Notes
-
[1]
Claude Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au xviiie siècle », Annales, 1975, vol. 30, n°1, p. 187-218.
-
[2]
Lettre de Jean-Jacques Rousseau à la maréchale de Luxembourg, à Montmorency, le 12 juin 1761, in Correspondance complète présentée et annotée par Ralph Alexander Leigh, Londres, Genève, Voltaire Foundation, 1965-1996.
-
[3]
Le Sentiment des citoyens, publié anonymement, Genève, 1764.
-
[4]
Lettre de Rousseau à Madame de Francueil, Paris, le 20 avril 1751, ibid.
-
[5]
Julien-Jacques Moutonnet-Clairfons, Le Véritable Philanthrope, précédé d’anecdotes et de détails peu connus sur Jean-Jacques Rousseau avec une réfutation de son prétendu suicide, 1790.
-
[6]
Joseph Lakanal, Rapport sur Jean-Jacques Rousseau, fait au nom du comité d’instruction publique, dans la séance du 29 fructidor, imprimé par ordre de la Convention nationale et envoyé aux départements, aux armées, et à la République de Genève, 1794.
-
[7]
Françoise Bocquentin, Jean-Jacques Rousseau, femme sans enfants ?, Paris, L’Harmattan, 2003.
-
[8]
Raymond Trousson, Jean-Jacques Rousseau, Paris, Taillandier, 2003.
-
[9]
Le Temps du 15 mars 1904, article citant les mémoires du maire de Bourgoin, Champagneux.
-
[10]
Louis-Sébastien Mercier, Jean-Jacques Rousseau, l’un des premiers auteurs de la Révolution, 1791, réédition présentée et annotée par Raymond Trousson, Paris, Honoré Champion, 2010.
-
[11]
Lettres de madame la baronne de Staël, fille de monsieur Necker, Paris, 1789, p. 120.
-
[12]
Olivier de Corancez, Journal de Paris, n°251 à 253 et n°259 à 261, 1798. Victor Donatien de Musset-Pathay, Histoire de la vie et des ouvrages de Jean-Jacques Rousseau, Paris, 1821, t. 1, p. 281.
-
[13]
Alexandre Lacassagne, La Mort de Jean-Jacques Rousseau, Lyon, 1913.
-
[14]
Georges Gazier, « La Mort de Jean-Jacques Rousseau : récit fait par Thérèse Levasseur à l’architecte Pâris, à Ermenonville », Revue d’Histoire littéraire de la France, janvier-mars 1906. Achille-Guillaume Lebègue de Presle, Relation ou notice des derniers jours de M. Jean-Jacques Rousseau, circonstances de sa mort, Londres et Neuchâtel, 1778 et 1779.
-
[15]
Les Confessions, 1789, deuxième partie, livre VII. (N.B. : la première partie, livres I à VI, est publiée en 1782).
- Vrai/Faux : Les cinq enfants de Rousseau ont été abandonnés aux Enfants-Trouvés.
- Vrai/Faux : Rousseau a refusé de se marier avec sa compagne.
- Vrai/Faux : Jean-Jacques Rousseau a été assassiné.
- Vrai-Faux : Les Confessions répondent aux deux premières questions.
2La devise que l’on grava sur la sépulture du philosophe de Genève, vitam impedere vero (« consacrer sa vie à la vérité »), n’a pas inspiré ses contemporains ni ses premiers biographes. Et vous, lecteurs d’aujourd’hui, saurez-vous répondre avec exactitude à ces quatre questions, choisies parmi tant d’autres qui ne manquent pas de les escorter, telles que : les enfants abandonnés par Rousseau étaient-ils au nombre de trois ou cinq ? Étaient-ils de lui ? Pourquoi étaient-ils voués à la bâtardise et n’auraient-ils pu hériter de rien ? Pourquoi Rousseau ne pouvait-il épouser sa compagne ni en France ni en Suisse ? Pourquoi celle-ci se proclamait-elle pourtant sa femme et a-t-elle été reconnue comme telle par la première Assemblée constituante ? Pourquoi a-t-on retrouvé le cadavre de Rousseau dans une pièce fermée à clef de l’intérieur ?…
1 – VRAI : le chantre des soins maternels aux petits enfants a abandonné les siens à leur naissance…
3Comme 90 % des nouveaux-nés abandonnés au xviiie siècle aux Enfants-Trouvés [1], les cinq enfants de Jean-Jacques Rousseau n’auront probablement pas passé l’âge de dix ans. On ne peut cependant en être sûrs, car leurs traces se sont perdues tant pour Rousseau, qui tenta sur le tard quelques recherches [2], que pour les historiens, aussi fins limiers fussent-ils.
