Couverture de SM_058

Article de revue

La représentation sociale du sport : vision d'étudiants sportifs et non-sportifs

Pages 117 à 134

Notes

  • [1]
    Laboratoire de Socio- Psychologie et Management du Sport- Équipe ISOS (Interactions Sociales et Organisations Sportives) – Université de Bourgogne
  • [2]
    IUT de Dijon – Université de Bourgogne – Gestion des Entreprises et des Administrations.
  • [3]
    Laboratoire de Topologie, UMR 5584 – Université de Bourgogne.
    Correspondance :
    Marie-Françoise Lacassagne – ISOS - Laboratoire de Socio- Psychologie et Management du Sport. Université de Bourgogne – Faculté des Sciences du Sport – BP 27877 – F-21078 Dijon cedex – Tel : 03 80 39 64 36 – Fax : 03 80 39 64 79 – marie-francoise. lacassagne@ u-bourgogne. fr
  • [4]
    On peut toutefois noter que la probabilité d’avoir un même degré d’accord pour deux items proches l’un de l’autre est plus faible que pour deux items éloignés dans la mesure où cette dernière comparaison favorise l’expression de jugements tranchés.
  • [5]
    Les distances d’agrégation sont proches de 1 en raison du mode de calcul adopté.
  • [6]
    La méthode de Ward a été privilégiée en raison de la nature du substrat de la représentation. La représentation étant l’émanation d’un échantillon, il paraît adapté de recourir à une méthode plus globale que la méthode du saut minimum.

Introduction

1Cette recherche s’inscrit dans le cadre des études sur les représentations sociales. Plus précisément, il s’agit de mettre en évidence la représentation du sport de populations plus ou moins impliquées par rapport à l’objet référent, de manière à montrer la spécificité de chacune. La notion de représentation sociale, forgée en France par Moscovici, en 1961, renvoie au « savoir du sens commun » (Moscovici, 1984), c’est-à-dire à l’ensemble des connaissances que n’importe quel individu peut avoir à propos d’un objet donné. Ce savoir se différencie de celui maîtrisé par ce que cet auteur nomme les « spécialistes du domaine » et constitue le fond commun, non discuté, qui sert de base aux conduites ou à leur rationalisation (Beauvois, 1994). Il apparaît cependant que l’appartenance à des groupes sociaux particuliers module le degré d’appropriation de ce savoir partagé.

2Ainsi, les explications relatives aux nouvelles pratiques sportives mises en avant par des spécialistes qui font autorité, qu’ils soient philosophes, sociologues ou chercheurs en management du sport (Lyotard, 1979 ; Maffesoli, 1999 ; Loret, 1996), s’instituent, selon nous, progressivement en normes, auxquelles les groupes plus éloignés de l’objet de la représentation n’adhèrent pas nécessairement. La nouveauté dans les grilles d’interprétation suscite parfois un hiatus entre les professionnels du sport et « l’homme de la rue ». Contrairement aux sportifs de haut niveau et aux pratiquants assidus, les pratiquants occasionnels et les non-sportifs peuvent développer une vision, non pas basée sur les dernières images véhiculées, mais sur celles plus anciennes héritées du passé. Cette double approche semble pouvoir s’observer dans la représentation du sport d’aujourd’hui où la conception moderne peut s’opposer à la conception postmoderne divulguée par certains spécialistes.

3La représentation collective du sport moderne, au vu des recueils encyclopédiques qui en sont le garant, paraît synthétiser les différentes tendances apparues depuis l’Antiquité. Tout d’abord, le sport moderne valorise la combativité et le désir de vaincre liés à la lutte et à la prouesse sportive des Jeux olympiques de la Grèce Antique. La réalisation de l’exploit sportif est étroitement liée au spectacle qui élève le vainqueur au rang de héros. Le sport reprend également la notion de jeu mise en valeur au Moyen Âge par la pratique de la paume et de la soule, précurseur du rugby et du football. De plus, il promeut l’entraînement et le respect des règles qui se structurent à la fin du XIXe siècle grâce à l’introduction des jeux réglementés dans les colleges élitistes britanniques et apportent une dimension pédagogique nouvelle aux activités sportives. Enfin, le sport moderne intègre aux valeurs du passé la spécificité de son époque, à savoir la compétition, qui se concrétise par la rénovation des Jeux olympiques à la fin du XIXe siècle et présuppose la mise en place de structures spécialisées, notamment les clubs, les associations, les comités et les fédérations.

