1Les trois articles de ce numéro présentent des recherches originales qui adoptent une perspective institutionnelle.
2La théorie dite institutionnelle met en exergue qu’une institution est contrainte par son environnement social, politique, économique, légal, technologique auquel elle se conforme pour garantir sa légitimité et sa pérennité. L’environnement ou le contexte est donc primordial dans la plus ou moins forte institutionnalisation de pratiques par des acteurs qui acceptent d’y adhérer, de se conformer à des normes et de suivre des règles, plus ou moins passivement, sans les remettre en question. Cette théorie semble bien se prêter à l’étude des influences internes et externes subies par les organisations impliquées dans des initiatives de changement, notamment technologique. L’approche institutionnelle semble offrir un cadre conceptuel convaincant pour étudier les changements organisationnels. Certains prétendent que cette théorie, vieille d’une trentaine d’années avec les travaux précurseurs de Powell et DiMaggio (1981) et de Scott (1995) notamment, a entraîné une « renaissance » dans l’étude des institutions en sciences sociales.
3Plus récemment, la perspective institutionnelle a pénétré le champ des systèmes d’information et a été mobilisée dans de nombreuses recherches pour étudier l’adoption ou la diffusion d’innovations informatiques (ERP, EDI, intranet, …) dans les organisations et analyser leurs impacts sur les changements organisationnels. Des numéros spéciaux y ont été consacrés, notamment dans Journal of Information Technology (Currie, 2009) qui a montré la richesse et la diversité d’usages de cette théorie dans la recherche en systèmes d’information pour analyser et interpréter les innovations technologiques dans les organisations.
4Dans ce numéro spécial de JIT, Muriel Mignerat et Suzanne Rivard (2009) positionnent la perspective institutionnelle dans la recherche en systèmes d’information et présentent une revue fouillée de la littérature dans ce domaine. Elles proposent un cadre conceptuel pour situer les différents concepts de la théorie dite institutionnelle et passent au crible une cinquantaine d’articles se réclamant de cette perspective. Elles mettent en lumière trois thématiques principales de recherche pour analyser (a) les effets institutionnels d’une innovation informatique, (b) les processus d’institutionnalisation, et (c) les interactions entre les technologies et les institutions. Elles identifient enfin des enjeux conceptuels et méthodologiques auxquels sont confrontés les chercheurs adoptant cette perspective dans leurs travaux. Ces mêmes auteurs (Mignerat & Rivard, 2010) publiaient l’année passée un article dans SIM où elles étudiaient comment les gestionnaires de projets informatiques pouvaient réagir aux pratiques de gestion de projets institutionnalisées, aux normes et autres pressions institutionnelles associées.
5Dans le premier article de ce numéro, proposé par la même Muriel Mignerat et Luc Audebrand, l’objectif est d’étudier l’introduction de nouvelles solutions informatiques, billetterie électronique et diffusion des résultats en ligne, dans les trois derniers championnats européens de football (Euro) organisés par l’UEFA, une institution transnationale qui unit une centaine de clubs et une cinquantaine de fédérations nationales. Les auteurs adoptent une perspective institutionnelle et recourent en particulier aux concepts de travail institutionnel et d’entrepreneur institutionnel, acteur qui cherche à gérer son environnement et à en influencer les règles en vue de créer de nouvelles institutions, maintenir des institutions actuelles ou leur porter atteinte. Les auteurs suggèrent que les acteurs qui faisaient la promotion de ces technologies cherchaient bien à influencer l’UEFA et ses institutions périphériques. A partir d’une approche qualitative longitudinale par études de cas et dépouillement d’archives, la recherche a mis en lumière différentes stratégies que ces acteurs avaient adoptées pour promouvoir de nouvelles pratiques : imitation, théorisation, éducation, routinisation, valorisation, parfois diabolisation. Cette étude devrait contribuer à une meilleure compréhension du rôle de l’informatique dans la gestion des méga-événements et des changements organisationnels qui y sont liés.
6Dans le deuxième article, Sonia Abdennadher et Walid Cheffi étudient l’émergence et l’adoption du vote par internet dans les assemblées générales d’actionnaires dans les entreprises cotées, principalement du CAC40. Cette recherche se place aussi dans une perspective institutionnelle pour analyser les forces et les pressions susceptibles d’influencer son adoption. Dans un contexte de grande incertitude et de fortes pressions extérieures, les organisations ont tendance à adopter des pratiques que leurs homologues considèrent comme légitimes et procéder par isomorphismes mimétiques, normatifs ou coercitifs. Pour mener leur étude, les auteurs ont aussi choisi une approche qualitative longitudinale à base d’observations, d’entretiens et d’études documentaires. Les auteurs s’intéressent au processus d’institutionnalisation avec ses secousses, ses remises en question, ses pré-institutionnalisations prudentes, ses théorisations non abouties et ses amorces de diffusion. Les auteurs caractérisent l’isomorphisme institutionnel et en établissent les principales entraves juridiques, techniques, managériales et ergonomiques. Ils mettent notamment en lumière l’intensité des interactions entre les institutions, la prise de conscience d’un perfectionnement nécessaire, les engagements communs pour la refonte des systèmes et l’émergence de nouvelles structures inter-organisationnelles. Les auteurs soulignent les fortes pressions exercées par les sociétés émettrices mais relèvent paradoxalement la faible implication des utilisateurs finals, en contradiction avec les bonnes pratiques de conception et développement des systèmes d’information. Cette recherche apporte aussi une contribution pour une meilleure compréhension de la gouvernance d’entreprise.
