Sigila 2014/1 N° 33

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Article de revue

Penser autrement, un scandale

Pages 49 à 57

Notes

  • [1]
    Margarethe von Trotta, entretien réalisé par Brigitte Pätzold, L’Humanité, 24 avril 2013.
  • [2]
    Stéphane Hessel, Indignez-vous, Montpellier, Indigène éditions, 2010.
  • [3]
    Barbara Cassin, propos recueillis par Anne Diatkine, Libération, 24 avril 2013.
  • [4]
    Victor Klemperer, LTI La langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996.
  • [5]
    Erik Hazan, LQR La propagande au quotidien, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2006.
  • [6]
    Michel Plon, « Le discours anesthésiant, terreau de la violence », in Helena D’Elia et Véronique Bourboulon (dir.), Langage et violence, Paris, Centre Primo Levi, 2013.
  • [7]
    Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
  • [8]
    Jacques Lacan, Le Séminaire L’éthique de la psychanalyse, Livre VII, Paris, Seuil, 1986.
  • [9]
    Les nazis l’avaient bien compris qui commencèrent par brûler les livres qu’ils jugeaient subversifs et comme tels scandaleux. Freud toutefois s’est trompé – mais il a toujours quelque peu sous-évalué le danger nazi – lorsqu’il disait qu’en d’autres temps ce ne sont pas ses livres que l’on eût brûlés mais sa personne. On connaît la suite de la geste nazie en la matière.
  • [10]
    Cf. le chapitre premier « Le nom et la représentation de Machiavel » du livre de Claude Lefort, Le Travail de l’œuvre Machiavel, Paris, Gallimard, 1972.
  • [11]
    En apparence en effet, car comme le souligne Jean-Paul Ricœur, qui rend hommage à Lacan d’avoir éclairé nos lanternes en la matière, la plupart du temps, lorsque l’on parle de sexualité, on parle en fait de génitalité c’est-à-dire de « mise en jeu des organes génitaux – ce qu’on appellerait dans l’élégant français d’aujourd’hui : la baise. “Quand on aime, il ne s’agit pas de sexe” dit Lacan », L’impair, n°6, 2013. Revue du Groupe régional de psychanalyse Aix-Marseille.
  • [12]
    Jacques Lacan, Le Séminaire Les formations de l’inconscient Livre V, Paris, Seuil, 1998.
  • [13]
    Lacan s’adressant en toute connaissance de cause à un parterre de psychanalystes et universitaires nord-américains : « Vous devez admettre que la découverte de l’inconscient est une chose très curieuse, la découverte d’une très spécialisée sorte de savoir, intimement nouée avec le matériel du langage, qui colle à la peau de chacun du fait qu’il est un être humain et à partir duquel on peut expliquer ce qui est appelé, à tort ou à raison, son développement, c’est-à-dire comment il a réussi à s’ajuster plus ou moins bien à la société », in J. Lacan, « Conférences et entretiens dans les universités nord-américaines », Scilicet 6/7, Paris, Seuil, 1976, p. 16.
  • [14]
    Sigmund Freud, La Question de l’analyse profane, Paris, Gallimard 1985. Cf. aussi pour la postface en partie censurée et le post scriptum ajoutés par Freud à cet ouvrage, l’édition des Œuvres complètes, vol XVIII, Paris, PUF, 1994.
  • [15]
    L’expression est de Freud dans La Question de l’analyse profane, op. cit., p. 143.
  • [16]
    Michel Schneider, « Appendice au texte de Freud sur l’analyse profane », Paris, Gallimard, 1985.
  • [17]
    Jacques Lacan, « Situation de la psychanalyse en 1956 », in Écrits, Paris, Seuil, 1966.
  • [18]
    Theodor W. Adorno, La Psychanalyse révisée, Paris, L’Olivier, 2007.
  • [19]
    Sigmund Freud, op. cit., 1985, p. 116-117.
  • [20]
    Sigmund Freud Stefan Zweig Correspondance, lettre de Freud du 17.2. 1931, Paris, Rivages Poche, 1995.
  • [21]
    Rendons cependant hommage aux quelques groupes qui, contre vents et marées, maintiennent une psychanalyse vraie, freudienne et lacanienne, sur le sol nord-américain.
  • [22]
    Cf. le livre de Yann Diener, On agite un enfant. L’État, les psychothérapeutes et les psychotropes, Paris, La Fabrique, 2011.
  • [23]
    Cf. notamment Fernand Deligny, Œuvres, Paris, L’Arachnéen, 2007.
  • [24]
    Jacques Lacan, Télévision, Paris, Seuil, 1967.
Il n’a, lui, cessé d’oser, inlassablement, seul contre tous
Stefan Zweig
C’est là qu’est notre pratique : c’est approcher comment des mots opèrent
Jacques Lacan