4Par opposition, l’image du sport postmoderne porte l’empreinte de la société qui le produit. La société de consommation et de loisir, qui découle des progrès techniques et technologiques, de l’amélioration des conditions de vie et de la réduction du temps de travail, a modifié le paysage sportif par l’accroissement et la diversification des pratiques. D’une part, le loisir devenant un investissement à part entière, un nombre sans cesse croissant de Français se tourne vers le sport. Les différentes enquêtes menées depuis 1985, quels que soient les critères utilisés, s’accordent à témoigner de l’expansion croissante de ces pratiques (Irlinger et coll., 1987 ; Irlinger, 1995 ; Garrigues, 1988 ; Mignon et Truchot, 2001). D’autre part, aux sports traditionnels individuels et collectifs vient s’ajouter la multiplicité des nouveaux sports où chacun cherche à satisfaire une aspiration personnelle. Les sports de pleine nature, propices à l’exploit solitaire, les sports de l’extrême, impliquant le dépassement de soi, les sports « de la forme » et les sports de santé, devenus indispensables à l’équilibre physique et mental, les sports de rue, typiques d’un divertissement plus éphémère, en sont quelques exemples. Ainsi, l’éclectisme et la dispersion qui caractérisent le comportement sportif contemporain depuis les années 1970 reflètent la quête « d’aspects ludiques et de libre expression » (Defrance et Pociello, 2003) qui se substitue aux principes de rationalité prédominant dans le sport moderne.

5Parallèlement, les dernières évolutions qui caractérisent la société de loisir, conduisent à une nouvelle approche théorique du sport. Dans cette optique, le sport n’est plus considéré comme une pratique compétitive, mais s’inscrit dans une vision hédoniste (Maffesoli, 1999) où le jeu cohabite avec le plaisir. Partant du constat que les individus sont de plus en plus amateurs d’activités sportives, les spécialistes au sens Moscovicien tentent d’interpréter ces tendances en mettant en exergue la notion de plaisir. Cette conception du sport, qui s’appuie sur le repérage de motivations psychologiques impulsées par l’évolution de l’infrastructure de la société, pose problème au regard des représentations sociales.

6En effet, les représentations sociales sont des ensembles de cognitions dénotées et connotées (Le Bouedec, 1984 ; Moliner et Tafani, 1997), structurées autour de quelques éléments centraux résistant aux transformations nouvelles et environnées d’éléments périphériques (Flament, 1986 ; Abric 1984 ; 1994) jouant un rôle de tampon (Moliner, 2001). Leur organisation devrait donc freiner la modification radicale supposée par les spécialistes du sport. En effet, la compétition, les règles strictes, qui étaient à la base du sport moderne au début du siècle dernier, étaient vraisemblablement intégrées au noyau, alors que des éléments comme les vieilles tenues vestimentaires à rayure pouvaient faire partie des éléments périphériques. Aujourd’hui, contrairement aux éléments périphériques probablement disparus, les éléments centraux devraient résister et se manifester chez les non-spécialistes. Ainsi, les valeurs postmodernes dégagées de l’observation des pratiques sportives contemporaines ne seraient pas encore totalement intégrées et apparaîtraient à des degrés divers dans les différents groupes composant la société. Les sujets « tout-venant » resteraient imperméables à la notion de plaisir, présentée comme consubstantielle au sport d’aujourd’hui. Les groupes proches des spécialistes par leur degré d’investissement dans le sport, quant à eux, intégreraient cette notion dans le système périphérique, sa nouveauté ne permettant pas son assimilation par le système central.

Matériel et méthodes

7L’accès à la représentation du sport s’appuie sur un recueil d’associations verbales. Les données sont traitées par analyse de similitude et donnent lieu à la présentation d’un dendrogramme et d’un arbre de similitude maximale.

Population

8L’échantillon sur lequel porte cette étude comprend deux groupes d’étudiants d’une université française, un tiers de la promotion entrante en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS) et la totalité des étudiants de première année du Département Gestion des Entreprises et des Administrations (GEA) d’un Institut Universitaire de Technologie (IUT). Le groupe STAPS inclut 92 étudiants, composés de deux tiers de garçons et d’un tiers de filles, et le groupe IUT 152 étudiants, comprenant un tiers de garçons et deux tiers de filles. Il s’agit d’un échantillon de convenance qui permet cependant de tester les hypothèses proposées. En effet, les sujets présentent une forte homogénéité par l’âge, le niveau d’études et l’origine sociale. Ils se situent dans la même tranche d’âge, entre 18 et 20 ans, effectuent leur première année d’études à l’Université et sont issus de familles appartenant à des catégories socioprofessionnelles moyennes, voire supérieures.

9En revanche, ils se différencient par leur degré d’implication vis-à-vis du sport. Les étudiants en STAPS, de par leur formation, maîtrisent une activité sportive de très bon niveau et, outre les heures de cours consacrées au sport chaque semaine, participent à des compétitions et à des entraînements semi-intensifs. De plus, indépendamment du niveau de pratique objective, ils sont engagés dans des études à finalité sportive qui présentent un risque professionnel plus élevé (Camy et Le Roux, 2002), témoignant ainsi d’un grand investissement dans le sport. Enfin, leur appartenance à un groupe identifié à l’Université comme le groupe des sportifs les implique de facto dans le monde du sport.

