Couverture de SEVE_029

Article de revue

Liberté, égalité, NBIC

Pages 75 à 83

Notes

  • [1]
    Société de biotechnologie californienne proposant par exemple à ses clients une analyse de leur code génétique.

1Les nanotechnologies, la biologie, l’informatique et les sciences cognitives (intelligence artificielle et sciences du cerveau) vont progresser mais elles vont surtout converger, en ce sens que les découvertes dans un domaine serviront aux recherches dans un autre. Cette synergie décuplera la puissance de la recherche et permettra des avancées spectaculaires.

Le siècle de la molécule…

2L’histoire des progrès scientifiques depuis trois siècles est, fondamentalement, une affaire d’échelle : chaque saut technologique important a été la conséquence d’une capacité nouvelle à maîtriser la matière sur une dimension de plus en plus petite.

3La première révolution scientifique et industrielle, à la fin du XVIIIe siècle, était basée sur la maîtrise de la matière à l’échelle du millimètre, elle a permis l’émergence de l’industrie lourde. La deuxième, au XXe siècle, était basée sur la maîtrise de la matière à l’échelle du micromètre. La troisième révolution scientifique est basée sur les nanosciences qui permettent le contrôle de la matière à l’échelle moléculaire et atomique. Le XXIe siècle sera celui de la molécule !

4Dans quelques décennies, les nanotechnologies vont nous permettre de construire et de réparer, molécule par molécule, des tissus et des organes vivants. Chaque élément de notre corps sera ainsi réparable, en partie ou en totalité, comme autant de pièces détachées. En réalité, la révolution biologique est déjà en marche : nous sommes capables de reprogrammer – sommairement pour l’instant – notre ADN. La connaissance des faiblesses génétiques de chaque individu conduira à une médecine personnalisée, puis à la « chirurgie des gènes ». Beaucoup de maladies pourront ainsi être éradiquées.

…Et de l’intelligence artificielle

5Les deux autres révolutions, celles de l’informatique et des sciences cognitives, marcheront main dans la main et produiront probablement les résultats les plus spectaculaires. Avec l’augmentation exponentielle des vitesses de calcul informatique et l’émergence de l’intelligence artificielle, elles permettront notamment de développer des automates dont l’intelligence pourrait dépasser celle de l’homme.

6L’époque où l’on assurait doctement que l’ordinateur ne battrait jamais le cerveau humain aux échecs est révolue. En 1996, un ordinateur nommé Deep Blue est dominé par le champion du monde d’échecs du moment, Garry Kasparov (par quatre victoires à deux). Un an plus tard, en mai 1997, le champion doit cette fois s’incliner.

7D’ici à 2050, voire plus tôt, on peut parier que l’intelligence artificielle (IA) concurrencera celle de l’homme. Des spécialistes de l’IA prévoient qu’elle dépassera les limites de la complexité cognitive d’origine biologique.

Fertilisations croisées : le grand carrefour NBIC

8Les quatre composantes de la révolution NBIC vont se fertiliser mutuellement. La génétique profitera de l’explosion des capacités de calcul informatique et des nanotechnologies indispensables pour lire et modifier la molécule d’ADN. Les nanotechnologies bénéficieront des progrès informatiques et des sciences cognitives, qui elles-mêmes se construiront avec l’aide des trois autres composantes … En effet, les sciences cognitives utiliseront la génétique, les biotechnologies et les nanotechnologies pour comprendre puis « augmenter » le cerveau et pour bâtir des formes de plus en plus sophistiquées d’intelligence artificielle, éventuellement directement branchées sur le cerveau biologique humain.

9Avec le passage à l’échelle nanométrique, nous allons pouvoir, par le biais des NBIC, former des combinaisons entre les atomes, les neurones, les gènes ou les bits des ordinateurs. La physique, la biologie et l’informatique vont se conjuguer, ouvrant ainsi des possibilités infinies et vertigineuses. Chaque objet, aussi petit soit-il (par exemple un nanorobot), pourra être un mini-ordinateur communicant. Intégrés par millions dans notre corps, ces nanorobots nous informeront en temps réel d’un problème physique, ou de la mauvaise qualité de l’air. Ils circuleront dans le corps humain, nettoyant les vaisseaux, réparant les tissus et expulsant les déchets. Ils seront capables d’établir des diagnostics et d’intervenir. Ces robots médicaux programmables détruiront les virus, les cellules cancéreuses ou les bactéries. Plus spectaculaire encore, les neuro-nanotechnologies ont l’objectif de modifier le fonctionnement du cerveau au niveau des neurones.

