Introduction
1L’électromyographie (EMG), définie comme l’étude fonctionnelle du muscle à travers le recueil et l’analyse du signal électrique généré par la contraction musculaire (Basmajian & De Luca, 1985), est un outil couramment utilisé pour étudier les sollicitations musculaires au cours de différentes tâches (Hug, 2011). L’activité EMG peut-être mesurée de manière invasive par une électrode-aiguille (ou filaire) insérée dans le muscle ou de manière non invasive en utilisant des électrodes posées à la surface de la peau. L’utilisation des électrodes-aiguilles (c.-à-d. EMG intramusculaire ou élémentaire) présente l’avantage de fournir une mesure de l’activité électrique d’un nombre restreint d’unités motrices, offrant la possibilité de calculer directement leur fréquence de décharge (Basmajian & De Luca, 1985). Néanmoins, cette sélectivité peut également représenter un inconvénient majeur puisque l’activité mesurée par ces électrodes n’est représentative que d’une petite partie du muscle considéré. De plus, le caractère invasif de cette technique la rend difficilement applicable aux études portant sur l’analyse du mouvement. À l’inverse, l’utilisation d’électrodes de surface (c.-à-d. EMG de surface ou global) permet de mesurer une activité EMG représentative d’un volume musculaire plus conséquent et est donc davantage reliée aux caractéristiques mécaniques du mouvement [force développée, vitesse de déplacement, type de contraction etc., (Bouisset & Maton, 1995)]. De ce fait, l’EMG de surface est généralement préférée, bien que présentant certaines limites. En effet, plusieurs facteurs physiologiques et nonphysiologiques sont susceptibles de faire varier le niveau d’activité EMG indépendamment du niveau de force produit par le muscle (ex. fatigue, cross-talk, signal cancellation, etc. ; pour revue voir Farina, Merletti, & Enoka, 2004 ; Hug, 2011 ; Staudenmann, Roeleveld, Stegeman, & van Dieën, 2010) rendant parfois certaines interprétations hasardeuses. Une autre limite importante de l’EMG de surface réside dans le fait que cette technique ne permet pas l’étude de muscles profonds (ex. vastus intermedius, brachialis, etc.).
2Dans ce contexte, le développement de techniques complémentaires à l’EMG pour quantifier l’intensité des sollicitations musculaires apporterait des informations essentielles à l’étude des coordinations musculaires et bénéficierait de ce fait à de nombreux champs scientifiques tels que la biomécanique, la physiologie, le contrôle moteur, etc. Ainsi, après une présentation rapide des méthodes d’élastographie, l’objectif de cet article est de présenter les résultats d’études récentes qui ont montré qu’une technique d’élastographie développée ces dernières années (nommée « supersonic shear imaging ») peut estimer le niveau de sollicitation des muscles, laissant augurer des perspectives de recherches particulièrement intéressantes.
1 – Présentation succincte des méthodes d’élastographie : applications à l’étude de la contraction musculaire
3Les méthodes d’élastographie consistent à mesurer les propriétés mécaniques d’un matériau biologique en appliquant une sollicitation au tissu considéré et en mesurant les effets de cette sollicitation par une méthode d’imagerie. On parle d’élastographie statique lorsqu’une contrainte statique est appliquée sur le tissu et que l’on mesure les déplacements résultants par imagerie pour calculer le module de Young du matériau (ex. Deffieux, 2008 ; Gennisson, 2003 ; Ophir, Céspedes, Ponnekanti, Yazdi, & Li, 1991). Si cette technique peut s’avérer pertinente pour l’étude de tissus inertes, elle ne permet pas de suivre l’évolution du module avec une précision temporelle suffisante pour pouvoir être utile à l’étude des sollicitations musculaires.
4Les méthodes d’élastographie dynamique consistent à déterminer les propriétés mécaniques du matériau grâce à l’étude de la propagation des ondes de cisaillement (Deffieux, 2008 ; Gennisson, 2003). La physique des ondes montre que la vitesse de propagation (Vs) de cette onde et son atténuation sont liées respectivement au module d’élasticité de cisaillement (?, Éq. (1)) et à la viscosité de cisaillement (Royer & Dieulesaint, 1996). La mesure du module d’élasticité de cisaillement paraît également pertinente dans les matériaux biologiques puisque, ceuxci étant quasi incompressibles (Kardel, 1990 ; Royer, Gennisson, Deffieux, & Tanter, 2011), on montre que pour un matériau isotrope il est directement lié au module de Young du matériau (E) (Éq. (2), Deffieux, 2008 ; Gennisson, 2003).