Des scandales au quotidien

1Scandale. Le signifiant s’étale en grosses lettres noires à la « Une » des journaux. Son annonce claque dans les radios et les télévisions comme un coup de cymbales. L’écho s’en propage, ondes du scandale, scansion, laps de temps, l’attente y est suspendue, l’angoisse flotte. Et puis…

2L’énonciation est généralement connotée de tonalités fortes, violentes, où se font entendre la stupeur, la colère, le définitif ou le désir du, mais aussi l’interrogation, les fantasmes, tous affects qui n’excluent pas la jouissance : des générations de citoyens français ont encore dans l’oreille la voix tonitruante, véhémente, toute emplie du plaisir déclamatoire dont usait un dirigeant politique dans les années soixante dix et quatre-vingt – « c’est un scandaaaal » – pour dénoncer les agissements de ses adversaires ou les méfaits d’un système qu’il combattait.

3Cela fait déjà longtemps que ce signifiant est l’objet d’un usage inflationniste et le phénomène n’a fait que s’amplifier en ce début de xxie siècle caractérisé par une surenchère médiatique qui agit telle une drogue. À faire de tout événement ou presque un scandale, plus grand-chose n’est scandaleux. La beauté ou la valeur d’un collier de perles tient en l’écartement de celles-ci : trop proches, trop nombreuses, le collier perd de son éclat.

4Tout comme Hannah Arendt mit en avant, au prix justement d’un scandale et des menaces qui l’accompagnèrent, l’expression de « banalité du mal » – expression dont Margarethe von Trotta rappelle qu’elle fut forgée par Karl Jaspers [1] –, on est enclin à parler de banalité ou de banalisation de ce terme de scandale dont l’usage paraît de plus en plus destiné à conférer un relief à une actualité, quelle qu’elle soit, politique, sociale ou économique, jugée trop monotone, mais aussi, peut-être, à rendre anodin ce qui, de cette actualité, misère, guerres, tortures et autres atrocités, devrait être véritablement scandaleux.

5À en juger par les dictionnaires, est considéré comme scandaleux ce qui dérange un ordre donné, ce qui perturbe, révolte, offense les mœurs, les « bonnes ». Ce qui pourrait ouvrir à quelques résolutions définitives, « Plus jamais ça ! ». Mais ces définitions semblent fanées et les scandales qui ponctuent la vie de nos sociétés sont comme autant de feux de paille dont la particularité est précisément de ne pas « faire long feu ». Dans l’espoir de faire sortir de sa torpeur une opinion que plus rien ne semblait devoir scandaliser, un appel [2] se fit entendre dont le retentissement, pour fort qu’il fût sur le moment, n’aura cependant pas duré très longtemps. Pire, dans bien des cas, ce qui est qualifié de scandale devient source d’inspiration pour les scénaristes ou pour les humoristes qui attendent, en vue de nourrir leur répertoire, la venue d’un nouveau scandale à même de chasser le précédent déjà presque oublié. « Affaire classée ! »

6Dans son commentaire du film de Margarethe von Trotta consacré à Hannah Arendt, Barbara Cassin met en avant le redoublement qui se trouve désigné par l’expression « banalité du mal » : « le mal, dit-elle, est d’abord dans l’art de signifier le pire de manière à ce qu’il ne dérange même pas les locuteurs [3] ». On forge pour cela une langue, une « novlangue » pour user de l’expression par laquelle Victor Klemperer [4] avait qualifié la langue des nazis, laquelle avait pour fonction de déguiser le mal, en le banalisant aux yeux et aux oreilles de ceux qui utilisaient ladite langue ou qui s’y trouvaient plongés de gré ou de force au point qu’ils ne savaient plus de quoi ils parlaient. Le scandale résidera alors dans l’effet produit, stupeur, horreur, révolte, par la traduction de cette langue en une langue vivante qui, par exemple, en lieu et place de « solution finale », utilise les termes d’extermination, d’éradication et dévoile ainsi tout à la fois l’horreur de ce qui était masqué et le procédé lui-même de masquage, de banalisation.