10Les étudiants en GEA, quant à eux, spécialisés dans la finance et la comptabilité, ne reçoivent aucun enseignement sportif dans le cadre de leur formation, même s’ils ont la possibilité de s’inscrire au Service Universitaire des Activités Physiques et Sportives (SUAPS) et de se consacrer à une discipline sportive une demi-journée par semaine. Dans la promotion concernée, 17 étudiants (11,18 %) se sont inscrits et ont bénéficié d’une bonification de points, 26 étudiants (17,10 %) se sont livrés à une activité sportive occasionnellement, 109 étudiants (71,71 %) ont déclaré ne pratiquer aucune activité physique ou sportive pendant leur année d’études. Il s’ensuit que le groupe d’étudiants en STAPS, contrairement au groupe d’étudiants en GEA, est fortement impliqué dans le domaine sportif et peut donc être considéré comme plus proche des spécialistes.

Associations verbales

11Après un recueil commun, deux modes d’analyse ont permis d’accéder au champ et à la structure de la représentation du sport.

Recueil

12Dans un premier temps, il a été demandé aux étudiants de noter par écrit les dix premiers mots qui leur venaient spontanément à l’esprit lorsqu’ils entendaient le mot « sport ». Cette phase d’association libre avait pour fonction d’activer le champ de la représentation, c’est-à-dire les éléments de contenu connectés directement au mot stimulus. Dans un deuxième temps, chaque étudiant a dû approfondir sa recherche en mémoire en donnant cinq noms, cinq verbes, et cinq adjectifs, l’ordre de présentation de la demande étant randomisé. En d’autres termes, il s’agissait de permettre à l’étudiant d’exprimer, par les substantifs, les référents associés au mot « sport », par les verbes, les comportements liés à l’inducteur, et par les adjectifs, les jugements de valeur. Le but de cette nouvelle investigation était de contraindre le sujet à changer de point de vue sur l’objet, c’est-à-dire à dépasser les particularités individuelles. En fait, en obligeant le sujet à changer son rapport à l’objet, on peut l’amener à considérer une façon de voir qu’il connaît, qui est donc du savoir partagé, mais que lui-même n’utilise pas spontanément.

Mode d’accès au champ de représentation du sport

13En considérant l’ensemble des associations fournies, des listes ont été dressées en fonction de la seule fréquence d’apparition des mots et de leur distribution. Après avoir limité à une dizaine de mots l’extension de la liste pour des raisons d’interprétation, les items ont été retenus par blocs en respectant la répartition des fréquences. Ainsi, cette première partie de l’étude a permis de dégager un bloc de neuf mots pour les étudiants en STAPS (compétition, détente, dopage, équipe, entraînement, football, loisir, performance, plaisir) et un bloc de dix mots pour les étudiants en GEA (collectif, compétition, détente, effort, entraînement, équipe, fatigue, football, loisir, santé).

Mode d’accès à la structure de la représentation du sport

14L’accès à la structure de la représentation a été établi par la recherche de liens de proximité entre les éléments de la liste sélectionnés. Pour cela, nous avons construit un indice de similitude basé sur le coefficient de concordance de Kendal.

15Dans un premier temps, nous avons, pour chaque item, retenu les rangs attribués par chaque sujet. Les rangs s’échelonnant de 1 à 10 dans la première liste, le rang 11 a été donné à tout item appartenant à la liste complémentaire renvoyant aux noms, verbes et adjectifs demandés lors de la deuxième étape et le rang 0 à tout item n’étant pas mentionné. Puis nous avons testé le degré d’accord entre chaque paire de sujets en considérant leur hiérarchie de classement pour chaque paire d’items. Autrement dit, deux sujets ont été considérés comme d’accord s’ils ont tous les deux attribué à l’item a un rang supérieur (/inférieur) à celui qu’ils ont attribué à l’item b.

