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Article de revue

À la recherche du sens caché : l'art et les œuvres dans la littérature policière

Pages 15 à 46

Notes

  • [1]
    Citons par exemple, Nies F. (1994) pour l’art pictural, ou Gleize J., (1992) pour l’image du livre dans la littérature.
  • [2]
    Exception faite de Le Chat qui lisait à l’envers, dont l’édition américaine date de 1966, mais qui est paru en France en 1992, de Les Cantiques de l’Archange et de Veil, édités tous deux aux États-Unis en 1986 puis en France respectivement en 1996 et 2000.
  • [3]
    Faux tableaux, vols et trafics d’œuvres, spoliations de patrimoine, blanchiments d’argent, etc.
  • [4]
    Cette manière de dépeindre le monde de l’art, nous y reviendrons, est spécifique au genre policier, la réalité étant bien heureusement moins sordide.
  • [5]
    Sauvageot A. (1994) p. 16.
  • [6]
    Binkley T. (1992), p. 46.
  • [7]
    Ibid. p. 75-76.
  • [8]
    Eco U., (1993), p. 64.
  • [9]
    Barthes R. (1966), p. 16.
  • [10]
    Ibid., p. 17.
  • [11]
    Ibid. p. 438.
  • [12]
    Ibid., p. 438.
  • [13]
    Cité dans Boileau-Narcejac. (1982), p. 52-53.
  • [14]
    C’est l’hypothèse que formule Van Dyne : « Le roman policier est un genre très défini. Le lecteur n’y cherche ni des ornements littéraires, ni des prouesses de style, ni des analyses trop approfondies » (ibidem).
  • [15]
    Car « la description est interprétation » (Louis Marin, op. cit., p. 188)
  • [16]
    Les Sept crimes de Rome, p. 176-177.
  • [17]
    Dans un autre article en cours de rédaction, nous abordons cette question et montrons comment réalité et fiction se mêlent que ce soit à propos du nom des artistes, des courants artistiques évoqués ou même des œuvres décrites.
  • [18]
    1992, p. 225.
  • [19]
    Ibid., p. 234
  • [20]
    Ça fait moche dans le tableau, p. 131, p. 176.
  • [21]
    Le meurtre comme création artistique ou performance constitue un autre thème de recherche que nous approfondissons dans une recherche en cours.
  • [22]
    Gros B., (1976), p. 6.
  • [23]
    Notons que les romanciers en privilégiant cet aspect répondent ainsi implicitement à une attente des publics. En effet l’enquête sur la réception picturale de E. Pedler et J.-C. Passeron montre que les tableaux qui retiennent le plus l’intérêt des visiteurs d’un musée sont ceux qui proposent des « sujets » et « motifs » associant figures animées et questions diégétiques » (Passeron J.-C., Pedler E., (1991), p. 101.)
  • [24]
    P. 130-131.
  • [25]
    Contrairement au meurtre-performance.
  • [26]
    1972, p. 124.
  • [27]
    Le Dahlia noir, p. 471-473.
  • [28]
    Le Comité Tiziano, Bourgois, p. 291-292.
  • [29]
    « Ce qui rend difficilement reproductible un tableau vient de ce que nous avons postulé pour la production d’un double : l’exigence d’une connaissance parfaite des règles et des procédures opératives qui ont présidé à l’élaboration de l’objet : or, en ce qui concerne l’œuvre d’un peintre, nous ne connaissons pas du tout ces procédures dans toute leur complexité et, au minimum, nous ne sommes pas en mesure de reconstruire le processus productif étape par étape et dans l’ordre selon lequel il s’est réalisé » U. Eco, (1992b), p. 19.
  • [30]
    Le Tableau du maître flamand, p. 44.
  • [31]
    Passeron J.-C., Pedler E., (1991), p. XX.IX
  • [32]
    Trois carrés rouges sur fond noir, p. 53
  • [33]
    Les Cantiques de l’Archange, p. 81.
  • [34]
    Par exemple, une rumeur court sur un tableau de Poussin, Les Bergers d’Arcadie, qui contiendrait des informations, sous forme d’inscriptions mystérieuses, indications spatiales par représentation du paysage réel, utilisation de symboles mystiques comme le pentacle, permettant de résoudre l’énigme de Rennes-le-Château et de trouver le trésor caché des Templiers.
  • [35]
    Trois carrés rouges sur fond noir, p. 219.
  • [36]
    U. Eco, 1992a, p. 56
  • [37]
    Ibid, p. 56
  • [38]
    Le Tableau du maître flamand, p. 54-55.
  • [39]
    Paul Ricœur, (1965), p.25
  • [40]
    1992a, p.54.
  • [41]
    Le Tableau du maître flamand.
  • [42]
    Le Comité Tiziano, p. 217.
  • [43]
    L’Oiseau des ténèbres.
  • [44]
    1992a, p. 66.
  • [45]
    Grize J.-B., (1990), p. 92.
  • [46]
    Qui sont : « en allant dans le sens plus immédiat aux sens seconds qui sont médiatisés par le travail de la compétence culturelle ou de l’enquête historique : 1) Le niveau de reconnaissance « pré-iconographique » où s’opère l’identification du « sujet primaire ou naturel », tant (a) en ses aspects « narratifs » (l’action qui est représentée) qu’en (b) ses aspects « expressifs » (les sentiments prêtés aux personnages) ; 2) Le niveau de l’analyse « iconographique » où s’opère l’identification des motifs « conventionnels » d’un tableau : histoires, thèmes et allégories impliquant savoir ou familiarité avec la culture où ils ont cours ; 3) et enfin le niveau de l’interprétation « iconologique » qui, mettant en rapport l’analyse iconographique avec la connaissance des contextes de l’œuvre (biographie, période, classe, culture, histoire des idées, genres, etc.) vise à reconstruire son « sens intrinsèque ». » (cité par Passeron J.-C., Pedler E., op. cit., p. XX.)
  • [47]
    Passeron J.-C., Pedler E., op. cit., p. XX.
  • [48]
    Trois carrés rouges sur fond noir, p. 133-134.
  • [49]
    Les Cantiques de l’Archange, p. 64
  • [50]
    1992a, p. 229.
  • [51]
    p. 133-134.
  • [52]
    Umberto Eco (1992a) propose trois notions pour démontrer le fonctionnement du procès d’interprétation textuelle, lequel peut facilement glisser vers de la surinterprétation : l’intentio auctoris ou intention de l’auteur, préalable au texte, l’intentio operis ou intention de l’œuvre, ensemble de contraintes qui dirigent l’intentio lectoris ou intention du lecteur, processus d’interprétation et d’élaboration de l’œuvre.
  • [53]
    « Soulignons que dans l’interprétation, outre que (i) une expression peut être substituée par son interprétation, on a également le fait que (ii) ce processus est théoriquement infini, ou du moins indéfini, et que (iii) lorsqu’on utilise un système de signes donné, on peut aussi bien refuser d’interpréter ses expressions que choisir les interprétations les plus adéquates selon les divers contextes. » (U. Eco, 1992a, p. 241)
  • [54]
    Le Tableau du maître flamand, p. 305.
  • [55]
    L’Oiseau des ténèbres, p. 134.
  • [56]
    Un talent mortel, p. 361-362.
  • [57]
    Le Jugement dernier, p. 293.
  • [58]
    Trois carrés rouges sur fond noir, p. 133.
  • [59]
    Sauvageot A., 1994, p. 18.
  • [60]
    Le Chat qui lisait à l’envers, 1992, p. 97-98
  • [61]
    P. 179
  • [62]
    Un talent mortel, p. 299.
« L’hypothèse est que le regard sur les tableaux obéit à des « habitudes perceptives » et à un « style cognitif » formé et exercé dans les expériences de la vie quotidienne. Dès lors, une histoire sociale de la lecture de l’œuvre d’art tente de reconstruire ce qu’on pourrait appeler une phénoménologie de la perception esthétique à partir des expériences communes. ».
J.-C Chamboredon, « Production symbolique et formes sociales. De la sociologie de la l’art et de la littérature à la sociologie de la culture », Revue française de sociologie, XXVII, 1986, p. 524-525
« Ce tableau renferme la clé de l’assassinat de Roger d’Arras. ».
Perez-Reverte A., Le Tableau du maître flamand, Lattès, 1993, p. 62

Introduction : l’art et la littérature

1Si les enquêtes sociologiques consacrées aux œuvres comparent art et littérature, montrant comment chacune de ces formes de création, à partir d’un même thème, propose des traitements différents, plastiques ou littéraires, la question de l’art dans la littérature, a fortiori dans la paralittérature, a été peu abordée, contrairement aux représentations du livre et de la lecture dans l’art [1]. Puisque art et littérature sont des formes d’expression, des productions matérielles et cognitives par lesquelles le social se donne à voir et à appréhender, poser la question du traitement de l’art et des œuvres dans les récits signifie interroger la façon dont une forme d’expression se saisit d’une autre, dont l’une s’incarne dans l’autre : que devient l’art dans la littérature, et plus précisément comment s’opère le passage d’une œuvre (un tableau par exemple) du monde de l’art au monde du texte ?