7Serait-ce alors que depuis ce cataclysme qu’aura été la Shoah, plus rien ne peut bouleverser nos sociétés blasées, revenues de tout et que la « novlangue » de notre temps, celle que dans le sillage de Klemperer Erik Hazan a cherché à mettre à jour en parlant de la LQR[5], la langue de la Cinquième République, se révélerait parfaitement performante, mise au point d’un produit anesthésiant efficace [6] ? La remarque toute simple de Roland Barthes [7] selon laquelle « Il y a encore des gens pour qui la grève est un scandale » n’a pourtant rien perdu de sa pertinence et les adeptes de cette LQR ne cessent de la perfectionner en substituant par exemple à ce terme brutal, voire obscène, de « grève », l’expression moins dérangeante, plus « correcte », de « mouvement social ».

8Mais on risque fort de s’épuiser à vouloir cerner ce qu’il en est du scandaleux dans le seul registre des faits, des actes ou du langage courant : le neuf, le nouveau, l’actuel, l’événement récent ou daté sont, il faut sans doute s’y résoudre, des denrées périssables et qu’il s’agisse du registre de la cruauté, de l’atrocité, de la perversion ou de l’escroquerie, c’est toujours l’habitude, « la bonne ou la mauvaise » précisait Lacan [8], qui vient parasiter le discernement.

Des scandales historiques

9S’il est pourtant un registre qui semble à même de générer du scandaleux, ce serait celui de la pensée, de la pensée organisée, argumentée, de la pensée inédite dont la teneur, jusque-là précisément impensée, met en cause des idées, des conceptions et des valeurs considérées comme indépassables et universelles. Ces démarches intellectuelles qui sont en rupture avec celles qui les précèdent ou les entourent semblent avoir ceci de spécifique – et en cela pourrait bien résider la caractéristique première du scandaleux – qu’elles perdurent et résistent à la banalisation quels que soient les efforts déployés pour les réduire, les banaliser, les recouvrir, voire les brûler [9].

10Des noms viennent alors à l’esprit, des noms de ces penseurs, de ces savants qui, d’une manière ou d’une autre, ont pris des risques, allant jusqu’à mettre leur vie en jeu, en osant penser autrement que leurs contemporains sans jamais céder sur leurs idées. La violence des réactions mais aussi la durée de celles-ci constitueraient l’indication la plus certaine que scandale il y a bien eu, il y a encore.

11Ils ne sont pas si nombreux ces candidats au bûcher que l’on ne puisse les nommer au risque d’en oublier certains. Pour se borner aux Temps Modernes, les noms de Copernic, de Giordano Bruno et de Galilée, ceux de Machiavel, de Darwin, de Marx et de Freud ont non seulement été en leur temps à l’origine de scandales retentissants mais leur seul rappel suffit à provoquer encore aujourd’hui, ici ou là, frissons ou rejet haineux, ruptures et conflits. Chacun de ces grands hommes, savants ou philosophes, a pensé autrement, d’une manière radicalement nouvelle, des objets ou des domaines de la connaissance qui paraissaient définitivement établis, ils les ont transformés, ont renversé ou ébranlé des conceptions scientifiques ou philosophiques qui constituaient jusqu’à eux des piliers institutionnels, religieux ou scientifiques.

