Notes
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[1]
Laurent J., Portrait de Jean Vilar, manuscrit déposé à la Maison Jean Vilar.
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[2]
Parce que Jeanne Laurent lui avait refusé une subvention pour des tournées en province qui ne correspondaient pas à l’idée qu’elle se faisait de la décentralisation, Jacques Hébertot, haute figure du théâtre privé, lança contre elle une campagne de presse qui participa à sa mise à l’écart.
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[3]
Les Lettres Françaises, 22 nov. 1951.
-
[4]
Rivarol, 22 nov. 1951.
-
[5]
Le Figaro Littéraire, 24 nov. 1951.
-
[6]
Pavis P., « Quelques raisons sociologiques du succès des classiques en France après 1945 », in Le théâtre au croisement des cultures, José Corti, 1990, p. 51-64.
-
[7]
Le pcf mène de 1951 à 1952 une campagne vigoureuse contre la présence des troupes américaines en Europe.
-
[8]
Aragon L., « L’âge de Pichette », Les Lettres Françaises, 23-30 mai 1952.
-
[9]
Vilar est férocement étrillé par François Mauriac dans Le Figaro, 8 mai 1952 : « Jean Vilar est un fort bon metteur en scène comme il en existait avant lui et qui certes, mérite autant le succès qu’il a eu. Mais ce succès, qu’il le supporte mal ! Et le voilà qui, dans un hebdomadaire, s’est donné le ridicule de comparer Claudel à Pichette… J’avoue que je trouve bien éprouvant pour les nerfs d’un honnête homme le genre « cabot sur trépied » qui convient mal à un artiste de votre classe, Jean Vilar ».
-
[10]
Beigbeder M., Les Lettres Françaises, 23-30 mai 1952.
-
[11]
Plassard D., « Réjouir l’homme est une tâche douloureuse. Le tnp de Jean Vilar et la presse (1951-1963) », Revue d’histoire du théâtre, n° 2, 1998, p. 101-128.
-
[12]
Arts, 11 novembre 1959.
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[13]
Jamet C., France réelle, 16 mai 1952. Gautier J.-J., Le Figaro, 22 décembre 1952.
-
[14]
Carrefour, 24 décembre 1954.
-
[15]
Marcel G., Les Nouvelles littéraires, 19 mars 1953.
-
[16]
Gautier J.-J., Elle, 2 février 1952.
-
[17]
Adam P., Libération, 25 février 1952.
-
[18]
Ransan A., Ce Matin - Ce Pays, 25 février 1952.
-
[19]
Gandrey-Réty J., Ce Soir, 24 février 1952 ; article partiellement repris dans Les Lettres Françaises, le 6 mai 1952.
-
[20]
Voir en particulier les articles de Benot, Les Lettres françaises, 7 mai 1933 et Bergeron, L’Humanité, 7 mai 1953.
-
[21]
Le traducteur met en garde Vilar à ce sujet (voir la reproduction de sa lettre in Jean Vilar, Mémento, p. 30 ; lors de la reprise de novembre 1953, le metteur en scène montre sa sensibilité aux arguments des critiques en affichant cette note aux comédiens sur le tableau de service : « Attention, ne caricaturez pas le peuple », Cahiers Théâtre de Louvain, n° 53, Louvain, 1985, p. 40.
-
[22]
Bardot J.-C., Jean Vilar, Armand Colin, 1991, p. 289-290.
-
[23]
Sartre J.-P. (entretien avec Bernard Dort), « Jean-Paul Sartre nous parle du théâtre », Théâtre populaire, n° 15, 1955, p. 3-9.
-
[24]
Plassard D., « La revue Théâtre populaire, juge du tnp de Jean Vilar », in Jacques Téphany dir., Jean Vilar, Éditions de l’Herne, coll. « Cahiers de l’Herne », 1995, p. 234-243.
-
[25]
Consolini M., Théâtre populaire. Une revue militante, Éditions de l’imec, 1998. Également, du même auteur, « Théâtre populaire (1) », Les Cahiers de la Comédie-Française, n° 24, printemps 1997, p. 104-116 et, « Théâtre populaire (2) », Les Cahiers de la Comédie-Française, n° 25, automne 1997, p. 83-97.
-
[26]
Voir Jean Vilar, « Deux lettres et un ballet », in Chronique romanesque, Grasset, 1971, p. 110.
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[27]
Brenner J., Les critiques dramatiques. Le procès des juges, Flammarion, 1970, p. 14.
-
[28]
Plassard D., « Réjouir l’homme est une tâche douloureuse. Le tnp de Jean Vilar et la presse (1951-1963) », Revue d’histoire du théâtre, n° 2, 1998, p. 101-128.
-
[29]
Deleuze G., Michel Foucault, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1986, p. 77.
-
[30]
Sur l’analyse du rituel électoral et ses effets en termes de socialisation politique, voir Alain Garrigou, Le Vote et la vertu : comment les Français sont devenus électeurs. Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1992. L’auteur développe la thèse selon laquelle ce n’est pas l’électeur qui fait l’élection, mais l’élection qui fait l’électeur.
-
[31]
Berry M., Une technologie invisible ? L’impact des instruments de gestion sur l’évolution des systèmes humains. École Polytechnique, Centre de Recherche en Gestion (crg), ronéoté, juin 1983.
-
[32]
Observons que l’effet d’imposition, souvent dénoncé dans le prosélytisme parfois attribué à l’action culturelle, parait ici céder la place à la possibilité d’expression du jugement.
-
[33]
Turner V., « Liminarité et communitas », in Le phénomène rituel. Structure et contre-structure [1969], puf, 1990, p. 95-128.
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[34]
Victor Turner montre comment les rites peuvent assurer une fonction de régulation au sein d’une société en permettant, durant un temps circonscrit, une inversion statutaire. Sur l’inversion des statuts, Victor Turner, « Basses et hautes positions hiérarchiques : la liminarité de l’élévation et de l’inversion de statut », in Le phénomène rituel. Structure et contre-structure [1969], puf, coll. « Ethnologies », 1990, p. 161-196.
-
[35]
Vilar J., « Petit manifeste de Suresnes » [1951], in Le Théâtre, service public et autres textes, présentation et notes d’Armand Delcampe, Gallimard, coll. « Pratique du théâtre », rééd. 1986, p. 147.
-
[36]
Sur la mise en évidence de la mise entre parenthèse des attributs sociaux des spectateurs durant une représentation, voir la thèse, nourrie de démarche anthropologique, de Marie-Madeleine Mervant-Roux, Le lieu d’où l’on regarde : l’autre pôle du théâtre, thèse de doctorat d’État, dir. par Elie Konigson, Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle, Institut d’Études théâtrales, 1996. Thèse publiée sous le titre L’assise du théâtre. Pour une étude du spectateur, Éditions du cnrs, 1998.
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[37]
Lettre de Y. Portolcan, Viroflay, février 1952. Archives nationales : Livre d’or du tnp - Lettres de spectateurs. Nous soulignons.
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[38]
La revue Bref avait paru pour la première fois le 15 mars 1924 dans le cadre du tnp de Firmin Gémier, créé en 1920. Sur l’histoire de la revue, voir Jean-Claude Marrey, « Brève histoire de Bref », Bref, n° 100, 1966, p. 25.
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[39]
Rappelons que Marcel Jacno, déclare : « avec cet alphabet de forme inattendue, j’ai voulu que les titres prennent la vedette et fassent image dans les imprimés ». Typographie et théâtre. L’espace et la lettre, Université de Paris VII, Cahiers Jussieu 3, 1977.
-
[40]
Kosseleck R., Le règne de la critique [1959], trad. de l’all. par Hans Hildenbrand, Éditions de Minuit, « Arguments », 1979.
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[41]
Habermas J., « De la culture discutée à la culture consommée : évolution du public », in L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. de l’all. par Marc B. De Launay, Payot, coll. « Critique de la politique », 1978, p. 167-182.
-
[42]
Halbwachs M., Les cadres sociaux de la mémoire, Alcan, 1925. Et, du même auteur, La mémoire collective, puf, 1950.
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[43]
Poulet G., « Une critique d’identification », in Georges Poulet dir., Les chemins actuels de la critique, Plon, 1967, p. 9-24 (p. 22).
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[44]
Ce clavier de comparaison est indispensable selon Northrop Frye à la perspective de la critique qui doit se fonder sur une vue d’ensemble. Northrop Frye, Anatomie de la critique, trad. de l’anglais par Guy Durand, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1969, p. 17.