7Le troisième article que proposent Erik Leroux et Pierre-Charles Pupion étudie et explique l’adoption par les entreprises de systèmes d’indicateurs du développement durable. Les auteurs analysent entre autres les pressions institutionnelles importantes exercées lors des décisions de déployer de tels systèmes d’information. Les auteurs présentent d’abord un modèle de développement durable des entreprises avec ses finalités de protection de l’environnement, de justice sociale, d’équité et de performance économique. Ils montrent ensuite que les entreprises peuvent prouver leur attachement à ce modèle par l’adoption de systèmes d’information dédicacés, dits de reporting de développement durable. L’approche institutionnelle mobilisée, avec ses isomorphismes mimétiques, normatifs ou coercitifs, est combinée avec un modèle de diffusion de l’innovation et de perception de celle-ci par les acteurs. Les auteurs étayent leurs réflexions par une étude empirique qui leur permet de mettre en lumière les avantages perçus par des logiciels de développement durable mais aussi les craintes et peurs liées à leur déploiement.
Prix CIGREF & FNEGE
8Lors du récent colloque AIM à La Réunion, le prix CIGREF-AIM 2010 du meilleur article de SIM en 2010 a été attribué à Jean-Fabrice Lebraty et Katia Lobre (2010) de Nice pour leur article intitulé « Créer de la valeur par le crowdsourcing : la dyade Innovation-Authenticité ». Toutes nos félicitations aux auteurs et nos remerciements au CIGREF pour son soutien de longue date et toujours fortement apprécié par SIM et ses lecteurs. Pour rappel, la sélection de cet article n’est pas effectuée par le comité de rédaction mais par le CIGREF qui transmet son choix et remet le prix lors du colloque annuel de l’AIM, cette année à La Réunion.
9Le prix 2010 de la meilleure thèse en systèmes d’information AIM-FNEGE Robert Reix a été décerné à Anouck Adrot pour sa thèse intitulée « Quel apport des technologies de l’information et de la communication (TIC) à l’improvisation organisationnelle durant la réponse à la crise ? », réalisée sous la direction de Pierre Romelaer. Félicitations à Anouck, en espérant la compter prochainement parmi les auteurs de SIM, comme nous l’avons fait pour les lauréats des dernières années.
Informations sur SIM
10Grâce au soutien et au travail de l’AIM, tous les articles parus dans SIM avant 2003 sont dorénavant accessibles en ligne sur le site de la revue (www.revuesim.org). Ils sont en accès libre pendant quelques temps mais seront prochainement réservés aux membres de l’AIM. Pour rappel, tous les articles parus dans SIM à partir de 2003 sont aussi accessibles en ligne sur ABI/INFORM Proquest (PMID : 59060).
11La revue est indexée par Google, et le sera bientôt spécifiquement sur Google Scholar, permettant ainsi une meilleure prise en compte par un outil comme PoP (« Publish or Perish » de Anne-Wil Harzing). Une demande d’indexation par Scopus (SciVerse) a également été introduite en 2011. La revue est reprise dans la liste des revues tenue par John Lamp pour l’Association for Information Systems (AIS).
12Récemment Vitari et al. (2011) ont mené une large étude scientométrique auprès de plus de 200 membres de la communauté francophone des systèmes d’information. Quand ils ont demandé de classer les quatre meilleurs journaux scientifiques en SI, les résultats ont notamment fait apparaître SIM parmi les premières revues, comme le montre le tableau 1.
Classement des 10 meilleures revues (Vitari et al., 2011)
Classement des 10 meilleures revues (Vitari et al., 2011)
13Vitari et al. (2011) ont également étudié la répartition par pays des 264 articles publiés dans la revue (jusqu’au volume 15, numéro 3 de 2010 inclus), représentant 426 signatures car de nombreux articles sont co-écrits. La France représente plus de la moitié des signatures et le Québec arrive en deuxième position, comme l’illustre le tableau 2.
Publications pour les 10 premiers pays (Vitari et al., 2011)
Publications pour les 10 premiers pays (Vitari et al., 2011)
14L’hétérogénéité des pays est importante et ils ne sont pas tous francophones. Si 350 signatures (environ 80%) sont affiliées a des pays francophones, 76 signatures concernent 23 pays non francophones. Cette présence non francophone s’explique en partie par la possibilité pour la revue de publier des articles en anglais. C’est le cas d’une trentaine d’articles. Le pays d’affiliation des auteurs influence évidemment la langue de rédaction : les auteurs des pays francophones écrivent principalement en français et ceux des pays non francophones le plus souvent en anglais. Quand il s’agit d’une équipe mixte d’auteurs provenant de pays francophones et non francophones, l’article est rédigé en anglais. Merci à Claudio Vitari et ses coauteurs pour leur travail et leurs commentaires.
Bibliographie
Références
- Currie, W. & Burton Swanson, E. (2009). Special issue on institutional theory in information systems research : contextualizing the IT artefact. Journal of Information Technology, 24(4), p. 283-285.
- Lebraty, J. & Lobre, K. (2010). Créer de la valeur par le crowdsourcing : la dyade Innovation-Authenticité. Systèmes d’information et management, 15(3), p. 9-40.
- Mignerat, M. & Rivard, S. (2009). Positioning the institutional perspective in information systems research. Journal of Information Technology, 24(4), p. 369-391.
- Mignerat, M. & Rivard, S. (2010). Entre acquiescence et manipulation : réponses des gestionnaires de projet de SI aux pratiques institutionnalisées. Systèmes d’Information et Management, 15(2), 9-44.
- Powell, W. & DiMaggio, P. (1981) The new institutionalism in organizational analysis, University of Chicago Press p. 182-203.
- Scott, R.W. (1995). Institutions and Organizations. Sage Publications.
- Vitari, C., Humbert, M., Rennard, J. (2011) Etude du prestige des journaux en Systeme d’information dans la communaute francophone de ce domaine : Analyse scientometrique et meta-analyse. Manuscrit.