16Après avoir affecté la note (+1) si les sujets sont d’accord et la note (-1) si les sujets sont en désaccord, nous avons calculé un indice de similitude pour chaque paire d’items : 1 – [[(somme des accords) + (somme des désaccords)] / n(n-1)/2]. Cet indice est compris entre (+1) et (-1). Si pour deux items tous les couples de sujets possibles sont en accord, l’indice est égal à 1. Au contraire, si tous les couples de sujets sont en désaccord, il est égal à (-1). Enfin, s’il y a le même nombre d’accords que de désaccords, l’indice est nul. Le calcul de cet indice permet l’évaluation de la distance entre le mot inducteur et les mots associés et non l’évaluation de la distance entre les mots associés entre eux [4]. Le choix de cet outil mathématique s’appuie d’une part sur le présupposé théorique du lien entre le rang d’apparition et la qualité sociale des items et d’autre part sur la non prise en compte de la valeur arithmétique des rangs. En effet, si, pour un sujet donné, on peut admettre qu’un item est plus proche du stimulus que le suivant, pour un ensemble de sujets, le fait que cet item occupe le 4e rang pour le sujet 1 et le 5e rang pour le sujet 2 n’est pas pertinent en soi, dans la mesure où l’association des mots à l’intérieur de la liste peut se faire pour chacun par l’activation de liaisons regroupant des évocations plus ou moins nombreuses. En d’autres termes, s’il nous paraît théoriquement fondé de considérer qu’un item placé plus loin du mot stimulus qu’un autre par un ensemble de sujets est effectivement plus éloigné, il nous paraît plus difficile d’admettre que cet éloignement est quantifiable.

Résultats

17L’indice de similitude a permis de réaliser deux traitements : une classification hiérarchique ascendante et la construction d’un arbre minimal recouvrant. Chaque traitement a donné lieu à deux représentations graphiques, un dendrogramme et un arbre de similitude maximale. Ces deux graphes reposent sur le calcul de la distance d’agrégation, c’est-à-dire sur la force des liens qui unit deux blocs d’items ou deux items, la distance d’agrégation étant d’autant plus courte que la distance est élevée [5]. Plus précisément, le dendrogramme met en évidence la progression successive des regroupements [6], alors que l’arbre de similitude maximale fait ressortir le ou les pôles de structuration des éléments en fonction de leur proximité. Ce dernier privilégie les liens les plus forts en mettant en exergue la charpente qui structure et organise l’ensemble de la représentation.

18Ainsi, l’analyse comparative des représentations du sport des étudiants sportifs et des étudiants non sportifs a été effectuée en trois étapes : tout d’abord, la mise en évidence de la représentation du sport du groupe STAPS (dendrogramme, figure 1, et arbre de similitude, figure 2), puis la représentation du groupe IUT (dendrogramme, figure 3, et arbre de similitude, figure 4)), pour enfin comparer les résultats obtenus entre les deux groupes de sujets.

La représentation du sport des étudiants en STAPS

FIGURE 1

Dendrogramme pour le groupe STAPS

FIGURE 1

Dendrogramme pour le groupe STAPS

Lecture

19Le dendrogramme se décompose en deux blocs d’extension quasi équivalente : cinq items pour le premier, quatre pour le second. Le premier regroupement associe « loisir » et « détente », situés à la distance d’agrégation la plus courte (0,772). Il apparaît donc un consensus pour énoncer que ce sont les deux notions les plus proches du stimulus sport. Celles-ci sont suivies par le couple « entraînement-compétition » (0,838), auquel est agrégé l’item « plaisir » à une distance plus élevée, supérieure à 0,900. Ce bloc se distingue du second, associant « performance » à « dopage », et « football » à « équipe », à des distances d’agrégation dépassant également 0,900.

Interprétation

20La représentation semble ainsi assez simplement structurée d’une part autour de la compétition et du loisir et d’autre part autour des éléments les plus médiatisés du sport. Conformément à nos attentes, les sujets du groupe d’étudiants impliqués mettent au premier plan le sport de loisir, même s’ils le rattachent au sport de compétition. Le sport, dans ses deux composantes, est pour cette population lié au plaisir. Dans le cas du sport de loisir, le plaisir renvoie probablement aux valeurs postmodernes énoncées par les sociologues : hédonisme, émotion, ludisme, lien social, etc. (Mafessoli, 1999). Dans le cas du sport de compétition, il peut s’agir de l’émotion ressentie dans le sport de haut niveau, renvoyant d’après Jackson (2000) au bonheur, au bien-être, à la joie et à l’exaltation de la performance extrême, mais il peut s’agir également de l’épanouissement résultant de l’entraînement. En effet, comme l’ont montré Szabo et Parkin (2001), le sevrage de l’entraînement peut produire un déséquilibre chez certains sportifs de haut niveau et engendrer des troubles de l’humeur.

21Quant au sport médiatisé, il est évoqué à travers son pôle négatif, le dopage, lié à la performance, et son pôle positif, bien que moins consensuel, le football, qui se pratique en équipe. En ce sens, la représentation semble être le reflet des événements qui se manifestent dans la société actuelle et dont les media se font l’écho. La médiatisation du sport, effectivement, porte tout autant sur les scandales liés au dopage dans certains domaines sportifs que sur la valorisation du football en tant que spectacle de qualité, presque officiellement reconnu comme incontournable, certaines institutions ayant, par exemple, accordé des autorisations d’absence à leurs membres afin de leur permettre d’assister à la diffusion de la finale de la Coupe du Monde de Football en 2002.

