Notes
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[1]
Ainsi Pina Baush dans Nelken – une chorégraphie de 1980 – habille les hommes en robe ; Mathilde Monnier dans les années 1980 n’hésite pas à faire porter des hommes par des femmes ; Wim Vanderkeybus met en scène des femmes sûres de leur force, musculairement affûtées et prenant les mêmes risques que les hommes ; Claude Brumachon chorégraphie le rapport amoureux entre deux hommes.
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[2]
Lahire B., « Héritages sexués : incorporation des habitudes et des croyances », La dialectique des rapports hommes-femmes, sous la direction de Bloss. T, puf, 2001, p. 9-25.
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[3]
Cet article s’inscrit dans une thèse sur le métier de danseur contemporain, soutenue en décembre 2001 sous la direction de Gérard Mauger. L’ambition était de combiner les méthodes d’enquête pour essayer de saisir les différentes facettes du métier de danseur contemporain. L’envoi d’un questionnaire aux danseurs des compagnies subventionnées avait pour objectif de cerner les contours d’une population peu étudiée. Il s’agissait d’appréhender les caractéristiques de la formation, de l’emploi et du travail, les dimensions économiques et extra économiques de la vie de danseur. Le questionnaire s’est inspiré de ceux de Raymonde Moulin, sur les artistes plasticiens et de Pierre Michel Menger, sur les comédiens. Il semble que la résistance à l’objectivation, fréquemment évoquée dans les études sur les professions artistiques soit l’une des principales causes de l’échec de ce questionnaire. De plus certains sujets comme celui de la construction des identités sexuées et sexuelles ne pouvaient être appréhendées par ces techniques d’enquête. Aussi, la réorientation sur une démarche plus ethnographique alliant observation participante et collecte d’entretiens (une quarantaine d’entretiens approfondis auprès de danseurs et une dizaine auprès de chorégraphes) a permis de saisir, parfois de l’intérieur, les dimensions particulières de ce métier. Pratiquant la danse à la frontière de la professionnalisation, j’ai pu profiter de ma proximité par rapport à l’objet d’étude, de mon insertion dans le milieu de la danse contemporaine depuis quelques années. Ma fréquentation assidue du milieu de la danse au cours d’une longue période a été un atout pour suivre sur plusieurs années les trajectoires tant professionnelles que personnelles de certains danseurs.
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[4]
Au sens ou Simmel l’entend, c’est-à-dire « synthèse de distance et de proximité ». Simmel G, « Digressions sur l’étranger », L’École de Chicago, sous la direction de Joseph. I et Grafmeyer Y, Paris, Aubier Montaigne, 1984.
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[5]
Clément J-P., « Étude comparative de trois disciplines de combat », sous la direction de Christian Pociello, Sports et société, Paris, Vigot, 1987.
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[6]
Sur les stratégies de distinction entre habitants d’un même quartier, voir Chamboredon J-C. et Lemaire M., « Proximité spatiale, distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », Revue française de sociologie, n° XI, 1970, p. 3-33.
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[7]
Voir la thèse de Renahy N., Vivre et travailler au pays ?, Dijon. inra, 2000, p. 259-281.
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[8]
Le discours valorisant sur l’échec scolaire destiné à éclairer une vocation irrépressible est souligné par Raymonde Moulin dans son enquête sur les artistes plasticiens. Moulin R., L’Artiste, l’institution et le marché, Paris, Flammarion, 1992, p. 302.
-
[9]
Richard Hoggart souligne que « le boursier appartient en effet à deux mondes qui n’ont presque rien en commun, celui de l’école et celui du foyer. Une fois au lycée, il apprend vite à utiliser deux accents, peut être même à se composer deux personnages et à obéir alternativement à deux codes culturels ». La Culture du pauvre, Paris, Éditions de Minuit, 1986.
-
[10]
Goffman E., Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, Éd de Minuit, 1989.
-
[11]
Boltanski L., « Les usages sociaux du corps », Annales E.S.C, Janv.-fév, 1971, p. 205 sq, p. 217.
-
[12]
Bourdieu P., « Célibat et condition paysanne », Études rurales, (1), 5-6 août-septembre 1962, p. 32-135.
-
[13]
Bourdieu P., La Distinction, Paris, Éd. de Minuit, 1979, p. 59.
-
[14]
Centre national de danse contemporaine.
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[15]
Everett C. Hughes note que « le métier d’un homme est l’une des composantes les plus importantes de son identité sociale, de son moi et même de son destin dans son unique existence ». Le regard sociologique, Paris, Éditions ehess, 1996, p. 76.
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[16]
On s’intéressera dans la suite de l’article plus spécifiquement à la construction de l’identité sexuée et sexuelle dans le cadre du métier de danseur mais l’exemple d’Abdellah montre la nécessité d’articuler sociologie du genre et sociologie des classes sociales.
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[17]
Il faudrait s’interroger plus longuement sur cette opposition quasi rhétorique, dans la parole de nombreux homosexuels interviewés, entre une hétérosexualité imposée de l’extérieur (par la famille, la société) et la découverte de l’homosexualité qui se présente comme la prise de conscience d’une intériorité qui peut s’extérioriser dans le cadre d’un entre soi protecteur. On peut se demander si la reconstruction a posteriori d’une homosexualité qui « était là depuis toujours » et qui n’attendait que de se déclarer ne concourt pas à produire le mythe d’une sexualité très homogène et indifférente au processus de socialisation tant sexuée que sexuelle à l’intérieur d’un métier.
-
[18]
Pollak M., Une identité blessée, Paris, Métailié, 1993, p. 187.
-
[19]
Ibid., p. 189.
-
[20]
Erving Goffman définit les « déviants sociaux » comme « ceux qui arborent leur refus d’accepter la place qui leur est allouée et que l’on tolère provisoirement, pour autant que leurs gestes de révolte ne sortent pas des limites écologiques de leur communauté ». Stigmate, op. cit., p. 168.
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[21]
Ce sentiment communautaire s’est vu renforcé par le tribu important qu’a payé le milieu de la danse au sida.
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[22]
Mauger G., Fossé Poliak C. « Les loubards », Actes de la recherche en sciences sociales, 1983, n° 50, p. 44-67.
-
[23]
Sur les processus d’incorporation, voir Loïc Wacquant, « Corps et âme, notes ethnographiques d’un apprenti boxeur », Actes de la recherche en sciences sociales, 1989, n° 80, p. 33-67 et Faure S., Apprendre par corps, Paris, La Dispute, 2000.
-
[24]
Marcel Mauss note à propos de l’apprentissage de la marche que « la position des bras, celle des mains pendant qu’on marche forment une idiosyncrasie sociale, et non simplement un produit de je ne sais quels agencements et mécanismes purement individuels, presque entièrement psychiques ». Mauss M., « Les techniques du corps », Sociologie et anthropologie, Paris, puf, 1997, p. 368.
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[25]
Bourdieu P., La distinction, Paris, Éditions de Minuit, 1979, p. 241.
