Couverture de SM_056

Article de revue

Modification de la codification d'un sport et son impact sur le jeu : l'exemple de la règle du libéro en volley-ball

Pages 125 à 140

Notes

  • [1]
    Laboratoire du CURAPS – Département STAPS de la Réunion
  • [2]
    1896 : règle de la rotation des joueurs au service ; 1916 : règle de la rotation des joueurs.
  • [3]
    Berjaud P. (1999), membre de la commission des lois du jeu à la FIVB, CD Rom « Le libéro », Fédération Française de volley-ball.
  • [4]
    Ce que nous avons vérifié statistiquement en comparant les résultats obtenus sur un échantillon (60 points) et un match entier de 5 sets (plus de 300 points).
  • [5]
    Ce que nous n’avons pas pu réaliser pour la demi-finale du championnat d’Europe de 1997, France/Yougoslavie, car nous ne disposions que d’images vidéo du 3e et 4e set.
  • [6]
    On distingue six postes en VB : le poste 1 (arrière droit), poste 2 (avant droit), poste 3 (avant centre), poste 4 (avant gauche), poste 5 (arrière gauche) et poste 6 (arrière centre).
  • [7]
    Cette rotation du ballon est visible étant donné qu’il présente une combinaison de couleurs.
  • [8]
    1997 et 1998 (t = 2,15 à P.03) ; 1997 et 2000 (t = 0,51 à P.61) ; 1997 et 2002 (t = 0,92 à P.36) ; 1998 et 2000 (t = 1,72 à P.09) ; 1998 et 2002 (t = 1,38 à P.17) ; 2000 et 2002 (t = 0,368 à P.71).
  • [9]
    1997/1998 : Chi2 = 6,33 à P.01; 1997/2000 : Chi2 = 1,49 à P.22 ; 1997/2002 : Chi2 = 1,85 à P.17 ; 1998/2000 : Chi2 = 1,71 à P.19 ; 1998/2002 : Chi2 = 1,36 à P.24 ; 2000/2002 : Chi2 = 0,02 à P.89.
  • [10]
    1997/1998 : Chi2 = 1,26 à P.53 ; 1997/2000 : Chi2 = 1,52 à P.47 ; 1997/2002 : Chi2 = 2,87 à P.24 ; 1998/2000 : Chi2 = 0,347 à P.84 ; 1998/2002 : Chi2 = 0,357 à P.84 ; 2000/2002 : Chi2 = 0,53 à P.53.
  • [11]
    1997/1998 : Chi2 = 1,72 à P.63 ; 1997/2000 : Chi2 = 0,76 à P.86 ; 1997/2002 : Chi2 = 3,03 à P. 39 ; 1998/2000 : Chi2 = 2,23 à P.53 ; 1998/2002 : Chi2 = 3,50 à P.32 ; 2000/2002 : Chi2 = 4,99 à P.17.
  • [12]
    Chi2 = 4,57 à P.03.
  • [13]
    1997 et 1998 : Chi2 = 7 à P.03 ; 1997/2000 : Chi2 = 3,73 à P.16 ; 1997/2002 : Chi2 = 32,09 à P.35 ; 1998/2000 : Chi2 = 0,59 à P.75 ; 1998/2002 : Chi2 = 1,62 à P.45 ; 2000/2002 : Chi2 = 0,54 à P.76.
  • [14]
    1997/1998 : Chi2 = 26,46 à P<.01 ; 1997/2000 : Chi2 = 39,13 à P<.01 ; 1997/2002 : Chi2 = 86,41 à P<.01 ; 1998/2000 : Chi2 = 4 à P.14 ; 1998/2002 : Chi2 = 27,46 à P<.01 ; 2000/2002 : Chi2 = 10,49 à P.01.

