles qu’elles sont pratiquées en France ». À la première, 74 % des personnes interrogées répondent positivement aux items selon lesquels l’islam est « plutôt pas / pas du tout compatible avec les valeurs de la société française » (37 % / 37 %). À la seconde, 80 % des répondants approuvent l’affirmation que l’islam « cherche à imposer son mode de fonctionnement aux autres »7.
6 Quelles que soient les convictions et les pratiques réelles des personnes de cultures musulmanes, leur appartenance est souvent confondue avec celle des plus rigoristes d’entre elles. Leurs concitoyens adhèrent massivement à l’idée qu’une identité religieuse affirmée n’est pas compatible avec une aptitude au pluralisme. Cette différenciation soutenue à l’égard des musulmans (vus comme appartenant à une culture-religion essentialisée et homogène) s’appuie fortement sur une supposée incompatibilité des valeurs, ce qui a mené certains auteurs à utiliser le terme de contre-identification collective servant d’appui aux discours sur l’identité nationale (Lorcerie, 2014, p. 23). [7]
7 A contrario de ces discours et de ces représentations, des enquêtes académiques soulignent une réelle convergence entre la population de culture musulmane et le reste de la population française, à bien des égards. Plus de 80 % des musulmans interrogés approuvent la phrase « en France, seule la laïcité permet à des gens de convictions différentes de vivre ensemble » (Brouard & Tiberj, 2005, p. 37). Ces derniers sont également (ou plus) positifs (à l’exception de ce qui concerne le logement) à l’égard de la République et de la politique que les autres Français. Leur principale spécificité est d’entretenir avec leur religion une relation plus intense (croyance en Dieu et prière) que le reste des Français. Il serait pourtant erroné d’en déduire un repli plus important que la moyenne des Français sur l’entre soi. Ainsi 5 % déclarent qu’ils scolariseraient leurs enfants dans une école confessionnelle musulmane s’ils en avaient la possibilité alors que 67 % souhaitent que de telles écoles existent, exprimant l’aspiration à un traitement égalitaire de leur confession (Ibid., p. 51, 30 et 34). Une autre étude, fondée sur l’enquête « Trajectoires et origines » (TeO) de l’INED, met en évidence un taux d’endogamie très voisin de celui des membres d’autres religions et un taux d’homophilie (choix des amis) plus faible (43 %) que celui des athées-agnostiques (51 %) ou des catholiques (65 %) (Simon & Tiberj, 2013, p. 11-16). L’attitude de repli sur le groupe, si elle est avérée dans des cas particuliers, comme dans la mouvance salafiste (Amghar, 2011), est donc loin d’être statistiquement significative.
Méthodologie de l’enquête
8 Les enquêtes annuelles de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) montrent un rejet croissant de la visibilité musulmane (ramadan, prières, fêtes, consommation alimentaire, voile) (Mayer et al., 2014, p. 157-208, pour le plus récent). En s’appuyant sur ces enquêtes ainsi que sur une approche socio-historique comparative, certains auteurs démontrent la pertinence du concept d’islamophobie qu’ils définissent comme le « processus social complexe de racialisation/altérisation appuyée sur le signe de l’appartenance (réelle ou supposée) à la religion musulmane, dont les modalités sont variables en fonction des contextes nationaux et des périodes historiques » (Hajjat & Mohammed, 2013, p. 98). [8]
9 Les musulmans répondent individuellement ou collectivement (médias, associations) de diverses manières à ce décalage entre la réalité vécue et ses représentations. Les réponses aux questions ouvertes de mon enquête en ligne offrent un aperçu de la perception du traitement médiatique de l’islam par le lectorat du média étudié :
Je n’en peux plus du “matraquage” médiatique sur les musulmans de France alors que la plupart des musulmans vivent en paix ici. On se sent de plus en plus mal à l’aise dans cette atmosphère.
Saphirnews apporte des connaissances, de la réflexion, de l’intelligence dans les débats qui touchent les musulmans, démarche importante dans un climat médiatique ambiant dégradé (et où circulent aussi des médias dits musulmans pas de bonne qualité).
12 Si les termes employés, « matraquage médiatique » ou « climat dégradé », attestent de l’intensité du sentiment de mésestime sociale, la critique du traitement médiatique généraliste de l’islam ne mène cependant pas à une approbation générale des médias musulmans.
Un média « musulman » comme révélateur de la diversité intra-musulmane en France
13 SaphirNews.com se définit comme « quotidien musulman d’actualité » (intitulé du site). Par ailleurs, au moment de l’enquête, ses responsables et journalistes présentent une identité musulmane assumée (incluant le port du foulard pour les femmes). Ce qualificatif provisoire de média « musulman » sera discuté dans la troisième partie.
Écrire pour se former, pour se relier puis pour informer
14 Si le site SaphirNews.com naît en 20028, la formation du noyau fondateur remonte au début des années 1990. Ses deux concepteurs sont alors lycéens à Dreux et se lassent de la seule option musulmane locale, la piété littérale de la mosquée Tabligh [9] :
On avait quelque chose de particulier à Dreux : c’est l’écrasante majorité Tabligh. Certains [musulmans] d’ailleurs pensaient que l’Islam se réduisait au Tabligh, à cette époque-là. Et on était quelques jeunes à pouvoir sortir de cette vision-là, parce qu’on venait écouter des conférences à Paris et notamment des conférences organisées par l’AEIF [Association des étudiants islamiques de France] […]. Ça nous a ouvert des portes. Donc, on a constitué un petit groupe [local, à Dreux], où on essayait d’échanger, de voir une autre manière d’exprimer l’Islam que celle de Tabligh. Parce qu’on était très frustrés de ne pas pouvoir associer nos études à notre conviction. Parce que, pour eux, [les études] c’était ce qui éloignait les musulmans de leur foi !
16 Désireux de mieux connaître leur religion et de pouvoir en discuter, ils se rendent donc aux rencontres de l’AEIF. Cette association a joué un rôle formateur pour les membres fondateurs du site Saphirnews et de la revue papier Saphir, le médiateur qui lui a précédé. Pour autant, ces deux médias naissent et se développent tout à fait indépendamment de l’AEIF. Il s’agit donc de comprendre comme la formation obtenue au sein de l’AEIF a été une ressource essentielle pour des projets ultérieurs.
17 Fondée en 1962, l’AEIF rassemble, autour de Muhammad Hamidullah [10], des étudiants étrangers de passage en France (majoritairement en troisième cycle ou en doctorat). Comme le souligne un témoin de la période du début des années 1990 : « Le niveau intellectuel des étudiants de l’époque […], c’était impressionnant ! Je leur reste redevable de leur manière d’aborder les problèmes » [B., ancien membre de l’équipe, environ 45 ans]. Ce cadre est d’autant plus précieux qu’il est rare à cette période : « De toute manière, quand on voulait avoir accès à un discours, à des débats sur l’Islam, avec une profondeur intellectuelle, il n’y avait pas beaucoup d’endroits ! ». L’association permet aussi de rencontrer une grande diversité de sensibilités et de cultures musulmanes : « Sa force c’est qu’elle était capable d’englober la diversité. Il y a même eu des périodes où il y a eu des chiites ». Mais comme le souligne ce même ancien membre de l’équipe (qui fut actif à l’AEIF au début des années 1990), cette force a un revers : « sa faiblesse, c’est que le socle commun est fragile » en plus « sans leadership » ni « structures pyramidales ». Dans ce lieu de formation, l’apport est loin de se limiter à des contenus de savoir, il est aussi dans la méthode d’apprentissage actif mise en œuvre au sein de l’association : [11]
Il y avait un travail interne ! C’est-à-dire, des gens préparaient des exposés ! Il n’y avait pas de personnalité particulière qui venait plus qu’une autre ! C’est justement ça, l’avantage de cette école, c’est que tout de suite, on apprend à être acteur ! Et à se former et s’autoformer ! Et c’est ça qui est intéressant dans la démarche de l’AEIF ! Moi, très tôt, j’ai fait des exposés sur des sujets ! On fait un exposé, puis après on fait un débat sur ça ! Et donc après, il y a des écoutes différentes des contributions ! [B., ancien membre de l’équipe, environ 45 ans]
19 La méthode implique aussi une réflexivité sur les activités menées, qui restera un réflexe dans les engagements ultérieurs :
B. m’a demandé de venir, qu’il allait faire un bilan de ses activités [la revue Le Musulman Junior dont il sera question plus loin]. Ça, c’est la méthode qu’on avait à l’AEIF. Chaque fois qu’on veut changer, on fait un bilan écrit, on passe le relais. C’est une méthode Hamidullah, clair ! Aujourd’hui, j’en parle comme une « méthode Hamidullah », mais à l’époque, ça se faisait comme ça ! C’est tout ! [H., ancien membre de l’équipe, environ 50 ans]
21 Le milieu de l’AEIF est donc stimulant et formateur pour ces jeunes adultes. Cependant, les préoccupations de l’association s’avèrent globalement fort éloignées des expériences vécues par la majorité des jeunes musulmans nés et scolarisés en France. Le second témoin de cette période, un peu plus âgé, et qui fut membre actif de l’AEIF dès le milieu des années 1980, souligne aussi le décalage entre le niveau intellectuel des activités (et publications) de l’association et les aspirations des jeunes musulmans français :
Je voyais vraiment que ce que nous faisions à l’AEIF était très intéressant, mais inutile sur le plan social ! Nous parlions d’épistémologie… Quand je voyais que les musulmans… Les jeunes musulmans… “Épistémologie”, bonjour, quoi ! Je veux dire… (Rire) Voilà ! Alors, on était là, à dire “herméneutique du Coran”, euh… Je suis désolé, quoi ! Moi, je leur disais [aux membres de l’AEIF] : “Non ! On n’y est pas !” […] Je voyais bien que mes activités dans les mouvements musulmans n’avaient rien à voir avec la réalité du terrain. […] Les gamins, ils ne savaient rien […]. Et même ceux qui s’intéressaient à l’islam et qui voulaient lire, qui aimaient lire, n’avaient rien à lire !