FIGURE 2

Arbre de similitude pour le groupe STAPS

FIGURE 2

Arbre de similitude pour le groupe STAPS

Lecture

22Pour sa part, l’arbre de similitude met en avant la compétition. Ce noyau central est d’abord lié à « entraînement » (0,838) qui est un item isolé, puis à « détente » (0,855) rattachée à « loisir » (0,772), et à « plaisir » (0,855) lui-même associé à « football ». Il suscite ensuite une branche à partir de « dopage » (0,929) qui débouche sur « performance » (0,845). Il se rattache enfin à « équipe » (0,944) qui reste également isolé.

Interprétation

23Pour les étudiants en STAPS, la compétition reste le noyau dur de la représentation du sport qui présuppose, avant tout, un entraînement. Dans cette vision radicale, le plaisir n’est plus lié, contrairement au dendrogramme, à la pratique d’exercices réguliers (Kerr et Kuk, 2001), mais est directement rattaché au noyau central. C’est la compétition qui paraît source d’affects positifs, la détente étant plus proche que la notion de plaisir. Au vu de la littérature qui insiste sur le stress inhérent à la compétition, sur les stratégies de « coping » mises en place pour le contrôler (Anshel et coll., 2001 ; Anshel et coll., 2000) ou encore sur les moyens de le réduire (Yin et Ryska, 1999), il semble que pour cette population la compétition ne renvoie pas à une pratique effective, mais plutôt au discours ambiant qui reflète les valeurs postmodernes. Ainsi, aux Jeux olympiques d’hiver de Salt Lake City en février 2002, Doriane Vidal, médaille d’argent en half-pipe, déclarait dès son arrivée : « Je me suis fait plaisir ».

24En outre, le plaisir est associé au football qui peut être ici interprété en tant que jeu ou en tant que spectacle. Il est vrai que le football reste le sport aujourd’hui le plus médiatisé en France et est devenu un véritable phénomène social capable de soulever l’enthousiasme du public, ce qui l’amène à être intégré, en tant qu’élément périphérique, à la représentation sociale. Enfin, la compétition a aussi son versant négatif, le dopage. Il est fort peu probable que le lien compétition-dopage renvoie à l’idée que la compétition est une pratique compulsive pouvant être comparée à une forme plus classique de comportement addictif (Davis, 2000). La proximité de l’item « dopage » et de l’item « performance », qui est positionné en tant qu’item périphérique, fait penser, au contraire, aux drogues qu’un bon nombre d’athlètes se disent prêts à consommer pour prévenir la douleur souvent ressentie lors des compétitions (Tricker, 2000).

25En conclusion, la vision radicale de la représentation sociale dégagée par l’arbre de similitude permet de mettre en évidence le rôle primordial de la compétition. Bien que proches des spécialistes et soumis, comme attendu, au discours postmoderne, les étudiants en STAPS soulignent leur attachement à la notion de confrontation, constitutive du sport depuis son origine. Cependant, la performance se détache du système central, peut-être parce qu’elle est devenue indissociable du dopage. De plus, malgré le développement en France de la pratique du sport de loisir, qui se traduit par le positionnement de cet item à la périphérie, la quête d’émotions, de sensations dans le domaine des activités physiques ne paraît pas pouvoir se détacher de l’enjeu compétitif.

La représentation du sport des étudiants de l’IUT

FIGURE 3

Dendrogramme pour le groupe IUT

FIGURE 3

Dendrogramme pour le groupe IUT

Lecture

26Le dendrogramme se décompose en deux blocs. Le premier bloc est axé sur les deux dimensions principales du sport, l’une regroupant à la distance d’agrégation la plus faible (0,786), les items « loisir-détente » et la seconde, à une distance d’agrégation légèrement plus éloignée (0,798), les items « compétition-entraînement ». Le deuxième bloc comprend trois sous-ensembles hiérarchiquement organisés. Le premier associant les items « football-équipe » est rattaché au sous-ensemble « santé-collectif ». Ce regroupement rejoint à son tour le sous-ensemble « fatigue-effort » qui assure la liaison entre les deux blocs. Les distances d’agrégation des trois sous-ensembles dans ce deuxième bloc sont relativement proches : 0,918 pour « football-équipe », 0,947 pour « santé-collectif » et également 0,918 pour « fatigue-effort ». Il est à noter que, si les distances d’agrégation des différents items constituant les sous-ensembles sont significatives, les regroupements, quant à eux, s’opèrent à des distances relativement éloignées.

