Couverture de SEVE_037

Article de revue

Les idéaux éthiques et la santé

Pages 25 à 28

1La santé humaine est ici comprise comme l’absence de maladie associée à l’accession au bien-être et à l’épanouissement de chaque individu. Elle doit idéalement répondre à des principes éthiques consolidés dans des pays démocratiques, tels que le nôtre, que sont : le respect de la vie et de la dignité de la personne, la préservation de son autonomie, la bienfaisance et la non-malfaisance, la solidarité et la justice sanitaire, la pertinence des actions sanitaires choisies et menées, collectivement. Enfin, chacun de ces principes doit être croisé dorénavant, pour mener une démarche réflexive éthique adaptée à notre temps, à trois piliers structurant notre société et soutenant son évolution : l’écologique, l’économique et le social. L’ensemble permet alors de donner tout son sens à la notion de progrès, notamment en santé.

2Selon ce modèle matriciel, chacun des croisements peut ensuite être développé à partir des principes énoncés.

3Le respect de la vie, joint à celui de la dignité de la personne, est une notion qui a été remodelée par l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle, suite à la Seconde Guerre mondiale (espérons qu’il n’y en aura pas de troisième) et à la promulgation des lois de Nuremberg. Mais rien ne sera plus jamais achevé en ce domaine, et l’on devra être de la plus grande vigilance face aux changements environnementaux, d’origine anthropique notamment, aux conflits de toutes sortes, au prix attribué à une vie humaine dans un monde productiviste, et aux inégalités sociales qu’il peut par là-même engendrer.

4L’autonomie est l’un des principes majeurs qui nourrissent, et nourriront à l’avenir, la réflexion éthique en santé. L’idéal serait que l’autonomie de chacun soit préservée jusqu’à sa mort, que la notion de consentement soit remplacée par celle de choix, éclairé. Pour chacun serait développé un modèle de mise à disposition et d’autocontrôle de ses ressources, tant en termes de subsistance alimentaire, financière, sanitaire que de capacités relationnelles avec ses contemporains, proches ou du même groupe social. C’est un thème qui sera d’actualité grandissante face au vieillissement de la population, notamment dans les pays économiquement développés. De manière beaucoup plus prosaïque, c’est une question qui se pose dès à présent, dans la prise en charge des personnes dépendantes, en ambulatoire et en établissements (la maladie d’Alzheimer n’en étant qu’un exemple). Le retour d’expérience montre d’ores et déjà qu’en ce domaine il n’y aura pas de solution uniforme, mais que l’on s’achemine, fort heureusement, vers une démarche organique adaptée à chaque cas.

5Les attitudes de bienfaisance et de non-malfaisance ouvrent sur le chapitre toujours en discussion du bien-fondé d’un traitement et de l’évitement de tout acharnement thérapeutique, « déraisonnable », thème porté par la loi dite « Leonetti » sur les soins palliatifs et l’accompagnement de fin de vie. Elles ouvrent également sur le difficile sujet de la légalisation de l’euthanasie. En ce premier quart du XXIe siècle, où nous évoluons encore dans une dynamique d’allongement de l’espérance de vie, il est de plus en plus demandé aux acteurs de soins de favoriser parallèlement l’allongement de l’espérance de santé, dans sa composante de bien-être. Il ressort des débats menés dans ce domaine que la demande peut être pressante de la part des personnes concernées, mais aussi des proches (bien intentionnés), des aidants, voire des pouvoirs publics d’abréger des conditions de survie devenues « intolérables ». Cependant rien n’est plus difficile que de mener une réflexion éthique sur ce sujet, en l’absence souvent de données totalement objectives sur l’imminence d’une fin de vie que l’on souhaiterait la moins pénible, pour ne pas dire la plus douce possible. Certains insistent sur les inégalités existant également dans ce domaine, où un environnement socio-économique favorable peut représenter une aide substantielle pour le passage.