10Avec les progrès de l’intelligence artificielle et de l’informatique, nous allons créer des interfaces cerveau-ordinateur. Des versions primitives de ces interfaces existent déjà : des capteurs implantés dans le cerveau de singes permettent à ces derniers de contrôler des robots par la pensée. Dès les années 2030-2050, nous pourrions être « assistés » par des puces intégrées dans notre cerveau. Nous serons aussi et surtout « connectés » aux bases de données universelles (Internet), et capables à terme de communiquer directement par la pensée d’humain à humain. Nous pourrons, au sein d’une sorte de Facebook futuriste et dématérialisé, créer des groupes de « conscience collective » façonnant la « noosphère » de Teilhard de Chardin.

11Ce potentiel synergique des quatre révolutions NBIC va provoquer tout au long de ce siècle des changements inimaginables. Tous nos rapports au monde et à la vie en seront transformés. Les définitions de la liberté et de l’égalité, le droit, la justice seront bouleversées. Nos repères philosophiques et moraux vont trembler sur leurs bases. La vitesse des révolutions technologiques ne nous laissera pas le temps de souffler. Les changements de paradigme seront incessants, et nous devrons en quelques décennies digérer plus de changements radicaux que l’humanité au cours de toute son histoire.

12La génomique et les thérapies géniques, les cellules souches, la médecine des protéines chaperons et des nanotechnologies réparatrices, l’hybridation humain-machine (dont les implants cochléaires utilisés dans les surdités neurologiques sont la plus spectaculaire réalisation à ce jour) permettent d’envisager une croissance de l’espérance de vie en bonne santé beaucoup plus rapide que ce que la société envisage généralement. Cette médecine de la résilience devrait repousser les limites de notre longévité dans des proportions impensables aujourd’hui.

13Ces perspectives, quel que soit leur horizon, sont inéluctables, compte tenu du potentiel synergique des quatre révolutions NBIC. Pour autant, il ne s’agit pas de tomber dans une quelconque « techno-béatitude ». Cette modification radicale de l’humanité va bouleverser en quelques générations tous nos rapports au monde.

Première étape : le “géno-tsunami”

14Le premier choc technologique est imminent : la baisse vertigineuse du coût du décryptage des deux molécules supports de l’hérédité, l’ADN et l’ARN, devrait se traduire par des progrès fulgurants en génomique.

15De même que le coût d’un circuit intégré baisse de 50 % tous les dix-huit mois – la fameuse loi de Moore –, le coût du séquençage intégral de l’ADN d’un individu est passé de plus de 3 milliards de dollars en 2003 à 1,5 million en 2006 ; la barre des 100 000 dollars a été franchie à la baisse en 2008 et le prix devrait tomber à 1 000 dollars vers le milieu de la décennie. Avec les nanotechnologies, le coût du séquençage intégral de nos chromosomes pourrait s’établir autour de 100 dollars vers 2020. Cet effondrement du coût du séquençage va bouleverser la médecine – chaque maladie humaine a une composante génétique – et, au-delà, la société.

16Les conséquences médicales, éthiques, politiques, sociales, industrielles et géopolitiques de ce choc technologique sont immenses. Il devient urgent de les anticiper.

171) Une médecine personnalisée va émerger. La connaissance des patrimoines génétiques individuels permettra d’évaluer la probabilité de chacun de développer différentes pathologies et de mettre en œuvre une thérapeutique adaptée, idéalement de façon préventive. Dans un premier temps, la réponse restera basée sur les thérapeutiques traditionnelles (bien choisir les médicaments en fonction de son profil génétique pour maximiser l’efficacité et limiter les effets indésirables), mais les progrès de la « chirurgie des gènes » (méganucléases, PTC124 …) permettront une réparation directe de nos anomalies génétiques. La génomique sera également une pièce essentielle de l’utilisation des cellules souches à des fins régénératives. Cette nouvelle médecine va radicalement modifier l’organisation du système de santé et exiger des compétences nouvelles. Comment faire évoluer la gouvernance du système de santé pour accompagner cette transformation et désamorcer les réactions corporatistes qu’elle ne manquera pas d’engendrer ? Les cellules souches vont faire progressivement passer la médecine d’une logique de réparation à une logique de régénération. La maîtrise d’une telle médecine régénérative est une perspective réaliste à l’horizon des années 2020.