Introduction

1 L’évolution des techniques et en particulier les techniques corporelles sont dépendantes de deux types de facteurs : intrinsèques et extrinsèques (Simondon, 1989 ; Perrin 1991 ; Vigarello, 1992). Les explications qui privilégient les facteurs rapportant les causes de changement à l’activité elle-même, sont fondées sur un postulat : « tout système trouve sa dynamique en lui-même » (Ellul, 1977). De ce point de vue, en sport collectif, l’évolution technique est le fait de l’adaptation des opposants lors de leur interaction en particulier lors des situations d’attaque/défense (Mérand, 1977). Les explications qui à l’inverse mettent en avant des facteurs extrinsèques s’ouvrent aux contextes scientifique, économique, politique et socioculturel (Vigarello, 1988 ; Beltran, Griset, 1990, Terret 1996). Parmi ceux-ci la médiatisation prend un poids grandissant tant la présence télévisuelle semble un atout majeur dans la compétition que se livrent entre eux les différents sports (Thomas, 1993). Les dirigeants fédéraux n’hésitent pas à modifier certaines règles pour rendre leur discipline plus télégénique (Duret, Trabal, 2001) : décomptes de points en tie-break, ravitaillements en course pour la « formule 1 », horaires de match adaptés aux meilleurs taux d’écoute (football), temps mort techniques et « publicitaires » (volley-ball, sports américains)… Dans ce contexte, la fédération internationale de volley-ball (FIVB) a introduit, en 1998, la règle du libéro. Cette modification opérait en effet à elle seule plusieurs ruptures par rapport aux championnats précédents : au niveau de l’histoire du jeu, elle mettait un terme à la polyvalence sur laquelle il s’est bâti (Shewman, 1995) ; du point de vue technique, elle supposait une spécialisation accrue. Ce bouleversement a été justifié par la commission des lois du jeu de la FIVB, comme une réponse aux contraintes croissantes de médiatisation. Spécialiser un expert de la défense visait à accroître le nombre de balles récupérées et mettre un terme à la succession aride de réception-passe-smash au profit d’échanges plus longs et plus spectaculaires. Pour la FIVB il fallait mettre en place cette nouvelle règle pour gagner coûte que coûte des temps d’antenne dans la concurrence sans merci où chaque sport est engagé. Au nom de la guerre de l’audimat, il fallait se résoudre à sacrifier la tradition centenaire de la rotation des joueurs [2].

2 Le but de cet article est donc de se demander si les buts fixés par la FIVB, d’accroître les échanges par un « renforcement de la défense » d’une part et d’induire « à court terme une façon différente de jouer » [3] d’autre part, ont été atteints. A travers cette étude de cas, il s’agit à un niveau plus général, d’apporter des éléments de réponse sur l’influence respective des facteurs intrinsèques et extrinsèques dans la dynamique de l’évolution technique d’un sport.

3 Dans un premier temps nous analyserons quantitativement l’évolution du nombre d’échanges. Dans un deuxième temps, pour évaluer l’importance des évolutions, nous nous appuierons sur les deux premières phases de chaque action de jeu, celles où les joueurs ont le plus l’initiative. Pour cela, nous étudierons successivement : l’efficacité de l’équipe en réception, le type et l’efficacité de sa première attaque et la technique du service adverse.

Méthode

Corpus de données

4 Nous avons donc constitué un corpus de données qui se distribuent dans le temps de la manière suivante :

  • 1997 : championnat d’Europe, année précédent la règle du libéro,
  • 1998 : championnat du Monde, année de l’application de la règle du libéro,
  • 2000 : jeux olympiques,
  • 2002 : championnat du Monde.
Pour chaque compétition, nous avons choisi les quatre meilleures équipes participant aux demi-finales ou aux finales (places 1 à 4). Pour avoir un panel représentatif de chaque match [4] et uniformiser notre recueil de données, nous avons constitué des échantillons de jeu de 60 points répartis généralement [5] de la manière suivante : les 30 premiers points du début de match et les 30 premiers points de la deuxième partie du match (3e, 4e ou 5e set). L’ensemble du corpus représente l’analyse de 480 points.