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[45]
Même si la préoccupation de Vilar est déjà ancienne. Nous la découvrons lorsqu’il dirige l’Équipe et la Compagnie des Sept. Il déclare : « ainsi, tout bien posé, optons-nous pour un service d’abonnement grâce auquel, en dépit de l’échec comme du succès, se réaliseront à coup sûr les pièces que nous proposons ». L’abonnement est présenté comme un instrument de survie du théâtre : outil de pérennité pour la vie de la troupe il est aussi garant d’une vitalité renouvelée pour le public. Le risque de sombrer dans un assoupissement est écarté. Plus encore que ce double rôle, pourtant essentiel à la vie du théâtre et à la vie théâtrale, le système de l’abonnement transforme les conditions de la réception. En effet, il parait permettre d’éviter « l’humeur boudeuse » et favoriser, sinon une constance, du moins une stabilité de la forme même du jugement. Au-delà de la fidélité qu’il instaure, c’est aussi à une éducation du jugement qu’il favorise. L’abonnement comme « antidote des sautes d’humeurs ». On peut en effet lire : « La première représentation de Dom Juan a eu lieu le 20 avril 1944. Une seconde représentation aura lieu pour les nouveaux abonnés ». Document de 4 pages. Programme s.d. Archives Sonia Debeauvais, « Notes de service, notes personnelles de Jean Vilar ».
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[46]
Notre entretien avec Sonia Debeauvais du 17 nov. 1992.
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[47]
Saison 1958-1959 (avec abonnement) : 50 avant-premières ; 24.892 abonnements ; 129.511 spectateurs, soit 2.600 spectateurs par avant-première.
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[48]
Dans un court texte intitulé Le Voile de Poppée, qui ouvrait le premier volet de L’Œil vivant (Gallimard, Tel, (n° 301), 1999 pour la réédition) Jean Starobinski définissait sa conception de la critique en ces termes essentiels : « La critique complète n’est peut-être ni celle qui vise à la totalité (comme fait le regard surplombant), ni celle qui vise à l’intimité (comme fait l’intuition identifiante) ; c’est un regard qui sait exiger tour à tour le surplomb et l’intimité, sachant par avance que la vérité n’est ni dans l’une ni dans l’autre tentative mais dans le mouvement qui va inlassablement de l’une à l’autre. Il ne faut refuser ni le vertige de la distance, ni celui de la proximité ; il faut désirer ce double excès où le regard est chaque fois près de perdre tout pouvoir ». Voir Jean Starobinski, La relation critique. L’œil vivant II (1961), Gallimard, « Tel », 2001.
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[49]
Vilar J., De la Tradition théâtrale, L’Arche Éditeur, 1955, Réédition Gallimard, coll. « Idées-Littérature », 1963.
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[50]
Lettre de Bernard Dorival à Jean Vilar datée 22 novembre 1951, Archives nationales, Livre d’or du tnp - Lettres de personnalités.
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[51]
Bref, n° 12, 15 mars 1956.
1La critique dramatique a encensé le Théâtre National Populaire (tnp) de Vilar. Il n’est que de penser au retentissement de chaque événement proposé par Jean Vilar et sa troupe entre 1951 et 1963. Mais la critique l’a aussi éreinté, et ce dès l’arrivée de Vilar à la direction du tnp à l’automne 1951. Il faut alors se souvenir des attaques que subirent les tentatives de Vilar de programmer des poètes contemporains comme Pichette, Vauthier ou Gatti ou de monter des dramaturges allemands comme Brecht, Kleist ou Büchner. Ambivalence du rôle de la critique ?
2Si la relation entre la critique et Vilar s’avère équivoque, problématique et polémique, frappée d’ambiguïté, celle qui unit Vilar au public se révèle à l’inverse univoque, marquée par la proximité, la réciprocité, la confiance. « Le seul juge, au théâtre, c’est le public » : Molière en était persuadé. Vilar l’éprouve pratiquement. Si le public n’aime pas une pièce, ne la juge pas bonne, elle ne tient pas l’affiche longtemps, elle ne vit pas. Dans ces conditions, le rôle du critique devrait être d’enregistrer si une pièce a plu ou non et de refléter le sentiment de l’ensemble des spectateurs. Cette vision irénique de la relation entre le public et la critique se trouve battue en brèche par le cas historique du tnp.
3Vilar dut reculer devant certains assauts de la critique, comme on le verra. Pourtant, Vilar résiste à l’idée que le sort du théâtre qu’il dirige puisse dépendre de la critique professionnelle. Pour contourner l’écueil de ces moments critiques et périlleux, il a su ériger son public en critique en lui offrant la possibilité d’exercer son jugement esthétique. Il inverse les préséances en l’invitant à découvrir les nouveaux spectacles du tnp lors d’avant-premières, avant même les critiques dramatiques professionnels qui doivent attendre leur issue pour pouvoir y assister.
4En opérant cette inversion des formes ritualisées de la réception d’un spectacle, le tnp de Vilar déplace les lignes et soulève toute une série de problèmes pour l’analyste. En premier lieu, la question de la distribution de la fonction critique et celle associée du partage de l’autorité en matière de jugement. En second lieu, la question de l’élaboration de la légitimité des valeurs esthétiques. Autrement dit, la critique, au sens de l’exercice du jugement critique sur une personne, une action ou une œuvre, incombe-t-elle à la seule critique, au sens de l’ensemble de critiques professionnels qualifiés en raison de compétences précises ou reconnues ?
5Cet article s’attache à montrer en quoi le tnp de Vilar a opéré une disjonction entre le corps de professionnels et l’activité même, sur la base du constat selon lequel, au sein du tnp de Vilar, la critique ne se résume pas au monopole que revendique le corps de spécialistes. Autrement dit, on découvre que la structuration de la relation au public participe à la redéfinition du rôle de la critique (au sens de la profession) et à la mise en cause de sa revendication du monopole d’une parole légitime en matière esthétique.
Le public comme contre-critique
6En nommant Jean Vilar à la direction du tnp en août 1951, Jeanne Laurent, alors sous-directrice de la Musique et des Spectacles au ministère de l’Éducation nationale, alors lui confie au moment où il signe le cahier de charges : « sachez que vous êtes à présent l’homme de théâtre le plus haï de France » [1]. Parole prémonitoire. Jean Vilar se trouve blâmé comme « rouge » sur un horizon historique marqué par le maccarthysme. Gérard Philipe, accusé de sympathie communiste. Jeanne Laurent, limogée en octobre 1952 à la suite d’une campagne de presse [2].
La toute puissance de la critique ?
7Dès l’automne 1951, la presse chicane Vilar sur son petit festival de Suresnes, lui reprochant de convoquer le « Tout-Paris ». Les journaux relèvent la présence massive de spectateurs parisiens aisés, lors du week-end du 18 novembre 1951. « Y avait-il aussi des habitants de Suresnes ? Peut-être… » ironise Elsa Triolet [3]. L’abondance des voitures, signe d’une certaine aisance en 1951, frappe tout spécialement les témoins, permettant à de nombreux journalistes de faciles pointes d’ironie sur ce théâtre populaire qui recrute ses spectateurs parmi les possesseurs d’automobiles de luxe : « le public, qui vint nombreux (de Paris), possédait généralement voiture, manteau de vison et parfois accent étranger — qui ne faisait ni national, ni populaire » [4]. Et, sans aller jusque-là, il est aisé à Maurice Chapelan qui, devant le théâtre, « traverse un immense parc de voitures » de s’exclamer : « mazette, le populaire est bigrement motorisé ! » [5]. C’est oublier que ces jugements ne portent que sur le premier week-end. Mais la bataille de Chaillot n’a pas débuté. Après ces quelques banderilles, débutent à partir de 1952 une série de campagnes de presse qui s’attaquent au répertoire du tnp. Elles visent, en premier lieu, les auteurs contemporains et provoquent le recul de Vilar.
La critique des jeunes dramaturges : la topique traditionaliste
8Le tnp de Vilar est connu pour avoir réhabilité les classiques. Dès le 4 novembre 1951, Guy Leclerc, critique théâtral de L’Humanité et ami de Jean Vilar, l’interroge et approuve en 1951 les choix du directeur : « Voilà une excellente manière d’œuvrer pour la culture française. C’est sans doute pour défendre notre patrimoine national que vous entendez jouer les grands classiques à ». L’engouement pour les classiques français, analysé par Patrice Pavis, correspond à deux exigences dans la conjoncture du début des années cinquante [6] : celle posée par le Parti Communiste depuis 1934 d’assumer le rôle d’héritier du patrimoine national et l’impératif de croisade anti-américaine transposée sur le front culturel [7].