-
[26]
« Produit naturalisé de l’histoire, la division sexuelle du travail est incorporée dans les habitus, c’est-à-dire inscrite à la fois dans les hexis corporelles (démarches, maintiens, gestes, etc.) redoublées et soutenues par le vêtement et sous forme de goûts et de dégoûts… sous la forme de deux « natures » différentes, inséparablement corporelles et morales, esthétiques et éthiques » Mauger G., Fossé Poliak C., Pudal B., Histoires de lecteurs, Paris, Nathan, 1999, p. 225.
-
[27]
Prieur A., « La Féminité volée : les constructions corporelles et symboliques chez les travestis mexicains », Sociétés & Représentations, n° 2, avril 1996, p. 73.
-
[28]
Elias N., La Société de cour, Paris, Flammarion, 1985.
-
[29]
G.L. Mosse note que « le sang froid est un attribut essentiel du stéréotype masculin… Un vrai homme doit rester maître de ses passions ». L’image de l’homme, l’invention de la virilité moderne, Abeville, 1998.
1Le lieu commun associant danseur et homosexualité repose sur la représentation traditionnelle du danseur classique : l’homme censé incarner sur scène une figure virile (le prince avec la virtuosité physique) serait attiré en coulisse par des partenaires de même sexe. La danse contemporaine en libérant le corps de la femme des contraintes physiques du ballet classique, en faisant de son corps le vecteur d’expression de ses désirs et de ses souffrances provoque une redéfinition du rôle masculin. L’homosexualité n’est plus réservée aux vestiaires mais s’affiche sur scène. Dans le même temps, la virilité est affirmée et la « féminité » des hommes revendiquée dans des danses ou alternent l’exploitation de la force et de la puissance et la fragilité et la sensualité d’un corps masculin. De façon plus générale l’identité masculine est l’objet d’un propos subversif qui remet en cause les clivages masculin/féminin propres au ballet académique ou au cabaret [1]. Ce déplacement des frontières entre les sexes, voir la permutation des rôles induit une « masculinisation » du féminin et une « féminisation » du masculin qui s’inscrit dans les mouvements conjoints de libération de la femme et des luttes pour la reconnaissance des homosexuels à la fin des années 1970.
2Enfin, le renouvellement de la gestuelle et de la mise en scène du corps masculin résulte de l’arrivée sur le marché du travail au début des années 1980 d’un grand nombre de danseurs qui ont débuté la danse tardivement, (par rapport à la précocité exigée dans la danse classique) et sont issus de formations autres. L’importation de techniques du corps apprises dans le cadre du sport, des arts martiaux ou du cirque, met en scène une virilité à la fois sûre d’elle-même mais capable d’échapper aux stéréotypes qui lui sont traditionnellement associés.
3Il s’agit ici de s’interroger sur cette recomposition de l’identité masculine dans un métier jusqu’alors connoté comme féminin. Autrement dit les hommes qui font des métiers perçus comme réservés aux femmes se sont-ils dispositionnellement féminisés ou bien sont-ils arrivés à ces postes en conservant des manières socialement perçues comme masculine ? [2] Cependant, la construction ou recomposition de l’identité sexuée et sexuelle ne se fait pas indépendamment d’un contexte social spécifique et est souvent l’une des modalités d’un processus de socialisation plus large. C’est pourquoi les deux dimensions seront envisagées conjointement. Pour ce faire on s’appuiera sur une enquête réalisée entre 1997 et 2001 par observation participante et entretiens auprès d’une population masculine de danseurs aux parcours variés [3].
4Notre réflexion s’organisera en trois temps. Tout d’abord, l’examen d’un cas exemplaire permettra d’aborder à travers une trajectoire particulière la socialisation au métier de danseur et dans le même temps la construction d’une identité sociale, sexuée et sexuelle. On interrogera, dans un second temps, les liens entre l’insertion professionnelle des danseurs et leur identité homosexuelle. Plus largement, en considérant qu’un métier connoté comme féminin induit un questionnement sur l’identité masculine pour ceux qui y travaillent, on s’attachera à analyser, jusque dans les corps, la recomposition des dispositions masculines acquises lors de la socialisation primaire.
Un fils d’ouvrier maghrébin dans la danse contemporaine : une transformation corps et âme
5J’ai rencontré Abdellah pendant la dernière partie d’une audition à laquelle je participais, établissant avec lui une complicité immédiate liée à l’épreuve partagée. Je ne l’ai vraiment remarqué que lors de son improvisation où il avait su allier prouesse acrobatique (parfois proche du Hip-Hop) et virtuosité technique, tant contemporaine que classique, suscitant les applaudissements des autres danseurs en compétition. Curieux de connaître ses origines et son parcours, curiosité en partie suscitée par le nombre restreint de danseurs d’origine maghrébine ou africaine dans la danse contemporaine, je lui proposais un entretien qu’il accepta sans aucune réticence.
6Fils d’un ouvrier marocain venu en France à la fin des années 1960 et installé à Grenoble où il travaille dans l’industrie chimique et d’une « mère au foyer », il a un frère plus jeune qui poursuit des études de mécanique en bep. De taille moyenne, 1 m 75, le crâne rasé qui met en valeur deux grands yeux étirés et un visage fin, Abdellah a un physique athlétique.
7Dans le discours rétrospectif qu’il tient sur l’émergence de son désir de devenir danseur, ce désir est relié à la découverte de sa position « d’étranger » [4] à l’intérieur de sa famille et surtout du quartier où il côtoie d’autres jeunes d’origine maghrébine. Il situe la prise de conscience de sa « différence » dans l’expérience sportive faite dans un club de quartier :
« En primaire j’ai fait du judo pendant un an…Le judo, ça me faisait chier, tu te retrouvais avec une espèce de grosse brute sur un tatami, avec des réflexions du genre « ta mère », c’était un club de quartier. J’ai pas été élevé comme ça par mes parents ; j’habitais pas les cités, mais des lotissements. J’ai toujours été très timide et je supportais pas le langage : « Vas y, ta mère, qu’est ce que tu fais… » (il s’emporte), ça je ne pouvais pas. J’étais pas mauvais au judo mais c’était l’ambiance brute. Si j’avais été dans un centre où on apprenait le judo avec les traditions, ça m’aurait peut être plu, mais là c’était trop… Après le judo, je n’ai plus fait de sport et ma hantise, c’était les deux heures d’eps. J’aimais la gym, les barres parallèles, mais le foot je détestais, je savais pas me servir d’une balle. J’étais bon en gym, je savais d’emblée faire le grand écart. J’aimais la course de vitesse et j’aurais bien aimé faire de l’athlétisme mais je détestais le cross. »
9Abdellah oppose le langage et les pratiques « brutales » caractéristiques d’une sociabilité masculine populaire aux « traditions ». Celle du judo, qu’il aurait certainement préférée, plus proche d’une pratique esthétisante propre aux catégories mieux dotées en capital culturel [5] ; celle de son éducation orientée vers une hyper-correction visant à renforcer la distance résidentielle [6] (les lotissements et pas la cité) par une distance culturelle propre à autoriser une mobilité sociale ascendante.