2Notre réflexion porte sur le roman policier, genre emblématique de la modernité à travers le roman à énigme et de la contemporanéité par le thriller. Les spécificités narratives et les contraintes d’écriture qui régissent ces romans font de ce genre un « terrain » pertinent et particulièrement intéressant pour analyser la transformation du pictural en littéraire. La question se pose de savoir comment s’orchestre l’intégration du tableau dans l’univers textuel romanesque. La présence du tableau dans le littéraire pose aussi la question de sa lecture, de la lecture de l’art. En effet, les œuvres qui jouent un rôle important dans le récit sont « lues », autrement dit analysées et interprétées. Le procès de lecture d’un tableau littérarisé, réalisé par un personnage romanesque, qui plus est dans un récit policier énigmatique, diffère-t-il de la lecture picturale effectuée par un spectateur ordinaire ou spécialisé ?

3Pour répondre à ces questions, nous avons élaboré un corpus, construit de façon « hasardée » i.e. sans sélection préalable des œuvres. Y ayant inséré tout roman policier contemporain [2] traitant d’un ou de plusieurs tableaux jusqu’à obtenir redondance et donc saturation, nous considérons que notre corpus, composé de trente et un romans, est représentatif de la production actuelle, et s’avère de ce fait pertinent pour étudier le pictural dans le textuel.

L’art dans la littérature policière

Du tableau « objet » au tableau « sujet » d’un roman

4— La première observation générale qui peut être faite à la lecture des trente et un romans de notre corpus, est la suivante : l’art et le roman policier font bon ménage, notamment parce que le monde de l’art flirte parfois avec celui de la délinquance financière [3]. Le milieu de l’art est dépeint à grands traits comme un monde sans scrupules composé d’affairistes, d’opportunistes et de quelques réels artistes [4].

5— La deuxième observation générale concerne la manière dont les romans « composent » avec l’art : on observe deux catégories de romans qui se distinguent l’une de l’autre par l’utilisation qui est faite de l’art. Dans la première catégorie, où l’art est utilisé comme « toile » de fond et n’a pas, à ce titre, de réelle importance dans l’intrigue mais constitue un élément du décor, le monde de l’art est décrit et présenté comme le serait n’importe quel autre monde social, il sert de contexte à l’histoire. Dans la seconde où l’art, et plus particulièrement un tableau, joue un rôle central dans l’intrigue, il est partie prenante de l’histoire ; il est considéré comme un monde social aussi singulier que spécifique (par les lieux qui le structurent, les acteurs qui y agissent, les œuvres qui le composent, etc.). C’est sur cette deuxième catégorie que porte plus spécifiquement notre analyse.

6Au-delà de ces remarques générales, il faut également noter que dans la réalité, le tableau a une existence physique comme objet concret et palpable, et dans un même temps, en tant qu’objet d’art, il a une existence symbolique et esthétique, qui le distingue des objets quotidiens (usuels et fonctionnels) ; il représente d’emblée bien plus que les éléments matériels dont il se compose. Et, « d’un certain point de vue, les formes visuelles ont un net avantage sur les mots. Elles s’expriment notamment dans un espace bi- et tridimensionnel alors que la séquence du langage verbal est unidimensionnelle [5]. » De fait, le passage du tableau du domaine du visuel au domaine de la littérature le transforme, c’est un autre « objet » qui prend forme. Le tableau, comme tout autre objet du monde physique, en intégrant le roman perd sa qualité d’objet matériel ; au mieux on peut en avoir un aperçu visuel par le biais d’une reproduction, mais c’est alors une image que le lecteur perçoit.

7On observe aussi que son aspect esthétique est sous-représenté. Dans la réalité des mondes de l’art, matériaux, couleurs, jeux de lumières, figures, signes, symboles, modalités d’agencements, etc. sont autant d’éléments qui organisent l’œuvre, produisent des effets esthétiques et qui en font un objet artistique. Les romanciers, sans pour autant négliger l’importance de ces éléments, ne s’y attardent pas, leur propos n’est pas de parler d’art et d’esthétique mais de construire une histoire dans laquelle l’art et/ou une œuvre d’art jouent un rôle, au premier ou au second plan. L’absence de la réalité palpable de l’œuvre et la sous-représentation de sa dimension esthétique sont deux remarques préalables nécessaires pour amorcer l’analyse du tableau et de ce qu’il devient dès lors qu’il intègre le texte, ne serait-ce que parce que ces deux éléments sont au fondement de ce qui « fabrique » la spécificité de l’œuvre d’art et de ce qui « organise » l’expérience réceptive des spectateurs dans la réalité. Cette question déterminante permet d’aborder frontalement la question de ce que devient l’art dans la littérature : comment l’auteur intègre l’œuvre d’art dans son roman, en la « dépossédant » de deux des éléments qui la caractérisent dans la réalité ? Pour le dire en d’autres termes : comment « traduit-il » le visuel en textuel sachant que « les qualités esthétiques ne peuvent être communiquées qu’à travers une expérience directe. […] C’est la raison pour laquelle il est impossible de communiquer la connaissance de La Joconde en la décrivant », qu’« il est impossible d’établir des critères d’identification pour les œuvres d’art qui prendraient appui sur leurs qualités esthétiques. » [6] ?

8La tâche est complexe parce que l’art n’est pas un langage doté d’un vocabulaire, d’une syntaxe, etc., qu’il suffirait de déchiffrer ou de traduire en mots. Écrire à propos de ce que l’on voit, en l’occurrence une œuvre d’art, répond ainsi à des exigences spécifiques. « Comment écrit-on sur l’art ? », « Comment décrit-on l’art ? » sont alors deux questions à aborder. Un détour par les écrits à vocation critique et esthétique permet de mieux saisir la complexité de la description de l’œuvre d’art et permet en retour d’engager la réflexion sur les écrits romanesques.

Écrits à vocation esthétique versus écrits à vocation romanesque

9Les écrits qui relèvent de l’esthétique et de la critique d’art ont une vocation d’accompagnement ; Baudelaire attribuera même à la critique d’art une vocation éducative : si concrètement elle propose un jugement (positif ou négatif), si elle amène des clés de lecture sur la forme ou le contenu, l’objectif principal est bien de commenter l’œuvre afin d’en donner une (des) interprétation(s), d’en permettre une compréhension approfondie, en complément de ce que la vue aura saisi. Le critique, l’esthéticien pourra appuyer son propos (simultanément ou distinctement) sur différents éléments constitutifs de l’œuvre elle-même (la technique et les matériaux utilisés par les artistes ; les intentions et le matériau affectif « incarnés » dans l’œuvre, ce qui est présenté et représenté, etc.), à son « environnement » (le contexte historique de l’œuvre, la vie du peintre, etc.), à son statut et à ses spécificités dans le monde de l’art (valeur marchande, appartenance à un courant artistique particulier, etc.), à son contenu manifeste (des personnages, un paysage, des formes géométriques, etc.), ou encore aux effets esthétiques produits par l’œuvre (contemplation, rire, dégoût, etc.), etc. Autant d’éléments et d’aspects significatifs dans le contexte du monde de l’art « réel » et signifiants pour l’amateur d’art, les professionnels, les artistes, mais qui se révèlent quasi absents dans les romans policiers.