9Bien qu’essentiellement composé de classiques, le répertoire du tnp présente entre 1951 à 1954, de notables exceptions dont Mère Courage de Brecht, Nucléa de Pichette et La nouvelle Mandragore de Vauthier. Nucléa provoque les foudres de la critique. L’esthétique de Pichette n’épouse pas les canons du réalisme socialiste prisé à l’époque par les communistes. Pourtant, Aragon prend le parti de Pichette au nom de la jeunesse contre les vieilles perruques de la critique française [8]. Les communistes, en dépit des réserves évoquées, ne peuvent en effet que se solidariser autour de Pichette et de Vilar, violemment attaqué pour avoir monté cette pièce [9]. Cependant le jugement de la critique s’avère embarrassé sur ce style souvent exaspéré et idéaliste, déployé pour exprimer une louable horreur de la guerre [10]. Et Nucléa ne connut que quatre représentations en mai 1952, fut reprise sur la demande insistante de Gérard Philipe en novembre 1952 pour deux représentations, puis en mars 1953. La critique paraît donc avoir eu raison des ambitions de programmation de Vilar. Son influence se mesure à ce type de recul.
10Si le répertoire classique fournit à la critique l’occasion d’asseoir sa légitimité, les œuvres des jeunes dramaturges de l’après-guerre lui permettent de mesurer l’efficacité de ses condamnations. Didier Plassard dresse une typologie des stratégies d’éreintage [11]. D’abord la rhétorique du corps démembré. Plus subtilement, le jeune écrivain est surtout quelqu’un que l’on ne croit pas, dont chacune des affirmations suscite des réticences : auteur, non d’une pièce, mais d’une masse incohérente, d’un corps démembré dans lequel il faudra abondamment tailler. Ensuite, trois armes affectionnées des critiques nourrissent l’idée d’un déni de théâtre : l’évocation de l’ennui de la salle, le détournement ludique de l’œuvre et le pastiche. Arrivé au tnp avec l’intention déclarée de donner à la nouvelle génération l’audience du grand public, Jean Vilar se voit très vite contraint de reculer devant les tirs de barrage qu’essuient Nucléa de Pichette et La nouvelle Mandragore de Vauthier. De même, la brève expérience du Théâtre Récamier en 1959 ne rencontre qu’hostilité ou incompréhension.
11La presse se déchaîne encore en 1959 contre le supposé défaut de construction de la pièce de Gatti, le Crapaud-buffle. Encore une fois, l’évocation de l’ennui du public sert de point d’appui au critique pour réfuter une œuvre dont il ne veut pas. Michel Butor conclut, après l’échec du Crapaud-buffle : « La critique, au théâtre, est d’une brutalité qui ne se manifeste dans aucun autre moyen d’expression » [12]. Le signe le plus évident de cette brutalité réside dans l’insulte : le jeune auteur n’a pas encore gagné le droit à l’existence, et l’on s’entend à le lui faire sentir. De même est assez unanimement condamnée la « transposition moderne » de La Paix d’Aristophane proposée par Vilar en 1961. Le faible nombre de représentations de poètes contemporains et l’échec du théâtre Récamier illustrent donc la puissance de la critique.
12La critique insiste en effet sur le caractère superflu d’une telle entreprise. Efforts, talents — ainsi que, ne manque-t-elle pas d’ajouter, l’argent des contribuables — s’y dépensent en pure perte. Elle s’étonne que l’équipe du tnp apporte le même soin à la création de nouvelles pièces qu’à la représentation des œuvres du répertoire [13]. Elle emploie tous les moyens pour dissuader le tnp de poursuivre dans cette voie. Les critiques ne condamnent donc pas seulement une œuvre, mais la tentative d’ouverture aux nouvelles dramaturgies. Bien loin d’opposer aux choix du metteur en scène d’autres pièces contemporaines qu’ils estimeraient mieux adaptées au cadre de Chaillot, ils n’ont de cesse qu’il ne soit revenu au grand répertoire traditionnel : rendant compte de La nouvelle Mandragore, Morvan Lebesque intitule son article « Il est temps que Vilar revienne à Shakespeare [14] ». Bien loin de lui faire oublier Nucléa et La nouvelle Mandragore, son émerveillement devant Lorenzaccio pousse ainsi Gabriel Marcel à réclamer « que d’une manière quelconque un contrôle soit exercé sur le choix des pièces qu’ils désirent monter. Car nous ne pouvons pas compter en ce domaine sur leur discernement » [15]. La mise au ban sans appel des contemporains s’accompagne d’une revendication de pouvoir sur la programmation.
La critique du répertoire étranger : la topique nationaliste
13Il n’est pas surprenant, dans ce contexte, que le répertoire étranger suscite des réactions aussi violentes que celles qui accueillent les œuvres des jeunes dramaturges. Le ton en est donné dès les premières représentations du tnp. Trois auteurs sont visés : Bertolt Brecht, Heinrich von Kleist et Georg Büchner.
14Le souvenir de l’Occupation n’est pas la seule raison de ces réticences : des inquiétudes plus immédiates s’y trahissent aussi. Les uns mêlent aux clichés germanophobes leur hostilité contre la jeune R.D.A., derrière la dénonciation des « élucubrations germaniques et socialo-penseuses de Herr Bertolt Brecht » [16], les autres, en particulier les communistes, agitent le spectre du militarisme allemand pour lutter contre la création de la Communauté Européenne de Défense.
15De l’avis contraire à celui de Paul Adam pour qui Kleist demeure un « inconnu chez nous, et presque méconnu en son pays » [17], André Ransan soutient que « Henri de Kleist… devint célèbre tout de suite après sa mort et se range aujourd’hui parmi les classiques allemands » [18]. Mais de façon plus insidieuse, si les journaux jugent utile de présenter Kleist au public français, ils passent sous silence ses œuvres majeures pour n’évoquer que celles où se manifeste un contenu belliciste : « Heinrich von Kleist, dans La Bataille d’Arminius, glorifiait les anciennes tribus germaniques unies sous les ordres du prince des Chérusques pour repousser l’envahisseur latin. Son Prince de Hombourg, il l’écrivit en 1810, dans un moment où les armées françaises déployaient par toute l’Europe une stratégie fort active. On lui doit également un Chant de guerre des Allemands » [19].
16Ces assauts d’hostilité et accès de frilosité ne se limitent pas, loin s’en faut, à la presse nationaliste. Si le soutien global apporté par le Parti Communiste par voie de presse à l’action entreprise par Vilar pendant ces quelques années, repose sur une convergence de vues, ce soutien n’est pas pour autant inconditionnel : la remise en cause de certains dogmes de l’esthétique communiste altère le bel enthousiasme qui, en général, accueille les mises en scène de Vilar. La création de La Mort de Danton en 1953 en fournit une illustration exemplaire.
17Après un an et demi de bons et loyaux services à l’égard d’un tnp qu’elle a plutôt choyé, la presse communiste exprime toute son indignation à l’égard de La Mort de Danton, pièce de Büchner montée par Vilar à Chaillot en février 1953. Les motifs d’une telle flambée de colère sont doubles. Il s’agit de la Révolution française et il s’agit du Peuple français. Tous deux semblent absurdement défigurés par l’interprétation de Büchner, ou du moins par la version qu’en présente Adamov, à qui on reproche d’avoir effectué des coupes déformant le texte et travestissant la signification des discours révolutionnaires.
18Les critiques se mobilisent d’abord pour défendre la mémoire de Robespierre, peint sous un jour ambigu par l’écrivain romantique, et qui fait l’objet d’un véritable culte dans les rangs de la gauche. Sans entrer dans le détail des griefs imputés au traducteur comme au metteur en scène, il faut observer que la moindre coupe, soumise à examen, donne lieu à de féroces procès d’intention [20] ; les personnages populaires, par ailleurs, apparaissent si peu conformes à l’imagerie conventionnelle que beaucoup s’en émeuvent [21].
19Ici encore se manifeste l’influence de la critique qui revendique un pouvoir sur les choix de programmation. Le nombre des œuvres allemandes présentées au tnp (trois au cours des deux premières saisons) entraîne en particulier une vague de protestations ; de plus, l’action de journaux tels que Paris-Presse, L’Aurore ou Combat reçoit le renfort du Secrétariat des Beaux-Arts, qui fait pression pour que La Mort de Danton disparaisse de la programmation [22].
20Il faudrait enfin évoquer également une troisième série de critiques essuyées par le tnp : la bataille que la revue Théâtre populaire, créée en mai-juin 1953, livra à Vilar après la venue du Berliner Ensemble en 1954 jusqu’à la crise ouverte par l’article de Jean-Paul Sartre en 1955 [23]. Cette critique de l’unanimisme du tnp, sans doute la plus vive, qui procède des brechtiens a été analysée par Didier Plassard [24], mais surtout de manière approfondie par Marco Consolini [25]. Parce que cette troisième série de critiques qui épouse une autre topique, plus idéologique, est plus connue par ces travaux, nous avons préféré nous attacher à comprendre les contre-pouvoirs qu’inventa Vilar à la puissance de la critique professionnelle.
