Notes
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[1]
Faculté des sciences du sport et de l’éducation physique de Lille 2 (Droit et Santé) – 9 rue de l’Université – 59790 Ronchin
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[2]
UFR STAPS – Université de Rennes 2 – Campus de la Harpe – av. Charles Tillon – 35044 Rennes cedex
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[3]
Il suffit de reprendre les différentes formulations des Instructions Officielles depuis celles parues en 1977, portant spécifiquement sur le Cours Moyen, les multiples publications des éditions de la revue EPS, celles de l’A.E.E.P.S. (L’activité physique et l’enfant de 3 à 10 ans, le guide de l’enseignant), ou autres revues à destination des instituteurs, institutrices et professeurs d’école.
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[4]
Nous renvoyons ici à l’étude que nous avons menée à ce sujet (Thépaut 2002)
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[5]
F. Leutennegger (2000)
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[6]
On notera que, comme l’enseignant constitue en premier l’atelier de « passe et tir » et qu’il y affecte à chaque fois un nombre pair d’élèves, il se retrouve dès lors, toujours avec un nombre impair à l’atelier de la « balle au capitaine ». Ceci l’amène à proposer des séquences de jeu avec un rapport numérique déséquilibré : des équipes de 4 joueurs contre des équipes de 5, ce qui ne sera pas sans soulever quelques difficultés, sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement (cf. 4.2.2.)
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[7]
L’établissement d’une chronique consiste bien en une reconstruction a posteriori du déroulement de la séquence, en ne retenant que les éléments significatifs.
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[8]
La stratégie de « l’avant piquet » est empruntée à la terminologie du basket-ball et correspond à une tactique particulière adoptée pas les équipes à une époque de l’évolution du jeu. Elle consiste à placer un joueur de grande taille près du panier, et de lui lancer la balle afin qu’il n’ait plus qu’à marquer.
Introduction
1Dans le cadre des « programmes » et contenus d’éducation physique et sportive (EPS) à l’école élémentaire, il est classique de proposer l’apprentissage de la passe comme point d’entrée dans la pratique des jeux sportifs collectifs [3]. Cet objet d’enseignement est ainsi valorisé parce que, aux yeux d’un grand nombre d’enseignants, sans passe il n’y a pas de jeu collectif et parce que l’échange de la balle véhicule en lui-même toute la valeur éducative de ce type d’activités. C’est en effet dans et par la passe que s’exprime l’intérêt éducatif de ces jeux en y apprenant les valeurs de solidarité et de coopération.
2Un tel point de vue conduit les professeurs d’école à consacrer beaucoup de temps à cet enseignement sans pour autant réussir à atteindre totalement les objectifs éducatifs qu’ils s’assignent. En effet, tous les ans les enseignants font le même constat : les élèves jouent tous groupés autour du ballon et ne se font pas de passes, ou uniquement entre copains. Les garçons ne veulent pas jouer avec les filles et vice versa, ce sont toujours les mêmes qui monopolisent la balle… Ce constat les conduit également à valoriser un apprentissage de la passe en soi, alors que dans le jeu sportif collectif, celle-ci n’est qu’un des moyens dont dispose les joueurs pour faire progresser la balle vers la cible adverse. C’est la raison pour laquelle il n’est pas rare de voir dans le cadre d’un tel enseignement des élèves seuls devant la cible, s’arrêter et, plutôt que de tenter leur chance dans un tir à la cible, passer la balle à un partenaire pour se conformer à ce que le maître attend d’eux. En ce sens, cette manière de voir peut être considérée comme un véritable obstacle au sens où elle empêche les enseignants de programmer un enseignement qui puisse favoriser un véritable apprentissage des jeux sportifs collectifs.