12La révolution copernicienne – et le bouleversement de la science physique qui la précéda et l’accompagna – fit sortir de ses gonds un pouvoir pontifical alors dominant ; Machiavel avec un « miroir princier » hors du commun privait de son assise divine le pouvoir politique, faisant ainsi de son nom un synonyme de l’infamie la plus durable [10] ; Darwin occasionna à l’homme une blessure qui saigne encore en plus d’une contrée géographique et idéologique ; Marx révéla à l’humain qu’il pouvait n’être qu’une denrée, source de richesse pour ceux qui l’exploitaient ; Freud enfin… s’est inscrit lui-même dans cette lignée, considérant que son apport venait à la suite de Copernic et de Darwin infliger à l’humanité une blessure narcissique qui n’était pas près de cicatriser. Mais là, avec Freud, le scandale est tel qu’il faut s’y arrêter un peu plus longuement pour en prendre la mesure et en constater l’actualité maintenue.

13La découverte freudienne, l’incontournable place qu’elle donnait à la sexualité, ne manqua pas de faire scandale sitôt énoncée, mais le temps passant, le sexe et la sexualité ont perdu, du moins en apparence, leur caractère sulfureux [11] ; vingt ans plus tard, le même, remaniant sa conception de l’appareil pulsionnel, introduisait ce qu’il appela une spéculation conceptuelle, la pulsion de mort : nouveau scandale qui allait provoquer dans les rangs de ceux-là même qui l’avaient jusque-là suivi, un divorce irrémédiable. Mais le scandale freudien dans toute son ampleur est plus dévastateur, sismique, comme tel insupportable au point de n’être que rarement nommé. Les quelques patronymes évoqués jusque-là étaient ceux de découvreurs qui avaient révolutionné la manière de penser des objets extérieurs tels que la conception de l’univers, le pouvoir politique ou la place de l’homme dans l’histoire des espèces et dans la sphère économique. Freud invente un objet extérieur illocalisable, pas autrement repérable que par ses manifestations, ses « formations » [12], dira Lacan, et cet objet implique pour être attesté, entendu, un mode de penser inédit, en rien comparable avec n’importe quel autre existant, un mode de penser qui n’a cessé et ne cesse de se révéler subversif parce qu’étranger [13]. Freud pose les données premières d’un mode de penser la pensée décentré, il développe un corpus théorique dont la cohérence échappe aux critères qui sont ceux tant des philosophes que des savants dans leur immense majorité. Lacan prolonge et développe cette entreprise scandaleuse en bouleversant notre rapport à la langue, notre manière d’en user, non seulement en invalidant l’idée de communication mais en nous donnant à entendre, par le biais notamment de néologismes dérangeants, lalangue de l’inconscient, en nous faisant entendre comment les mots opèrent.

14En de multiples endroits de son œuvre, Freud nomme cette fracture irréversible : il le fait toujours pour défendre l’intégrité, l’irréductibilité de sa chose, la psychanalyse, en soulignant que le mode de penser qu’elle implique n’admet aucun compromis.

15C’est notamment dans son essai sur La psychanalyse profane[14] écrit pas seulement pour défendre Theodore Reik accusé à Vienne de pratique illégale de la médecine mais pour défendre la psychanalyse que Freud prend ainsi la parole ; il entend défendre un mode de penser [15] opposé à celui qu’impliquent les études de médecine, distinct des diverses psychothérapies déjà en plein développement, marques de l’intolérable que constituait et allait continuer de constituer la psychanalyse. Freud ne se contente pas de souligner cette incompatibilité radicale entre la psychanalyse et les pratiques visant à soulager, à délivrer de leurs symptômes les patients sans en rechercher le sens, il souligne qu’il s’agit de donner aux psychanalystes une formation inédite, irréductible à ces démarches thérapeutiques habituelles. Comme le souligne Michel Schneider [16], avec la psychanalyse, « On sort d’une logique de l’institution et de la dérogation pour entrer dans celle de l’innovation. La vraie différence ne passe pas entre ceux qui interdisent et ceux qui tolèrent mais entre ceux qui pensent l’analyse dans les catégories de l’existant, et ceux qui l’inventent sans cesse ».