10En effet, les romans ne présentent bien souvent que très partiellement tous les éléments qui articulent et composent le commentaire esthétique de la critique. L’écrit sur l’art selon qu’il est au service d’une analyse à vocation esthétique et artistique ou au service de l’intrigue d’un roman ne se construit pas de manière analogue : en intégrant le texte, c’est dans une autre catégorie d’objets que le tableau s’insère, catégorie d’objet qui fait sens dans le monde littéraire, et donc sur la base de critères différents et propres à ce monde. Pour ne prendre qu’un exemple, dans Sage comme une image, le tableau Marc et Harriet à Orcadia Place est décrit comme suit :

11« Les deux jeunes gens étaient dans une cour ou un jardin ensoleillé, devant ce qui ressemblait à un arbre. Mais un arbre sans tronc ni branches, plutôt un rideau de feuillage. Le tout servait simplement d’arrière-plan à cet homme et à cette femme debout, légèrement à distance l’un de l’autre, se tenant les mains, leurs doigts se touchant délicatement. Il était brun, barbu, les cheveux longs, vêtu de bleu sombre, elle, c’était une beauté rousse, une masse de cheveux brun-roux bouclés, exactement de la même couleur que sa longue robe Régence. Ils ne se quittaient pas du regard qui semblait rempli de tendresse, d’amour et de désir. » [7]

12Si l’on sait (parce que cela est dit en amont) qu’il s’agit de la description d’un tableau, ce passage pourrait aussi bien correspondre à la description de personnages de la fiction. La description de l’œuvre est ici bien différente de celle qui aurait pu être faite dans un texte à vocation esthétique utilisant les concepts et critères spécifiques à l’art.

13Alors que les textes de critique d’art disent « plus » que ce que l’œuvre ne montre d’elle-même, déploient l’œuvre dans le texte, les romans fonctionnent selon une logique d’économie discursive. Là où l’auteur de textes esthétiques propose des pistes de réflexions, des métaphores et analogies, des mises perspectives, des analyses approfondies, les auteurs de romans policiers s’en tiennent le plus souvent à une description sommaire (personnages représentés dans le tableau ou formes et couleurs, etc.) et délivrent les informations élémentaires (type d’œuvres, nom de l’artiste, etc.), à savoir les éléments nécessaires à la compréhension de l’intrigue. Puisque, comme l’observe U. Eco, « un texte est un mécanisme paresseux (ou économique) qui vit sur la plus-value de sens qui y est introduite par le destinataire ; et ce n’est qu’en des cas d’extrême pinaillerie, d’extrême préoccupation didactique ou d’extrême répression que le texte se complique de redondances et de spécifications ultérieures » [8], il ne s’agit pas d’appréhender le monde de l’art, ni de faire le tour des propriétés artistiques et des effets esthétiques de l’œuvre, mais plus simplement de rendre vraisemblable la fiction proposée. Lorsque des éléments tels que la vie du peintre, le contexte historique, l’esthétique de l’œuvre, etc., sont détaillés c’est parce qu’ils ont une utilité dans l’histoire, qu’ils éclairent l’enquêteur et le renseignent sur le crime ou l’assassin. C’est le cas par exemple dans Le Tableau du maître flamand où de longs passages sont consacrés à la description du tableau, parce qu’il est la clé de l’énigme ; ou encore dans L’Oiseau des ténèbres où la vie et l’intention créatrice de Jerôme Bosch constituent des éléments nécessaires à l’élucidation du crime.

L’œuvre d’art à l’épreuve des contraintes narratives : indices et informants

14Les tableaux littérarisés détiennent des degrés d’importance variable par rapport au déroulement de l’histoire, et peuvent être répartis, en appliquant à notre corpus la terminologie barthésienne de la structure narrative des récits, en deux catégories que nous avons appelées tableaux indices et tableaux informants. Tandis que les tableaux-indices « ont donc toujours des signifiés implicites [9] », les tableaux-informants « sont des données pures, immédiatement signifiantes [10] », qui aident à renforcer la littérarité du roman, en « meublant » le décor, en donnant consistance à l’univers du récit lorsqu’il s’agit du monde de l’art ; ils font effet de réalité mais ne servent nullement la narrativité policière.

15La peinture, par la présence littéraire du tableau informant, vient en contrepoint des éléments constitutifs de l’intrigue donner un environnement spécifique à l’histoire, créer une atmosphère particulière. La victime peut être un collectionneur, un galeriste, et par sa personnalité, ses activités, entraîne l’enquête vers une fausse piste, liée à de possibles malversations financières. De même, la pratique artistique permet de caractériser un personnage, lui conférant une sensibilité artistique, et par là même, un supplément d’humanité qui renforce le vraisemblable littéraire : par exemple, le père de l’inspecteur Wallander, héros récurrent des romans de H. Mankell, est un peintre amateur, tout comme l’une des futures victimes de Birdman ou la détective privée Sunny Randall.

16À l’inverse, le tableau indice joue un rôle déterminant dans la fiction policière. Inclus dans ou détaché du monde de l’art, l’usage davantage pragmatique qu’esthétique qu’en font le criminel, l’enquêteur ou la victime, l’associe indubitablement à l’univers du crime, qu’il en soit l’inspirateur ou le mobile.

17« C’était le portait d’un clown, un jeune garçon déguisé en costume de fou d’il y a très très longtemps. Le corps était difforme et bossu, il arborait un sourire stupide qui allait d’une oreille à une autre et donc on aurait cru qu’un seule et profonde cicatrice. Je restais là, transfiguré, songeant à Elizabeth Short, morte à l’arrivée de la police, sur la 39e et Norton. Plus je regardais, plus les images fusionnaient. »

18Cette description du tableau indice, qui apparaît page 366, soit au deux tiers du roman Le Dahlia Noir, renvoie à celle du cadavre exposée page 107, soit près de deux cent cinquante pages avant :

19« Le plus atroce de tout, c’était le visage de la fille. C’était un énorme hématome violacé, le nez écrasé profondément enfoncé dans la cavité faciale, la bouche ouverte d’une oreille à l’autre en une plaie souriante qui vous grimaçait à la figure comme si elle voulait en quelque sorte tourner en dérision toutes les brutalités infligés au corps. Je sus que ce sourire me suivrait toujours et que je l’emporterais dans la tombe. » [11]

20Ce roman présente d’autres tableaux littérarisés, cette fois-ci informants, qui montrent que la famille du tueur est une famille riche et cultivée, créant une cohérence narrative causale formelle qui justifie la possession de la toile indice L’Homme qui rit, illustration inspirée par le roman éponyme de V. Hugo :

21« Il y avait une huile de Picasso sur le mur du fond – cent vingt bâtons […] Le maître flamand au-dessus de la tête de lit coûtait deux cents bons milliers de dollars [12]. »

22À l’instar de Le Dahlia Noir, la majorité des romans de notre corpus propose une description brève, parfois sommaire des tableaux, quand bien même l’œuvre est déterminante dans le récit. Ce minimalisme littéraire s’accorde avec les contraintes d’écriture propres au genre policier, dont les récits codés obéissent à des règles narratives et littéraires, établies et explicitées par les auteurs eux-mêmes. Ainsi les vingt règles posées en 1928 par l’Américain S.S. Van Dyne dans l’American Magazine, considérées encore de nos jours comme des règles du genre à respecter. La règle n°16 s’attache à la littérarité de l’œuvre et stipule : « Il ne doit pas y avoir, dans le roman policier, de longs passages descriptifs… Cela ne ferait qu’encombrer lorsqu’il s’agit de présenter clairement un crime et de chercher le coupable […] Je pense que, lorsque l’auteur est parvenu à donner l’impression du réel et à capter l’intérêt et la sympathie du lecteur aussi bien pour les personnages que pour le problème, il a fait suffisamment de concessions à la technique purement littéraire. Davantage ne serait ni légitime ni compatible avec les besoins de la cause [13]. »

23Il est certain que le lecteur qui recherche dans un roman policier avant tout une littérature de divertissement et non des voluptés stylistiques risque de se trouver rebuté par les descriptions trop longues d’un tableau [14], même si celui-ci s’avère essentiel pour la compréhension de l’intrigue. Dès lors, pour l’auteur, comment concilier visuel et textuel, littérarité picturale et narrativité générique ? Cet écueil est contourné dans certains romans, comme Les Sept crimes de Rome qui évite de longues descriptions en insérant une reproduction du tableau dans le corps du texte ; de même, le tableau du maître flamand se trouve en couverture de l’édition de poche du roman éponyme. Le visible se pose sur le lisible, sans pour autant fusionner : l’image du tableau fait corps avec le texte sans faire chair. Insérer une reproduction du tableau dans la matérialité textuelle aide à déjouer les risques cognitifs liés à l’incomplétude descriptive du tableau littérarisé, en favorisant une mise en image cognitive du tableau par le lecteur. Il peut ainsi échapper à l’arbitraire de la lecture de l’auteur [15], laquelle s’exprime à travers les choix des éléments picturaux intégrés dans le roman, au profit de son propre arbitraire.