10La timidité, le rejet d’un langage qui fait écho à la brutalité physique dans la pratique sportive, le goût pour des disciplines corporelles individuelles, éloignées du football (perçu comme emblématique de la culture populaire [7]) indiquent des dispositions tant physiques que mentales aux antipodes d’un habitus « de cité », proches d’une conception esthétisante du monde qui privilégie la forme sur le fond (par exemple, la référence au grand écart, symbole de souplesse, valeur féminine dans la culture populaire).
11La découverte de la danse s’opère de deux façons distinctes qui s’avèrent complémentaires dans « la vocation » d’Abdellah.
« Quand j’avais 10 ans, c’était Madonna à fond et dans la cave avec les copains, je mettais Madonna et je faisais des chorégraphies. Pour moi, un danseur, c’était un mec qui dansait à côté de Madonna. C’était ce que je voyais à la télé et il y avait aussi la série américaine Fame…. Dans les soirées, tout le monde se poussait et c’est « Abdel qui faisait le débile ». J’apprenais les trucs dans les clips, je copiais les mouvements des danseurs. Dans ma chambre, je faisais des chorégraphies… J’avais une de mes tantes qui était danseuse et travaillait chez Galotta (ccn). Un jour elle m’a parlé de la danse comme métier et ça été la révélation. À partir de là, j’ai convaincu mes parents, avec l’aide de ma tante, de prendre des cours. J’ai commencé les cours à 15 ans ».
13La danse n’apparaît pas à Abdellah comme une profession mais comme un espace à la fois privé (il danse dans sa chambre) et public (il danse en soirée) où il exprime son énergie physique mais aussi où il est le point d’attraction de tous les regards. Dissipant la timidité, la danse est liée à une sociabilité de groupe et aux rêves d’adolescent (danser avec Madonna). Directement influencée par la production musicale et télévisuelle, destinée à la consommation de masse, elle est associée à un ensemble de pratiques culturelles caractéristiques des milieux populaires qui assimilent artistes et danseurs aux « strass et paillettes de la télévision ».
14La tante d’Abdellah a joué le rôle probablement conscient de « passeur », lui offrant une perspective de formation professionnelle et facilitant (on peut le supposer) la négociation avec ses parents. L’inscription au cours de danse coïncide avec l’abandon des études et le justifie : elle apparaît comme une stratégie de reconversion des ambitions de promotion sociale.
« Les études, c’était très important pour mes parents. Le bac, c’était le grand truc, si on l’avait pas c’était la cata. En même temps, si j’avais réussi dans un cap coiffure, ils auraient été très contents… Ce qui était important, c’était que je réussisse dans quelque chose… En primaire, j’étais un bon élève. C’est à partir du moment où j’ai voulu faire de la danse que tout s’est un peu dégradé. J’étais en horaires aménagés de la 4ème à la seconde, après j’ai redoublé la seconde et j’ai arrêté l’école… ».
16La rationalisation de l’échec scolaire s’inscrit dans une argumentation où les études sont sacrifiées sur l’autel de la vocation artistique [8]. La culpabilité par rapport au projet parental (le bac) est compensée par la satisfaction d’avoir « réussi » dans une discipline qui, tout en permettant l’épanouissement de dispositions « primaires » (rapport à l’esthétique, sensibilité affirmée, etc.), procure des profits symboliques plus gratifiants que le métier de coiffeur, destin professionnel déjà connoté sexuellement auquel il se serait peut-être destiné.
17Ses dispositions physiques exceptionnelles décident sa tante à l’orienter vers le Conservatoire national de région (cnr) pour y acquérir les bases d’une formation solide en danse classique. Mais le cnr est situé en centre ville alors que la famille d’Abdellah habite la périphérie de l’agglomération, il est alors placé en « famille d’accueil » chez les parents d’une des élèves du conservatoire. La découverte de la danse classique, éloignée de ses pratiques spontanées et de son goût pour la danse jazz des séries américaines, ainsi que la confrontation avec un milieu social plus aisé, impliquent un effort d’adaptation et d’acquisition de nouvelles normes corporelles et sociales mais en même temps une possibilité de valoriser des compétences tant physiques que morales et sociales connotées péjorativement comme féminines dans son milieu d’origine.
18Mais cette nouvelle vie, propice à l’initiation de nouveaux schèmes de pensée et de pratiques ne va pas sans ruptures et conflits psychiques liés à ces expériences de socialisation contradictoires propres aux « boursiers » du système scolaire qui deviennent à terme des « transfuges de classe » [9]. La connaissance par corps acquise dans la classe de danse se prolonge dans le quotidien d’un milieu dont Abdellah doit apprendre les codes. L’hyper correction [10] dont il fait preuve aussi bien dans sa conduite quotidienne que dans ses études de danse, lui permet de gérer une identité stigmatisée, préparé en cela par ses parents, soucieux d’épargner à leurs enfants les blessures du racisme ordinaire.
19Cette rupture douloureuse est renforcée par la condamnation de son groupe de pairs d’origine qui véhiculent l’image dévalorisante de « l’Arabe des cités » avec laquelle il s’efforce de rompre depuis l’enfance, tout en y étant assigné sous la forme d’un jugement d’exception (« Toi, tu n’es pas comme les autres »).
« Je me suis fait emmerder parce que j’étais arabe et que je ne ressemblais pas à un arabe, parce que je disais pas « Ta mère » à tout le monde, je me suis fait emmerder parce que je faisais de la danse et pas de la mécanique. Quand je prenais le bus le week-end pour rentrer chez moi, il y en avait toujours un qui s’asseyait à côté de moi et qui me demandais : « Tu es de quelle origine, toi ? » et je répondais « Marocain » et eux me disaient « T’es pas marocain toi, t’as vu comment t’es habillé ». J’étais pas en jogging, je parlais pas comme eux, j’avais une voix fluette. J’aurais préféré me faire emmerder par des Français de mon âge que par ceux qui étaient de la même race que moi… Je traînais qu’avec des blancs, le milieu de la danse classique c’est assez bourgeois, je n’avais pas la même vie qu’eux. Peut-être qu’ils étaient jaloux que quelqu’un comme eux à la base puisse faire autre chose que de la mécanique — je ne dénigre pas mon petit frère qui fait de la mécanique, s’il est content c’est très bien —, qui ne vole pas, ne fume pas, ne crache pas et ne traite pas les filles d’un « Elle est bonne ». Évidemment je me faisais traiter de pédé… ».
21La socialisation extérieure au quartier ne fait que creuser la distance avec les normes masculines qui y sont en vigueur. L’intériorisation des codes comportementaux appris dans le cadre de la danse structure une identité psychique et corporelle qui le différencie profondément de ces jeunes. Tout dans sa manière d’être apparaît comme une provocation : sa tenue vestimentaire (il s’habille « recherché » et rejette le survêtement), sa façon de parler (voix fluette) et, plus généralement, le non-respect d’un « code des bonnes manières d’être avec son corps » [11] qui l’identifie immédiatement aux yeux de ces jeunes comme « renégat ». De même, l’investissement dans la danse jusqu’à vouloir en faire une profession, est jugé suspect : à commencer par la présomption d’homosexualité que redouble l’hexis corporelle d’Abdellah. Enfin, il ne fait pas partie des rôles adultes dans les classes populaires de prolonger une activité sportive, celle-ci étant une distraction pratiquée en groupes par les adolescents de sexe masculin (comme le foot) le mariage marquant le moment de cet abandon [12]. L’aversion manifestée par Abdellah à l’égard d’attitudes (cracher, voler, fumer, insulter les filles) et d’aspirations qui décident de la destinée sociale (comme faire de la mécanique) l’isole de son quartier et, d’une certaine façon, de sa famille (en particulier de son petit frère). Son « sens esthétique » qui joue comme « sens de la distinction » [13] s’appuie sur une identité construite en ville dans « la danse classique » avec « les blancs de milieu bourgeois ».