6où ? est la masse volumique (environ 1000 kg/m3 pour le muscle).
7Les différentes méthodes d’élastographie dynamique se distinguent par : (i) la méthode utilisée pour générer la propagation de l’onde de cisaillement, elle peut être monochromatique/stationnaire (c.-à-d. sollicitation périodique impliquant un état stable) ou impulsionnelle (c.-à-d. instantanée), et (ii) la méthode de mesure de la vitesse de propagation de l’onde de cisaillement, basée sur l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ou sur l’imagerie échographique. En fonction de l’utilisation escomptée, ces différentes méthodes présentent des avantages et inconvénients.
8Du fait de la nécessité de réaliser des mesures lors d’un état stable impliquant un temps d’acquisition allant de quelques secondes à une minute, les méthodes monochromatiques – qu’elles utilisent l’IRM ou l’échographie – semblent moins adaptées à l’étude de la contraction musculaire et présentent un potentiel moins important que les méthodes impulsionnelles (cf. paragraphe suivant) pour envisager – in fine – l’étude des sollicitations musculaires. Du fait du temps d’acquisition important lors d’une IRM, l’élastographie par résonance magnétique (Muthupillai, Lomas, Rossman, Greenleaf, Manduca, & Ehman, 1995) implique d’utiliser des sollicitations monochromatiques. Ainsi, le sujet doit maintenir une contraction isométrique constante pendant environ une minute (Dresner, Rose, Rossman, Muthupillai, Manduca, & Ehman, 2001 ; Heers et al., 2003 Jenkyn, Ehman, & An, 2003), et le résultat obtenu représente la moyenne du module sur cette période. S’il a été montré que le module de cisaillement mesuré par l’élastographie par résonance magnétique augmente avec le niveau de contraction (Bensamoun et al., 2006 ; Dresner et al., 2001; Heers et al., 2003; Jenkyn et al., 2003), il n’est actuellement pas possible d’utiliser cette technique pour suivre les évolutions rapides du module de cisaillement au cours d’une contraction musculaire.
9L’élastographie impulsionnelle (Catheline, Thomas, Wu, & Fink, 1999 ; Gennisson, Catheline, Chaffaï, & Fink, 2003 ; Sandrin, Tanter, Catheline, & Fink, 2002) permet de s’affranchir en partie des limites inhérentes à l’utilisation des sollicitations monochromatiques et de l’IRM. En effet, cette technique consiste à générer la propagation de l’onde de cisaillement par une impulsion basse fréquence de faible amplitude appliquée sur la peau (c.-à-d. léger « choc » entre 50 et 600 Hz) grâce à un pot vibrant (Sandrin et al., 2002). La vitesse de propagation de cette onde de cisaillement est ensuite mesurée grâce à une imagerie échographique ultrarapide et un algorithme d’intercorrelation (Catheline et al., 1999). La durée de la mesure étant de l’ordre de 50 ms, cette technique présente en effet un potentiel important pour l’étude de la contraction musculaire. Ainsi, Gennisson, Cornu, Catheline, Fink, & Portero (2005) ont enregistré de manière synchronisée les modifications du module d’élasticité de cisaillement et du niveau d’activité EMG de surface du muscle biceps brachii au cours d’une flexion isométrique incrémentale du coude de 120 s allant de 0 à 50 % de la contraction maximale volontaire. Si des corrélations significatives entre ces deux paramètres ont bien été constatées, les coefficients de détermination étaient relativement faibles (R2 = 0,55, voir la figure 6 de Gennisson et al., 2005). Ainsi, le niveau d’activité du muscle ne pouvait être estimé de manière précise grâce à la mesure du module d’élasticité sans une amélioration de la technique. De plus, une faible répétabilité de l’élastographie impulsionnelle a été mise en évidence par Nordez, Gennisson, Casari, Catheline, & Cornu (2008) lors de mobilisations passives du muscle. Deux principales hypothèses ont été évoquées pour expliquer ces résultats : (i) la difficulté de la standardisation de l’impulsion mécanique et la possible influence de la pression du capteur sur la peau ; (ii) la mesure unidimensionnelle, suivant une ligne perpendiculaire à la direction de raccourcissement du muscle, qui ne permettait pas d’obtenir une mesure représentative de l’ensemble du muscle.