3Cette conception ne constitue pas la seule source des difficultés tenaces que rencontrent les enseignants pour faire progresser leurs élèves dans la pratique des jeux et sports collectifs, telles que nous avons pu l’observer (A. Thépaut 2002). Une autre origine semble se situer au niveau des dispositifs d’enseignement mis en place par les enseignants. À ce niveau de la scolarité, ceux-ci sont fréquemment conçus en référence à la pédagogie dite de « l’aménagement du milieu ». Cette pédagogie se donne comme objectif, de solliciter les facultés adaptatives dont disposent les élèves, pour provoquer les apprentissages désirés, en jouant sur les caractéristiques du milieu dans lequel ils ont à accomplir les actions de jeu demandées. Or, bien que cette pratique pédagogique soit fréquente, les effets sur les apprentissages concrets des élèves ont été, à ce jour et à notre connaissance, encore peu étudiés. Que se passe-t-il dans les séances d’EPS lorsqu’un enseignement est conduit en référence avec cette pédagogie ? Les modifications du milieu apportées par les enseignants ont-elles un effet sur les actions de jeu déployées par les élèves ? Toutes ou certaines d’entre elles seulement ?
4Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une étude de cas sur un cycle d’enseignement du basket-ball dont l’objectif était de faire passer les élèves d’une classe de CM1-CM2, d’un jeu d’échanges centré sur le porteur de balle à un jeu d’échange orientés vers l’avant, afin de faire progresser la balle. Cette étude a été menée en s’appuyant sur les méthodes et les concepts de la didactique des mathématiques, et plus particulièrement sur celui de milieu, concepts et méthodes qu’il convient maintenant de préciser.
Cadre théorique
5En effet, des préoccupations similaires ont déjà eu cours à propos de l’enseignement des mathématiques. Elles renvoient aux travaux de G. Brousseau et à ceux des didacticiens des mathématiques. Il s’agissait initialement pour l’auteur, de comprendre l’échec électif dans cette discipline, c’est à dire, non pas l’échec scolaire global, indifférencié, mais l’échec en mathématiques, d’élèves qui, ne sont pas par ailleurs en difficulté dans les autres apprentissages scolaires. Il s’agit donc bien d’un échec spécifique, dont l’étude ne peut pas se faire sans prendre en compte les interactions maître élève à propos d’un savoir précis.
6G. Brousseau avance l’hypothèse que les échecs ne sont pas tant liés à des déficiences de l’élève ou des erreurs de l’enseignant, mais résulteraient plutôt de profonds malentendus dans leurs attentes respectives, et seraient alors à l’origine de blocages dans le processus d’enseignement et d’apprentissage. Il analyse alors le fonctionnement de ce processus par le principe d’une dévolution du savoir.
7Aussi, pour tenter de comprendre les problèmes posés par l’enseignement de la passe en basket-ball à l’école élémentaire, nous avons cherché à identifier « le processus de dévolution des savoirs » en jeu.
8Cette étude nous a amenés à prendre en compte la notion de « milieu » développée par G. Brousseau (1988). Pour l’auteur, en reprenant les thèses de J. Piaget sur l’apprentissage adaptatif, apprendre c’est être confronté à un « milieu », constitué en un système de contraintes et vis à vis duquel le sujet ne possède pas de réponse adaptée. En s’appuyant sur la théorie des jeux, il définit le milieu comme « le système antagoniste du joueur », à l’origine d’une activité adaptative pouvant conduire à l’émergence d’une réponse que seule la mobilisation de la connaissance enseignée peut permettre (Brousseau G., 1988 p. 321). L’activité d’apprentissage est cette adaptation au milieu. Ce qui provoque l’adaptation, ce sont les rétroactions du « milieu », les récompenses et sanctions qui : « déterminent pour chaque acte, un coût à l’emploi… » (M.-J. Perrin-Glorian 1994, p. 107). La prise en compte de cette donnée qu’est le « milieu » est donc fondamentale pour l’analyse des phénomènes didactiques puisque ce qui est à apprendre, la connaissance en jeu, est toujours un rapport avec un certain milieu.