23 L’AEIF, en plus de ses cercles d’étude, publie une revue trimestrielle, Le Musulman, d’abord de 1972 à 197511 puis de 1987 à 1996. La même personne (H.), qui a participé à la relance de cette revue en 1987 se remémore le désintérêt qu’elle suscite auprès de ses jeunes coreligionnaires, en dépit de ses efforts pour la faire connaître :
Je suis allé faire la promotion de la revue Le Musulman à Lyon. […] Quand ils lançaient le mouvement [de jeunes musulmans], j’y suis allé avec mon journal, très bien fait et tout, pour faire la promotion. Les jeunes, j’ai vu les jeunes prendre le journal, le retourner comme un objet précieux et le reposer, quoi !
25 En dehors des cadres militants, il constate aussi que la connaissance de l’islam est le plus souvent minimaliste. « L’islam pour eux se résumait à deux choses : “Je ne mange pas de cochon et je ne bois pas d’alcool” ». C’est à la suite de ce type d’expériences qu’il décide de fonder une revue à destination des jeunes, toujours dans le cadre de l’AEIF, mais avec une certaine autonomie. Les responsables de l’association ne sont pas convaincus de cette nécessité, mais ils le laissent lancer son projet, ce sera le Musulman Junior, trimestriel aussi, qui démarre en 1992 et tient un an et demi. Le nouveau journal est porté par un petit groupe d’étudiants, dirigé par l’un d’entre eux et entraîné par cet aîné (alors trentenaire et enseignant, de formation scientifique) qui les forme aussi à l’écriture.
Ces jeunes que j’ai réunis à l’AEIF, on a travaillé à écrire des articles. On a fait des cercles d’écriture, on est venu, on a critiqué des articles qui existaient déjà dans d’autres journaux. C’est du bricolage parce que moi-même, je n’ai pas de formation de journalisme.
27 L’AEIF en dépit de ses tendances élitistes, aura donc été une ressource essentielle pour la suite : lieu d’autoformation par la préparation et la discussion d’exposés, puis de formation à l’écriture d’articles. Ce cadre a aussi permis de tisser des liens intra-générationnels ainsi qu’avec certains aînés dont certains deviendront ensuite des références vers qui on peut se tourner pour un avis ou un conseil, notamment Larbi Kechat [12].
28 Quelques années plus tard, en 1997, un petit groupe se reforme, à l’instigation de B., qui a dirigé l’éphémère Musulman Junior. Mais cette fois, le projet n’a plus aucun lien avec l’AEIF. Ils sont animés par une franche envie « de faire quelque chose de manière libre » et de réagir au manque de littérature islamique adaptée, comme l’exprime un des fondateurs (B.) : « Dans la communauté musulmane, on manquait cruellement de… de lectures ! Les livres, ils étaient tous traduits au Liban et amenés, importés en France et vendus au kilo, hein ! ». Mais leur motivation s’appuie aussi sur le sentiment d’une tension entre l’islam idéalisé et la réalité du contexte social :
Nous, on avait bien senti qu’il y avait deux rives, qui s’étaient créées ! Il y avait l’Islam pur, euh, pourquoi pas orthodoxe ? Et puis, il y avait la réalité très loin de ces idéaux et on s’est dit : “Il faut un médiateur !”. Et voilà ! C’était l’idée de ce journal ! […] Et nous, on est les enfants de ces deux rives. On est au milieu et on essaye de faire en sorte que les deux parties se comprennent, s’acceptent ! Donc l’idée, c’était la ligne rédactionnelle, c’était : on lâche pas ! On ne fait pas de concessions sur l’Islam ! Mais en même temps, on est sensible au contexte ! On est sensible au point de vue des autres, à leur manière de nous voir aussi ! Et donc, on essaye de répondre… avec le plus de fluidité possible aux problématiques, qui se posent […] L’idée de Saphir, c’est ça, quoi ! C’est le contexte ; les sources et comment euh… rendre compatible ? Et comment trouver un compromis ?
30 Le nom du journal est trouvé : ce sera Saphir, le médiateur, « parce qu’en français, c’est une pierre précieuse [13]. Mais en arabe, ça veut dire “l’ambassadeur” [14] ». L’idée de rassembler les deux rives, celles internes de l’islam, avec d’un côté des musulmans de tendance littéraliste et de l’autre des musulmans, tout aussi croyants et pratiquants, mais plus accommodateurs (Venel, 2004). La première tendance est typique des convertis de l’intérieur qu’un des fondateurs décrit ainsi, analysant leur besoin de rigueur :
Ceux qu’on appelle les born again. C’est des gens qui reviennent à l’islam et qui ont besoin d’affirmer un islam “dur” […]. C’est pas vraiment une pensée affirmée, parce qu’ils sont en pleine construction eux-mêmes ! Mais, ils ont besoin de se construire sur quelque chose de strict. Ils viennent avec cet état d’esprit et donc forcément, quand ils voient quelque chose qui leur paraît un peu trop libéral, un peu trop éloigné de l’Islam, ils vont être un peu contre.
32 Ceux qui rejoignent le groupe sont étudiants, musulmans et français. Le premier numéro de ce magazine papier éphémère, Saphir le Médiateur, sort fin 1999, le second l’année suivante. Mais la réalité économique n’est pas compatible avec la pérennité d’une revue papier. Cependant, les évolutions technologiques tournent bientôt à l’avantage de l’équipe, d’autant plus que l’un d’entre eux est informaticien. Puisque le papier n’est pas viable, internet sera la solution. Concomitance des possibilités techniques et du contexte, le véritable déclic est le choc du 11 septembre 2001. Pour les anciens lycéens, devenus de jeunes professionnels, le choc de l’attentat se double des propos « les plus détestables » de leurs collègues sur les musulmans [15].
[Le patron] m’a demandé tout de suite de monter une télé [sur son ordinateur de bureau]. […] J’avais tous les cadres, qui étaient venus dans mon bureau et qui s’exprimaient sur l’évènement ! Et là, pour moi, ça a été un choc ! J’avais tous les termes les plus… Je dirai les plus détestables, qui s’exprimaient dans mon bureau, face à des images très dures à accepter et : “Voilà ! Encore les Arabes ! Voilà ! Voilà!...” Vraiment des expressions… Et là, c’était ouvert… J’avais tous les… les collègues, hein ! Avec qui je déjeunais tous les jours, qui employaient des termes hyper choquants !
34 De là naît leur détermination à créer une « source d’information de référence » sur le fait musulman. Le projet se forme avec une trentaine d’étudiants et de jeunes professionnels, tous bénévoles. La mise en ligne a lieu en avril 2002. Pour les promoteurs du projet, il s’agit avant tout de communiquer une autre intelligibilité du fait musulman : « Il faut qu’il y ait des gens disposés à parler d’Islam, sans être militants […] de manière saine, de manière apaisée, de manière correcte » [H.]. [16] [17] [18]
Donc, à un moment donné, ce manque de communication autour de l’islam faisait qu’on pouvait plus lire les journaux ! Moi, je mettais la télévision en marche en disant : « Qu’est-ce qu’ils vont dire encore ? » Quand je mets la radio le matin, je fais : « Qu’est-ce qu’ils vont dire encore ? ». Voilà ! Donc, il arrive un moment, tu te dis : « Oui, donc, il y avait ce besoin quand même ! » On vit une situation d’étouffement… Donc, il fallait, même si ça n’avait pas marché, je crois qu’on aurait continué ! Au moins pour pouvoir dormir tranquille, pour pouvoir se regarder et être fier de soi, dans la glace, voilà !