22Ce décalage, source de conflits internes et de souffrance s’atténue. De ce point de vue, la découverte de la danse contemporaine représente une étape décisive : Abdellah s’approprie ainsi une identité définie indépendamment des normes bourgeoises traditionnelles représentées par la danse classique et de celles, stigmatisées, du quartier.
« Après le cnr, je voulais encore faire du jazz. Je n’avais pas renoncé, mais je me suis vite aperçu qu’il n’y avait rien en France…Je voulais abandonner l’univers de la danse classique dans lequel, en définitive, je ne me sentais pas très à l’aise. Ma tante, qui bossait chez Galotta m’a incité à passer le concours du cndc [14] et c’est là que j’ai découvert la danse contemporaine. Au cndc, c’était la découverte et l’épanouissement total. Il n’y avait plus la compétition avec les autres que l’on trouve dans le classique. J’ai découvert qu’avec mon corps, je pouvais dire des choses, exprimer des émotions. Mes parents sont fiers de ma réussite. Ils ont acheté une grande maison à la campagne, en même temps je suis très fier de mes parents, de voir comment ils s’en sont sortis en tant qu’ouvriers… Je n’ai pas vu grandir mon frère. Il fait de la mécanique et adore le foot mais a appris à respecter ce que je fais en voyant que la danse contemporaine, c’est très physique. »
24L’orientation dans la danse contemporaine lui permet de rompre avec la vision du monde associée à la danse classique et de construire sa carrière et sa personnalité en fonction d’une singularité et d’une intériorité dignes d’être prises comme support créatif : façon de se réconcilier avec une trajectoire qui le mène de la banlieue de Grenoble à la scène du Théâtre de la Ville. La fierté (dont il fait part à la fin de l’entretien) qu’il éprouve envers ses parents ainsi que l’amorce d’un dialogue avec son frère fondé sur la reconnaissance d’un critère commun (les ressources corporelles davantage proches des valeurs masculines populaires) témoignent d’un travail d’appropriation d’une profession qui en définissant son identité sociale [15] atténue les conflits intérieurs vécus pendant sa formation à Grenoble.
25Le cas exemplaire d’Abdellah permet d’éclairer les transformations qu’implique l’insertion dans un univers qui tend à définir les différents segments du Moi. L’anamnèse entreprise par Abdellah dans le cadre de cet entretien lui permet de retracer l’élaboration d’une identité inséparablement sociale, sexuée et sexuelle [16].
Construction de l’identité sexuelle et socialisation professionnelle
26Ainsi, la problématique de l’identité sexuelle est directement reliée à celle de la socialisation professionnelle. Elle se pose dans les premiers moments d’intégration et même dans les premiers temps de l’apprentissage, car danser, pour un garçon, s’accompagne d’une connotation dévirilisante et interpelle sa sexualité. Ainsi un grand nombre de danseurs passés par des écoles de danse ont eu leurs premières « révélations » ou expériences sexuelles dans ce cadre. C’est particulièrement vrai pour ceux qui ont fait des écoles de danse classique. Dans le cas de ces danseurs socialisés dès l’enfance dans un milieu professionnel au contact d’homosexuels (les professeurs), le rapport avec la socialisation familiale semble moins conflictuel, ne serait ce qu’en raison de l’approbation ou du désir des parents (souvent de la mère) que leur fils s’inscrive dans une activité essentiellement réservée aux femmes. À l’inverse, la découverte de la danse contemporaine, parce qu’elle se fait pour les garçons, souvent à l’adolescence ou même à l’âge adulte, provoque des prises de conscience d’un habitus sexuel qu’il s’agit de reconstruire comme étant « imposé » (ainsi beaucoup d’homosexuels disent « avoir essayé d’abord avec les filles » pour faire comme tout le monde), à l’inverse de l’homosexualité qui apparaît comme « choisie » [17].
27Pour les homosexuels, entrer dans le milieu de la danse peut être une façon d’affirmer leur sexualité sans craindre le stigmate ou la désapprobation qu’ils ont pu rencontrer auparavant. Comme tout milieu artistique, le milieu de la danse contemporaine offre en effet une plus grande latitude à l’accomplissement d’une sexualité déviante des normes hétérosexuelles. De plus, la spécificité d’un travail sur le corps et la possibilité d’exposer à travers son métier, la part fantasmatique de sa sexualité, en faisant un support de création, en tant qu’interprète ou chorégraphe, permet d’échapper à « la gestion schizophrène de la vie » de la plupart des homosexuels [18].
28Un chorégraphe comme Paul Lemasson, revendique son identité sexuelle « déviante » et approfondit le thème de l’homosexualité à travers la représentation d’un corps masculin athlétique qu’il met en scène dans des situations physiques extrêmes. La majorité de ses danseurs sont homosexuels.
29La découverte de l’homosexualité est le plus souvent antérieure au désir de faire de la danse mais pas toujours explicitée. L’insertion dans un milieu professionnel où une grande partie des danseurs sont homosexuels facilite la manifestation de ses orientations sexuelles et l’affranchissement du jugement de l’entourage proche.
30Ainsi Claudio, 32 ans, d’origine italienne, fils d’un fonctionnaire des postes et d’une mère au foyer, danseur depuis 10 ans, débute la danse à 22 ans :
« J’ai commencé à danser tard parce que mes parents ont toujours voulu m’empêcher. Après, c’était mon choix, j’ai dû attendre un âge où je pouvais le faire. C’était violent pour eux, ils avaient des angoisses par rapport à l’homosexualité. Maintenant, ils me laissent vivre tranquillement, aussi parce que je suis loin. Ils ont peur au niveau économique parce que le mec, c’est lui qui doit assurer… L’homosexualité c’est une découverte depuis que je suis jeune, avant la danse. J’étais aussi attiré par les femmes. J’ai accepté très lentement que j’aimais les hommes.
— Faire le choix de la danse, est-ce que c’était accepter l’homosexualité ?
— Je sais que dans ma tête, il y avait un lien entre danse et homosexualité, je savais que la plupart des danseurs étaient homos, j’avais un peu ce cliché. C’était aussi une découverte de voir qu’il y a pas mal de danseurs dans la danse contemporaine qui ne le sont pas. Paradoxalement, je suis venu à la danse pour connaître une fille.