TABLEAU 1

Caractéristiques du corpus de données

Année Type de compétition Niveau de compétition Match Sets étudiés Nombre de points étudiés
1997 Championnat d’Europe Demi-finale Hollande-Italie 1er et 3e 60
Demi-finale France-Yougoslavie 3e et 4e 60
1998 Championnat du Monde Demi-finale Brésil-Italie 1er, 4e et 5e 60
Demi-finale Cuba-Yougoslavie 1er et 4e 60
2000 Jeux olympiques « Petite finale » Argentine-Italie 1er et 3e 60
Finale Russie-Yougoslavie 1er et 3e 60
2002 Championnat du Monde Demi-finale France-Russie 1er et 4e 60
Demi-finale Brésil-Yougoslavie 1er et 4e 60
Total 480

Caractéristiques du corpus de données

5 L’étude du corpus a été réalisée avec un appareil vidéo disposant d’un arrêt sur image et d’un défilement image par image, des logiciels « Excel » pour la saisie des données et « StatView » pour le traitement statistique des données.

Méthodologie

Le nombre d’échanges

6 Nous avons considéré tous les cas de figure dans le déroulement de l’échange :

  • zéro échange, lors d’un service faute,
  • un échange, sur un service gagnant,
  • deux échanges, lors du gain ou de la perte du point lors de la première construction d’attaque de l’équipe en réception,
  • trois échanges, lors du gain ou de la perte du point lors de la première reconstruction d’attaque de l’équipe au service,
  • ensuite le nombre d’échanges est déterminé par le nombre de va et vient de la balle au-dessus du filet (en comptabilisant les contres offensifs).

L’efficacité en réception

7 Nous avons envisagé les différents cas de figure en les hiérarchisant du moins efficace au plus efficace :

  • réception manquée (ou « ace » au service),
  • réception n’autorisant pas le renvoi smashé,
  • réception ne permettant pas l’attaque rapide,
  • réception autorisant l’attaque rapide mais avec une prise de risque dans la transmission de la balle passeur-attaquant. Nous avons considéré pour ce cas de figure qu’un des trois critères suivants devaient être satisfaits : réception déplaçant le passeur de 3 m et plus, ou éloignée du filet de 1,5 m et plus, ou ne permettant pas la passe en suspension,
  • réception autorisant l’attaque rapide sans prise de risque (aucun des critères précédents n’est rempli).
Nous avons évalué l’efficacité du service à partir des mêmes critères en considérant en plus le cas où le service est manqué.

Le type d’attaque

8 Les critères pour caractériser les différentes types d’attaque se rapportent au temps et à l’espace. Nous avons considéré deux temps d’attaque, le « temps 1 » ou attaque rapide, lorsque la durée de l’inter-frappe passeur-attaquant est courte. L’indicateur est la position de l’attaquant, dans l’impulsion de son saut ou en suspension, lors de la touche de balle du passeur. Le « temps 2 » lorsque la durée de l’inter-frappe est plus longue. L’attaquant est dans sa couse d’élan (ou ne l’a pas commencée) à la touche de balle du passeur. Les critères spatiaux sont relatifs aux postes d’attaque [6].

9 Le croisement de ces deux critères fournit les différents cas suivants :

  • smash sur temps 1 (en général au poste 3),
  • smash sur temps 2 au poste 2, 4, 1 ou 6 (en général combinée avec une attaque au centre en temps 1),
  • smash du passeur,
  • renvoi sans smash.

L’efficacité de la première attaque

10 Nous avons considéré trois cas :

  • gain de l’échange,
  • poursuite de l’échange,
  • perte de l’échange.

Le type de service

11 Nous avons repéré les différents types de service étant donné leur influence dans le rapport de force lors de la première construction d’attaque. Les critères de différenciation sont la hauteur du lancer de balle, l’appui ou la suspension du joueur et la rotation du ballon [7] pendant la trajectoire du service. Actuellement on constate trois types de service :

  • le service smashé : lancer haut, suspension et rotation de balle,
  • le service tennis flottant en appui : lancer bas, sans suspension et sans rotation de balle,
  • le service tennis flottant en suspension, lancer bas, en suspension et sans rotation de balle.