24Malgré tout, alors même que le tableau peut-être visualisé, la lecture reste guidée puisque le texte suggère au lecteur ce qu’il doit voir. Voici comment dans Les Sept crimes de Rome est dépeinte la gravure de J. Bosch insérée :

25« Tous les meurtres y figurent. Celui de Jacopo Verde, d’abord. Le corps nu, décapité, une épée fichée dans le dos […]. Le second meurtre, celui du Forum, figure au second plan de la gravure. Un homme nu à nouveau, les mains attachées dans le dos aux barreaux d’une échelle […]. Au centre d’une ligne reliant les deux hommes, on assiste au calvaire de la vieille Giulietta. La coquille et le couteau qui nous avaient tant surpris le soir de leur découverte ont sur le dessin une forme démesurée. Pour autant l’assassin n’a pas renoncé à suivre son modèle : il en a disposé les éléments sur le lit de torture. Lui-même semble présent aux côtés de sa victime, l’épée levée, prêt à lui trancher le cou […]. Trois crimes d’horreur, donc, imaginés chacun par Hieronymus Bosch et fidèlement exécutés par l’assassin des colonnes […]. L’inquiétant, cependant, venait du reste de la gravure : ces membres décollés, ce corps jeté dans un trou, cet autre pendu à l’intérieur d’une cloche, ce troisième étendu au pied d’un arbre, ce gros personnage à moitié dévêtu et percé d’une flèche… Ce dessin maléfique offrait plus qu’une menace : le macabre programme des crimes à venir. » [16]

26La description du tableau établit un lien entre les meurtres narratifs déjà réalisés dans le texte, sorte de récapitulatif, puis génère un effet de suspense car les autres personnages du tableau s’inscrivent dans une programmatique, indiquant les meurtres à venir dans le cours du récit. Le tableau, inscrit au milieu du roman, fait effet de bilan puis d’annonce : il clôture une première étape de la narration pour l’ouvrir sur une seconde (il s’est passé ceci, à présent il va advenir cela). Il est la prévision non d’une disjonction textuelle qui conduirait le récit dans une autre perspective mais l’affirmation d’une redondance qui pose que le roman se conformera au programme narratif exprimé par le titre, à savoir que le lecteur aura bien droit à sept crimes.

27Les romans de notre corpus présentent pour la plupart des tableaux fictionnels, créés pour les besoins du récit policier, mais quelques uns intègrent dans la fiction des tableaux existants dans le réel [17]. Dans ce cas, quelle que soit l’œuvre présentée (abstraite ou figurative, surchargée ou épurée) sa description littéraire est ainsi incomplète, même si elle court sur plusieurs pages. Pour des raisons d’économie textuelle, l’auteur sélectionne à partir du tableau réel, les propriétés qu’il juge indispensables à la compréhension de l’intrigue, tentant d’éviter que la littéralité surcharge la narrativité. La lecture du tableau que fait l’auteur est de ce fait pragmatique et non esthétique, puisqu’il doit retranscrire de façon compréhensible pour le lecteur le contenu du tableau. En voulant faire coïncider le monde du réel dans lequel le tableau existe avec le monde possible du texte qu’il crée, il fictionnalise un objet existant qu’il littérarise. Dans le cas de tableaux inventés, l’incomplétude de leur description tient à la spécificité même du récit romanesque, caractérisé par l’incomplétude des mondes narratifs. Le tableau imaginé ne peut être totalement écrit puisque, selon U. Eco, « les mondes narratifs sont incomplets et sémantiquement non homogènes [18] ». En fait, « le genre narratif ne survit qu’en jouant sur de petits mondes. » [19]

28Dans tous les cas, l’auteur privilégie les dimensions narratives et informatives au lieu des dimensions artistiques et plastiques, et, bien que jouant sur la pluralité des niveaux de sens de l’œuvre, il sélectionne une unique signification. Ce genre emblématique de la modernité met en avant la rationalité ; il figure un univers où tout est explicable, où chaque objet ou événement, même le plus apparemment absurde, possède une explication rationnelle. Puisque tout élément de cet univers est doté d’une cause, l’art gratuit, sans cause ni explication rationnelle, ne peut être envisagé. La gratuité de l’art, tout comme le meurtre gratuit, s’exclut totalement de l’univers du policier, et plus généralement d’une conception moderne d’un monde régi par la science et la rationalité. De ce fait, même les œuvres d’art contemporain se retrouvent dotées d’une signification, elles deviennent discours à défaut de narration dans l’univers du récit policier.

À la recherche du sens caché : mystère de l’art, mystère du crime

29« Malgré la banalité de son sujet, le tableau comportait un élément étrangement troublant, comme si cette scène ordinaire recelait un secret empreint d’une profonde malveillance […].

30[le tableau] rendait à la banlieue le même service que les peintres australiens du XIXe au bush – en l’élevant au rang de sujet digne d’un artiste. Chez Soi représentait le Parthénon du lotissement avec, en plus, et pour faire bonne mesure, une touche discrète de causticité. Sans parler d’un petit quelque chose de mystérieux, pour qu’on sache bien qu’on se trouvait en présence d’une œuvre d’art. » [20]

Le meurtre : une lecture picturale

31Qu’il s’agisse de thrillers, de romans noirs ou à énigme, les récits de notre corpus ont en commun d’être des récits d’enquête – quête cognitive – soit pour résoudre soit pour empêcher un meurtre. Récits de lecture d’un ou de plusieurs tableaux, mise en représentation des formes de réception des œuvres, ils exposent les parcours cognitifs d’interprétation qu’accomplissent le meurtrier, l’enquêteur, éventuellement la victime, parcours tant brefs que longs, ardus et segmentés.

32Le roman policier se compose de deux éléments narratifs fondamentaux qui permettent de définir son appartenance au genre : le meurtre et l’enquête qui s’ensuit. Avant de nous attacher au procès d’enquête, attardons-nous un instant sur le meurtre. Si la majorité des romans étudiés exposent des meurtres « communs », semblables aux assassinats ordinairement décrits dans les récits policiers et de ce fait délaissant le monde de l’art au profit du monde ordinaire du crime, il en est quelques-uns qui fusionnent meurtres et art : le texte argumente l’opposition artistique traditionnelle « création originale versus reproduction » plus ou moins servile ou mercantile d’un modèle éprouvé.

33Lorsqu’il n’est pas considéré comme un geste artistique [21], le meurtre lié à l’art est le plus fréquemment une illustration ou une reproduction d’une œuvre, reproduction d’un unique tableau, comme dans Les Sept crimes de Rome, Le Comité Tiziano, L’Oiseau des ténèbres ou Le Dahlia Noir, reproduction d’un ensemble de tableaux d’un unique peintre, comme dans La Fille aux yeux de Botticelli. Le texte pictural s’inscrit et s’in-carne dans la chair de la ou des victime(s), les tortures endurées par Le Dahlia Noir allant jusqu’à former une véritable « écriture de sang [22] ». La reproduction de l’œuvre se décline selon plusieurs aspects : partielle, – seul un aspect du tableau est pris en compte, tel le sourire de L’Homme qui rit –, fragmentée – plusieurs cadavres, découverts dans des temps et espaces différents, concourent à recomposer une gravure de Jérôme Bosch –, totale – les cadavres sont insérés dans un décor qui reconstitue dans son ensemble une œuvre de Botticelli.