Interprétation

27Conformément à nos attentes, la notion de plaisir n’apparaît pas chez les étudiants en GEA. Même si, pour eux, le sport s’articule autour des deux composantes essentielles actuelles, le loisir sportif et le sport de haut niveau, il n’échappe pas aux contraintes qui suscitent la fatigue et l’effort. Le graphe reflète également une approche moins conventionnelle. En effet, il met en lumière quelques éléments de la culture véhiculée aujourd’hui par les media (football, santé), que les étudiants associent au partage (équipe, collectif) et renvoient soit à des valeurs subsistantes du sport moderne soit à la tendance actuelle à pratiquer des activités physiques en groupe (Chobeaux, 1993).

FIGURE 4

Arbre de similitude pour le groupe IUT

FIGURE 4

Arbre de similitude pour le groupe IUT

Lecture

28L’analyse de l’arbre de similitude maximale permet de dégager le noyau central « compétition » auquel s’agrègent quatre branches distinctes. Si on prend en compte l’ordre croissant des valences, il est tout d’abord rattaché à un sommet isolé « entraînement » (0,798). La seconde branche comporte quatre sommets : le plus proche étant « loisir » (0,856) relié à « détente » par la valence la plus faible (0,786), à son tour associé à « effort » (0,940) suivi de « fatigue » (0,918). La troisième branche est composée des sommets « équipe » et « football », dont les valences respectives sont égales à 0,907 et 0,918. Enfin, la dernière branche comprend l’item « collectif », qui présente la valence la plus élevée (0,954), et rejoint, avec une valence également élevée (0,947), le sommet « santé ».

Interprétation

29L’arbre de similitude met en évidence la compétition comme noyau structurant les deux conceptions du sport déjà dégagées par l’analyse du dendrogramme, à savoir le loisir sportif et le sport de haut niveau. La vision moins conventionnelle du sport se retrouve dans les éléments périphériques les plus proches du noyau central. Pour les étudiants en GEA, le sport est lié à la notion de groupe. L’appartenance à une équipe semble l’emporter sur le football en tant que discipline et le collectif paraît l’emporter sur l’équilibre physique et psychologique. La proximité de ces éléments par rapport au noyau dur fait ressortir leur caractère normatif plus que leur liaison à une pratique effective. Et ce d’autant plus que l’implication dans la pratique dépend de la nature des groupes. En effet, d’après Yin et Ryska (1999), les groupes composés exclusivement de femmes sont moins intéressants que les groupes mixtes. Il faut aussi remarquer que, dans l’esprit des étudiants, l’effort qui peut engendrer la fatigue est lié au sport considéré comme un loisir ou une détente. Cet effet a été également repéré par Nadel (1985) à propos de la fatigue mentionnée par les pratiquants de l’aérobic. L’analyse des résultats obtenus par l’arbre de similitude maximale conforte donc celle extraite du dendrogramme.

Comparaison des représentations du sport dans les deux populations

30Même si les deux populations ne sont pas absolument identiques en raison du nombre et du sexe, chacun des dendrogrammes extraits des réponses exprimées par les deux groupes fait apparaître deux blocs. La comparaison des graphes amène à repérer un bloc commun relatif à la vision objective du sport. Dans les deux cas, celui-ci renvoie en premier lieu au loisir sportif, puis au sport de haut niveau. Néanmoins, pour les étudiants en STAPS, le sport de haut niveau est associé à la notion de plaisir, qui n’apparaît pas sur le graphe des étudiants en GEA. Les deux autres blocs diffèrent selon les groupes. Les étudiants en STAPS semblent mobiliser les éléments médiatisés du sport, alors que les étudiants en GEA paraissent, pour leur part, adopter une vision centrée sur le collectif et sur la fatigue engendrée par l’effort. Les résultats montrent que ces deux modes de pratique, le sport de loisir et le sport de compétition, sont présents non seulement chez les sujets proches des spécialistes du sport mais aussi chez les sujets plus éloignés.

31Les arbres de similitude, quant à eux, se structurent autour d’un noyau identique, la compétition. Les éléments centraux des deux populations révèlent que d’une part la compétition est indissociable de l’entraînement et que d’autre part la pratique du sport en tant que loisir ou détente passe aussi par la compétition. Aux yeux des étudiants, le loisir sportif impliquerait une évaluation de soi par rapport aux autres. Les données amènent donc à penser que le loisir sportif ne peut être détaché d’une certaine confrontation collective. Cette idée est renforcée dans les deux cas par la présence de l’item « équipe », directement rattaché au noyau central, ce qui confirme l’importance du groupe dans la compétition.