10Ces limites semblent être levées grâce à une nouvelle méthode d’élastographie dynamique nommée « supersonic shear imaging » (SSI, Bercoff, Tanta, & Fink, 2004). Comme pour l’élastographie impulsionnelle décrite dans le paragraphe précédent, la sollicitation générant la propagation de l’onde de cisaillement est impulsionnelle, mais elle est occasionnée par une focalisation d’ultrasons qui induit un choc supersonique (Bercoff et al., 2004). Brièvement, les ultrasons sont focalisés successivement à des profondeurs différentes pour créer des poussées par pression de radiation. En régime supersonique (quand la source se déplace plus vite que les ondes qu’elle génère), les ondes de cisaillement s’ajoutent de manière cohérente le long d’un « cône de Mach ». Il n’est donc plus nécessaire d’utiliser un vibreur externe – une sonde ultrasonore classique est suffisante – et la génération de l’onde de cisaillement est ainsi beaucoup plus facile à standardiser. De plus, la mesure est réalisée en deux dimensions, ce qui permet d’obtenir un résultat plus représentatif de l’état du muscle. Il est donc probable que la technique SSI améliore significativement les mesures réalisées sur le muscle par rapport à la technique précédente d’élastographie impulsionnelle (Gennisson et al., 2005; Nordez et al., 2008). Trois premières études ont montré le potentiel de SSI pour l’étude de la contraction du muscle in vivo (Deffieux, Montaldo, Tanter, & Fink, 2009; Gennisson et al., 2010; Shinohara, Sabra, Gennisson, Fink, & Tanter, 2010). En réalisant des flexions isométriques du coude, Gennisson et al. (2010) ont montré une augmentation progressive et nette du module d’élasticité de cisaillement du biceps brachii pour des charges allant de 0 kg (5,9 ± 0,2 kPa) à 4 kg (100,8 ± 3,2 kPa). Sur la base de cette étude, on peut donc émettre l’hypothèse que la technique SSI peut permettre d’analyser finement les sollicitations musculaires. L’objectif des parties suivantes est de présenter certains travaux récents menés par notre groupe (études publiées ou en cours de publication) qui visent à étudier la précision de la technique SSI dans ce contexte.
2 – Relation entre le niveau d’activité musculaire et le module d’élasticité de cisaillement
11Un protocole similaire à celui de Gennisson et al., (2005) a été reproduit en utilisant la technique SSI (Nordez & Hug, 2010). Cette technique est maintenant implémentée dans un échographe commercialisé sous le nom d’Aixplorer (Supersonic Imagine, Aix en Provence France), utilisé pour cette étude.
12Six sujets ont réalisé deux flexions isométriques incrémentales du coude de 30 s de 0 à 40 % du couple maximal volontaire préalablement déterminé. L’angle du coude était fixé à 90° (c.-à-d. l’avant bras perpendiculaire au bras), et le poignet était en supination. Au cours de ces contractions, le module d’élasticité de cisaillement du muscle biceps brachii (Fig. 1) a été enregistré à 1 Hz (c.-à-d. fréquence d’acquisition maximale actuelle de l’échographe) de manière synchronisée au signal EMG.
13Du fait d’une limitation de l’échographe, les mesures de module de cisaillement saturaient à 100 kPa, ce qui limitait la plage d’analyse à 28 ± 7 % du couple maximal volontaire, correspondant à 11 ± 4 % du niveau d’activité EMG maximal. Des régressions linéaires significatives ont été mises en évidence entre le module d’élasticité de cisaillement et le niveau d’activité du biceps brachii (Fig. 2). Les coefficients de détermination de ces régressions (R2 = 0,94 ± 0,05 ; plage : 0,82–0,98) étaient bien plus élevés que ceux précédemment rapportés par Gennisson et al. (2005), démontrant que le niveau d’activité du muscle peut être estimé de manière précise grâce au module d’élasticité de cisaillement, même pour des niveaux de contraction faibles (c.-à-d. en moyenne inférieurs à 11 % du niveau d’activité EMG maximal). Nos résultats ont en effet montré une très grande sensibilité de la mesure au niveau de contraction du muscle (c.-à-d. module d’élasticité passant de 11,3 ± 3,8 kPa à 21,7 ± 6,7 kPa et 42,6 ± 14,1 kPa pour 0 %, 3 % et 7 % du niveau maximal d’activité EMG). De plus, une bonne répétabilité des mesures à 3 % (ICC = 0,89, SEM = 2,3 kPa ; CV = 12,7 %) et 7 % (ICC = 0,94 ; SEM = 3,7 kPa ; CV = 7,1 %) du niveau maximal de l’EMG a été mise en évidence.