L’ambition est d’emblée affichée, l’équipe vise à devenir une source d’information fiable et vise à être reconnue comme telle aussi bien par le public musulman que par les journalistes des médias généralistes : « Le but clairement, pour nous, était de devenir une référence certes, auprès du public musulman puisqu’on répondait à des besoins, mais surtout auprès des journalistes ! On deviendrait une source d’information pour ces journalistes ! »
Du bénévolat à la professionnalisation
37 Les premières années fonctionnent sur le principe du bénévolat. Des sessions internes de formation sont organisées, on invite une journaliste professionnelle, une anthropologue, le président d’une ONG catholique16 (CCFD) ou encore un intellectuel musulman libéral. À partir de 2006, le journal salarie une puis plusieurs journalistes. Dans l’intervalle, les deux fondateurs ont aussi été bénévoles, tout en travaillant dans de grandes entreprises17.
38 Aujourd’hui, l’un des fondateurs, Mohammed Colin, est directeur de publication de Saphirnews (et de Salamnews) et l’autre, Mourad Latrech est directeur commercial, le média s’adossant à une société de communication qui permet d’assurer le back-office et la location du siège. L’équipe de journalistes est actuellement composée de trois femmes18. Hautement qualifiées (master pour le moins [19]), avec une longue expérience dans l’édition pour l’une, et de courtes expériences dans d’autres médias pour les deux autres, elles ont été recrutées en 2008, 2009 et 2012. L’une est aussi rédactrice en chef du mensuel papier gratuit Salamnews lancé par la même équipe de fondateurs en 2008, afin notamment d’accroître les revenus publicitaires [20]. Elle ne consacre donc qu’une partie de son temps à Saphirnews, assurant les rubriques « froides » : culture, livres, films, spectacles, ainsi que l’interface avec les contributeurs extérieurs et les partenaires.
39 Le site Saphirnews se présente comme un « quotidien sur l’actualité musulmane » et revendique environ 700 000 visites par mois [21] (300 000 en visite unique) avec un pic d’un million lors du mois de ramadan (700 000 en visite unique). Le second chiffre suggère qu’une partie des visites correspondent à des clics de personnes qui cherchent une information sur l’islam à cette période. La très grande majorité des visites viennent de France (90 %). Le média revendique aussi 26 000 articles en libre consultation et 60 000 abonnés à sa newsletter [22].
Analyse de contenu du site
40 Du point de vue de sa forme, le site suit le modèle des professionnels de la presse : titrage, mise en page, rubriques, dessin satirique lié à l’actualité, publicité pour l’application mobile ou encore place des annonceurs publicitaires. Un œil averti décèlera un discret rectangle orange, au bout de la barre principale de menu permettant d’accéder aux horaires de prière [23]. Les rubriques principales sont « Société », « Religion », « Économie », « Monde », « Culture & médias ». À cela s’ajoutent les rubriques « Point de vue » qui rassemble les articles écrits par des auteurs extérieurs à la rédaction et « Communiqués officiels » émanant de contributeurs institutionnels ou associatifs, ainsi que « Films, livres, spectacles », « Agenda » et « Psychologie » [24]. L’information est quotidienne. La « une » change chaque jour. Elle comporte, sur le bandeau supérieur, quatre titres en « déroulé », accompagnés de leurs visuels (photos). La première page donne aussi accès à l’ensemble des unes récentes, aux diverses rubriques et à la liste des articles les plus consultés.
41 Les journalistes de l’équipe de rédaction écrivent en moyenne 120 articles par mois en tout. Dix à quinze autres sont repris de médias partenaires (principalement Zamanfrance.fr [25], Religioscope.com et Témoignage-chrétien.fr) et une quinzaine émane de contributeurs extérieurs, réguliers ou occasionnels, soit 10 % de l’ensemble. Il s’agit de textes historiques, philosophiques, sociologiques, d’auteurs musulmans, mais aussi d’intellectuels ou de collectifs non-musulmans qui donnent ainsi un écho à leurs écrits et à leurs réflexions [26]. Enfin, une dizaine de « communiqués officiels » d’associations ou organisations sont publiés chaque mois dans la rubrique dédiée. Comparativement aux médias minoritaires ou militants, la part proprement journalistique est donc élevée.
42 Les articles portent principalement sur le fait social musulman, mais aussi sur des sujets sociaux comme l’entreprenariat en banlieue ou le racisme (en général ou à l’égard de groupes spécifiques). Une analyse thématique systématique des 308 unes parues entre octobre 2012 et septembre 2013 permet de déterminer les types de sujets privilégiés par la rédaction, puisqu’il s’agit dans la pratique des articles les plus consistants [27]. Les articles des pages culturelles paraissent occasionnellement en une, pour des événements exceptionnels qui font l’objet d’une analyse (et éventuellement d’une promotion, par le biais de DVD ou de places à gagner), par exemple, la sortie sur la chaine Arte en 2013 de la série de 4 films documentaires Juifs et musulmans, si loin si proches, de Karim Miske [28].
43 Un tiers des unes (34 %) traite de sujets religieux [29], dont 14 % sur le ramadan ou le pèlerinage, 14 % sur les organisations musulmanes et 6 % sur des sujets interreligieux [30] (soit un sixième des sujets religieux). Un petit tiers (30 %) porte sur des sujets économiques et sociaux, dont 8 % sur la solidarité, le lien social et les banlieues [31], 9 % sur des questions économiques telles que le halal, l’abattage, la finance ou la création d’entreprises et 13 % sur d’autres sujets sociaux comme le mariage, l’éducation ou la vie quotidienne. Un bon cinquième des articles (22 %) porte spécifiquement sur le racisme et les discriminations (16 %) ainsi que sur le traitement médiatique de l’islam (6 %). Enfin, 14 % des articles relèvent de la rubrique monde (3 % Israël-Palestine ; 3 % minorités musulmanes en Asie ; 3 % pays arabes et Turquie).
44 Les sujets traités par les journalistes font, en général, place au pluralisme des points de vue et à la recherche d’informations contradictoires, comme le montre par exemple le thème de l’homosexualité et du mariage pour tous. Divers acteurs sont interviewés, le responsable d’une association de musulmans homosexuels promoteur d’un lieu de culte « inclusif », un théologien [32]. Lors de l’audition par le sénat des représentants des cultes puis des personnalités religieuses favorable au mariage pour tous, deux longs articles présentent et analysent les positions [33]. Les avis religieux islamiques sont occasionnellement mentionnés, mais sur un mode informatif et souvent critique. Ils concernent des cas lointains : l’Inde, la Malaisie, l’Indonésie ou encore la Syrie et l’Arabie Saoudite, qui interdisent les dessins animés, les croissants, le yoga, l’épilation intégrale ou certains prénoms : « Une fois de plus, le royaume saoudien se fait remarquer par ses interdits des plus farfelus » [34].
45 Les auteurs externes contribuent aussi au pluralisme, par exemple, suite aux polémiques sur le genre, en posant la question de la mainmise de l’extrême-droite [35], en publiant une lettre ouverte dénonçant la position du président du Collectif des musulmans de France [36] ou en titrant « L’égalité des musulmans et des musulmanes, en théorie seulement » [37]. Si, dans ce domaine des valeurs morales et familiales, la position majoritaire est conservatrice (Brouard & Tiberj, 2005, p. 79-94), à l’instar de celle des catholiques, les voix minoritaires sont aussi audibles. La conflictualité interne des militances musulmanes est traitée à l’occasion du reportage sur les deux manifestations parisiennes concurrentes commémorant les 10 ans de la loi du 15 mars 2004, l’une inter-associative (mixte) et l’autre rejetant tout « paternalisme ».
46 Enfin, des communiqués apportent une contribution significative au site, puisque dans la période étudiée (un an), leur nombre s’élève à 133. La presse généraliste s’appuie sur l’information factuelle de communiqués d’agences (AFP, Reuters…) et cite éventuellement des extraits de ceux des institutions, partis, entreprises ou autres. Par ailleurs, les rédactions Web pratiquent davantage la réécriture que l’écriture, du fait de la petite taille des équipes et des formats requis (Estienne, 2007, p. 174-175). Tel n’est cependant pas le cas du média analysé. Ses journalistes se déplacent, effectuent des interviews et des enquêtes et écrivent leurs propres articles. La rubrique « communiqués officiels » permet donc au média de partager une information « brute » à la source et de diversifier l’information. Les contributeurs sont en majorité des organisations musulmanes, mais aussi des associations (ou collectifs) « mixtes » (musulmans et non musulmans) et des associations non musulmanes. Parmi les 133 communiqués publiés en un an [38], 39 % émane d’organisations (ex-)membres du CFCM [39]. Ses opposants s’expriment aussi par la voix de « Mosquées et musulmans solidaires », fondé en juin 2013, suite aux élections, et qui titre sur « la faillite du CFCM » (4 %). Une autre fraction importante (40 %) émane d’associations et collectifs militant pour les droits de l’homme, contre le racisme, l’islamophobie ou les mesures « anti-foulard », dont la moitié (20 %) se focalise sur la lutte contre l’islamophobie [40] ; un huitième (4 %) comprend des collectifs mixtes (incluant des non-musulmans) sur des thématiques d’égalité et de liberté [41] et deux cinquièmes (16 %) émane d’associations de luttes pour les droits de l’homme [42]. On lit encore une dizaine de communiqués d’associations musulmanes spécifiques [43], deux d’organisations soufies, deux des Musulmans progressistes de France [44], six de défense des Palestiniens [45] et deux de chrétiens [46]. Au-delà de son éclectisme à la Prévert, cette liste révèle la diversité des organismes qui sont disposés à utiliser ce média comme relai d’information, des organisations rigoristes aux progressistes, en passant par des soufis ou des associations non confessionnelles de défense des droits de l’homme.