Quand j’ai commencé à vivre mon homosexualité, je me suis senti beaucoup plus protégé dans le milieu artistique parce que c’est un milieu où tu n’as rien à prouver. Les gens, ils partent du principe que tu es homo. Si tu n’es pas homo, c’est une découverte. On se sent protégé, on n’a pas peur de ne pas être accepté. Mais je peux pas dire que je me suis approché de la danse pour ça.
C’est toujours étonnant la quantité d’homos qu’il y a dans la danse. J’ai pas envie d’accepter que c’est une possibilité d’exprimer sa sexualité. »
32De même, Abdellah raconte le rapport à une homosexualité cachée et honteuse au sein de la sphère familiale :
« Je suis sorti avec des filles avant d’être homosexuel. J’étais homosexuel depuis toujours mais j’ai essayé avec les filles parce qu’aussi je culpabilisais d’être attiré par les garçons. Mes parents ne savent pas que je suis homosexuel, mais ils s’en doutent, car quand ils sont venus dans mon appartement, il y avait mon copain et il n’y avait qu’un lit. C’est pas clair. Ma maman s’en doute, mais j’ai pas envie de les faire chier avec ça. Par exemple, j’ai envie d’avoir des enfants, ça me trouble de penser que ma mère ne soit pas grand-mère un jour… C’est vraiment au cndc que j’ai découvert qu’il y avait des homos qui pouvaient affirmer leur sexualité sans problème, à partir de ce moment je me suis senti moins seul. »
34La gestion de l’identité sexuelle de Claudio et Abdellah peut se lire comme la recherche d’un épanouissement de soi et d’une possibilité d’échapper à la culpabilité liée à la confrontation avec leurs parents. Les stratégies d’évitement jouent sur un caché à demi-dévoilé (il n’y a qu’un seul lit dans l’appartement de Abdellah) qui permet aux parents de faire « comme si » (les parents de Claudio ont d’abord peur de son homosexualité, mais la pensent réversible et s’inquiètent alors pour un statut professionnel instable dans lequel l’homme « qui doit assurer » ne peut construire une famille). L’origine sociale de chacun des protagonistes (populaire pour Abdellah, moyenne pour Claudio) semble avoir une influence sur le sentiment de culpabilité. Michael Pollak, s’inspirant d’une étude allemande, fait l’hypothèse suivante : « La persistance du sentiment de culpabilité parmi les membres des classes populaires s’explique par l’hostilité plus marquée envers l’homosexualité dans ces classes qui oblige les homosexuels à séparer de façon plus stricte les différentes sphères de leur vie… » [19]. On peut supposer que le maintien du statu-quo avec la famille s’appuie sur l’utilisation implicite du statut professionnel. Le métier de danseur, connoté sexuellement, évite des explications douloureuses ou embarrassantes, tant pour Abdellah et Claudio que pour leur famille, démunie pour gérer une « déviance » qui remet en cause les valeurs sur lesquelles elle s’est construite.
35La progressive assimilation d’une identité professionnelle et sexuelle est présentée comme un processus de réunification d’un moi dont les différentes parties s’imbriqueraient quasi-« naturellement ». Si l’on essaie d’échapper à la thématique du don, le stigmate de l’homosexualité peut expliquer, pour partie, le choix d’un métier et d’un univers artistique qui constituent une passerelle pour accéder à une reconnaissance de type communautaire. Le soulagement d’épouser des valeurs inversées par rapport à celles de la cellule familiale, est lié à l’appartenance à une communauté de « déviants sociaux » [20]. Le milieu de la danse contemporaine comptant une proportion importante d’homosexuels, représente une passerelle vers une communauté homosexuelle. Mais il est avant tout un espace professionnel et de sociabilité où Claudio et Abdellah se sentent en sécurité [21]. Le choix de la danse apparaît alors comme une stratégie de mobilité sociale et culturelle ascendante qui permet d’échapper à un milieu hostile.
36Le rapport narcissique au corps est emblématique de l’imbrication entre identité professionnelle et sexuelle. La recherche par une grande partie de la communauté homosexuelle d’un corps idéal rejoint les préoccupations d’un métier dont l’esthétique corporelle est une condition d’accès.
37Claudio manifeste l’adéquation entre corps homosexuel et corps du danseur : « C’est vrai qu’avec la danse mon corps a changé, je suis devenu plus sec et plus musclé…Ça me fait toujours plaisir quand on me dit que j’ai de belles fesses, c’est grâce à la danse… »
38« Avoir de belles fesses » est le résultat du travail musculaire propre à la danse mais c’est aussi « un capital » valorisable sous la forme d’un stéréotype (corps de danseur) sur le marché sexuel.
39Cette analogie se prolonge dans la problématique du vieillissement du corps, symbole d’une identité sociale acquise au sein d’un métier et d’une communauté.
« J’ai peur de vieillir parce que je veux continuer à danser… La vieillesse, c’est aussi ne plus avoir des histoires d’amour. Quand je vois des exemples autour de moi. Pour les homos, la solitude, elle est très forte. L’homosexualité, c’est lié à l’esthétique et quand tu vieillis, tu es foutu. Là aussi, on est dans la loi du marché. »
41Le vieillissement induit une disqualification tant sur le marché du travail que sur celui des rencontres sexuelles où le « mythe de la jeunesse » exerce un véritable pouvoir normatif sur les corps et les esprits.
Reconstruction de l’identité sexuée et socialisation professionnelle
42L’apprentissage d’un métier, connoté comme féminin et réputé pour sa forte population homosexuelle pose, plus largement, la question de l’identité masculine. La dimension « féminine » d’une activité éloignée du sérieux des rôles professionnels masculins, conduit à une redéfinition et à la recomposition d’une virilité « pour soi » échappant aux stéréotypes imposés. Ainsi nombre de danseurs hétérosexuels évoquent les troubles engendrés par la prégnance des représentations communes de la sexualité des danseurs et par la confrontation à un univers où homosexualité et hétérosexualité apparaissent comme équivalentes.
43C’est le cas de Lule, 37 ans, fils d’immigrés italiens (père ouvrier dans le bâtiment et mère au foyer), ancien « délinquant » qui vient à la danse au début des années 1980 par « amour » pour une danseuse et y voit un moyen d’exploiter des dispositions physiques rares :
« Quand j’ai débarqué dans un cours de danse, je venais directement de ma banlieue et les homos avaient mauvaise réputation. Au début j’étais super-agressif, chaque fois qu’un mec au cours me regardait de manière trop insistante, je lui faisais comprendre qu’il risquait de se faire casser la tête. Ce que j’aimais dans la danse, c’était le côté physique et toutes ces filles plus jolies les unes que les autres. En même temps, ça m’a perturbé de voir des gars vraiment très beaux et athlétiques, pas du tout l’image de la folle que j’avais eue jusque-là. Très virils dans leur danse, ça m’a vraiment troublé. J’ai même eu une expérience homosexuelle. Ça a confirmé que je n’étais pas homo mais j’ai pu comprendre la tendresse entre deux hommes et accepter la part féminine en moi. Mon père n’a jamais compris ça. Comme j’avais arrêté les études jeune, il m’emmenait sur les chantiers pour l’aider et il pensait que je prendrais la suite, alors quand je lui ai dit que je voulais danser… on ne s’est plus parlé pendant deux ans. »
45La remise en question des principes de la division sexuelle, d’une sexualisation des habitus entreprise dès la petite enfance, est aussi le signe d’une progressive socialisation à un milieu jusqu’alors perçu selon les normes importées du milieu d’origine. Destiné à exploiter son capital corporel pour gagner sa vie, Lule a toutes les caractéristiques des loubards parisiens [22] dont les usages du corps expriment un rapport au monde et une vision de la masculinité fondée sur la force physique.
