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Article de revue

Temps saisi, ou temps vécu... ?

Pages 53 à 57

1L’article soumis à nos commentaires semble, a priori, receler une contradiction dans son titre : par l’association des deux termes dynamique et construit. En effet une dynamique renvoie aux possibles évolutions et au devenir d’un ensemble animé de forces internes et soumis à des influences externes, toutes potentiellement complémentaires, opposées ou contradictoires. L’idée de mouvement, d’instabilité, de complexité affleure sous ce vocable, comme l’analyse systémique l’a mis en évidence. La notion de construit réfère davantage à une élaboration planifiée, à un assemblage organisé, à un bâti... dont la structure et la forme semblent peu modifiables. Elle évoque une armature porteuse, même si en psychologie un construit est toujours une inférence, une tentative de formulation théorique pour représenter une dimension interne non appréhensible de façon directe.

2En fait le lien établi d’emblée dans le titre de l’article n’est pas une maladresse ou une imprécision d’écriture, il annonce le cœur du questionnement présenté, analysé dans ce texte et situé en psychologie sociale (discipline théorique qui privilégie elle-même les interactions entre les déterminations individuelles et leur inscription dans une réalité groupale et interactive). La relation entre ces deux termes constitue une mise en tension, une confrontation dans une perspective résolument épistémologique. Nous savons gré aux auteurs de privilégier dans cet article la confrontation des modèles théoriques ; les publications scientifiques éludent le plus souvent cette étape et se réfugient dans l’application d’une perspective donnée a priori. Notre regard sur ce texte prendra pour appui ces considérations épistémologiques.

3Les auteurs affirment vouloir réintégrer les effets du temps et/ou du contexte écologique dans la caractérisation des variables étudiées et signalent, tout en en réfutant les présupposés, les tentatives en ce sens de la psychanalyse, inféodées « aux lois thermodynamiques classiques telles que la conservation et l’entropie ». Nous aimerions en premier lieu discuter cette affirmation, tout en élargissant nos propositions de la psychanalyse à la psychologie clinique dans son ensemble.

4La psychologie clinique s’intéresse « à l’homme total en situation et en interaction ». Cette formulation bien connue de Lagache (1949) marquait une ambition bien plus large de ce corpus théorique à saisir la globalité et la complexité des adaptations humaines, saisies justement selon des protocoles patients et répétitifs de nature idiographique ; une forte analogie se découvre ici entre la fréquence des recueils d’informations en analyse dynamique et le patient « regroupement et recoupement de signes », qui précède la mise en sens, décrit par M. Foucault (1972). C’est la subjectivité d’un sujet, conçue dans son intégrité et sa singularité la plus holistique, qui assure à cette diversité, à cette multitude de signes une forme de cohérence, loin de toute focalisation a priori sur telle ou telle variable analytique. C’est son appareil psychique qui subsume le foisonnement apparent des expériences, internes, relationnelles, sociales en une structure d’ensemble, en une configuration singulière mais aussi évolutive.

5Par ailleurs l’effet du temps est au cœur de la compréhension clinique, pris en compte dans une logique diachronique, selon une perspective de successions et de répercussions : la temporalité des phénomènes psychiques y est première dans l’élaboration psychique d’un sujet, ses rythmes, ses connexions associatives, ses fixations, régressions… La notion d’après-coup est exemplaire de cette prise en compte : elle désigne le fait que « des expériences, traces mnésiques, impressions sont remaniées ultérieurement en fonction d’expériences nouvelles, et qu’elles peuvent ainsi se voir conférer, en même temps qu’un sens nouveau, une efficacité psychique » (Laplanche et Pontalis, 1967). Ainsi nos expériences subiraient des réorganisations, des réinscriptions, des ré-interprétations susceptibles de modifier, de cristalliser a posteriori de nouveaux états et de « révéler » l’impact enfoui de souvenirs lointains. La disjonction, dans le temps et dans le retentissement, entre un événement manifeste et son effet psychologique est ici posée comme essentielle.

6Point de déterminisme donc dans cette approche, mais une attention privilégiée aux modalités selon lesquelles un système psychique intégrerait, subirait, validerait, refoulerait…chacune des stimulations internes ou externes qu’il rencontrerait.

