« Si vous saviez le don de Dieu » (Si scires donum Dei) : c’est par cet incipit tiré de l’évangile de Jean (4,10) que Bruno Latour amorce son Enquête sur les modes d’existence : une anthropologie des Modernes. Le décor en est aussitôt planté, et l’auteur de poser ensuite, une à une, les pierres d’une cathédrale théorique. Chaque livre est l’occasion pour l’auteur de reprendre le plan d’une œuvre toujours plus consistante et volumineuse. Mais plus que les autres peut-être, ce nouvel opus était très attendu, parce qu’il pose les fondements d’une nouvelle version, la plus optimale, plus déroutante que jamais. Depuis Nous n’avons jamais été modernes (1991), le ton a changé : il n’est plus lieu de réfléchir sagement à l’avènement d’une « cosmopolitique » sur les ruines de la « Constitution des Modernes », qui ne cesseraient de se méprendre sur ce qu’« ils » (se) croient être, mais de proposer un plan d’action dans l’urgence d’un basculement global, de « l’irruption du Globe » (p. 12). L’Enquête souhaite équiper le protocole d’une « diplomatie » à l’échelle planétaire, dans le but de prévenir l’anéantissement de « Gaïa », c’est-à-dire la Terre et tout ce qu’elle accueille – rien de moins. Il n’en fallait pas davantage pour susciter la curiosité des intermédiaires culturels et des relais médiatiques. En cette rentrée 2012, le livre « fait débat », comme on dit. Moins clivant que par le passé semble-t-il, enfin consensuel, Latour est l’« une des plus grandes figures intellectuelles de notre temp…