4Dès que l’abandon de ses enfants par Rousseau fut connu du public, Voltaire [3] et ses anciens amis Encyclopédistes le mirent au banc des accusés : comment avait-il pu se comporter de la sorte ? La réponse cinglante que le philosophe adressa à l’une de ses correspondantes [4] ne permit pas d’étouffer la question, que certains se posent encore aujourd’hui. Rousseau invoquait sa pauvreté qui ne lui avait pas laissé d’autre choix que de confier leur avenir à la sollicitude collective.
5Cette querelle ne gâcha pas la fête du transfert de ses restes, en 1794, d’Ermenonville au Panthéon : en tête du cortège, se tenaient des mères portant dans leurs bras des poupons, désignées même dans certains récits comme « mères allaitantes », car sans doute donnèrent-elles le sein aux petits durant ce long parcours qui marqua deux étapes festives à Montmorency et aux Tuileries. C’était rendre à Rousseau ce qui appartenait aussi à Buffon à qui l’on prêtait ce mot : « Oui, j’ai dit avant Rousseau que les mères doivent allaiter leurs enfants ; mais Rousseau seul le commande et se fait obéir » [5].
6Le député Lakanal [6], qui organisa le déroulement de cette fête, et le peuple de Paris qui accompagna le cortège entendaient sans doute mieux qu’aujourd’hui la raison de la pauvreté de Rousseau. Le philosophe, ne pouvant faire face à des charges de famille, avait adopté une solution courante à l’époque. Rappelons que la seule méthode contraceptive était alors celle du coïtus interruptus pour laquelle Rousseau n’était sans doute pas très doué…
7Cette explication toute simple est-elle trop simple ? On a prêté une sexualité plus compliquée à Jean-Jacques Rousseau, qui a semé, il est vrai, dans Les Confessions, assez de graines fantasmatiques, telles que les délices de la fessée et du plaisir solitaire, pour qu’elles germent dans l’esprit des lecteurs. Certains concluent qu’il était impuissant et que ses problèmes d’urètre en masquaient d’autres. Les enfants abandonnés ne pouvaient être les siens [7].
2 – FAUX : Rousseau a épousé sa compagne
8Thérèse Levasseur, que Rousseau rencontra lorsqu’il s’installa à Paris pour chercher fortune musicale et littéraire, vécut avec lui trente-trois ans, jusqu’à son dernier souffle [8]. Pourquoi ne l’épouse-t-il donc pas ? se demandait-on. La réponse était-elle à chercher dans ses théories sur la liberté ? Était-elle dans le peu de valeur de cette Thérèse, une simple lingère ? On passait, en se posant ces questions, à côté d’une évidence absolue : Jean-Jacques étant protestant ne pouvait se marier avec quiconque en France ; et en Suisse, c’est le catholicisme de Thérèse qui empêchait leur union. Ils étaient donc condamnés au concubinage et leurs enfants à l’illégitimité.
9Contre cette évidence, soucieux de l’avenir de Thérèse dont il voulait qu’elle hérite de ses droits d’auteur après sa mort, qu’il devinait devoir précéder la sienne, Jean-Jacques Rousseau décida cependant de l’épouser, en dépit des lois. Dans une auberge de Bourgoin, il convoqua le maire de la commune et son adjoint. Rousseau officiait à sa noce : après l’échange des consentements, il fit un discours émouvant et poussa la chansonnette avant d’inviter les deux témoins, aussi stupéfaits que la mariée de l’aventure imprévue, à partager un repas de fête [9]. Le premier mariage civil, quoiqu’il n’ait pas été enregistré formellement, a été ce jour-là inventé, sans tambour ni trompette. Le modèle en sera repris par l’Assemblée constituante quelques années plus tard, qui reconnaîtra de ce fait sans peine la validité du mariage des Rousseau et offrira une pension à la veuve du père de la Révolution [10]. De son côté, celle-ci leur remit un précieux cadeau : un manuscrit des Confessions.
3 – FAUX : Rousseau est mort d’une attaque cérébrale
10Les médecins légistes qui procédèrent à l’autopsie immédiatement après le décès se prononcèrent sans hésitation : la grande masse de liquide trouvée dans le cerveau du grand homme permettait de savoir qu’il avait eu une attaque. Nulle autre trace dans ses intestins que celle du café qu’il avait bu quelques heures auparavant.