16Mais d’où provient cette résistance farouche à la psychanalyse, où s’enracine cette surdité à l’inconscient qui conduisent ceux qui en sont les agents à vivre le propos freudien, plus tard celui de Lacan, comme scandaleux ? Freud s’est évidemment posé la question pour y répondre par étapes, sans ignorer qu’à pointer le fondement de ce rejet il ne réussirait pas à en diminuer l’intensité bien au contraire. Ses réponses ont donc le ton à la fois d’une dénonciation énergique et celui d’une résignation. Les vecteurs de cette résistance ce sont, précise Freud dans ce même essai, « nos confrères américains » qui, en s’inscrivant dans la perspective médicale, ne peuvent que rejeter le mode de penser de la psychanalyse. Soit, mais étape suivante, pourquoi les « confrères américains » ? Parce que, continue Freud, lesdits confrères sont pris à leur insu dans un mode de penser techniciste subordonné à une idéologie de l’évaluation, de l’efficacité et de la rentabilité, tous critères qui impliquent un rapport au temps autre que celui inhérent à la démarche psychanalytique. À la racine de ces conceptions qui se sont épanouies aux États-Unis dans un long premier temps avant de traverser l’Atlantique, terreau de ce qui allait devenir l’american way of life dénoncé par Lacan dans quelques textes célèbres [17] mais aussi et de manière surprenante par Theodor W. Adorno [18], on trouve la philosophie de William James, grand prêtre de l’empirisme et du pragmatisme dont les idées ont amplement imprégné les dites « sciences humaines », mais aussi, dénoncé par Freud lui-même, le courant de la « Christian Science […] sorte de déni dialectique des maux de l’existence, se réclamant de la religion chrétienne. Je n’hésite pas à affirmer, insiste Freud à ce sujet, que ces pratiques représentent un regrettable errement de l’esprit humain [19] ». Freud ne cessera de rejeter tout rapprochement de ce genre de démarches avec la psychanalyse. C’est ainsi qu’en 1931, Stefan Zweig lui adresse, comme à chaque fois, son dernier livre, en l’occurrence celui intitulé La guérison par l’esprit, qui contient outre un long chapitre à lui consacré – ce qui vaut à son auteur quelques observations acidulées – deux autres chapitres, l’un consacré à Messmer et l’autre à Mary Baker-Eddy, la fondatrice de la doctrine de la Christian Science. Freud laisse entendre à Zweig combien ce rapprochement lui déplaît et reproche à son correspondant de ne pas avoir mis en valeur « ce qu’il y a d’insensé et de criminel dans tout ce qui est arrivé » avec elle et de n’avoir pas plus souligné « l’indicible désolation de l’arrière-plan américain [20] ». Ce que deviendra pour l’essentiel [21] la psychanalyse aux États-Unis ne fera que confirmer la lucidité de Freud.

17Dira-t-on qu’il s’agit là du passé et que le scandale a été banalisé, que la pensée de Freud et la psychanalyse ont été assimilées ? Les attaques calomnieuses encore récentes contre Freud, leur succès dans les médias, la permanente montée en puissance du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) dans le champ de la psychiatrie qui éclipse le sujet au profit de classifications destinées à assurer le développement des laboratoires pharmaceutiques – les comprimés prennent amplement le pas sur la parole –, le développement du traitement médical des enfants dits « agités » [22], les directives gouvernementales intimant explicitement l’ordre d’éliminer la psychanalyse de l’ensemble des approches concernées par l’autisme, la mise à l’écart, par de nombreux psychanalystes eux-mêmes, de la démarche de Fernand Deligny [23], autant de marques de l’hostilité maintenue à l’égard de la psychanalyse et de ceux qui la pratiquent ou s’y réfèrent, autant d’occasions pour ceux que Lacan qualifiait de « canailles » [24] de dénoncer le scandale permanent que constitue à leurs yeux la psychanalyse, cette manière de penser autrement. Scandaleuse la psychanalyse ? Certes ! À ne plus l’être elle cesserait d’être. C’est son prix, il est impayable.