14Cette étude a montré que la technique SSI permet de s’affranchir de limites de la méthode d’élastographie impulsionnelle (Gennisson et al., 2005; Nordez et al., 2008) appliquée au muscle en améliorant grandement la précision et la répétabilité de l’estimation du niveau de contraction musculaire. La mesure d’élasticité par SSI étant très sensible, des contractions de très faibles intensités peuvent même être étudiées. Contrairement à l’EMG qui mesure des manifestations électriques associées à la contraction musculaire, la technique d’élastographie SSI fournit une information mécanique (c.-à-d. module d’élasticité de cisaillement). De ce fait, on peut raisonnablement considérer que cette technique permet de s’affranchir d’un bon nombre de limites associées à l’utilisation de l’EMG de surface comme le « cross-talk » ou le « signal cancellation » (ex. Hug, 2011). De surcroît, les muscles profonds peuvent être étudiés simplement par SSI, et l’expérimentation présentée dans la section 3 vise à exploiter ces résultats pour analyser les niveaux d’activité des principaux muscles participant à la flexion du coude.
3 – Mise en évidence de compensations musculaires lors d’une contraction isométrique incrémentale
15L’expérimentation précédente a mis en évidence une relation non linéaire entre le couple global mesuré au niveau de l’articulation du coude et le niveau d’activité du biceps brachii. Ce résultat est conforme à la littérature (ex. Gennisson et al., 2005; Lawrence & De Luca, 1983). En revanche, des relations linéaires entre le niveau d’activité EMG et le couple ont été mises en évidence pour de plus petits muscles de la main tel que le first dorsal interosseous. Dans la littérature, ces différences entre les muscles sont principalement expliquées par des différences de stratégies de recrutement des unités motrices (Campy, Coelho, & Pincivero, 2009; De Luca, LeFever, McCue, & Xenakis, 1982; Lawrence & De Luca, 1983). En effet, il est bien connu que la force musculaire peut être augmentée du fait du recrutement d’unités motrices additionnelles et/ ou d’une augmentation de la fréquence de décharge de ces unités motrices (Henneman, Clamann, Gillies, & Skinner, 1974). La relation non-linéaire pour le biceps brachii attesterait d’un codage principalement spatial du recrutement des unités motrices (De Luca et al., 1982; Kukulka, & Clamann, 1981), alors que la relation linéaire pour le first dorsal interosseous s’expliquerait principalement par une augmentation de la fréquence de décharge des unités motrices (Milner-Brown & Stein, 1975).
16Cependant, une autre hypothèse pourrait expliquer la différence de linéarité des relations EMG-couple entre ces deux muscles. En effet, contrairement à l’abduction de l’index impliquant uniquement le first dorsal interosseous, plusieurs muscles synergistes sont impliqués, en plus du biceps brachii, dans la production du couple de flexion mesuré au niveau du coude (c.-à-d. brachialis, brachioradialis). Des modifications de la répartition des efforts entre les muscles pourraient donc survenir entre les différents niveaux de contraction et influer les relations entre l’EMG du biceps brachii et le couple global. Le muscle brachialis (muscle profond) ne pouvant être étudié à l’aide de l’EMG de surface, de telles modifications n’ont, à notre connais sance, jamais été mises en évidence pour la flexion du coude. C’est pourquoi, en s’appuyant sur l’étude précédente qui a montré que SSI peut permettre d’estimer le niveau de sollicitation musculaire (Nordez & Hug, 2010), l’objectif était d’estimer le niveau de sollicitation de tous les muscles fléchisseurs du coude (c.-à-d. le muscle brachialis inclus) grâce au module d’élasticité de cisaillement mesuré par SSI.