9Comment la prise en compte de cette notion peut-elle nous éclairer pour comprendre les problèmes posés par l’enseignement et l’apprentissage de la passe ? A quelle activité adaptative sont confrontés les élèves ? Comment construisent-ils leur « rapport au milieu » ?
10Étudier le processus de dévolution des savoirs en jeu dans l’apprentissage de la passe en basket-ball suppose d’identifier les contraintes spécifiques du jeu, notamment celles qui nécessitent l’élaboration d’une passe particulière, différente de la passe « commune » réalisée spontanément par tout enfant jouant à la balle à la main. Cette passe que l’on caractérise comme une « passe en déplacement » nécessite, tant de la part du joueur porteur de balle (PdB), de lancer celle-ci, en un point fictif, situé en avant du partenaire en déplacement vers la cible (C. Falguière, J.P. Muguet, 1990) que de la part du non porteur de balle (NPdB), futur réceptionneur, de réceptionner la balle tout en se déplaçant vers la cible (C. Falguière, 2001) (fig .1).
11Au plan de l’échange de la balle, nous considérons alors le « milieu » en basket-ball, comme l’ensemble organisé des conditions qui vont surgir comme des contraintes. Elles renvoient à celles qui impliquent d’aller vers l’avant et orientent l’espace de jeu (dimension spatiale) et celles issues de la présence d’adversaires qui imposent d’aller vite, du moins plus vite que ceux-ci pour atteindre la cible (dimension temporelle).
12C’est avec cet ensemble de questions que nous sommes allés observer l’enseignement ordinaire [5] de la « passe en déplacement ».
Méthodologie
Le contexte de l’étude
13Cette étude porte sur l’observation d’une phase d’apprentissage au cours d’un cycle de basket-ball avec une classe de CM1-CM2. Les séances sont dirigées par un professeur d’école ayant accepté d’être filmé après lui avoir indiqué que nous menions une recherche sur les procédures utilisées par les élèves pour apprendre. Chaque séance a été filmée à l’aide de 2 caméscopes, sans donner à l’enseignant d’information sur les analyses réalisées en cours. Il était totalement responsable de la conduite de l’enseignement. Ce n’est qu’à posteriori que nous avons réécrit le scénario du cycle. Nous avons toutefois recueilli toutes les informations qu’il nous livrait spontanément au début de chaque séance. De même, chacune d’elle était suivie d’une rapide discussion menée sous la forme d’un entretien semi directif.
14L’analyse menée ici, se déroule au cours des séances 2 et 3. L’objectif visé est d’apprendre aux élèves, lorsqu’ils sont non porteurs de balle (NPdB), à se déplacer pour aller se placer en avant du porteur de balle (PdB) afin de lui offrir une solution de passe. La compétence recherchée porte donc ici sur l’action des NPdB.
15Pour cela, le maître propose un exercice, un problème présenté sous une forme jouée : la balle au capitaine.
Description du jeu
16Le but du jeu consiste à faire parvenir la balle à son capitaine, joueur situé de l’autre coté du terrain, dans une cible (cerceau). L’équipe marque 1 point lorsqu’un de ses joueurs lance la balle au capitaine qui peut s’en saisir directement sans la relâcher.
17Le dispositif est composé de 2 équipes, 1 ballon, un ½ terrain de hand-ball dans le sens de la largeur (20 m X 10 m).
18Les règles du jeu sont celles du basket-ball. Elles sont rappelées aux élèves à chaque début de séance. Le maître introduit une règle particulière, le joueur PdB n’a pas le droit de se déplacer avec la balle.
Analyse de la tâche
19Les joueurs doivent faire progresser la balle vers l’avant, afin de se rapprocher le plus possible du capitaine pour lui transmettre le ballon dans de bonnes conditions, tout en évitant de se le faire subtiliser par l’équipe adverse.