182) Contrairement aux idées reçues, les nouvelles technologies de santé ne génèrent pratiquement jamais d’économies, bien au contraire. La génomique peut faire exploser les dépenses de santé très au-delà de ce que nos nations à croissance faible pourront financer. Comment éviter un rationnement génétique, source d’une médecine à deux vitesses ?

193) L’industrie du génome va devenir la première industrie mondiale au cours du XXIe siècle. Elle se développe déjà très rapidement, depuis la fabrication des séquenceurs jusqu’aux biopuces en passant par les techniques de réparation génique. Parallèlement, des sociétés destinées à commercialiser ces techniques auprès du grand public ont vu le jour aux États-Unis. A-t-on réalisé en France que le leader mondial de ces nouveaux métiers est un pseudopode de Google (23andMe [1]) ? Le cofondateur de Google, Sergey Brin, a en effet découvert qu’il était porteur du gène de la forme familiale de la maladie de Parkinson – gène qui entraîne une probabilité très forte de développer cette grave maladie. La France et l’Europe, malgré quelques succès d’estime, sont pratiquement absentes du paysage. Plus que protéger des secteurs industriels en déclin, il faut maintenant favoriser les industries de la génomique.

204) Une orientation adéquate des travaux des instituts de recherche est cruciale. La recherche privée à but non lucratif (Centre d’étude du polymorphisme humain [CEPH], Généthon, Association française des myopathies, etc.) a jusqu’à présent permis à la France d’être présente dans ce secteur, mais un effort considérable doit être mené pour éviter la marginalisation de l’Europe. Cela suppose la création d’instituts multidisciplinaires, supprimant les rigidités verticales de nos organismes de recherche.

215) Des problèmes éthiques considérables sont à notre porte. Faut-il, par exemple, annoncer à un jeune adulte qu’il risque de perdre la vue à 65 ans du fait d’une prédisposition à la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge), surtout lorsqu’il n’existe pas de traitement préventif ? Inversement, est-il envisageable d’interdire aux citoyens de connaître leur destin génétique ?

226) Quelles limites doit-on mettre à la modification de l’espèce humaine ? Faut-il une agence internationale – sur le modèle de l’AIEA de Vienne contre la prolifération nucléaire – responsable du respect par tous les pays des limites à la transgression génétique ?

237) Ces technologies vont susciter des craintes immenses. Au regard des difficultés soulevées par les OGM – technologie plutôt anodine –, il est clair qu’il ne serait pas difficile de faire émerger la crainte d’un « Tchernobyl génétique » dans une population mal informée des enjeux. Comment éviter notre marginalisation technologique tout en permettant au légitime débat démocratique de s’épanouir ?

24Le « géno-tsunami » va bientôt déferler sur nos sociétés, et un immense effort d’adaptation est nécessaire pour accompagner cette mutation radicale pour l’humanité.

La fusion de la vie et de la technologie

25Vingt mai 2010 : Craig Venter annonce, dans le journal américain Science, la création de la première cellule artificielle. Il s’agit d’une étape essentielle dans la programmation de la vie, selon des principes proches de la conception d’un logiciel informatique, qui restera dans les livres d’histoire. Ainsi, la perspective de créer la vie à partir de matière chimique inerte se rapproche à vive allure.

26Pour la première fois, une forme vivante fonctionne donc avec un programme génétique conçu sur ordinateur puis construit chimiquement en éprouvette, et n’est plus le produit erratique de la sélection darwinienne. Cela accrédite l’idée que le programme génétique est fondamentalement un subtil logiciel, et la vie une nanomachine, particulièrement complexe certes, mais malléable par la science. À cette occasion, réapparaîtra un débat sur les limites de la science et la dignité humaine : a-t-on le droit de modifier l’espèce humaine pour augmenter ses capacités et faire reculer la vieillesse et la mort ?