17Dix sujets ont réalisé huit flexions isométriques identiques à celles décrites dans la section 2. Au cours de chaque rampe, le module d’élasticité d’un des quatre muscles suivants était mesuré : biceps brachii, brachialis (Fig. 3), brachioradialis, et triceps brachii. Deux rampes étaient réalisés pour l’étude de chacun des muscles. Une bonne répétabilité des relations entre le module d’élasticité des quatre muscles et le couple a été mise en évidence (coefficients de corrélation compris entre 0.85 et 0.94). Les résultats (Fig. 4) montrent clairement une faible augmentation du module d’élasticité du biceps brachii dans un premier temps, puis une augmentation beaucoup plus importante, confirmant bien la relation non linéaire entre le niveau d’activité et le couple pour ce muscle. Si l’augmentation du module pour le brachioradialis était relativement progressive, le pattern d’évolution du brachialis était inversé par rapport à celui du biceps brachii : le module augmentait rapidement dans une première phase, et atteignait ensuite un plateau. Ces résultats confirment la présence d’une modification de la répartition des efforts entre le brachialis qui prend en charge l’augmentation du couple pour les faibles niveaux de contraction et le biceps brachii, qui prend en charge l’augmentation du couple pour les niveaux de force importants.
18Cette expérimentation a permis de montrer : (i) que le module d’élasticité peut être mesuré pour des muscles profonds avec SSI et (ii) que cette technique peut permettre de répondre à des questions originales et importantes sur les coordinations musculaires. Comme évoqué précédemment, le module d’élasticité est un paramètre mécanique qui permet de décrire l’état de contraction musculaire. Contrairement à l’EMG, il n’est donc pas sensible aux phénomènes électriques de la contraction musculaire (ex. cross-talk, signal cancelation…). Il semble donc raisonnable d’émettre l’hypothèse que le module d’élasticité est le reflet de l’état de tension dans le muscle plutôt que de l’activité myoélectrique (c.-à-d. EMG). Si cette hypothèse est validée, des perspectives de recherche particulièrement intéressantes pourraient émerger. En effet, l’estimation de la force musculaire représente un enjeu de recherche majeur en biomécanique. Si de nombreuses approches de modélisation ont été développées dans la littérature (ex. Buchanan, Lloyd, Manal, & Besier, 2004; Erdemir, McLean, Herzog, & van den Bogert, 2007), ces méthodes n’ont pas pu être validées, faute de technique expérimentale précise (Erdemir et al., 2007). Un projet de recherche est ainsi engagé pour tenter de montrer que la mesure du module d’élasticité par SSI peut permettre d’estimer précisément la force produite par un muscle. Une première expérimentation allant dans ce sens est présentée dans la section 4.
Relations entre le module d’élasticité des muscles et le couple de force développé au cours de flexions isométriques du coude.
Relations entre le module d’élasticité des muscles et le couple de force développé au cours de flexions isométriques du coude.
4 – Relations entre le force et le module d’élasticité de cisaillement pour deux muscles de la main : résultats préliminaires
19Pour tester l’hypothèse selon laquelle les mesures de module d’élasticité réalisées via SSI peuvent permettre d’estimer la force musculaire, et de déterminer la précision avec laquelle cette estimation pourrait être réalisée, un premier travail consiste à étudier des muscles qui sont les seuls responsables de la production du couple articulaire in vivo chez l’homme. De plus, du fait de l’anisotropie du muscle, son module d’élasticité dépend de la direction de la mesure par rapport à la direction des fibres (Gennisson et al., 2003 ; 2010). Il est donc probable que la relation entre le module d’élasticité et la force produite soit dépendante de l’architecture musculaire. Aussi, dans cette expérimentation, nous avons choisi deux muscles, le first dorsal interosseus (bi-penné) et l’abductor digiti minimi (fusiforme) qui produisent chacun plus de 93 % des couples d’abduction de l’index ou du petit doigt (Chao, 1989 ; Infantolino & Challis, 2010 ; Lebreton, 2010).