20On perçoit alors l’impact de la règle spécifique, proposée ici. En effet, comme le PdB, ne peut pas se déplacer avec la balle, la seule solution pour la faire progresser vers l’avant est de la transmettre à un partenaire situé devant. La donner latéralement ou en arrière revient à faire reculer la balle et à s’éloigner ainsi de la cible à atteindre. Les joueurs n’ont alors aucune chance dans ces conditions d’atteindre le capitaine. Une autre solution consisterait à lancer la balle loin devant, au hasard, en espérant qu’un partenaire parvienne à la ramasser plus rapidement qu’un adversaire. C’est une réponse qui n’est cependant pas satisfaisante parce que trop aléatoire.
21C’est donc cette règle qui est sensée provoquer l’apparition du comportement attendu : à savoir, une « mise en mouvement » des NPdB, mise en mouvement qui n’est pas sans soulever chez les joueurs de ce niveau, des problèmes tactiques et moteurs (Thépaut A., 2002). En effet, les joueurs doivent adopter un déplacement vers l’avant tout en ayant dans le même champ visuel le PdB, c’est à dire l’endroit d’où vient la balle – et l’estimation du point de chute supposé de la balle (cf. l’analyse de la passe en basket-ball menée ci-dessus).
22Ceci correspond à un réel obstacle à surmonter, au sens où l’entendent C. Amade-Escot et J. Marsenach (1995). La tâche proposée vise une acquisition à la fois adaptée chez des élèves de cet âge et pertinente, en ce sens qu’elle correspond bien à la logique de développement de l’efficacité en jeux et sports collectifs ; le passage d’un jeu d’échanges, centré sur le PdB, à un jeu d’échanges orientés vers l’avant, afin de faire progresser la balle, passage qui constitue ici l’enjeu didactique de cet épisode.
Conditions de mises en œuvre
23Cet exercice est présenté dans des conditions de jeu à effectifs réduits, sous la forme d’atelier. Pendant qu’une moitié de la classe travaille à un exercice de « passe et tir au panier », l’autre moitié joue à la « balle au capitaine ». Celui-ci représente pour l’enseignant l’atelier principal. Il y reste pratiquement en permanence. Au bout de 5 minutes, l’enseignant procède à une rotation des groupes.
24Nous avons ainsi, au cours de la 2e séance, 2 séquences de 5 minutes chacune. Toutefois, comme cette 1° série d’exercice ne donne pas les résultats escomptés, l’enseignant la met de nouveau en place au cours de la 3e séance.
25Nous sommes ainsi en présence de 4 séquences d’environ 5 minutes chacune, 4 séquences qui constituent, selon la classification établie par Amade-Escot (1998), un même « épisode » didactique, centré sur le même objectif [6].
Recueil de données
26Notre souci est, nous l’avons vu, d’observer à travers des classes ordinaires, l’enseignement de la passe en déplacement. Pour cela, et selon une méthodologie maintenant bien établie dans les travaux d’analyse de séquences didactiques (S. Nadot, 1997), nous avons procédé à un recueil de données avec prises de vues à l’aide de caméscopes, desquelles nous avons extrait les informations pertinentes au regard de notre objet d’étude.
27Pour reconstruire le processus de dévolution des savoirs en jeu, nous avons établi une « chronique » (F. Leutenegger 2000) de chacune des 4 séquences, en mettant à plat et en parallèle les actions des élèves avec les communications verbales, les faits et gestes de l’enseignant.
28Du discours de l’enseignant nous n’avons extrait que les communications didactiques (J. Marsenach R. Mérand 1987). Des comportements des élèves nous n’avons retenu que ceux ayant trait à l’action en tant que NPdB. Un premier travail nous a permis de relever l’ensemble des comportements des NPdB. Nous les avons hiérarchisés du niveau débutant au niveau le plus performant. Avec cet outil, nous avons alors relevé l’ensemble des actions pour chacun des élèves, à chaque fois qu’un partenaire entrait en possession de la balle. Ces relevés nous permettent d’inférer les intentions poursuivies par les élèves et les éléments qu’ils prennent en compte dans l’élaboration de leurs réponses. Il est alors possible de reconstruire les stratégies de résolution du problème qu’ils développent [7].