Les contre-pouvoirs du public
21Il faut maintenant s’attacher à comprendre les voies par lesquelles Vilar a triomphé de la critique. Pour comprendre comment s’opère cette opposition du public et de la critique, qui apparaissent ici comme deux acteurs collectifs, il faut rappeler les actions qui, à côté de la qualité esthétique des réalisations du tnp, paraissent avoir garanti la fidélité du public. Elles peuvent être regroupées en types d’innovations dont la signification permet de les penser comme constitutives d’une politique. On découvre alors qu’au sein du public se loge un contre-pouvoir que le public opposa à la critique.
La transformation du rituel traditionnel
22Parce que Jean Vilar possède une conscience aiguë des rituels intimidants du théâtre bourgeois [26], il choisit de modifier les caractères traditionnels de la sortie au théâtre par une série d’innovations, qui peuvent au premier abord, s’apparenter à des détails, concernant ainsi les horaires, les modalités de réservation et de location, les pourboires et les programmes. L’heure du spectacle avancée à 20 heures permet aux spectateurs de rentrer plus tôt chez eux. Les portes du théâtre, ouvertes dès 18h 30, leur permettent de dîner sur place. La suppression des pourboires aux ouvreuses et la gratuité des vestiaires écartent tout sentiment d’exploitation d’une clientèle captive. L’accueil en musique, la possibilité de se restaurer au son de l’orchestre, en arrivant au tnp participent à la volonté de briser, tant la froide géométrie du palais de Chaillot que les codes sociaux et les rituels de distinction du théâtre bourgeois.
23C’est aux formes rituelles imposées par la fréquentation des théâtres par la bourgeoisie que s’attaque l’administration du tnp. En ce sens, par la mise en œuvre de ces innovations institutionnelles, Vilar procède à une désacralisation de la sortie au théâtre, considérée jusque là comme un temple interdit d’accès à une large part de la population. Substitution d’un nouveau rituel de fréquentation à l’ancien ? La forme prise par l’accueil du public participe de l’institutionnalisation de la qualité de spectateur, tandis que l’organisation de la cérémonie théâtrale définit un espace d’exercice ritualisé des pratiques de public. Le travail d’institution de la qualité de spectateur et de celle de public critiques, sur lequel nous reviendrons, débute avec ces pratiques rituelles. Le spectateur se sent « chez lui », sentiment périodiquement renforcé, lors des avant-premières que Jean Vilar met en place dès 1952.
La parade des avant-premières
24Les avant-premières visent à proposer au public la primeur des spectacles nouveaux, avant que ceux-ci ne soient présentés au « Tout-Paris » des soirs de générale et à la presse. Vilar inverse donc les normes du protocole. Habituellement, comme le rappelle Jacques Brenner, la préséance est réservée à la critique de la presse écrite et radiophonique : « le critique voit une pièce lors d’une des premières représentations et ne peut observer que la réaction d’une salle particulière. S’il s’agit d’une salle de générale, c’est même une salle très particulière » [27]. Cette inversion de l’ordre classique des priorités comble des personnes que le théâtre intimidait. En ce sens, les avant-premières approfondissent la transformation du rituel bourgeois en affirmant l’inversion d’un protocole pourtant fort bien établi.
25Pour ce public populaire, le tnp décide de donner ses créations en avant-premières, avant même la venue de la critique qui assiste traditionnellement à la première représentation publique. Il invite son public à découvrir les spectacles du tnp avant même la critique dramatique professionnelle, qui doit dorénavant attendre l’issue des avant-premières pour pouvoir assister à la représentation. Les groupements sont ainsi doublement reconnus par la proposition qui leur est faite d’assister à des avant-premières : reconnaissance de leur existence, mais plus encore, reconnaissance de la valeur de leur jugement en les instituant témoins privilégiés de l’aventure théâtrale en train d’éclore. Par ces invitations aux avant-premières, Jean Vilar s’affranchit symboliquement de la critique, en inversant l’ordre protocolaire des invitations. Si l’on accorde que le protocole désigne un ensemble de conventions qui inscrivent les relations de pouvoir et influencent les comportements, l’inversion vilarienne de l’ordre ritualisé entre la critique et le public constitue une révolution.
26Après la représentation de Lorenzaccio, en 1952, pour la première fois entièrement réservée à un public venu par l’intermédiaire d’un groupement, le nombre d’avant-premières nécessaires pour satisfaire les demandes des groupements n’a cessé de croître : il passe de 10, accueillant ainsi 19 500 spectateurs en 1952-1953, à 33, en 1956-1957 pour accueillir 65 000 spectateurs. De 1952 à 1957, 109 avant-premières groupant 44 964 spectateurs sont organisées à l’intention du public populaire. Soit près d’un mois de représentations à raison de 2 600 spectateurs par soir.
27Privilégier les relations avec les groupements de spectateurs permet au tnp d’affaiblir l’impact des comptes rendus de la presse et de s’assurer, par le biais des publications, des débats, des conférences, d’une meilleure compréhension de la programmation. Tel est, en particulier, le sens de l’abandon des générales ou de leur renvoi après les avant-premières réservées aux associations : il s’agit à la fois de réduire les conséquences d’un éventuel éreintement par la critique et de n’affronter la critique qu’avec un spectacle ayant déjà subi l’épreuve des premières représentations [28]. Riposte aux stratégies d’éreintage déployées par la critique ? Parade inventée par Jean Vilar pour faire front aux affronts ? Les avant-premières peuvent être définies comme un mode de résistance aux harcèlements de la critique. Si l’on accorde que le pouvoir définit « une action sur l’action, sur des actions éventuelles ou actuelles, futures ou présentes », c’est « un ensemble d’actions sur des actions possibles », on peut donc concevoir une liste, nécessairement ouverte, de variables exprimant un rapport de forces ou de pouvoir, constituant des actions sur des actions : inciter, induire, détourner, rendre facile ou difficile, élargir ou limiter, rendre plus ou moins probable… Telles sont les catégories de pouvoir, selon Michel Foucault [29]. La possibilité d’être affecté par la critique s’accompagne de la possibilité de lui opposer une résistance.
28Parce que le pouvoir de juger apparaît local, instable et diffus, les rapports de pouvoir n’émanent pas d’un point central ou d’un foyer unique d’autorité, mais vont à chaque instant d’un point à un autre dans un champ de forces, marquant des inflexions, des rebroussements, de retournements, des tournoiements, des changements de direction, des résistances. Mais c’est une conception négative de l’introduction de ces avant-premières, attachée à l’idée de résistance que Vilar dut opposer à la critique. Une autre raison, plus positive, réside dans la valeur que Vilar accorde au public. Son souci de l’éduquer le conduit tout autant à renforcer sa fonction critique, en lui offrant les conditions de possibilité d’exercer son jugement esthétique.
La fonction critique du public
29Que signifie pour l’art le fait d’être, pour partie, sinon « démocratisé », du moins institutionnalisé ? Comment une culture, proposée par l’institution, peut-elle s’accorder avec les exigences d’un peuple libre ? En d’autres termes, la question est de savoir si l’institution culturelle participe de la création d’une « positivité », c’est-à-dire de tout ce qui, par son caractère dogmatique et institutionnel, pourrait en faire une forme étrangère à la communauté, une idéologie extérieure à un peuple composé d’individus « libres » ou, à l’inverse, l’objet d’une culture partagée au sein d’un espace public critique. La formulation même d’une telle interrogation laisse penser que la question de la légitimité de nos valeurs esthétiques se pose comme un problème politique.
30Deux autres dispositifs ont contribué à la formation de la fonction critique du public. Le questionnaire d’abord, distribué au début de chaque représentation et destiné à être remis à son issue, participe pour chacun à la reconnaissance de sa qualité de spectateur. L’abonnement ensuite, proposé en début de saison et destiné à fidéliser les spectateurs du tnp sur l’ensemble d’une programmation fonde la possibilité de juger des spectateurs en les dotant, sinon d’une compétence esthétique, du moins d’une identité et d’une mémoire.
La construction du statut de spectateur
31Parce que les questionnaires du tnp apparaissent comme une technologie décrite comme neutre et dont les conséquences ont jusque-là été tues, il convient de lever le voile sur l’efficacité de cet objet apparemment sans importance, ni incidence. L’identité assignée de spectateur est conférée par le dispositif du questionnaire. La fonction du questionnaire s’avère autant symbolique que cognitive. L’administration systématique de questionnaires auprès de chaque spectateur permet à chaque représentation d’introduire une dimension individuelle dans la relation qui lie le tnp à son public. Le questionnaire ne peut être comparé à la carte d’électeur qui individualise l’expression de la volonté politique ; il recouvre pourtant une fonction similaire d’individualisation du jugement, non plus politique, mais esthétique [30].