47 Réciproquement, il n’est pas surprenant que le média soit reconnu au sein de l’islam institutionnel, visible aussi par la trentaine de liens du site du CFCM [47], ou, depuis 2012, le partenariat média avec le rassemblement annuel du Bourget organisé par l’UOIF mentionné en introduction et dont le public déborde très largement ses membres et sympathisants.
48 Des liens se sont aussi progressivement tissés avec des partenaires extérieurs, comme en atteste la présence de leurs logos sur le site. Les collaborations ponctuelles ou régulières prennent la forme d’organisation conjointe d’événement ou d’échanges d’articles. Ainsi, l’hebdomadaire catholique de gauche Témoignage Chrétien (mensuel depuis 2012) leur propose de co-organiser en 2011 des Assises nationales de la diversité culturelle [48]. On a mentionné plus haut les échanges d’articles avec Zamanfrance.fr et la reprise d’articles de Religioscope49. D’autres partenariats portent sur des manifestations culturelles, comme avec l’Institut des cultures d’islam de Paris pour ses expositions et soirées-débat, avec la revue Altermonde50 pour des projections de films documentaires, avec Fondapol, pour un débat public et avec divers producteurs de films (plutôt « ethniques », au sens large, du Maghreb à Bollywood) : un article présente le film et offre des places à gagner pour les lecteurs.
Enquête sur le lectorat
49 Si le Web offre un moyen d’expression plus accessible que le média imprimé, ceux qui s’en emparent ne sont qu’une minorité d’internautes. Les spécialistes des usages du Web soulignent qu’il n’est pas rare qu’un centième des utilisateurs fournisse la moitié des réponses sur des forums d’entraide (Barats, 2013, p. 216). Les internautes les plus actifs sont donc très nettement surreprésentés dans les commentaires d’articles. Les commentaires critiques de sensibilité salafiste peuvent être particulièrement nombreux sur certains articles de Saphirnews.com ou de Oumma.com [49] [50] [51], alors que l’on peut faire l’hypothèse que leurs auteurs ne sont pas très nombreux (n’y trouvant pas le type de normativité qu’ils recherchent). On observe aussi des commentaires critiques écrits par des non-musulmans (surtout de la « réactosphère »).
50 J’ai réalisé une enquête par questionnaire sur le lectorat, qui était accessible en page d’accueil du site pendant un mois (octobre 2013). Elle comportait des questions à choix multiples portant sur l’évaluation et les usages du site et sur la sociographie des répondants ainsi que des questions ouvertes sur les autres médias consultés, les points forts et faibles du média, les sujets souhaités et une possibilité de commentaire libre. Cette méthode présente les limites du questionnaire auto-administré, en particulier de toucher les internautes les plus motivés. Si elle ne peut prétendre donner des informations générales sur l’ensemble des lecteurs, on peut cependant considérer qu’elle apporte des données sur une population qui possède a priori les mêmes caractéristiques que les répondants (Mercier, 2012, p. 293), notamment en terme d’âge, de catégories socio-professionnelles (CSP), de niveau d’éducation, de sensibilité culturelle/religieuse. Les 219 réponses obtenues apportent donc des informations sur les lecteurs réguliers du site (a priori plus motivés à répondre que les occasionnels).
51 Le public de répondants est proche de la parité (44 % de femmes), résidant très majoritairement en France [52] (95 %), sans prépondérance de la région parisienne (38 % ; 1 % pour les DOM-TOM), musulman (95 %) et pratiquant (81 % ; plus ou moins pratiquants : 16 %, non-pratiquant : 3 %). Il est principalement composé de jeunes actifs (76 % 25-49 ans ; 11 % moins de 24 ans, 11 % 50-64 ans, 2 % plus de 65 ans), appartenant à des CSP supérieures à la moyenne nationale [53]. Les retraités sont très fortement sous-représentés [54] (5 %). Leur fréquentation du site est quotidienne (37 %) ou au moins hebdomadaire (90 %) et passe pour un tiers par l’interface des réseaux sociaux.
52 Sans surprise, on consulte avant tout les articles d’actualité [55] : religieuse (72 %), générale (67 %), internationale (56 %) ainsi que les débats (55 %). Le contenu « froid » vient derrière : culture/médias (22 %), dessins humoristiques (22 %) et psycho (17 %), puis les services : horaires de prières (10 %), agenda (7 %), petites annonces (4 %) et prénoms arabes (4 %). L’intérêt du site56 est d’offrir des informations « sur les musulmans de France » (81 %), sur « les musulmans dans le monde » (75 %), « un autre point de vue sur l’actualité que dans les médias grand public » (79 %) et de « connaître la diversité d’opinions au sein de la communauté musulmane » (64 %).
53 La grande majorité des répondants (79 %) consultent aussi des sites de médias généralistes (question ouverte, plusieurs réponses possibles). Les plus lus sont : Le Monde, 26 % ; Le Figaro, 10 %, Libération, 9 %, Mediapart, 7 %, Rue89, 6 % Le Point, 4 %, Nouvel Obs, 3 %, L’Express, 3 %, Le Monde Diplomatique, 3 %, La Croix, 2 %). Notons que le site Égalité et réconciliation d’Alain Soral est très peu cité (2 %), alors qu’il fait polémique au moment de l’enquête en étant supposé rallier un nombre significatif de musulmans, notamment sur les valeurs familiales (manifestations contre le « mariage pour tous » puis la journée de retrait de l’école, promue par Farida Belghoul [56] [57]). La plupart des répondants (85 %) consultent d’autres médias « communautaires [58] » : la moitié lit Oumma.com qui est le média musulman le plus connu et probablement le plus lu. Outre ses articles d’actualité, il propose deux offres non disponibles sur Saphirnews : des articles de fond sur des questions religieuses [59], ainsi qu’une rubrique vidéo présentant en moyenne 8 sujets par mois. La moitié des répondants (53 %) lit Al-Kanz.org qui occupe un créneau d’information nettement distinct, centré sur la défense des consommateurs musulmans, la vigilance médiatique du traitement quotidien du fait musulman et la valorisation des entrepreneurs musulmans. 31 % de l’échantillon lit à la fois Oumma.com et Al-kanz.org. A contrario, seulement 3 % lisent Islametinfo.fr [60], ce qui est peu surprenant, car il se distingue nettement des autres, avec une tonalité très critique et un soutien affirmé à des actions comme la « journée de retrait de l’école ». Les autres sites mentionnés (dépassant 2 %) sont : Ajib.fr (19 %), Yabiladi.com (9 %, site marocain), Zaman.fr (5 %, islam turc, Gülen), Afrik.com (2 %, généraliste sur l’Afrique noire, le Maghreb et la diaspora, basé à Paris).
54 Les réponses aux questions ouvertes [61], qui sollicitaient des appréciations, critiques et suggestions, apportent des informations complémentaires. Deux éléments apparaissent fréquemment. D’abord, l’importance de disposer d’un média qui traite de l’actualité du fait musulman, dans un contexte où la presse généraliste en donne fréquemment une image dépréciative ou tronquée (comme le montrent les extraits supra, sur le sentiment de mésestime sociale). Ensuite, l’appréciation de la diversité des points de vue et des thèmes traités (30 % ; l’opinion inverse est rare : 3,5 %).
55 Une analyse thématique par mots-clefs fait émerger des regroupements qui correspondent à quatre tendances (qui peuvent se combiner) au sein des demandes et appréciations. Un premier pôle peut être qualifié d’« identité musulmane » et porte sur le « fait musulman » : on apprécie et on demande encore plus de sujets sur les musulmans ici et dans le monde (12 %), de montrer davantage les réussites (notamment professionnelles) de coreligionnaires en France (12 %) ou plus précisément de traiter du thème « musulman et citoyen » (3 %). Certains demandent aussi des articles portant sur la croyance et la pratique musulmane (16 %), ou davantage d’information sur l’islamophobie et la défense des musulmans (5 %). Un deuxième pôle se focalise sur les « sujets de société », notamment les sujets généraux de société (24 %) : économie (le plus fréquent), histoire, géopolitique, éducation, jeunesse, politique, ainsi que sur l’offre de débats et d’analyses croisées sur ces thèmes (3,5 %). Un troisième pôle thématique émerge autour de l’« ouverture aux autres » communautés, religions, convictions. Il inclut l’interreligieux, l’interculturel, les prises de parole de personnes non musulmanes, religieuses ou non religieuses (9 %). Enfin, un quatrième pôle est celui de la critique interne (6 %) dont certains déplorent le manque (racisme, extrémisme au sein de l’islam, traitement de minorités dans des pays de culture musulmane).