29Dans le cadre de cet article, nous ne relaterons pas de chronique. Seules les observations nécessaires à la compréhension de notre propos seront rapportées.
Résultats
Des observations
30Au cours des actions de jeu, nous voyons des élèves qui, lorsqu’ils sont NPdB, en arrière du PdB, ne se déplacent pas. Certains restent près du capitaine adverse [1]. D’autres attendent d’abord d’avoir la balle avant d’avancer. D’autres encore, après avoir lancé le ballon loin devant à un partenaire près du capitaine, restent sur place [2] ; ils savent alors que l’action de jeu sera terminée avant qu’ils n’aient eu le temps de se porter en avant du nouveau PdB.
31Une seconde catégorie d’élèves concerne ceux qui, au cours d’actions de jeu, se trouvent déjà de fait devant le PdB, lors des remises en jeu du fond du terrain par exemple, ou lors des phases de récupération par un joueur arrière, mais sans que cela ne leur permette de résoudre le problème. S’ils mettent en œuvre le comportement attendu par le maître, c’est de façon contingente, en étant par ailleurs à l’arrêt, orientés vers le PdB et le plus souvent marqués de près ou de loin par un adversaire. Aussi, s’ils répondent pour partie à ce qui est attendu d’eux, cela ne leur permet pas de résoudre le problème. Leur placement n’offre pas une réelle possibilité d’échange au PdB.
Interprétation : un milieu incomplet
32Le problème de jeu posé par le maître est présenté ici sous la forme « d’une situation ludique globale » (Amade-Escot C., 1988) qui comporte de multiples paramètres permettant l’élaboration de réponses qui, si elles ne répondent pas à ce qui est attendu par le maître, n’en sont pas pour autant fausses. C’est le cas des joueurs qui restent en défense près du capitaine adverse. Cette stratégie répond même en partie à une certaine logique de jeu efficace. Elle constitue pour le jeu, une réponse juste, pertinente. Elle est une réponse au double but que possède tout jeu ou sport collectif, celui de marquer un but à l’adversaire tout en empêchant celui-ci d’en marquer un. Les joueurs qui l’adoptent privilégient un des pôles de la bipolarité.
33Ces mêmes paramètres permettent l’adoption de stratégies qui peuvent momentanément procurer un certain degré de réussite pour l’équipe, tout en engageant les joueurs dans des réponses constituant une impasse. Il en est ainsi de la stratégie de « l’avant-piquet ». Si les joueurs sont bien devant le PdB, offrant une possibilité d’échange, la distance à faire parcourir à la balle lors de l’échange étant importante, rend aléatoire la réussite de celui-ci. Par ailleurs, le joueur déjà placé devant n’a guère à se déplacer. Il n’est pas en situation de devoir apprendre la solution visée par le maître.
34La complexité du jeu, dans sa modalité globale, la multitude des configurations qui en découle, autorise l’émergence de nombreuses solutions qui, sans être fausses, contournent l’obstacle que le maître souhaite voir abordé. Cette multitude de configurations ne permet pas aux élèves d’identifier un problème, d’y chercher une solution et de mettre en œuvre une autre stratégie que celle qu’ils apportent spontanément.
35Par ailleurs, le nombre élevé de réponses apportées par les élèves, le caractère éphémère de celles-ci crée une situation de laquelle il est très difficile de faire ressortir la réponse attendue avec netteté. La multitude des configurations ne permet pas aux enfants qui sont en difficulté, de relever des éléments leur permettant de construire une réponse plus pertinente.