46L’investissement de dispositions physiques dans une activité artistique marquée par l’homosexualité est certainement compris par son père comme un reniement du travail de transmission d’un habitus sexuel garant de l’identité familiale et culturelle. En effet, se conjugue ici un rapport à la masculinité typiquement populaire et ancré dans une représentation de l’homme méditerranéen que son père, italien, a le devoir de transmettre. L’expérience homosexuelle est relatée comme transitoire et prend l’allure d’un rite de passage qui lui permet de mettre à distance injonctions et stéréotypes qui l’empêchaient d’exprimer la part « féminine » de sa personnalité. Cette intériorisation de dispositions féminines est négociée avec une virilité populaire : sa danse est ainsi très acrobatique et met en jeu son corps jusqu’au danger. Dans ce cas limite, l’expérience homosexuelle n’est pas vécue comme une transformation de l’identité sexuelle, puisqu’elle n’est que transitoire, mais plutôt comme marquant le passage d’une recomposition de l’identité sexuée, féminisant des dispositions masculines populaires acquises lors de sa socialisation primaire.
47La transformation que produit l’apprentissage de la danse contemporaine s’observe de façon exemplaire chez des individus qui ont déjà reçu une formation physique pendant plusieurs années. Le sport a déjà établi aussi bien physiquement que psychiquement des automatismes qui structurent l’individu « corps et âme » [23]. L’acquisition d’une hexis corporelle propre au danseur s’opère en désapprenant le répertoire de gestes et réflexes intériorisés dans la pratique sportive et en assimilant de nouvelles représentations mentales et corporelles :
48Le processus d’incorporation est perçu comme s’exerçant autant sur le corps que sur les représentations mentales. Passer d’un corps de sportif à un corps de danseur, c’est progressivement passer d’une logique de la performance individuelle ou collective à une réappropriation du corps en vue d’un but plus « noble » qu’est l’expression de son « moi » profond. La culture de « l’intériorité » est un modèle relativement « féminin » qui vient contrebalancer l’éducation masculine. Il s’agit d’être l’artisan de son propre corps, non pas pour un collectif (le groupe sportif) ou pour une performance, mais pour une création qui nécessite un rapport réflexif à la fois à son corps mais aussi à ses émotions. L’insistance sur la « gratuité » dans la pratique contraste avec l’impératif sportif de la « victoire » et modifie le rapport à l’autre qui est alors recherché pour une communication « désintéressée ».
49C’est ce que souligne Romain ancien basketteur : « Par rapport au sport, tout a changé, surtout la relation que tu as à l’autre. Elle est très particulière. Au basket, tu as des relations de groupe mais qui sont complètement cadrées sur un objectif. Dans la danse, il n’y a plus d’objectif. Il n’y a plus la réussite, il n’y a pas de vainqueurs. Le rapport à l’autre, à soi, est très différent. C’est de l’ordre de l’inexplicable. Il y a une sensibilité… »
50Cette éducation du corps qui cherche à modifier les schèmes corporels appris jusqu’alors, forme une « idiosyncrasie sociale » [24] qui traduit, dans le même mouvement, un processus de distinction.
« Dans le cours à l’ureps, il y avait les rugbymen. Tu les vois en danse, tu rigoles, ce sont les moins à l’aise, ils ne sont pas créatifs… ».
52Cette différenciation entre les sportifs s’accompagne de jugements sociaux sur la pratique sportive et sur la difficulté d’acquérir les qualités demandées par la danse.
« Au début c’était l’enfer dès l’échauffement. La prof nous fait faire des assouplissements au sol et là, je commence à comprendre les douleurs de mon corps, là où j’ai besoin de m’assouplir. C’était nouveau la conscience du corps. Dans le sport, t’as pas la conscience de ton corps… Tu as des étirements que tu fais, mais c’est en gros sur les muscles périphériques nécessaires pour la puissance et l’efficacité. Dans la danse, tu sens que c’est un travail sur les muscles profonds, tu sens là où ça fait mal, là où tu coinces et tu vois la marge que tu as encore à accomplir. Tu t’aperçois que tu es un bourrin et que tu n’es pas souple du tout… ».
54La découverte de la maladresse du corps se fait simultanément avec la mise en exergue d’oppositions socialement significatives entre « la souplesse » et la « raideur », le « profond » et le « périphérique », le « bourrin » et le « danseur » dont l’image est associée à la « grâce » et à la « tenue ». Ces oppositions se cristallisent dans la chair même de l’apprenti danseur qui voit son corps changer, incarnation d’une modification de son être social.
« Il y a l’esthétique du corps qui rentre en jeu. Si tu me montres un sportif en slip et un danseur en slip, je peux te dire la différence. Le sportif a des muscles périphériques développés alors que le danseur a plutôt des muscles longilignes. Il y a une plus grande unité. Dans le mouvement, tu vois que le sportif n’a pas conscience de tout son corps, alors que le danseur oui, dans les gestes mêmes de la vie quotidienne… ».
56La relation établie entre une esthétique du corps et une prise de conscience corporelle est proche de la « représentation bourgeoise de l’idéal humain et en particulier de la manière de concilier les vertus corporelles et les vertus intellectuelles, tenues pour faire pencher dans le sens du féminin… » [25]. L’acquisition d’un schéma corporel dans lequel « la tenue », la « finesse », la réflexivité prévalent, s’accompagne d’un changement d’identité sociale ou, du moins, de la réalisation d’aspirations antérieures qui ne pouvaient se réaliser dans le cadre sportif. Cependant le capital physique initial n’est pas renié, car il est emblématique de la position qu’entendent occuper ces danseurs dans le champ de la danse. Face à la formation académique de danseurs passés par les écoles supérieures, il s’agit de revendiquer une légitimité spécifique. Au début des années 1980, la danse contemporaine, encore « expérimentale », ouvre la possibilité à des individus qui ne maîtrisent pas la technique classique, de développer une autre gestuelle. Les qualités physiques propres à la discipline sportive anciennement pratiquée sont alors mises en avant comme autant d’autorisations à se présenter sur le marché du travail face à des danseurs formés depuis plus longtemps et qui maîtrisent mieux la technique académique.
57C’est aussi une façon de se situer dans « l’avant-garde » de la danse contemporaine faisant de handicaps initiaux des instruments d’innovation. Ce transfert de compétences et de savoir-faire de l’espace sportif à celui de la danse contemporaine, légitime ainsi la présence de danseurs de formation non orthodoxe, tout en redéfinissant les esthétiques au sein même du champ chorégraphique. Les compétences acquises dans le sport sont transformées, en retour, par la logique esthétique de la danse contemporaine. Il s’agit « d’épurer » le mouvement, de gommer l’effort musculaire souvent exhibé dans le sport, d’affiner l’exécution, de passer de la performance physique à l’esthétique.