Résultats

Le nombre d’échanges

12 En considérant le nombre d’échanges comme des données de score nous avons calculé la moyenne des échanges par année.

FIGURE 1

Évolution de la moyenne des échanges selon les diverses compétitions

FIGURE 1

Évolution de la moyenne des échanges selon les diverses compétitions

13 Nous avons comparé les années prises deux à deux. Toutes les comparaisons montrent des différences non-significatives, excepté pour 1997 et 1998 [8], où l’on constate une baisse significative de la moyenne du nombre d’échanges (de 2, 44 à 2, 06). Le classement des moyennes selon les diverses compétitions place 1997, première ; 2000, deuxième ; 2002, troisième et 1998, dernière. L’introduction de la règle du libéro n’a donc pas eu pour effet d’augmenter le nombre d’échanges, mais de le réduire significativement dans un premier temps et peu significativement ensuite.

14 Pour vérifier ce résultat, nous avons procédé à un regroupement des données en considérant le nombre d’échanges en temps que données de numération. L’augmentation du nombre d’échanges dans une même action accroît le caractère spectaculaire du jeu au même titre, par exemple, que le renversement du score, les points décisifs de fin set ou l’enjeu de la rencontre, etc. On peut considérer qu’une action devient spectaculaire lorsqu’elle dure plus de deux échanges, c’est-à-dire quand le camp serveur arrive à défendre l’attaque de l’adversaire et peut reconstruire une offensive. C’est donc ce seuil que nous avons retenu pour trier les phases de jeu.

FIGURE 2

Niveau de « spectacularité » des échanges selon les compétitions

FIGURE 2

Niveau de « spectacularité » des échanges selon les compétitions

15 La comparaison des résultats des années prises deux à deux confirme l’analyse précédente où seules les années 1997 et 1998 présentent des différences significatives [9]. Le classement des compétitions fournit les mêmes résultats et montre que l’introduction de la règle du libéro n’a pas eu pour effet d’augmenter le nombre d’échanges, mais de le baisser significativement dans un premier temps et peu significativement ensuite.

L’efficacité en réception

16 Pour donner plus de lisibilité à nos résultats nous avons regroupé nos données en trois catégories hiérarchisées en fonction du niveau de réception : la réception ne permettant pas de smash, celle ne permettant pas l’attaque rapide et celle l’autorisant.

FIGURE 3

Niveau de réception selon les compétitions

FIGURE 3

Niveau de réception selon les compétitions

17 Les résultats comparés des années prises deux à deux indiquent des différences non significatives [10]. Cependant, on observe une baisse continuelle d’efficacité de 1997 à 2002. On constate donc, même si les différences ne sont pas démontrées statistiquement, que l’introduction de la règle du libéro n’a pas amélioré l’efficacité de la réception, mais l’a diminuée.

Le type d’attaque

18 Nous avons exclu l’attaque du passeur qui représente une fréquence négligeable (quatre cas sur 374) et procédé à un regroupement des smashes effectués par les joueurs arrières.

FIGURE 4

Répartition des types d’attaque selon les compétitions

FIGURE 4

Répartition des types d’attaque selon les compétitions

19 L’étude comparée des compétitions prises deux à deux ne montre pas de différence significative [11]. L’introduction de la règle du libéro n’a pas engendré une modification des types d’attaque ou de la distribution du jeu par le passeur. Cependant, en comparant la distribution aux postes 2 et 4, on observe une différence importante des pourcentages entre 2000 et 2002, qui se révèle significative à l’analyse statistique [12]. La fréquence d’attaque au poste 4 augmente au dépend de celle du poste 2.

L’efficacité de la première construction d’attaque

20 La comparaison des compétitions prises deux à deux indiquent une différence significative entre 1997 et 1998 et non significative pour les autres couplages [13].