Un révélateur de la diversité intra-musulmane
56 L’analyse du contenu du site révèle une large diversité intra-musulmane par les thématiques traitées ainsi que par l’origine des communiqués et les contributions extérieures, émanant de tendances variées, des plus rigoristes aux plus progressistes, d’organisations religieuses ou non, et faisant place aux avis contradictoires. Les thématiques culturelles, sociales (racisme à l’égard des Rroms, emploi, banlieues) ainsi qu’interreligieuses (une vingtaine d’articles par an) reflètent une certaine diversité sociale. En ce qui concerne le traitement du fait religieux, on peut néanmoins relever un effet d’opposition entre « les croyants » et « les non-croyants » (souvent simplement qualifiés d’athées) ainsi que l’absence de traitement du rapport ordinaire des personnes non croyantes (ou peu croyantes) au religieux et à sa visibilité. Au degré relativement élevé de pluralisme dans le contenu (place donnée aux divers courants de l’islam, à diverses approches du genre et de l’inclusivité, à diverses manières de militer, à l’interreligieux…) correspondent une diversité et un pluralisme des contributeurs ainsi que du lectorat, puisque la fréquentation du site atteste que le média a « trouvé » son public. Il inclut des personnes diversement engagées dans la mouvance de l’UOIF, celle du CMF (T. Ramadan), de la lutte contre l’islamophobie (CCIF), de divers engagements sociaux ou humanitaires ou encore des militances coopératives (avec des non-musulmans). En outre, nombre de lecteurs non militants ou relevant d’engagements distanciés trouvent — outre le traitement de l’actualité du fait musulman — de nombreux articles et informations sur des livres, des conférences, des productions culturelles de descendants de migrants, mettant en scène la pluralité culturelle ou encore traitant de manière humoristique l’identité musulmane ou ethnique. Enfin, des lecteurs ou contributeurs non musulmans y voient un site d’information sur le fait musulman.
57 L’analyse du site et du lectorat révèle finalement un public (très majoritairement musulman) qui lit ce média (et d’autres), s’y reconnaît plus ou moins, et pour une petite part y contribue par des commentaires, des textes ou des communiqués. Ce public s’avère plus pluraliste que ce que l’on pouvait attendre, pour peu que l’on ait une idée des tensions internes entre organisations musulmanes, entre rigoristes et progressistes, etc. (Frégosi, 2009).
Une place originale dans le paysage musulman français
58 Un média n’est pas une association militante, on peut néanmoins tenter de le situer dans le paysage musulman français à la lumière des articles (de la rédaction) sur les diverses organisations et de leurs communiqués ainsi que du choix et de la tonalité des recensions de divers ouvrages sur la pensée musulmane. La diversité des mobilisations musulmanes (en France et en Europe) peut être catégorisée en trois types (Frégosi, 2009) : religieuses (cultuelles, associatives, spirituelles), socio-politiques (civiques, nationalitaires, radicales) et identitaires (républicaniste, mémorielle, laïcistes radicales). Comme l’a montré l’analyse de contenu du site, les principales organisations religieuses y sont très visibles (articles et communiqués), du CFCM à la confrérie soufie Alawiyya en passant par l’UOIF, le RMF et la Mosquée de Paris, tout comme les associations socio-politiques, de type républicaniste confessionnel ou non, du CMF au CCIF en passant par les associations étudiantes ou le Secours islamique. Les mobilisations « mémorielle » (Indigènes) et nationalitaire (Millî Görius) font l’objet d’articles d’actualité, tout comme la mobilisation « dite musulmane laïque » (Fregosi, 2005, 2009) et laïciste radicale, en soulignant les effets stigmatisants de leurs positions pour les musulmans pratiquants. Quant aux recensions d’ouvrage, interviews et articles invités, ils font place à des relectures de l’islam s’inscrivant aussi bien dans un cadre orthodoxe (Oubrou) que plus libéral (Benzine). La visée d’information va de pair avec une sensibilité combinant pluralisme et reconnaissance des identités religieuses visibles. L’islamité de cette entreprise et de ses acteurs relève bien davantage d’un régime de témoignage que de vérité [62] ou de certitudes (Lagroye, 2006).
Un média minoritaire dans l’espace public français
59 Des journalistes voilées, une pile d’exemplaires du quotidien catholique La Croix dans le hall du journal, des stagiaires ou collaborateurs non musulmans : l’identité religieuse est assumée par les membres de l’équipe, mais elle n’écarte pas d’autres modèles de référence. Se pose alors la question de la place d’un média « minoritaire » dans l’espace public français.
La normalisation comme programme et comme engagement
60 Il est d’abord significatif que des médias non musulmans apparaissent comme modèle, en particulier le quotidien catholique La Croix, auquel la rédaction est effectivement abonnée, comme le soulignent deux membres fondateurs :
La Croix a été tout de suite une référence pour nous. On s’est dit : « Comment eux, ils ont été amenés à devenir un quotidien presque généraliste ? ». Je veux dire, les gens qui lisent La Croix ne sont pas forcément catholiques ! Et comment, ils ont réussi à traiter en partant des pratiques religieuses, des convictions religieuses, à traiter finalement, n’importe quel sujet comme n’importe quel quotidien !
Nous, par rapport au fait religieux, on se voit comme La Croix. […] On ne roule pas pour une église, mais notre sujet fondamental, c’est les gens, c’est les êtres humains… Pas l’idéologie ! Il y a pas de Bismillah [Au nom de Dieu]… il y a pas de Coran ; il y a pas de trucs… […] On n’est pas là, pour dire aux gens ce que c’est que l’islam. On est là, pour informer les gens sur qui sont les musulmans, sur ce que font les musulmans ! […] Ce qu’on fait, c’est du journalisme.
63 Le second interlocuteur a une autre référence, sportive et plus inattendue qui lui permet de souligner l’importance de refléter la diversité :
Mon exemple, mon idéal, c’est L’Équipe ! […] Vous trouvez tous les sports ! Voilà ! Il y a un sport, qui fait quelque chose d’intéressant, ils le mettent à la une, sans état d’âme et le même sport fait une bêtise, ils le descendent sans état d’âme [rire] ! Si je pouvais décliner L’Équipe version musulmane […] Ce serait ça ! […] Moi, je voulais qu’on ne soit ami avec personne, qu’on soit ennemi de personne…
65 Autre élément significatif, à partir du moment où Saphirnews commence à sortir du fonctionnement bénévole en 2006, une partie des stagiaires et des journalistes salariés sont non musulmans (cinq sur environ une quinzaine [63]).
66 Dans un contexte de mésestime sociale et avec des moyens matériels et humains limités, l’analyse de la forme, du contenu et du fonctionnement du média atteste d’un effort permanent de professionnalisme et de normalisation. Il s’agit d’être un média comme un autre, en suivant les mêmes règles professionnelles. Il fait écho au besoin de normalisation des lecteurs, celui d’un islam qui soit une religion comme les autres, comme le souligne cette lectrice qui évoque la tension éprouvée entre aspiration à la « normalité » et besoin d’un média alternatif :
Je ne suis pas favorable à la démarche de Saphirnews, car je suis croyante et pratiquante, je suis favorable à sa démarche du fait de mes convictions politiques et de ma philosophie humaniste. Je suis donc une citoyenne française avant tout, qui donne son avis sur un média français. Cela ne me fait pas plaisir de voir que nous, des citoyens français, devons créer des médias alternatifs, car nous n’avons plus la possibilité d’être entendus dans les autres médias, du fait de notre appartenance religieuse. Saphirnews est pour moi avant tout un média alternatif, pas un média communautaire. Il est communautaire par défaut, il est alternatif par nécessité. Saphirnews n’aurait pas eu besoin d’exister si les médias « traditionnels » respectaient l’éthique journalistique.
68 Puisque, comme on l’a vu, le langage utilisé dans le domaine religieux est descriptif, il serait inadéquat de qualifier ce média de confessionnel ou communautaire [64]. Faute de propos fortement normatifs ou engagés, ce n’est pas non plus un média d’opinion. Il présente plutôt les caractéristiques d’un média spécialisé et qui, progressivement, tend à être reconnu comme tel par les professionnels d’autres médias. Ce fait est visible notamment par les liens extérieurs vers le site [65] ou des tweets que des journalistes de médias généralistes font suivre, diffusant ainsi des liens vers des articles66.
Le média minoritaire, son public et le monde commun
69 Analyser un média « musulman », pose la question du rapport entre identité particulière et espace public ou, plus largement, monde commun. Ce dernier terme n’exclut évidemment pas le conflit, mais celui-ci peut être socialisant (Simmel, 1999). Dans les travaux sur l’espace public et la reconnaissance, les publics alternatifs sont en général considérés comme contre-hégémoniques. Cela devrait donc globalement s’appliquer aux médias musulmans français.