20Six sujets ont réalisé des abductions isométriques incrémentales de l’index (Fig. 5) et du petit doigt allant de 0 à 50 % du couple maximal volontaire en 30 s sur un ergomètre permettant de mesurer le couple dans ces deux situations (Bouillard, Guével, & Hug, 2010). Les mesures de couple étaient synchronisées avec celles du module d’élasticité de cisaillement réalisées par l’échographe Aixplorer (Supersonic Imagine, Aix en Provence, France). Il est à noter que, par rapport aux deux expériences précédentes, la limite de saturation des mesures de module d’élasticité de cisaillement avait été repoussée à 267 kPa, mais qu’elle ne permet toujours pas de mesurer le module d’élasticité sur toute la gamme de couple que pouvait développer les sujets (Fig. 6).
Relations entre le module d’élasticité du muscle abductor digiti minimi et le couple de force développé au cours d’abductions isométriques du petit doigt.
Relations entre le module d’élasticité du muscle abductor digiti minimi et le couple de force développé au cours d’abductions isométriques du petit doigt.
21D’excellentes régressions linéaires ont été mises en évidence entre le couple et le module d’élasticité, aussi bien pour le muscle first dorsal interosseus (R2 = 0,996 ± 0,002, plage : 0,992 –0,998) que pour le muscle abductor digiti minimi (Fig. 4, R2 = 0,989 ± 0,006, plage : 0,980 –0,994), indiquant que le couple de force et donc la tension musculaire peut être estimée de manière très précise grâce au module d’élasticité de cisaillement mesuré par SSI. Nos résultats semblent ainsi confirmer que le module d’élasticité mesuré par SSI est le reflet de la tension musculaire. Dans la mesure où cette tension active résulte du recrutement des unités motrices (c.-à-d. phénomènes électriques), il n’est pas étonnant d’obtenir également de bonnes corrélations avec le niveau d’activité EMG comme cela a été rapporté précédemment (cf. section 3). La précision de cette estimation ne semble pas être affectée par la présence d’un angle de pennation, puisque les coefficients de détermination étaient très élevés pour les deux muscles (bi-penné et fusiforme). Ces résultats obtenus pour six sujets doivent être confirmés sur un effectif plus important.
5 – Conclusions et perspectives
22Dans un premier temps, les études utilisant l’élastographie pour analyser la contraction musculaire in vivo ont montré que le module d’élasticité de cisaillement augmente lorsque le niveau de contraction augmente (Dresner et al., 2001 ; Gennisson, Cornu, Catheline, Fink, & Portero, 2005; Heers et al., 2003; Jenkyn et al., 2003). Cependant, les méthodes utilisées dans ces études comportent différentes limites, présentées dans cet article, qui compromettent leur utilisation pour l’étude de la contraction musculaire in vivo. Sur la base de l’utilisation de la technique d’élastographie SSI, nous avons montré qu’il existe une corrélation forte entre le module d’élasticité de cisaillement du muscle et son niveau d’activité EMG (Nordez & Hug, 2010). Nous avons alors exploité ce résultat pour étudier les coordinations des différents muscles fléchisseurs du coude, y compris le muscle profond qui ne peut être investigué par l’EMG de surface. Cette étude a permis de montrer, de manière originale, qu’une modification de la contribution relative entre les muscles brachialis et biceps brachii explique, au moins partiellement, la non linéarité de la relation entre le niveau d’activité EMG et le couple du biceps brachii. Pour terminer, les résultats préliminaires ont permis de montrer une excellente corrélation entre le module d’élasticité de cisaillement et le couple de force lors de contractions où un seul muscle produit la quasi-totalité du couple mesuré au niveau de l’articulation. Ces résultats tendent à montrer que la force musculaire produite par un muscle pourrait être estimée par une mesure de module d’élasticité de cisaillement réalisée grâce la technique SSI. Ils doivent maintenant être confirmés sur une population expérimentale plus conséquente. Il peut être également envisagé des expérimentations sur un modèle animal afin de confirmer et d’étudier directement la relation entre la force produite par un muscle et son module d’élasticité de cisaillement. Étant donné l’enjeu et le défi scientifique et technique que représentent l’estimation de la force musculaire in vivo (Erdemir et al., 2007), si ces premiers résultats encourageants se confirmaient, des perceptives de recherches importantes et originales pourraient être envisagées.
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Mots-clés éditeurs : niveau d'activité musculaire, échographie, électromyographie, force musculaire
Mise en ligne 24/02/2012
https://doi.org/10.3917/sm.075.0039