Le questionnaire et la qualité de spectateur
32Après la fusion des applaudissements, au moment du salut, le spectateur, qui ne faisait qu’un avec le corps mythique du public, est rendu à lui-même par le jugement qu’il lui est demandé de délivrer sur la représentation (pièce, éclairage, musique de scène, décor, costumes, jeu des comédiens). De sorte que la distanciation que Bertolt Brecht cherchait à produire sur scène paraît, contre toute attente, avoir été pratiquée, hors scène, par Jean Vilar, par l’usage même des questionnaires qui instaurent ce rapport singulier entre le spectateur et l’œuvre. Le spectateur de Jean Vilar devient aussi témoin critique, non pas dans le rapport d’identification que les tenants du brechtisme lui ont reproché d’avoir établi, mais capable de réflexion au cœur même de la représentation.
33Ce dispositif mis en place par le tnp tend à constituer le spectateur, en raison de ses effets pratiques et cognitifs. Parce que le tnp, en consultant le public, lui a fait signe et lui donne témoignage de l’intérêt qu’il lui porte, les spectateurs répondent à cette marque d’intérêt par des propositions qui dépassent la seule réponse à un questionnaire. Derrière l’administration du questionnaire et l’accueil qui lui est réservé une convention invisible unit l’institution et le spectateur. « Poignée de main invisible », ce questionnaire remis et rempli après la représentation qualifie le public en témoin et lui redonne sa définition d’origine, en instituant le statut de spectateur. D’une part, le questionnaire individualise le rapport du public à la représentation. D’autre part, la consultation du public réalise le public en tant que tel, avec des spectateurs constitués en une communauté de public.
34Le questionnaire produit une individuation de l’action de regarder grâce à un cadre d’expression adapté à la formation du jugement esthétique et, de l’autre, il produit de l’information sur les usages et les contraintes du public. Il fait advenir à la fois le spectateur, l’informateur et l’acteur dans l’individu et en quoi le questionnaire peut être défini comme une « technologie invisible » [31] à l’origine de ce que Michel Foucault eût appelé un procès de subjectivation.
35Cette individualisation s’accompagne d’un procès d’abstraction de même nature que celui qui abstrait le citoyen de l’homme réel. La critique marxiste de la notion de citoyenneté, niant la dimension historique de l’être socialement situé, pourrait être reprise pour éclairer la disjonction à l’œuvre dans la pratique culturelle étudiée. La qualité de spectateur, comme celle de citoyen, paraît être caractérisée par l’universalité de la possibilité de jugement [32]. Le spectateur, comme le citoyen, gagne en universalité ce que son origine sociale ou sa catégorie socioprofessionnelle tendaient à lui dénier. Le questionnaire produit de l’isonomie entre spectateurs. Le spectateur, pour Jean Vilar, irréductible à un statut de consommateur, doit participer au spectacle, comme l’électeur à l’élection. À l’instar de la socialisation du citoyen par le dispositif électoral, le dispositif proposé par le tnp forme le spectateur.
36L’abstraction des attributs sociaux après le spectacle, au moment de remplir le questionnaire, prolonge la suspension de ces mêmes attributs durant le spectacle. Lors de la représentation, l’individu oublie les attributs statutaires de son identité du fait de la situation liminaire ainsi créée. Le rite crée de la communitas, c’est-à-dire un moment localisé dans le temps, au cours duquel il est une égalité de statut [33]. La perte des attributs sociaux caractérise cet état de communitas, où chacun éprouve, le temps d’un instant, une condition de stricte égalité. Dans la phase de transition, « liminaire » pour Victor Turner, se vit une période de communitas, c’est-à-dire un moment de « communauté non structurée ou structurée de façon rudimentaire et relativement indifférenciée, ou même une communion d’individus égaux » [34]. Les rites de cette phase visent l’abolition des distances entre les individus ou les groupes.
37Reprenant la distinction tonniesienne, l’auteur oppose les états sociaux de societas et de communitas, qui alternent entre les moments où l’ordre social est vécu comme une structure impersonnelle, fonctionnelle et froide (societas) et les moments d’exaltation, de fusion collective (communitas). Les écrits de Jean Vilar sur la salle de théâtre selon lesquels « il faut remettre et réunir dans les travées de la communion dramatique, le petit boutiquier de Suresnes et le haut magistrat, l’ouvrier de Puteaux et l’agent de change, le facteur des pauvres et le professeur agrégé » [35] suggèrent une recherche de mise à égalité temporaire des individus ordinairement séparés par leurs statuts. Parce que la sociologie de la culture insiste sur les caractères socio-démographiques de l’individu, elle néglige parfois la spécificité de la relation au théâtre qui réside, à l’inverse, dans la suspension, certes momentanée, de ces attributs, comme l’a également bien montré Marie-Madeleine Mervant-Roux [36]. Nous découvrons ici que c’est l’organisation minutieuse d’un acte de participation à une représentation théâtrale qui construit le spectateur et non l’inverse.
La formation d’un espace public critique
38D’autres dispositifs permettent de favoriser l’éclosion d’un espace public critique : le programme, la revue Bref et les espaces de débats.
39Les espaces de débats avec le public et pratiques de discussion sont inaugurées dès le petit festival de Suresnes en 1951. Parmi les nombreux témoignages de la réalisation d’une sphère publique critique, citons cette lettre d’un spectateur du tnp, écrite en 1952 :
40C’est vrai l’ouvrier a un terrible complexe d’infériorité. Il s’exprime mal et il le sait et là encore vous avez une tâche immense, mais belle à accomplir… C’est pourquoi j’approuve entièrement vos discussions… C’est là qu’est votre tâche, de forcer ces mots à sortir du cœur où ils restent enfermés, où vous ne les entendez pas. Voyez-vous le micro devrait se promener un peu partout et cueillir au hasard l’émotion ou la joie. Ce devrait être comme un jeu où celui interrogé doit répondre. Il est bien évident que le public serait prévenu de ne pas avoir à préparer de grandes phrases et de dire simplement ce qu’il pense… Peut-être au début y aura-t-il quelques bafouillements mais je suis sûr que par la suite tout s’améliorera » [37].
41Cette déclaration annonce une autre dimension au-delà de l’expression écrite du jugement esthétique : l’usage public de sa raison qui fonde un espace public critique. À ces rencontres, espaces de discussion, s’ajoute le souci de partage d’une information via la diffusion du journal Bref, à vocation didactique, et la réalisation d’un programme pour chaque pièce.
42La diffusion d’une information se réalise dans la publication d’une revue, intitulée Bref, Journal mensuel du Théâtre National Populaire. Dans le même souci, de permettre au public de préparer ou de prolonger la représentation à la faveur de l’écrit, le tnp publie ce journal pour présenter les œuvres inscrites au répertoire. Outil de liaison avec les abonnés, la revue Bref permet aussi, selon Vilar, de « lutter contre les agences de billets à demi-tarifs, agences auxquelles malgré des sollicitations, nous estimions ne pas devoir nous soumettre » [38]. Là encore, lieu et instrument de résistance. Vilar ne l’a pas inventé, mais a renoué avec la tradition instaurée par Gémier à l’Odéon en 1924. L’histoire des métamorphoses de ce journal est relatée dans les numéros 100 et 101 de Bref.
43Le programme de chaque pièce, enfin, conforte la possibilité de fonder un espace public. Composé exclusivement du texte intégral de la version scénique de la pièce et de photographies des représentations, il se distingue par une totale absence de publicité. À en juger par les réponses aux questionnaires, les spectateurs apprécient de pouvoir ainsi accéder à l’œuvre, pour prolonger l’émotion de la représentation, heureux de compléter par l’écrit le plaisir du spectacle. Le titre de la pièce placé sous le nom de l’auteur, inscrit en rouge sur la couverture blanche, reprend les caractères Didot retenus par Marcel Jacno pour le sigle tnp et ses affiches. L’homogénéité des formes, une pureté de ligne, rejoignent le principe cher à Jacno, selon lequel « pour mieux parler la lettre doit respirer ». La sobriété du programme favorise la lisibilité. Sa simplicité écarte tout effet d’imposition. L’intégralité du texte facilite le respect, tant de l’auteur que du public, les deux piliers du théâtre de Vilar. Cette congruence avec le style tnp renforce l’identification de cette collection avec le théâtre de Chaillot [39]. Car figure également en rouge sur la couverture, le nom de la collection de l’Arche éditeur : « Collection du répertoire ». Élément d’une collection, il sert ainsi, tant la constitution d’une mémoire que la possibilité de l’identification d’un public à son théâtre, d’un répertoire à une collection. Ainsi, le programme du tnp qui, sur le fond, équivaut du livret d’opéra sans en revêtir la forme luxueuse, représente une innovation au regard des pratiques des théâtres parisiens de l’époque et institue le spectateur en lecteur potentiel et lui offre la possibilité de se constituer une mémoire.