27La fusion de la vie et de la technologie va se réaliser en trois étapes. D’abord, la technologie pénètre la vie grâce aux prothèses médicales et à la bio-ingénierie. Puis, la technologie crée la vie artificielle. Les annonces fracassantes de Craig Venter marquent le début de la course. Enfin, la technologie dépasse, voire remplace la vie biologique traditionnelle. La montée en puissance de Google, embryon d’intelligence artificielle, prouve que cette étape n’est plus si loin. C’est cette perspective qui a fait dire à Bill Joy, le cofondateur de Sun : « Le futur aura-t-il encore besoin de nous ? », et c’est cette histoire que Craig Venter contribue à écrire. Il est à l’avant-garde d’un programme de transformation radicale de l’humanité.

28La démonstration que la vie peut être produite en éprouvette conduira à des débats passionnés sur les limites du pouvoir de l’homme. Les travaux de Venter ont déjà suscité interrogations et inquiétudes. Le président Obama lui-même a diligenté une enquête sur ces technologies qui pourraient être détournées par des terroristes. Les religions vont également devoir se positionner face à une situation qu’elles n’avaient pas prévue ; des groupes religieux se sont d’ailleurs émus qu’un chercheur se croie autorisé à « imiter Dieu ».

29Enfin, les tentations démiurgiques et prométhéennes des ingénieurs du vivant vont s’accroître. La vie, l’homme vont être perçus comme étant manipulables sans limite. Quelques voix timides ont demandé un moratoire sur les travaux de Venter, puis elles se sont tues. Il faut dire que le précédent moratoire sur les travaux génétiques, décidé à la conférence d’Asilomar en Californie, n’a tenu que quelques semaines ! Qui est aujourd’hui en mesure de poser des limites ? Le bricolage du génome ne fait que commencer.

La politique face aux NBIC

30La politique consiste à gérer le futur. Or, nous sommes aujourd’hui face à une rupture radicale de notre rapport à demain. Au cours du XXe siècle, découvrant deux menaces vitales (le risque d’holocauste nucléaire et le réchauffement climatique), l’humanité a réalisé que le futur ne pouvait pas être la poubelle du présent. Mais le basculement qui s’ouvre devant nous est encore plus stupéfiant : l’humanité va devoir faire face au cours du XXIe siècle à des décisions qui l’engagent de façon probablement irréversible, dans le domaine des manipulations génétiques et de l’intelligence artificielle. Ce changement de perspective est à proprement parler vertigineux, dès lors qu’on se projette à long et très long terme : l’homme ne « désapprend » jamais une technologie, et la modification de l’espèce humaine est une possibilité technique prochaine.

31Au cours du XXIe siècle, la politique va donc devoir gérer ce « grand futur » modelé par les NBIC en plus de toutes les tâches d’arbitrage de court terme. En réalité, la prise en compte de ce grand futur devrait changer radicalement l’horizon et la méthode de travail des hommes politiques. Il est nécessaire de repérer les bifurcations de l’histoire sans se noyer dans les discours apocalyptiques, la « techno-béatitude » ou les préférences de tous les lobbies …

32La politique du grand futur sera d’abord une biopolitique … qui reste à inventer : comment piloter ou freiner la modification de l’espèce humaine ? Elle ne se réduit cependant pas à la bioéthique. Régler au cas par cas les problèmes de conscience sur l’utilisation des technosciences à des fins médicales est bien sûr essentiel, mais il existe beaucoup d’autres dimensions à intégrer :

  • la bioéquité, par exemple : au nom de quel principe empêcher un enfant myopathe de guérir, lorsque les thérapies géniques seront au point ? La sacralisation de la nature – version « Verts » ? Une dignité humaine qui s’interdit de dépasser son créateur – version croyants ?
  • mais aussi l’économie : comment garder un État providence si nos pays sont absents des technologies d’avenir ? Peut-on être malthusien dans le développement de la nanobiomédecine, au moment où la Chine acquiert un réel leadership sur ses sujets ? (Depuis le début 2009, la Chine a en effet dépassé les États-Unis en termes de publications scientifiques dans les nanotechnologies : 18 % du total mondial contre 16 %) ;
  • ou bien encore des objectifs géostratégiques : une Asie maîtresse des nanobiosciences pourrait se découvrir des tentations « géno-impérialistes » ;
  • enfin, le débat biopolitique devra gérer le déplacement de l’éthique du terrain sociologique et technique vers la métaphysique et la philosophie. Les perspectives abyssales conduiront, en effet, à une recherche universelle de sens.
L’État devra faire des choix cruciaux, alors même que le débat poussera à des affrontements de nature philosophique et religieuse, d’autant plus violents que ces techniques prométhéennes vont favoriser la fragmentation des églises et la multiplication des sectes.