70 Nancy Fraser propose de prêter attention aux publics alternatifs et à la multiplicité des arènes publiques. Elle reproche au modèle libéral d’espace public, tel qu’il est proposé par Jürgen Habermas, de considérer l’arène publique au singulier et d’envisager cette unicité comme souhaitable. Elle s’appuie pour cela sur l’histoire de divers groupes dominés : [66]
L’historiographie récente de l’espace public […] montre que les membres des groupes sociaux subordonnés – femmes, ouvriers, gens de couleur et homosexuel(le)s – ont à plusieurs reprises trouvé qu’il était avantageux de constituer des publics alternatifs. Je propose de les appeler contre-publics subalternes, pour signaler qu’ils constituent des arènes discursives parallèles dans lesquelles les membres des groupes sociaux subordonnés élaborent et diffusent des contre-discours, ce qui leur permet de développer leur propre interprétation de leurs identités, de leurs intérêts et de leurs besoins. […] Ces contre-publics contribuent à élargir l’espace discursif.
Le traitement de la Charte de la laïcité à l’école dans quelques médias « musulmans » (Titre de l’article suivi d’un extrait)
— « L’hypocrisie de la Charte anti-musulman sur la “laïcité à l’école” », Islametinfo.fr, 12/09/2013. « C’est la communauté musulmane qui est une nouvelle fois visée. Sorte d’épouvantail républicain, indigène sans mémoire, les politiques pensent que le musulman est le “parfait pigeon” à utiliser, à jeter et à chouchouter lors des rendez-vous électoraux. Ces individus doivent se réveiller et s’organiser (et ils commencent !). Les responsables politiques n’ont pas encore pris conscience que le temps de l’indigénat était terminé. »
— « Peillon et Boubakeur s’accusent mutuellement de stigmatiser les musulmans », Oumma.com, 12/09/2013. « La charte de la laïcité du ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon qui vise implicitement l’islam et les musulmans de France n’a guère été appréciée par Dalil Boubakeur, lequel habituellement se montre plutôt complaisant à l’égard du gouvernement.
— « Charte de la laïcité à l’école : l’islam dans le viseur ? », Saphirnews.com, 12/09/2013. « En réponse aux craintes des musulmans qui y verraient
une stigmatisation, le ministre assure que la charte est neutre. “La laïcité ne s’adresse à aucune religion en particulier puisque précisément elle les met toutes sur un pied d’égalité”, a-t-il indiqué. Aux musulmans d’en juger, document à l’appui. »
72 Partant aussi d’une relecture critique de J. Habermas, Éric Macé considère la sphère publique « comme un espace de conflictualité entre mouvements culturels hégémoniques et mouvements culturels contre-hégémoniques » (2005, p. 42) et affirme que la « vivacité d’un régime démocratique » réside dans « sa capacité à générer des contre-publics subalternes » (ibid., p. 50-51). Le fait de constituer des publics alternatifs a plusieurs conséquences. D’abord, il serait erroné de considérer ces productions de contre-publics comme des enclaves, car leurs effets dépassent le cadre du public initialement visé. En effet, « le fait d’interagir par le discours […] implique de souhaiter diffuser son discours dans des arènes toujours plus larges », cela vaut d’ailleurs, que l’on soit membre du public « subalterne » ou non (Fraser, 2005, p. 128). Ensuite, ces discours permettent l’expression des identités sociales en même temps qu’ils contribuent à les former :
Les espaces publics ne sont pas uniquement des arènes où se forme l’opinion discursive, ils sont aussi des lieux où se forment et s’expriment des identités sociales. […] [La participation] implique la possibilité de faire entendre sa propre voix et donc de construire et d’exprimer simultanément sa propre identité culturelle par ses idiomes et son style
74 Ces approches, tout comme celle d’espace public ethnique [67] (ou religieux), permettent de prendre en compte la pluralité de la sphère publique et de montrer que ces expressions publiques contribuent continuellement à former les identités, ce qui est un apport crucial à la conceptualisation de la pluralité. Cependant, elles laissent de côté la pluralité interne de chacun de ces contre-publics et le fait qu’en leur sein co-existent des options plus ou moins ouvertes ou fermées à la collaboration avec d’autres publics ainsi que des modes différenciés de demande de reconnaissance. [68]
75 Les acteurs du média analysé visent à la reconnaissance de leur compétence communicationnelle ainsi qu’à la visibilité médiatique. Cependant, un rapide tour du Web musulman d’information montre que la mise en scène de cette visibilité varie schématiquement entre deux pôles (voir l’encadré, avec l’exemple du traitement de la charte de la laïcité à l’école par plusieurs médias « musulmans »). D’un côté, un traitement journalistique qui vise à objectiver, de l’autre une dénonciation militante et un ton nettement critique. Saphirnews.com s’inscrit nettement dans le premier pôle, à la différence d’autres médias, tels que Islametinfo.fr. Si les termes de média « contre-hégémonique » (Fraser) ou de « contre-public subalterne » (Macé) semblent pertinents pour le second pôle, ils demandent à être nuancés pour le premier. S’il y a bien une capacité d’agir pour diffuser une information alternative au discours médiatique majoritaire, l’ambition est cependant une « objectivation » et un traitement journalistique « normal » d’un fait religieux « ordinaire ».
76 Plutôt qu’un contre-public, ce média révèle un « public » musulman, au sens pragmatique de J. Dewey68, affecté par une représentation médiatique dépréciée de l’islam et juge nécessaire d’en promouvoir une représentation plus juste tout en se souciant et en participant pleinement au monde social commun.
Conclusion
77 Ce média en ligne s’avère être un analyseur pertinent des dynamiques musulmanes françaises, notamment sur trois points : la capacité d’agir, la force de la différence et le mode de pluralité. En suivant ses fondateurs, de leurs années lycée à Dreux, où islam rime avec Tabligh, jusqu’aux locaux de leur journal, dans un grand immeuble de bureaux à la Plaine-Saint-Denis, on dépasse la singularité de leur trajectoire pour saisir des caractéristiques d’une catégorie de jeunes gens musulmans et français, qui vivent le choc des attentats de New York en même temps qu’ils démarrent leur vie professionnelle [69]. Face à la mésestime sociale, certains feront de leur différence une force et croiront en leur capacité à contribuer au changement. Si un média n’est en aucun cas le miroir (déformant ou non) d’un groupe ou d’une société, il peut néanmoins être un outil de médiation qui rencontre une demande de communication et de reconnaissance, et dans cette mesure, nous informer de la pluralité du public qui se constitue. Ce regard pragmatique inspiré de J. Dewey nous permet alors de mieux saisir ces formes de coopérations sociales.
78 La mise en perspective historique de la formation de Saphirnews a d’abord montré combien il serait réducteur de résumer des organisations comme l’AEIF au fait qu’elle ait été (ou non, ou partiellement) dans la mouvance des frères musulmans (syriens, égyptiens…), en renvoyant des acteurs à des idéologies supposées alors que ce milieu était pluriel et s’est avéré un lieu de formation permettant d’initier ensuite des projets totalement indépendants. Ce faisant, les acteurs de ces projets observeront une attitude globale de respect avec les tenants d’un islam plus rigoriste et leurs responsables. Cette attitude relève d’une « solidarité sans consensus » (Kertzer, 1988, p. 67-69), si souvent caractéristique du rapport des croyants contemporains avec leurs institutions, leurs aînés et plus généralement de la diversité de leurs coreligionnaires [70].
79 À l’échelle des individus, les parcours des acteurs de ce média illustrent magistralement ce que le sociologue Norbert Alter appelle la « force de la différence », qui leur permet de transformer leur position en atout pour agir et occuper une position de « passeurs » :
« [Celle-ci] consiste à pouvoir transformer une position marginale en position de passeur et la distance au monde en capacité à associer. Cela signifie que les phénomènes de la marge d’une société ne sont pas des phénomènes “marginaux”, sans grande importance pour le fonctionnement de l’ensemble. Une société n’existe pas seulement en définissant des places pour les uns et les autres. Elle suppose également de disposer d’individus qui connectent ces places. » (Alter, 2012, p. 261)
81 À l’échelle de la société, l’analyse montre que ce média s’avère un analyseur pertinent de la diversité intra-musulmane doté – tout comme son lectorat – d’une capacité significative de pluralisme. Sa place dans l’espace public en fait un média spécialisé plutôt que contre-hégémonique. Mais ce cas démontre surtout la fabrication et l’importance du « pré-politique ». En effet, selon John Dewey (2010) et sa relecture par Axel Honneth (1999), le développement des procédures démocratiques présuppose une forme d’intégration sociale prédiscursive par une « conscience collective de l’association pré-politique de tous les citoyens ». L’association pré-politique se réalise donc par la participation coopérative, qui permet aux citoyens de « [percevoir] leur utilité en tant qu’instrument de résolution rationnelle des problèmes communs » (Honneth, 1999, p. 177). Ce regard sociologique pragmatique permet de saisir comment se fabrique la « variation des modalités possibles de la francité » ou la « pluralisation du “nous” qui fonde l’expérience collective » (Laborde, 2010, p. 123). C’est bien, en effet, un cas de participation coopérative à la « résolution rationnelle des problèmes communs » qui a été décrit ici : produire une information sur le fait musulman qui vise aussi bien « les musulmans [que] ceux qui s’intéressent au fait musulman » (supra). Divers indices montrent la reconnaissance croissante par des partenaires d’autres médias et plus largement comme source d’information fiable par des journalistes généralistes.