44Ces éléments favorisent l’éclosion d’une sphère publique critique, au sens que Reinhart Kosseleck donne à ce terme [40]. Pour Jürgen Habermas également, la sphère publique bourgeoise naît du déclin de la société de cour, des pratiques égalitaires de la conversation et de la critique littéraire. Le théâtre de Jean Vilar renvoie plus à ce que Habermas appelle la « culture discutée », par opposition à la « culture consommée » [41]. Pour lui, l’opinion publique s’affermit et s’affirme dans les débats littéraires, où, par le partage du sentiment esthétique, elle a trouvé sa première conscience d’elle-même. Le public du tnp s’est aussi constitué par ce partage du sentiment esthétique, à l’origine d’une histoire et d’une mémoire collective.
La constitution d’une mémoire de spectateur
45Aux moyens envisagés pour briser les barrières sociales (prix du billet, interdiction des pourboires, gratuité des vestiaires, programmes éducatifs, horaires adaptés…), il faut ajouter l’abonnement, formule en gestation dès les ventes collectives, inaugurées en 1952, mais systématisée en 1957, formule également, on le sait, à l’origine de la fortune du tnp de Vilar.
L’abonnement, mémoire du spectateur
46Les sociétés ne produisent que des formes, des cadres, des repères, et non la mémoire même. Si l’on accorde avec Maurice Halbwachs, qu’il n’y a de souvenir que socialisé, c’est encore dire que la mémoire n’est pas une fonction de la pensée du sujet, ni une faculté du psychisme de l’homme, mais une « institution » [42]. Contre la volatilité des jugements de la critique, Vilar propose la lente formation d’une mémoire. La constitution d’une collection, aux éditions de l’Arche, baptisée « Collection du Répertoire », en forme un indice. Tout comme le contenu historique, voire érudit, des pages de la revue Bref, qui exhument des archives pour mieux saisir les conditions d’écriture de la pièce à l’affiche. De même, permettre l’exercice de la fonction critique entretient cette faculté de se souvenir. « Critiquer c’est se souvenir », rappelle Georges Poulet [43]. L’abonnement permet aussi de découvrir plusieurs pièces chaque saison, donc d’offrir un clavier de comparaison au spectateur qui voit ainsi sa mémoire se nourrir et s’enrichir [44]. L’abonnement permet de pourvoir le spectateur d’une mémoire.
47La création du système d’abonnements populaires au tnp date de 1957. Jean Vilar juge nécessaire de donner une plus grande rigueur au système de retenue de places aux avant-premières. Pour maintenir un prix de place très bas, le tnp doit pouvoir compter sur des salles également pleines. Étant donné le succès de ces manifestations et la fidélité du public des associations, le moment est venu de nouer avec ces groupements un contact plus étroit. En octobre 1957, le tnp propose aux associations un système d’abonnement basé sur de nouveaux principes [45]. Les associations souscrivent ainsi un abonnement pour la saison. Le tnp assure l’avance des billets des places réservées en octobre, qui ne doivent être réglés que la veille du spectacle au plus tard. En 1957, l’importance du public conquis et le climat de confiance établi avec les responsables des groupements permettent au tnp de proposer un abonnement à cinq créations dans la saison. La possibilité de retenir des places à un prix intermédiaire pour un seul spectacle est toutefois laissée aux groupes, qui en profitent peu [46].
48Entre 1957 à 1963, le nombre d’abonnements double, passant ainsi de 17 000 à 33 000 et les canaux qui irriguent le public potentiel ne cessent de se ramifier : près de 99 000 places achetées par les abonnés en 1957-1958 et un peu plus de 165 000 en 1963-1964. Parallèlement à l’inauguration de ce système d’abonnement, le tnp entreprend pour la première fois une prospection systématique pour élargir le public des avant-premières. Contact est pris, en général, par téléphone, suivi d’une visite au sein des entreprises (banques, sièges de sociétés importantes) par les délégués du tnp (comédiens ou techniciens volontaires). Les chiffres montrent que la création d’un système d’abonnement aux avant-premières, parallèlement à une prospection systématique, permettent de doubler le nombre de spectateurs. Durant la saison 1956-1957 (sans abonnement), les 31 avant-premières réunissent 62 635 spectateurs, soit une moyenne de 2 020 spectateurs par avant-première. Pendant la saison 1957-1958 (avec abonnement), 39 avant-premières sont proposées qui attirent 17 320 abonnements, soit 96 188 spectateurs, soit une moyenne proche de 2 500 spectateurs par avant-première [47]. La présence de comédiens, rendus populaires par le cinéma, tel Gérard Philipe facilite les premiers contacts avec ce nouveau public.
La paradoxale critique de l’abonnement
49Lors même que les abonnements furent vilipendés en raison de la fidélité, prétendument inconditionnelle, des spectateurs du tnp, avant d’être supprimés, précisément sous l’effet de cette même attaque, par Georges Wilson en 1968, ils apparaissent au contraire comme le creuset d’une fonction critique. Si « critiquer, c’est se souvenir », la formation de la fonction critique du public passe par cette régularité de la fréquentation qui permet tout à la fois l’intimité avec le style d’une création et la globalité du jugement, ces deux pôles de la relation à l’œuvre que Jean Starobinski estime constitutifs de la critique [48].
50La dénonciation des abonnements se révèle paradoxale car loin d’avoir créé un public qualifié de Panurge, du fait même de ces abonnements, nous découvrons un public avisé qui n’hésite pas à formuler haut et fort ses déceptions sur le mode du jugement esthétique. L’organisation de l’expression critique des spectateurs permet la constitution d’un espace littéraire critique et confirme l’idée selon laquelle la question de la légitimité de nos valeurs esthétiques se pose dès lors comme un problème politique.
51La révolution de Vilar réside ici. Derrière l’assassinat du metteur en scène qu’il revendique [49], nous pouvons déceler un parti pris limitant le pouvoir de l’homme de théâtre qui se destitue pour agir en « exécutant », et se constitue ainsi en « serviteur » de deux maîtres : l’auteur et le public. L’unique rôle de l’homme de théâtre consiste alors à éclairer le public. Aux antipodes d’une conception qui fait du créateur un deus ex machina, dont le respect de la sensibilité autoriserait le mépris du public, voire justifierait son sacrifice, l’autorité et l’influence du directeur du tnp, ou de toute autre institution de service public, ne s’accroissent que proportionnellement au travail d’éducation qu’ils accomplissent en ce sens. Autrement dit, leur prestige et leur influence n’augmentent que dans la mesure où ces responsables d’institutions détruisent ce qui fut jusqu’ici la force des dirigeants, la cécité du public, c’est-à-dire encore dans la mesure où ils se dépouillent eux-mêmes de leur qualité de chefs, et où ils font du public le principe directeur de leur action, et d’eux-mêmes les organes exécutifs de l’action du public. Le sens du service public tient dans ce retournement. Jean Vilar se met au service de l’auteur et du public. En se dévouant à cette cause, il s’oppose à la critique en œuvrant pour son public.
Conclusion
52Le public du tnp et la critique. Au cœur de la relation, le « et » doit ici s’entendre dans son double sens de coordination et d’opposition. Par-delà le bras de fer qui se joue entre le public et la critique, on découvre un partage de la fonction critique entre ces deux acteurs collectifs. L’indignation éprouvée par Vilar à la lecture de certaines critiques le pousse à ne pas ou plus supporter l’insupportable, à se heurter à ce qui le heurte. La résistance consiste pour Vilar dans la persévérance. Pour mieux saisir en quoi le public définit un contre-pouvoir à la critique professionnelle, il fallait chercher comment Jean Vilar a favorisé le développement de la fonction critique du public. La contestation du pouvoir de la critique par le public du tnp est indissociable d’une formation de la fonction critique du public du tnp. Cette conclusion inspire trois remarques finales.
53La première remarque touche à l’inépuisable question de la construction de la légitimité de nos valeurs esthétiques. Si l’influence de la critique demeure, sa virulence renforce la reconnaissance de l’existence de l’objet critiqué. Là encore, l’exemple des critiques dont fut victime le répertoire de Vilar confère au tnp son statut d’institution. Le conservateur du Musée d’art moderne du palais de Tokyo, Bernard Dorival, dans une lettre de novembre 1951 adressée à Vilar le souligne de façon incidente : « Décidément, j’ai trouvé un moyen bien simple d’aller toujours voir de bonnes pièces : aller à celles que Jean-Jacques Gautier me déconseille, car je suis par avance sûr que j’en serai ravi, comme je serai ravi du jeu des acteurs qu’il critique et de la qualité littéraire des pièces qu’il n’apprécie pas. C’est précieux, un critique comme lui, que l’on peut prendre comme baromètre [50] ».