FIGURE 5

Efficacité des attaques selon les compétitions

FIGURE 5

Efficacité des attaques selon les compétitions

21 Pour classer nos résultats nous avons défini un indice d’efficacité en calculant le rapport entre le gain de l’échange et la perte de l’échange. Plus cet indice est élevé, plus l’efficacité est grande. Le classement des indices donne les résultats suivants. 1998 figure au premier rang (4, 9), 2000 au deuxième rang (4, 6), 2002 au troisième rang (3, 3) et 1997 au dernier rang (2, 7). L’introduction de la règle du libéro a donc augmenté l’efficacité de la première construction d’attaque, significativement dans un premier temps, et par ce fait a diminué le nombre d’échanges, ce qui confirme notre analyse précédente sur l’évolution du nombre d’échanges.

Le type de service

22 La comparaison des compétitions prises deux à deux indique des différences significatives pour tous les couplages excepté entre 1998 et 2000 [14].

FIGURE 6

Evolution des types de services d’une compétition à l’autre

FIGURE 6

Evolution des types de services d’une compétition à l’autre

23 La fréquence d’utilisation du service « tennis en appui » décroît continuellement avec le temps, notamment de 1997 à 1998 (-29 %) pour être rarement utilisé en 2002 (2 %). A l’inverse, la fréquence du service « smashé » progresse de compétition en compétition, notamment entre 1997 et 1998 (+18 %), pour être utilisé quatre fois sur cinq en 2002 (81 %). La fréquence du tennis en « suspension » augmente aussi, notamment entre 1997 et 1998 (+10 %), pour atteindre en 2002 près d’un service sur cinq (18 %).

Discussion

24 Pour le premier point de notre analyse, nos résultats montrent que l’introduction de la règle du libéro n’a pas engendré « un renforcement de la défense ». Cette modification réglementaire a même eu l’effet inverse, celui de réduire le nombre d’échanges, nettement, dans un premier temps, puis peu, dans un deuxième temps. Quelles hypothèses explicatives peut-on avancer ? On peut penser que ce spécialiste de la défense a amélioré le niveau de réception et donc favorisé l’efficacité de la première attaque de son équipe, ce qui aurait dû contribuer à écourter l’échange. Pourtant notre analyse montre que le niveau de réception n’a pas augmenté mais diminué. Ce résultat est surprenant, mais peut s’expliquer en considérant le rapport de force service-réception. Le renforcement de l’efficacité du service est devenu un impératif stratégique devant l’augmentation des compétences des joueurs en réception. Cela explique l’augmentation de la fréquence du service smashé, plus efficace que le service tennis (- 26 % de réception permettant l’attaque rapide), mais aussi plus risqué (+ 12 % d’échec).

FIGURE 7

Efficacité selon le type de service

FIGURE 7

Efficacité selon le type de service

25 Cette modification technique a eu pour effet d’écourter le nombre d’échanges lors des services gagnants (un échange) ou perdants (zéro échange), ce qui est vrai dans 28 % de cas pour le service smashé contre 11 % pour les autres type de service. Un autre résultat surprenant est l’accroissement de l’efficacité de la première attaque entre 1997 et 1998 malgré la baisse de l’efficacité de la réception car en général les deux sont interdépendants.

FIGURE 8

Efficacité des attaques en fonction du niveau de réception

FIGURE 8

Efficacité des attaques en fonction du niveau de réception

26 Ce résultat ne peut s’expliquer que dans une modification du rapport de force attaque-défense, soit par une efficacité plus grande des attaquants, augmentation de leur puissance, de leur qualité morphologique, soit par une baisse de compétence en défense, ce qui s’expliquerait par un temps nécessaire aux joueurs pour s’adapter à une nouvelle règle.

27 Le deuxième point de notre analyse, montre que l’introduction du libéro n’a pas induit « à court terme une façon différente de jouer » au moins au niveau de la distribution du jeu du passeur, même si l’on perçoit une tendance à utiliser plus fréquemment le poste 4 au dépend du poste 2 en 2002. Conjointement à cette augmentation, nous avons constaté une réduction des temps d’attaque au poste 4 ce qui limite les possibilités défensives du contreur central. Ces modifications sont une solution pour enrayer la baisse régulière d’efficacité des attaques entre 1998 et 2002. C’est dans les tentatives de rééquilibrage du rapport de force entre l’attaque et la défense que l’on peut comprendre le sens de l’évolution du jeu.