7L’article concerné aurait gagné (dans un ensemble empreint de rigueur et abondamment référencé) à ne pas oublier que l’interactionnisme dynamique prenait déjà en compte les effets conjugués et réciproques, (donc créateurs d’effets en retour et de circularité) des variables intra-individuelles et des variables situationnelles. Ses auteurs auraient du veiller à ne pas caricaturer l’approche psychanalytique et clinique et à se souvenir que des auteurs majeurs comme D. Anzieu (1997), soucieux d’en extraite l’essence et de la dégager du champ thérapeutique pour la resituer dans le commun, l’ont rebaptisé « approche psycho-dynamique de la personnalité »… Celle-ci constate « la réaction de l’organisme aux besoins internes ainsi qu’aux stimulations du milieu », elle insiste sur « l’adaptabilité qui peut recourir à des changements structuraux qui remanient les équilibres… ». Ainsi les réactions hétéro-plastiques et auto-plastiques s’enchevêtrent et s’entrelacent, sans exclure les moments de crise propices aux réaménagements. Sommes-nous si loin « de la croisée entre adaptation et préservation » évoquée par les auteurs. Ainsi, d’une connaissance plus approfondie des modèles trop vite récusés, les auteurs auraient pu déceler des analogies et points de convergence insoupçonnés avec l’approche privilégiée dans l’article ; la discussion sur les questions essentielles de la linéarité et de la prédictibilité des réponses en aurait été enrichie.

8Par ailleurs une confrontation portant sur la nature et l’objectif des modélisations aurait dévoilé tout son intérêt et son potentiel heuristique. L’approche dynamique valorisée par G. Ninot et M. Fortes poursuit l’objectif essentiel et louable de vouloir « suivre à la trace » l’arrangement de certaines variables clairement circonscrites, de décrire leur évolution dans le temps et les influences qu’elles subissent, de caractériser la nature des auto-corrélations entretenues par les mesures successives de la variable concernée : afin d’objectiver sa progression, son décours, les inflexions de sa valeur, ses fluctuations, ses ruptures…et de tenter de les référer à des évènements eux aussi clairement désignés. Toutefois les auteurs prennent la précaution de préciser que les « vécus » (mais ce terme renvoie à la psychologie qualitative et compréhensive, dont la psychologie clinique reste la matrice !) sont distincts selon les sujets, « que l’importance qui leur est accordée diffère en fonction du contexte » et que « rien ne peut présager des impacts que la personne va subir ». Par ces affirmations ils « répliquent » des constats cliniques itératifs, devenus des postulats tant l’accumulation des données les a confirmés : la résonance d’un événement et son intégration psychique appartiennent à la stricte individualité et ne peuvent se connaître que si le sujet est en mesure (ou mis en situation) d’en rendre compte. La compréhension clinique de ces influences va plus loin puisqu’elle postule même que le réel est interprété, subjectivement modifié, voire totalement construit ou inventé, imaginé par le sujet dans ses représentations.

9La clinique s’interdit la modélisation et la prédiction, mais elle concède voir émerger de l’accumulation des cas des configurations apparentées et voisines, parfois appelées « tableaux ». Elle veut préserver jusqu’à l’ultime donnée recueillie la diversité des possibles et surtout, notamment dans son usage thérapeutique, réserver au patient et à lui seul la découverte de la part subjective de son adaptation.

10L’approche dynamique, quant à elle, vise un objectif de modélisation et procède en ce sens par analyse des séries temporelles. Les auteurs nous en exposent avec exemples et illustrations graphiques à l’appui différentes possibilités d’ajustement. Les modes d’organisation et d’agencement possibles d’une variable dans le temps sont décrits avec clarté, mais l’effort de modélisation « se paye » d’un double renoncement : le premier tient au fait que l’observation se limite à une seule variable à la fois, réduction qui reproduit les carences reprochées, à juste titre, aux approches analytiques ; le second consiste en l’oubli des principes d’imprévisibilité et de contingence valorisés dans les théories de la complexité.

11C’est pourquoi nous ne partageons pas l’enthousiasme militant des dernières lignes de l’article, en sa conclusion, lorsqu’elles nous annoncent « un monde meilleur » dans le suivi psychologique des athlètes.

12Toutes ces remarques émanent d’un non-spécialiste de l’approche valorisée dans cet article, elles révèlent ses propres affiliations et l’effet de filtre joué par ses propres références ; mais l’argumentation épistémologique et méthodologique développée par G. Ninot et M. Fortes suscite un vif intérêt.

Bibliographie

Bibliographie

  • Anzieu D., Chabert C. (1997), Les méthodes projectives. Paris, PUF
  • Avenier M.J., Lacroux F., Nourry L. (eds) (1997), Dossier n° 14 du programme Modélisation de la complexité. Aix en Provence
  • Foucault M. (1972), Naissance de la clinique. Paris, PUF
  • Lagache J. (1969), L’unité de la psychologie. Paris, PUF
  • Laplanche J., Pontalis J.B. (1973), Vocabulaire de la psychanalyse. Paris, PUF

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