54La deuxième concerne la question du pouvoir de la critique. Car si inversion du protocole il y eut, on ne doit pas pour autant conclure à l’évanescence du pouvoir de la critique. Écoutée, acceptée, la critique dramatique s’est déchaînée contre le répertoire contemporain ou allemand de Vilar. Contournée, détrônée par le public même des avant-premières, elle s’est ensuite résignée à jouer un second rôle dans le cercle de la reconnaissance. Alors qu’elle pouvait revendiquer, auprès du public, le rôle de jugement et la fonction de discernement, elle fut reléguée par les dispositifs mis en place par Jean Vilar, qui émancipaient les spectateurs de la trop classique délégation de jugement envers la critique professionnelle. Plutôt que d’être incités, d’être suscités, d’être déterminés par la critique, les spectateurs du tnp exercent un pouvoir sur la critique, celui d’affecter non pas le contenu de ses comptes rendus, mais le monopole de sa fonction de juger. Point de domination univoque et irréversible de la critique : Vilar rompt avec la croyance de son omnipotence et ruine la créance en sa puissance.
55La troisième remarque doit souligner la compétence des spectateurs, ou plutôt la confiance dans le jugement des spectateurs qui fonde cette compétence. « Un nouveau public… naît au théâtre, qui… saura lire sainement les critiques, parce qu’il se sera constitué en-dehors d’elles ». Ces propos d’André Reybas [51] résument parfaitement l’espoir qu’ont caressé les hommes de théâtre, et singulièrement Jean Vilar, de voir le développement des associations populaires modifier en profondeur le rôle de la critique professionnelle et se saisir de l’exercice de la liberté critique.
56La valeur de l’exercice de la fonction critique brise le clivage trop classique entre critique savante et critique commune. La fin de la frontière entre jugement savant et jugement populaire se dessine, se profile. Pour peu qu’ils soient aidés par l’institution, ici par les avant-premières, le questionnaire ou l’abonnement, les spectateurs se révèlent dépositaires de compétences, de savoirs et de valeurs susceptibles de revendiquer, avec non moins de succès que la critique professionnelle, la détention d’une capacité critique et l’ambition de pouvoir l’exercer.
Bibliographie
Dans les notes en bas de page et dans cette bibliographie, l’absence de mention du lieu d’édition signifie que celui-ci est Paris.
Bibliographie sur la fonction critique
- Brenner Jacques, Les critiques dramatiques. Le procès des juges, Flammarion, 1970.
- Cottereau Alain, « « Esprit public » et capacité de juger », in Cottereau Alain et Ladrière Paul dir., Pouvoir et légitimité. Figures de l’espace public, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, « Raisons pratiques », n° 3, 1992, p. 239-273.
- Frye Northrop, Anatomie de la critique, trad. de l’anglais par Guy Durand, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1969.
- Habermas Jürgen, « La souveraineté populaire comme procédure. Un concept normatif d’espace public », trad. de l’all. par Hunyadi, Lignes, n° 7, p. 29-58.
- Habermas Jürgen, L’espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. de l’all. par Marc B. De Launay, Payot, coll. « Critique de la politique », 1978.
- Kant Emmanuel, Critique de la faculté de juger [1791], trad. de l’all. par Alexandre Delamarre, Jean-René Ladmiral, Marc B. de Launay, Jean-Marie Vaysse, Luc Ferry et Heinz Wismann, présenté par Ferdinand Alquié, Gallimard, « Folio-Essais », 1985.
- Kosseleck Reinhart, Le règne de la critique [1959], trad. de l’all. par Hans Hildenbrand, Éditions de Minuit, « Arguments », 1979.
- Lagroye Jacques, « La légitimation », in Madeleine Grawitz et Jean Leca dir., Traité de science politique, t. I, puf, 1985, p. 418-467.
- Poulain Jacques, La neutralisation du jugement ou la critique pragmatique de la raison politique, L’Harmattan, « La philosophie en commun », 1993.
- Poulet Georges dir., Les chemins actuels de la critique, Plon, 1967.
- Starobinski Jean, La relation critique. L’œil vivant II (1961), Gallimard, « Tel », 2001.
- Ubersfeld Anne, L’École du spectateur, Les Éditions sociales, 1981.
- Weber Max, « Essai sur le sens de la « neutralité axiologique » [1917], in Essais sur la théorie de la science, trad. de l’allemand par Julien Freund, Plon, rééd., Pocket, 1992, p. 365-433.
Bibliographie sur le tnp de Vilar et la critique
- Consolini Marco, « Théâtre populaire (1) », Les Cahiers de la Comédie-Française, n° 24, 1997, p. 104-116.
- Consolini Marco, « Théâtre populaire (2) », Les Cahiers de la Comédie-Française, n° 25, 1997, p. 83-97.
- Consolini Marco, Théâtre populaire. Une revue militante, Éditions de l’IMEC, 1998.
- Durand Jacques-Olivier, Tous spectateurs. La belle aventure des Amis du théâtre populaire, Éditions de l’Aube, 1992.
- Fleury Laurent, Le tnp et le Centre Pompidou : deux institutions culturelles entre l’État et le public. Contribution à une sociologie des politiques publiques de la culture en France après 1945, Thèse de doctorat de science politique, Université Paris IX, 1999, 1 133 p.
- Lebesque Morvan, « Le théâtre national populaire. Histoire d’une bataille », Le Point. Revue artistique et littéraire, Mulhouse, n° 52, mars 1957, p. 4-46.
- Loyer Emmanuelle, Le théâtre citoyen de Jean Vilar. Une utopie d’après-guerre, puf, 1997.
- Pauthe Serge, La Bataille de Chaillot, Lyon, Aria, 1986.
- Plassard Didier, « Réjouir l’homme est une tâche douloureuse. Le tnp de Jean Vilar et la presse (1951-1963) », Revue d’histoire du théâtre, n° 2, 1998, p. 101-128.
- Plassard Didier, « La revue Théâtre populaire, juge du tnp de Jean Vilar », in Jacques Téphany dir., Jean Vilar, Éditions de l’Herne, coll. « Cahiers de l’Herne », 1995, p. 234-243.
- Sartre Jean-Paul (entretien « Jean-Paul Sartre nous parle du théâtre », Théâtre populaire, n° 15, 1955, p. 3-9.
- Victoroff David, « Le paradoxe du spectateur », Théâtre populaire, n° 12, mars-avril 1955, p. 76-82.
Notes
-
[1]
Laurent J., Portrait de Jean Vilar, manuscrit déposé à la Maison Jean Vilar.
-
[2]
Parce que Jeanne Laurent lui avait refusé une subvention pour des tournées en province qui ne correspondaient pas à l’idée qu’elle se faisait de la décentralisation, Jacques Hébertot, haute figure du théâtre privé, lança contre elle une campagne de presse qui participa à sa mise à l’écart.
-
[3]
Les Lettres Françaises, 22 nov. 1951.
-
[4]
Rivarol, 22 nov. 1951.
-
[5]
Le Figaro Littéraire, 24 nov. 1951.
-
[6]
Pavis P., « Quelques raisons sociologiques du succès des classiques en France après 1945 », in Le théâtre au croisement des cultures, José Corti, 1990, p. 51-64.
-
[7]
Le pcf mène de 1951 à 1952 une campagne vigoureuse contre la présence des troupes américaines en Europe.
-
[8]
Aragon L., « L’âge de Pichette », Les Lettres Françaises, 23-30 mai 1952.
-
[9]
Vilar est férocement étrillé par François Mauriac dans Le Figaro, 8 mai 1952 : « Jean Vilar est un fort bon metteur en scène comme il en existait avant lui et qui certes, mérite autant le succès qu’il a eu. Mais ce succès, qu’il le supporte mal ! Et le voilà qui, dans un hebdomadaire, s’est donné le ridicule de comparer Claudel à Pichette… J’avoue que je trouve bien éprouvant pour les nerfs d’un honnête homme le genre « cabot sur trépied » qui convient mal à un artiste de votre classe, Jean Vilar ».
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[10]
Beigbeder M., Les Lettres Françaises, 23-30 mai 1952.
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[11]
Plassard D., « Réjouir l’homme est une tâche douloureuse. Le tnp de Jean Vilar et la presse (1951-1963) », Revue d’histoire du théâtre, n° 2, 1998, p. 101-128.
-
[12]
Arts, 11 novembre 1959.
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[13]
Jamet C., France réelle, 16 mai 1952. Gautier J.-J., Le Figaro, 22 décembre 1952.
-
[14]
Carrefour, 24 décembre 1954.
-
[15]
Marcel G., Les Nouvelles littéraires, 19 mars 1953.
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[16]
Gautier J.-J., Elle, 2 février 1952.
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[17]
Adam P., Libération, 25 février 1952.
-
[18]
Ransan A., Ce Matin - Ce Pays, 25 février 1952.
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[19]
Gandrey-Réty J., Ce Soir, 24 février 1952 ; article partiellement repris dans Les Lettres Françaises, le 6 mai 1952.