6La solidarité et la justice sanitaire sont très liées aux réflexions sur les coûts et l’économie de santé. Les thèmes abordés précédemment peuvent être partiellement repris pour alimenter cette partie de la réflexion éthique. L’égalité et l’équité en santé sont parfois à dire vrai des leurres, malgré tous les efforts consentis pour atténuer les différences dans un grand pays démocratique comme la France. D’une part, en effet, nous ne sommes pas tous constitutionnellement égaux quant aux risques pour notre santé. La génétique et la génomique, notamment, nous enseignent que certaines personnes sont destinées à développer des maladies, inéluctablement, que d’autres sont prédisposées à le faire pour d’autres affections, selon en particulier l’environnement dans lequel elles évoluent. Les mesures de prévention peuvent parfois être ici efficaces, à condition qu’elles soient appliquées correctement et suffisamment tôt. Or, d’autre part, en termes d’équité, la compréhension, pour chacun, des risques encourus et des mesures à prendre pour les gérer, dépend pour beaucoup de son niveau d’éducation et de son niveau socioéconomique. Il en va de même pour l’accès aux soins, pour le consentement, ou mieux le choix « éclairé » d’un traitement et les conditions de son suivi. Éthiquement, en France, nous ne pouvons cependant qu’être satisfaits, pour une grande partie, de la justice sanitaire qui est rendue, grâce notamment à toutes les mesures d’assurance maladie basées sur la solidarité nationale.

7Cette dernière constatation permet de faire le lien et la transition avec la pertinence des actions sanitaires choisies, collectivement, c’est-à-dire avec les politiques de santé menées dans notre pays, et la réflexion éthique qu’elle suscite dans le but d’aboutir à… un idéal. Force est de constater que les moyens matériels n’y suffisent plus et que si l’on veut s’acheminer vers, sinon aboutir à, une efficience optimale, sinon maximale, il est devenu nécessaire de développer une démarche de concertation pérenne entre la population, les acteurs de soin, les pouvoirs publics et toute autre partie prenante. Dans la plupart des cas, il n’est plus pertinent de répondre à une demande sociétale en santé uniquement par l’addition de médicaments, de dispositifs médicaux ou d’examens « complémentaires ». Il est devenu indispensable que chaque citoyen soit dorénavant informé de la démarche qui aura abouti à une prise de décision publique en matière de santé, au nom de l’équité, au coût le plus juste en termes de participation financière solidaire. Cela est devenu d’une particulière acuité face à l’arrivée des nouveaux traitements, notamment anticancéreux, onéreux, qui conduiront à faire des choix de prise en charge des dépenses de santé par l’assurance maladie. Il en va également de la capacité pour notre pays à assurer une prise en charge sanitaire la meilleure possible, de partager avec nos concitoyens la conviction que la solidarité ne s’arrête pas là mais comporte également un regard constant vers l’Autre (suivant en cela Emmanuel Levinas), prêt à lui porter aide, de manière non intrusive, en préservant au contraire sans cesse son autonomie… et nous voilà revenus au début de notre propos.

8En forme de conclusion, il est intéressant d’aborder (avec Amartya Sen) le concept de « progrès », étendu à la santé. Lié à la notion de développement économique, le progrès en santé humaine pourrait s’entendre comme l’application technique la plus extensive possible des acquisitions les plus récentes de la connaissance dans le pays concerné. En fait, il ne peut y avoir de progrès en ce domaine que si la population en est le premier bénéficiaire, et non les intérêts particuliers commerciaux, industriels ou financiers. Sur le plan éthique, il est essentiel de souligner que la personne ne verra pas son état de santé s’améliorer uniquement en tant que sujet de nouvelles applications biologiques ou thérapeutiques. Il est temps de retrouver et de développer plus que jamais la part humaniste du soin : prendre soin est définitivement aussi nécessaire que soigner. « Penser avec » est préférable à « penser à la place de ». Soyons les promoteurs d’un « citoyen-santé », nouveau partenaire des professionnels et des décideurs de politiques publiques dans le domaine.


Date de mise en ligne : 30/01/2013

https://doi.org/10.3917/seve.037.0025

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