33Choisir de modifier notre génome ou le fonctionnement de notre conscience, d’orienter l’intelligence artificielle, entraînera plus de passions, de radicalisations idéologiques, voire de risques d’affrontements physiques, que la simple détermination du taux de la taxe carbone. De nouvelles guerres de religions sont envisageables.

34Alors, quelle humanité pour demain ? Un « humanisme 2.0 » reste à inventer, mais constituera-t-il une position solide et défendable ou bien une simple étape, aussi instable et temporaire que l’Allemagne de l’Est de 1990, après la chute du mur de Berlin ? La biopolitique ne sera pas un long fleuve tranquille.

35Selon une logique implacable, ces ruptures technologiques vont accélérer le basculement du centre de gravité mondial que Jacques Attali avait identifié dès 1980. Quasiment absente de la génomique, qui va devenir la première industrie mondiale du XXIe siècle, l’Europe ne pourra prétendre qu’à une très faible croissance de moyen terme.

36Le choix implicite – et objectivement tentant, dans un contexte de crise – de promouvoir dans l’immédiat les secteurs condamnés et les services à la personne non délocalisables exclut en effet que notre continent tienne demain sa place dans le nouvel ordre économique mondial. Il risque d’autant plus de nous condamner à une croissance faible et à des emplois à faible évolution de rémunération qu’une grosse partie des services à la personne sont directement ou indirectement financés par l’impôt, alors même que la pression fiscale européenne est déjà forte.

37Au nom des bons sentiments et d’une vision dépassée de l’économie, les pouvoirs publics négligent parallèlement les industries du futur et notamment la génomique … Il est vrai qu’il est électoralement plus payant à court terme de baisser la TVA sur la restauration, même si ce secteur n’est soumis à aucune concurrence internationale et ne risque pas de se délocaliser.

38Le décalage structurel de croissance entre le reste du monde et l’Europe, qu’une absence dans les industries NBIC ne peut qu’accentuer, pourrait engendrer une cascade d’événements mortifères. Par exemple des revendications salariales radicales impossibles à satisfaire : sauf à cultiver une vision raciste du monde, on voit mal comment un bac - 3 français aux heures comptées et limitées pourra très longtemps gagner dix fois plus que le docteur en génomique de Bangalore ou de Shanghai. Dans des pays européens dont la stabilité est justement assisse sur la loyauté de larges classes moyennes, cette frustration majeure, et l’hostilité croissante aux élites politiques qui l’accompagnera vraisemblablement, sont de véritables poisons. Enfin, pour paraphraser Denis Jambar, nos enfants nous haïront de leur léguer une économie inadaptée aux enjeux de demain.

39Le malthusianisme technologique au nom des bons sentiments et de l’éthique ferait prendre un retard irrattrapable à l’Europe et à la France dans les technologies NBIC. Pouvons-nous nous permettre de passer une nouvelle fois à côté d’une révolution technologique et laisser à nos enfants, outre une montagne de dettes, un tissu économique absent des segments porteurs ?

40Le principe de précaution, qui laisse le champ libre aux industriels de la zone Asie-Pacifique préparant l’avenir pendant que nous subventionnons les secteurs condamnés, est une logique suicidaire. Nous ne pouvons laisser l’avenir de nos enfants entre les mains des partisans du mouvement « Décroissance, frugalité et écologie », sauf à accepter notre vassalisation par les puissances montantes de l’Asie… et la création d’une médecine régénérative off-shore réservée aux plus riches.

Notes

  • [1]
    Société de biotechnologie californienne proposant par exemple à ses clients une analyse de leur code génétique.
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