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[20]
Voir en particulier les articles de Benot, Les Lettres françaises, 7 mai 1933 et Bergeron, L’Humanité, 7 mai 1953.
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[21]
Le traducteur met en garde Vilar à ce sujet (voir la reproduction de sa lettre in Jean Vilar, Mémento, p. 30 ; lors de la reprise de novembre 1953, le metteur en scène montre sa sensibilité aux arguments des critiques en affichant cette note aux comédiens sur le tableau de service : « Attention, ne caricaturez pas le peuple », Cahiers Théâtre de Louvain, n° 53, Louvain, 1985, p. 40.
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[22]
Bardot J.-C., Jean Vilar, Armand Colin, 1991, p. 289-290.
-
[23]
Sartre J.-P. (entretien avec Bernard Dort), « Jean-Paul Sartre nous parle du théâtre », Théâtre populaire, n° 15, 1955, p. 3-9.
-
[24]
Plassard D., « La revue Théâtre populaire, juge du tnp de Jean Vilar », in Jacques Téphany dir., Jean Vilar, Éditions de l’Herne, coll. « Cahiers de l’Herne », 1995, p. 234-243.
-
[25]
Consolini M., Théâtre populaire. Une revue militante, Éditions de l’imec, 1998. Également, du même auteur, « Théâtre populaire (1) », Les Cahiers de la Comédie-Française, n° 24, printemps 1997, p. 104-116 et, « Théâtre populaire (2) », Les Cahiers de la Comédie-Française, n° 25, automne 1997, p. 83-97.
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[26]
Voir Jean Vilar, « Deux lettres et un ballet », in Chronique romanesque, Grasset, 1971, p. 110.
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[27]
Brenner J., Les critiques dramatiques. Le procès des juges, Flammarion, 1970, p. 14.
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[28]
Plassard D., « Réjouir l’homme est une tâche douloureuse. Le tnp de Jean Vilar et la presse (1951-1963) », Revue d’histoire du théâtre, n° 2, 1998, p. 101-128.
-
[29]
Deleuze G., Michel Foucault, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1986, p. 77.
-
[30]
Sur l’analyse du rituel électoral et ses effets en termes de socialisation politique, voir Alain Garrigou, Le Vote et la vertu : comment les Français sont devenus électeurs. Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1992. L’auteur développe la thèse selon laquelle ce n’est pas l’électeur qui fait l’élection, mais l’élection qui fait l’électeur.
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[31]
Berry M., Une technologie invisible ? L’impact des instruments de gestion sur l’évolution des systèmes humains. École Polytechnique, Centre de Recherche en Gestion (crg), ronéoté, juin 1983.
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[32]
Observons que l’effet d’imposition, souvent dénoncé dans le prosélytisme parfois attribué à l’action culturelle, parait ici céder la place à la possibilité d’expression du jugement.
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[33]
Turner V., « Liminarité et communitas », in Le phénomène rituel. Structure et contre-structure [1969], puf, 1990, p. 95-128.
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[34]
Victor Turner montre comment les rites peuvent assurer une fonction de régulation au sein d’une société en permettant, durant un temps circonscrit, une inversion statutaire. Sur l’inversion des statuts, Victor Turner, « Basses et hautes positions hiérarchiques : la liminarité de l’élévation et de l’inversion de statut », in Le phénomène rituel. Structure et contre-structure [1969], puf, coll. « Ethnologies », 1990, p. 161-196.
-
[35]
Vilar J., « Petit manifeste de Suresnes » [1951], in Le Théâtre, service public et autres textes, présentation et notes d’Armand Delcampe, Gallimard, coll. « Pratique du théâtre », rééd. 1986, p. 147.
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[36]
Sur la mise en évidence de la mise entre parenthèse des attributs sociaux des spectateurs durant une représentation, voir la thèse, nourrie de démarche anthropologique, de Marie-Madeleine Mervant-Roux, Le lieu d’où l’on regarde : l’autre pôle du théâtre, thèse de doctorat d’État, dir. par Elie Konigson, Université de Paris III-Sorbonne Nouvelle, Institut d’Études théâtrales, 1996. Thèse publiée sous le titre L’assise du théâtre. Pour une étude du spectateur, Éditions du cnrs, 1998.
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[37]
Lettre de Y. Portolcan, Viroflay, février 1952. Archives nationales : Livre d’or du tnp - Lettres de spectateurs. Nous soulignons.
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[38]
La revue Bref avait paru pour la première fois le 15 mars 1924 dans le cadre du tnp de Firmin Gémier, créé en 1920. Sur l’histoire de la revue, voir Jean-Claude Marrey, « Brève histoire de Bref », Bref, n° 100, 1966, p. 25.
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[39]
Rappelons que Marcel Jacno, déclare : « avec cet alphabet de forme inattendue, j’ai voulu que les titres prennent la vedette et fassent image dans les imprimés ». Typographie et théâtre. L’espace et la lettre, Université de Paris VII, Cahiers Jussieu 3, 1977.
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[40]
Kosseleck R., Le règne de la critique [1959], trad. de l’all. par Hans Hildenbrand, Éditions de Minuit, « Arguments », 1979.
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[41]
Habermas J., « De la culture discutée à la culture consommée : évolution du public », in L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. de l’all. par Marc B. De Launay, Payot, coll. « Critique de la politique », 1978, p. 167-182.
-
[42]
Halbwachs M., Les cadres sociaux de la mémoire, Alcan, 1925. Et, du même auteur, La mémoire collective, puf, 1950.
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[43]
Poulet G., « Une critique d’identification », in Georges Poulet dir., Les chemins actuels de la critique, Plon, 1967, p. 9-24 (p. 22).
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[44]
Ce clavier de comparaison est indispensable selon Northrop Frye à la perspective de la critique qui doit se fonder sur une vue d’ensemble. Northrop Frye, Anatomie de la critique, trad. de l’anglais par Guy Durand, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1969, p. 17.
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[45]
Même si la préoccupation de Vilar est déjà ancienne. Nous la découvrons lorsqu’il dirige l’Équipe et la Compagnie des Sept. Il déclare : « ainsi, tout bien posé, optons-nous pour un service d’abonnement grâce auquel, en dépit de l’échec comme du succès, se réaliseront à coup sûr les pièces que nous proposons ». L’abonnement est présenté comme un instrument de survie du théâtre : outil de pérennité pour la vie de la troupe il est aussi garant d’une vitalité renouvelée pour le public. Le risque de sombrer dans un assoupissement est écarté. Plus encore que ce double rôle, pourtant essentiel à la vie du théâtre et à la vie théâtrale, le système de l’abonnement transforme les conditions de la réception. En effet, il parait permettre d’éviter « l’humeur boudeuse » et favoriser, sinon une constance, du moins une stabilité de la forme même du jugement. Au-delà de la fidélité qu’il instaure, c’est aussi à une éducation du jugement qu’il favorise. L’abonnement comme « antidote des sautes d’humeurs ». On peut en effet lire : « La première représentation de Dom Juan a eu lieu le 20 avril 1944. Une seconde représentation aura lieu pour les nouveaux abonnés ». Document de 4 pages. Programme s.d. Archives Sonia Debeauvais, « Notes de service, notes personnelles de Jean Vilar ».
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[46]
Notre entretien avec Sonia Debeauvais du 17 nov. 1992.
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[47]
Saison 1958-1959 (avec abonnement) : 50 avant-premières ; 24.892 abonnements ; 129.511 spectateurs, soit 2.600 spectateurs par avant-première.
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[48]
Dans un court texte intitulé Le Voile de Poppée, qui ouvrait le premier volet de L’Œil vivant (Gallimard, Tel, (n° 301), 1999 pour la réédition) Jean Starobinski définissait sa conception de la critique en ces termes essentiels : « La critique complète n’est peut-être ni celle qui vise à la totalité (comme fait le regard surplombant), ni celle qui vise à l’intimité (comme fait l’intuition identifiante) ; c’est un regard qui sait exiger tour à tour le surplomb et l’intimité, sachant par avance que la vérité n’est ni dans l’une ni dans l’autre tentative mais dans le mouvement qui va inlassablement de l’une à l’autre. Il ne faut refuser ni le vertige de la distance, ni celui de la proximité ; il faut désirer ce double excès où le regard est chaque fois près de perdre tout pouvoir ». Voir Jean Starobinski, La relation critique. L’œil vivant II (1961), Gallimard, « Tel », 2001.
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[49]
Vilar J., De la Tradition théâtrale, L’Arche Éditeur, 1955, Réédition Gallimard, coll. « Idées-Littérature », 1963.
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[50]
Lettre de Bernard Dorival à Jean Vilar datée 22 novembre 1951, Archives nationales, Livre d’or du tnp - Lettres de personnalités.
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[51]
Bref, n° 12, 15 mars 1956.