Notes

  • [1]
    Margarethe von Trotta, entretien réalisé par Brigitte Pätzold, L’Humanité, 24 avril 2013.
  • [2]
    Stéphane Hessel, Indignez-vous, Montpellier, Indigène éditions, 2010.
  • [3]
    Barbara Cassin, propos recueillis par Anne Diatkine, Libération, 24 avril 2013.
  • [4]
    Victor Klemperer, LTI La langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996.
  • [5]
    Erik Hazan, LQR La propagande au quotidien, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2006.
  • [6]
    Michel Plon, « Le discours anesthésiant, terreau de la violence », in Helena D’Elia et Véronique Bourboulon (dir.), Langage et violence, Paris, Centre Primo Levi, 2013.
  • [7]
    Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
  • [8]
    Jacques Lacan, Le Séminaire L’éthique de la psychanalyse, Livre VII, Paris, Seuil, 1986.
  • [9]
    Les nazis l’avaient bien compris qui commencèrent par brûler les livres qu’ils jugeaient subversifs et comme tels scandaleux. Freud toutefois s’est trompé – mais il a toujours quelque peu sous-évalué le danger nazi – lorsqu’il disait qu’en d’autres temps ce ne sont pas ses livres que l’on eût brûlés mais sa personne. On connaît la suite de la geste nazie en la matière.
  • [10]
    Cf. le chapitre premier « Le nom et la représentation de Machiavel » du livre de Claude Lefort, Le Travail de l’œuvre Machiavel, Paris, Gallimard, 1972.
  • [11]
    En apparence en effet, car comme le souligne Jean-Paul Ricœur, qui rend hommage à Lacan d’avoir éclairé nos lanternes en la matière, la plupart du temps, lorsque l’on parle de sexualité, on parle en fait de génitalité c’est-à-dire de « mise en jeu des organes génitaux – ce qu’on appellerait dans l’élégant français d’aujourd’hui : la baise. “Quand on aime, il ne s’agit pas de sexe” dit Lacan », L’impair, n°6, 2013. Revue du Groupe régional de psychanalyse Aix-Marseille.
  • [12]
    Jacques Lacan, Le Séminaire Les formations de l’inconscient Livre V, Paris, Seuil, 1998.
  • [13]
    Lacan s’adressant en toute connaissance de cause à un parterre de psychanalystes et universitaires nord-américains : « Vous devez admettre que la découverte de l’inconscient est une chose très curieuse, la découverte d’une très spécialisée sorte de savoir, intimement nouée avec le matériel du langage, qui colle à la peau de chacun du fait qu’il est un être humain et à partir duquel on peut expliquer ce qui est appelé, à tort ou à raison, son développement, c’est-à-dire comment il a réussi à s’ajuster plus ou moins bien à la société », in J. Lacan, « Conférences et entretiens dans les universités nord-américaines », Scilicet 6/7, Paris, Seuil, 1976, p. 16.
  • [14]
    Sigmund Freud, La Question de l’analyse profane, Paris, Gallimard 1985. Cf. aussi pour la postface en partie censurée et le post scriptum ajoutés par Freud à cet ouvrage, l’édition des Œuvres complètes, vol XVIII, Paris, PUF, 1994.
  • [15]
    L’expression est de Freud dans La Question de l’analyse profane, op. cit., p. 143.
  • [16]
    Michel Schneider, « Appendice au texte de Freud sur l’analyse profane », Paris, Gallimard, 1985.
  • [17]
    Jacques Lacan, « Situation de la psychanalyse en 1956 », in Écrits, Paris, Seuil, 1966.
  • [18]
    Theodor W. Adorno, La Psychanalyse révisée, Paris, L’Olivier, 2007.
  • [19]
    Sigmund Freud, op. cit., 1985, p. 116-117.
  • [20]
    Sigmund Freud Stefan Zweig Correspondance, lettre de Freud du 17.2. 1931, Paris, Rivages Poche, 1995.
  • [21]
    Rendons cependant hommage aux quelques groupes qui, contre vents et marées, maintiennent une psychanalyse vraie, freudienne et lacanienne, sur le sol nord-américain.
  • [22]
    Cf. le livre de Yann Diener, On agite un enfant. L’État, les psychothérapeutes et les psychotropes, Paris, La Fabrique, 2011.
  • [23]
    Cf. notamment Fernand Deligny, Œuvres, Paris, L’Arachnéen, 2007.
  • [24]
    Jacques Lacan, Télévision, Paris, Seuil, 1967.
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