28 En conclusion la F.I.V.B. avec l’introduction de la règle du libéro n’a pas atteint son double objectif de rendre le jeu plus spectaculaire en augmentant le nombre d’échanges et de modifier la façon de jouer. Cette innovation réglementaire a cependant produit des ruptures : baisse du nombre d’échanges, accroissement de l’efficacité des attaques et modification du type de service. Cela conforte l’idée que tout changement dans une codification entraîne un cycle de désorganisation/réorganisation (Stengers, Schandler, 1991), mais il reste incontrôlé par le législateur et aux effets imprévisibles (Ellul, 1990). Un autre exemple en volley-ball illustre ce fait. Dans les années 50, l’imposition de la « manchette », par les dirigeants, comme technique unique de réception du service adverse a bloqué l’évolution du jeu en attaque pendant dix ans (Fournier, 1999). Mais cette imposition réglementaire n’a pas eu que des effets négatifs, car elle a favorisé dans un second temps l’avènement de l’attaque rapide, plus spectaculaire. Les législateurs ont comme souci de maintenir l’attrait du jeu par des modifications réglementaires afin de susciter une émotion chez les pratiquants et les spectateurs (Elias, Dunning, 1994). Le moyen le plus souvent utilisé dans les sports collectifs, est de veiller à l’équilibre attaque-défense, certaines disciplines renforçant plutôt la défense (volley-ball), d’autres plutôt l’attaque (football et rugby). C’est un souci légitime, mais dont les effets leurs sont inconnus lors de leur mise en place, car soumis à l’adaptation créatrice des joueurs. D’autres facteurs extrinsèques influencent l’évolution technique, comme la transformation des matériaux, le statut des joueurs, etc., qui provoquent des évolutions techniques mais qui restent imprévisibles car toujours dépendantes de l’activité adaptatrice des individus. Dans la dynamique réciproque des facteurs intrinsèques et extrinsèques, cette étude de cas montre que l’élément moteur de l’évolution technique reste, selon nous, plus le fait des sportifs que de prescriptions extérieures.

Bibliographie

Bibliographie

  • Beltran A. & Griset P. (1990). Histoire des techniques aux XIXe et XXe siècles. Paris, Colin.
  • Duret P., & Trabal P. (2001). Le sport et ses affaires. Paris, Métalié.
  • Elias N. & Dunning E. (2001). Sport et civilisation, la violence maîtrisée. Paris, Fayard.
  • Ellul J. (1977). Système technicien. Paris, Calman-Lévy.
  • Ellul J. (1990). La technique ou l’enjeu du siècle. Paris, Economica.
  • Fournier P. (1999). Genèse du jeu de volley-ball. Tentative de reconstruction des étapes qui ont jalonné cette genèse de 1940 à 1992. Thèse de doctorat. Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion.
  • Mérand R. (1977). Considérations sur une problématique de rénovation des contenus de l’éducation physique en rapport avec les activités sportives contemporaines In L’éducateur face à la haute performance olympique. Paris, Édition Sport et Plein Air : 7-27.
  • Perrin J. (1991). Introduction générale In Perrin J. Construire une Science des Techniques. Limonest, l’Interdisciplinaire : 11-22.
  • Shewman B. (1995). Volley-ball Centennial - The first 100 years. Indianapolis, Master Press.
  • Simondon G. (1989). Du mode d’existence des objets techniques. Alençon, Aubier.
  • Stengers I. & Schlnager J. (1991). Les concepts scientifiques. Paris, Gallimard.
  • Terret T. (1996). Présentation In Terret T. Histoire des sports. Paris, l’Harmattan : 9-10.
  • Thomas R. (1993). Le sport et les médias. Paris, Vigot.
  • Vigarello G. (1988). Une histoire culturelle du sport Techniques d’hier… et d’aujourd’hui. Paris, Édition Robert Laffont S.A. et Revue E.P.S.
  • Vigarello G. (1992). L’histoire des techniques sportives et enseignement de l’éducation physique sportive In Spirales spécial didactique no 4, actes du colloque. C.R.I.S. de Lyon et RESAC-SPORT de Grenoble : 102-105.