82 L’attention au « pré-politique » évite le risque, présent dans les approches en terme de minorité ou de contre-hégémonie, d’invisibiliser des coopérations sociales réelles. Elle permet aussi de rendre compte de la pluralité interne des groupes et de la co-existence en leur sein d’options plus ou moins collaboratives. Avec le concept de « pré-politique », on saisit comment des acteurs peuvent fabriquer du monde commun à partir du particulier. C’est ce qu’opèrent les acteurs du média, mais aussi leur lectorat en les soutenant.
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Notes
-
[1]
Cette recherche a été réalisée avec le soutien de la Fondation des Sciences sociales (2013). L’auteure remercie tout particulièrement François Héran ainsi que Vanessa Barbé, Marie-Laure Basilien Guinche, Géraldine Bozec, Speranta Dumitru, Stéphane Dufoix, Angéline Escafré-Dublet, Jérémie Gauthier, Catherine Le Bris, Virginie Silhouette-Dercourt, Daniel Sabbagh, Patrick Simon pour leurs commentaires d’une première version orale de ce travail, ainsi que les quatre évaluateurs anonymes de la revue pour leurs suggestions stimulantes.
-
[2]
Voir aussi Thomas Deltombe (2005) qui retrace la construction d’un « islam imaginaire » dangereux et homogène dans les médias français entre 1979 et 2005, et pour une perspective européenne, Nilufer Göle (2011) et Valérie Amiraux (2005, 2013).
-
[3]
Observations répétées de l’auteure (Lamine, 2012). Voir Bowen (2009, p. 186) et Amghar (2003).
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[4]
Par exemple, dans un tout autre domaine, la constitution d’un « public » qui enclenche le processus de sauvegarde et de patrimonialisation d’un quartier menacé du vieux Lyon (Stavo-Debauge & Trom, 2004).
-
[5]
Les trois autres sont Oumma.com, Al-kanz.org et Islametinfo.fr. Selon l’estimation fournie par Website.informer.com [consulté le 11 février 2014] ces quatre sites sont 2 à 3 fois plus visités que ceux qui arrivent ensuite ; la fiabilité des chiffres est discutable, néanmoins ils concordent avec ce qu’estiment plusieurs acteurs musulmans : Oumma.com et Saphirnews.com en tête depuis longtemps et percée récente des deux autres.
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[6]
Sondage IPSOS — Le Monde — Fondation Jean-Jaurès — Cévipof, « Les nouvelles fractures », réalisé auprès de 1016 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française, âgée de 18 ans et plus, entre le 9 et le 15 janvier 2013.
-
[7]
Les réponses à ces deux questions étaient pour la première, 11 % pour le catholicisme (8 % / 3 %) et 25 % pour le judaïsme (18 % / 7 %) ; pour la seconde, 21 % pour le catholicisme et 26 % pour le judaïsme.
-
[8]
Son appellation initiale Saphirnet.info, il sera renommé SaphirNews.com en 2005. La fondation du site Oumma.com, en 2000, lui est antérieure de 2 ans, ainsi que d’autres sites de littérature coranique, comme Islamophile.org, fondé aussi en 2000 (avis de savants musulmans, textes et récitations du Coran).
-
[9]
Mouvement piétiste transnational de prédication et de retour à une pratique rigoriste (Khedimellah, 2004).
-
[10]
Muhammad Hamidullah (1908-2002) d’origine indo-pakistanaise, jurisconsulte, est connu pour sa traduction française du Coran (1959). Il est chercheur au CNRS (1954-1978). Il vit en France de 1948 à 1996. L’AEIF s’appelle en 1962 l’Amitié Islamo-Française et prend son appellation définitive l’année suivante.
-
[11]
Cette revue cesse de paraître au moment de la crise qui survient au sein de l’association, qui mènera à une scission en 1978-1979 entre « ceux
qui voulaient faire un travail plus social, construire des mosquées, etc. » ([H.], Ibid.) qui sont partis pour former le GIF (Groupement islamique de France) en 1979. « Ceux qui voulaient continuer le travail intellectuel comme Hamidullah » (Ibid.) sont resté à l’AEIF. Le GIF (avec quelques associations locales) deviendra ensuite l’UOIF en 1983 (sur la naissance de l’UOIF, Amghar, 2009, p. 380-381). -
[12]
Larbi Kechat s’est impliqué dans l’AEIF au moment où il était étudiant (en linguistique et en sociologie) à la Sorbonne dans les années 1970 (Amiraux, 2011) ; il reste dans la partie AEIF après la scission de 1979 (entretien avec H.). Il sera ensuite un des premiers imams à utiliser le français pour ses prêches. Il devient le recteur de la mosquée Addawa de la rue de Tanger dans le 19e arrondissement de Paris (dans d’anciens entrepôts) où M. Hamidullah donne des conférences. Il organisera ensuite des tables rondes sur des sujets sociaux avec des intervenants musulmans et non musulmans (depuis 2006, suite à un projet de reconstruction, la mosquée est délocalisée Porte de la Villette).
-
[13]
Il se différencie des autres médias, portant presque tous des noms purement arabes (sans signification en français) ou faisant explicitement référence à l’islam et aux musulmans : Islam de France, Islam et Info, Regards d’islam, Pageshallal, Oumma [communauté], Al-Kanz [trésor], Sajidine [prosternés], etc.
-
[14]
Franck Frégosi distingue cinq idéaux types au sein du champ intellectuel musulman : les médiateurs, les vulgarisateurs, les outsiders, les nouveaux talents et les alarmistes (Frégosi, 2008). Les animateurs du site relèvent principalement du premier groupe, les médiateurs, mais ils sont aussi, par leur acte d’information journalistique, des vulgarisateurs.
-
[15]
Leurs aînés ont vécu cette méfiance des collègues au moment de la première guerre du Golfe (1990-1991).
-
[16]
Ce responsable les encourage à soumettre à son ONG une demande de subvention qu’ils obtiendront.
-
[17]
Titulaire d’un master d’études européennes, l’un travaille comme chargé de communication chez France Télécom alors que l’autre, ingénieur, exerce comme responsable informatique au sein du groupe Vinci.
-
[18]
Des stagiaires sont occasionnellement employés (mais pas au moment de l’enquête).
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[19]
L’une est formée au CELSA, titulaire d’un DESS de gestion de l’emploi et développement social de l’entreprise, l’autre d’un master en communication et multimédia et la troisième d’un master en études européennes.
-
[20]
Les revenus publicitaires sont plus importants sur les médias papier qu’en ligne. Le mensuel gratuit papier Salamnews vise un public musulman et « musulman culturel » large. Les autres journalistes de ce second titre sont tous pigistes (une dizaine), travaillant dans d’autres médias comme Afrik.com. Le directeur de publication (des deux titres) y assure aussi un éditorial (alors que Saphirnews.com n’en a pas).
-
[21]
Chiffres fournis par son responsable en octobre 2013. Ce chiffre est du même ordre de grandeur que celui du site Website.informer (dont l’estimation est de 679 000 visites par mois [consulté le 14 mars 2014]).
-
[22]
http://www.saphirnews.com/pages/Qui-sommes-nous_ap2193219.html [consulté le 14 mars 2014].
-
[23]
Selon trois méthodes, le concurrent direct Oumma.com, plus international, en propose huit, mais Al-kanz.org une seule.
-
[24]
Cette rubrique, mensuelle, est une reprise des articles publiés dans la rubrique éponyme du mensuel papier Salamnews.
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[25]
Islam turc en France, hebdomadaire d’actualité (papier et internet), lié au mouvement Gülen.
-
[26]
La rubrique « Livres » permet aussi de diversifier les pensées présentées, elle inclut des ouvrages de penseurs musulmans « libéraux » comme Mohammed Arkoun ou Rachid Benzine et d’auteurs non musulmans.
-
[27]
Sont donc écartés les brèves, les communiqués, les points de vue et presque tout le contenu « froid » : livres, films, annonces, articles repris du mensuel papier Salamnews.
-
[28]
« Juifs et musulmans, frères amis ou ennemis ? 1400 ans d’Histoire commune », H. T. Nguyên, 22/10/2013.
-
[29]
Les enquêtes sur le fait religieux du Pew Research Center font, par exemple, l’objet de longs articles.