58Lule, ancien gymnaste, remarque : « J’ai dû réapprendre à faire certaines figures acrobatiques que je faisais uniquement par le chemin musculaire. Le travail de la danse m’a obligé à utiliser différemment mon corps, à prendre conscience qu’il y a d’autres chemins plus précis pour faire des prouesses physiques… J’avais une technique de base, mais avec la danse j’ai pu raffiner et aller encore plus loin… C’est la fluidité dans le mouvement que la danse m’a apporté… ».
59Ainsi le corps du danseur, ancien sportif, est un corps transfiguré socialement. Les dispositions corporelles initiales sont retravaillées et associées à l’acquisition d’une autre technique du corps et de compétences perçues comme « féminines ».
60La transformation du goût vestimentaire [26] traduit, tout comme chez les travestis [27], la féminisation de l’hexis corporelle et l’acculturation au monde de la danse.
61Emmanuel, ancien sportif, hétérosexuel évoque la modification de sa façon de se vêtir depuis qu’il est danseur.
« Je me permets de porter des choses un peu plus farfelues. Je me suis mis à porter des choses plus serrées, plus près du corps, alors qu’avant, j’aimais les choses larges. C’est vrai que le choix du tee-shirt est important quand je vais prendre un cours ou en répétition. Je n’aime plus le tee-shirt banal. C’est devenu une esthétique de tous les jours, c’est la danse qui m’a apporté ça. Si j’étais resté dans le milieu sportif, je porterais des choses plus décontractées, moins dans l’esthétique du corps. Avec le tee-shirt serré, je me vis dans mon corps comme danseur. Je me mets dans la disposition d’un danseur, dans la tête et dans le corps… ».
63Le passage d’un vêtement large, avant tout fonctionnel, à un autre proche du corps destiné à souligner la morphologie, à des fins pratiques (pour le cours de danse ou les répétitions en vue de corrections) et esthétiques, signale l’intériorisation d’un habitus propre au milieu de la danse. « L’état de corps » suscité par l’adoption de « tee-shirts moulants » participe à la construction d’une identité de danseur et produit la sensation physique d’une disponibilité corporelle de tous les instants (le tee-shirt moulant étant porté pendant le cours et dans la vie quotidienne). Cependant, si le buste est valorisé par le port d’un vêtement qui l’expose dans ses différentes contorsions, les jambes sont le plus souvent recouvertes par un jogging ou un pantalon relativement souple qui distingue le danseur contemporain de l’esthétique du danseur classique, en collant ou en short moulant les fessiers et les parties génitales. Dans le ballet classique, le collant sert la lisibilité d’une adéquation toujours recherchée entre la norme édictée par l’Académie à la recherche de la « ligne » parfaite, et le corps du danseur. Le buste est le lieu de la « tenue » incarnant la retenue aristocratique des émotions reflétant l’intériorisation de la contrainte propre à la société de cour [28], analysée par Norbert Elias. Le maintien du buste alors que les jambes moulées évacuent toute sexualité par l’impératif des codes classiques, illustre une virilité contrôlée [29] et protectrice face à une image de la femme oscillant entre le cygne blanc (la pureté et la fragilité) et le noir (la séduction et la malveillance).
64L’utilisation du buste, les jambes ayant très souvent le rôle fonctionnel de soutenir et d’accompagner le mouvement du corps, confère une expressivité au corps tout entier, bouleversant la contenance jusqu’alors observée dans le ballet classique. Le buste est alors engagé dans différentes positions (de la verticale à la chute) exprimant les tourments et les désirs d’un homme soumit à ses passions. Souvent torse nu et exposant les signes musculaires de la virilité (les pectoraux et les bras gonflés et tendus par l’effort), le danseur n’est plus là pour répondre au rôle féminin mais pour interpréter un personnage masculin autosuffisant.
65La féminisation de l’identité masculine va de pair avec la recherche d’une virilité explicite et non plus refrénée qui influence les critères de recrutement. Nombre de chorégraphes rejettent ainsi l’image « efféminée » du danseur classique, recherchant des hommes possédant les attributs d’une masculinité affirmée, mais capable d’exprimer la « part féminine » de leur personnalité.
66C’est ce que souligne Emmanuel, ancien sportif, dont les épaules « carrées » constituent un handicap par rapport à l’esthétique du danseur formé très jeune dans les écoles (épaules basses pour libérer le cou et les articulations des bras) : « Je me suis aperçu que ma façon de bouger, mon corps, étaient un plus. C’est un atout d’être hétéro par rapport à un danseur efféminé. Par exemple, dans les auditions, je sais que j’ai plus de chances quand un chorégraphe recherche une énergie plus masculine. J’ai en même temps une sensibilité et une fragilité. J’essaie d’allier les deux. Je m’aperçois que j’ai aussi une maladresse qui intéresse les chorégraphes par le contraste avec mon corps. »
67Le cas des danseurs contemporains est particulièrement intéressant pour étudier les rapports entre une profession identifiée comme requérant des dispositions féminines et fortement connotée par l’homosexualité et l’élaboration d’une identité sexuée et sexuelle d’une population masculine aux origines variées. Si l’homosexualité apparaît souvent dans les discours des personnes concernées comme une évidence depuis l’enfance, le choix du métier détermine, en partie les conditions sociales de possibilité de vivre pleinement son identité sexuelle. Plus largement, les propriétés féminines de ce métier inscrivent l’insertion professionnelle des danseurs dans une réflexion sur la frontière entre dispositions masculines et féminines qui conduit à un travail de recomposition de l’identité masculine.
68Faire le lien entre construction de l’identité sexuée et sexuelle et socialisation professionnelle participe de l’entreprise de dénaturalisation des pratiques sexuelles et des comportements sexués. C’est ainsi donner au travail d’incorporation de la pratique professionnelle une place déterminante dans l’élaboration de ce qui peut apparaître comme relevant exclusivement de la sphère de l’intimité.
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Mots-clés éditeurs : identités sexuées, danseurs contemporains, identités sexuelles
Date de mise en ligne : 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/soart.005.0009Notes
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[1]
Ainsi Pina Baush dans Nelken – une chorégraphie de 1980 – habille les hommes en robe ; Mathilde Monnier dans les années 1980 n’hésite pas à faire porter des hommes par des femmes ; Wim Vanderkeybus met en scène des femmes sûres de leur force, musculairement affûtées et prenant les mêmes risques que les hommes ; Claude Brumachon chorégraphie le rapport amoureux entre deux hommes.
-
[2]
Lahire B., « Héritages sexués : incorporation des habitudes et des croyances », La dialectique des rapports hommes-femmes, sous la direction de Bloss. T, puf, 2001, p. 9-25.