34De même que l’essentiel des œuvres des récits de notre corpus concerne des personnages délaissant les décors au profit des représentations humaines [23], les meurtres reproduits constituent un travail sur les personnages, et non sur le décor. Toutefois, il arrive que des éléments décoratifs soient aussi ajoutés au cadavre, cette mise en scène macabre reprenant les éléments jugés les plus signifiants de l’œuvre, permettant alors d’identifier non le mort mais l’œuvre à laquelle il est fait référence. Les objets décoratifs s’ajoutent souvent à une disposition particulière du corps, qui favorise également la reconnaissance picturale. Par exemple, la description de la scène du troisième crime de Les 7 crimes de Rome, dont les éléments apparemment incompréhensibles feront sens une fois la gravure de J. Bosch découverte :

35« Entre les jambes de la morte, la lame tournée vers le haut, un grand couteau dépassait, tout rougi de sang (…) Je désignais une petite chose noire en forme d’ailes déployées, posée délicatement entre l’épaule et le cou de la morte…

36– Une moule, oui. Ouverte et vidée de son fruit. À n’en pas douter, un autre indice que nous laisse l’assassin. Une coquille de moule vide et un couteau à trancher [24]… »

37Le meurtre-reproduction d’un tableau peut être considéré comme une forme de réception de l’œuvre ; le texte expose une lecture picturale. Le tueur accomplit sa lecture par le meurtre ; de récepteur, il devient producteur à son tour mais sa (re)production s’avoue partielle et sélective dans la mesure où il ne met en scène que certains éléments, qui font sens dans sa démarche meurtrière, au détriment d’autres. Cette forme lectorale qui conjugue réception et production relève d’une pragmatique et non d’une esthétique [25] car la mise en scène, en plus de reproduire une œuvre, contient un message performatif adressé aux enquêteurs ; elle est un acte de langage qui souhaite orienter l’enquête dans une direction particulière, et non un acte artistique autofinalisé, alors que, comme le souligne U. Eco, « le message assure une fonction esthétique lorsqu’il est structuré de manière ambiguë et apparaît comme auto-réflexif, c’est-à-dire lorsqu’il entend attirer l’attention du destinataire sur sa propre forme avant tout [26]. »

38La reproduction d’une peinture peut tout autant s’avérer l’expression d’un fantasme ou d’un traumatisme qui s’exprime et tente, sans y parvenir, de s’exorciser de la sorte :

39« Elle tomba alors sur L’homme qui rit de Victor Hugo et fut touchée par les Comprachicos et leurs victimes défigurées. Elle acheta la toile de Yannatuono et la garda cachée pour s’en repaître en souvenirs de Géorgie à ses heures de liberté (…) Après deux journées entières [de tortures], elle entailla la bouche d’Elizabeth Short d’une oreille à l’autre, tout comme Gwynplain, pour ne plus la haïr une fois qu’elle serait morte. » [27].

40La reproduction peut, à défaut, être accomplie froidement –ainsi dans Un talent mortel le tueur reproduit le tableau d’un peintre pour le faire accuser de meurtre –, être réalisée par le tueur ou par la victime, ultime message où la lecture s’accomplit dans le propre corps du lecteur :

41« Elle sait qu’elle est en train de mourir et qu’elle ne sera pas secourue à temps (…) Elle tente de laisser un indice suggérant ce qui s’est passé. Elle n’est pas traînée dans la serre par quelqu’un (…) Elle s’y est traînée elle-même parce qu’elle sait ce qui s’y trouve : des fleurs choisies par elle pour décorer la table du banquet de samedi. Elle arrache la croix de son cou et s’empare d’une fleur. Une croix et un lys. Le symbole de Saint-Antoine. Les fleurs étaient destinées à illustrer sa magistrale découverte de Milan, mais elles lui ont en fait servi de gerbe mortuaire [28]. »

42Le tableau est à la fois une œuvre que l’on reproduit, sans pour autant créer de l’art à son tour ni même un réel double [29], et un message qu’il faut déchiffrer lorsque le tableau inspirateur a été découvert. La découverte du cadavre constitue la première étape de l’enquête policière. Si les enquêteurs manifestent de l’étonnement, voire de la stupéfaction, quant à l’état du corps (posture incongrue, acharnement post-mortem qui traduit un mélange contradictoire de fureur et de calcul, etc.), il n’est nullement fait référence à une œuvre d’art quelconque ; celle-ci apparaîtra tardivement dans le texte, de façon hasardée ou bien résultat du travail d’enquête ou de la volonté du meurtrier, occasionnant alors, par une confrontation entre la scène du crime et la scène picturale, une bifurcation dans le procès cognitif fictionnel qu’est l’enquête policière narrée.

43La lecture du tableau qu’opère le meurtrier ou la victime se partage entre pragmatisme et effet esthétique, au contraire de l’enquêteur dont la lecture s’avère uniquement pragmatique. L’art apparaît alors un moyen ou une étape dans le procès d’enquête, qui le guide vers la solution du mystère et la découverte et du crime et du criminel.

L’enquête : une lecture pragmatique de l’œuvre

44« Quelqu’un a assassiné ou fait assassiner un certain Roger d’Arras le Jour des rois 1469. Et l’identité de l’assassin est révélée dans le tableau [30]. »

45Le procès d’enquête dépeint dans le roman policier a un objectif « terre à terre » qui est la résolution d’une énigme, dans laquelle une peinture joue un rôle, semble-t-il, déterminant. C’est pourquoi la description narrative de la lecture du tableau qui s’opère est avant tout pragmatique et non esthétique. Le procès de lecture exposé est une forme du pacte interprétatif défini par J.-C. Passeron et E. Pedler : « l’instauration d’un pacte interprétatif paraît dans le cas de l’image s’énoncer comme la quadrature d’un cercle sémiologique : le régime signifiant des sèmes iconiques interdit à toute image de jamais asserter comme une phrase ; autrement dit le concept de « proposition iconique » est impensable et indéfinissable. Mais en même temps le visionneur d’une image n’en comprend quelque chose qu’en se mettant en posture de croire qu’elle affirme quelque chose à propos du monde (naturel ou surnaturel) et que son auteur a eu l’intention de dire par l’image ce qu’une ou des phrases auraient pu dire [31]. » C’est ce que reflète la posture cognitive des personnages des récits policiers confrontés à une œuvre d’art :

46« Cette toile n’avait pratiquement aucune valeur, et si on l’a volée c’est qu’elle montrait autre chose. […] C’est le boulot d’un spécialiste de lire ce qu’il y a dans une toile, d’en déceler le mystère. […] Si on ne retrouve pas mon agresseur je mourrai sans savoir ce qu’elle cherchait à dire cette toile [32]. »

Mystère et hermétisme

47« Je me souviens du tableau et particulièrement des symboles peints sur la tunique de l’ange.

48– Ils étaient peut-être là uniquement pour faire beau.

49– Non, rien dans ce tableau n’était là « pour faire beau ». Il s’agissait bel et bien de symboles, et je finirai par découvrir leur signification. » [33]

50Dans l’univers du roman policier, où tout fait sens, l’art ne saurait être gratuit ; toute œuvre dissimule un secret. La lecture d’un tableau consiste à mettre au jour le sens caché, qui ne se donne pas au profane. L’univers fictionnel compose avec une croyance efficiente dans le réel [34], selon laquelle le sens serait inscrit dans la matérialité de l’œuvre et qu’il suffirait de disposer des bons outils, soit cognitifs comme un dictionnaire de symboles, soit techniques, tels une loupe ou du décapant, pour le faire apparaître.

Le sens dissimulé

51Dans le tableau, sous la peinture, se dissimule un secret, une révélation inscrite telle quelle, i.e. à l’état brut, non codée et donc immédiatement déchiffrable une fois découverte

52« Maintenant, si vous vous penchez sur l’extrémité de la flèche d’église, vous y verrez, mais je n’ai pas de loupe […] le visage de notre honte. Les traits de notre propre remords.

53– Le portrait de Bettancourt ?

54– Oui, incroyablement fidèle. Et ce n’est pas tout. En scrutant bien la couleur on comprend qu’elle recouvre un texte. […] Un aveu. Détaillé. » [35].