32Les deux populations s’opposent cependant par certains points. Les étudiants en STAPS, proches des spécialistes, rattachent le plaisir à la compétition, dont ils soulignent aussi un aspect négatif, le dopage, qui semble nécessaire à la performance. En revanche, les étudiants en GEA restent imperméables à la notion de plaisir et font porter les valeurs négatives sur le sport de loisir et non sur le sport de compétition.

Discussion

33En conclusion, le développement en France de pratiques sportives nouvelles, individuelles ou collectives, à des fins de loisir et de détente, a engendré une conception du sport postmoderne structurée autour du plaisir, alors que le sport moderne synthétisait, à travers la notion de compétition, les caractéristiques empruntées au passé. Conformément aux hypothèses proposées, la compétition reste pour les deux populations le noyau structurant de la représentation. Elle semble indissociable de la notion de sport. De même, comme attendu, le plaisir ne paraît pas avoir pénétré de façon identique la représentation sociale. Celui-ci, supposé être à la base de la postmodernité, apparaît non pas dans le noyau central mais dans les éléments périphériques pour le groupe impliqué. Les sujets proches des spécialistes n’ont pas fondamentalement intégré l’hédonisme à leur vision du monde, ce qui laisse présupposer que, au niveau de la pratique, l’adhésion qu’ils peuvent manifester au discours ambiant n’aura qu’une efficacité modérée. De plus, il semble se produire un glissement dans la conception même du plaisir qui n’est pas relié au loisir sportif, mais à la compétition. Il semble ainsi se manifester une réappropriation de la notion en fonction de la représentation préexistante issue du sport moderne. Par ailleurs, le plaisir n’est pas mentionné par les étudiants non impliqués, qui mettent l’accent sur l’effort et la fatigue et associent, quant à eux, le loisir à la compétition. En suggérant l’idée de confrontation comme une partie intégrante de la pratique sportive, les sujets non impliqués mettent eux aussi en avant le rôle de tampon joué par la représentation. Il paraît donc difficile, même si l’échantillonnage est imparfait, de maintenir comme une réalité psychologique le lien entre le sport de loisir et le plaisir, tout comme il paraît difficile de masquer entièrement l’aspect physiquement éprouvant du sport par une simple apologie du plaisir.

34En outre, il paraît dangereux d’entretenir la contradiction entre une pratique douloureuse et une expression publique d’un vécu émotionnel basé sur le plaisir. En effet, cette dissonance est susceptible d’entraîner des modes de résolution (Festinger, 1950) qui peuvent déboucher sur une démotivation. Dans cette situation, le sujet, pour rétablir la consonance, ne peut avoir recours qu’à un nombre fini de stratégies : soit il se fait effectivement plaisir pendant le processus d’entraînement et perd la satisfaction liée à la réussite, soit il perd l’épreuve sportive et rationalise son échec par le plaisir préalablement ressenti, soit il évite le désagrément de l’effort en recourant au dopage. Dans les trois cas, il perd le sens de la performance et la satisfaction qui lui est associée. L’étude présentée débouche ainsi sur la nécessité d’approfondir la notion de plaisir en fonction du rôle qu’elle joue dans le processus d’accès à la performance.