36En ce sens, on peut avancer, qu’avec ses multiples paramètres, la tâche construite sur le principe selon lequel la stricte application de la règle centrale interdisant au PdB de se déplacer doit amener par adaptation spontanée, le comportement souhaité, apparaît donc insuffisante. Elle montre des limites. Elle ne provoque pas la mise en mouvement des NPdB, un déplacement des joueurs vers l’avant.
37Le milieu, tel qu’il est agencé, apparaît à lui seul, insuffisant pour rendre nécessire une transformation des comportements dans le sens souhaité et une appropriation du savoir en jeu. Il apparaît incomplet, provoquant des dysfonctionnements de contrat didactique, à l’origine de régulations de la part de l’enseignant.
Des régulations
38Devant les difficultés qu’ont rencontré les élèves, le maître, lors de la séance suivante, met en place la même tâche. Bien que présentée selon les mêmes modalités pédagogiques, il introduit 2 modifications :
- Comme le maître procède à une répartition aléatoire des élèves sur les deux ateliers, il compose de nouvelles équipes.
- Il change de ballon. Les élèves sont invités à jouer cette fois-ci avec un ballon de basket-ball au lieu d’un ballon de hand-ball, comme précédemment.
- 6 élèves changent de stratégie d’une séquence à l’autre
- 5 élèves ne changent pas de stratégie
- 6 élèves changent de stratégie au cours d’une même séquence (6)
De l’importance de la composition de l’équipe
39Les déplacements et trajectoires des joueurs s’organisent à partir de la position qu’ils occupent au départ de l’entrée en possession de la balle par l’équipe. Or, cette position est déterminée par le rôle joué au sein de l’équipe. Il s’effectue, en effet, au sein de chacune des équipes, une répartition implicite des tâches à réaliser (le récupérateur-distributeur, le joueur avant-piquet marqueur, le défenseur-gardien…), (J.F. Grehaigne, M. Billard, J.Y. Laroche, 1999, p. 54). C’est cette représentation des tâches à réaliser et la position occupée dans l’équipe qui détermine le plus souvent, la place tenue sur le terrain.
40Nous observons que les changements de stratégies sont liés à des changements de rôle au sein de l’équipe. Les élèves, se trouvant au cours des deux séquences auxquelles ils ont participé avec des partenaires différents, ont dû faire face, pour la moitié d’entre eux à un changement de rôle, les amenant à modifier leur stratégie de jeu.
L’effet du nombre de joueurs dans l’équipe
41Il en est de même pour le paramètre du nombre de joueurs dans l’équipe. La répartition des tâches et les modalités de réalisation ne sont pas identiques selon que l’équipe est composée de 3 ou 4 joueurs de champ.
42Les observations montrent que les configurations de jeu dans les équipes de 3 joueurs apparaissent plus propices à l’émergence du problème et l’adoption de la solution visée. En effet, dans ce cas de figure, dès lors qu’un joueur se place loin devant (stratégie de l’avant piquet) les élèves ne sont plus que 2 pour faire progresser la balle, dont le PdB qui, lui n’a pas le droit de se déplacer. Dans le cas des équipes de 4 joueurs, lorsqu’un enfant se place loin devant il reste alors 3 joueurs dont le PdB et 2 partenaires qui peuvent estimer chacun de leur coté que leur position et leurs appels de balle offrent une solution d’échange.
43Les solutions les plus prometteuses, celles qui sont les plus proches de ce qu’attend le maître, sont apparues le plus souvent au sein des équipes de 3 joueurs (3 séquences sur 4).
La taille du ballon
44Entre la séance 2 et 3 le maître change de ballon. Les élèves ne jouent plus avec un ballon de handball mais de basket-ball junior, au cours des séquences 3 et 4. Celui-ci, plus gros et plus lourd, n’autorise plus de longs lancers qui facilitaient l’adoption de la stratégie de « l’avant-piquet ».
45De plus, ce nouveau ballon conduit les joueurs à se concentrer davantage sur la réception-capture du ballon, les amenant à s’arrêter, se bloquer tout en faisant face au PdB afin de s’assurer d’une bonne réception de la balle. Cette modification du milieu didactique place les élèves devant une plus grande difficulté pour réussir à contrôler la balle.
De la nécessité d’une modélisation du milieu didactique
46Le maître, nous l’avons vu, a modifié entre les séquences 1, 2 et 3, 4 quelques paramètres de la tâche. Ces changements ont eu pour effet de changer la répartition des rôles au sein des équipes. Toutefois, ces modifications de rôles ne permettent pas de dégager davantage la solution au problème (le déplacement des NPdB). Plus, elle amène pour la moitié des élèves, la difficulté à trouver une réponse à partir d’une position différente, ajoutant une variable supplémentaire.
47Au final, l’enseignant propose aux élèves une nouvelle séquence entre la séance 2 et 3, nouvelle chance de trouver la solution au problème posé et de parvenir ainsi à l’apprentissage visé. Mais sans véritablement s’en rendre compte, il modifie certaines données du problème, les élèves devant trouver la solution à partir d’un problème aux données différentes.
48Cette étude montre l’influence de quelques paramètres constituants « le milieu didactique ». Elle en souligne la complexité et la multitude. En ce sens, elle met en évidence la nécessité d’engager un travail approfondi en vue de parvenir à présenter une modélisation du milieu didactique pour l’analyse des phénomènes d’enseignement et d’apprentissage en basket-ball et en jeux et sports collectifs de façon plus générale.
Conclusion
49Cette étude sur l’observation d’un « épisode », à propos de la passe en basket-ball, montre la multiplicité des éléments constituant « le milieu didactique ». Ceux-ci, faute d’être explicités, sont manipulés de façon intuitive par l’enseignant et provoquent alors des changements de registre dans lesquels il est difficile pour l’élève de repérer un problème à résoudre et de construire des réponses stabilisées, significatives de l’appropriation d’un nouveau savoir.
50On voit ainsi l’enseignant modifier des variables telles que la composition des équipes, la taille de celles-ci, la grosseur du ballon, sans se douter de l’impact des ces paramètres sur l’élaboration des réponses des élèves.
51Par ailleurs, l’analyse des modes de résolution mis en œuvre par les élèves montre les processus spécifiques à la construction des connaissances. Elle permet alors de confirmer les difficultés particulières concernant l’appropriation des savoirs en jeu dans l’échange de la balle et le démarquage.
52Cette étude met en lumière tout l’intérêt que peuvent avoir des recherches proprement didactiques, mobilisant les concepts tels que celui de milieu et de contrat, issus de « la théorie des situations », pour rendre compte des conditions susceptibles de favoriser le bon fonctionnement des situations d’enseignement proposées en EPS à l’école élémentaire.
53Elle montre la nécessité de la prise en compte de la notion de « milieu » et des rapports à ce milieu lorsque l’on étudie le processus d’enseignement et d’apprentissage.
54Elle permet enfin de relativiser l’impact que peut avoir une « pédagogie de l’aménagement du milieu » sur les apprentissages en EPS, une pédagogie pourtant fortement ancrée en France à ce niveau de la scolarité obligatoire.
Bibliographie
Bibliographie
- Amade-Escot C., (1988), Stratégies d’enseignement en EPS. Contenus proposés, conceptions de l’apprentissage et perspectives de différenciation. Dossier CAPEPS AFRAPS n°5, Octobre, p. 131-141.
- Amade-escot C., Marsenach J., (1995), Didactique de l’éducation physique et sportive, Grenoble, La Pensée Sauvage, 175 p.
- Amade-Escot C., (1998), Apport des recherches didactiques à l’analyse de l’enseignement : une étude de cas, le contrat didactique, Recherches en EPS : bilan et perspectives, Paris, Editions Revue EPS, p. 253-266.
- Brousseau G., (1986), Fondements et méthode de la didactique des mathématiques. Recherches en Didactique des Mathématiques, Grenoble, La Pensée Sauvage, vol. 7, n°2, p. 33-115.
- Brousseau G., (1988), Le contrat didactique : le milieu. Recherches en Didactique des Mathématiques, Grenoble, La Pensée Sauvage, Vol. 9, n°3, p. 309-336.
- Falguiere C., Muguet J.P., (1990), Le basket-ball. Education Physique et Didactique des A.P.S, A.E.EPS, p. 38-49.
- Grehaigne J.F., Billard M., Laroche J.Y., (1999), L’enseignement des sports collectifs à l’école, De Boeck, 110 p.
- Falguiere C., (2001), Basket-ball : contenus scolaires pour le collège et le lycée, EPS n° 288, mars-avril.
- Leutenegger F., (2000), Construction d’une « clinique » pour le didactique. Une étude des phénomènes temporels de l’enseignement. Recherches en Didactique des Mathématiques, La Pensée Sauvage, Grenoble, vol. 20, n°2, p. 209-250.
- Marsenach J., Merand R., (1987), L’évaluation formative dans les collèges, Paris, INRP.
- Nadot S. (1997), Obstacles et apprentissages, in BLANCHARD-LAVILLE C., Variations sur une leçon de mathématiques. Analyses d’une séquence : « L’écriture des grands nombres », Paris, L’Harmattan, pp 59-90.
- Perrin-Glorian M.-J., (1994), Théorie des situations didactiques : naissance, développement, perspectives, dans Vingt ans de didactique des mathématiques en France, in ARTIGUE M., GRAS R., LABORDE C., et TAVIGNOTS (Eds), Grenoble, La pensée sauvage, p. 97-147.
- Thepaut A., (2002), Echec scolaire et éducation physique et sportive à l’école élémentaire. Etude des interactions maître-élèves dans la construction des savoirs, l’exemple de l’apprentissage de la passe en basket-ball. Thèse de doctorat STAPS, non publiée, Université de Rennes 2, France.
Mots-clés éditeurs : milieu, didactique, basket-ball, éducation physique et sportive
Mise en ligne 30/07/2007
https://doi.org/10.3917/sm.061.0057Notes
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Faculté des sciences du sport et de l’éducation physique de Lille 2 (Droit et Santé) – 9 rue de l’Université – 59790 Ronchin
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UFR STAPS – Université de Rennes 2 – Campus de la Harpe – av. Charles Tillon – 35044 Rennes cedex
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[3]
Il suffit de reprendre les différentes formulations des Instructions Officielles depuis celles parues en 1977, portant spécifiquement sur le Cours Moyen, les multiples publications des éditions de la revue EPS, celles de l’A.E.E.P.S. (L’activité physique et l’enfant de 3 à 10 ans, le guide de l’enseignant), ou autres revues à destination des instituteurs, institutrices et professeurs d’école.
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Nous renvoyons ici à l’étude que nous avons menée à ce sujet (Thépaut 2002)
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F. Leutennegger (2000)
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On notera que, comme l’enseignant constitue en premier l’atelier de « passe et tir » et qu’il y affecte à chaque fois un nombre pair d’élèves, il se retrouve dès lors, toujours avec un nombre impair à l’atelier de la « balle au capitaine ». Ceci l’amène à proposer des séquences de jeu avec un rapport numérique déséquilibré : des équipes de 4 joueurs contre des équipes de 5, ce qui ne sera pas sans soulever quelques difficultés, sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement (cf. 4.2.2.)
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L’établissement d’une chronique consiste bien en une reconstruction a posteriori du déroulement de la séquence, en ne retenant que les éléments significatifs.
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La stratégie de « l’avant piquet » est empruntée à la terminologie du basket-ball et correspond à une tactique particulière adoptée pas les équipes à une époque de l’évolution du jeu. Elle consiste à placer un joueur de grande taille près du panier, et de lui lancer la balle afin qu’il n’ait plus qu’à marquer.