55C’est l’aveu d’un meurtre que le peintre a écrit puis il a peint par dessus le visage de la victime, dissimulé à son tour sous une peinture abstraite ; ce roman, dans lequel l’abstrait dissimule du figuratif qui dissimule un message écrit, illustre une forme d’hermétisme où « chaque fois que l’on croira avoir découvert un secret, celui-ci sera tel si, et seulement si, il renvoie à un autre secret, dans un mouvement progressif vers un secret final [36] ». Cependant, là où l’hermétisme pose qu’en fait « il ne peut y avoir de secret final. Le secret final de l’initiation hermétique, c’est que tout est secret. Le secret hermétique doit être un secret vide » [37], le roman policier doit satisfaire la curiosité du lecteur, qu’il a éveillée et entretenue tout au long de l’intrigue par des procédés narratifs, en lui proposant une explication concrète.

Le sens symbolisé

56« Il n’était pas rare autrefois qu’une œuvre d’art recèle des jeux et des clefs occultes […]. Les symboles et les codes secrets apparaissent fréquemment dans les arts. Même dans l’art moderne… Le problème, c’est que nous ne possédons pas toujours les clefs nécessaires pour décrypter ces messages » [38].

57L’utilisation de symboles dans la peinture constitue un autre procédé d’insertion d’un message dans une œuvre. En fait pour P. Ricœur, « il y a symbole lorsque le langage produit des signes de degré composé où le sens, non content de désigner quelque chose, désigne un autre sens qui ne saurait être atteint que dans et par sa visée » [39]. Cette codification du message nécessite des connaissances expertes, contrairement à la première forme de dissimulation. Il s’agit d’une expertise qui dépasse amplement le monde de l’art ainsi que l’univers du crime, mais renvoie vers une érudition, une connaissance que possèdent encore quelques spécialistes, posés comme tels, universitaires par exemple que l’enquêteur va rencontrer afin de rendre lisible et d’interpréter correctement le tableau. Car, comme l’affirme U. Eco, « puisque la quête d’une vérité différent naît de la défiance envers le savoir contemporain, cette sapience sera très ancienne : depuis la nuit des temps nous vivons auprès de la vérité mais nous l’avons oubliée » [40].

58Afin de renforcer l’effet narratif énigmatique, les romans analysés utilisent aussi l’écriture en complément du tableau. Il semblerait ainsi que la littérature policière ne saurait se satisfaire d’une image sans texte, de symboles uniquement visuels. C’est pourquoi plusieurs romans de notre corpus, lorsque les tableaux sont anciens, utilisent, dans un mouvement de redondance et d’amplification de l’énigme, des écritures mystérieuses, rédigées en latin, le latin étant dans l’imaginaire contemporain la langue même de la « sapience ancienne », de l’érudition et du mystère. Les phrases en latin, donc non immédiatement compréhensibles par l’enquêteur, sont inscrites dans le tableau mystérieux et parfois en plus découvertes sur les lieux du crime, sur le cadavre. Ces inscriptions sont des menaces, des avertissements ou des signaux d’un meurtre, et même traduites, elles restent néanmoins obscures. La traduction n’élimine pas totalement l’hermétisme des inscriptions car elles revêtent généralement un double sens ; elle livre une partie du secret tout en ouvrant sur une pluralité de sens, dont un seul sera validé. Par exemples, ces inscriptions :

59« Quis necavit equitem » [41], qui signifie « qui a pris le cavalier ? », auquel cas cela renvoie à un jeu d’échecs, et « qui a tué le chevalier ? », qui réfère à un meurtre. Homo igit consultut[42], qui veut dire « un homme meurt et disparaît » ; cette citation extraite du livre de Job renforce l’hypothèse d’un meurtre ancien. Le texte révélera par la suite que la citation complète du livre de Job est « un homme meurt et disparaît, un homme arrive au terme de sa vie, et où se trouve-t-il ? », soit « Homo igit consultut atque nudat queso ubi est », ce qui donne à l’enquête un éclairage différent. Autre inscription, « Cave cave deus videt » [43], « prends garde, prends garde Dieu voit », écrite sur le bâillon d’un cadavre, également écrite sur un tableau de J. Bosch auquel elle renvoie.

60Dans ces récits, tableau et écriture vont de pair et l’interprétation juste de l’un entraîne automatiquement la compréhension de l’autre, de même que l’interprétation erronée de l’un rejaillit sur l’autre.

61Mystère et sens caché sont donc deux éléments qui participent pleinement à l’expérience esthétique. Nous venons de voir qu’ils peuvent être sciemment présents dans l’œuvre, dès sa création ; mais ils peuvent aussi émerger de manière subséquente lors de sa réception.

Sens caché, création lectorale

62Dans une partie des romans de notre corpus, l’unique sens signifiant pour l’enquête ne réside pas dans l’œuvre mais est apporté par son lecteur qui élabore une interprétation personnelle en fonction de son propre monde de référence, dont l’a doté l’auteur, performé par ses expériences ordinaires réalisées dans le monde de la quotidienneté textuelle, et non d’un savoir pictural. S’exprime ainsi une autre croyance hermétique car, selon U. Eco, « la tradition hermétique alimente toute attitude critique selon laquelle un texte n’est autre que la chaîne des réponses qu’il produit, quand on considère […] qu’un texte est uniquement un pique-nique où l’auteur apporte les mots et le lecteur le sens » [44]. Cette posture cognitive qu’illustrent les romans policiers est également celle de J. B. Grize, puisque pour lui « le sens est quelque chose qui se présente avec les signes […]. Le postulat auquel je souscris est donc que le sens n’est pas dans le tableau – les lignes et les couleurs – mais qu’il advient par celui qui regarde ou qui lit. Donner un sens à quelque chose, c’est donc toujours élaborer une forme donnée en lui conférant un contenu [45]. ». La lecture du tableau s’apparente à un travail herméneutique, qui peut inclure les trois herméneutiques superposées établies par Panofsky [46], privilégiant toutefois l’interprétation iconologique, laquelle « déborde de toutes parts les intentions du créateur, et nous fait passer de la sémiologie de la communication à la sémiologie de la signification par une série de questions articulées à des méthodes. » [47]

Ouverture de l’œuvre

63C’est parce que l’œuvre picturale est ouverte qu’elle autorise une pluralité de lectures interprétatives, y compris des lectures non conformes aux intentions initiales de l’auteur et à ses stratégies poïétiques. Ainsi ce dialogue entre un peintre abstrait et le héros du roman :

64« Alors, ça vous évoque quelque chose ?

65– Bah… En cherchant bien… Ça pourrait me faire penser à une mère qui protège sa fille sous son manteau parce qu’il pleut.

66– … ? […] Bon, O.K., chacun y voit ce qu’il veut. Moi, je ne pensais pas à ça en le faisant mais… bon… j’ai rien à dire. » [48]

67Cependant l’ouverture de l’œuvre se réduit au profit d’une unicité de sens dans le roman policier. En effet, une œuvre figurative, qu’elle se veuille réaliste, symbolique, surréaliste, n’a qu’un sens dans l’univers du roman policier :

68« À quoi vous fait penser ce tableau, docteur Frederickson ?

69– […] Bon sang, il ne s’agit pas d’un test de Rorschach ! Nous regardons tous le même putain de tableau, et vous voyez exactement ce que je vois ! » [49]

70Cette réduction du sens conduit à une négation de l’esthétique de l’œuvre. L’enquête policière concrétise une lecture pragmatique de l’œuvre qui renforce l’utilisation pragmatique du tableau effectuée par le meurtrier. L’apparente ouverture de l’œuvre est réduite, dans l’univers du récit policier, à un subterfuge, un leurre narratif destiné à dissimuler le seul sens concrétisable. L’activité lectorale interprétative des enquêteurs participe d’une interprétation sémantique, qui, pour U. Eco : « résulte du procédé par lequel le lecteur, placé devant une manifestation linéaire du texte, la remplit d’un sens donné » [50].