11Mais la rumeur d’une cause accidentelle courut dès l’annonce du décès. Les avis étaient partagés : selon les uns, Jean-Jacques, désespéré par l’inconduite de sa femme qui, disait-on, le trompait avec le valet de chambre du marquis de Girardin, avait mis fin à ses jours par le poison [11]. D’autres parlaient de pistolet [12]. D’autres enfin, d’accord sur le pistolet, pensaient qu’il avait été assassiné. Ceux qui en tenaient pour l’assassinat se partageaient en trois groupes : pour les uns, il avait été empoisonné par une potion versée dans son café ; pour d’autres, il avait reçu une balle dans la tête ; enfin, d’autres pensaient qu’un objet contondant lui avait fracassé le crâne. Toutes thèses qui couraient encore plus de cent ans après sa disparition, quand un médecin légiste, historien des morts mystérieuses, prit la peine de les réfuter [13]. Les principaux témoins racontaient pourtant tous la même chose [14] : Jean-Jacques, qui se sentait partir, avait mis à la porte l’indiscrète marquise de Girardin pour rester seul avec sa femme. Thérèse avait refermé la porte à clef derrière elle, pour éviter une nouvelle irruption de leur hôtesse, et surtout d’un médecin. Jusque dans ses derniers instants, Jean-Jacques avait eu raison dans ses intuitions : très peu de temps après, la marquise revenait, en effet, avec un homme de l’art et son mari qui utilisa son passe-partout, comme la porte restait close. Ils découvrirent les corps inanimés de Jean-Jacques et de Thérèse. L’un ne respirait plus ; l’autre était seulement évanouie.
4 – À MOITIÉ-VRAI : dans Les Confessions, Rousseau évoque l’abandon de ses enfants, mais ne parle pas de son mariage
12Pour l’auteur des Confessions, le mariage est hors de question avec sa « compagne », qu’il nomme « ma Thérèse ». En évoquant la naissance de deux enfants portés par la sage-femme aux Enfants-Trouvés [15], il ne dit que les deux cinquièmes de la vérité. Ce silence est-il la marque d’un désintérêt pour sa vie domestique ou bien, au contraire, le signe qu’il voulait ménager la sensibilité de sa compagne ? Cette question n’a pas été posée par ses nombreux détracteurs. Certains ont fait preuve d’imagination, en déclarant qu’il avait subi ce concubinage plus qu’il ne l’avait choisi et que les enfants de Thérèse pouvaient ne pas être les siens.
13L’originalité de Rousseau ne s’exprimait pas seulement dans ses opinions. La nouveauté de son mode de vie, de ses attitudes et même de son costume défrayait la chronique. C’est pourquoi on s’agitait tellement à l’observer et à créer des rumeurs qui, par nature, persisteront à jamais.
Notes
-
[1]
Claude Delasselle, « Les enfants abandonnés à Paris au xviiie siècle », Annales, 1975, vol. 30, n°1, p. 187-218.
-
[2]
Lettre de Jean-Jacques Rousseau à la maréchale de Luxembourg, à Montmorency, le 12 juin 1761, in Correspondance complète présentée et annotée par Ralph Alexander Leigh, Londres, Genève, Voltaire Foundation, 1965-1996.
-
[3]
Le Sentiment des citoyens, publié anonymement, Genève, 1764.
-
[4]
Lettre de Rousseau à Madame de Francueil, Paris, le 20 avril 1751, ibid.
-
[5]
Julien-Jacques Moutonnet-Clairfons, Le Véritable Philanthrope, précédé d’anecdotes et de détails peu connus sur Jean-Jacques Rousseau avec une réfutation de son prétendu suicide, 1790.
-
[6]
Joseph Lakanal, Rapport sur Jean-Jacques Rousseau, fait au nom du comité d’instruction publique, dans la séance du 29 fructidor, imprimé par ordre de la Convention nationale et envoyé aux départements, aux armées, et à la République de Genève, 1794.
-
[7]
Françoise Bocquentin, Jean-Jacques Rousseau, femme sans enfants ?, Paris, L’Harmattan, 2003.
-
[8]
Raymond Trousson, Jean-Jacques Rousseau, Paris, Taillandier, 2003.
-
[9]
Le Temps du 15 mars 1904, article citant les mémoires du maire de Bourgoin, Champagneux.
-
[10]
Louis-Sébastien Mercier, Jean-Jacques Rousseau, l’un des premiers auteurs de la Révolution, 1791, réédition présentée et annotée par Raymond Trousson, Paris, Honoré Champion, 2010.
-
[11]
Lettres de madame la baronne de Staël, fille de monsieur Necker, Paris, 1789, p. 120.
-
[12]
Olivier de Corancez, Journal de Paris, n°251 à 253 et n°259 à 261, 1798. Victor Donatien de Musset-Pathay, Histoire de la vie et des ouvrages de Jean-Jacques Rousseau, Paris, 1821, t. 1, p. 281.
-
[13]
Alexandre Lacassagne, La Mort de Jean-Jacques Rousseau, Lyon, 1913.
-
[14]
Georges Gazier, « La Mort de Jean-Jacques Rousseau : récit fait par Thérèse Levasseur à l’architecte Pâris, à Ermenonville », Revue d’Histoire littéraire de la France, janvier-mars 1906. Achille-Guillaume Lebègue de Presle, Relation ou notice des derniers jours de M. Jean-Jacques Rousseau, circonstances de sa mort, Londres et Neuchâtel, 1778 et 1779.
-
[15]
Les Confessions, 1789, deuxième partie, livre VII. (N.B. : la première partie, livres I à VI, est publiée en 1782).