Bibliographie

Bibliographie

  • Abric, J.C. (1984). L’artisan et l’artisanat : analyse de contenu et de la structure d’une représentation sociale. Bulletin de psychologie, 37 (366), 861-876.
  • Abric, J.C. (1994). « L’organisation interne des représentations sociales : système central et périphérique », In C. Guimelli (Ed), Structures et transformations des représentations sociales (p. 73-84). Genève : Delachaux et Niestlé.
  • Anshel, M.H., Jameison, J., & S. Raviv (2001). Cognitive appraisals and coping strategies following stress among skilled competitive male and female athletes. Journal of sport behavior, 24 (2), 128-143.
  • Anshel, M.H., Williams, L.R.T., & S.M. Williams (2000). Coping style following acute stress in competitive sport. Journal of social psychology, 140 (6), 751-773.
  • Beauvois, J.L. (1994). Traité de la servitude libérale. Une analyse de la soumission. Paris : Dunod.
  • Camy, J. & N. Le Roux (2002). L’emploi sportif en France : situation et tendances d’évolution. AFRAPS-RUNOPES.
  • Chobeaux, F. (1993). Les activités physiques de plein air à risques. Essais de rationalisation, repérage des intérêts et des limites. Sauvegarde de l’enfance, 1-2, p. 92-100.
  • Davis, C. (2000). Exercise abuse. International journal of sport psychology, 31 (2), p. 278-289.
  • Defrance, J. & C. Pociello (2003). Structures et évolutions du champ sportif français, 1960-1990. Essai d’analyse « fonctionnelle », historique et prospective. http:// perso. guetali. fr/ castjpau/ Resscom/ pociello. htm, 16-26.
  • Festinger, L. (1950). Informal social communication. Psychological review, 57, p. 271-282.
  • Flament, C. (1986). « L’analyse de similitude : une technique pour les recherches sur les représentations sociales », In W. Doise et A. Palmonari (Eds), L’étude des représentations sociales (p. 139-156). Paris : Delachaux et Niestlé.
  • Garrigues, P. (1988). Évolution de la pratique sportive des Français de 1967 à 1984. Paris : INSEE, coll. « M », n° 134.
  • Irlinger, P., Louveau, C. & M. Metoudi (1987). Les pratiques sportives des français, Paris : INSEP.
  • Irlinger, P. (1995). « La demande de sport en France », In A. Loret (Ed), Sport et management (p. 185-207). Paris : Éditions Revue EPS.
  • Jackson, S.A. (2000). “Joy, fun, and flow state in sport”, In Y.L. Hanin (Ed), Emotions in sport (p. 135-155). Human kinetics XII.
  • Kerr, J.H. & GKuk (2001). The effect of low and high intensity exercise on emotions, stress and effort. Psychology of sport and exercise, 2 (3), p. 173-186.
  • Le Bouédec, G. (1984). Contribution à la méthodologie d’étude de représentations sociales. Cahiers de psychologie cognitive, 4, p. 245-272.
  • Loret, A. (1996). « L’avènement d’un “sport alternatif” », In L. Arnaud & P. Arnaud (Eds), Le sport, jeu et enjeu de société (p. 17-21). Paris : La Documentation française.
  • Lyotard, J.F. (1979). La condition postmoderne. Paris : Éditions de Minuit.
  • Maffesoli, M. (1999). « Les fondations d’un cadre d’analyse pour la postmodernité », In B. Pras (Ed), Faire de la recherche en marketing ? (p. 151-169). FNEGE, Paris : Vuibert.
  • Mignon, P. & G. Truchot (2001). La France sportive. Premiers résultats de l’enquête « pratiques sportives 2000 ». STAT-Info, 01-01, p. 1-8.
  • Moliner, P. & E. Tafani (1997). Attitudes and social representations : a theoretical and experimental approach. European journal of social psychology, 27, p. 687-702.
  • Moliner, P. (2001). La dynamique des représentations sociales. Grenoble : Presses Universitaires de Grenoble.
  • Moscovici, S. (1961). La psychanalyse, son image, son public. Paris : PUF.
  • Moscovici, S. (1984). « Le domaine de la psychologie sociale », In S. Moscovici (Ed), La psychologie sociale (p. 1-22). Paris : PUF.
  • Nadel, E.R. (1985). Physiological adaptations to aerobic training. American scientist, 73, p. 334-343.
  • Szabo, A. & A.M. Parkin (2001). The psychological impact of training deprivation in martial artists. Psychology of sport and exercise, 2 (3), p. 187-199.
  • Tricker, R. (2000). Painkilling drugs in collegiate athletics : Knowledge, attitudes and use of student athletes. Journal of drug education, 30 (3), p. 313-324.
  • Yin, Z. & T.A. Ryska (1999). Perceived competence, social anxiety and enjoyment in testing situations among groups of mixed sex and girls only. Psychological reports, 84 (2), p. 381-385.

Mots-clés éditeurs : représentation sociale, analyse de similitude, compétition, plaisir, sport

https://doi.org/10.3917/sm.058.0117

Notes

  • [1]
    Laboratoire de Socio- Psychologie et Management du Sport- Équipe ISOS (Interactions Sociales et Organisations Sportives) – Université de Bourgogne
  • [2]
    IUT de Dijon – Université de Bourgogne – Gestion des Entreprises et des Administrations.
  • [3]
    Laboratoire de Topologie, UMR 5584 – Université de Bourgogne.
    Correspondance :
    Marie-Françoise Lacassagne – ISOS - Laboratoire de Socio- Psychologie et Management du Sport. Université de Bourgogne – Faculté des Sciences du Sport – BP 27877 – F-21078 Dijon cedex – Tel : 03 80 39 64 36 – Fax : 03 80 39 64 79 – marie-francoise. lacassagne@ u-bourgogne. fr
  • [4]
    On peut toutefois noter que la probabilité d’avoir un même degré d’accord pour deux items proches l’un de l’autre est plus faible que pour deux items éloignés dans la mesure où cette dernière comparaison favorise l’expression de jugements tranchés.
  • [5]
    Les distances d’agrégation sont proches de 1 en raison du mode de calcul adopté.
  • [6]
    La méthode de Ward a été privilégiée en raison de la nature du substrat de la représentation. La représentation étant l’émanation d’un échantillon, il paraît adapté de recourir à une méthode plus globale que la méthode du saut minimum.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions