1Le paritarisme dans l’assurance maladie fut-il un bref passage historique, et dans un champ plus limité qu’on ne le croit ?
2À l’origine, il y eut un partage des rôles puisque si l’assurance maladie assurait les relations avec les professions libérales de santé et les cliniques privées, l’État avait fait des hôpitaux publics sa chasse gardée, notamment parce qu’il était sans cesse sollicité par les élus. De même le médicament (AMM, prix) relevait de l’État. Donc le paritarisme n’a concerné qu’une fraction des dépenses d’assurance maladie, d’autant que si l’État reprochait à la Cnam de ne pas trop s’intéresser aux déremboursements des produits obsolètes ou non-essentiels, il partageait peu avec l’assurance maladie les décisions de prise en charge de produits ou d’actes nouveaux.
3Alors ce paritarisme limité a-t-il été efficace, particulièrement laxiste, moyen ? J’observerai que le rapport rédigé en 1993 par MM. Soubie, Porthos et… Prieur, oui, Christian Prieur, relevait que les syndicats n’ont pas plus mal géré le libéral que l’État n’a géré l’hôpital.
L’Etat pilote
4Mais en 1993 les dés sont jetés : le tournant, s’il y en a un, se produit en 1991, les articles d’Anne-Marie Casteret sur l’affaire du sang contaminé nous font changer de paradigme. Brutalement la sécurité sanitaire devient ou redevient un des fondements du système de soins. La cohérence des actions à mener exige que la santé publique devienne ou redevienne le trait majeur de l’action et seul l’État peut être l’initiateur et le pilote de la santé publique.
5C’est ainsi que le débat ancien sur l’identité du « pilote dans l’avion » perd tous sens. C’est nécessairement l’État qui est comptable de la santé publique et les circonstances sont propices puisque la nécessité de maîtriser les dépenses apparaît de plus en plus pressante. Or, la santé publique est le seul ciment possible d’une action commune aux pouvoirs publics, aux assurés et aux patients ainsi qu’aux professionnels de santé.
6Même si la prise de conscience fut progressive, la question du pilotage était tranchée. En revanche, la question de l’autonomie de gestion restait entière : l’État acceptait-il d’avoir des partenaires et même en recherchait-il en s’inspirant des réformes faites par les autres pays européens ? Partout l’État s’était soucié de ne pas être seul à supporter le poids des décisions à prendre et notamment la maîtrise des dépenses. La forme des partenariats pouvait varier : médecins généralistes au Royaume-Uni, les caisses de sécurité sociale en Allemagne, les comtés en Suède, etc., mais le souci d’agir ensemble était universel.
7Pas en France, où il ne fallut que peu d’années pour constater que l’État entendait être seul décideur. Symptomatique fut à cet égard le refus de discuter en 1999 un plan de réforme du système de soins voté par les conseils d’administration des trois grandes caisses nationales d’assurance maladie. Le discours récurrent sur l’appel à la responsabilité des partenaires sociaux n’était donc que posture. Le Medef en tira les conséquences en quittant les conseils de l’assurance maladie en 2001 et l’État fit de même avec la loi d’août 2004, par laquelle les conseils d’administration des caisses du régime général furent remplacés par de simples conseils. L’État était dès lors seul maître à bord.
L’État seul décideur
8L’État seul décideur fut-il alors gestionnaire et pilote ? Gestionnaire en partie car, si le déficit de la branche maladie est resté présent avant comme après 2004, il fut contenu par des mesures ponctuelles émaillant les lois de financement de la sécurité sociale. En partie encore quand il crée les agences régionales de santé (ARS), mais sans leur donner pleinement la main sur la gestion du risque. Mais c’est surtout sa capacité de pilotage qui prête à réflexion. Certes, l’apurement de la pharmacopée remboursable de produits qui n’existaient en réalité qu’en France est à son actif, et la création de structures telles que la Haute Autorité de santé ou l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ne peut être discutée. Mais la prise en charge et l’égalité d’accès aux soins tracent la limite de sa capacité de pilotage. En effet, peut-on encore dire que l’assurance maladie est universelle ? Didier Tabuteau dans plusieurs articles et Pascal Beau dans Espace social européen ont sonné l’alerte : les remboursements de l’assurance maladie se concentrent sur dix millions de personnes (la moitié des personnes en affection de longue durée [ALD] et les personnes couvertes par la couverture maladie universelle complémentaire [CMU-C]). Pour les 55 millions restants, le remboursement par l’assurance maladie est inférieur à 55 % et diminue chaque année, au fil des économies décidées pour contenir le déficit comme indiqué ci-dessus.
9Ce déclin continu de l’universalité de l’assurance maladie n’a pas donné lieu à réflexion, encore moins à l’adoption de mesures correctrices. Au contraire, sur deux points majeurs l’État est resté suiviste.
L’État suiviste
10S’agissant tout d’abord de l’assurance maladie obligatoire, l’histoire des vingt dernières années peut être relue comme celle de la mise en forme du recul de la protection pour tous. La régulation du nombre d’ALD par les généralistes commence à s’effriter à partir de 1996-1997, une première adaptation consiste dans la création de la CMU-C en 2000 : quoi qu’il arrive, les grands malades et les pauvres seront pris en charge. Le mouvement s’accentue avec la création de l’aide à la complémentaire santé pour les titulaires de revenus juste au-dessus de la CMU puis par des relèvements successifs du plafond de revenus donnant droit à cette aide. Alors même toutefois que le pourcentage de bénéficiaires réels de cette aide ne cesse de baisser. Le progrès que représente le relèvement du plafond n’est donc au mieux qu’une illusion. Un pas nouveau est franchi par l’accord national interprofessionnel instaurant une complémentaire santé collective pour tous les salariés à compter du 1er janvier 2016… il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agit d’un « effet Mathieu » exemplaire. L’assurance maladie complémentaire pour les non-salariés, chômeurs, fonctionnaires, personnes âgées, en pâtira nécessairement en termes de sinistralité puisque les bons risques seront désormais logés dans les assurances collectives.
11Au passage, comme la généralisation de la complémentaire collective à tous les salariés coûte cher à l’Etat en déduction fiscale des cotisations, ce dernier n’hésite pas à rogner cet « avantage » sans toucher pour autant aux autres déductions fiscales telles que celles attachées aux régimes de retraite supplémentaire (3e étage) concentrés sur les hauts revenus. La cotisation facultative est donc mieux déduite que la cotisation maladie complémentaire devenue obligatoire.
12Il en résulte d’ailleurs la coexistence de deux conceptions de la solidarité passablement contradictoires : la première portée par l’assurance maladie de base est familialisée avec une cotisation progressive suivant le revenu et un remboursement indépendant du revenu. La seconde, portée par les complémentaires, est non familialisée, avec une cotisation qui dépend non plus du revenu mais de l’intensité de la couverture.
13Par ailleurs, créant ou laissant se créer une situation confuse entre les opérateurs, l’État ne se donne pour autant pas les moyens de rendre ces opérateurs plus performants en matière de gestion du risque. Les complémentaires maladie continuent d’intervenir sur le même champ que l’assurance maladie de base, ce qui multiplie les frais de gestion inutiles, à tout le moins. De plus, l’accès aux données de soins, essentiel pour mener une politique de gestion du risque efficace, est toujours refusé à ces complémentaires. On retrouve donc intacte cette ineffable équation française unique au monde qui veut qu’un plus un égale zéro : en effet, l’assurance maladie de base a le droit (depuis peu) de savoir ce qu’elle rembourse mais n’a pas le droit d’en user pour trier et donc améliorer son efficience. L’assurance maladie complémentaire a le droit de trier ce qu’elle rembourse mais… n’a pas le droit de savoir ce qu’elle rembourse ! Un plus un égale bien zéro : aucun acteur ne peut être véritablement opérateur.
14La montée en puissance pour 55 millions de Français de l’assurance maladie complémentaire représente de façon paradoxale une reconnaissance du paritarisme via les positions fortes des institutions de prévoyance comme AG2R ou Médéric. Pour autant, la question est-elle définitivement close pour l’assurance maladie de base ? Je ne le crois pas, tant la lutte contre la maladie et la mort est le thème par excellence du dialogue social.