-
[3]
Cet article s’inscrit dans une thèse sur le métier de danseur contemporain, soutenue en décembre 2001 sous la direction de Gérard Mauger. L’ambition était de combiner les méthodes d’enquête pour essayer de saisir les différentes facettes du métier de danseur contemporain. L’envoi d’un questionnaire aux danseurs des compagnies subventionnées avait pour objectif de cerner les contours d’une population peu étudiée. Il s’agissait d’appréhender les caractéristiques de la formation, de l’emploi et du travail, les dimensions économiques et extra économiques de la vie de danseur. Le questionnaire s’est inspiré de ceux de Raymonde Moulin, sur les artistes plasticiens et de Pierre Michel Menger, sur les comédiens. Il semble que la résistance à l’objectivation, fréquemment évoquée dans les études sur les professions artistiques soit l’une des principales causes de l’échec de ce questionnaire. De plus certains sujets comme celui de la construction des identités sexuées et sexuelles ne pouvaient être appréhendées par ces techniques d’enquête. Aussi, la réorientation sur une démarche plus ethnographique alliant observation participante et collecte d’entretiens (une quarantaine d’entretiens approfondis auprès de danseurs et une dizaine auprès de chorégraphes) a permis de saisir, parfois de l’intérieur, les dimensions particulières de ce métier. Pratiquant la danse à la frontière de la professionnalisation, j’ai pu profiter de ma proximité par rapport à l’objet d’étude, de mon insertion dans le milieu de la danse contemporaine depuis quelques années. Ma fréquentation assidue du milieu de la danse au cours d’une longue période a été un atout pour suivre sur plusieurs années les trajectoires tant professionnelles que personnelles de certains danseurs.
-
[4]
Au sens ou Simmel l’entend, c’est-à-dire « synthèse de distance et de proximité ». Simmel G, « Digressions sur l’étranger », L’École de Chicago, sous la direction de Joseph. I et Grafmeyer Y, Paris, Aubier Montaigne, 1984.
-
[5]
Clément J-P., « Étude comparative de trois disciplines de combat », sous la direction de Christian Pociello, Sports et société, Paris, Vigot, 1987.
-
[6]
Sur les stratégies de distinction entre habitants d’un même quartier, voir Chamboredon J-C. et Lemaire M., « Proximité spatiale, distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », Revue française de sociologie, n° XI, 1970, p. 3-33.
-
[7]
Voir la thèse de Renahy N., Vivre et travailler au pays ?, Dijon. inra, 2000, p. 259-281.
-
[8]
Le discours valorisant sur l’échec scolaire destiné à éclairer une vocation irrépressible est souligné par Raymonde Moulin dans son enquête sur les artistes plasticiens. Moulin R., L’Artiste, l’institution et le marché, Paris, Flammarion, 1992, p. 302.
-
[9]
Richard Hoggart souligne que « le boursier appartient en effet à deux mondes qui n’ont presque rien en commun, celui de l’école et celui du foyer. Une fois au lycée, il apprend vite à utiliser deux accents, peut être même à se composer deux personnages et à obéir alternativement à deux codes culturels ». La Culture du pauvre, Paris, Éditions de Minuit, 1986.
-
[10]
Goffman E., Stigmate : les usages sociaux des handicaps, Paris, Éd de Minuit, 1989.
-
[11]
Boltanski L., « Les usages sociaux du corps », Annales E.S.C, Janv.-fév, 1971, p. 205 sq, p. 217.
-
[12]
Bourdieu P., « Célibat et condition paysanne », Études rurales, (1), 5-6 août-septembre 1962, p. 32-135.
-
[13]
Bourdieu P., La Distinction, Paris, Éd. de Minuit, 1979, p. 59.
-
[14]
Centre national de danse contemporaine.
-
[15]
Everett C. Hughes note que « le métier d’un homme est l’une des composantes les plus importantes de son identité sociale, de son moi et même de son destin dans son unique existence ». Le regard sociologique, Paris, Éditions ehess, 1996, p. 76.
-
[16]
On s’intéressera dans la suite de l’article plus spécifiquement à la construction de l’identité sexuée et sexuelle dans le cadre du métier de danseur mais l’exemple d’Abdellah montre la nécessité d’articuler sociologie du genre et sociologie des classes sociales.
-
[17]
Il faudrait s’interroger plus longuement sur cette opposition quasi rhétorique, dans la parole de nombreux homosexuels interviewés, entre une hétérosexualité imposée de l’extérieur (par la famille, la société) et la découverte de l’homosexualité qui se présente comme la prise de conscience d’une intériorité qui peut s’extérioriser dans le cadre d’un entre soi protecteur. On peut se demander si la reconstruction a posteriori d’une homosexualité qui « était là depuis toujours » et qui n’attendait que de se déclarer ne concourt pas à produire le mythe d’une sexualité très homogène et indifférente au processus de socialisation tant sexuée que sexuelle à l’intérieur d’un métier.
-
[18]
Pollak M., Une identité blessée, Paris, Métailié, 1993, p. 187.
-
[19]
Ibid., p. 189.
-
[20]
Erving Goffman définit les « déviants sociaux » comme « ceux qui arborent leur refus d’accepter la place qui leur est allouée et que l’on tolère provisoirement, pour autant que leurs gestes de révolte ne sortent pas des limites écologiques de leur communauté ». Stigmate, op. cit., p. 168.
-
[21]
Ce sentiment communautaire s’est vu renforcé par le tribu important qu’a payé le milieu de la danse au sida.
-
[22]
Mauger G., Fossé Poliak C. « Les loubards », Actes de la recherche en sciences sociales, 1983, n° 50, p. 44-67.
-
[23]
Sur les processus d’incorporation, voir Loïc Wacquant, « Corps et âme, notes ethnographiques d’un apprenti boxeur », Actes de la recherche en sciences sociales, 1989, n° 80, p. 33-67 et Faure S., Apprendre par corps, Paris, La Dispute, 2000.
-
[24]
Marcel Mauss note à propos de l’apprentissage de la marche que « la position des bras, celle des mains pendant qu’on marche forment une idiosyncrasie sociale, et non simplement un produit de je ne sais quels agencements et mécanismes purement individuels, presque entièrement psychiques ». Mauss M., « Les techniques du corps », Sociologie et anthropologie, Paris, puf, 1997, p. 368.
-
[25]
Bourdieu P., La distinction, Paris, Éditions de Minuit, 1979, p. 241.
-
[26]
« Produit naturalisé de l’histoire, la division sexuelle du travail est incorporée dans les habitus, c’est-à-dire inscrite à la fois dans les hexis corporelles (démarches, maintiens, gestes, etc.) redoublées et soutenues par le vêtement et sous forme de goûts et de dégoûts… sous la forme de deux « natures » différentes, inséparablement corporelles et morales, esthétiques et éthiques » Mauger G., Fossé Poliak C., Pudal B., Histoires de lecteurs, Paris, Nathan, 1999, p. 225.
-
[27]
Prieur A., « La Féminité volée : les constructions corporelles et symboliques chez les travestis mexicains », Sociétés & Représentations, n° 2, avril 1996, p. 73.
-
[28]
Elias N., La Société de cour, Paris, Flammarion, 1985.
-
[29]
G.L. Mosse note que « le sang froid est un attribut essentiel du stéréotype masculin… Un vrai homme doit rester maître de ses passions ». L’image de l’homme, l’invention de la virilité moderne, Abeville, 1998.