-
[30]
Par exemple : « François : un Pape 2.0, nouvelle star du web », M. Magassa-Konaté, 31/01/2014.
-
[31]
Par exemple : « YUMP [Young Urban Movement Project] : une académie pour les entrepreneurs de banlieue », M. Magassa-Konaté, 3/10/2013, « Les expulsions de Roms explosent en 2013, “la voie au racisme anti-Roms” », La Rédaction, 14/01/2014 (7 articles au sujet des Roms au cours de l’année analysée).
-
[32]
« Une mosquée pour gays et transsexuels musulmans en France », M. Magassa-Konaté, 6/11/2012 ; « Les associations de croyants gays condamnent les exorcismes et traitements destinés à “guérir” de l’homosexualité », M. Magassa-Konaté, 17/05/2012 ; « Islam, homosexualité et homophobie, Interview de Tareq Oubrou », H. Ben Rhouma, 29/05/2010.
-
[33]
« Mariage pour tous : les cultes auditionnés au Sénat, le CFCM catégorique », H. Ben Rhouma, 13 /02/2013 ; « Mariage pour tous : la mobilisation continue, les musulmans à l’offensive », M. Magassa-Konaté, 14/03/2013, malgré son titre l’article est consacré à la démarche du fondateur de l’association Homosexuels musulmans de France (HM2F) qui fait partie des personnalités auditionnées.
-
[34]
Par exemple : « Malek, Alice, Malika : les 50 prénoms interdits en Arabie Saoudite », La Rédaction, 17/03/2014.
-
[35]
« Théorie du genre : est-on conscient de la mainmise de l’extrême droite ? », M. Baker, 3/02/2014.
-
[36]
« “Théorie du genre”, homophobie, islamophobie... Lettre à Nabil Ennasri », J. Salingue, 12/02/2014.
-
[37]
Fatima Adamou, 24/02/2014.
-
[38]
Du 15/03/2013 au 14/03/2014.
-
[39]
Dont 13 % du Conseil français du culte musulman (CFCM), 15 % de l’Union des organisations Islamiques de France (UOIF), 5 % de la Grande Mosquée de Paris (GMP) et 1,5 % du Rassemblement des Musulmans de France (RMF), aucun de Foi et pratique (Tabligh) ni des Musulmans turcs (sauf une association locale), Africains ou encore chiites.
-
[40]
Principalement, le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) (4,5 %), la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI) fondée par des membres du Collectif des musulmans de France (CMF), mouvance de T. Ramadan (5,3 %) et le Comité 15 mars et Libertés (émanation de l’UOIF) (6,8 %). Sur le CMF, voir Pingaud (2012).
-
[41]
Le Collectif 8 mars pour ToutEs, Collectif des Féministes pour l’Égalité, Commission Islam et Laïcité et Mamans Toutes Égales. Sur la « cause du voile » et les diverses associations, voir De Galembert (2009).
-
[42]
Principalement le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et la Ligue des droits de l’homme ; aussi La ligue de l’enseignement, La voix des Rroms, Sortir du colonialisme, Les indivisibles.
-
[43]
Notamment, Ligue française de la femme musulmane, Étudiants musulmans de France et Secours islamique de France.
-
[44]
Défendant une mosquée inclusive.
-
[45]
Dont trois de l’Union juive française pour la paix.
-
[46]
Service (catholique) des Relations avec l’Islam, Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne.
-
[47]
Autant pour Oumma.com, un seul vers Al-kanz.org et aucun vers Ajib.fr ou Islametinfo.fr.
-
[48]
http://temoignagechretien.fr/articles/le-supermarche-et-lagora. Ces assises ont accueilli 400 personnes et sont selon le journal catholique « un partenariat inédit dans l’histoire de la presse française entre un organe de presse chrétien et un autre musulman » ; Saphirnews et Salamnews apparaissent en effet sur le site de TC, aux côtés de cinq autres partenaires média : Youphil, Radio-Orient, J’aime l’info, Mediapart et Semaines sociales de France.
-
[49]
Une trentaine entre 2009 et 2013.
-
[50]
Qui mentionnne Saphirnews et Salamnews parmi sa vingtaine de revues partenaires.
-
[51]
Comme le souligne aussi Saïd Branine, directeur de publication de Oumma.com (Place de la toile, « Internet est-il un don de Dieu », 1/2/2014, France Culture).
-
[52]
Autres pays : Allemagne, Côte d’Ivoire, Espagne, États-Unis, Maroc, Palestine, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse, Tunisie.
-
[53]
Par exemple, l’ensemble des professions libérales 8 % [1 %], des enseignants 9 % [2,5 %] et des cadres 25 %, forment 42 % de l’échantillon, soit presque le double de la proportion de référence [22,9 %] [référence % national, INSEE 2012, http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF02135%C2].
-
[54]
Le manque de ressources humaines apportées par le bénévolat des retraités semble une caractéristique commune aux associations ou entreprises musulmanes culturelles et intellectuelles. Les retraités étant majoritairement des primo-migrants, ils ne sont pas (encore) concernés par ces problématiques. On peut supposer que l’arrivée à la retraite d’une classe d’âge née en France transformera significativement l’espace culturel de sensibilité musulmane (observation de l’auteure, corroborée par des propos d’acteurs de terrain).
-
[55]
Choix de l’item « souvent » (les autres étant : « parfois », « rarement », « jamais »).
-
[56]
L’appréciation positive du site (« me plaît beaucoup » / « me plaît plutôt ») est renforcée par le mode de prescription, touchant les lecteurs les plus motivés : choix des sujets (47/47 %), qualité des articles (39/55 %), présentation (32/59 %), diversité des points de vue (32/50 %).
-
[57]
Qui a fait l’objet de plusieurs articles critiques dans le média étudié.
-
[58]
Terme choisi pour englober médias « musulmans », « maghrébins », « africains »…
-
[59]
On y trouve aussi bien de longs articles sur le soufisme (avec notamment 22 contributions du spécialiste universitaire E. Geoffroy), que sur la théologie musulmane de la libération.
-
[60]
Voir note 5.
-
[61]
Deux tiers des répondants (142) ont répondu aux questions ouvertes. Cependant, ils n’ont pas abordé tous les thèmes (et certains n’ont pas répondu aux quatre questions) donc un pourcentage bas s’avère ici plus significatif que dans des questions fermées.
-
[62]
Pour caractériser ces acteurs musulmans, on peut à profit se référer à la typologie de Jacques Lagroye sur les configurations du rapport à la vérité et à l’orthodoxie au sein du catholicisme, d’autant plus que le sentiment de crise est aussi très présent en contexte musulman. Il distingue deux voies. L’une se recentre sur l’affirmation de certitudes religieuses (régime de vérité). La seconde fait place à l’expérience (régime de témoignage) et à la diversité qui en découle.
-
[63]
Deux ont été salariés pendant un an et demi à deux ans, et au moins trois stagiaires pendant un à trois mois. Ces informations m’ont été communiquées par un des responsables et recoupées avec les autres interviews.
-
[64]
« On n’est pas dawatique », souligne une journaliste, ce qui signifie « on ne dit pas ce qu’est le “bon” islam ».
-
[65]
Outre les liens réciproques avec les médias partenaires, déjà évoqués plus haut. J’ai effectué des comptages sur les sites de plusieurs médias : en 2013, sur France-Culture.fr, 4 liens vers Saphirnews (à côté de médias généralistes ; 2 pour Oumma). Entre 2010 et 2013, La Croix le mentionne 23 fois dans des articles, plus 6 sur Urbi et Orbi (5 : Oumma ; 3 : Al-Kanz) ; Libération, 8 fois (idem : Oumma) ; Le Monde, 9 fois. Par rapport aux autres
médias « musulmans » (principalement les trois mentionnés), Saphirnews est en général repris comme une source d’information et non comme une position engagée. Une comparaison plus systématique des sites et de leur perception reste à réaliser. -
[66]
Par exemple, en un an (octobre 2012-septembre 2013), la journaliste spécialiste du fait religieux du Monde a retwitté 17 fois Saphirnews (il s’agit de liens vers des articles justes parus), 3 fois Oumma, 2 fois Al-kanz et 1 fois l’UOIF.
-
[67]
Göle (1997), Kissau & Hunger (2010), Rigoni (2005, 2010, 2012), Salvatore (2007).
-
[68]
« Le public consiste en l’ensemble de tous ceux qui sont tellement affectés par les conséquences indirectes de transactions qu’il est jugé nécessaire
de veiller systématiquement à ces conséquences » (Dewey, 2010, p. 95). Un individu peut appartenir à plusieurs publics. -
[69]
Il s’inscrit dans une série d’évènements débutant avec la révolution islamique d’Iran, contribuant à la mise en altérité de l’islam.
-
[70]
Pour une discussion de ce concept, voir A.-S. Lamine (2013, p. 159-160). Cette attitude n’est évidemment pas propre aux musulmans, C. Béraud (2007, p. 226-232) montre des phénomènes similaires en contexte catholique.