Clôture du sens

71« Mc Caleb finit par refermer le volume [un ouvrage sur Bosch], ayant compris que, pour ce qu’il avait à en faire, les opinions de tel ou tel sur l’œuvre de Bosch n’avaient peut-être pas grande importance. Si ses toiles pouvaient être interprétées de multiples façons, seule comptait celle de l’individu qui avait assassiné Edward Gunn. L’essentiel était de comprendre ce qu’il y avait vu. » [51]

72Nous venons de voir que les romans policiers posent l’hypothèse de l’ouverture de l’œuvre, sujette à de multiples interprétations, mais dont une seule est validée dans le cadre de l’enquête. Si une seule fait réellement sens, ce sens toutefois peut être très éloigné des stratégies poïétiques de l’auteur. Ce que recherche l’enquêteur, bien souvent n’est ni l’intentio operis ni l’intentio auctoris, mais l’intentio lectoris[52] de l’assassin, à condition bien sûr que le meurtrier ne soit pas le peintre lui-même. Il tente de reconstituer la lecture qu’a actualisée le tueur, qui l’a conduit à utiliser une œuvre préexistante comme modèle pour des meurtres ; il recherche aussi, au sein du texte pictural, ce qui a pu causer un choc « esthétique » aboutissant à des assassinats. La lecture réalisée par le tueur peut être une lecture falsifiée ou délirante ; l’enquêteur doit alors reconstituer le procès de surinterprétation. La lecture qu’opère l’enquêteur aboutit à un choix de sens, selon l’hypothèse faite sur l’interprétation du tueur. C’est en mettant au jour son procès cognitif que son identité pourra être découverte. C’est pourquoi l’enquêteur opère des choix de sens, validant des propositions interprétatives qui semblent cohérentes avec sa représentation construite du tueur, et rejetant d’autres [53], explorant « une série d’indices ; certains mineurs, d’autres importants » [54], au nom là encore d’une cohérence présupposée, de nature non esthétique mais pragmatique.

73« Il comprit bientôt que les tableaux étaient tellement détaillés et reproduits à une échelle si réduite qu’il risquait de rater certains indices importants. Il alla chercher dans la cabine avant la loupe dont il se servait toujours pour examiner les photos de scènes du crime du temps où il travaillait au Bureau, » [55]

74Tout comme la lecture d’un texte, la lecture d’un tableau n’est pas exempte d’une interprétation erronée. En effet, la pluralité des lectures qu’une œuvre autorise conduit à des lectures falsifiées, dont l’erreur judiciaire. Témoignage réel ou supposé d’un crime, le tableau est saisi et utilisé comme pièce à conviction, comme dans Un talent mortel, aboutissant à la condamnation du peintre pour un meurtre qu’elle n’a pas commis. Une lecture erronée de l’œuvre a été accomplie qui privilégie la signification la plus immédiate, celle donnée d’emblée, laquelle est un leurre utilisé par le vrai coupable, qui a organisé une scène du crime reproduisant le tableau :

75« C’est la toile qui m’a condamnée […]. La toile était là, sous les yeux de tous, preuve que j’étais une meurtrière sans cœur, froide et impitoyable […]. Au bas de la colline, elle [la victime peinte] est restée allongée, seule au monde, la tête dans l’herbe, regardant les nuages, et j’ai su que j’avais l’élément principal de mon tableau : couleurs parfaites, position techniquement difficile, et elle dégageait cette subtile et innocente exubérance que je savais pouvoir rendre. Et c’est ce que j’ai fait. C’était une bonne toile, solide, une des meilleures que j’ai jamais peintes, et on m’a envoyée en prison pour dix ans parce que j’avais aimé cette attitude, bras écarté, tête en arrière, nue. » [56]

Compétences lectorales

76« Je l’ai vu. J’en ai reconnu la facture, sans prendre conscience du fait. Couleurs intenses, style un peu académique : Christ en majesté entouré des apôtres […]. C’est l’avantage de vivre avec un marchand de tableaux très cultivé. » [57]

77Les romans policiers posent cette question des compétences lectorales. Bien souvent, ils mettent en scène un duo d’enquêteurs, un expert et un profane, qui se complètent, l’expert dans le domaine du crime s’adjoignant un expert dans le monde de l’art, critique, universitaire, artiste, etc., chacun possédant le savoir, la connaissance des codes qu’il manque à l’autre.

78Pour ces romans, emblématiques de la modernité et férus de méritocratie – la découverte de la solution est le fait d’un labeur et non le résultat d’un quelconque don – les compétences artistiques s’acquièrent et relèvent d’un procès d’apprentissage dont la fréquentation assidue du milieu de l’art.

79« Je ne sais pas différencier un bon tableau d’un mauvais. Vous avez un tuyau ?

80– Oui, c’est simple, il suffit d’en avoir vu quelques milliers avant, c’est tout, » [58]

81De la sorte, le spectateur-lecteur s’initie. L’assiduité dans la pratique du visuel, qui passe aussi par la lecture d’ouvrages spécialisés, forme l’œil du spectateur, donne lieu à une perception travaillée. Ainsi, comme l’expose A. Sauvageot, « de nos jours, un profane reconnaît sans difficultés des hommes ou des animaux dans des tableaux impressionnistes qui, il y a quatre-vingts ans, apparaissaient comme des assortiments de taches de couleur dénuées de toutes significations [59]. » La lecture picturale est donc une lecture compétente qui se travaille et s’acquiert peu à peu. Le Chat qui lisait à l’envers montre comment le héros, au départ totalement ignorant de l’art contemporain, apprend à regarder et détailler des œuvres qui au premier abord semblaient totalement dépourvues de signification :

82« Le journaliste examina ensuite deux peintures à l’huile. L’une et l’autre étaient composées de traits verticaux colorés, tracés sur fond blanc, au moyen d’un large pinceau. Les couleurs étaient violentes, rouge, pourpre, orange et la peinture semblait vibrer comme une corde trop tendue. […] Qwilleran recula de quelques pas en clignant des yeux. Soudain il vit des silhouettes se détacher. Les lignes verticales, blanches, suggéraient les contours de corps féminins, abstraits mais reconnaissables […]. En sachant ce qu’il cherchait, il n’était pas difficile de trouver. Dans cette composition géométrique, les plans superposés s’imbriquaient les uns dans les autres, représentant ainsi les objets sous différents angles. Il distingua une fenêtre, une chaise, un lit sur lequel était étendue une forme humaine. Femelle. » [60]

83Outre la compétence de l’enquêteur, compétence criminelle et donc pragmatique qui se double d’une compétence artistique donc esthétique, les romans exposent d’autres compétences lectorales picturales, plus techniques. Ainsi, à qui sait le lire, le tableau révèle des informations sur son producteur, qui y livre, malgré lui, une part de lui-même. Par exemple, ce peintre qui se cache sous une autre identité est « trahi » par sa technique picturale dans La Part du mensonge. Son meilleur ami, peintre lui aussi, reconnaît sans hésitation l’auteur de l’œuvre exposée :

84« Il y a son coup de pinceau. C’est sa façon de traiter la couleur de la peau à la lumière du soleil. Tu vois ? Deux cadmiums, le jaune et le rouge… cassés, non mélangés, et tous les deux ensemble sur le pinceau. » [61]

85Dans un autre registre, le tableau qui livre « l’âme » de son créateur sert de base à un diagnostic psychiatrique :

86« Selon votre opinion en tant que professionnelle, docteur Carter, est-ce que la personne qui a peint ces toiles aurait pu assassiner une petite fille de sang-froid […].

87– Mon opinion en tant que professionnelle est non. Je ne suis pas experte en diagnostics, mais je penserais plutôt cette femme capable d’assassiner cruellement sur une toile l’image qu’une personne se fait d’elle-même, pas d’assassiner physiquement, surtout pas un innocent. » [62]

88Les pistes d’analyse explorées montrent que le tableau fait partie intégrante du récit policier et de ce fait perd sa spécificité esthétique au profit d’une pragmatique textuelle, au service de l’histoire. D’ailleurs le tableau littérarisé est rarement posé seul mais accompagné d’écrits, écriture mystérieuse, comme les inscriptions latines, ou démystificatrice qui oriente son interprétation. Les titres des tableaux, mais aussi articles de journaux, extraits du catalogue de l’exposition, journaux intimes, lettres, pamphlets, représentent autant de formes scripturales qui accompagnent l’image, et de ce fait, participent au procès de littérarisation de l’œuvre qu’elles renforcent. Le tableau en devenant l’un des éléments du roman est soumis aux contraintes narratives du genre, il renvoie à la réalité et dans un même temps en constitue une autre. Le visible étant transformé en lisible, le procès de réception des œuvres picturales exposé dans les récits recouvre en réalité un procès de lecture similaire au procès de lecture littéraire.