Mots-clés éditeurs : règles, sport, libéro, codification, volley-ball, évolution

https://doi.org/10.3917/sm.056.0125

Notes

  • [1]
    Laboratoire du CURAPS – Département STAPS de la Réunion
  • [2]
    1896 : règle de la rotation des joueurs au service ; 1916 : règle de la rotation des joueurs.
  • [3]
    Berjaud P. (1999), membre de la commission des lois du jeu à la FIVB, CD Rom « Le libéro », Fédération Française de volley-ball.
  • [4]
    Ce que nous avons vérifié statistiquement en comparant les résultats obtenus sur un échantillon (60 points) et un match entier de 5 sets (plus de 300 points).
  • [5]
    Ce que nous n’avons pas pu réaliser pour la demi-finale du championnat d’Europe de 1997, France/Yougoslavie, car nous ne disposions que d’images vidéo du 3e et 4e set.
  • [6]
    On distingue six postes en VB : le poste 1 (arrière droit), poste 2 (avant droit), poste 3 (avant centre), poste 4 (avant gauche), poste 5 (arrière gauche) et poste 6 (arrière centre).
  • [7]
    Cette rotation du ballon est visible étant donné qu’il présente une combinaison de couleurs.
  • [8]
    1997 et 1998 (t = 2,15 à P.03) ; 1997 et 2000 (t = 0,51 à P.61) ; 1997 et 2002 (t = 0,92 à P.36) ; 1998 et 2000 (t = 1,72 à P.09) ; 1998 et 2002 (t = 1,38 à P.17) ; 2000 et 2002 (t = 0,368 à P.71).
  • [9]
    1997/1998 : Chi2 = 6,33 à P.01; 1997/2000 : Chi2 = 1,49 à P.22 ; 1997/2002 : Chi2 = 1,85 à P.17 ; 1998/2000 : Chi2 = 1,71 à P.19 ; 1998/2002 : Chi2 = 1,36 à P.24 ; 2000/2002 : Chi2 = 0,02 à P.89.
  • [10]
    1997/1998 : Chi2 = 1,26 à P.53 ; 1997/2000 : Chi2 = 1,52 à P.47 ; 1997/2002 : Chi2 = 2,87 à P.24 ; 1998/2000 : Chi2 = 0,347 à P.84 ; 1998/2002 : Chi2 = 0,357 à P.84 ; 2000/2002 : Chi2 = 0,53 à P.53.
  • [11]
    1997/1998 : Chi2 = 1,72 à P.63 ; 1997/2000 : Chi2 = 0,76 à P.86 ; 1997/2002 : Chi2 = 3,03 à P. 39 ; 1998/2000 : Chi2 = 2,23 à P.53 ; 1998/2002 : Chi2 = 3,50 à P.32 ; 2000/2002 : Chi2 = 4,99 à P.17.
  • [12]
    Chi2 = 4,57 à P.03.
  • [13]
    1997 et 1998 : Chi2 = 7 à P.03 ; 1997/2000 : Chi2 = 3,73 à P.16 ; 1997/2002 : Chi2 = 32,09 à P.35 ; 1998/2000 : Chi2 = 0,59 à P.75 ; 1998/2002 : Chi2 = 1,62 à P.45 ; 2000/2002 : Chi2 = 0,54 à P.76.
  • [14]
    1997/1998 : Chi2 = 26,46 à P<.01 ; 1997/2000 : Chi2 = 39,13 à P<.01 ; 1997/2002 : Chi2 = 86,41 à P<.01 ; 1998/2000 : Chi2 = 4 à P.14 ; 1998/2002 : Chi2 = 27,46 à P<.01 ; 2000/2002 : Chi2 = 10,49 à P.01.
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