  • Bibliographie

    • Barthes R., « Introduction à l’analyse structurale des récits », L’analyse structurale du récit, 8, 1966, seconde édition Seuil, 1981.
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Mots-clés éditeurs : écriture, social, art, romans policiers, littérature, tableau, lecture

Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.3917/soart.006.0015

Notes

  • [1]
    Citons par exemple, Nies F. (1994) pour l’art pictural, ou Gleize J., (1992) pour l’image du livre dans la littérature.
  • [2]
    Exception faite de Le Chat qui lisait à l’envers, dont l’édition américaine date de 1966, mais qui est paru en France en 1992, de Les Cantiques de l’Archange et de Veil, édités tous deux aux États-Unis en 1986 puis en France respectivement en 1996 et 2000.
  • [3]
    Faux tableaux, vols et trafics d’œuvres, spoliations de patrimoine, blanchiments d’argent, etc.
  • [4]
    Cette manière de dépeindre le monde de l’art, nous y reviendrons, est spécifique au genre policier, la réalité étant bien heureusement moins sordide.
  • [5]
    Sauvageot A. (1994) p. 16.
  • [6]
    Binkley T. (1992), p. 46.
  • [7]
    Ibid. p. 75-76.
  • [8]
    Eco U., (1993), p. 64.
  • [9]
    Barthes R. (1966), p. 16.
  • [10]
    Ibid., p. 17.
  • [11]
    Ibid. p. 438.
  • [12]
    Ibid., p. 438.
  • [13]
    Cité dans Boileau-Narcejac. (1982), p. 52-53.
  • [14]
    C’est l’hypothèse que formule Van Dyne : « Le roman policier est un genre très défini. Le lecteur n’y cherche ni des ornements littéraires, ni des prouesses de style, ni des analyses trop approfondies » (ibidem).
  • [15]
    Car « la description est interprétation » (Louis Marin, op. cit., p. 188)
  • [16]
    Les Sept crimes de Rome, p. 176-177.
  • [17]
    Dans un autre article en cours de rédaction, nous abordons cette question et montrons comment réalité et fiction se mêlent que ce soit à propos du nom des artistes, des courants artistiques évoqués ou même des œuvres décrites.
  • [18]
    1992, p. 225.
  • [19]
    Ibid., p. 234
  • [20]
    Ça fait moche dans le tableau, p. 131, p. 176.
  • [21]
    Le meurtre comme création artistique ou performance constitue un autre thème de recherche que nous approfondissons dans une recherche en cours.
  • [22]
    Gros B., (1976), p. 6.
  • [23]
    Notons que les romanciers en privilégiant cet aspect répondent ainsi implicitement à une attente des publics. En effet l’enquête sur la réception picturale de E. Pedler et J.-C. Passeron montre que les tableaux qui retiennent le plus l’intérêt des visiteurs d’un musée sont ceux qui proposent des « sujets » et « motifs » associant figures animées et questions diégétiques » (Passeron J.-C., Pedler E., (1991), p. 101.)
  • [24]
    P. 130-131.
  • [25]
    Contrairement au meurtre-performance.
  • [26]
    1972, p. 124.
  • [27]
    Le Dahlia noir, p. 471-473.
  • [28]
    Le Comité Tiziano, Bourgois, p. 291-292.
  • [29]
    « Ce qui rend difficilement reproductible un tableau vient de ce que nous avons postulé pour la production d’un double : l’exigence d’une connaissance parfaite des règles et des procédures opératives qui ont présidé à l’élaboration de l’objet : or, en ce qui concerne l’œuvre d’un peintre, nous ne connaissons pas du tout ces procédures dans toute leur complexité et, au minimum, nous ne sommes pas en mesure de reconstruire le processus productif étape par étape et dans l’ordre selon lequel il s’est réalisé » U. Eco, (1992b), p. 19.
  • [30]
    Le Tableau du maître flamand, p. 44.
  • [31]
    Passeron J.-C., Pedler E., (1991), p. XX.IX
  • [32]
    Trois carrés rouges sur fond noir, p. 53
  • [33]
    Les Cantiques de l’Archange, p. 81.
  • [34]
    Par exemple, une rumeur court sur un tableau de Poussin, Les Bergers d’Arcadie, qui contiendrait des informations, sous forme d’inscriptions mystérieuses, indications spatiales par représentation du paysage réel, utilisation de symboles mystiques comme le pentacle, permettant de résoudre l’énigme de Rennes-le-Château et de trouver le trésor caché des Templiers.
  • [35]
    Trois carrés rouges sur fond noir, p. 219.
  • [36]
    U. Eco, 1992a, p. 56
  • [37]
    Ibid, p. 56
  • [38]
    Le Tableau du maître flamand, p. 54-55.
  • [39]
    Paul Ricœur, (1965), p.25
  • [40]
    1992a, p.54.
  • [41]
    Le Tableau du maître flamand.
  • [42]
    Le Comité Tiziano, p. 217.
  • [43]
    L’Oiseau des ténèbres.
  • [44]
    1992a, p. 66.
  • [45]
    Grize J.-B., (1990), p. 92.
  • [46]
    Qui sont : « en allant dans le sens plus immédiat aux sens seconds qui sont médiatisés par le travail de la compétence culturelle ou de l’enquête historique : 1) Le niveau de reconnaissance « pré-iconographique » où s’opère l’identification du « sujet primaire ou naturel », tant (a) en ses aspects « narratifs » (l’action qui est représentée) qu’en (b) ses aspects « expressifs » (les sentiments prêtés aux personnages) ; 2) Le niveau de l’analyse « iconographique » où s’opère l’identification des motifs « conventionnels » d’un tableau : histoires, thèmes et allégories impliquant savoir ou familiarité avec la culture où ils ont cours ; 3) et enfin le niveau de l’interprétation « iconologique » qui, mettant en rapport l’analyse iconographique avec la connaissance des contextes de l’œuvre (biographie, période, classe, culture, histoire des idées, genres, etc.) vise à reconstruire son « sens intrinsèque ». » (cité par Passeron J.-C., Pedler E., op. cit., p. XX.)
  • [47]
    Passeron J.-C., Pedler E., op. cit., p. XX.
  • [48]
    Trois carrés rouges sur fond noir, p. 133-134.
  • [49]
    Les Cantiques de l’Archange, p. 64
  • [50]
    1992a, p. 229.
  • [51]
    p. 133-134.
  • [52]
    Umberto Eco (1992a) propose trois notions pour démontrer le fonctionnement du procès d’interprétation textuelle, lequel peut facilement glisser vers de la surinterprétation : l’intentio auctoris ou intention de l’auteur, préalable au texte, l’intentio operis ou intention de l’œuvre, ensemble de contraintes qui dirigent l’intentio lectoris ou intention du lecteur, processus d’interprétation et d’élaboration de l’œuvre.
  • [53]
    « Soulignons que dans l’interprétation, outre que (i) une expression peut être substituée par son interprétation, on a également le fait que (ii) ce processus est théoriquement infini, ou du moins indéfini, et que (iii) lorsqu’on utilise un système de signes donné, on peut aussi bien refuser d’interpréter ses expressions que choisir les interprétations les plus adéquates selon les divers contextes. » (U. Eco, 1992a, p. 241)
  • [54]
    Le Tableau du maître flamand, p. 305.
  • [55]
    L’Oiseau des ténèbres, p. 134.
  • [56]
    Un talent mortel, p. 361-362.
  • [57]
    Le Jugement dernier, p. 293.
  • [58]
    Trois carrés rouges sur fond noir, p. 133.
  • [59]
    Sauvageot A., 1994, p. 18.
  • [60]
    Le Chat qui lisait à l’envers, 1992, p. 97-98
  • [61]
    P. 179
  • [62]
    Un talent mortel, p. 299.

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